1Il convient de mettre en valeur la préoccupation permanente des directions locales et du siège de la Société générale d’être à l’écoute des besoins de la clientèle locale, d’anticiper, de travailler sur la durée avec un réel souci de partenariat équilibré pour développer sans cesse la satisfaction de nos clients, l’ensemble contribuant régulièrement à améliorer nos positions sur la place. Avec nos clients, nos sous-traitants, dans le temps, les équipes de la Société générale qui se sont succédé dans la métropole lilloise ont contribué à l’essor et au renouveau de la place économique qui a su se relever de nombreuses crises. Au-delà, j’espère que les historiens trouveront là matière à travailler sur l’un des volets de la « banque universelle à la française », la « banque de flux » et le rôle qu’y ont joué les Roubaisiens, les Lillois et les Tourquennois de notre maison au service de leurs clients.

1. Esquisse d’histoire de la « banque de flux » dans le Nord

2À sa création en 1864, la Société générale, bien que dénommée Société générale pour favoriser le développement du commerce et de l’industrie en France, se positionne d’emblée comme « banque universelle », comparée aux banques d’affaires de l’époque. Les archives sont nombreuses sur ces activités. Par contre, il y est très peu question du traitement matériel des flux financiers. L’agence de Lille est créée dès 1865, une sous-agence est ouverte le 7 mai 1872 à Roubaix au 15 rue de la Fosse aux Chênes pour couvrir les secteurs de Roubaix et Tourcoing. Au regard du développement des opérations, cette agence de Roubaix est directement rattachée au siège dès le 28 juillet 1874. Roubaix ouvre un bureau permanent à Tourcoing le 28 octobre 1900 : le décor est planté.

3Si je n’ai pas trouvé de statistiques locales sur les mouvements de portefeuille d’effets de commerce qui étaient à l’époque le mode de règlement inter-entreprises le plus utilisé, on peut imaginer ce qui a dû se passer sur un secteur très industrialisé alors que, au niveau national, le nombre d’effets de commerce traités par la Société générale passait de 1,6 million en 1869 à 102 millions en 1909. C’est l’époque où les garçons de recette circulaient en uniforme avec une plaque d’encaisseur et une sacoche portefeuille contenant les effets.

4Les machines à griffer les effets ou à confectionner les chèques, les chronotypes ou horodateurs viennent plus tard. Les positions de compte étaient tenues à la main, comme la comptabilité. L’utilisation de la machine à écrire était proscrite. Un employé ayant eu la malencontreuse idée de remplir les mentions d’un chèque à la machine s’est vu sévèrement réprimandé en 1908, ce qui a suscité rédaction d’une instruction générale calligraphiée et polycopiée pour diffusion au réseau. Cette instruction rappelait notamment les risques de fraude avec une machine à écrire ; le problème a été résolu depuis, avec les chèques sécurisés. Enfin, les directeurs conservaient dans leurs coffres-forts les chéquiers préparés pour la clientèle ; ils devaient les pointer tous les soirs.

A. De la fin du xix^e siècle à la première moitié du xx^e siècle

5Les techniques de traitement de flux, les outils évoluent très peu. Les améliorations portent plus sur des questions d’organisation de procédure et surtout de réglementation en matière internationale, sujet sur lequel les équipes de la Société générale de Roubaix ont très tôt acquis une réputation appréciée, tant en interne qu’auprès des clients qui ont bénéficié de la formation de leur personnel

6Parmi les caractéristiques économiques des rayons des agences de Roubaix et de Lille, marqués par une domination du textile et des activités connexes, l’on trouve toutefois déjà dans l’activité de la banque une forte problématique de traitement des flux internationaux, pour accompagner l’importation de coton et de laine, ce qui nécessitait des règlements nombreux et des montants importants par crédit documentaire. Il faut aussi soutenir les cycles de fabrication industrielle (filature, tissage, etc.), utilisant beaucoup de main-d’œuvre, avec des dispositifs sociaux particuliers à la région et des besoins de fonds réguliers pour le paiement des ouvriers.

7Pour traiter toutes ces opérations, les agences de Lille, Roubaix puis de Tourcoing ont dû s’organiser, se structurer, mettre en place des procédures, former des équipes, à même de traiter avec les outils de l’époque, les mains, des opérations nombreuses. De leur côté, les industriels locaux ont très largement recruté les experts de la banque pour traiter leurs opérations de commerce extérieur, grâce à des niveaux de rémunérations significativement plus élevés que ceux pratiqués dans la profession bancaire. Jusqu’au début des années 1960, ce problème a été récurrent pour le recrutement des agents des services étrangers de Roubaix-Tourcoing et Lille.

8Sur tous ces créneaux de banque d’entreprise, les préoccupations des équipes de direction locales ont toujours été de répondre aux exigences fortes de la clientèle locale en termes de délai, de qualité et de coûts, et ces exigences sont souvent soulignées par les rapports d’inspection comme étant supérieures à celles des clients des autres régions. Je suis convaincu que c’est dès cette époque que s’est constituée à Roubaix et dans une moindre mesure à Lille une culture forte et exigeante en matière de traitement de flux, et cette culture a été favorisée et développée ensuite par les directions qui s’y sont succédé. On trouve là, je pense, l’une des raisons du poids historique de la Société générale auprès des entreprises sur le rayon.

B. Une évaluation à la veille de la guerre

9Quand la guerre éclate en août 1939, la situation s’avère tendue à Lille, car 18 % du portefeuille d’effets sont alors impayés, pour un montant de 13,7 millions de francs (soit 1 200 à 1 500 effets à traiter par jour). L’agence décide de conserver la détention de ces effets et met au point des programmes d’apurement avec ses clients. À la fin d’octobre, l’encours d’impayés est ramené à 738 000 francs. Un rapport d’inspection note le 21 octobre que « d’une façon générale, ce travail d’apurement se trouve facilité par le changement survenu dans les états d’esprit des cédants et de leur propre clientèle, tous ayant pu constater que les crédits bancaires étaient maintenus sans restriction ». À Roubaix, à la même époque, le papier de laine (tirages du négoce d’importation sur peignages, filatures et tissages) a été renouvelé à 90 jours.

10En octobre 1939, à Lille, donc pendant « la drôle de guerre », les effectifs du service étranger ont été ramenés de neuf à six personnes, alors même que l’on doit faire face à un fort surcroît de travail lié aux contraintes du contrôle des changes, à la reprise des commandes de coton d’Égypte et d’Inde suite à la levée de l’embargo d’importation (maintenu sur le coton américain), et aussi suite aux commandes qui affluent de Belgique, de Suisse et de Hollande. Les équipes mettent les bouchées doubles, et les filatures peuvent reprendre le travail en commençant par leurs stocks.

11Dans le même temps, l’agence de Roubaix, avec l’appui du siège, dépose auprès de l’Office des changes – puisque le contrôle des changes a été institué à la veille de la guerre – une demande tendant à autoriser le guichet à porter directement son courrier et ses valeurs à destination de l’extérieur pour que les clients disposent des avis d’encaissement dans les conditions de célérité voulue.

12Plus tard, après la guerre, en 1945, à Tourcoing, le sous-directeur chargé de la direction du bureau se plaint de la difficulté à reconstituer ses équipes : « Il n’existe plus un seul chômeur inscrit dans les agglomérations de Lille, Roubaix et Tourcoing, et les hauts salaires payés par l’industrie locale ont provoqué de nombreuses démissions dans notre personnel. » L’année suivante, en 1946, à Roubaix, l’inspecteur en mission souligne que la pression de la concurrence et « la grande exigence d’une clientèle pointilleuse obligent l’agence de Roubaix à posséder un personnel nombreux et bien formé ».

13Si l’on saute les lustres, l’on notera que, en juillet 1960 à Roubaix, une mission d’organisation relève une progression du nombre d’effets escomptés de 32 % par rapport à 1959, tandis que les dossiers export progressent de 42 %. La mission propose une dotation d’une machine à calculer (mécanographique) de type Monroe pour la réalisation des décomptes, car ceux-ci sont encore traités à la main. Sur un effectif global de 61 personnes à Roubaix, on compte alors sept employés et cadres au service étranger et quinze au Portefeuille. L’inspecteur souligne que « plusieurs services intérieurs se classent par le volume des opérations parmi les plus importants du Réseau Province […]. Pour autant, le rendement des services classe depuis longtemps nos guichets dans un rang très honorable par rapport à l’ensemble du Réseau ».

2. Les mutations de la « banque de flux » dans les années 1960-1980

14Mais il ne faut pas se reposer sur ses lauriers ! À Roubaix, en septembre 1966, un rapport d’inspection attire l’attention sur « l’attachement de nombreux agents à des méthodes désuètes et l’insuffisance de la formation pratique du jeune personnel, notamment sur le plan comptable ». Il préconise, au regard de la rapide progression des écritures, l’affectation prochaine d’une machine Post-Tronic et, dans l’immédiat, d’une additionneuse à bande enregistreuse et d’un appareil à photocopier moderne ». En 1974, le système de portefeuille mécanisé sur Post-Tronic est relayé par une mécanisation officielle du Portefeuille grâce à l’utilisation d’une machine à griffer les effets afin de réduire les temps de compostage ; l’ensemble aboutit à une accélération sensible des traitements en trésorerie.

15En 1984, à Roubaix, l’ouverture d’un bureau d’entreprise à La Redoute est saluée ainsi qu’une campagne de recours à la sous-traitance, qui débouche sur une amélioration de la productivité. Un inspecteur souligne que la Société générale a su se distinguer sur la place de Roubaix avec une nette prépondérance sur ses confrères, « car elle a su par le passé prévoir l’évolution du périmètre sans délaisser les entreprises industrielles viables, et s’intéresser à temps au secteur tertiaire ». Il précise aussi : « Il est enfin utile de maintenir localement de bonnes relations avec ces firmes d’envergure nationale, non seulement pour intensifier des retombées positives au niveau du siège […], mais aussi pour continuer à être associé en tant que banquier de confiance et observateur privilégié aux délicates négociations actuellement en cours sur l’évolution des moyens de paiement de la grande distribution et de la vente par correspondance (approche du gie Carte bleue). »

3. La « banque de flux » à Lille-Roubaix-Tourcoing : en quête de positions chiffrées

16Il faudrait évoquer rapidement tous les efforts et investissements techniques réalisés durant les années 1980-1990. Ces efforts sont nécessairement partagés avec nos concurrents et nos clients pour faciliter « l’interbancarité », au nom du traitement de masse automatisé des flux avec une fiabilité, une rapidité toujours améliorées tandis que les coûts sont régulièrement abaissés. L’introduction de l’informatique, de la télématique, de la micro-informatique a révolutionné l’approche des traitements des flux.

17Or, au milieu des années 1990, le périmètre couvert par « Lille Métropole Nord (mne) » regroupe 450 000 emplois, soit 35 % du total de la région. L’ère du textile est loin, puisque 70 % de ces emplois sont dans le secteur tertiaire. Sur ce périmètre, on trouve sur ces places le troisième pôle bancaire et d’assurances en France, la deuxième zone de flux internationaux derrière l’Île-de-France, mais devant Rhône-Alpes ; le cœur historique et décisionnaire de la vpc française, d’une bonne partie de la grande distribution spécialisée ou non, et du secteur textile où quelques belles affaires subsistent. Or Lille mne est présente dans 90 % des entreprises réalisant plus de 200 millions de francs de chiffre d’affaires. En parts de marché, elle pèse dans la centralisation Banque de France pour près de 10 % des dépôts et plus de 9 % des emplois. Son taux de présence est bien marqué dans tous les secteurs d’activité où les décisionnaires sont sur place : 85 % dans la grande distribution et distribution spécialisée (« groupe Mulliez », Castorama, Pimkie, Camaieu, Promod, Paul), vpc (La Redoute, Trois Suisses, Damart, et leurs filiales), textile (Chargeurs, Dmc, Jalla) ; 70 % dans la finance et le crédit à la consommation et à l’équipement des ménages (Banque Accord, Cofidis, Finaref, Cgi) et les services (Compagnie générale de chauffe, Axime) ; 65 % dans le bâtiment et l’agroalimentaire (Rabot Dutilleul, Norpac, Sedaf, Bonduelle, Roquette, Lessaffre) ou les industries diverses (Fives-Cail-Babcock, Française de mécanique, Stora, Sibille Dalle).

18Les flux traités représentent donc un poids relatif important au sein de la Société générale, au moins en nombre d’opérations : 38 % de la monétique commerçants, 11 % des avis de prélèvements émis, plus de 16 % des chèques reçus, 6 % des crédits documentaires (crédocs) export réalisés, 20 % des réalisations de crédocs import, près de 20 % des ordres de change à terme. Et, pour ne pas rentrer dans le détail technique, je ne mentionne pas la multiplication des connections directes d’ordinateur à ordinateur, au service de progiciels mis à disposition des clients, à une époque où internet n’est pas encore actif. La Société générale, à Lille mne, est bien une « banque de flux », qui a évolué pour accompagner sa clientèle.

19Imaginez un instant le nombre de milliers de crayons rouge et bleu qu’il aurait fallu pour traiter toutes ces opérations dont le volume a progressé régulièrement pendant les Trente Glorieuses, puis explosé au cours des années 1980-1990, nécessitant tant dans nos services du siège que localement des investissements lourds. Lille mne dispose, dès le début des années 1990, pour 110 personnes, de 110 micro-ordinateurs, de 72 imprimantes, de quatre telex, de six fax, de six photocopieuses, de quatre lecteurs reproducteurs de microfiches, d’un poste Reuter, d’une post-marqueuse, d’un local informatique avec cinq baies de dix serveurs, et de nombreux sous-traitants avec lesquels nous travaillons de concert au service de nos clients.

20La direction de la Société générale était soucieuse de répondre à l’importance des besoins de sa clientèle de grande distribution et de vpc en matière de monétique, sujet souvent complexe pour des exploitants commerciaux bancaires, et sujet technique traité par des techniciens certes de valeur, mais éloignés du terrain. Dans ce contexte, depuis le début des années 1990, la direction du département Monétique de la Société générale était traditionnellement confiée à un tandem, comportant un technicien et un exploitant. Au regard du poids de plus en plus important de la clientèle de Lille mne dans les opérations monétiques acquéreurs, c’est-à-dire la partie commerçants, le choix de la direction s’est porté sur un exploitant qui connaissait bien le secteur : c’est dans ce cadre, à mon départ de Lille mne, que j’ai été nommé au siège national numéro 2 de ce département.