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Comprendre la Grande-Bretagne de Tony Blair

 | 
Emmanuelle Avril
, 
Richard Davis

Dépendances et interdépendance en politique nucléaire britannique

Xavier Debiolles

Texte intégral

1En France, on considère que le nucléaire britannique n’est qu'un prolongement du combinat états-unien. On peut aisément expliquer une telle conception par le fait que la culture nucléaire française est basée sur l’équivalence entre souveraineté nationale et force de dissuasion. Dans une telle conception, le territoire national et ses dépendances se trouvent sanctuarisés et l’Etat, grâce à une force de frappe autochtone, affirme son indépendance dans l’ordre international sans autre limitation que le respect de ses engagements. Un tel courant existe aussi en Grande-Bretagne, Enoch Powell en était le héraut, mais il a toujours été minoritaire. En d’autres termes, même si la dimension nationaliste du nucléaire britannique est loin d’avoir été évacuée, elle est masquée par la croyance en les bienfaits de la coopération avec les États-Unis. Le modèle nucléaire britannique est atypique en ce sens que le Royaume-Uni a choisi, à partir de 1957, de construire sa dissuasion sur l'interdépendance. Une telle posture est par définition évolutive, sujette aux contradictions et comporte nécessairement des limites eu égard à la nature du phénomène nucléaire. Le gouvernement travailliste au pouvoir depuis 1997 ne fait pas exception, et malgré ses efforts pour l'étouffer, le débat nucléaire demeure potentiellement périlleux pour Tony Blair et son parti.

La genèse du concept de l’interdépendance

2Lorsque le 8 janvier 1947, un comité secret du Cabinet décide de doter la nation britannique de la Bombe, ses membres, au premier rang desquels on trouve Ernest Bevin, ont au moins trois objectifs en tête, Il s’agit avant tout de maintenir le statut de grande puissance du Royaume-Uni ; en second lieu, les ministres travaillistes cherchent à réactiver la collaboration atomique anglo-américaine de l’entente de guerre en enclenchant un processus d’affirmation de l’indépendance nucléaire britannique ; enfin, cet aréopage espère dissuader l’adversaire soviétique d’envisager une attaque contre la Grande-Bretagne. L’interdépendance est bien entendu inscrite en filigrane dans ces objectifs et, dès 1947, le gouvernement Attlee, par ses efforts pour ressusciter l’esprit du Manhattan Project va, avant tout, chercher à renouveler l’accès à la technologie américaine et à influencer la planification militaire des États-Unis, tout comme, à partir de 1950, il devait réussir à peser sur l’élaboration du concept défensif de l’OTAN.

3Toutefois, la réalité stratégique en Europe n’attend pas et ce, dès la fin 1949, lorsque, à la suite de l’explosion de la Bombe soviétique, la doctrine nucléaire en devenir de la Grande-Bretagne subit une inflexion significative : on passe d'une stratégie de « représailles » contre les centres industriels de l’ennemi à un ciblage « anti-forces » : il s’agit désormais de détruire tous les emplacements que des forces stratégiques hostiles pourraient utiliser pour attaquer le Royaume-Uni. Le penchant de la Grande-Bretagne pour une telle option rend le recours aux États-Unis indispensable malgré le développement en cours d’un arsenal nucléaire indépendant. D’ailleurs, ce dernier tarde à se mettre en place puisque les bombardiers stratégiques du Royaume-Uni, les Valiants, Vulcans et Victors seront d’abord dotés d’ogives américaines à double clé (la responsabilité ultime pour leur lancement revenant aux États-Unis) et, qui plus est, leur équipement en bombes à hydrogène britanniques ne commencerait pas avant 1958.

4Les préférences de la Grande-Bretagne en matière de ciblage ont donc évolué dans un sens qui les met au-delà de son potentiel militaire et, si le mot d’ordre de l’interdépendance fait son apparition dans les corridors de Whitehall en octobre 1957, c’est tout simplement qu’il y va de l’intérêt bien compris des deux participants à cette future relation de dépendance réciproque. Le premier test d’un missile balistique intercontinental par les Soviétiques, le 26 août 1957, et la mise sur orbite de leur satellite Spoutnik, quelques semaines plus tard, mettent à nu le retard de l’Amérique dans le domaine des vecteurs mais, aussi et surtout, révèlent la vulnérabilité du territoire états-unien à une attaque atomique. Du côté britannique, l’économie du Royaume-Uni s’essouffle au point que, dans un Livre blanc publié en mars 1957, Duncan Sandys, ministre conservateur de la défense, donne, pour des raisons budgétaires, le primat à l’arme nucléaire sur l’arme conventionnelle, tout en mettant fin à la conscription.

5De façon concomitante, l’évolution de la technologie nucléaire implique des coûts de développement croissants. Face à cette situation, le gouvernement va d’abord s’orienter vers la solution qui consiste à accroître la durée de vie de ses bombardiers stratégiques en substituant des missiles air-air de longue portée aux bombes à gravitation. Le projet le plus achevé dans ce domaine devait être le missile Blue Steel dont le premier prototype équipera les bombardiers Victors. Par ailleurs, les autorités britanniques vont chercher à renforcer leur aviation stratégique avec un missile sol-sol tel que le Blue Streak, abandonné assez rapidement, en fin de compte, pour des raisons d’obsolescence. Le Royaume-Uni rencontre désormais des difficultés budgétaires, voire technologiques, dans son effort d’armement et les États-Unis, pour parer à la menace communiste, ont un besoin immédiat de la Grande-Bretagne, « gigantesque porte-avion » croisant à proximité de l’Union Soviétique. Dès lors, il n’est guère surprenant que le modèle nucléaire du Royaume-Uni se fige à la charnière des années soixante pour adopter la forme définitive qu’on lui connaît encore aujourd’hui. L’interdépendance arrive à point nommé pour masquer et pallier les insuffisances britanniques.

  • 1 Cet accord, qui met en place une coopération anglo-américaine sur la conception, la production, le (...)

6A la suite de la conclusion du Mutual Defense Agreement de juillet 19581, le Royaume-Uni a dorénavant accès aux données technologiques des Américains ainsi qu’à leurs matériaux fissiles. Contrairement à la France, le Grande-Bretagne va continuer de rechercher l’association étroite avec les États-Unis. L’accord de Nassau, le 20 décembre 1962, ne fait qu’entériner le choix de l’interdépendance, voie dans laquelle, de fait, le Royaume-Uni s’est engagé depuis octobre 1957 : le marché conclu avec les Américains sanctionne la vente de missiles Polaris en échange de l’engagement de la Grande-Bretagne à placer sa flotte nucléaire au sein d’une force mu bilatérale de l’OTAN. Elle garde cependant la possibilité d’utiliser cette dernière de façon complètement indépendante au cas où elle devrait agir sans garantie américaine : c’est l’échappatoire offerte par la fameuse clause additionnelle du paragraphe 8 de l’accord.

7A partir du 13 février 1963, en affectant leur force de bombardiers stratégiques au commandement suprême de l’OTAN pour l’Europe, les autorités britanniques prennent très au sérieux leur rôle de promoteur de la sécurité européenne soulignant, dans le cadre de la dissuasion, l’importance d’un second centre de décision censé rendre plus compliqués les calculs des Soviétiques dans leur entreprise de divination des intentions de l’OTAN. Le Royaume-Uni peut alors jouer un rôle politique plus important au sein de l’OTAN, ce qui ne pouvait qu’accroître son profil dans l’ordre international mais de là à ce qu’il profite de l’interdépendance pour poursuivre la quête d’un rôle nucléaire mondial, il y a de quoi surprendre. C’est pourtant ce que le gouvernement Wilson va faire en ayant des velléités d’offrir, à l'instar des États-Unis, des garanties nucléaires aux puissances non-nucléaires de l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est et en affectant une partie de ses ressources stratégiques limitées à ce théâtre jusqu’au moment où, en 1967, la dévaluation de la Livre et la crise économique attenante mettent un terme à ces ambitions nucléaires mondiales. On s’attendrait à voir les Conservateurs plutôt que les Travaillistes dans ce rôle de promoteur de la grandeur nationale mais on le voit, la dissuasion élargie n’est pas exempte de contradictions.

Les paradoxes de la pratique de l’interdépendance

8On note tout d’abord l’hésitation à engager la survie de sa propre nation pour sauver celle de son allié. Lors de la revue de défense de l’OTAN de juin 1956, on remarquait déjà les réserves du Secrétaire d’Etat des États-Unis, John Foster Dulles, à l’égard des demandes britanniques pour que l’on mette un accent encore plus fort sur la dissuasion nucléaire dans la stratégie de l’OTAN. En effet, celui-ci devait répondre qu’il ne souhaitait pas voir la capacité militaire de l’OTAN « dépendre de façon aussi exclusive d’armes atomiques de telle sorte qu'il n’y ait plus une once de flexibilité ». Parallèlement, les Premiers ministres britanniques et leurs conseillers semblent avoir été moins inquiétés par la propension des États-Unis à avoir la gâchette facile que par leur réticence à envisager un éventuel recours aux armes nucléaires pour défendre leur allié.

9L’autre aspect surprenant du nucléaire britannique par rapport à la pratique de la coopération nucléaire se trouve dans la relation de la population britannique avec les États-Unis : l’opposition nucléaire semble se cristalliser au Royaume-Uni et l’anti-américanisme croître à chaque fois que le peuple se sent « devenir cible » des armes soviétiques du fait d’initiatives résultant de la mise en œuvre de l’interdépendance. A partir de 1957, le mouvement anti-nucléaire prend un essor considérable avec la naissance, en février 1958, de la Campaign for Nuclear Disarmament (CND). Il ne fait pas de doute qu’une bonne partie de la population britannique s’effraie de l'installation des missiles américains Thor en Grande-Bretagne et de l’adoption, dans le sillage de l’OTAN, du concept des « représailles massives » comme stratégie nucléaire nationale. De même, avec la perspective de l’installation de missiles Cruise américains sur le sol du Royaume-Uni, CND connaît un regain de vigueur inespéré à partir de 1981 et une influence importante au sein du parti travailliste illustrée par l’élection de Michael Foot à la tête du parti. Ce noyau irréductible d’anti-nucléaires fait office de porte-voix pour le bon tiers d’opposants que l’on voit affleurer dans tous les sondages portant sur l’arme atomique. Autrement dit, CND constitue un mouvement de citoyens qui se manifeste chaque fois que l’interdépendance est mise en pratique et qu’il faut défendre la souveraineté de la nation britannique contre les empiétements de l’allié américain.

  • 2 Il s’agissait de l’un des deux sites désignés pour recevoir les missiles Cruise.
  • 3 Trident est le successeur de Polaris/Chevaline. La décision d’acheter Trident fut officiellement pr (...)

10L'élite gouvernementale nucléariste semble donc s’être coupée d’une partie du peuple qu’elle entend protéger parce qu’elle n’a pas su garder intacte la souveraineté nationale. La dissuasion nucléaire œuvre peut-être pour la paix en Europe mais elle ne paraît pas garantir la paix civile au sein du Royaume-Uni. De surcroît, l'entité politique britannique, du fait de la possession de la Bombe, doit faire face, dans sa « frange celtique », à des forces centrifuges. Au lieu de générer un courant centripète puissant par le biais d’une identification partielle à la souveraineté britannique, la force de frappe du Royaume-Uni est perçue comme la manifestation la plus achevée de l’impérialisme anglais et, de ce fait, contribue tant soit peu au délitement de la nation qu’elle est censée protéger. Ce n’est certainement pas un hasard si le camp de la paix installé devant Greenham Common2 entre 1981 et 1983, trouve son origine dans une marche de femmes partie de Cardiff et il est remarquable que tous les comtés gallois, en février 1982, se soient déclaré « zones dénucléarisées », la population galloise par le truchement de ses élus refuse symboliquement la couverture nucléaire que lui offre Londres. La dissuasion élargie, bien qu’on la dise opérationnelle au niveau supranational, révèle, à n'en pas douter, des dysfonctionnements à l’échelon infranational. En 1980, déjà, des sondages d’opinion montraient que 60 % des Ecossais étaient favorables à la fermeture de toutes les bases américaines situées en Ecosse. D’ailleurs, les forces nationalistes écossaises pourraient bien poser, au cours des années qui viennent, des problèmes sérieux aux responsables chargés de l’élaboration de la politique nucléaire britannique : qu’adviendrait-il de la base de Faslane, l’unique base de ravitaillement pour les sous-marins transportant le nouveau système de missiles Trident3, située près de Glasgow, si jamais le Scottish National Party obtenait la majorité lors de prochaines élections ? Les relations ancillaires complexes que le Royaume-Uni entretient avec ses différentes composantes contribuent à fragiliser le nucléaire britannique au moment où celui-ci rencontre des difficultés qui dépassent le cadre national.

Les limites de la dépendance nucléaire réciproque

  • 4 Heuser, Beatrice, Nuclear Mentalities ? Strategy and Beliefs in Britain, France and the FRG, Londre (...)
  • 5 Heuser, Beatrice, NATO, Britain, France and the FRG : Nuclear Strategies and Forces for Europe, 194 (...)

11Après le lancement de Spoutnik, le Premier Lord de l’Amirauté, Lord Mountbatten, avait publiquement émis des doutes sur le fait que les États-Unis utilisent les armes nucléaires dans le cas de figure où, seuls, leurs alliés européens seraient attaqués. Duncan Sandys fit alors établir un plan de ciblage indépendant pour couvrir « une situation dans laquelle le Royaume-Uni serait contraint d’exercer, seul, des représailles »4. Il est significatif, à cet égard, qu’en juin 1962, le secrétaire privé de Macmillan, Philip de Zulueta, puisse estimer que, « de fait, il n'existe pas de plan britannique indépendant (de ciblage) »5. Même si les responsables du ministère de la défense ont essayé d’expliquer que la force stratégique britannique n’était pas entièrement sous contrôle de l'OTAN, dans les perceptions de la communauté internationale, voire dans celles de la classe politique locale, le lien nucléaire très fort entre États-Unis et Royaume-Uni a fini par occulter l’indépendance de la force de dissuasion britannique. L’observateur voit poindre ici l’autre concept fondamental qui informe le nucléaire en Grande-Bretagne, la suffisance. La conséquence de cette approche minimaliste, c’est que le Royaume-Uni sera toujours très préoccupé par les défenses anti-missiles des Soviétiques ou par toute mesure défensive qui pourrait empêcher la force nucléaire britannique de détruire ses objectifs, Il existe par ailleurs un autre domaine suivi avec beaucoup de fébrilité par les Britanniques, celui des accords de désarmement entre États-Unis et URSS. Lors des pourparlers bilatéraux qui eurent lieu dans les années 80, les Soviétiques réclamèrent l’inclusion des forces britanniques dans les accords de désarmement, ce que Whitehall a toujours refusé étant donné la taille de l’arsenal de la Grande-Bretagne, et ce faisant, a contribué à écorner l’image d’un pays travaillant à la réduction de la menace nucléaire.

12L’interdépendance s’accommode parfaitement de la suffisance nucléaire mais, dans l’hypothèse où le Royaume-Uni devrait agir seul, ses options sont plutôt limitées, Il n’a plus dans sa panoplie d’armes nucléaires tactiques : l’équipe de Tony Blair ne pouvait, en l’occurrence, pas vraiment s’écarter de l’orientation que les gouvernements conservateurs précédents avaient prise ostensiblement pour contribuer au désarmement mais, en vérité, pour des raisons budgétaires. Depuis que les dernières bombes à gravitation ont été définitivement supprimées en avril 1998, on a du mal à voir quelles sont les options dont la Grande-Bretagne dispose aujourd’hui pour éviter la stratégie des « représailles massives », hormis le tir d’avertissement avec un engin de faible puissance censé prévenir l’échange stratégique. Et pourtant, le gouvernement de Tony Blair, devant la montée des menaces diffuses dans l'après-guerre froide, semble s’orienter vers une utilisation sub-stratégique de la force de dissuasion britannique :

  • 6 Hansard, Official Report, John Reid, London, 20 mai 1992, col. 24.

Le Gouvernement approuve sans réserves la politique de l’OTAN quant à la nécessité d’être doté en permanence d’une capacité sub-stratégique, élément essentiel d’une dissuasion crédible. Dans des circonstances extrêmes d’auto-défense, une telle capacité permettrait un usage limité de l’arme nucléaire afin d’envoyer à l’agresseur un message politique soulignant la détermination de l’Alliance Atlantique à se défendre6.

13Utiliser Trident pour lancer un tir d’avertissement avec une ogive de faible puissance pourrait constituer une tactique à hauts risques. Si elle était utilisée contre une autre puissance nucléaire, il n’y a aucune garantie que ce genre de frappe pré-stratégique ne déclenche une riposte nucléaire massive, avec le risque d’escalade vers la guerre totale. Une telle utilisation de Trident contre un état non-doté d’armes nucléaires violerait les engagements de non-agression souscrits par la Grande-Bretagne envers les signataires du Traité de Non-Prolifération de 1968. Les Britanniques, toutes tendances politiques confondues, essaient actuellement de trouver une raison d’être crédible pour Trident dans l'après-guerre froide basée sur la dissuasion sub-stratégique en lui donnant un rôle versatile en matière de contre-prolifération, ce qui apparaît aujourd’hui comme le scénario le plus vraisemblable pour l’utilisation des armes atomiques. Employer Trident en tant que capacité sub-stratégique manque cependant de crédibilité car l’incertitude quant au degré et à la probabilité des représailles est la base sur laquelle la dissuasion repose.

14Le Royaume-Uni semble vouloir se contenter de gérer son actif nucléaire pour des raisons essentiellement politiques et il est normal que les Britanniques soient aujourd’hui très réservés vis-à-vis de la construction d’un bouclier anti-missile partiel aux États-Unis :

  • 7 International Herald Tribune, 28 février 2000.

On ne sait pas encore bien clairement si le système [le National Missile Defense] que M. Clinton a en tête serait capable de protéger physiquement la Grande-Bretagne, par exemple. Cela pose des dilemmes sérieux aux politiciens et généraux britanniques puisque ce plan fait appel aux installations radar américaines implantées au Royaume-Uni. L’opinion britannique cautionnera-t-elle l’accueil de stations radar qui pourraient provoquer une attaque et ne pas protéger le territoire britannique ?7

15On peut, en effet, raisonnablement poser que les autorités britanniques ne peuvent que craindre une remise en cause du Traité sur les Missiles anti-Missiles de 1972. Un tel développement mettrait alors en évidence l’inadéquation de la force de frappe britannique et, surtout, un bouclier anti-missile, même partiel, impliquerait une relance de la course aux armements. Nul doute que procéder ainsi ne manquerait pas de réveiller le feu pacifiste qui continue de couver en Grande-Bretagne malgré la disparition de la menace soviétique.

Conclusion

16Au Royaume-Uni, la phalange anti-nucléaire demeure toujours capable de mobiliser l'opinion publique à la moindre occasion qui lui serait offerte. Le parti travailliste, bien que s’étant départi de son unilatéralisme, après 1987, pour redevenir éligible, reste potentiellement anti-nucléaire, hormis peut-être Tony Blair dont on sait tout de même qu’il fut, au cours de sa vie militante, membre de CND. Au moment où le consensus sur la nécessité d’une force de dissuasion minimale apparaît reconstitué dans la classe politique britannique, la déligitimation de celle-ci au sein de la population est à son comble. La dissociation des besoins américains et européens en matière de sécurité risque d’introduire de fortes tensions au sein d’une Alliance Atlantique à la recherche d’une identité nouvelle depuis la fin de la guerre froide. L’interdépendance avec une Europe complètement autonome en matière de défense finira peut-être par prendre le pas sur celle avec les États-Unis et, dans ce cas de figure, gageons que la puissante opposition nucléaire britannique fera tout son possible pour empêcher que la Grande-Bretagne ne devienne l'un des deux partenaires essentiels d’une nouvelle configuration défensive européenne qui serait toujours basée sur la dissuasion nucléaire.

Notes

1 Cet accord, qui met en place une coopération anglo-américaine sur la conception, la production, les essais et l'utilisation des armes nucléaires, a été renouvelé en mai 1994 et court jusqu’au 31 décembre 2004.

2 Il s’agissait de l’un des deux sites désignés pour recevoir les missiles Cruise.

3 Trident est le successeur de Polaris/Chevaline. La décision d’acheter Trident fut officiellement prise par Margaret Thatcher le 15 juillet 1980.

4 Heuser, Beatrice, Nuclear Mentalities ? Strategy and Beliefs in Britain, France and the FRG, Londres : Macmillan, 1998, p. 33.

5 Heuser, Beatrice, NATO, Britain, France and the FRG : Nuclear Strategies and Forces for Europe, 1949-2000, Londres : Macmillan, 1998, p. 75.

6 Hansard, Official Report, John Reid, London, 20 mai 1992, col. 24.

7 International Herald Tribune, 28 février 2000.

Auteur

Université de Lille II

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