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L’exemplification dans les dissertations

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Isabelle Delcambre

Chapitre premier. Le genre dissertatoire

Texte intégral

  • 1 « La dissertation » Pratiques no 68, 1990, Metz, Cresef.

1Les relations entre argumentation et dissertation sont multiformes et controversées. Le débat portant sur le fait de savoir si la dissertation est une forme d’argumentation ou non peut s’observer facilement à la lecture d’écrits didactiques comme ceux qui constituent le numéro, déjà un peu ancien, que la revue Pratiques a consacré à la dissertation1. D’un article à l’autre, les positions diffèrent assez sensiblement. G. Vigner (1990, 37) annonce que « la dimension argumentative du genre dissertatif » n’est pas sans rapport avec la persuasion et que « le texte d’argumentation va se caractériser par la transformation qu’il cherche à opérer sur le jugement du lecteur » (ibid., 38). On peut ici remarquer une référence à l’argumentation en tant qu’elle « vise l’action » (« transformer le jugement du lecteur »), en tant qu’elle cherche à persuader plus qu’à convaincre, pour reprendre la distinction de Perelman et Olbrechts-Tyteca (1958, 34). Or ces deux conduites, d’après eux, s’opposent en ce qu’elles ne se donnent pas le même auditoire ni le même but. On parlera de convaincre, disent-ils, « si on vise le caractère rationnel de l’adhésion » ; l’auditoire que l’on se donne est alors « l’être de raison », l’auditoire universel, et non un auditoire particulier.

  • 2 Voir l’usage didactique qui peut être fait de cette distinction, ici même chap.v, p. 126.

2Dans la même livraison, je soutiens moi-même qu’il y a un double intérêt à distinguer dissertation et argumentation (Delcambre, 1990, 71) : d’une part, la dimension énonciative n’est pas de même nature, d’autre part, l’usage de ces termes dans l’institution scolaire désigne des objets textuels différents, qui n’apparaissent pas aux mêmes niveaux d’études, de sorte qu’il serait dommage de priver les jeunes élèves d’un travail sur l’argumentation au nom d’une confusion entre texte argumentatif et dissertation. La distinction énonciative opérée entre les deux textes souligne des différences de centration : le texte d’argumentation serait centré sur le destinataire, alors que la dissertation serait davantage centrée sur l’émetteur, l’opération dominante étant moins la persuasion/conviction que la justification (« montrer comme on raisonne bien », « donner de soi-même une image d’auditoire universel »)2. Ce qui exclut que le destinataire d’une dissertation soit la « personne même du correcteur ».

3Le troisième article à aborder incidemment cette question est celui de M. Charolles (1990, 9) qui s’appuie sur les définitions des Instructions Officielles (comme le fait également G. Vigner) pour établir « le caractère argumentatif de la dissertation ». Mais il s’attache ensuite à montrer que « la particularité de la dissertation scolaire en tant qu’argumentation » tient à son « caractère spéculatif », au fait « qu’elle n’est pas tournée vers l’action », « qu’elle ne vise pas, au moins directement, à influer sur une décision », que les problèmes sur lesquels elle porte sont « des controverses d’idées » (ib., 10). Enfin, pour M. Charolles, l’absence de destinataire, qui est à l’origine de la fâcheuse réputation d’artificialité de la dissertation, n’en est pas un trait spécifique. Outre qu’elle caractérise les autres types de dissertation (d’histoire, de philosophie, voire de sciences économiques qui ne sont pas ainsi accusées), elle est également le fait d’écritures non scolaires comme certaines écritures de presse. La dissertation serait argumentative, donc, mais dans un sens particulier, qui tient au type de controverse qui y est développée.

4M. Charolles vise dans cet article essentiellement la dissertation littéraire, mais ces propos très généraux s’appliquent également aux discussions qui seront principalement travaillées ici. Selon M. Charolles ce qui distingue ces deux genres de dissertation est essentiellement la nature littéraire ou non des problèmes posés, et donc le fait que l’élève peut ou non mobiliser des savoirs spécifiques qui l’aideront à traiter les questions posées. Au contraire, l’absence de contenu précis soumet selon lui le traitement de la discussion à la mobilisation de poncifs et de lieux communs.

5On le voit, les choses ne sont pas simples. Que l’on se réfère à la nature du contenu, aux dimensions énonciatives ou illocutoires, voire au statut institutionnel, les relations entre argumentation et dissertation ne sont pas très claires.

6Il faut probablement pour essayer de résoudre ce nœud de questions, se donner une autre définition de la démarche argumentative. J’utiliserai celle de R. Blanché (1973) qui propose de distinguer argumentation et délibération. La distinction est d’autant plus intéressante que la nature délibérative de la dissertation sera un des points d’analyse traités plus loin. L’argumentation, dit-il, est une « démarche intellectuelle [...] essentiellement régressive » qui consiste à étayer ou réfuter une thèse déjà élaborée (ibid., 228). « L’argumentation au sens strict est l’art de justifier une opinion ». La délibération, au contraire, est une démarche progressive où « la recherche ne porte pas sur les prémisses mais sur la conclusion ». Ainsi, l’argumentation se caractériserait par le fait que « la thèse est première », que « c’est elle qui appelle les arguments », au contraire de la délibération qui ne saurait d’avance quelle thèse soutenir, qui ne saurait vers quelle conclusion aller.

7La distinction ici opérée est de tout autre nature que celles qui étaient évoquées plus haut : elle s’appuie sur ce qu’on pourrait appeler des formes de raisonnement.

8La dissertation se trouve-t-elle du côté de l’argumentation, définie comme une activité de démonstration d’une conclusion déjà élaborée, qu’il s’agirait d’étayer (dans un mouvement de planification piloté par le but, par la conclusion) ou du côté d’une délibération présentant des arguments (prémisses) dont il s’agirait de déduire la conclusion ?

  • 3 Les récentes instructions définissant les nouvelles modalités de l’épreuve anticipée de français au (...)

9A lire les énoncés de sujet de dissertation ou de discussion, on pourrait croire plutôt à la première hypothèse. Analysant des sujets du baccalauréat 1986 de type III, Charolles (1990) montre que quatorze sujets sur vingt « invitent sans ambiguïté les candidats à exposer et à défendre une opinion (par exemple « Vous direz ce que vous pensez de.. »). De même, les Instructions Officielles de 1983 précisent qu’il s’agit pour le candidat de « présenter en le justifiant son sentiment personnel »3.

10Mais B. Delforce (1991), qui a beaucoup inspiré les travaux qui suivent en ce qui concerne la définition et la mise en œuvre didactique de la dissertation (correspondant aux anciens sujets dits « de type I » au baccalauréat), montre que cette exigence institutionnelle ne doit pas être comprise naïvement, qu’elle doit être travaillée, notamment pour éviter que les apprenants ne confondent dissertation et sondage d’opinions. Ecrire une dissertation, ce n’est pas, malgré ce que croient bien des apprenants, exprimer un avis personnel, déjà constitué, dont la morale serait dominée par la sincérité, la volonté de franchise mais des textes dont la dynamique est précisément de se faire une opinion, des textes dominés par l’interrogation, le doute et la recherche d’une réponse non encore trouvée. En un mot, la dissertation est moins soumise au « Moi, je pense que.. » qu’à une formule comme « Que peut-on en penser ? ». Il montre que cette caractéristique (trompeuse) de la dissertation risque de la transformer en une réponse argumentée à une question alors qu’elle doit tendre vers un examen rationnel menant à une prise de décision potentielle ou à la formulation d’un avis. Cette critique de Delforce mène donc à considérer la dissertation comme une activité délibérative au sens de Blanché plutôt que comme une démarche argumentative d’étayage d’une thèse-conclusion déjà constituée.

11Cependant, deux précautions me semblent nécessaires à prendre.

12D’abord, il est prudent de considérer qu’entre le produit textuel achevé et les processus qui en régissent la production, il se trouve peut-être quelques différences. Si l’opposition faite par Blanché entre argumentation et délibération concerne bien les formes de raisonnement, elle ne dit rien des mises en texte que peuvent prendre ces raisonnements. Et Blanché lui-même signale ce fait en précisant que l’ordre textuel, la dispositio, inverse le plus souvent l’ordre des opérations, de l’inventio. Ainsi, que le scripteur ait déjà son opinion toute faite sur la question qu’on lui propose ou qu’il ne l’ait pas, le discours dissertatif devra opérer de toute façon une mise en scène d’un raisonnement visant à montrer comment se constitue une opinion. Ce que Delforce nomme « une inspection rationnelle ». « La dissertation est l’expression d’une opinion mais qui se présente comme adoptée à l’issue d’un examen préalable ». (Delforce 1991, 383, je souligne). En ce sens, la dissertation prendra en texte la forme d’un raisonnement délibératif au sens de Blanché ; même si l’opinion du rédacteur est déjà faite, même si, étant déjà constituée, elle est cependant passée sous silence pour des raisons d’autocensure, même si le caractère heuristique de l’écriture produit une modification de l’opinion en cours de route.

13La deuxième précaution tient à la distinction qu’il faut vraisemblablement faire entre texte et discours. Reprenant l’opposition pragmatique entre phrase et énoncé, on peut distinguer texte et discours, considérer le texte comme un objet « abstrait, purement théorique [...] pris hors de toute situation de discours » et le discours comme « ce que produit un locuteur, ce qu’entend un auditeur », comme une réalisation particulière d’un texte (Ducrot et al. 1980, 7 sq.).

14Pour Brassart (1987, 1990 b) le terme discours renvoie à la caractérisation de macro-actes langagiers, permettant de décrire le potentiel illocutoire d’un texte ou la signification contextuelle qu’il prend dans telle ou telle situation de communication. Le texte apparaît alors comme « un objet abstrait construit par l’analyse (scientifique), comme structure abstraite du discours » (Brassart 1987, 85).

15Cette distinction texte/discours permet en tout cas de régler d’une certaine manière le débat concernant la dissertation. Si l’on considère que ce qui distingue la dissertation d’une argumentation est l’image qu’elle donne, au moins en surface de texte, d’une démarche progressive de construction d’une opinion, on peut dire qu’en tant que discours, la dissertation est délibérative. La macro-organisation délibérative qui consiste à mettre en scène dans la dissertation une stratégie complexe de réponse à une question renvoie à la distinction que fait Meyer (1982, 122) entre argumentation comme « faire faire direct » et argumentation comme « faire faire indirect ». Dans le premier cas, « il s’agit d’amener quelqu’un à se prononcer ou de le décider à adopter une ligne de conduite sur un problème donné » ; dans le second cas, « on se limite à lui communiquer certaines opinions ou conclusions utilisables le moment venu, lorsqu’il se trouvera confronté plus tard à la question » (ibid. 138). La dissertation est bien évidemment du côté d’un faire faire indirect, ce qui exclut une définition qui, comme le propose G. Vigner, évoquerait la « transformation du jugement du lecteur ».

16Cependant, textuellement, la dissertation va construire des raisonnements typiquement argumentatifs, s’appuyant majoritairement sur des « séquentialités argumentatives » pour reprendre cette notion à Adam (1992). La finalité de telles séquences est bien selon la distinction de Blanché d’étayer ou de réfuter par des arguments des thèses ou des positions qui sont autant d’éléments constitutifs du discours délibératif. « La dissertation n’est pas un texte argumentatif au sens étroit du terme (inventer, formuler des arguments, etc.) mais un texte qu’on définira comme délibératif [...] Localement argumentatif, le genre est globalement délibératif » (Delforce 1991, 502-504). L’opposition texte/discours est méthodologiquement plus construite que l’opposition global/local, mais si l’on accepte cette rectification conceptuelle, les niveaux d’analyse concernés semblent équivalents.

17Dans les pages qui suivent, il sera donc question et d’argumentation et du modèle polémique, référence théorique et didactique qui a servi de cadre aux productions textuelles qui seront analysées dans les derniers chapitres. Sans faire le tour de toutes les questions qui pourraient se poser, je me contenterai d’exposer ce qui, à mon sens, constitue les points d’intersection entre ces deux domaines. C’est pourquoi je me centrerai d’abord sur la question des modèles structurels possibles du texte argumentatif et sur les mouvements réfutatifs/concessifs, qui constituent l’ossature de la dissertation polémique. Je présenterai ensuite le modèle de B. Delforce en essayant de montrer les relations qu’il entretient avec des concepts ou des objets argumentatifs comme le carré logique.

18Comme le projet de ce travail et sa méthodologie n’est pas d’observer les rédacteurs dans l’activité d’inventio, la question des opinions préalables des rédacteurs et de leur relation avec la production textuelle ne sera pas abordée. Il sera essentiellement traité des formes textuelles et discursives que peut prendre la dissertation. On sera plus centré sur le produit que sur le processus de production.

  • 4 Moeschler (1985, 58) emprunte cette citation à Ducrot (1977) « Illocutoire et performatif » repris (...)

19Pour finir, les analyses que je mène se prétendent des analyses textuelles et non communicationnelles. J’entends par là qu’il m’intéresse plus d’analyser l’argumentation que l’acte illocutoire d’argumentation (Moeschler, 1985). Je n’évoquerai pas l’acte d’argumentation comme activité communicationnelle impliquant un agent et un destinataire, une visée argumentative, un effet sur l’interlocuteur qui se traduit par « l’obligation de conclure »4, mais surtout l’argumentation comme relation entre deux énoncés ou groupes d’énoncés.

A. L’argumentation

20Sans chercher à donner une nouvelle définition de l’argumentation ni des mouvements discursifs qui la caractérisent, je m’efforcerai d’expliciter les concepts que j’utilise de manière à rendre claires les analyses de textes d’élèves que je proposerai dans les derniers chapitres de ce travail. Par ailleurs, ces analyses argumentatives permettront également de caractériser plus finement le modèle dissertatif présenté ci-après. C’est pourquoi l’examen portera essentiellement sur les mouvements réfutatifs-concessifs et leur relation avec l’étayage argumentatif.

1. Quelques questions sur le texte argumentatif

  • 5 En 1986 le colloque Apprendre/enseigner à produire des textes écrits, Namur, septembre 1986, publié (...)
  • 6 D.G. Brassart (1988 b) a produit une analyse de ces diverses schématisations élaborées par J.M. Ada (...)
  • 7 J.M. Adam récuse la notion de « typologie des textes » au nom de la trop grande hétérogénéité des t (...)

21La notion de « texte argumentatif » n’est pas sans poser problème. En effet, les nombreuses analyses typologiques qui se sont développées dans le domaine français depuis 1986/875 ont essayé de proposer pour l’argumentation des superstructures typologiques qui pourraient rendre des services équivalents à ceux du schéma quinaire pour le texte narratif. Ainsi J.-M. Adam propose des schématisations successives6 de la séquence argumentative7 dont le dernier état, présenté dans Les textes : Types et prototypes (1992), se fonde sur le schéma de Toulmin (1958/1993) analysé ci-après.

  • 8 Denhière G, Baudet S (1992, 148).

22En 1987, la référence aux recherches en psycholinguistique textuelle fondaient un tel travail, dans une certaine confusion d’ailleurs entre domaines d’analyse. La conjonction des travaux de linguistique textuelle et de psychologie cognitive à propos du texte narratif a entretenu, notamment dans le champ didactique, une ambiguïté forte sur la notion de schéma. Pour les premiers, le schéma, sous la forme d’une superstructure typologique, vise à décrire une organisation textuelle, les seconds visant à construire, avec la notion de schéma prototypique, un modèle du traitement cognitif des textes. Actuellement la théorie des schémas, en psychologie, est mise à mal par les travaux qui s’appuient sur l’hypothèse connexioniste laquelle oriente l’analyse de la compréhension de texte vers la construction de « modèles d’activation » et non plus de modèles « d’instanciation de schémas »8. Par ailleurs, le retour aux premiers travaux sur la mémorisation de texte (Bartlett, 1932) conforte l’idée que les schémas ne sont pas seulement des schémas de texte mais des schémas de connaissance, des réseaux d’information sur le thème abordé par le texte.

  • 9 Ce qui irait dans le sens d’une séquentialité textuelle, comme le propose Adam.

23Brassart qui, en 1987, utilisait le schéma de Toulmin comme macrostructure du texte argumentatif, prend également des distances par rapport à la théorie des schémas (Brassart 1996). Son premier argument est que les textes argumentatifs « naturels » se réduisent rarement à une seule occurrence de la relation d’étayage Donnée → Conclusion9 et que « la dilatation argumentative ne s’opère, basiquement, que par la réitération du patron d’étayage de base » (ibid.), à la différence du texte narratif où la dilatation peut s’opérer de manière interne en développant telle « branche » de l’arbre structurel ou en multipliant la chaîne causale Complication → Résolution. Ce qui veut dire qu’un schéma prototypique du texte argumentatif serait d’une telle pauvreté qu’on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de le construire voire d’apprendre à le maîtriser pour comprendre et produire des textes argumentatifs. Son deuxième argument consiste à poser que l’étayage argumentatif (q puisque p) est de même nature que l’étayage causal (q parce que p), ce qui limiterait fortement l’intérêt d’une théorisation spécifique de l’enchaînement argumentatif.

2. Des modèles en concurrence

24Sans aucunement prétendre me situer dans ce débat complexe, je me contenterai de clarifier la notion d’étayage argumentatif pour rendre compte des textes des élèves. Pour ce faire, je me référerai à trois formes de composition textuelle qui ne sont pas forcément exclusives les unes des autres. La première est celle que je présenterai plus bas, le schéma polémique emprunté à B. Delforce. Comme ce schéma est la référence théorique convoquée dans l’enseignement mis en œuvre dans les classes avec lesquelles j’ai travaillé, il est difficile de ne pas s’y référer pour analyser les textes produits. Il est intéressant par exemple d’observer comment les élèves l’utilisent ou le détournent en situation de production écrite (cf. chapitre v).

  • 10 Par exemple : Cette année, le muguet est beau (p) mais il est cher (mais q).

25La seconde forme de composition élémentaire est l’enchaînement rélutatif p mais q10, considéré ici de manière prototypique car il peut prendre des formes variées selon le type de relation entre p et q, qu’il est nécessaire de convoquer pour rendre compte des mouvements de réfutation et de concession internes à la dissertation.

  • 11 Cf. Blanché (1973, 228) : « Peu importe que dans le discours, la thèse soit expressément énoncée dè (...)

26Enfin j’utiliserai les notions de thèse et d’argument issues de la tradition argumentative la plus ancienne et reprises dans le schéma de Toulmin. La thèse est en fait la conclusion vers laquelle tend l’argumentation, qu’elle soit placée en fin de texte ou ailleurs11, c’est « l’horizon vers lequel est orienté tout le parcours argumentatif (Brassart 1987, 130). Les arguments sont donc les données (au sens de Toulmin) ou les prémisses qui sont convoquées par l’argumentateur pour appuyer ou faire partager la thèse/conclusion qu’il soutient.

27J’aimerais d’abord analyser comment les deux derniers modèles, celui de Toulmin et la formule générale p mais q se rencontrent.

28Tout d’abord il faut préciser que le modèle de Toulmin (qui n’a pas été conçu comme un schéma textuel) est beaucoup plus large puisqu’il envisage le fonctionnement global de l’étayage argumentatif, alors que p mais q ne concerne que l’analyse de la réfutation/concession, la formule servant essentiellement à formaliser les significations du connecteur mais et ne rendant pas compte, même si elle est très féconde, de la totalité des cas possibles d’étayage argumentatif.

29J’emprunte à Adam (1992, 106) la traduction et l’exemplification du schéma de l’étayage argumentatif P donc R selon le modèle de Toulmin :

Schéma 1 : L’étayage argumentatif (d’après Toulmin, 1958/1993)

Schéma 1 : L’étayage argumentatif (d’après Toulmin, 1958/1993)
  • 12 Entre parenthèses se trouvent d’autres traductions des termes de Toulmin : warant, backing, réfutat (...)

30La relation p donc r est appuyée dans le schéma de Toulmin par les deux catégories GARANTIE et SUPPORT12 : la GARANTIE est une règle générale, un permis d’inférer, une loi de passage entre p et r, en un mot un topos et le SUPPORT, une justification du topos. RESTRICTION ou REFUTATION chez Toulmin concerne « l’applicabilité d’une garantie » (1993, 125), on y reviendra plus loin.

31Le « schéma d’argumentation » construit par Toulmin ne fait pas place à la réfutation : il y aurait donc une possibilité, non envisagée par Toulmin, d’insérer p mais q à l’intérieur du schéma d’argumentation, de globaliser en une seule représentation les diverses formes argumentatives (appuyer/réfuter une thèse). Cette visée est partagée, il me semble, par Plantin (1990, 33) :

« une interprétation large du modèle de Toulmin - peut-être une extrapolation - jette les fondations d’une unité qu’on pourrait appeler « cellule argumentative », articulée aux dimensions d’un texte. Cette cellule intègre les éléments suivants :

  • une argumentation, connectant une position (une thèse, une conclusion) à une donnée venant la soutenir (un argument) ;

  • une réfutation, c’est-à-dire une allusion à la position d’un adversaire, soutenant une autre conclusion, et une négation de cette position ».

32De même, Adam (1992, 106-107) tente de superposer au schéma de Toulmin un « schéma concessif classique » élaboré à partir de l’exemple « (p) La marquise a les mains douces, mais (non r) je ne l’aime pas ». Je reproduis ci-dessous ce schéma :

Schema 2 : Relation concessive p mais non r (Adam 1992)

Schema 2 : Relation concessive p mais non r (Adam 1992)

33Le second schéma projette, au sens géométrique du terme, la composante « restriction » sur la première ligne qui représente alors la linéarité de l’énoncé et fait apparaître par la flèche oblique la relation concessive qui rejette la conclusion r en faveur de la conclusion non-r. Or cette projection pose problème.

34A relire Toulmin, il apparaît que le composant implicite RESTRICTION concerne très précisément GARANTIE et non DONNEE, ce n’est pas un contre-argument potentiel, comme le laisserait entendre Plantin cité plus haut (« une allusion à la position d’un adversaire »), mais un élément qui précise « les circonstances dans lesquelles il faudrait annuler l’autorité générale de la garantie », c’est-à-dire, une condition d’emploi de la garantie. Autrement dit, c’est un composant qui permet de dire si les lois de passages entre DONNEES et CONCLUSION sont de l’ordre de la nécessité ou de la vraisemblance (Toulmin, 1958/1993, 123), il régit donc le « qualificateur modal » représenté ci-dessus par probablement. Cela signifie que cette restriction porte sur le topo activé par la garantie. Or il semble que la réfutation ou la concession articulent deux topoï différents : en toute logique si le topos (ou GARANTIE) fonde la loi de passage entre DONNEES et CONCLUSION, le même topo ne peut servir pour la conclusion r et la conclusion non-r. Si la branche RESTRICTION sert à réfuter un passage D → C, c’est en étant actualisée comme nouvelle DONNEE dans un deuxième énoncé D2 → C2, ce que fait, sans le dire, Adam dans ses analyses de 1992 (cf. note 13 ci-dessous).

  • 13 Il faut remarquer d’ailleurs dans Adam (1992, 106-107) une obscurité qu’il ne me déplaît pas de con (...)
  • 14 Dans cette représentation, les catégories GARANT et SUPPORT ne sont pas prises en compte mais peuve (...)

35De tout cela, il faut tirer comme conclusion que les relations de réfutation/concession articulent des schémas argumentatifs D → C et non pas qu’elles sont intégrées dans un seul et même schéma13. C’est la proposition que fait Brassart (1987, 70-74 et 1988b, 142-145) lorsqu’il compare le schéma de Toulmin et la superstructure argumentative proposée par Van Dijk (1980) et qu’il propose de représenter la relation p mais q comme un « auto-enchâssement argumentatif »14 :

Schema 3 : Auto-enchâssement argumentatif (Brassart 1987)

Schema 3 : Auto-enchâssement argumentatif (Brassart 1987)

36Ainsi, « auto-enchâssement » ne signifie pas intégration de la réfutation dans le schéma argumentatif de base mais enchaînement de deux schémas articulés D1 Cl mais D2 C2 ; on peut parler d’enchâssement dans la mesure où D1 → Cl mais D2 → C2 est subsumé sous la catégorie DONNEES d’une relation « supérieure » aboutissant à la conclusion C2.

37Cette analyse des mouvements réfutatifs/concessifs comme enchaînements de mouvements argumentatifs de base permet de comprendre que la réfutation/concession ne sous-tend pas seulement des argumentations locales mais peut constituer l’architecture de textes entiers.

38Pour revenir à p mais q, on voit que p comme q sont à considérer comme des arguments et non comme des thèses. Cela dit, ils sont anti-orientés (Moeschler 1985, 54) servant chacun une conclusion opposée. On dira que p est un contre-argument par rapport à la conclusion que l’on peut tirer de q.

  • 15 L’emploi de ce topos manifeste « dans la langue » des valeurs argumentatives, ce que Anscombre et D (...)
  • 16 Voir D.G. Brassart, A. Veevaert (1992 : 11-13) pour une mise au point sur ces notions et une applic (...)

39Argument et contre-argument sont donc des termes qui ne valent que dans leur relation avec une conclusion explicite ou implicite. Ils sont à distinguer des notions d’arguments-pour / argument-contre qui valent hors contexte pour désigner l’orientation argumentative d’énoncés isolés mais marqués axiologiquement ou manifestant un topos. « Fumer donne le cancer » est un argument contre le tabac parce qu’on sait bien dans notre société que le cancer est une maladie mortelle15. Cet argument contre le tabac peut jouer dans une argumentation le rôle d’argument à l’appui d’une conclusion comme « Ne fumez plus ». Dans un univers un peu différent du nôtre, on pourrait lui faire jouer le rôle de contre-argument dans une argumentation qui viserait à encourager de fumer ou à convaincre de continuer de fumer : « fumer donne le cancer mais on dispose maintenant de vaccins anticancéreux, vous pouvez donc continuer de fumer ! »16.

3. Réfutation/concession

40Je terminerai par quelques considérations sur la distinction réfutation/concession. La littérature est également très importante autant sur les deux actes que sur les connecteurs qui orientent le trajet argumentatif. J’essaierai donc plutôt que d’en faire une synthèse de signaler dans quelle acception j’utilise ces deux notions.

  • 17 Par exemple « Il n’est pas mort en 85 mais en 86 ». Pour une récapitulation des analyses portant su (...)

41La réfutation est un « acte réactif » (Brassart, 1991 b) qui manifeste « l’existence d’un désaccord entre interlocuteurs, entre celui qui énonce la phrase de contenu p et celui qui énonce la phrase de contenu q ». Laissant de côté la réfutation intraphrastique (le mais de rectification17), il sera ici plus souvent question d’une relation entre énoncés, p mais q, où les deux énoncés p et q ont le même thème, ce qui fait que la réfutation porte soit sur le contenu de p (réfutation invalidant totalement ou partiellement p), soit sur la conclusion r impliquée par p.

42En voici quelques exemples. Soit p donc r :

A - Le walkman rend sourd, il faut donc l’interdire

43Une réfutation (partielle) portant sur p prendrait la forme mais non p (donc non r)

B1 - Mais il ne rend pas sourd si on l’utilise correctement (donc il ne faut pas..)
B2 - Mais le walkman de la marque X ne rend pas sourd (donc il ne faut pas...)

44Une réfutation totale portant sur p prendrait la forme mais non p (donc non r)

B3 - Mais (c’est faux), le walkman ne rend pas sourd (donc il ne faut pas...)

45Une réfutation portant sur r prendrait la forme mais non r (car q) ou mais (q donc) non r

B4 - Mais il ne faut pas l’interdire (car cela produirait une vraie révolution chez les jeunes).

46On peut constater que les réfutations sur p sont beaucoup plus polémiques que la réfutation sur r qui se présente comme un p mais q argumentatif classique.

47Si ces exemples de réfutation portent sur le contenu propositionnel de p et de r, d’autres formes de réfutation peuvent porter sur le topos (ou garant pour reprendre le terme de Toulmin) qui assure la liaison entre p et r :

Mais il vaut mieux être sourd que déprimé

48ou sur l’énonciateur de p (réfutation ad hominem) :

Mais ceux qui disent cela sont de vieux barbons.

49On le voit, la réfutation semble bien s’accorder à un contexte dialogal où B conteste et même nie les positions de A ou les orientations argumentatives de ces positions. Dans une intervention monologale, il serait difficile d’admettre un énoncé comme « le walkman rend sourd, il faut donc l’interdire, mais c’est faux, le walkman ne rend pas sourd » ou comme « le walkman rend sourd, il faut donc l’interdire, mais il ne faut pas l’interdire car cela produirait une vraie révolution chez les jeunes ». Dans un énoncé pris en charge par un seul locuteur, la loi de non contradiction (loi du tiers exclu) empêche la présence simultanée, de p et non p, de r et non r.

  • 18 Cf. M. Kail et J. Weissenborn (1984).

50La concession apparaît au contraire comme une forme propre au discours monologal où le locuteur unique ne peut pas s’appuyer sur le discours de l’autre pour argumenter à son tour mais doit produire et l’énoncé concédé et l’énoncé par lequel il va le réfuter. D’où le terme de concession-invention proposé par Brassart (1988 a, 1991 b) pour rendre compte de ce phénomène. Un énoncé comme « cette voiture est belle mais elle est chère » met en jeu deux phénomènes différents de ce que je proposais plus haut comme exemples de réfutation : q n’est pas la reprise négative de p mais un nouvel énoncé avançant un nouveau « thème », un nouvel argument (pour la conclusion « il vaut mieux ne pas l’acheter ») ; le locuteur peut partager p aussi bien que q, se sentir partagé entre p et q mais se ranger aux raisons de q, plus fortes, plus convaincantes. Ces caractères font que la concession, du point de vue cognitif et développemental, est la relation sémantique entre énoncés qui apparaît le plus tardivement18, en tout cas après la relation adversative ou de réfutation.

  • 19 Ducrot (1980, 12).
  • 20 La formule est de Plantin (1990, 43).

51La concession fait apparaître un partage de l’énonciation entre deux énonciateurs distincts, l’un assumant p, l’autre q. La concession comme mouvement argumentatif peut donc être analysée non seulement en termes de force argumentative (le locuteur estime que « q a plus de force contre r que p n’en a en sa faveur : de sorte que l’ensemble p mais q va dans le sens de non r »19). Mais aussi comme « un petit drame à deux personnages »20 où le locuteur choisit de s’identifier à l’énonciateur « responsable » de mais q (donc non r), mettant à distance l’énonciation de p (donc r), refusant de le prendre en charge, mais partageant d’une certaine manière la position qu’il défend. Cette répartition des rôles énonciatifs dans la concession peut prendre une forme marquée où le locuteur montre qu’il ne prend pas en charge l’énonciation de p :

X dit/prétend que p (donc r) mais q donc non r

52Brassart (1991 b) propose alors de parler de concession-citation où le discours rapporté permet « d’identifier El à un locuteur Lx réel ou imaginaire distinct de L ». C’est d’ailleurs cette forme de concession qui permet à la réfutation d’apparaître dans un contexte monologal sans courir les risques de la contradiction :

X dit/prétend que p (donc r) mais non p donc non r

53Jusqu’ici, la présentation essaie de distinguer les mouvements contre-argumentatifs en prenant en compte les formes dialogales/monologales des discours. L’exemple ci-dessus montre que les choses sont plus complexes que la description voudrait le laisser entendre. Si donc la réfutation n’est pas que dialogale mais peut apparaître dans un discours monologal grâce au discours rapporté, on peut s’attendre à ce que la concession, décrite jusqu’à présent comme monologale, puisse apparaître dans certaines conditions dans un discours dialogal. C’est ce qu’analyse Brassart (1988 a, 1991 b) avec la notion de concession-reprise, qu’il rapproche de la reprise diaphonique étudiée par Moeschler (1985, 180) où la réfutation dialogale n’est pas directe mais s’articule à une reprise « i.e. une interprétation de l’intervention initiative (l’interlocuteur pouvant dès lors contester l’interprétation donnée par la reprise diaphonique) », ce qui est moins menaçant pour la « face » de l’interlocuteur qu’une réfutation directe.

A - Il fait un temps superbe, j’ai vraiment envie d’aller me promener
B - il fait beau, oui, mais je suis fatigué
A - comment ça ! il fait beau, il fait plus que beau...

54Ces trois formes de concession (invention, citation, reprise) analysées par D.G. Brassart, ainsi que la réfutation, font apparaître une coïncidence entre la linéarité de l’énoncé (p est avant q) et le poids respectif des énoncés (p est plus faible que q). L’ordre est ainsi progressif et l’argumentation est orientée vers la fin de l’énoncé, ce qui suppose d’en traiter le début presque comme une suspension de jugement, ce qu’indique très explicitement un connecteur comme certes. On verra plus loin que ce phénomène pose précisément problème aux élèves les plus en difficulté dans la construction de l’argumentation.

55Par ailleurs, la distinction entre réfutation et concession porte essentiellement sur la distance thématique entre les deux énoncés articulés par mais et fait donc apparaître des stratégies qui vont de l’opposition frontale à la négociation, pour utiliser métaphoriquement des concepts communicationnels. La concession demande de penser (presque) simultanément deux énoncés anti-orientés et de résoudre cette contradiction dans/par le mouvement concessif lui-même. Cela montre que la concession n’est pas qu’une habileté communicationnelle mais qu’elle met en jeu également des compétences langagières (voire cognitives).

B. La dissertation

56B. Delforce, analysant le discours dissertatif, a proposé un schéma, qu’il appelle le « schéma polémique », comme modèle possible d’organisation discursive des dissertations traitant de sujets non littéraires. Après avoir posé le cadre général dans lequel on peut placer ce type de dissertation, on présentera les caractéristiques du « schéma polémique ». Cependant, le terme « polémique » peut prêter à confusion et je tenterai d’établir des relations entre le schéma polémique et le genre délibératif. La dernière section de ce chapitre s’efforcera de mettre en relation les notions proposées par B. Delforce à propos du schéma polémique avec les savoirs argumentatifs élaborés plus haut.

1. Un discours méta-argumentatif

57La dissertation comme genre argumentatif présente des fonctionnements spécifiques qui ont été en partie évoqués dans l’introduction de ce chapitre. Effaçant les phénomènes d’adresse à un destinataire-cible et l’expression d’opinions marquées comme personnelles, elle construit dans l’examen d’une question, un destinataire et un locuteur-énonciateur qui sont déterminés à la fois par l’institution scolaire (le professeur n’est qu’un lecteur-évaluateur et non une personne privée) et par la tradition argumentative : « le sujet qui délibère est considéré souvent comme une incarnation de l’auditoire universel » (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1958). C’est pourquoi l’élève doit donner de lui-même une image de sujet raisonnant et se décentrer de l’image qu’il a de lui-même comme personne.

58Une autre spécificité de la dissertation est celle de l’examen de positions, de discours, d’argumentations non prises en charge par l’énonciateur, examen qui serait comme un préalable à la formulation d’une réponse. Disserter consiste à « examiner la pertinence et la validité de l’ensemble des réponses socialement disponibles à la question qu’appelle l’assertion initiale » (Delforce 1992, 16). L’opinion proposée comme réponse à la question de l’énoncé « se construit avec/contre les discours » convoqués. La dissertation rejoint ici et utilise la dimension dialogique ou polyphonique du discours telle que l’ont analysée Roulet et al. (1985) et O. Ducrot (1984) à la suite de Bakhtine. Si la dissertation se caractérise par l’examen des discours déjà tenus et socialement repérables sur une question donnée, si la production d’une cohérence textuelle exige de tenir une orientation argumentative globale et non de juxtaposer des opinions diverses voire divergentes, la maîtrise des phénomènes énonciatifs est constitutive de l’apprentissage de la dissertation. Je me permets de citer ici un peu longuement M. Charolles :

« Le montage de points de vue différents (non forcément adverses, non forcément limités à deux !) exige que le rédacteur soit à même de les rapporter à des instances énonciatives également lisibles, sinon son texte paraîtra une accumulation discordante de positions antinomiques ou disparates [...]. La voix du locuteur-rédacteur doit en effet servir de repère dans l’élaboration du texte. Le texte en manifeste la présence ou, plus exactement, la construction, il en décrit l’émergence, et, avec elle, celle de l’opinion que, précisément, la dissertation défend ».
Charolles, 1990, 15

59Mais l’énonciation dialogique ou polyphonique ne détermine pas une caractéristique structurelle de la dissertation : la dissertation en tant que discours est sous la dépendance d’une question initiale appelée ou soulevée par l’énoncé du sujet et cela pourrait bien aider à redéfinir le genre de la dissertation qui présente selon B. Delforce

« deux caractéristiques majeures : d’une part, celle d’être constituée de séquences questions-réponses successives ; d’autre part, celle qui impose que le passage d’une question à une réponse s’effectue sous la forme d’un moment d’examen. [...] La dissertation pourrait être caractérisée comme un texte où l’activité énonciative fondamentale ne consisterait pas tant à affirmer ou à réfuter -c’est-à-dire à trouver des arguments qu’à interroger : ce sont les séquences questions-réponses qui sont le moteur du texte, qui marquent ses lieux d’ouverture/clôture. [...] Les affirmations et les négations-réfutations se trouvent alors incluses dans le moment d’examen qui permet de passer de la question à la réponse ».
Delforce, 1992, 12-14

60Ce qui revient à dire que la dissertation en tant que genre de l’argumentatif peut être particularisée par un certain nombre de caractéristiques pragmatiques qui sont autant de restrictions ou de contraintes apportées au discours argumentatif général, mais que conjointement elle utilise localement ces mêmes mouvements argumentatifs comme éléments constitutifs de son déroulement textuel, comme parties du tout, lorsqu’il s’agit par exemple d’argumenter ou de réfuter un discours que l’on examine.

61Ce qui revient également à dire que la dissertation n’a pas pour objet essentiel de construire une argumentation au premier degré, un discours argumentatif, à formuler une opinion convaincante, à faire partager des valeurs ou à orienter vers une action mais qu’elle porte sur des discours et que son objet est, selon les termes de B. Delforce, de construire les conditions de validité de tel discours par rapport à tels autres. En somme, la dissertation serait un discours méta-argumentatif construit à partir de micro-séquences prototypiquement argumentatives.

62Cependant, en tant que texte, doté d’une organisation interne, hiérarchiquement structurée « décomposable en parties reliées entre elles et reliées au tout qu’elles constituent » (Adam 1992, 28), comment définir la dissertation (ou du moins un certain type de dissertation) ? On aura remarqué que subrepticement la notion de texte réapparaît ici, alors qu’on l’avait jusqu’alors réservée pour désigner une organisation séquentielle prototypique, en occurrence celle de la séquence argumentative. Dans les pages qui suivent, le terme de texte, en dehors des citations qui peuvent l’utiliser dans des acceptions variées, est à interpréter sur la base de ce que Adam (1992) propose, c’est à dire comme « un objet abstrait, construit » et qui est passible de multiples théorisations, le niveau séquentiel n’étant qu’un aspect de la description de la « nature compositionnelle profondément hétérogène de toute production langagière ». La notion de texte excède donc celle de « séquence prototypique ».

2. Un « schéma » polémique

  • 21 Outre le schéma polémique (ibid. 414-455), il s’agit du modèle problématique (ibid. 455-463), du mo (...)

63Théorisant le fonctionnement discursif de la dissertation, B. Delforce (1991) a été amené à proposer quatre « schémas » qui sous-tendraient les productions écrites identifiables comme dissertatives et permettraient de regrouper, sous la multiplicité des énoncés de sujet et des textes réalisés tant par les apprenants que par les experts (dans les corrigés d’annales, par exemple), des modes de traitement relativement peu nombreux21.

64Par schéma, il faut entendre ici non pas une organisation interne au sujet apprenant, analogue aux représentations cognitives que seraient les schémas textuels prototypiques, mais plutôt un « plan d’organisation textuelle » (Adam, 1992) qui peut faire penser aux superstructures textuelles, par l’identification d’un faisceau de propriétés des objets-textes considérés.

65La notion de « schéma » dissertatif utilisée par B. Delforce est surtout

« empirique : en observant les sujets proposés aux différents concours ou examens, nous avions remarqué que certains sujets semblaient appeler les mêmes types de démarche dans leur traitement. On pouvait donc constituer l’embryon d’une typologie, ce qui allait pour nous dans le sens de notre recherche : réduire l’infinie diversité à un ou plusieurs types ».
Delforce 1991, 411

66Par ailleurs, la fonction que B. Delforce accorde aux schémas qu’il propose, est moins de contrôler une organisation textuelle de surface que d’être un mode de résolution de la question initiale, un « traitement » comme il est dit plus haut, ou encore une façon de « marquer la dynamique d’un raisonnement » (ibid. 422).

  • 22 La notion « plan de texte » désigne plus particulièrement les phénomènes de « spatialisation écrite (...)

67Ainsi le schéma n’est en rien un plan au sens traditionnel du terme ; il ne programme ni les phases explicites du texte dissertatif ni leur longueur (ibid. 421). Il n’est pas non plus, stricto sensu, ce qu’Adam appelle un plan de texte22 : il ne dit rien du nombre de paragraphes qu’il faudrait écrire pour répondre à la question posée par l’énoncé, encore moins du nombre de parties.

68En fait, le « schéma polémique » rend compte de l’aspect formel d’un certain discours dissertatif. Construit par généralisation et abstraction à partir d’un certain nombre d’écrits concrets, il ne se présente pas cependant comme une séquence élémentaire au sens où l’emploie Adam mais bien plutôt comme « une construction séquentielle hétérogène » pour reprendre cette expression à A. Petitjean qui l’applique aux faits divers (Petitjean 1989, 118). En effet, la dissertation se range dans le genre des discours argumentatifs et utilise des enchaînements argumentatifs (proto) typiques, tout en combinant ces caractéristiques structurelles avec des effets (secondaires) de narrativisation du discours (Charolles, 1990), nécessités par le fait qu’une dissertation est également une réponse à une question qui doit intéresser son lecteur. Je cite de nouveau M. Charolles qui montre que les copies reconnues comme bonnes savent ménager le lecteur grâce à une stratégie qui consiste à

« solliciter en permanence son attention et son intérêt. Il s’agit [...] de ne pas dévoiler tout de suite le point de vue qui sera défendu, de laisser planer un certain suspens quant à l’issue des conflits entre les idées confrontées, de donner au développement l’allure d’un débat intérieur plein d’incertitudes et de rebondissements [...] Bref, il s’agit de [...] narrativiser une inspection rationnelle ».
Charolles, 1990, 14, souligné par l’auteur

69L’organisation décrite par B. Delforce se trouve donc à mi-chemin entre le discours et le texte ; d’une certaine manière elle met en cause la partition présentée en introduction de ce chapitre. Il faudrait pouvoir considérer que des organisations compositionnelles qui mettent en œuvre des enchaînements séquentiels prototypiques sont régies par des règles discursives, par des formes conventionnelles, plus larges et plus nombreuses que les séquences élémentaires. Cette organisation des « grandes masses verbales » pour emprunter l’expression de Bakhtine, est vraisemblablement de nature générique, à la frontière donc du texte et du discours. Adam (1992) emploie le doublet « texte-discours » pour évoquer la variété les formes d’argumentation. Je cite ce passage qui me semble une justification (non théorisée cependant par Adam) de ce que je propose d’appeler un composant rhétorique de l’analyse des énoncés :

« les textes-discours argumentatifs sont certainement aussi variés que les modes textuels de narration. Mais ceci n’interdit pas de formuler une hypothèse séquentielle plus restrictive, fondée sur la possibilité de reconnaissance par les locuteurs, d’une forme prototypique de séquence argumentative de base ».
Adam, 1992, 117.

70Il s’agit maintenant d’examiner la relation entre le type de texte (ou de séquence) argumentatif, tel qu’il est analysé par Adam (1992) et Brassait (1987, 1988 b), et le schéma polémique proposé par B. Delforce. Malgré les incertitudes terminologiques évoquées plus haut, je continuerai à utiliser le terme de « schéma polémique », d’une part pour exprimer ma dette à l’égard de celui qui a élaboré un outil didactiquement si précieux, d’autre part parce que l’objet de ce travail n’est pas d’avancer de nouvelles propositions sur la catégorisation des textes et que je ne puis, pour l’instant, proposer une autre dénomination. Que le lecteur, donc, veuille bien me passer cette ambiguïté terminologique.

  • 23 Cela peut se faire bien évidemment avant la classe de seconde.

71Je ne présenterai ici que le schéma dit « polémique » pour la seule raison que c’est celui qui a servi de référence aux séquences d’enseignement/apprentissage dans les deux classes de seconde dont il va s’agir dans la suite de ce travail. Par ailleurs, ce choix n’est pas tout à fait aléatoire : les sujets donnants lieux à des traitements polémiques sont les plus fréquents dans les sujets 1 du bac, sujets par lesquels il est facile de commencer un apprentissage au début de la scolarité en lycée. Ce sont également des types de sujets qui par la confrontation de positions contraires sont proches (tout en étant très différents fondamentalement) des textes en pour/contre que les élèves ont souvent construits comme première approximation de ce que peut être une dissertation ou un sujet de réflexion à la fin de la troisième : il est donc intéressant de travailler sur les sujets polémiques dès les premiers apprentissages du genre dissertatif23.

Le schéma polémique (B. Delforce (1991) p. 420)

  • 24 Par exemple : Faut-il interdire (faire N) la chasse (de X) ? La chasse (X) est-elle un bienfait (P+ (...)

1er temps

1. QUESTION :

Faut-il faire P (de X) ? sinon N (de X) ?
X est-il P++ ? sinon N-- ?24

2. EXAMEN

2.1. Examen d’une des deux positions : X est-il P++ ou N-- ?

2.1.1. Position : « Certains affirment que X est P++ (N--)

2.1.2. Argumentation : parce que z, y, t...

2.1.3. Annulation : or, on ne peut pas dire que z, y, t, parce que m, n, o

2.1.4. Conclusion : donc, on ne peut pas dire que X est P++ (N--)

2.2. Examen de la 2° position : Alors, si on ne peut pas dire que X est P++ (N--), X est-il N-- (P++) ?

2.2.1. Position : « Certains affirment que X est N-- (P++) »

2.2.2. Argumentation : parce que...

2.2.3. Annulation : or, on ne peut pas dire que..., parce que...

2.2.4. Conclusion : donc, on ne peut pas dire non plus que X est N -- (P++)

3. REPONSE :

X n’est ni P++ ni N--

2e temps

1. QUESTION :

si X n’est ni P++ ni N --, alors quelle est la valeur de X ?
que faut-il faire de X ?

2. EXAMEN :

formulation d’une proposition argumentée

3. REPONSE

72Comme ce schéma n’est en rien un plan au sens traditionnel du terme, ni un plan de texte au sens de J. -M. Adam, il faut se garder de chercher ici quoi que ce soit qui signale les fonctions d’ouverture ou de clôture du texte. La gestion du lecteur est traitée comme un phénomène transversal non spécifique de la dissertation.

  • 25 Le caractère rebattu des deux sujets pris en exemple ne doit pas surprendre : d’une part, l’argumen (...)

73La question initiale ou « question polémique » admet deux formes de surface distinctes mais qui s’engendrent l’une l’autre. On a là un aspect de cet « espace de questionnement » qu’est la dissertation selon B. Delforce, l’engendrement réciproque permettant de regrouper sous un même type des sujets apparemment aussi différents que « Faut-il interdire la chasse ? » et « La télévision a ses partisans et ses adversaires. Dans quel camp vous rangez-vous ? »25.

74La formulation du premier sujet « Faut-il interdire la chasse ? » (c’est-à-dire selon le formalisme proposé par B. Delforce « Faut-il faire N de X ? ») suppose que l’on examine les valeurs accordées à X : « X est-il N-- ? » (soit par exemple « La chasse est-elle un danger ? ») et « X est-il P++ ? » (« La chasse est-elle un bienfait ? »). On ne peut répondre à la question initiale que si l’on examine les valeurs de la chasse. De même, l’autre sujet dont l’énoncé présente explicitement le débat sur la télévision (sans néanmoins en préciser les termes) appellera au cours de la réflexion un second temps où l’on se posera la question « Que faut-il faire de la télévision ? » ou « Comment en user ? ». Ces deux questions sont donc liées l’une à l’autre, et peu importe finalement à quel moment de la réflexion elles apparaissent.

75Les deux temps de ce schéma correspondent à deux types de questions différentes : les premières sont fermées, elles correspondent au temps d’examen des discours convoqués mais non pris en charge par le locuteur ; c’est aussi le moment où l’appui sur les mouvements argumentatifs est le plus explicite.

76Le deuxième temps s’appuie sur une question ouverte ; c’est le moment où le locuteur aborde des propositions qu’il prend en charge, c’est le moment où semble se formuler une « réponse », sauf qu’en l’occurrence la réponse ne se formulera pas en termes de préférence ou de position personnelle mais en termes d’analyse des conditions de validité du discours préconisé. Ainsi, au « Qu’en pensez-vous ? » de l’énoncé, il sera répondu à ce moment-là « On peut raisonnablement penser que », « voici à quelles conditions on peut tenir un tel discours ».

  • 26 Comme exemple d’élasticité textuelle, on pourra se reporter à un article de L’Express analysé selon (...)

77Ce schéma, pas plus que le schéma narratif, ne saurait servir de plan. L’un des objectifs importants pour l’apprentissage du texte dissertatif est donc d’utiliser ce schéma finalement très simple dans ses rebondissements successifs de questions et de réponses comme une grille de lecture de textes de nature polémique, voire comme un guide en production de textes. 11 existe bien sûr des textes polémiques qui réalisent au plus près et de manière équilibrée les moments principaux de ce schéma, mais la plupart du temps, la mise en texte est beaucoup plus élastique26.

78Un des problèmes de l’apprentissage de la dissertation-texte polémique est donc d’amener les élèves et à maîtriser le schéma sous-jacent et à le dépasser, à s’en détacher. Ce problème n’est-il pas aussi le problème d’un apprentissage textuel qui mobilise des schémas abstraits ? N’a-t-on pas les mêmes problèmes avec la production narrative, où il s’agit aussi de rompre avec des schémas canoniques qui, à être trop rigides, finissent par transformer l’activité de production écrite en exercice d’application ?

3. Du schéma polémique au genre délibératif

79L’usage du terme « polémique » dans ce qui précède est à entendre comme la désignation à la fois d’un type de question et d’un type de réalisation textuelle. Or ce terme porte des significations belliqueuses qui peuvent détourner la compréhension des finalités d’une telle dénomination. Je reviendrai donc succinctement sur la notion de « polémique » en essayant d’analyser son rapport avec le genre délibératif de la rhétorique antique.

80B. Delforce quand il emploie ce terme le fait en référence à Reboul (1984, 120) qui l’utilise pour caractériser la rhétorique comme « principe même du pluralisme et de la démocratie », comme « débat » et non comme « combat ».

81De même, E. Landowski (1980, 42) propose de rapprocher la discussion et la dissertation littéraire (on parlait d’essai en 1980) grâce à un trait commun qui les oppose conjointement au commentaire de texte, à savoir « leur aspect ‘polémique’ ». Il précise que le mot n’est pas à prendre dans un sens péjoratif mais qu’il désigne le fait que les deux exercices en question « se déroulent sous la forme d’une confrontation entre interlocuteurs » : il entend par là l’énonciateur d’un premier point de vue présenté par le sujet de discussion (et développé dans le texte d’appui) et l’énonciateur de la dissertation qui a à se situer par rapport au discours tenu dans le texte de référence. B. Delforce ne traite guère des relations entre le texte d’appui et l’énoncé ou le texte même de la dissertation. Cependant la perspective est identique.

82Par ailleurs, analysant les représentations des apprenants concernant la dissertation (Delforce 1991, 380-381), il précise que des problèmes peuvent surgir de l’interprétation de certains termes constamment utilisés dans la pratique dissertative comme « discuter » ou « opinion ». En effet, les apprenants comprennent généralement « discuter » comme « s’opposer, s’engueuler, répliquer » et non comme « mener l’examen rationnel d’opinions diverses » ; de même, « l’opinion » est assimilée à « l’avis personnel » que l’on va dire avec sincérité et franchise et non à un comportement qui consisterait à « douter, s’interroger, chercher à se faire une opinion ». Ainsi, selon lui, un des objectifs d’apprentissage est-il de faire passer les apprenants d’une réponse formulée en termes de « moi, je pense que » à une réponse en termes de « que peut-on en penser ? », d’amener les apprenants à considérer l’activité dissertative non comme une réponse à un sondage d’opinions mais comme un « débat démocratique » (ibid.).

83Le schéma polémique est donc à distinguer de la polémique qui consiste, à « dénoncer [la contradiction] chez l’adversaire [pour] le déprécier, voire le disqualifier » (Oléron 1983, 53). Et qui ne peut déboucher sur un accord, sur une forme de résolution (Oléron 1984). M.J. Borel (1985, 405) évoque également l’opposition entre le « raisonnable » et le « polémique » : dans la dissertation de philosophie, il s’agit de « penser par soi donc, c’est-à-dire réfléchir sur soi en tant que manifestation historique, tout en énonçant dans son discours une prétention à la validité universelle de ses positions ; et devoir montrer par conséquent que cette prétention est raisonnable au sein d’une histoire polémique ».

84Si donc le schéma polémique place la dissertation dans « l’espace de la controverse » (Delforce 1991, 491-493) il ne l’installe pas pour autant dans un débat frontal et sans issue. Peut-être la référence au genre délibératif est-elle moins ambivalente ?

  • 27 Pour une présentation, voir Reboul 1984 ou 1991.

85Le genre délibératif tel qu’il est décrit dans la rhétorique antique27 est le genre du discours politique : il a pour auditoire l’Assemblée ou le Sénat, il « conseille ou déconseille dans toutes les questions concernant la cité », il « porte sur l’avenir, puisqu’il inspire des décisions et des projets » et « sur l’utile et le nuisible » pour l’intérêt commun (Reboul 1991, 57). Or la dissertation peut être considérée comme un discours délibératif : comme dans le genre délibératif, « on s’y demande ce qu’il convient de penser ou de dire, parce qu’on cherche à savoir ce qu’il faudrait décider ou faire » (Delforce 1991, 503).

  • 28 R. Blanché (1973, 228).

86J’ajouterai à cela la distinction que fait R. Blanché, évoquée dans l’introduction, entre l’argumentation et la délibération : « la conclusion à quoi vise l’argumentation, dit-il, est une thèse préalable. On recherche et on expose les raisons qui permettent soit de la soutenir soit de la réfuter [...] C’est la thèse qui est première, c’est elle qui appelle les arguments qu’on invoque pour y conduire l’auditeur. La démarche intellectuelle par laquelle l’auteur a élaboré son argumentation est essentiellement régressive. Dans la délibération au contraire, la recherche ne porte pas sur les prémisses, mais bien sur les conclusions [...] la démarche est ici nettement progressive »28. Il semble que le schéma polémique que j’ai présenté et analysé plus haut met en scène une telle démarche progressive. Je n’en veux pour preuve que le caractère très ouvert du deuxième temps qui formule des propositions issues du débat antérieur.

87Ainsi, le caractère délibératif d’une dissertation se mesurera à l’antériorité de l’examen, c’est-à-dire à l’analyse de positions prétendant être des réponses à la question posée, examen mené préalablement aux propositions finales dont on s’efforcera de montrer l’acceptabilité ; une dissertation qui ne présenterait qu’une seule étape d’examen entre l’ouverture et la clôture serait plus une réponse argumentée qu’un discours délibératif (Delforce 1991, 502). Charolles (1990, 10-12) qui analyse « la particularité de la dissertation scolaire en tant qu’argumentation » est amené à proposer une définition très proche, même s’il n’examine que les dissertations dites « littéraires » : la dissertation, dit-il, est un « écrit assez bref traitant d’une question controversée sur un sujet spéculatif de caractère littéraire et faisant appel à la délibération ».

88Pour conclure cette présentation, on peut considérer la dissertation polémique comme une organisation textuelle particulière qui présente des mouvements argumentatifs (d’étayage mais aussi de réfutation/concession) qui seront détaillés ci-après et qui se présente comme un discours de délibération, non pas orienté vers une décision (ce qui serait plutôt le cas du schéma problématique) mais vers la construction d’une opinion dont on cherche à apprécier le bien-fondé ou la valeur et dont on présente les conditions de validité. Genre (méta) argumentatif, elle est fondée sur des enchaînements localement argumentatifs qu’elle domine cependant par la nécessité d’organiser d’une manière relativement contrainte une réponse à une question. La façon dont la réponse est organisée, dont la délibération est déroulée est un facteur structurellement dominant par rapport à l’organisation strictement argumentative.

4. De quelques aspects logiques et argumentatifs du schéma polémique

a. Le carré logique : positions polémiques et annulations

89Delforce (1991, 444) souligne la difficulté de la formulation des deux positions polémiques. Cette difficulté tient à l’ambiguïté de la négation syntaxique. Ainsi, il fait remarquer que si une première position consiste à asserter que « selon certains, X occupe la première place », on pourra, pour la position adverse, être tenté de choisir la formule « pour d’autres, X n’occupe pas la première place », ce qui peut s’interpréter comme « il occupe la seconde place » ou « la dernière » ou encore « il n’occupe aucune place ».

  • 29 J’ai utilisé la description qu’en font Oléron (1983, 55) et Ducrot (1972, 230). Landowski (1980. 88 (...)

90La formulation négative est à mettre en relation avec les notions de contrariété et de contradiction telles qu’elles sont organisées dans le carré logique29. A partir de l’énoncé « La T.V. est le meilleur moyen d’information », on pourrait organiser comme suit le carré des oppositions :

Schema 4 : Le carré des oppositions

Schema 4 : Le carré des oppositions

91L’opposition « le meilleur/le pire » exprime deux contraires, alors que les relations contradictoires concernent les diagonales du carré (« le meilleur/un piètre », « le pire/un bon », etc.). On voit que les deux positions polémiques peuvent s’appuyer sur la relation de contrariété « tout en pouvant être tous les deux faux, ils ne peuvent être tous les deux vrais » (Ducrot 1972, 231). Ce trait n’est pas sans rapport avec le sémantisme négatif produit par les questions totales sous-jacentes aux deux positions polémiques (cf. ci-dessous). Oléron (1983, 55) fait également remarquer que la relation de contrariété oppose deux propositions générales dans un mouvement de réfutation plus global que si on « limit(e) sa réfutation à quelques points, sui(vant) ainsi en gros le schéma logique de la contradiction ».

  • 30 S’il en était besoin, un tel exemple militerait contre l’assimilation à des règles logiques des rai (...)

92Cependant, il est des formulations de sujet qui empêchent de bâtir les positions adverses sur la relation de contrariété. Il s’agit des sujets du genre « faut-il interdire la chasse ? ». Le contraire d’« interdit » est « obligatoire » ; il faudrait donc aboutir à une formulation du genre « faut-il rendre la chasse obligatoire ? » ce qui semblerait bien curieux au vu des règles sociales que nous partageons30. Vraisemblablement, il faut ici construire l’opposition non sur la relation de contrariété mais sur celle de contradiction : « il faut l’autoriser ». C’est Grize et Piéraut-Le Bonniec (1983, 123) qui formalisent ainsi le « carré logique des oppositions de la modalité déontique » qui caractérise les raisonnements dans le domaine juridique :

Schéma 5 : Relations d’opposition de la logique déontique

Schéma 5 : Relations d’opposition de la logique déontique

Grize & Piérault-Le Bonniec, 1983

  • 31 J’ai évoqué ce type de préoccupations à propos d’une polarisation de sujet de discussion qui tourna (...)

93Ces observations certes un peu formelles peuvent cependant donner lieu à des activités intéressantes au cours de l’apprentissage où il s’agirait de croiser fonctionnement des oppositions au sens logique et structures lexicales (ainsi quel est le contraire d’utile ? Inutile, superflu, inefficace ou nuisible ?31). Ce genre d’analyse logico-sémantique était naguère évoqué également par M. Charolles (1986, 16-18), à propos de la réfutation dans la dissertation, comme une aide possible à la planification.

94Pour en terminer avec le carré des oppositions, il faut souligner que l’annulation dans le premier temps du schéma polémique prendra la forme de l’énoncé subalterne à la position contraire : si la première position consiste à asserter que tous les X sont P++/N--, il sera facile d’annuler une telle position en montrant que quelques X ne sont pas P++/N-, ce qui est le subalterne de l’énoncé aucun X n’est P++/N-- ; de même, si cette position était que aucun X n’est P++/N--, on peut l’annuler en montrant que quelques X sont P++/N--, ce qui est le subalterne de la position contraire tous les X sont P++/N--. De cette observation, on peut tirer que la formulation des deux positions adverses ne portera pas sur une opposition entre les actualisateurs du groupe nominal sujet (tous les/aucun) mais sur les prédicats (P++/N--), alors que les mécanismes de réfutation pourront s’appuyer sur les quantificateurs pour construire l’annulation. B. Delforce remarque que l’argumentation dans le schéma polémique doit s’efforcer de présenter les arguments à l’appui de chaque position de manière à ce qu’ils soient facilement réfutables (1991, 451). C’est une aide pour faire comprendre aux élèves comment s’organisent les quantificateurs dans une série d’oppositions régulières.

b. Réfutation et diaphonie

95Les questions qui sous-tendent les positions polémiques sont caractérisées comme étant des questions fermées, n’acceptant que des réponses oui/non. Or Anscombre et Ducrot (1983) ont montré que l’interrogation est-ce que P ? avait la particularité argumentative d’orienter vers une interprétation non P. Contestant la théorie de la symétrie de l’interrogation, selon laquelle « toute question Est-ce que P ?, dans la mesure où elle laisse à l’interlocuteur le choix entre répondre P et répondre non P, laisse entendre que ces deux possibilités sont ouvertes » (ibid. 127), ils proposent une autre description de l’interrogation, une description dissymétrique, en faisant remarquer que toute incertitude quant à la vérité d’une proposition p « est vue comme allant dans la même direction argumentative que la négation de cette proposition » (ibid. 132). Les deux questions qui organisent le premier temps du schéma polémique « X est-il P++ ? » et « X est-il N-- ? » ne peuvent donc qu’aboutir argumentativement sur le constat que « X n’est ni P++ ni N -- ».

  • 32 Ainsi, l’effet est identique si l’on change de sujet « je pensais naguère que... » « il m’arrive d’ (...)

96Cette conclusion argumentative est construite à la fois par la mise à distance énonciative et par les réfutations des positions que le locuteur ne prend pas en charge. Les réfutations seront d’autant plus claires (pour le récepteur) et faciles à élaborer (pour le producteur) que les discours mis en avant seront des discours identifiés comme critiquables et non pris en charge par l’énonciateur principal. Des formules comme « certains affirment que.., des gens disent.... », où l’énoncé asserté est encadré par la monstration d’une énonciation, sont probablement davantage responsables de l’effet de mise à distance que l’emploi du seul indéfini « certains »32. Si la séquence argumentative prototypique n’inclut pas la réfutation comme constituant essentiel, le schéma polémique l’utilise comme un élément fondamental.

97Le deuxième temps du schéma polémique laissé relativement dans l’ombre jusqu’à présent doit être maintenant explicité : Delforce (1991, 452-455) propose trois stratégies possibles pour répondre à la question initiale après l’examen mené dans le premier temps qui, toutes, reposent sur un « oui, mais ».

98« X oui, mais pas tout seul » : par exemple, « la télévision peut être un bon moyen de se cultiver, à condition qu’elle ne conduise pas à cesser de lire, d’aller au cinéma,... ». X (« la télévision ») est mis en série avec d’autres éléments (« la lecture, le cinéma »), le tout étant dominé par un hyperonyme (« la culture ») introduit par le sujet ou l’argumentation.

99« X oui, mais pas tout de X » : par exemple, « regarder la télévision, oui, mais certaines émissions et pas d’autres ». La stratégie est l’inverse de la précédente : X est l’hyperonyme dont on « décline les éléments hyponymes ».

100« X oui, mais pas n’importe comment » : par exemple, la télévision oui, mais à condition d’en user avec des objectifs acceptables. Ce qu’on cherche ici à diversifier, c’est le moyen de culture (ou d’information, etc.) tant au niveau de ses usages (la responsabilité du téléspectateur) qu’au niveau des objectifs qu’on lui assigne (la responsabilité des chaînes).

101Ces quelques précisions sur les mouvements discursifs propres au deuxième temps du schéma polémique montrent qu’il est pensé sous une forme quasiment dialogale, ou plus exactement sous une forme diaphonique pour reprendre les concepts de Roulet et al. (1985, 69 sq.). « Dans une structure diaphonique, l’énonciateur ne se contente pas de réagir, sans la toucher, à une parole présente ou de se référer à des paroles absentes, il commence par reprendre et réinterpréter dans son propre discours la parole du destinataire, pour mieux enchaîner sur celle-ci » (ibid. 71). Le oui mais est ainsi la trace de la reprise et de la réinterprétation du discours antérieur qu’opère le deuxième temps du schéma polémique. Roulet poursuit en disant que « la structure diaphonique est ainsi une des traces privilégiées de la négociation des points de vue qui caractérise toute interaction », négociation qui ne semble pas incompatible avec l’esprit qui régit le discours délibératif.

102En introduction, on a vu que les relations entre argumentation et dissertation étaient multiples. Il me faut préciser, à la fin de cet examen, ce qu’il en est pour une dissertation qui réaliserait le schéma polémique.

103Une telle appellation ne désigne ni une structure psychologique interne aux sujets, une « représentation » au sens cognitif du terme, ni l’objet scolaire que l’on nomme un plan et qui permet de contrôler l’organisation de la surface textuelle. Pour la catégoriser, il faudrait plutôt faire appel à celle d’organisation discursive qui règle les relations entre le tout et les parties, entre le lecteur et le récepteur, et qui peut guider l’activité de conception que l’on a à mettre en œuvre pour réaliser un tel écrit.

104La dissertation polémique apparaît donc comme une forme de raisonnement qui permet de traiter la question posée par le sujet sous une forme différée. Passant par des phases d’examen argumentatif de positions non prises en charge par l’énonciateur principal et des phases de questionnement interne, elle permet de mettre en scène une image du scripteur comme sujet raisonnant, et de proposer au lecteur un parcours délibératif narrativisé allant de questions en réponses insatisfaisantes, jusqu’aux propositions terminales. L’organisation formelle du schéma polémique, dont la finalité n’est pas de rendre compte d’un plan au sens traditionnel du terme, permet de marquer les étapes de ce raisonnement et de les rendre lisibles.

105En tant qu’elle a à voir avec l’argumentation, la dissertation polémique semble faire appel aux mouvements réfutatifs plus qu’aux mouvements concessifs. Fortement marqué par des formes monologales mais diaphoniques, le discours délibératif est finalisé par la formulation d’une position argumentative qui se construit contre ou avec des discours antérieurement présentés et analysés dans les phases d’examen. Ainsi, la dissertation n’a d’argumentatif que ce dont le discours délibératif a besoin pour formuler une réponse à la question initialement posée dans l’énoncé du sujet. L’interaction des « plans d’organisation textuelle » se marque au niveau de ce schéma (non instancié par un « contenu ») par l’interdépendance forte entre la dimension séquentielle argumentative (à dominante réfutative) et la dimension énonciative (diaphonique).

Notes

1 « La dissertation » Pratiques no 68, 1990, Metz, Cresef.

2 Voir l’usage didactique qui peut être fait de cette distinction, ici même chap.v, p. 126.

3 Les récentes instructions définissant les nouvelles modalités de l’épreuve anticipée de français au baccalauréat (BO spécial no 10, 28 juillet 1994) renforcent ce point de vue par la technicité des opérations argumentatives requises : la thèse, implicite ou explicite, généralement issue du texte-support, est à étayer ou à réfuter. Elle est le plus souvent donnée, elle n’est pas à élaborer.

4 Moeschler (1985, 58) emprunte cette citation à Ducrot (1977) « Illocutoire et performatif » repris dans Ducrot (1972, réed. 1991, 279-305). Anscombre et Ducrot (1983) avaient quant à eux opposé de la même manière argumentation et acte d’argumenter.

5 En 1986 le colloque Apprendre/enseigner à produire des textes écrits, Namur, septembre 1986, publié en 1987 chez De Boeck-Wesmael ; en 1987 le numéro 56 de la revue Pratiques « Les types de textes » et le numéro 74 de la revue Langue Française « La typologie des discours » pour ne citer que des références marquantes.

6 D.G. Brassart (1988 b) a produit une analyse de ces diverses schématisations élaborées par J.M. Adam à propos d’un même texte argumentatif (« Mir rose »), article repris dans Brassart (1990 a).

7 J.M. Adam récuse la notion de « typologie des textes » au nom de la trop grande hétérogénéité des textes. Il propose (cf. Adam 1987, 56) de « situer » la syntaxe des grandes masses verbales« au niveau non pas du texte (objet empirique et unité complexe-hétérogène) mais de la Sequence ».

8 Denhière G, Baudet S (1992, 148).

9 Ce qui irait dans le sens d’une séquentialité textuelle, comme le propose Adam.

10 Par exemple : Cette année, le muguet est beau (p) mais il est cher (mais q).

11 Cf. Blanché (1973, 228) : « Peu importe que dans le discours, la thèse soit expressément énoncée dès le début ou qu’elle n’apparaisse que par une construction progressive pour ne se déclarer pleinement qu’à la fin ».

12 Entre parenthèses se trouvent d’autres traductions des termes de Toulmin : warant, backing, réfutation.

13 Il faut remarquer d’ailleurs dans Adam (1992, 106-107) une obscurité qu’il ne me déplaît pas de considérer comme une preuve indirecte de la difficulté d’intégration de la réfutation dans le schéma argumentatif : l’énoncé servant à exemplifier le composant RESTRICTION « la marquise est sotte, prétentieuse, laide, réactionnaire, etc. » est tantôt présenté comme restriction par rapport à un premier enchaînement D1 → C1 (« la marquise a les mains douces ») et prend la forme de « A MOINS QUE la marquise ne soit trop sotte, prétentieuse, jeune/vieille, réactionnaire, inculte pour moi », tantôt utilisé comme données (« Arg-Donnée y [elle est sotte et laide] ») dans un nouvel enchaînement D2 → C2 aboutissant à la « conclusion non-R [je ne l’aime pas] », sans que ce changement de statut soit explicité.

14 Dans cette représentation, les catégories GARANT et SUPPORT ne sont pas prises en compte mais peuvent l’être sans problème.

15 L’emploi de ce topos manifeste « dans la langue » des valeurs argumentatives, ce que Anscombre et Ducrot (1983) réfèrent à l’ascriptivisme, et que Brassart (1987, 310) à leur suite identifie comme « une compétence idéologique ».

16 Voir D.G. Brassart, A. Veevaert (1992 : 11-13) pour une mise au point sur ces notions et une application au cas de l’argumentation comparative.

17 Par exemple « Il n’est pas mort en 85 mais en 86 ». Pour une récapitulation des analyses portant sur les différents mais, voir Schnedeker 1992 b.

18 Cf. M. Kail et J. Weissenborn (1984).

19 Ducrot (1980, 12).

20 La formule est de Plantin (1990, 43).

21 Outre le schéma polémique (ibid. 414-455), il s’agit du modèle problématique (ibid. 455-463), du modèle thématique (ibid. 463-476) et du modèle dit « X (P) » qui serait propre aux sujets littéraires (ibid. 513-549).

22 La notion « plan de texte » désigne plus particulièrement les phénomènes de « spatialisation écrite de la chaîne verbale », donc les indicateurs de segmentation (« changement de chapitre et de paragraphe, titres et sous-titres, mise en vers et strophe, mise en page en général, choix des caractères typographique, ponctuation ») (Adam 1992, 28).

23 Cela peut se faire bien évidemment avant la classe de seconde.

24 Par exemple : Faut-il interdire (faire N) la chasse (de X) ? La chasse (X) est-elle un bienfait (P++) ou un danger (N--) ?

25 Le caractère rebattu des deux sujets pris en exemple ne doit pas surprendre : d’une part, l’argumentation en tant que conduite rhétorique ne peut éviter d’avoir à faire avec les topoï, les lieux communs, les idées partagées par une société à un moment donné de son histoire. E. Landowski (1980, p. 96) montre que la systématicité du discours dissertatif n’est pas sans relation avec les « idées du temps » (ib. p. 193) ; et l’on sait que concernant la chasse et la télévision, les débats sont périodiquement d’actualité. D’autre part, renseignement/apprentissage de ce type de production textuelle peut se permettre de mettre entre parenthèses la question de l’originalité afin de clarifier pour les apprenants les fonctionnements textuels et discursifs des écrits qu’ils sont en train de découvrir. La question de l’inventio peut/doit se traiter en tant que telle, non forcément dans le même moment où se posent les problèmes de production textuelle.

26 Comme exemple d’élasticité textuelle, on pourra se reporter à un article de L’Express analysé selon ce schéma polémique dans Darras et al. (1994, 63-68).

27 Pour une présentation, voir Reboul 1984 ou 1991.

28 R. Blanché (1973, 228).

29 J’ai utilisé la description qu’en font Oléron (1983, 55) et Ducrot (1972, 230). Landowski (1980. 88) utilise également, dans son analyse d’un sujet, le carré des oppositions logiques.

30 S’il en était besoin, un tel exemple militerait contre l’assimilation à des règles logiques des raisonnements de la logique naturelle.

31 J’ai évoqué ce type de préoccupations à propos d’une polarisation de sujet de discussion qui tournait autour de utile/inutile : cf. Delcambre, Darras (1992, 28).

32 Ainsi, l’effet est identique si l’on change de sujet « je pensais naguère que... » « il m’arrive d’affirmer que.. ». L’énoncé « montre une assertion d’assertion » pour reprendre les analyses de Ducrot (1984, 155), c’est cet emboîtement qui produit l’effet de non prise en charge par le locuteur.

Table des illustrations

Titre Schéma 1 : L’étayage argumentatif (d’après Toulmin, 1958/1993)
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Titre Schema 2 : Relation concessive p mais non r (Adam 1992)
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Titre Schema 3 : Auto-enchâssement argumentatif (Brassart 1987)
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Titre Schema 4 : Le carré des oppositions
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/48168/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 48k
Titre Schéma 5 : Relations d’opposition de la logique déontique
Crédits Grize & Piérault-Le Bonniec, 1983
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