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La Côte d’Opale en guerre d’Algérie 1954-1962

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Marc Coppin

Partie III : Les particularismes locaux face à la guerre d'Algérie

Montreuil-sur-Mer, Saint-Omer et l’arrière-pays, plus conservateurs

Texte intégral

1L’espace formé par les 4e et 8e circonscriptions du Pas-de-Calais et les 12e et 13e du département du Nord est moins peuplé et plus rural que le littoral de Boulogne-de-Mer à Dunkerque. Les résultats électoraux montrent un vote plus à droite que dans le reste de la Côte d’Opale. Pourquoi l’Audomarois, le Montreuillois et la Flandre intérieure sont-ils plus conservateur que le littoral ? Souffrant de la guerre d’Algérie comme le reste de la métropole, ces espaces, bien que dotés de personnalités propres, sont unanimes à soutenir la politique algérienne du chef de l’État. Ils le montrent par leurs votes, mais aussi par l’action de leur population.

Des résultats électoraux qui montrent un vote plus conservateur

Un vote à droite ?

  • 1 Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais, 1946-1972, Université de Lill (...)

2Les résultats dans la région de Montreuil montrent une faible représentation du parti communiste, à l’exception d’Étaples qui se situe au niveau du résultat de la 1re circonscription du Pas-de-Calais. Le vote en faveur du PCF est loin de la moyenne départementale qui est de 30,9 %, en particulier dans le canton d’Hucqueliers. La seconde particularité de ces résultats est l’importance du vote poujadiste, sans doute parce que les colistiers de l’UDCA sont originaires de l’arrondissement de Montreuil1.

Doc. 24 : Résultats électoraux du Montreuillois aux législatives de 1956, en %.

Cantons

PCF

Gauche non communiste

Centre droit

UDCA

Campagne

13,3

31,2

21,4

13,5

Etaples

21,4

18,7

28,4

13

Fruges

11,3

27,3

35,3

12,1

Hesdin

12

26,3

27,5

18,4

Hucqueliers

5,1

29,4

39,7

10,2

Montreuil

15,7

23,9

28,5

10,5

Source : Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais.

3La plupart des cantons du Montreuillois dépassent la moyenne départementale de 35,4 % pour la droite. Ils contribuent largement au score de 43,6 % pour la 1re circonscription du Pas-de-Calais.

4Les résultats dans l’Audomarois montrent une domination de la droite dans deux cantons sur trois. Seuls les cantons de Saint-Omer Sud et de Norrent-Fontes accordent majoritairement leurs suffrages à la gauche. La présence de l’industrieuse Arques peut expliquer pour partie ces résultats.

Doc. 25 : Résultats électoraux de l’Audomarois aux législatives de 1956.

Doc. 25 : Résultats électoraux de l’Audomarois aux législatives de 1956.

Source : Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais.

Doc. 26 : Résultats électoraux des Flandres aux législatives de 1956.

Cantons

PCF

Gauche non Communiste

Centre droit

UDCA

Bergues

6.2

38

40,2

5,8

Bourbourg

11,6

40,5

34,6

5

Hondschoote

4,3

39,1

42,4

5,2

Cassel

4,8

34,7

46,9

5,6

Steenvoorde

7,7

29,3

45,3

7,8

Wormhoudt

5,2

29,3

50,9

5,7

Bailleul Ne

11,4

26,5

46,4

7,2

Bailleul So

9

27,2

48,6

6,5

Hazeb. N.

10,8

28,7

40,8

7,9

Hazeb. S.

14,1

28,9

41,6

6

Merville

12,8

30

38,2

9,5

Moyenne

11,2

34

38,4

5,8

Source : Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais.

5Dans la Flandre intérieure, les résultats montrent l’importance du vote pour le centre droit, qui a permis l’élection de Paul Reynaud.

6Le vote de droite est particulièrement important le long de la frontière avec la Belgique, de Bailleul à Wormhoudt et Steenvoorde.

7Avec l’avènement de la Ve République, la Côte d’Opale est redécoupée en huit circonscriptions.

Doc. 27 : Circonscriptions électorales de la Côte d’Opale à partir de 1958.

Doc. 27 : Circonscriptions électorales de la Côte d’Opale à partir de 1958.

Source : Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais.

8La région de Montreuil correspond à la 4e circonscription du Pas-de-Calais, l’Audomarois à la 8e. La Flandre intérieure forme les 12e et 13e circonscriptions du département du Nord.

9Lors des élections législatives des 23 et 30 novembre 1958, l’UNR ne présente pas de candidat dans la 8e circonscription du Pas-de-Calais, ce qui favorise Pierre Guillain, pourtant président du groupe des Indépendants et apparentés au Palais Bourbon, qui s’est rapproché des gaullistes. Il se déclare « entièrement décidé à soutenir l’œuvre de rénovation entreprise par le général » et le considère comme un sauveur pour la République et la France car « sans l’intervention du général, c’est probablement la fin du régime républicain […] que nous aurions eu à déplorer le 13 mai dernier ».

10Pierre Guillain fait liste commune avec un gaulliste authentique, le maire d’Arques Benjamin Catry.

11Les gaullistes ne présentent pas non plus de candidats dans la 12e circonscription du Nord, ce qui favorise l’indépendant Paul Reynaud qui est élu avec des scores partout supérieurs à 50 % sauf dans le canton de Bourbourg.

Doc. 28 : Résultats électoraux des 12e et 13e circonscriptions du Nord, législatives de 1958.

Doc. 28 : Résultats électoraux des 12e et 13e circonscriptions du Nord, législatives de 1958.

Source : Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais.

12Dans la 13e circonscription, c’est Auguste Damette qui est élu, sous l’étiquette de l’UNR.

  • 2 Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais, 1946-1972, Université de Lill (...)

13Dans la région de Montreuil, c’est-à-dire la 4e circonscription du Pas-de-Calais, c’est Charles Delesalle, ancien ministre, qui est élu, sous l’étiquette de l’Entente démocratique2. L’UNR réalise son meilleur score dans les cantons de Montreuil et d’Étaples avec respectivement 15,1 et 20 %. Le canton le plus centriste est celui d’Hesdin avec 55,9 % des voix contre seulement 3,9 % pour l’UNR.

14Le vote à droite et au centre est donc bien affirmé dans l’arrière-pays, dans la Flandre, l’Audomarois et le Montreuillois.

Des facteurs explicatifs historiques et religieux

15Un premier facteur explicatif de ce vote conservateur est à rechercher dans l’histoire économique, avec l’absence d’industrialisation dans des villes comme Saint-Omer, Hesdin, Montreuil, Bergues, Bailleul. De cette absence, les populations citadines ont hérité de mentalités conservatrices, en particulier chez hauts fonctionnaires, surtout les magistrats, les officiers, et chez les négociants, les notaires, avocats, médecins.

  • 3 Bethouart B., « Le littoral depuis la Libération : son évolution politique », Bulletin historique e (...)

Ces catégories sociales vivent en milieu clos, pratiquent l’endogamie, s’attachent à la préservation du patrimoine et du prestige social. Ces milieux éprouvent peu d’intérêt pour les risques industriels, font confiance à la terre ou au diplôme même si un clivage entre laïcs et cléricaux les différencient3.

  • 4 Delattre C., Les droites à Saint-Omer depuis 1945, op. cit.

16Le second facteur explicatif est religieux. Alors que le taux de pascalisants en 1948 n’est que de 14,4 % à Calais, ce taux atteint 27,8 % pour Montreuil et 54,7 % à Saint-Omer4. Ce décalage se retrouve également au niveau des messalisants. Si 48,1 % des Audomarois vont à la messe au moins une fois par mois en 1962, ce taux est à peine à 25 % à Boulogne-sur-Mer. Pour l’ensemble du diocèse d’Arras, les messalisants ne sont 20,8 % à cette date. Notre-Dame, le Haut-Pont et Saint-Sépulcre sont trois paroisses de Saint-Omer où les dons pour le denier du culte sont les plus importants du diocèse. Saint-Omer apparaît comme une « forteresse des droites », fief contre-révolutionnaire, elle refuse la grande industrialisation et cultive une culture conservatrice basée notamment sur la tradition religieuse catholique.

Des espaces géographiques et politiques divers touchés par la guerre d’Algérie

L’Audomarois

  • 5 Nord Matin, 6-7 mars 1955, p. 2.

17Plusieurs personnalités politiques, de gauche comme de droite, sont issues de cette région. Bernard Chochoy, né en 1908, est instituteur et membre de la SFIO. En 1937, il est élu conseiller général du canton de Lumbres et va le rester jusqu’en 1945. En novembre 1946, il est conseiller de la République et devient maire de Lumbres en 1947. Au Conseil de la République, Bernard Chochoy demande la libération des hommes du contingent 1953/2 ayant accompli 15 mois de service5. Une nouvelle intervention à la chambre haute sur le même thème est publiée le 16 mars. Sous le gouvernement de Guy Mollet, il est nommé secrétaire d’État à la Reconstruction et au Logement ; à l’Industrie et au Commerce dans le ministère Bourgès Maunoury.

18Après des études secondaires au collège public de Calais et des études de droit à Lille, Henri Collette devient en 1950 notaire à Licques. Il incarne l’élu gaulliste qui s’impose lors du retour du général de Gaulle. Dès 1958, il est élu député dans la 6e circonscription du Pas-de-Calais face à Henri Henneguelle, le maire de Boulogne. Il devient maire de sa commune à partir de 1959.

  • 6 Delattre C., op. cit.
  • 7 Ibidem.

19Pierre Guillain, indépendant, né en 1904 à Armentières, négociant, maire depuis 1953 et conseiller général de Saint-Omer. Élu député en 1958 sous une étiquette gaulliste, il devient pourtant membre du CNIP l’année suivante6. Les sympathisants de la majorité présidentielle emmenés par Michel Persyn accusent Pierre Guillain de trahison et décident de former leur propre liste. L’élection municipale de 1959 offre donc aux Audomarois un exemple de la rivalité entre gaullistes et centre-droit. Le premier tour, fixé au 8 mars, se transforme en un réel plébiscite pour Pierre Guillain et sa liste de « Rassemblement des Républicains pour la défense des intérêts communaux ». Il obtient 48,5 % des voix contre 18,6 pour les gaullistes. L’ensemble des votes de droite représente donc 67,1 %7. Profitant du report des voix gaullistes, Pierre Guillain est facilement réélu et installé dans ses fonctions le 22 mars.

20Comme toutes les autres communes de l’agglomération audomaroise, Saint-Omer voit mourir plusieurs de ses enfants pendant le conflit.

Doc. 29 Nombre de décès de l’agglomération audomaroisedu fait de la guerre d’Algérie.

Lieux de résidence

Nombre de morts

Arques

2

Campagne-les-Wardrecques

1

Eperlecques

2

Longuenesse

2

Saint-Omer

10

Saint-Martin-au-Laert

1

Tilques

1

Source : FNACA Nord et Louis Mortreux.

  • 8 Procès-verbal des délibérations du conseil municipal de Saint-Omer, 7 octobre 1955.

21Sur les 19 morts que compte l’agglomération, la moitié est originaire de la capitale audomaroise. Le conflit algérien est évoqué lors des délibérations du conseil municipal. Le problème est que l’évocation de la situation en Afrique du Nord relève du domaine politique. Or, si l’article 61 de la loi de 1884 permet aux membres du conseil d’émettre des vœux sur tous les sujets d’intérêt local, l’article 72 interdit d’émettre des vœux politiques. Ainsi, lorsque M. Pelcat, conseiller d’opposition SFIO, demande au maire l’autorisation de soumettre un vœu à l’approbation du conseil municipal, un vœu demandant la cessation immédiate des hostilités en AFN, Pierre Guillain demande à ses collègues de se prononcer sur le caractère politique du vœu. À la suite d’un scrutin à mains levées, par 16 voix contre 5, ce caractère est reconnu. Le maire oppose alors à sa mise en discussion les dispositions de la loi de 18848.

22Pierre Guillain, comme tous les autres maires de la Côte d’Opale, est confronté à la détresse des familles des appelés, rappelés ou maintenus en Algérie. Il intervient en faveur des épouses des rappelés en avril 1956.

  • 9 Idem, 13 avril 1956.

M. le Maire, regrettant que la collectivité, qui procède à ces rappels laisse aux municipalités la préoccupation du sort des familles des rappelés, informe ses collègues que, sans attendre une réunion du conseil municipal dont il était certain par avance de l’approbation, il a demandé au Bureau d’Aide Sociale de prendre les dispositions nécessaires9.

  • 10 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 23 septembre 1959, « une ».
  • 11 Idem, 15 octobre 1960, p. 3

23Les positions de Pierre Guillain envers le général de Gaulle ou la guerre d’Algérie, reçoivent parfois les honneurs de la presse. L’Indépendant du Pasde-Calais, est un bi-hebdomadaire paraissant le mercredi et le samedi. Fondé en 1849, la rédaction et l’administration se situent 14 rue des Clouteries, à Saint-Omer. Les éditoriaux sont fréquents sur l’Algérie et toujours favorables à l’action que la France y mène. Ainsi le 17 janvier 1959, un éditorial de Noël Devos, « Les défaitistes », s’en prend aux intellectuels engagés dans L’Express, France– observateur, Témoignage chrétien. Lors de sa visite à Saint-Omer, le général de Gaulle est « L’homme qui incarne le patriotisme »10. Lors de la semaine des barricades, les éditoriaux sont en faveur de l’association, jamais pour les ultras ou les indépendantistes. Le rôle civilisateur de la France est mis en avant et le clergé audomarois qui s’exprime dans ses colonnes, ne doute pas « de la cause sacrée qui est ainsi défendue par notre patrie »11 en Algérie.

24Le journal critique très sévèrement les réseaux de soutien à la cause des indépendantistes algériens.

  • 12 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 1er novembre 1960, « une ».

[…] Tandis que notre armée combat en Algérie, continue son œuvre de pacification et traque les tueurs, nous voyons fleurir en France des réseaux qui prennent ouvertement fait et cause pour le FLN et son gouvernement fantôme, impriment des journaux clandestins, publient des appels à la désertion et à l’insoumission au service militaire, collectent des fonds importants qui servent à procurer aux fellaghas des armes qui tuent nos soldats, les civils européens ou les musulmans fidèles à la France.
Tous les Français soucieux de l’indépendance de la Patrie, et du patrimoine national, demandent que les traîtres qui se font les apologistes du terrorisme et de la violence, les complices des rebelles, soient recherchés activement et châtiés avec vigueur, que la presse de trahison et que la presse d’abandon soient mises hors d’état de nuire. Comme pendant la guerre où nous avons connu une cinquième colonne et des organisations pronazies composées de Français traîtres à la Patrie, depuis la Libération, une « intelligentsia » d’inspiration totalitaire essaie de saper le moral de la nation, de monter les esprits contre le pouvoir établi, de créer un climat de guerre civile, d’anarchie et, en fin de compte, d’instaurer une démocratie populaire en France12.

25Les Français qui aident le FLN sont considérés comme des traîtres à la patrie, une 5e colonne communiste.

26Mais L’Indépendant du Pas-de-Calais n’est pas pour autant un journal pro-Algérie française. Dans un éditorial intitulé « Les graves événements d’Algérie », il dénonce le mythe de l’intégration.

  • 13 Idem, 14 décembre 1960.

L’intégration est un mythe. Même le 13 Mai 1958 elle était un mythe. Les Français d’Algérie sont favorables à l’intégration pour une seule raison : C’est à leurs yeux la seule solution qui préserverait leurs droits et leurs intérêts […] Il reste bien une quatrième solution. Elle n’est pas nouvelle. Le chef de l’État lui-même a déjà laissé entendre qu’elle pouvait être une solution ultime : c’est le partage de l’Algérie […] Certes le F. L. N. n’accepterait pas cette solution. Mais du jour au lendemain, le fellagha ne serait plus sur notre territoire un « brave rebelle » mais un ennemi violant nos frontières ou un traitre à la solde de l’étranger. Nous n’aurions plus à avoir mauvaise conscience ! […]On ne peut se demander si la sécession n’est pas la meilleure solution13.

27La position est radicale, il faut jeter le masque de la prétendue fraternité franco-musulmane pour mieux identifier l’adversaire et le combattre.

  • 14 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 7 et 14 janvier 1961.

28C’est dans les colonnes de L’Indépendant du Pas-de-Calais que Pierre Guillain déclare : « OUI à l’autodétermination, NON à l’Algérie indépendante »14.

Après avoir déclaré officiellement que j’entendais ne pas prendre parti dans le vote à émettre dans la 8e Circonscription du Pas-de-Calais que je représente au Parlement, j’ai, ce qui n’était nullement inconciliable, porté à la connaissance de mes administrés audomarois, à la veille du scrutin, sur la demande du journal local que, personnellement je ne pourrais cautionner par un « oui » une politique que je considérais comme mauvaise.

29Dans une réponse à un tract du PCF, Pierre Guillain reconnaît ses sympathies et son anticommunisme.

  • 15 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 25 janvier 1961, p. 2.

J’aurai parait-il eu le tort de nommer dans une récente interwiew, le bachaga Boualam : je n’ai pas à cacher qu’entre cette noble figure de musulman dont les sacrifices à l’égard de sa patrie française ne se comptant plus et le traitre MAILLOT homme du parti communiste, dit Français, c’est au premier que va ma sympathie15.

Le Montreuillois

  • 16 Baudelicque P., Histoire d’Étaples des origines à nos jours, Tome II, Imprimerie de Moulin, 62170 S (...)

Jamais le soutien des Étaplois ne fit défaut à celui qui, de Londres, pendant les années de guerre, avait incarné la résistance du peuple français à l’oppresseur, à celui qui avait sorti le pays de l’abîme et qui était en train de restaurer la grandeur nationale. Dès son retour au pouvoir en 1958, il put compter sur leur attachement le plus loyal, le plus indéfectible16.

  • 17 Idem.

30Le 28 septembre 1958, la participation au référendum atteignit le taux record de 85 % et le « oui » au projet l’emporta avec 80 % des suffrages exprimés. L’arrondissement de Montreuil se prononça pour le « oui » à 85,70 % ; le canton d’Étaples à 84,80 %. Dans la ville même d’Étaples, enfin, le « oui » l’emporta avec 82,21 % des voix. Pour les législatives des 23 et 30 novembre 1958, le vote de droite est important. À Étaples, Marcel Béraud, candidat gaulliste, arrive en tête de ses cinq adversaires mais ce fut finalement Charles Delesalle qui remporte la lutte au second tour dans la 4e circonscription17.

31L’agglomération montreuilloise n’est pas épargnée par les pertes de soldats en Algérie. Curieusement, la ville de Montreuil elle-même n’a pas à souffrir de victimes, ce sont les plus petites communes alentour qui enregistrent des morts.

Doc. 30 : Nombre de décès de l’agglomération montreuilloise du fait de la guerre d’Algérie.

Lieux de résidence

Nombre de morts

Campigneulles-les-Grandes

1

Ecuires

1

Estréelles

1

La Madeleine-sous-Montreuil

1

Nempont-Saint-Firmin

1

Recques sur Courses

1

Source : FNACA Nord et Louis Mortreux.

  • 18 Procès-verbal des délibérations du conseil municipal de Montreuil, 15 janvier 1960.

32Le maire de Montreuil est alors Pierre Ledent, élu sans étiquette mais classé à droite, et réélu en 1959. Sur proposition de M. Jouvenaux et de trois de ses collègues, adjoints, le maire décide, en janvier 1960, de donner à la Grand’Place le nom de « Place du Général de Gaulle »18. Le résultat du vote est de 14 voix pour, trois contre et deux abstentions. Le maire justifie sa proposition en choisissant de donner « le nom du général de Gaulle qui fût l’âme de la résistance française en 1940 et qui, par son action, contribua à sauvegarder nos libertés ».

33Le Journal de Montreuil est un hebdomadaire de quatre pages paraissant le dimanche. Le directeur de la publication est J. Henry et les éditoriaux sont signés M.L. Sa lecture est éclairante sur l’état d’esprit de la population montreuilloise. Lors de la crise du 13 mai 1958, le journal déplore le vocabulaire utilisé.

  • 19 Le Journal de Montreuil, 25 mai 1958.

Il a été beaucoup parlé des « généraux factieux ». Et le mot continue encore à être employé, à l’endroit des généraux Salan et Massu, par les hommes politiques et journaux d’extrême-gauche […] Il est regrettable que le gouvernement ait mis six jours à se convaincre du loyalisme des deux généraux19.

34L’éditorialiste semble choqué que certains aient pu également douter du loyalisme du général de Gaulle.

Mais n’eut-il pas suffit de se souvenir de la déclaration maintes fois faite par l’ancien libérateur du territoire qu’il n’accepterait, en aucun cas, de revenir au pouvoir en dehors de la légalité républicaine, et sans y avoir été appelé par le Président de la République.

35À l’issue de la crise, le journal ne montre aucun regret de voir disparaitre la République née en 1946.

  • 20 Idem, 8 juin 1958.

[…] le seul dégât pourrait n’être que la fin de la IVe République – dont le bilan n’est pas bien fameux – et son remplacement par une Ve, basée elle aussi sur le suffrage universel, maintenant la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, et séparant (enfin) nettement les pouvoirs du législatif et de l’exécutif. Ainsi la France se tirerait de cette crise, non seulement à bon compte, mais avec profit20.

36À propos de « L’insurrection d’Alger » de janvier 1960, l’éditorialiste du Journal de Montreuil déduit :

  • 21 Le Journal de Montreuil, 31 janvier 1960.

que l’opinion métropolitaine a été systématiquement trompée, depuis 4 mois, sur l’importance de l’opposition des Français d’Algérie à l’autodétermination : celle-ci ne nous était présentée que comme le fait d’une petite minorité d’ultras ! Or, la sympathie dont bénéficient les « insurgés », montre que cette opposition est générale […]
Un journal anglais écrit : « La situation de de Gaulle est devenue aussi inconfortable que celle de Pflimlin, après le 13 mai. » Une différence cependant : en mai 1958 la France métropolitaine était en majorité en sympathie avec Alger. Aujourd’hui, pas…21

37Cette analyse est originale sur la Côte d’Opale car jamais les « ultras » ne sont considérés comme majoritaires au sein de la population européenne d’Algérie. Elle montre aussi que la « semaine des barricades » détache de l’opinion métropolitaine une part grandissante de personnes jusque-là plutôt favorables au maintien de l’Algérie française.

38La limite est franchie en avril 1961 pour le journal qui titre : « Le Rubicon ».

  • 22 Idem, 30 avril 1961.

Au 13 mai 1958, l’armée d’Algérie avait trempé ses bottes dans le Rubicon. Le 24 janvier 1960, ses éléments de pointe étaient à nouveau venus sur sa rive, devant les barricades. Samedi dernier, 22 avril, ils l’ont cette fois franchi […] Devant la gravité de la situation créée, nous nous tiendrons, comme au 13 mai, à un strict exposé des faits, sans commentaire.
Tout est bien qui finit bien […] Il ne reste plus aux ménagères, qui avaient fait des stocks de vivres, qu’à manger leurs conserves. Et, pour la France, l’humiliation d’avoir, pendant ces quatre journées de pronunciamento, fait figure d’être tombée au niveau de Cuba22.

39Le Journal de Montreuilse veut objectif dans son commentaire. Il faut dire qu’en tant qu’hebdomadaire il bénéficie du recul nécessaire, son éditorialiste n’écrit pas à chaud sur l’événement, il se prononce plusieurs jours après la fin d’une crise somme toute assez courte. Ce que le journal retient c’est l’humiliation du pays. La fibre nationale est touchée, par cette tentative de coup d’État militaire, la France s’est abaissée au rang des fragiles pays émergents, issus du mouvement de décolonisation.

40Cette vision est partagée au Touquet-Paris-plage. Avant de lever la séance du conseil municipal, le Docteur Pouget évoqua les événements d’Algérie.

Des esprits égarés par des soucis patriotiques que nous ne comprenons pas, dit-il, se sont engagés dans la rébellion et compromettent ainsi les intérêts du pays.

41Et le maire du Touquet de déclarer que les soldats du contingent ont été confiés à l’armée pour une mission de grandeur et non de division.

  • 23 Le Journal de Montreuil, 7 mai 1961.

Ainsi, dit-il, devons-nous souhaiter que l’œuvre entreprise par le Général de Gaulle, soit menée à bien et que les brebis égarées reviendront au bercail. Je forme le vœu que, demain, nous puissions repartir vers un avenir sérieux, car on ne peut admette que l’autorité du Général de Gaulle soit battue en brèche, aussi lui adressons-nous l’hommage et le témoignage de reconnaissance de la Ville du Touquet23.

42Après les accords d’Évian de mars 1962, l’éditorialiste du Journal de Montreuil revient sur le bilan de ces longues années de guerre.

  • 24 Idem, 25 mars 1962.

Le ministère de la Guerre a publié, ces derniers jours, un bilan des pertes françaises depuis le début de la rébellion, soit, en 7 ans, 4 mois et 18 jours. En s’en tenant aux seuls morts, le pourcentage quotidien a été de 7 tués pour l’ensemble des soldats d’origine métropolitaine, de la Légion et des soldats musulmans ; entre 4 et 5 pour ceux d’origine française, seuls […] Il est possible que cela ne pouvait être évité. Quand même, cette perte de l’Algérie, après celle de l’Indochine, du Maroc, de la Tunisie et de toutes nos ex-colonies noires, c’est un nouveau et très dur sacrifice pour notre pays. Qu’il paraît vain de camoufler en déclarant que c’était la vocation de la France de conduire l’Algérie à l’indépendance et d’y guider ses premiers pas24.

43Après le coût humain de la guerre, l’accent est mis à nouveau sur l’abaissement national. La conclusion est un refus de cautionner la vision officielle de l’émancipation algérienne, même si le chef de l’État n’est pas nommé.

44Pour cette partie de la Côte d’Opale, le ton de la presse est patriote, sensible à la grandeur nationale, sans pour autant aller jusqu’à défendre ceux qui franchissent les limites de la loi ou les irréductibles d’Alger.

La Flandre intérieure

45Paul Reynaud est ici une figure politique incontournable, qui prend fréquemment position à l’Assemblée nationale sur l’Algérie. Ainsi, à la fin du mois de janvier 1956, il intervient à quelques jours de la visite de Guy Mollet.

  • 25 Table nominative de l’Assemblée nationale. Retranscription de la séance du 31 janvier 1956.

[…] Nous commençons à le voir très clairement, nous sommes en guerre contre un ennemi unique : l’Islam, capitale Le Caire […] En Algérie la situation est pire. Elle est pire car il n’y a en Algérie, ni un Bourguiba, comme en Tunisie (Exclamations à gauche), ni un Mohammed Ben Youssef, comme au Maroc (nouvelles exclamations sur les mêmes bancs) qui sont le symbole des aspirations nationales et avec qui on puisse traiter. (Rires sur plusieurs bancs à gauches.)
Alors, quelle solution ? Une fédération ? Une fédération suppose une tête. Cette tête c’est la France. Il faudrait que la France fut une nation forte, sachant ce qu’elle veut, quasi unanime pour le vouloir et fortement gouvernée ; sinon, la fédération, c’est la sécession ! […] Nous n’oublions pas, mes amis et moi, qu’elle que soit la décision qu’ils prendront tout à l’heure, que ce débat ne porte pas seulement sur l’investiture d’un Gouvernement, il porte aussi pour la France25.

46Paul Reynaud recense deux problèmes. Le manque de représentativité du FLN, sans véritable leader prêt à la négociation et bras armé du Caire et du nationalisme arabe, et l’importance des réformes qui supposent un gouvernement fort.

47Lors du vote des pouvoirs spéciaux, le 12 mars 1956, Paul Reynaud intervient en faveur de l’envoi massif de soldats en Algérie.

Plus vous aurez d’hommes en Algérie et moins le sang coulera, le sang français et le sang des amis de la France. Au Gouvernement, je dis donc : si vous refusez de faire la politique qui s’impose, alors négociez tout de suite, car la situation se dégradera rapidement. Aussi je vous demande, monsieur le Président du conseil : êtes-vous décidé à cette action militaire immédiate et massive ?

48Le député de la 1re circonscription électorale du Nord se montre en cette occasion très conservateur en matière d’égalités des droits entre les différentes populations d’Algérie.

  • 26 Table nominative de l’Assemblée nationale. Retranscription de la séance du 12 mars 1956.

Second point : je n’admets pas que la formule du collège unique, que vous avez annoncée en tête des réformes politiques, soit appliquée, tant je la crois injuste. Je ne l’admets pas, parce qu’elle signifie l’éviction des Français.
Or le but de notre combat est précisément de préserver la présence française pour le bien de l’Algérie tout entière, musulmans compris. Pour cela, il faut établir l’équité, l’équité pour tous. Comment le faire sans tenir compte du fait qu’il s’agit d’une situation unique au monde ? Je défie, en effet, que l’on trouve dans le monde entier une situation semblable à celle de l’Algérie avec ses deux communautés. Il y a un peuple d’un million de Français pour qui l’Algérie Française c’est la patrie. Ce ne sont pas des voyageurs de passage, ce sont eux qui font vivre l’Algérie. Allons-nous en faire des étrangers dans leur patrie ?26

49Quelques semaines après le discours sur l’autodétermination, Paul Reynaud intervient une nouvelle fois.

  • 27 Table nominative de l’Assemblée nationale. Retranscription de la séance du 14 octobre 1959.

Mesdames, messieurs, le régime subit aujourd’hui sa première épreuve. Sous les régimes antérieurs, nous n’aurions sans doute pas eu, nous n’aurions même certainement pas eu ce débat aujourd’hui. Mais peut-être aurions-nous eu devant la perspective d’une longue guerre, telle que celle de l’Indochine, où la France apparaissait comme se refusant à l’effort matériel nécessaire à la victoire militaire, mais en même temps comme dépourvue du courage moral nécessaire à un règlement politique.27

50Paul Reynaud soutient l’action du général de Gaulle en soulignant l’adhésion populaire à la politique du chef de l’État, en soulignant le caractère démocratique des nouvelles institutions dont il est à l’origine, qui permettent un véritable débat, et en soulignant la différence avec l’attitude de la IVe République vis-à-vis de la situation en Indochine.

  • 28 Voir liste en annexe.

51La peur d’un long conflit s’explique aussi par le poids grandissant des morts, 14 pour la seule agglomération d’Hazebrouck. Les autres villes ou bourgs des Flandres intérieures sont également touchés par le conflit en Algérie. Des victimes sont dénombrées jusque dans les plus petites communes rurales28.

52Trois espaces géographiques différents, riches de personnalités politiques affirmées, et qui souffrent de la guerre mais qui, tous, dans les moments de crises graves liés à la guerre d’Algérie, apportent un soutien à l’action du général de Gaulle.

Mais une unité dans l’approbation de la politique algérienne du général de Gaulle

1959 : le voyage du général de Gaulle

53Entre le 1er juin 1958 et le 1er juillet 1962, le général de Gaulle effectue 25 déplacements dans 84 départements métropolitains. Ces déplacements, joints aux conférences de presse et aux allocutions radiotélédiffusées forment une stratégie de communication innovante, très pédagogique. Les voyages en province permettent un contact direct avec la population, avec l’opinion française. En septembre 1959, il se rend dans le Nord-Pas-de-Calais, quelques jours après son discours sur l’autodétermination. C’est le premier voyage qu’il effectue après son allocution du 16. Il teste et diffuse ses idées auprès du peuple français, à chaque halte de son parcours.

54La visite du général de Gaulle est préparée par le conseil municipal de Montreuil, 1re étape de la visite présidentielle, en sa séance du 21 septembre 1959. La venue du chef de l’État est prévue pour le 24 septembre. « Au cours de cette réception M. Le Maire […] offrira à M. le Président de la République un objet d’art en témoignage du déférent hommage de la population Montreuilloise ». Et Pierre Ledent de tester devant ses collègues l’allocution qu’il a préparée à cette occasion.

  • 29 Procès-verbal des délibérations du conseil municipal de Montreuil, 21 septembre 1959.

Je vous adresse […] l’hommage de notre indéfectible reconnaissance […] Et aujourd’hui, Monsieur le Président, comme à tous les Français, vous nous avez rendu l’espoir de voir enfin renaître une France rénovée, respectée et libre. Pour nous aider à accomplir cette tâche immense, nous sommes tous derrière vous, Monsieur le Président, et, comme aux temps sombres de la guerre, nous ne faillirons pas à notre devoir29.

  • 30 Delattre C., op. cit.
  • 31 Procès-verbal des délibérations du conseil municipal de Saint-Omer, 25 septembre 1959.

55L’après-midi, il est à Saint-Omer où la nouvelle constitution a été adoptée à près de 89 % un an plus tôt30. Le conseil municipal se réunit au lendemain de la visite présidentielle. Avant que ne soient examinées les affaires du jour, Pierre Guillain évoque la journée de la veille. « La presse a parlé d’apothéose et ce terme ne paraît pas excessif31 ».

Doc. 31 : Carte du voyage du général de Gaulle dans le Nord et en particulier sur la Côte d’Opale.

Doc. 31 : Carte du voyage du général de Gaulle dans le Nord et en particulier sur la Côte d’Opale.

Source : La Voix du Nord.

En 1960 et 1961

56Les témoignages de confiance au général de Gaulle abondent pendant la semaine des barricades à l’exemple du conseil municipal de Nieppe qui se réunit le vendredi le 29 janvier, sous la présidence de M. Jules Houcke, maire et ancien président du comité départemental de Libération du Nord, membre du comité directeur de La Voix du Nord, pour entendre le discours du Président de la République. Après l’avoir écouté, le conseil décide de lui envoyer le message suivant :

  • 32 La Voix du Nord, 30 janvier 1960, p. 3.

Le conseil municipal de Nieppe, conscient de tout ce qui est en cause touchant l’inestimable patrimoine que le Général de Gaulle a su conserver à la France, par son courage, sa ténacité, sa fermeté et sa foi patriotique, lui renouvelle, en cette heure dramatique, son indéfectible confiance.
Conscient aussi du drame intérieur qui doit le déchirer si peu de temps après le deuil qui l’a si cruellement frappé, l’assure de toute sa déférente affection.
Sachant qu’il est, par son passé, le seul homme en France à pouvoir assurer, dans l’ordre, la discipline, et le calme, la légitimité de l’État qui est plus que jamais indispensable, espère et souhaite ardemment que son ultime appel sera entendu et mettra fin au drame douloureux que traverse l’Algérie.
Le cœur, le bon sens, et la raison se rejoignent pour convenir que c’est la seule issue qui préservera l’Algérie terre française, des plus grands malheurs que puissent connaître les peuples libres32.

57Jules Houcke rend là un vibrant hommage à l’homme de cœur et de caractère, ainsi qu’à son action pour la sauvegarde de l’autorité de l’État et sa politique algérienne.

58La ville de Bergues apporte son soutien le 28 janvier 1960.

  • 33 AD du Nord, 142244, document soumis à dérogation.

Le Conseil Municipal de Bergues réuni le 28 janvier 1960 renouvelle à Monsieur le Président de la République l’assurance de sa foi et de son attachement aux institutions républicaines et lui fait confiance pour faire rétablir l’ordre en Algérie et maintenir l’autorité de l’état à laquelle tous les citoyens français, quels qu’ils soient, doivent se soumettre33.

59La petite commune des Moëres fait de même le lendemain, en adressant une « Motion de confiance et de fidélité au Général de Gaulle, Président de la République Française, Président de la communauté ».

Le Conseil Municipal de la Commune de les Moeres réuni en Assemblée Générale le vendredi 29 janvier 1960, à 19 heures, vote à l’unanimité de ses Membres présents une motion de fidélité et d’attachement au Général de Gaulle, Gardien du Patrimoine Français.
Fait confiance au Président de la République, dans ces heures pénibles qu’il traverse avec la France, pour mener à bien les destinées du pays.
Prie respectueusement le chef de l’État d’être assuré du fidèle attachement de la Commune.

  • 34 Baudelicque P., op. cit.

60Dans l’Audomarois, comme dans la ville d’Étaples, le soutien à l’action du général de Gaulle se perçoit dans les résultats au référendum de 1961. L’Indépendant du Pas-de-Calais titre en « une » le 11 janvier 1961 : « 85,5 % de OUI dans l’arrondissement ». La ville d’Étaples, quant à elle se prononça aussi pour le oui avec une majorité de 83 % des suffrages34.

61« Et maintenant… » titre le journal après la proclamation des résultats.

  • 35 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 14 janvier 1961, « une ».

Le référendum n’a nullement fait prévaloir la recherche d’une paix à tout prix […] Je ne pense pas, par exemple, que mes compatriotes de la Haute-Savoie admettent à 88 % des votants que soit larguée une Algérie où les chasseurs de la 27e division d’infanterie alpine se battent pour la cause française. Je n’imagine pas non plus que les populations du Haut-Rhin aient donné plus de 90 % de leurs suffrages à l’abandon des Alsaciens émigrés en 1871 et dont le sort dépend de l’arbitrage français.
[…] On commettrait donc une erreur dramatique en interprétant le oui du 8 janvier comme un oui de braderie […] Le chef de l’État se trouve nanti d’une majorité qui laisse en arrière le pouvoir d’appréciation du Parlement […]35.

62Le putsch d’avril 1961 entraîne un élan de confiance des élus et des partis politiques vis-à-vis du chef de l’État. Le passé de résistant transparaît dans le télégramme que Jules Houcke envoie.

18 juin 1940-23 avril 61 : Répondons au même appel avec même ferveur et même certitude de servir la patrie et défendre la République sous les ordres du Général de Gaulle. Pour le conseil municipal de Nieppe. Jules Houcke.

63Le Conseil général du Pas-de-Calais demande le châtiment des chefs insurgés.

  • 36 La Voix du Nord, 25 avril 1961, p. 2.

Dans une séance publique, Le Conseil général du Pas-de-Calais, qui tient actuellement sa première session de l’année, a voté par 35 voix pour 35 votants, sept conseillers s’étant abstenus de participer au scrutin, une motion condamnant comme un crime contre la France et contre la paix, l’actions des chefs militaires félons, qui risquent d’entraîner les jeunes du contingent qui sont sous les drapeaux au seul service de la nation, à participer à une folle aventure. Il demande au Général de Gaulle de tout mettre en œuvre pour qu’au plus tôt soit brisée l’action factieuse où qu’elle se situe et que soit promptement mis hors d’état de nuire et châtiés, comme ils le méritent, tous ceux qui auront voulu porter atteinte aux institutions démocratiques et à l’unité de la patrie36.

64Le conseil municipal d’Étaples, au cours de sa réunion du 24 avril, vote la motion suivante :

  • 37 Baudelicque P., op. cit.

Après discussion, le conseil municipal, à l’unanimité, partageant l’émotion et l’inquiétude générales provoquées par le coup de force militaire d’Alger qu’il réprouve vivement, déplore que ce mouvement ait été favorisé par une indulgence excessive dont ont été marqués les jugements rendus contre les insurgés de 1960, condamne tout initiative de caractère insurrectionnel de la part des chefs militaires dont la mission est de servir la nation et exclusivement aux ordres des représentants légaux du Peuple Français, demande avec force que des dispositions et des mesures contre les factieux soient prises par le gouvernement pour la défense et la protection des institutions et de la légalité républicaines et en vue de l’instauration urgente en Algérie d’un régime de paix loyalement négociée, fait confiance au général De Gaulle, Président de la République, pour mener à bien ces réalisations comme il s’y est engagé37.

65L’action du chef de l’État est cautionnée mais la clémence de la justice à l’égard des activistes de la semaine des barricades est clairement mise en cause.

66L’inquiétude est grande dans la région et La Voix du Nord publie même la carte des principaux aérodromes de la Côte d’Opale, sites stratégiques à bloquer pour empêcher l’arrivée des parachutistes d’Alger. Deux sont particulièrement importants, Le Touquet dans le Montreuillois, et Merville dans les Flandres.

67Comme sur le reste du littoral, les rapports de police font état de la mobilisation des enseignants.

  • 38 AD du Pas-de-Calais, 1W23338. Document soumis à dérogation.

L’ensemble du personnel d’enseignement et de surveillance du lycée de Montreuil-sur-Mer :
Dénonce avec indignation la rébellion déclarée de certains éléments de l’armée épaulés par des agitateurs en Algérie et en Métropole.
Dénonce le caractère prétorien de l’insurrection de généraux s’appuyant sur des unités de la Légion Étrangère.
Considère que ce complot a pour objectif d’empêcher les négociations avec le GPRA et d’installer en France un régime fasciste.
Demande des sanctions exemplaires à l’égard des factieux, quels qu’ils soient…
Demande aux syndiqués de se considérer en état d’alerte afin de répondre par toute action jugée utile à ces menées fascistes.
Montreuil-sur-Mer, le 24-4-196138

  • 39 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 26 avril 1961, p. 3

68La grève de protestation est très bien suivie dans l’Audomarois. L’Indépendant du Pas-de-Calais du 26 avril 1961 parle d’une grève « suivie par la quasi-unanimité des salariés de la région de Saint– Omer et notamment dans les usines de la vallée de l’Aa. Pour l’industrie du papier – carton, le nombre des grévistes atteignait 100 %, aux fonderies Martel de Saint-Omer 95 % ». Des délégations se rendent en sous-préfecture pour y déposer des motions signées par l’Union régionale des syndicats CGT – FO de l’industrie du papier – carton, avec MM. Goffin et Blanc, et l’Union locale des syndicats FO avec MM. Caroulle et Lecreux. Des interruptions de travail dans les services publics sont également signalées39.

69À l’issue du putsch, L’Indépendant du Pas-de-Calais s’interroge sur le maintien des pouvoirs spéciaux, sous la plume de Georges Riond :

  • 40 Idem 3 mai 1961.

Il n’est pas acceptable, par exemple, de voir des partis dont les militants sont bourrés de mot d’ordre subversifs se déguiser en champion de la légalité. Quand des sectes veulent enseigner le respect des lois, il convient d’abord que leur doctrine et leurs agissements justifient leurs capacités à faire la leçon aux citoyens. Je ne pense pas que le parti communiste et la CGT présentent à ce sujet les références voulues.
[…] Il serait redoutable dans un pays où la subversion rêve de jouer à son gré de la mitraillette qu’on risquât de rééditer l’expérience des milices patriotiques à laquelle le général de Gaulle dut mettre promptement fin en 1944 […] L’arbitraire, même dans les bonnes intentions, est une procédure dont notre civilisation ne peut supporter l’usage.40

En 1962

  • 41 Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais, 1946-1972, op. cit. p. 74

70Partout sur la Côte d’Opale les résultats sont favorables aux accords d’Évian. Le référendum d’avril 1962 est un succès partout. Le soutien à l’action du général de Gaulle se poursuit après le règlement de la question algérienne. Le 4 octobre 1962, a lieu à l’Assemblée nationale le vote de la motion de censure au gouvernement Pompidou, après la décision du chef de l’État de modifier le mode de scrutin de l’élection présidentielle. Sur les huit députés de la Côte d’Opale, cinq ont peur d’une présidentialisation du régime. Albert Denvers et Jeannil Dumortier pour la SFIO, Charles Delesalle, Pierre Guillain et Paul Reynaud pour les indépendants. Ne prennent pas part au vote, Henri Collette, Auguste Damette et Jacques Vendroux. Lors du débat à l’Assemblée le 4 octobre, Paul Reynaud imite Mirabeau en adressant ces propos à Georges Pompidou : « Monsieur le Premier Ministre, allez dire à l’Elysée que notre admiration pour le passé est intacte, mais que cette assemblée n’est pas assez dégénérée pour renier la République ». Quelques jours plus tard, Jules Houcke, ami personnel du général de Gaulle, relève le défi : « Je reviens de l’Elysée pour vous dire, Monsieur, que nous ne sommes pas nous non plus, électeurs des Flandres, assez dégénérés pour renier notre passé, renier notre parole »41.

71Le résultat des législatives des 18 et 25 novembre 1962 est favorable aux gaullistes. Sur les huit circonscriptions, six restent ou tombent entre leurs mains. La SFIO parvient à garder deux sièges, tandis que les indépendants paient le prix de leur « trahison » envers le général de Gaulle.

Doc. 32 : Députés de la Côte d’Opale élus en 1962.

PAS DE CALAIS

DÉPUTÉS

PARTI

4e circonscription

Marcel Beraud

UNR

5e circonscription

Jeannil Dumortier

SFIO

6e circonscription

Henri Collette

UNR

7e circonscription

Jacques Vendroux

UNR

8e circonscription

Benjamin Catry

UNR

NORD

11e circonscription

Albert Denvers

SFIO

12e circonscription

Jules Houcke

UNR

13e circonscription

Auguste Damette

UNR

Source : Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais.

  • 42 Delattre C., op. cit.

72Seuls les fiefs socialistes de Boulogne Sud et Dunkerque résistent donc à la vague gaulliste qui envoie 234 députés UNR à l’Assemblée. À Saint-Omer, Pierre Guillain paie le prix fort de son adhésion au CNIP et de sa rupture avec les gaullistes. Alors qu’il est élu sans contestation à la mairie, pour les législatives il n’arrive qu’en 3e position, à égalité avec le candidat communiste, tous deux à 15 % des voix. Benjamin Catry obtient 38 % des voix et le socialiste Paul Blondel est deuxième avec 29 %. Le maire de Saint-Omer est battu dans sa propre ville. Pierre Guillain se sent humilié. Peu après le scrutin, il annonce sa démission lors de la séance hebdomadaire du conseil municipal. Il justifie son départ par le fait qu’il « se sent désavoué en tant que premier magistrat de Saint-Omer »42.

  • 43 Baudelicque P., op. cit.
  • 44 Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais, 1946-1972, op. cit.

73Dans le Montreuillois, le conseil municipal d’Etaples, présidé par Albert Héraud et opposé dans sa majorité au général de Gaulle, invite la population à répondre non au référendum, organisé le 28 octobre 1962. Mais les Étaplois apportent une fois de plus leur généreux soutien au chef de la France. Les oui l’emportent avec 73.6 % des voix contre 62 % au niveau national43. Pour les législatives qui suivent, seul le canton de Campagne-les-Hesdin donne la victoire à la gauche avec 50,2 %44

74Dans deux cantons sur trois, les gaullistes ont la majorité absolue, à Bergues, Cassel, Hondschoote et Steenvoorde. Il s’agit d’un échec spectaculaire pour Paul Reynaud, les électeurs choisissent le soutien au Président de la République.

Doc. 33 : Résultats électoraux dans la 12e circonscription du Nord, législatives de 1962.

Cantons

PCF

Gauche non communiste

Centre droit

Union pour la Ve Rép.

Bergues

5,7

7,7

12,7

55

Bourbourg

11,6

9,1

11,1

44,4

Cassel

5,8

6,9

18,8

50,4

Hondsch.

3,6

9,1

15,7

51,1

Steenvoor.

5,7

6,1

15

53,6

Wormhoudt

5

5,1

22,5

48,5

Source : Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais.

75L’image d’un Nord-Pas-de-Calais minier et industriel de gauche ne doit pas masquer l’existence de forces conservatrices solidement implantées en milieu rural, comme en Flandres. Avec le Montreuillois et l’Audomarois, ces trois régions forment l’espace le plus à droite de la Côte d’Opale.

76Comme le reste du littoral, l’arrière-pays souffre de la guerre et les pertes humaines sont nombreuses. Quelques personnalités comme Paul Reynaud ou Pierre Guillain n’hésitent pas à prendre publiquement position sur le conflit. L’existence de journaux conservateurs comme Le Journal de Montreuil ou surtout L’Indépendant du Pas-de-Calais, permettent la diffusion d’une opinion publique attachée à des valeurs traditionnelles et à un certain nationalisme, sans aller pour autant jusqu’à prendre parti pour l’Algérie française.

77Les déplacements en province du chef de l’État ont en commun de permettre un rapport du général au peuple. Cette communion avec la population de la Côte d’Opale a lieu en septembre 1959. C’est l’occasion d’afficher un soutien à sa politique algérienne, soutien renouvelé en 1960, lors du référendum de 1961 et lors des législatives de 1962. Le climat d’« union sacrée » qui entoure le retour au pouvoir du général de Gaulle pour les législatives de 1958, perdure et amplifie en 1962. Loin d’assister à la « décantation de l’unanimité nationale » selon le mot de Jean-François Sirinelli, l’unité de l’arrière-pays se fait derrière de Gaulle, le chef légitime. Même si l’indépendance de l’Algérie n’a jamais vraiment été souhaitée.

Notes

1 Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais, 1946-1972, Université de Lille 3, éditions universitaires, 1972, p. 56. À noter que dans cet ouvrage les % sont donnés en fonction des inscrits et non des suffrages exprimés. Le total n’atteint donc jamais 100 %, le solde électoral correspond aux abstentions.

2 Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais, 1946-1972, Université de Lille 3, éditions universitaires, 1972, p. 70-72.

3 Bethouart B., « Le littoral depuis la Libération : son évolution politique », Bulletin historique et artistique du Calaisis, no 166-167-168, janvier 2000, p. 51 à 96.

4 Delattre C., Les droites à Saint-Omer depuis 1945, op. cit.

5 Nord Matin, 6-7 mars 1955, p. 2.

6 Delattre C., op. cit.

7 Ibidem.

8 Procès-verbal des délibérations du conseil municipal de Saint-Omer, 7 octobre 1955.

9 Idem, 13 avril 1956.

10 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 23 septembre 1959, « une ».

11 Idem, 15 octobre 1960, p. 3

12 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 1er novembre 1960, « une ».

13 Idem, 14 décembre 1960.

14 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 7 et 14 janvier 1961.

15 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 25 janvier 1961, p. 2.

16 Baudelicque P., Histoire d’Étaples des origines à nos jours, Tome II, Imprimerie de Moulin, 62170 Saint-Josse-sur-Mer, 1996.

17 Idem.

18 Procès-verbal des délibérations du conseil municipal de Montreuil, 15 janvier 1960.

19 Le Journal de Montreuil, 25 mai 1958.

20 Idem, 8 juin 1958.

21 Le Journal de Montreuil, 31 janvier 1960.

22 Idem, 30 avril 1961.

23 Le Journal de Montreuil, 7 mai 1961.

24 Idem, 25 mars 1962.

25 Table nominative de l’Assemblée nationale. Retranscription de la séance du 31 janvier 1956.

26 Table nominative de l’Assemblée nationale. Retranscription de la séance du 12 mars 1956.

27 Table nominative de l’Assemblée nationale. Retranscription de la séance du 14 octobre 1959.

28 Voir liste en annexe.

29 Procès-verbal des délibérations du conseil municipal de Montreuil, 21 septembre 1959.

30 Delattre C., op. cit.

31 Procès-verbal des délibérations du conseil municipal de Saint-Omer, 25 septembre 1959.

32 La Voix du Nord, 30 janvier 1960, p. 3.

33 AD du Nord, 142244, document soumis à dérogation.

34 Baudelicque P., op. cit.

35 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 14 janvier 1961, « une ».

36 La Voix du Nord, 25 avril 1961, p. 2.

37 Baudelicque P., op. cit.

38 AD du Pas-de-Calais, 1W23338. Document soumis à dérogation.

39 L’Indépendant du Pas-de-Calais, 26 avril 1961, p. 3

40 Idem 3 mai 1961.

41 Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais, 1946-1972, op. cit. p. 74

42 Delattre C., op. cit.

43 Baudelicque P., op. cit.

44 Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais, 1946-1972, op. cit.

Table des illustrations

Titre Doc. 25 : Résultats électoraux de l’Audomarois aux législatives de 1956.
Crédits Source : Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47810/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 112k
Titre Doc. 27 : Circonscriptions électorales de la Côte d’Opale à partir de 1958.
Crédits Source : Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47810/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 264k
Titre Doc. 28 : Résultats électoraux des 12e et 13e circonscriptions du Nord, législatives de 1958.
Crédits Source : Hilaire Y.-M., Ménager B. (dir.), Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47810/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 156k
Titre Doc. 31 : Carte du voyage du général de Gaulle dans le Nord et en particulier sur la Côte d’Opale.
Crédits Source : La Voix du Nord.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47810/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 304k
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47810/img-5.jpg
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