Conclusion. Prudence ou alternance ?
p. 131-134
Texte intégral
1Les analyses proposées dans cet ouvrage indiquent clairement que ce qui semble caractériser l’approche du gouvernement travailliste dans les différents domaines c’est avant tout sa très étudiés, grande prudence. L’action du New Labour se place clairement dans une perspective électoraliste, ce qui signifie qu’il y a certains risques qu’ils ne sont pas prêts à prendre. D’abord, le risque de perdre le soutien électoral des classes moyennes, ou Middle England, qui a été décisif en 1997 mais dont on sait qu’il est versatile. Cette tendance croissante des électeurs à des revirements imprévisibles est à l’œuvre dans la plupart des démocraties occidentales, fragilisant la position de tout Premier ministre et parti au pouvoir. Ensuite, le risque d’effrayer une communauté des affaires soupçonneuse à l’égard des Travaillistes dont la compétence en matière de politique économique est souvent mise en doute. Enfin, le risque de se mettre à dos les magnats de la presse, tel Rupert Murdoch, propriétaire du journal The Times et surtout du journal populaire The Sun dont on a pu dire que les éditoriaux avaient le pouvoir de déterminer le résultat des élections1.
2Dans le calcul électoraliste, la base travailliste traditionnelle, concentrée essentiellement dans les grandes villes du Nord et en Ecosse, et défendue notamment par la gauche du Parti, compte pour relativement peu de chose. En effet, la perspective de perdre ce soutien n’existe pas réellement en l’absence d’une alternative à gauche. Le gouvernement de Blair, malgré les protestations grandissantes, peut donc se permettre de négliger cet électorat et de laisser les régions du Nord péricliter2. Tout au plus, la gauche traditionnelle se voit-elle jeter quelques miettes, comme l’introduction d’un salaire minimum, mesure très décriée par la communauté des affaires, mais dont les effets sont pourtant presque imperceptibles du fait des restrictions dans son application et de l’absence de contrôle effectif, Il n’est donc pas exagéré de dire que la prudence du gouvernement travailliste confine à l’immobilisme (c’est particulièrement flagrant en ce qui concerne les transports en commun).
3Dans les deux domaines où les Travaillistes peuvent sembler au premier abord avoir fait preuve de courage politique, il est clair qu’aucun risque véritable n’a été pris. L'Irlande du Nord ne constituant pas une base électorale pour le parti, le gouvernement a pu faire preuve de bonne volonté politique sans avoir rien à y perdre. De la même façon, les référendums conduits préalablement à la dévolution impliquent que les réformes ne comportaient aucun risque attendu pour le gouvernement et représentaient même un moyen de consolider la position du Parti au Pays de Galles et en Ecosse en contrecarrant la montée des partis nationalistes.
4Il est donc malaisé de justifier l’image présentée par New Labour d’un parti épris de changement et prêt à prendre la tradition à rebrousse-poil pour instaurer un nouvel ordre économique et social. Le radicalisme du gouvernement semble se manifester avant tout à travers une certaine obstination à poursuivre dans la voie dans laquelle il s’est engagé. Ainsi, alors même qu’une série d’accidents ferroviaires3 a clairement démontré que privatisation des services et sécurité du public étaient des principes fondamentalement incompatibles4, le gouvernement se propose de privatiser le contrôle du trafic aérien5 et le métro de Londres. Sur d’autres questions qui auraient pu donner l’occasion aux Travaillistes de conforter leur image de parti moderne et progressiste, comme l'abaissement de l’âge du consentement pour les relations homosexuelles ou la libéralisation de l’utilisation du cannabis, le gouvernement s’est montré singulièrement impuissant à légiférer et à contrer les attaques de la vieille garde conservatrice, en particulier à la Chambre des Lords. Dans le même temps, on n’observe aucune avancée notable sur la question cruciale de la monnaie unique.
5Paradoxalement cependant, le gouvernement a peut-être ouvert la porte à des changements profonds là où il pensait simplement conforter sa position. Ainsi, la modification des règles du jeu institutionnel pourrait bien avoir ouvert une boite de Pandore. Le succès croissant des partis nationalistes au Pays de Galles et en Ecosse ou encore la victoire d’un candidat indépendant à la Mairie de Londres sont autant de signes indiquant une possible perte de contrôle provoquée par la déstabilisation des institutions, Il y a en outre tout lieu de penser que la décentralisation verra les régions du Nord se constituer en bases de pouvoir pour les rebelles au pouvoir central de Londres et que l’intégration à l’Europe, si elle se confirme, apportera des changements considérables favorisant eux aussi un démantèlement du Royaume-Uni en remettant en question la souveraineté du Parlement britannique à Westminster.
6Le point bas de l’automne 2000 et la perspective d’élections législatives au printemps 2001 semblent pourtant avoir initié un changement de stratégie de la part des Travaillistes. Dans son discours au congrès annuel du parti en septembre 2000, après avoir reconnu les erreurs de son gouvernement en ce qui concernait le Dôme et le montant des retraites, Tony Blair a promis « un second mandat plus radical que le premier ». Dans la foulée, le Premier ministre, qui avait pris soin de se situer dans la lignée de leaders forts, en particulier dans celle de Margaret Thatcher qu’il avait même invitée au 10 Downing Street, décide de se démarquer du thatchérisme. La rupture a lieu suite aux réactions à l’annonce par le Premier ministre du projet de la Grande-Bretagne de contribuer à la Force européenne de réaction rapide, que les eurosceptiques décrivent comme le premier pas vers l’établissement d’une « armée européenne » sous contrôle central qui remettrait en cause la légitimité de l’OTAN. Lors d’une conférence de presse tenue le 22 novembre 2000 Tony Blair condamne ouvertement la politique conduite par les gouvernements Thatcher, en particulier le sous-investissement dans les services publics et la politique européenne, et annonce l’avènement d’une « ère nouvelle ». Le risque politique est grand puisqu’une telle approche implique de se mettre à dos la majeure partie de la presse populaire, que New Labour avait jusqu’alors œuvré à amadouer. En quelques mois, le gouvernement accumule les actes symboliques : l’héritage de Margaret Thatcher est publiquement renié, le Dôme du millénaire est sauvé de la démolition grâce à son rachat par l'homme d’affaires Robert Bourne, le gouvernement donne sans ambiguïté son aval au principe d’une Force européenne de réaction rapide. On peut sans doute voir là le signe qu’un tournant a été pris et que New Labour ose, dans un nombre limité de domaines, se faire des ennemis et ainsi faire preuve de radicalisme. Ainsi, soit qu’il ait été forcé sur le gouvernement travailliste (effets de la dévolution, influence de l’Europe), soit qu’il ait résulté d’une volonté délibérée, le tournant pris dans les derniers mois de l’année 2000 semble indiquer que la campagne électorale sera offensive et que les élections de 2001 pourraient bien marquer le début d’une véritable alternance.
Notes de bas de page
1 Au lendemain des élections de 1992 le Sun titrait : « It was the Sun wot won it ».
2 Les statistiques officielles montrent clairement que certaines régions vont à contrecourant de la prospérité générale du pays. Ainsi la région nord-est connaît un taux de chômage de 9,8 % (en augmentation par rapport à 1999). On trouve des tendances similaires au Pays de Galles et dans les Midlands. En revanche, certaines zones du sud-est sont en situation de quasi-plein emploi.
3 Avant le déraillement du 17 octobre 2000 à Hatfield, la sonnette d’alarme avait déjà été tirée suite à la collision de Southall le 19 septembre 1997 qui avait fait six morts et plus de 160 blessés, puis celle de Paddington le 5 octobre 1999 qui avait tué plus de trente passagers.
4 Selon les sondages, plus de la moitié des Britanniques se déclarent en faveur de la renationalisation des transports ferroviaires.
5 Selon un document publié par le service national du contrôle aérien (National Air Traffic Control) en octobre 2000, le projet du gouvernement de privatiser 51 % du contrôle aérien et d'en diminuer le budget de 165 millions de livres en cinq ans pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur la sécurité des passagers.
Auteurs
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Emmanuelle Avril
Université de Lille III
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Richard Davis
Université de Lille III
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