1Sous la pression des événements, Marguerite de Parme le 23 août s’était résignée à passer avec les seigneurs confédérés un important accord publié le 25 août. Elle tolérait l’existence de prêches à la campagne, là où ils s’étaient tenus auparavant, à condition que les auditeurs ne soient pas armés, et elle pardonnait aux confédérés de s’être ligués. Ceux-ci, en retour, renonçaient à leur compromis, « aussi longtemps que la grâce [...] donnée tiendra », et s’engageaient à l’aider à réprimer les désordres. Dès le 25 août d’ailleurs un placard mettait les « casseurs d’images » hors la loi. Marguerite confiait à Philippe II que jamais dans sa vie elle n’avait eu à prendre une décision aussi pénible que celle du 23 août mais elle y avait été « forcée, nécessitée et violentée [...] pour éviter plus grand mal1 ». Elle tentait ainsi de justifier aux yeux du roi un acte qu’il n’approuverait pas et elle invoquait la contrainte, ce qui lui permettrait de revenir un jour sur l’engagement pris. Des catholiques intransigeants comme Noircarmes, grand bailli de Hainaut, ou Rassenghien, gouverneur de Lille-Douai-Orchies, pensaient effectivement que l’état du pays exigeait cette concession mais qu’il fallait la limiter au maximum et la supprimer dès que possible. Ainsi Rassenghien, dès le 3 septembre, considère que la « nécessité présente » impose de tolérer les assemblées et les prêches mais que ceux-ci « ne peuvent ainsy s’endurer long tamps sans apparente ruine du pays ». Il faut veiller à ce que « le chancre ne s’augmente de jour en jour » sinon « l’ancienne religion » est condamnée2. Son action ou celle de Noircarmes vont être inspirées par cette position fondamentale.

2En revanche, les réformés les plus ardents et de nombreux ministres considèrent que cet accord n’est qu’une étape. Ils veulent obtenir le libre exercice de leur religion et l’attribution de lieux de culte dans les villes ; pour y parvenir, ils souhaitent maintenir une pression constante. Entre ces deux positions extrêmes quelques hommes, dont Egmont à cette date semble une figure représentative, vont tenter d’organiser la coexistence pacifique entre les deux communautés religieuses, sur la base, élargie il est vrai, de l’accord du 25 août. Dans un premier temps, de nombreux réformés se rallient volontiers à cette politique, car ils pensent implicitement que la « nouvelle religion », dynamique et pleine de force, a tout à gagner dans cette concurrence pacifique. Mais les catholiques les plus décidés récusent cette attitude et la combattent, parce qu’ils font justement la même analyse. Marguerite de Parme précise qu’elle ne peut laisser « les sectaires » exercer librement leur culte car non seulement ils seront confirmés « en leurs erreurs » mais « iis corromperont les bons ». Ainsi en peu de temps « la nouvelle religion s’imposera », tandis que l’ancienne « s’éteindra ».

3Après l’explosion estivale, une partie décisive se joue sur le terrain en ces mois d’automne et d’hiver. La gouvernante dresse dans sa correspondance une géographie sommaire des forces et des faiblesses des deux religions dans les Pays-Bas méridionaux3. Les catholiques restent les plus forts en Artois, « qui est encore sain et entier », sauf le pays de Lalleu presque totalement gagné par la Réforme, dans le Hainaut, « qui ne se gaste » autant que d’autres régions mis à part l’énorme exception valenciennoise, à Lille-Douai-Orchies enfin où Rassenghien monte une garde vigilante ; néanmoins le Nord-Ouest du plat pays lillois, vers Armentières, est très « infecté », notamment Comines, Bondues, Tourcoing, etc. A cette recension des zones où le catholicisme reste dominant il faut ajouter Cambrai, terre d’empire placée sous la souveraineté de son archevêque ; mais au Cateau-Cambrésis les réformés parlent en maîtres. Au total, la balance semble néanmoins pencher en faveur des calvinistes. Ceux-ci, en effet, contrôlent non seulement Valenciennes et Tournai, les deux grandes cités de l’Escaut, mais surtout la Flandre où ils l’emportent nettement.

La Flandre, place-forte du calvinisme

4La Flandre et le petit pays de Lalleu qui vit en étroite symbiose avec elle constituent effectivement la région où les problèmes sont les plus aigus. La « nouvelle religion » y est solidement enracinée avec des communautés bien structurées, des consistoires et des ministres actifs, aussi bien dans les villes qu’à la campagne. En 1561, Hesselé et Lespinoy, venus enquêter au West-Quartier sur ordre du Conseil de Flandre, avaient signalé « la grande multitude et nombre infini » de ceux qui étaient « infectez d’hérésie ». Si l’on voulait appliquer les placards, concluaient-ils, il faudrait « user d’une terrible effusion de sang qui causerait [...] l’entière dépopulation et destruction » de ce pays4. Ce n’est pas un hasard si cette zone a été l’épicentre du séisme iconoclaste en août 1566. L’évolution de la situation au début de septembre y revêt donc une grande importance pour cette raison, et aussi parce que le gouverneur de Flandre-Artois se trouve être le seigneur le plus prestigieux des Pays-Bas, Lamoral d’Egmont. Ses choix, ses décisions, son attitude peuvent peser d’un grand poids comme le reconnaît la gouvernante. « Il tient jusques à présent la balance droicte ; s’il met l’éspée sur l’une, elle l’emporte5. »

5Egmont écrit de Bruxelles, le 26 août, au magistrat de Bergues qu’il a pris connaissance « avec grand regret » des troubles survenus en Flandre, mais il espère que « par le recès faict par son Altesse, [il] y sera obvié et remédié ». Il ordonne de le publier, de considérer « comme ennemy du repos publicque » ceux qui créeraient de nouveaux désordres et de les « empescher par force ». Mais il ne se presse guère de revenir dans son gouvernement où la situation reste explosive. Des églises sont occupées par les protestants qui au grand jour y vont écouter leurs prêches ; en maints endroits le culte catholique est interrompu, ou à la rigueur on célèbre « des messes basses [...] à la desrobée ». Les religieux se cachent, ne portent plus la tonsure, sortent « en accoustrements de séculiers ». Un peu partout l’iconoclasme et le « nettoyage » des églises se poursuivent. Ainsi Cornille du Molin et Mathieu Herman seront accusés d’avoir introduit à Zuitberquin le 3 septembre « la prêche [...] où que paravant elle n’avoit esté usités », peu après que ce soit « renovellé et parfaict le briz et ruyne du repositoire6 ».

6Le comte d’Egmont, enfin arrivé en Flandre, va s’efforcer de faire appliquer l’accord du 25 août. A Grandmont, il a ordonné d’exécuter quelques pillards et « briseurs d’images ». Mais au contact de la réalité, il se rend vite compte que pacifier le pays ne sera pas chose facile. « Ils disent des estranges propos en la Basse Flandre, avec estranges termes [...]. Ils n’ont aussy encore posé les armes n’y aussy désistent de faire insolence tant aux esglises que dehors », écrit-il à Marguerite de Parme le 11 septembre. Il constate surtout que pour ramener le calme, il sera « quelque fois constrainct, pour ung mieulx », d’excéder les concessions accordées par la gouvernante, ce qu’il a dû faire la veille à Gand en passant un accord avec les protestants. Il a certes obtenu que les catholiques puissent pratiquer paisiblement leur culte dans les églises et que les protestants puissent se rendre à leurs prêches sans être troublés ; mais il a dû admettre que ceux-ci se déroulent près des murs de la ville, qu’on y construise des « granges » pour les abriter en attendant l’édification d’un véritable temple. Désormais, Egmont et son secrétaire Backerzeele vont essayer de rétablir le calme et de faire vivre en bonne intelligence les deux communautés en négociant des accords de ce type dans les principales villes de Flandre. Ils demandent aux réformés de s’engager par écrit à respecter ces « actes de soumission » en les signant7.

7Ceci ne va pas sans difficultés, car nombre de protestants, ou bien trouvent ces concessions insuffisantes, ou bien tentent de négocier en situation de force par l’occupation maximum du terrain. Il est en effet révélateur de constater qu’une nouvelle flambée iconoclaste intervient en Flandre à partir du 10 septembre précisément.

8Les « sectaires » s’en prennent cette fois à un « quartier » qui avait été relativement épargné en août, la châtellenie de Bergues. Le 10 septembre arrive à Esquelbecq une bande conduite par le ministre Sébastien Matte. « Après le premier prêche dans l’église, une bande renversa l’autel de la Vierge, le tabernacle et d’autres objets du culte qu’on brûla sur la place publique. Après le second prêche, une autre bande se rendit dans les maisons des particuliers et s’empara des statues et autres objets qui furent mis en pièces. » Le lendemain, 11 septembre, Matte et deux cents à trois cents hommes en armes se présentent sous les murs de Bergues. En effet, bien que l’abbaye Saint-Winoc ait été saccagée en août, aucun prêche ne s’était tenu dans cette ville. Le magistrat leur refuse l’entrée de la cité ; Matte et ses compagnons envahissent alors le Nouveau-Cloître et y tiennent un prêche. Le même jour ils sont à Arneke, Warhem, Bambecque, Esquelbecq à nouveau où prédications et gestes iconoclastes se répètent. Le 12 à Wormhoudt, près de deux cents « sectaires » saccagent les autels, détruisent les ornements et les objets du culte, passent de maison en maison détruire les statues ; à Rexpoede, même scène le 15 ; on oblige le curé et le chapelain à écouter le prêche, comme on l’avait fait la veille à Herzeele ou à Bambecque8. Dans la soirée du 10 septembre encore, à Hazebrouck dans la châtellenie de Cassel cette fois, des protestants ont tenté de provoquer une « sédition » en ville. Gadifier Lherbier, Gilles Bateman et leurs amis ont « fait sonner sur le marché deux tambourins et y crier toute la nuict : “Vive les geulx ; tue, tue le Magistrat et la papistrie” ». Le lendemain des groupes vont à Estaires, à Merville commettre « grandes forces et rudesses », saccageant à nouveau en chemin églises, chapelles, cloîtres. Le 17 septembre on les retrouve à Waelschapelle, Stavele, Woestyne. Manifestement, tant dans la châtellenie de Bergues que dans celle de Cassel il s’agit pour les protestants de montrer qu’il y a eu des prêches partout et, progressivement, de contrôler le pays.

Carte gravée de la châtellenie de Bergues (vers 1640).

Vue de l’abbaye de Bergues – Saint Winoc.

9C’est donc dans un climat très tendu qu’Egmont, arrivé à Ypres le 15 septembre, tente de négocier des accords non seulement pour cette ville mais aussi pour d’autres localités de Flandre, puisque les députés des magistrats de Bailleul, d’Armentières, de Bergues notamment accourent vers lui. Egmont, confronté à l’agitation permanente de « gens de basse qualité, fort subjectz à mutiner », se sent bien mal à l’aise. De plus il sait que « les sectaires tiennent [...] quasi toutes les églises de ceste Basse-Flandres, pays de la Leue, et Cassel ». Une grande manifestation populaire est organisée pour faire pression sur lui. De Flandre convergent vers Ypres sept mille à huit mille hommes pour exiger de « démourer en la possession des esglises par eulx occupées », en invoquant le fait qu’ils y ont prêché avant le 25 août et qu’en vertu de l’accord passé avec les confédérés ils ont le droit d’y rester ; de surcroît, « en plusieurs villaiges ilz sont quasi tous de la nouvelle religion ». Seuls les délégués de cette vaste troupe sont autorisés à entrer en ville et sont reçus par le comte. Celui-ci rejette leur demande mais il est fortement impressionné par ce rassemblement.

10L’avenir lui paraît sombre car à leur départ ils ont usé « d’estranges termes », déclarant qu’ils préféraient « respandre la dernière goutte de leur sang » plutôt que de s’incliner. Egmont souhaite que le roi accorde un pardon général qui n’exclurait que les meneurs ; il considère surtout qu’il est impossible d’autoriser les prêches et d’interdire l’exercice du culte réformé, comme l’exige Marguerite de Parme, « car de l’ung dépend l’autre, par quoy il fault passer ledict exercice par connivence9 ». Telle est bien la décision qu’il prend pour Bailleul par exemple.

11Les députés de cette ville étaient repartis avec « ung escript, dict acte de soumission », autorisant la tenue des prêches en un lieu désigné par le magistrat. Mais quatre à cinq jours plus tard un « débat » s’élève entre les échevins et les protestants pour savoir si le mot « prêche » inclut l’exercice du culte réformé. Les députés du magistrat retournent interroger Egmont, alors à Torhout, « a quoy le dict comte leur dict que ouy », à savoir qu’étaient autorisés « mariaiges, baptesmes, sépultures, visitations des malades et aultres actes semblables, moyennant qu’ils les fissent au lieu désigné » ; à Bailleul on se met en quête d’un terrain pour élever un temple10. Même négociation délicate à Bergues où le 23 septembre un « acte de soumission » est proposé à la signature des protestants ; un temple pourra être élevé si cent personnes le réclament par écrit. Mais l’affaire traîne en longueur car le magistrat va récuser bon nombre de signatures comme émanant de mendiants ou d’étrangers. Wormhoudt est également désigné comme lieu autorisé pour les prêches dans la châtellenie de Bergues11.

12A Armentières, ville dont Egmont est directement seigneur, l’accord est difficilement ratifié le 18 septembre ; les réformés pourront édifier un temple près de la ville, « pour être à couvert12 ». Dans la plupart des villages voisins et au pays de Lalleu les églises sont aux mains des « sectaires ». Dans celle d’Estaires, par exemple, commande Gilles de Houcques surnommé « le bailli des gueux ». Malgré l’intervention des seigneurs confédérés il est bien difficile d’obtenir leur restitution aux catholiques. La scène qui se déroule à Laventie est révélatrice de la tension qui règne. Le 20 septembre, à L’Aigle d’or, le seigneur d’Escobecques, le seigneur du Hem, grand bailli d’Haubourdin, le seigneur d’Auchy, grand bailli de Lalleu, le seigneur du Heulle, grand bailli d’Armentières et le seigneur de Valhuon, bailli de Saint-Vaast, confèrent avec les autorités locales et les représentants de la communauté protestante sur les modalités du retour de l’église aux catholiques. Pendant qu’on discute âprement à la taverne, une dizaine de catholiques viennent protester parce que des « sectaires » sont en train de sortir « du bois » de l’église c’est-à-dire des morceaux des stalles, de l’orgue, etc. Ils sont « grandement redargués et reboutez » par du Hem qui leur rétorque que « les badins avoient faict beaucoup plus d’oultraige aux gheulx que les gheulx aux catholicques » ; Escobecques se contente de sourire. L’édifice, bien dévasté, est finalement rendu au culte catholique vers le 23 ou 24 septembre.

13Mais dans le village l’atmosphère reste pesante. Ceux qui se rendent à la messe se font injurier. « Tais-toy papelotte, tu n’entreras plus en ce lieu infernal », s’entend dire Catherine Questier. A plusieurs reprises des pierres sont jetées dans les « verrières ». Le fils Baiart, rattrapé à la course par le curé précipitamment sorti de l’église, est accusé d’avoir commis un de ces gestes ; il réplique : « Tu as menty, par le cul ribault ta mère. » Petits faits qui témoignent de l’effervescence et de la nervosité qui règnent, en ce pays de Lalleu. D’après Rassenghien dix mille à douze mille « sectaires » s’y étaient rassemblés vers Richebourg, au seul bruit de la venue de la gendarmerie à Béthune. Ils avaient ouvert des tranchées dans les chemins, abattu des arbres en travers de ceux-ci. Mettant en application les accords passés, ils élevèrent leur temple à La Gorgue13.

14Bientôt les calvinistes commencent dans toute la Flandre une vaste collecte pour trouver trois millions de florins afin d’acheter à Philippe II la liberté de conscience et de culte. Un peu partout les ministres sollicitent leurs frères et fixent la quote-part des différentes communautés. Ainsi à Bailleul, à l’appel de Jacques de Buyzère, certains comme Pierre Stoop recueillent les offrandes à la sortie du « temple », d’autres comme Ghislain Priem vont de porte en porte solliciter la contribution de chacun. Ce dernier cependant ne persistera pas longtemps car Jan Lottin, premier échevin, l’a mis en garde : « Weet ghy wel wat ghy meet ? » (Savez-vous bien ce que vous faites ?) En effet non seulement toute levée de deniers sans permission royale était formellement proscrite mais il était manifeste pour les plus clairvoyants que l’argent obtenu pouvait avoir une tout autre destination, et servir à acheter des armes et à payer des soldats14.

15Ainsi au début de l’automne 1566 s’est ébauchée en Flandre une fragile tentative de coexistence pacifique entre les deux communautés religieuses. Mais d’une part les concessions faites apparaissent de plus en plus insuffisantes aux protestants, conscients de leur force : Gilles Le Clercq, le 1^er octobre, conseille aux Valenciennois de ne pas se presser de signer quoi que ce soit, car « ceulx d’Ypres et de Gand s’en sont mal trouvez [...]. Lesdicts d’Ypres taschent de révoquer leur signature ou pour le moins avoir meilleure interprétation des articles par eulx soubsignés15. » D’autre part il est aussi manifeste que les conditions accordées par Egmont excèdent les intentions de la gouvernante. Jamais elle n’accepterait de « planter à égalité » les deux religions, d’accorder que le libre exercice du culte réformé accompagne les prêches, d’autoriser ceux-ci dans les villes ou dans leurs faubourgs. Quant au roi, il ne songeait qu’à tirer vengeance de l’affront reçu et à éradiquer l’hérésie.

Un îlot de résistance catholique : Lille — Douai — Orchies

16Marguerite de Parme avait davantage lieu d’être satisfaite de l’évolution de la situation dans la région de Lille-Douai-Orchies où le calvinisme était moins bien implanté il est vrai, sauf dans une partie de la châtellenie de Lille. Elle pouvait surtout compter sur le dévouement et la fidélité du gouverneur, le baron de Rassenghien.

17Sa lucidité, sa promptitude à décider et à agir, son énergie en font un adversaire redoutable pour les protestants. Il veille à maintenir Lille et Douai parmi les « bonnes villes » (celles où il n’y a pas de prêche) et à assurer leur sécurité. Mais il est surtout préoccupé par la situation dans le plat pays, au contact de la Flandre et du Tournaisis. Au début de septembre, il note avec soulagement que « les sacaigements ont commenché à cesser en ce quartier » et que même, au sud de Lille, à Gondecourt et à Wavrin, les habitants se sont opposés aux « grassateurs ». Il désire châtier rapidement les « saccageurs » qu’il a arrêtés, mais les seigneurs « confédérés » s’y opposent en lui objectant que personne ne doit « estre recerché pour chose advenue avant la publication du placcart » sauf en cas de « larrecin ou acte énorme ». Les intentions de Rassenghien sont claires : dans son gouvernement, et à Lille en particulier, il se refuse à tout compromis du type de celui accordé par le comte de Hornes par exemple. « Je ne scauroye saufer ma conscience et le debvoir de ma charge, entrer en quelque piet samblable à celluy de Tournay ou aultres nos voysins... » Et s’il est présent à Ypres le 16 septembre lorsque le comte d’Egmont négocie un accord pour « sa ville d’Armentières, qui est soubz les limites de mon gouvernement », il conclut, désabusé mais lucide : « Puis qu’il fault tolérer le désordre, qu’il se fâche tant là qu’ez aultres lieux de mon gourvernement. » Pour sa part il s’efforce de « retrencher leur usurpation et les réduire à quelques certains lieux limitez ». Telle est désormais sa ligne de conduite : « Faire quycter aulx sectaires l’usurpation des esglises, monastères et aultres lieux sacrez et pieux [...] et remectre tout le peuple tumultueux en quelque meilleure tranquillité. » Au début d’octobre il constate avec satisfaction que « la messe et aultre sainct service divin s’y célèbre comme du passé » et il développe une intéressante interprétation restrictive de l’accord du 25 août.

18Comme il lui semble trop dangereux de tolérer les prêches dans tous les villages de la châtellenie où ils s’étaient tenus avant cette date, et qui en l’occurrence sont au nombre de vingt-six au moins, dont certains sont proches de la ville, il est décidé à ne les accepter « qu’ès lieux où paravant ledit accord » ils s’étaient faits « par le consentement et adveu de la plus grande partye des manans, sans aulcun contredict ». Le chiffre en sera évidemment très réduit. Globalement, ses intentions ne font aucun doute : si pour l’instant on ne peut déraciner ce « chancre », qu’au moins on l’empêche de « s’espandre plus avant », en attendant d’avoir « meilleur moyen de les ranger à la raison, avecqs moindre schandale et dangier ». Saisi par quelques marchands lillois d’une requête pour pouvoir ériger un temple à Lille, il souhaite qu’on la lui « baille par escript », avec noms et signatures des impétrans, afin de connaître « les plus pernicieux »... Quant à l’échevinage, il publie le 15 octobre une ordonnance défendant aux Lillois de se marier et de faire baptiser leurs enfants selon la manière calviniste lors des assemblées qui se tiennent dans la campagne environnante.

19Cependant Rassenghien est pessimiste pour l’avenir. « Le peuple infecté de la nouvelle religion » lui paraît « si altéré aulx presches et obstinez » qu’il semble quasi impossible « de les en povoir divertir sans user de force ». Ils refusent de se dessaisir de leurs armes et ils ont passé entre eux un accord pour s’entraider en cas de menace, tel qu’« en peu d’heure ilz se peuvent estre adverty de che que se passe, et assambler en grand nombre ». Or le péril pour Lille non seulement peut venir du pays de Lalleu et de Flandre mais aussi de Tournai et du Tournaisis à l’est16.

Valenciennes et Tournai, les nouvelles « Genève »

20Parmi les bastions du calvinisme, Valenciennes et Tournai, les deux grandes cités de l’Escaut, tiennent une place de choix. Dès le 19 août Marguerite de Parme écrivait à Philippe II que, dans la première, les protestants étaient « les maistres, comme estans les plus forts ». Dans la seconde, « les quattre partz de cincq de tout le peuple sont de la nouvelle religion », d’après le comte de Hornes. Des deux côtés, l’iconoclasme a été d’une rare violence. A Valenciennes les calvinistes tiennent régulièrement leurs prêches, pratiquent leur culte dans trois églises « nettoyées de leurs idoles », au Béguinage, à Saint-Géry, à Saint-Jean. Des ministres dynamiques et talentueux, Ambroise Wille à Tournai, Guy de Bray et le Français Pérégrin de la Grange à Valenciennes, tentent d’organiser la vie de la cité sur le modèle théocratique. « Ils prétendent se faire dieux et seigneurs à Valenciennes comme Calvin l’a fait en Genève », dira Noircarmes des deux derniers. Le consistoire, qui comprend des notables, tient désormais une place prépondérante dans les deux cités. « Rien ne se faisoit au Conseil de ville sans leur accord » ; l’étude du registre des délibérations du magistrat confirme ce jugement porté pour Valenciennes. Noircarmes prend d’ailleurs acte de ce fait puisqu’il demande fréquemment aux représentants du consistoire d’accompagner les délégués du magistrat lorsqu’il négocie avec ceux-ci. De même l’aide aux pauvres est autant, sinon plus, dans les mains des diacres calvinistes que dans celles des responsables de l’aumône publique. Enfin les deux villes ont des relations étroites et privilégiées entre elles.

21Néanmoins le milieu, l’environnement, les personnalités en présence expliquent que la situation y évolue différemment. Tournai, ville épiscopale que son évêque a quittée pour se réfugier à Lille, bénéficie très vite des « bons offices » du comte de Hornes qui s’est proposé pour cette mission et qui est accueilli à Tournai le 30 août au cri de : « Vive le roy, et les gueulx. » Avec l’aide de seigneurs confédérés acquis à la cause de la Réforme (Esquerdes, Villers), il conclut avec les calvinistes un accord publié le 3 septembre dans lequel il autorise la liberté de religion. Mais la gouvernante refuse catégoriquement de tolérer les prêches en ville.

22Cependant la position des calvinistes à Tournai est moins forte qu’il n’y paraît en raison notamment de deux facteurs importants. D’une part, à quelques lieux de Tournai, la riche et puissante ville de Lille, comme nous l’avons vu, est fermement tenue par le baron de Rassenghien. Avec ses soldats il monte une garde vigilante pour entraver l’action des réformés tournaisiens dans la châtellenie. D’autre part, au château même de Tournai, Jean de Moulbaix, qui remplace le gouverneur en mission en Espagne, le fameux Montigny, et sa garnison sont également loyalistes envers la duchesse. Celle-ci encourage Moulbaix à ne pas se laisser impressionner par le comte de Homes. Le château et la ville s’épient, tentent d’organiser une coexistence difficile émaillée de multiples incidents. Cette proche présence de troupes fidèles pèse d’un poids très lourd sur le destin de la « nouvelle religion » dans la cité comme le reconnaît Gilles Le Clercq, secrétaire du consistoire et de Louis de Nassau. Le 1^er octobre 1566 il encourage ses frères valenciennois à se montrer hardis dans leurs revendications ; ils peuvent exiger de bien meilleures conditions que celles obtenues en Flandre ou à Tournai même, car ils ont la chance de « n’estre si fort asservies, comme elles sont, par forteresses et chasteaux17 ».

23Les protestants de Valenciennes jouissent en effet de cet incontestable avantage parce que le magistrat, avant même le déclenchement de l’iconoclasme, a obstinément refusé d’accueillir toute garnison, confiant la garde de la ville à trois cents hommes de la milice bourgeoise18. Au début de septembre les « sectaires » ont même chassé temporairement le prévôt-lecomte, représentant le roi, le menaçant, s’il restait, de jouer « de sa teste à la pelotte ». Mais si les calvinistes sont maîtres en la ville, ils doivent compter avec le nouveau grand bailli de Hainaut, Philippe de Sainte-Aldegonde, seigneur de Noircarmes, commandeur de l’ordre d’Alcantara. Celui-ci, catholique intransigeant, totalement dévoué au roi et à Marguerite de Parme, est fermement décidé lui aussi à rétablir l’ordre dès que possible. Pendant les événements d’août il avait solidement contrôlé Mons, et la gouvernante redoutant l’émeute à Bruxelles, était sur le point de l’y rejoindre pour se mettre sous sa protection. Noircarmes se tient également prêt à aider l’archevêque de Cambrai aux prises avec les protestants du Cateau si celui-ci venait à être inquiété dans sa cité même.

24Entre ce rude gouverneur et les protestants « maximalistes » de Valenciennes s’engage un dialogue de sourds, une apparence de négociation où chaque partie se méfie de l’autre. Les réformés qui tiennent leurs prêches dans trois églises ne sont guère pressés de les rendre, encore moins d’accepter l’entrée de soldats en ville comme le demande Noircarmes. Celui-ci de son côté n’envisage qu’une application stricte de l’accord du 25 août et refuse de s’engager dans la voie suivie par Hornes ou Egmont ; pour lui les lieux de culte doivent être rendus aux catholiques et les prêches ne peuvent être autorisés qu’à l’extérieur de la ville, le dimanche seulement. Après le placard du 4 octobre qui ordonne le départ des ministres « non natifs » du pays, il exige de surcroît que Pérégrin de la Grange s’en aille. Noircarmes refuse catégoriquement de venir en personne négocier à Valenciennes, car il est persuadé qu’on veut le prendre en otage : députés du magistrat et du consistoire doivent aller le rencontrer là où il se trouve, notamment à la citadelle de Cambrai. Comme par ailleurs le comte de Hornes conseillait secrètement aux Valenciennois de se méfier de Noircarmes et que Gilles Le Clercq les encourageait à ne pas se hâter de signer un « appointement », même pour obtenir un temple, « car, il semble à plusieurs que ne les debvons parachever, espérans chose meilleure19 », on voit qu’il était difficile d’aboutir à un accord en cette ville.

Vers l’épreuve de force

25Cette dernière phrase prend toute son importance sous la plume du secrétaire des confédérés et du consistoire de Tournai. Elle révèle ouvertement qu’au 1^er octobre 1566, non seulement l’accord du 25 août mais même les concessions supplémentaires arrachées en Flandre ou ailleurs ne satisfont plus les dirigeants du mouvement des « gueux ». Cette attitude n’a d’ailleurs rien de surprenant. La révolte d’août, l’iconoclasme ont été provoqués en partie par la volonté d’obtenir le droit de cité pour la « nouvelle religion ». Or la politique de la gouvernante et de ceux qui la secondent n’est-elle pas de maintenir les prêches aux champs en attendant de pouvoir les interdire ?

26De plus les informations venues d’Espagne ne pouvaient qu’accroître les inquiétudes. Le bruit courait que Philippe II « estoit délibéré à venir en bref, avec force et armes, pour chastier les rebelles de par deçà ». Le roi avait déclaré qu’il ne pouvait accepter le moindre risque de « tomber en liberté de religion [...], chose directement contre ma conscience et authorité, nullement tollérables », et il avait fait annoncer son départ imminent pour les Pays-Bas. Si Ton en croit la gouvernante, Egmont, Hornes, Orange, Hoochstraten, Louis de Nassau, avaient longuement discuté de ce problème lors de l’entrevue de Termonde le 3 octobre. Quelques jours auparavant ils avaient reçu des nouvelles d’Espagne selon lesquelles « Votre Majesté se ressentoit merveilleusement de ces dégastz, saccaigemens et spoliations d’esglises, cloistres et monastères et que elle s’en vouloit venger et prendre chastoy ». Ils se sont montrés très préoccupés « du bruyt que courrait par Espaigne et en la cour [...] que eulx, prince d’Oranges, contes d’Egmond et Hornes sambloient conniver à toutes ces nouvelletez et altérations ». Orange est même convaincu qu’on veut le faire assassiner, et il fait valoir à d’Assonville que si l’explosion protestante n’a pas tourné au massacre des prêtres et des religieux, les conseils de modération qu’il a prodigués aux « sectaires » n’y sont pas étrangers. La duchesse attire l’attention du roi sur le fait qu’ils sont bien informés et dépensent beaucoup d’argent pour cela (« il leur couste beaucoup pour y parvenir »). Elle souhaite néanmoins que Philippe II leur déclare par écrit « que à tort ilz se mectent en ceste paine et angoisse d’esprit », car elle craint notamment que leur manière de servir ne s’en ressente20.

27Si, à cette date, ces grands seigneurs s’interrogent avec inquiétude sur l’avenir, et sur leur destin en particulier, on comprend que de nombreux calvinistes fassent de même. Insatisfaits des concessions obtenues, ayant l’impression d’avoir été bernés, ils ont de plus tout à redouter, en particulier ceux qui à la base ont participé aux « saccages et bris d’images ». Le « désespoir », c’est-à-dire le sentiment qu’ils n’ont plus rien à perdre et tout à craindre, la conscience de leur force présente dans le pays et leur foi vont conduire les plus déterminés et les « activistes » à reprendre l’offensive et à tenter d’arracher « chose meilleure » selon l’expression de Le Clercq. D’où les trafics d’armes signalés un peu partout, d’où les rumeurs d’un éventuel soulèvement souligné par W. Brulez21. Les documents saisis à Valenciennes montrent que le messager chargé d’apporter aux ministres la lettre circulaire du 29 septembre les convoquant à un synode devait « dire, de bouche, que l’assemblée se faict à Gand et que devant peu de jours, l’on prendra les armes22 ». Le synode de Gand du 1^er octobre ne semble pas avoir donné le signal de la révolte, mais il a sans doute transmis la consigne d’être vigilant, de s’armer et de se tenir prêt. L’exaspération des calvinistes, leur volonté d’obtenir le « droit de cité » se traduisent par une grande agitation en Flandre et par des actions violentes dont le siège de Furnes est la plus éclatante.

28Le magistrat de cette ville avait osé arrêter des iconoclastes et venait d’exécuter un chef de bande, Renaut Ringot ; parmi les prisonniers dont on instruisait le procès se trouvait notamment Jean Bonvoisin, parent de Gilles du Mont, ministre de Poperinghe. Le magistrat refusant de les libérer, le 7 octobre, à l’appel de Gilles du Mont et de Sébastien Matte, près de deux mille hommes des châtellenies de Cassel et de Bergues, ainsi que des contingents du pays de Lalleu se rassemblent à Rousbrugghe. Le lendemain à quatre heures du matin ils donnent l’assaut à la ville de Furnes qui soutient un véritable siège et fait donner l’artillerie. Les assaillants doivent se retirer. Un peu partout en Flandre à la même date on discute, on s’agite, on exige de revoir les accords de septembre que l’on tient pour dépassés. Le comte d’Egmont est découragé et excédé par ces comportements, si l’on en croit la gouvernante. « Me dict que c’estoit une chose merveilleuse de ces sectaires, lesquelz [...] ne déposoient pas tant les armes, ains sambloient du tout gens furieulx et hors d’eulx mesmes, oubliant toute chose, ne samblans que aspirer au sang et sac des gens d’église et catholicques [...]. C’estoit une grande pitié de veoir ceste paouvre Flandres23. »

29A l’autre extrémité des Pays-Bas méridionaux, dans le territoire soumis à l’archevêque de Cambrai, les calvinistes passent aussi à l’action. Le 12 octobre ils prennent le contrôle et la direction du Cateau-Cambrésis. La publication d’un mandement de l’archevêque « qui détrimentoit ceulx de la religion », puisque effectivement il ordonnait aux prédicants de se retirer et interdisait les assemblées, met le feu aux poudres. La proclamation est interrompue par des appels à la révolte : les uns crient : « Aux armes » ; les autres : « Aux prestres. » Châtelain, échevins, secrétaire du prélat s’enfuient tous « dechà et delà, mucher ». Une nouvelle vague iconoclaste déferle. « Le petit poeuple » se rue sur l’abbaye Saint-André ; « ils chassèrent les moynes et les prebstres hors de la ville, sy rompirent derecef les aultels et tous ce que les dits moynes avoient restablis ». Même scène à l’église Notre-Dame où ils « consumèrent tout par feu en pleine halle sur la chaulchie ». La ville révoltée se met en garde contre une possible attaque des hommes de l’archevêque. Les protestants négocient avec le châtelain, avec les échevins, et aboutissent à un accord le 17 octobre. « Chacun vivra en l’exercice de sa religion, librement et paisiblement, hantant et fréquentant les esglises et temples à son bon plaisir. » Le prélat condamne évidemment cet accord et la cité s’enfonce dans la rébellion. Un consistoire de dix membres exerce le pouvoir réel et un conseil de seize personnes est désigné pour rendre la justice à la place du châtelain et de la plupart des échevins qui ont quitté les lieux24.

30Tensions et oppositions vont en grande partie se cristalliser autour du problème valenciennois où les thèses en présence s’affrontent clairement. D’un côté une ville où les cinq sixièmes de la population sont acquis à la Réforme, où le pouvoir réel appartient non pas au magistrat mais aux ministres, au consistoire, à la rue, où des prêches quotidiens tiennent le peuple en haleine. Pourquoi rendraient-ils les églises qu’ils occupent, alors que celles qui restent sont en nombre suffisant pour la minorité catholique ? En face, Noircarmes et ses soldats qui, en accord avec la gouvernante, exigent l’application stricte de l’accord du 25 août et l’entrée en ville d’une garnison. De part et d’autre on tergiverse, on ruse. Le 12 octobre 1566, les réformés valenciennois demandent qu’en attendant la construction d’un temple à l’extérieur on leur accorde la jouissance des « deux temples qu’ilz occupent présentement », seuls susceptibles d’abriter partiellement la foule de leurs fidèles et qu’on les autorise à conserver leur ministre français, Pérégrin de la Grange.

31Le 15 octobre, Marguerite de Parme leur oppose un refus formel : « Quant aux esglises dedens la ville ou dehors, je ne leur en accorderay nulles, ny heure, ny jour, ny aussy de prescher en la ville. » Les députés du magistrat auprès de Noircarmes déplorent le « maximalisme » des représentants du consistoire et souhaitent que les propositions du grand bailli de Hainaut soient acceptées. « Il seroit expédient de par vous le faire bien entendre à pluisieurs bons marchans affin de y faire rengier le populaire », écrivent-ils à leurs mandants. « Aultrement, n’y prévoyons que la désolation de la ville. » L’anxiété grandit ; on apprend par le prévôt que « Noircarmes avait charge de déclarer ceulx de laditte ville pour rebelles à Sa Majesté ». On continue à discuter ; le gouverneur fixe au 29 octobre le dernier délai pour accepter ses propositions. L’accord est finalement conclu le 31, après d’âpres controverses et grâce à l’entremise des seigneurs confédérés Lumbres et Audregnies.

32En fait il va rester lettre morte. Les dirigeants calvinistes ne veulent pas l’appliquer et Noircarmes est absorbé par des préparatifs militaires qui en disent long sur ses intentions réelles ! Un nouveau pas est franchi dans l’escalade lorsque les ministres annoncent le 17 novembre que la Cène sera célébrée à Saint-Géry le dimanche suivant. La gouvernante l’interdit formellement. Noircarmes accepte enfin de venir le 20 novembre pour discuter du choix d’un terrain à l’extérieur de la ville afin d’y édifier un temple. Le rendez-vous est manqué car les députés des protestants ne sont pas devant les portes de la ville et Noircarmes refuse d’entrer à l’intérieur. Il est vrai que ni les uns ni les autres ne souhaitent vraiment se rencontrer. On peut d’ailleurs se demander si le gouverneur en faisant le tour de la cité n’inspectait pas plutôt l’état des fortifications qu’il ne songeait à choisir un emplacement pour un temple ! Ses sentiments ne font d’ailleurs aucun doute puisqu’il écrit le même jour à la duchesse : « Madame, il n’est plus temps de dissimuler et y faut aller à bonnes enseignes [...]. L’on feroit plus maintenant avec peu de gens que d’issy à deux mois de dix fois le double. » Sur ordre formel de celle-ci, le magistrat, « à peine d’estre tenuz pour désobéissantz et rebelles », parvient à faire surseoir à la Cène prévue, ce qui provoque un début d’émeute. Noircarmes est plus que jamais partisan d’une solution militaire et tente de convaincre Marguerite et le roi. « Sy ceste place là estoit asseurée, tout le pays de Haynau seroit en repos. » A ses yeux la situation de Valenciennes près de la frontière exige qu’on s’en assure si on ne veut pas courir le risque de voir les huguenots français y accourir. Enfin « une telle désobéissance (et j’ose dire rébellion) » réclame « quelque démonstration car certes, Madame, ilz n’ont poinct d’aultre Dieu et roy que leurs ministres ». La gouvernante l’autorise à disposer ses troupes « aux principales advenues » qui conduisent vers la ville, notamment à Bouchain, Le Quesnoy et Saint-Amand. Elle tente de convaincre Philippe II en lui montrant l’enjeu et la portée de l’entreprise. « L’affaire de Valenciennes [...] est de grande et merveilleuse conséquence ; car du succès d’icelluy dépend le surplus de tous les affaires pour aultant que si ladicte ville est rengée à la raison et obéissance deue, le mesme je pourray faire tout à l’heure à Tournay par le moyen du chasteau et conséquamment, je m’asseure de tout le surplus des Flandres [...]. Mais, s’ils parviennent à leurs emprinses, ne fault doubter que toutes les aultres vouldroient faire le mesme et possible pis25. » L’épreuve de force va s’engager.