La Côte d’Opale en guerre d’Algérie 1954-1962
|Partie III : Les particularismes locaux face à la guerre d'Algérie
Calais, une municipalité qui devient favorable à de Gaulle
Texte intégral
1Lorsque commencent les événements d’Algérie, c’est le socialiste André Parmentier qui occupe le fauteuil de premier magistrat de la commune. En 1959, Jacques Vendroux, UNR, lui succède. Calais fait alors figure d’exception sur la Côte d’Opale. Comment expliquer que la ville bascule à droite ? Les liens sont particuliers entre les Calaisiens et le général de Gaulle qui s’est marié en l’église Notre-Dame en 1921 avec Yvonne Vendroux. Mais cela suffit-il à expliquer le soutien à la politique menée par le chef de l’État, en particulier à sa politique algérienne ? L’opposition de gauche n’est jamais absente du débat politique.
Une personnalité locale, Jacques Vendroux, fait basculer une municipalité socialiste
Le beau-frère du général de Gaulle est élu
- 1 Bethouart B., « Le littoral depuis la Libération : son évolution politique », Bulletin historique e (...)
2Jacques Vendroux est l’une des personnalités de la Côte d’Opale les plus marquantes de cette période. Membre d’une dynastie bourgeoise d’origine néerlandaise bien implantée à Calais, il est l’aîné d’une famille de quatre enfants dont le père dirige une fabrique de biscuits et la mère, Marguerite Forest est issue d’un milieu notarial et industriel ardennais. Ardent patriote, deux fois blessé à Verdun, il reçoit en même temps que sa mère, infirmière major bénévole de la Croix-Rouge, la croix de guerre en septembre 1919 sur la place d’Armes des mains du général Ditte, gouverneur de Calais. En mai 1940, il devient l’adjoint du commandant de la Place de Calais en tant que capitaine de réserve. Après l’appel du 18 juin 1940, connu par les Allemands pour ses liens de parenté avec de Gaulle qui a épousé sa sœur Yvonne, il est arrêté et déporté dans un Oflag en Silésie d’où il sort en 1941 comme tous les combattants de la Grande Guerre. Son empreinte est lisible sur le littoral dès la Libération en raison non seulement de son lien de parenté avec l’homme du 18 juin, mais également de ses activités dans la Résistance. Il se voit confier le commandement de la Place de Calais et fait son entrée dans la ville libérée le 1er octobre 1944. Il devient trois jours plus tard maire à titre provisoire. Élu en avril 1945, il démissionne le 30 septembre mais se fait élire député dans la 1re circonscription du Pas-de-Calais sous l’étiquette MRP en octobre 1945 puis en juin 1946. Nommé membre de la Commission de la reconstruction et des dommages de guerre, il en devient le président et demande au gouvernement d’accélérer la remise en état des ports de Boulogne et Calais le 2 août 1946. À la suite de son refus de voter la seconde constitution, il rompt avec le Mouvement en septembre 1946 et se fait élire en tant que Action Démocratique et Sociale en novembre 1946 où il recueille 20,37 %, puis comme Rassemblement du Peuple Français en juin 1951 avec 30,75 % des voix1. Il continue de dénoncer la carence de l’État dans la reconstruction des ports du littoral de la Côte d’Opale. En 1956, inscrit sur la liste des républicains sociaux unie au parti républicain paysan, il ne recueille que 17,10 %, loin derrière les socialistes. Il doit céder son siège à André Parmentier.
- 2 http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/biographies/IVRepublique/parmentierandre-22021912.asp
3Né le 22 février 1912 à Calais, instituteur de Calais, militant au parti socialiste depuis 1936, André Parmentier est élu au conseil municipal le 19 octobre 1947. Adjoint dès 1948, il est élu maire en 1952 et le reste jusqu’en 1959. Il se présente dans la 1re circonscription du Pas-de-Calais aux élections générales législatives du 2 janvier 1956. Il est le troisième sur la liste de la SFIO conduite par Jeannil Dumortier et Henri Henneguelle, député sortant. Tous trois sont élus. Les communistes, avec 20,9 % des voix, n’ont qu’un seul siège, celui d’Auguste Defrance, et les Indépendants avec 15,8 % n’obtiennent que la réélection du député sortant Jean Febvay2. André Parmentier soutient le gouvernement de Guy Mollet lors de tous les scrutins importants mais également pour la confiance au général de Gaulle en mai 1958 ainsi que pour la révision constitutionnelle les 1er et 2 juin.
- 3 Galand I., Jacques Vendroux, De Gaulle et Calais, mémoire de maîtrise, Université du Littoral Côte (...)
4Dès l’investiture de son parent, Jacques Vendroux, impatient, veut à nouveau revenir dans la scène politique dans l’unique but de se battre pour de Gaulle. Il confie en juin 1958 : « Le sentiment de mon isolement me ronge, j’aurai donné tout ce que je pouvais pour être dans l’hémicycle parmi ceux qui lui ont exprimé leur confiance […] Je veux faire à mon échelle tout ce que je peux pour aider le Général […] préparer ma province dans les mesures de mes modestes moyens ». Il a pour cela deux ambitions : « Constituer définitivement un comité régional de soutien à l’action du Général composé de gens qui font passer l’intérêt national avant l’intérêt personnel et jeter les bases d’une liste de candidats gaullistes en vue de l’élection législative prévue en automne prochain ». C’est chose faite, en août 1958, avec la constitution d’un comité de soutien régional dont Jacques Vendroux prend la présidence. Le secrétaire général en est Robert Meaux3.
- 4 Vendroux J. Ces grandes années que j’ai vécues… 1958-1970, Plon, 1975, 375 p. Tome II des « souveni (...)
5Le 14 octobre, Jacques Vendroux confirme publiquement : « je briguerai les suffrages de mes concitoyens »4 dans la 7e circonscription du Pas-de-Calais, aux premières élections législatives de la Cinquième république. Il est aidé en cela par une partie de la presse locale.
- 5 Ibid., 29 octobre et 9 novembre 1958.
Je ne suis pas très sûr de bénéficier de la neutralité bienveillante de la Voix du Nord, tout au moins à l’échelon local. Par contre, j’ai le soutien manifeste du Nord Littoral, que de sévères et meurtrières polémiques ont brouillé avec le maire sortant.
Le Nord Littoral continue en ma faveur, sous la plume intelligente de Robert Lassus, une propagande à la fois indirecte et percutante qui portera ses fruits5.
6Les résultats du 1er tour des législatives, le 23 novembre 1958, est prometteur. Sur 45 653 suffrages exprimés, Jacques Vendroux obtient 19 657 voix contre 6 492 en 1956. André Parmentier n’arrive qu’en troisième position derrière les candidats gaulliste et communiste. Refusant tout désistement et toute alliance, il est battu. Jacques Vendroux est élu.
- 6 Vendroux J. op. cit., 1er décembre 1958.
Quelle belle comédie que celle qu’offrent à l’observateur perspicace que je suis tous ces gens qui dès ce matin me téléphonent, déposent des messages ou des cartes de visite à ma porte, ou cherchent à me rencontrer !... Ils me parlent de triomphe… ils sont tous devenus archigaullistes et me jurent que je puis compter sur leur entier dévouement. Il y a six mois à peine, ils m’ignoraient. À l’image de celle de mon beau-frère dont les sondages ne faisaient plus apparaître que 2 % de Français croyant à son retour, et celui qui compte aujourd’hui 75 % de partisans, ma cote est remontée en flèche. Si je mets à part un bon nombre de vrais amis, 50 % des Calaisiens n’ont voté pour moi que par opportunisme !6
Doc. 13 : Élections législatives du 23 et 30 novembre 1958. Pourcentage de voix de Jacques Vendroux.
23 novembre |
30 novembre |
|
Canton Nord-Ouest |
49,89 % |
67,18 % |
Canton Sud-Est |
39,50 % |
64,35 % |
Canton d’Audruicq |
39,66 % |
39,66 % |
Ville de Calais |
43,77 % |
59,62 % |
Source : Galand I., Jacques Vendroux, De Gaulle et Calais.
- 7 Galand I., op. cit., p. 127.
7Il lui reste maintenant à conquérir la mairie. Les élections municipales sont prévues pour les 8 et 15 mars 1959. Il se présente sans étiquette, avec simplement l’investiture de l’UNR. De Gaulle préfère n’être lié à aucun groupement politique, même de façon indirecte à travers les membres de sa famille, par peur d’une accusation de népotisme7. Quatre listes sont déposées. La liste de Jacques Vendroux, intitulée Union pour la Prospérité de Calais, rassemble des membres de l’UNR, des socialistes du Centre de Réforme Républicaine, des indépendants et des apolitiques. Les socialistes se regroupent sur une liste conduite à nouveau par M. Parmentier. Le parti communiste est présent avec la liste d’Union Ouvrière et Républicaine de M. Danel. La dernière liste rassemble le MRP et le Centre Démocratique intitulée l’Union pour la Défense des Intérêts de Calais, menée par M. Boulanger, ancien sénateur.
8À l’issue du premier tour, Jacques Vendroux obtient 9 829 voix, le candidat communiste 8 446, le maire sortant 5 221 et M. Boulanger 4 128. La campagne électorale entre les deux tours est sévère. Les socialistes tentent en vain une union avec les communistes. Pour la liste gaulliste, le principal adversaire est le parti communiste. « Livrer la mairie aux agents de Moscou serait ruiner pour six ans la ville de Calais […] Ce serait signer notre condamnation à la médiocrité et à la misère. Devant ce péril mortel, les nuances politiques ne sont plus de mises : seul compte l’objectif vers lequel doivent marcher en commun les vrais calaisiens : la prospérité de la ville ». Les communistes de leur côté s’en prennent directement à Jacques Vendroux.
- 8 Publié dans Nord Littoral les 13 et 14 mars 1959.
Déjà Vendroux, vend la peau de l’ours. Déjà le patron se voit à la tête de Calais. Il faut barrer la route à Vendroux et à sa critique réactionnaire. Vendroux à la mairie, ce serait le pire des malheurs pour les chômeurs, pour les déshérités. Vendroux à la mairie, ce serait la pire menace pour l’école laïque. Non ! Vendroux et les patrons ne doivent pas souiller la mairie de Calais, la municipalité d’Émile Salembier […] Non Monsieur le beau-frère ne réussira pas à tromper les Calaisiens8.
- 9 vendroux j. op. cit., 15 mars 1959.
- 10 Galand I., op. cit., p. 127.
9Le résultat du second tour est commenté de façon laconique. « 13 500 voix de moyenne pour notre liste d’union, 10 200 pour celle des communistes, 4 500 pour le maire sortant. Nous avons donc conquis la mairie »9. Jacques Vendroux s’installe dans le fauteuil majoral lors du conseil municipal du 22 mars. Il est élu maire à 22 voix contre 6. La première décision prise par la nouvelle municipalité est de voter une adresse à M. le Président de la République. « Le conseil municipal de Calais, vous prie d’accepter l’hommage de sa déférence et de son dévouement et de bien vouloir transmettre à Madame de Gaulle l’expression des sentiments de respectueuses affections de sa ville natale ». Jacques Vendroux devant cette attention déclare : « Je ne puis à titre personnel qu’approuver les termes de la déclaration »10.
Une ville de droite symbole d’une exception littorale ?11
- 11 L’étude qui suit est reprise de Bethouart B., « Le littoral depuis la Libération : son évolution po (...)
10Lors des législatives de novembre 1946, la SFIO arrive en tête sur la Côte d’Opale avec trois députés, Henri Henneguelle, Abel Poulain et Marcel Darou. Le MRP est représenté par Paul Caron et Robert Prigent et le PCF par Gaston Dassonville et André Pierrard. Le parti communiste est cependant sous représenté sur le littoral par rapport à la moyenne départementale : 10,4 % dans Nord-Littoral et 16,9 % dans Pas-de-Calais-Littoral par rapport aux 27 % et 26 % de la moyenne départementale. En 1951 le RPF, le parti du général de Gaulle, triomphe avec Jacques Vendroux, Jean Febvay et Auguste Damette. Le centriste Paul Reynaud l’emporte également en contraste avec l’ensemble des deux départements situés plus à gauche. En 1958, les deux forces dominantes restent sur le Littoral, les centristes en premier lieu avec Pierre Guillain dans la 8e circonscription, Charles Delesalle dans la 4e et Paul Reynaud dans la 12e du Nord et la gauche non communiste en seconde position qui obtient deux sièges alors que le PCF n’a aucun élu et reste sous-représenté.
11Dans le Pas-de-Calais, l’écart entre les moyennes littorales et départementales est important. La gauche, sur le secteur côtier, fait 10 % en moins que dans le reste du département 1956 et 1958. Les cantons dunkerquois sont eux constamment à gauche.
12Un élément d’explication est à rechercher dans le fait religieux.
Le Nord et plus particulièrement le Littoral font partie du « croissant fertile » de la pratique religieuse dont les deux extrêmes sont la Bretagne et l’Alsace et qui se caractérisent par une forte natalité et un attachement visible au christianisme, au catholicisme romain.
Les Flandres et le Boulonnais seraient donc plus fidèles que la Picardie. Enfin il existe sur le littoral, des zones de faible pratique comme le secteur Canche-Authie, ou de pratique moyenne, où le nombre des pascalisants est inférieur à 50 % comme le Calaisis.
13Jacques Vendroux est issue d’une famille de la bourgeoisie chrétienne du Calaisis qui perpétue des traditions ancestrales venues des Flandres.
Leur éducation, à Notre-Dame de Calais, est fixée selon « les règles de bonne éducation [qui] exigent à la fois la propreté physique et morale, une instruction soignée, une certaine façon de vivre, le respect des traditions ». Dans ces milieux, le mariage civil est « un simple préliminaire, une obligation volontairement minimisée par principe, le mariage religieux du lendemain étant considéré comme le seul valable » ; les noces d’Yvonne Vendroux et de Charles de Gaulle les 6 et 7 avril 1921 s’effectuent selon ces normes.
14Un autre facteur est historique. À la fin du XIXe siècle, apparaît une libre pensée socialiste révolutionnaire qui joue un rôle dans le développement du syndicalisme ouvrier et du socialisme dans le Calaisis notamment où Achille Couteaux, puis Salembier et Delcluze, mènent un combat pour l’école de la République. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le PCF, fort de son engagement dans la Résistance, connaît un succès réel avec Auguste Lecoeur comme leader régional et la grande figure de Maurice Thorez, natif de Noyelles-Godault. La fédération du Nord est la seconde de France, avec des responsables comme Albert Denvers sur le Littoral Nord. Mais sur la Côte d’Opale, les scores communistes sont plus faibles. L’importance du facteur socio-économique peut expliquer le poids de la gauche dans les villes ou les agglomérations industrielles comme Calais, Saint-Omer, Boulogne et Dunkerque avec une tradition syndicale ancienne.
15Très impliqué également dans la Résistance, une nouvelle force politique, le MRP, s’installe sur le Littoral, autour de Jacques Vendroux pour le Calaisis, de Robert Prigent à Dunkerque et de Louis Blanckaert dans les Flandres. Le centre droit souffre en 1962 du retour en force de la droite sur le littoral avec 38,5 % pour l’UNR sur le Littoral Nord avec Jules Houcke et Auguste Damette et 29,2 % sur le Littoral Pas-de-Calais avec Marcel Béraud, Henri Collette et Jacques Vendroux. Le MRP ne recueille que 15,4 % dans le Nord et 15,7 % dans le Pas-de-Calais et n’obtient aucun élu. La SFIO résiste mieux avec 17,8 % dans le Nord où est élu Albert Denvers et 22 % dans le Pas-de-Calais avec Jeannil Dumortier. Le PCF reste faible avec plus de dix points en dessous de sa moyenne départementale soit 7,8 % contre 18,8 % dans le Nord et 10 % contre 20,1 % dans le Pas-de-Calais.
16Le littoral se situe nettement plus à droite que l’ensemble de la moyenne départementale du Nord et du Pas-de-Calais. Orienté plutôt vers des choix centristes sous la IVe République, il se rallie à la vague gaulliste représentée par Jacques Vendroux.
Calais, de Gaulle et l’Algérie
Une population sensible à la personnalité du président de la République
- 12 Vendroux J. op. cit., 20 mai 1958.
Depuis trois jours, pour sonder l’opinion, j’ai multiplié mes sorties et pris contact avec des concitoyens de tous bords, y compris dans les milieux radicaux et socialistes, et surtout avec ceux de mes amis d’autrefois qui ont conservé des postes de responsabilité dans les partis favorables au RPF de jadis. Les réactions sont presque unanimement favorables à de Gaulle. Les gens en ont assez de la décomposition politique. « Lui seul peut désormais nous sauver du désordre et de l’anarchie… Il faut qu’il revienne ! »12.
17Jacques Vendroux n’est pas dupe du récent engouement de ses concitoyens. Il le note dans son journal à la date du 18 juin 1958.
Il est curieux de constater que beaucoup de Calaisiens qui, précédemment, négligeaient cet anniversaire, et d’autres qui ne le marquaient qu’en assistant discrètement à une cérémonie où ils ne tenaient pas trop à se montrer, se bousculent aujourd’hui pour être photographiés au premier rang d’une nombreuse assistance.
- 13 Vendroux J. op. cit., 29 septembre 1958.
18Jacques Vendroux constitue un comité régional de soutien de l’action du Général de Gaulle et fait campagne pour le référendum sur l’adoption d’une nouvelle constitution approuvée par 79,2 % des votants. « Les Calaisiens se sont bien comportés, en exprimant un pourcentage de “oui” supérieur de 6 % à celui de la moyenne du département »13. Fort de ce succès, la gauche gaulliste forme une section à Calais sous le nom de « Centre de réforme républicaine ».
- 14 Nord Littoral, 30 janvier 1960, p. 2.
- 15 Vendroux J. op. cit., 22 avril 1961.
19L’attachement des Calaisiens transparaît lors de la semaine des barricades avec un télégramme du député-maire de Calais et des membres du conseil municipal de Calais qui « assurent le Général De Gaulle, Chef de l’État, de l’entière et fervente confiance qu’ils mettent en lui pour résoudre les difficultés momentanées que traverse le pays »14 ; ou lors du putsch des généraux d’avril 1961. Avec l’accord unanime de ses collègues, Jacques Vendroux adresse un télégramme au chef de l’État : « L’administration municipale de Calais convaincue de refléter les sentiments de l’immense majorité de la population de la ville, vous prie de croire à son respectueux dévouement comme à l’indéfectible attachement qu’elle porte à tout ce que vous représentez »15. Il se manifeste également lors des attentats perpétrés contre la personne du général de Gaulle. Le conseil municipal adresse un télégramme à l’Élysée après l’attentat de Pont-sur-Yonne, mais il n’est pas seul à le faire car le 19 septembre 1961, Jacques Vendroux note dans son journal qu’il communique à la presse le message officiel reçu par lequel « le Général remercie les nombreux Calaisiens qui se sont manifestés ».
20Après la tentative d’assassinat du Petit-Clamart, « toute la ville – comme certainement toute la France – est bouleversée ».
- 16 Ibid. 23 août 1962.
Je fais parvenir à Colombey un second message, au nom, cette fois, de mes concitoyens : « La municipalité de Calais vous prie de croire à l’expression de son émotion indignée et à ses sentiments de respectueux dévouement »16.
- 17 Nord Littoral, 24 août 1962, p. 2.
21Les gaullistes calaisiens font part de leur sentiment. Nord Littoral retranscrit le télégramme qu’ils adressent au Chef de l’État. « Section Calais Union Nouvelle République vous exprime affectueux attachement – Stop – Sommes unanimes derrière vous pour vous aider et encourager dans votre noble tâche »17.
22Dix jours plus tard, c’est une photographie du télégramme du chef de l’État qui est reproduite par le quotidien calaisien sous le titre « De Gaulle remercie… ».
- 18 Nord Littoral, 4 septembre 1962, p. 2.
Mon cher Député Maire
Le témoignage de la chère ville de Calais nous a tout particulièrement touchés ma femme et moi.
Vers vous et vers ceux dont vous êtes l’interprète vont nos remerciements bien sincères.
Bien amicalement à vous.
Charles de Gaulle18
23L’en-tête, la formule de politesse et la signature sont manuscrites.
24L’approbation des choix du chef de l’État est un autre élément visible des liens qui unissent les Calaisiens au général de Gaulle.
Doc. 14 : Résultats des référendums à Calais de 1958 à 1962.
Source : AM, cote 17W2 et Nord Littoral. Les résultats sont donnés en % des suffrages exprimés.
25Avec des chiffres supérieurs à la moyenne nationale et départementale, la ville de Calais apporte un soutien clair à la politique algérienne du chef de l’État.
26Malgré une abstention souvent plus élevée que la moyenne nationale pour les villes les plus importantes, les résultats montrent une approbation des accords d’Évian. Les résultats les moins favorables proviennent de Peuplingues et Nouvelle Église, petits villages, et d’Ardres, bourg où la droite fait d’importants scores en 1958 et 1962.
27À l’issue du conflit algérien, Jacques Vendroux analyse cet attachement des Calaisiens à la personne du chef de l’État.
- 19 Vendroux J. op. cit., 29 octobre 1962.
Le résultat du référendum, sur le plan national, me paraît moins favorable (62,25 % des votants) qu’on était en droit de l’espérer. Par contre, à Calais, il est excellent : 66 %. Après le dépouillement du scrutin, je fais publiquement cette remarque, qu’enregistre la presse : « Ce qui me frappe, c’est que la proportion de oui est plus forte, relativement, dans les quartiers populaires que dans les secteurs de la ville qui sont traditionnellement considérés comme modérés. »
Je ne poursuis pas plus loin mon commentaire public ; mais je constate, une fois de plus, que la sympathie qui va vers de Gaulle est plus profonde au cœur de la masse laborieuse des Français que dans les milieux dits « bourgeois » où fermentent les vieilles amertumes pétainistes et continuent de se développer la haine des nostalgiques de l’Algérie française et des activistes de l’OAS19.
- 20 « L’Algérie de papa est morte », expression utilisée par le général de Gaulle le 29 avril 1959.
28Il est dès lors compréhensible que la population soit si sensible au conflit avec un électorat gaulliste issu des quartiers populaires de la ville, et des gens de droite nostalgique de « l’Algérie de papa »20. De la part d’un homme qui a connu la Résistance et dirigé la ville à la Libération, le parallèle entre l’OAS et le pétainisme est intéressant. Le lien entre l’amertume des uns et la haine des autres révèle bien l’humaniste chrétien qu’est Jacques Vendroux.
Sensible également au problème algérien
- 21 Cf. annexe 10 pour le texte complet.
29Début juin 1956, A. Agneray, secrétaire du Mouvement de libération ouvrière, section de Calais, 5 rue Caillette, interpelle dans un courrier le député-maire21. Le MLO est issu des mouvements ouvriers chrétiens.
Nous pensons que l’air du colonialisme, tel qu’il a toujours été conçu, est périmé […] nous ne pouvons accepter :
1° Le vote des pleins pouvoirs par la presque totalité des partis politiques qui ne pouvaient ignorer les conséquences d’un tel vote.
2° Le peu de réalisme des pouvoirs publics qui s’obstinent à ne pas croire que les réformes en prévision, aussi sincères soient-elles, arrivent trop tard.
3° La confusion créée par une politique et une information bien peu objective. Toutes les déclarations officielles les plus grandiloquentes, comme « l’Algérie c’est la France », ne pourront convaincre notre peuple qui ne peut comprendre que ce qui a été accordé à la Tunisie et au Maroc n’est pas possible pour l’Algérie ; qui ne peut également comprendre que du jour au lendemain les milliards nécessaire pour la « pacification »( !) de l’Algérie ont été trouvés, alors que depuis plusieurs mois on discute en vain le financement d’une recette plus décente pour nos vieux.
4°La mobilisation de la jeunesse de notre pays qui ne se justifie pas et qui contrairement aux affirmations officielles, est impopulaire dans notre pays. L’emploi des armes n’ayant jamais conquis, ni les cœurs, ni les consciences […] Nous pensons que c’est faire œuvre de patriotisme que de se refuser à accepter, qu’à période de plus en plus rapprochée on nous trouve de nouveaux motifs à de nouveaux « casse-pipe ».
30Ce mouvement chrétien développe ici une analyse très lucide de la situation de l’Algérie. L’émancipation inéluctable, la loi d’exception des pleins pouvoirs, le mensonge du slogan « l’Algérie c’est la France », le coût économique et social de la guerre et l’inutilité de l’emploi des armes sont bien montrés.
31Le même mois de juin 1956, un « Comité local pour un cessez-le-feu en Algérie » est mis en place à Calais.
- 22 Nord Littoral, 9 juin 1956, p. 2.
Dans la nuit du mercredi à jeudi, nuit qui suivait notre meeting pour un cessez-le-feu en Algérie, des inscriptions insultantes envers le Président du Conseil sont apparues en divers points de la ville. Nous tenons à désavouer publiquement les auteurs de ces inscriptions. Nous considérons que les responsables de la situation actuelle en Algérie sont avant tout les colonialistes qui veulent continuer de conserver leurs privilèges aux dépens du peuple algérien et qui se livrèrent d’ailleurs le 6 Février dernier à des manifestations insultantes envers le Président du Conseil et envers la France […]22
32Les acteurs de la « journée des tomates » sont dénoncés et les pieds-noirs assimilés à des colonialistes exploiteurs. Par contre, le soutien à Guy Mollet est clair, mais la constitution de ce comité agit un peu comme une piqure de rappel car ce gouvernement a été élu sur la promesse de mettre un terme à « une guerre imbécile et sans issue ».
- 23 PV des délibérations du Conseil municipal, séance du 13 juillet 1956.
33La municipalité d’André Parmentier se penche sur l’inhumation des corps des militaires calaisiens décédés en AFN23. En 1947 et 1951, il avait été décidé que pour chaque militaire calaisien décédé pendant la guerre 1939-1945 et la guerre d’Indochine, un caveau individuel avec stèle gravée serait attribué à la demande des familles. La Commission des Travaux et des Finances propose d’accorder également aux victimes des opérations d’AFN un caveau individuel parmi ceux actuellement disponibles.
34L’Algérie est en 1959 un sujet de préoccupations pour les Français. Le général de Gaulle prépare son discours sur l’autodétermination et évoque avec le nouveau maire de Calais les choix qu’il compte offrir aux Algériens.
Voyez-vous, Jacques, beaucoup de Français se font à ce sujet des illusions qui risquent de nous coûter cher. Ils sont convaincus que, si je suis revenu aux Affaires, c’est pour maintenir ce qu’on appelle l’Algérie française, alors que, en réalité, c’est pour sauver la France elle-même ! Il y a longtemps que notre situation se détériore en Algérie ; mais, depuis cinq ans, les affrontements y ont été si durs qu’on en est arrivé au chaos. On ne pourrait désormais venir à bout de l ‘insurrection qu’en la noyant dans le sang. Faut-il se résoudre à une guerre à outrance et imposer le rétablissement de l’ordre en engageant toutes nos forces ? Mais où cela nous mènerait-il ? À la multiplication des massacres, à la mort de milliers de jeunes du contingent, à la réprobation du monde entier, et à la perte de notre prestige. Ce serait un cancer mortel pour notre flanc. Je n’en veux pas. Et d’ailleurs une pacification obtenue par une véritable guerre répressive ne serait qu’illusoire : les Algériens dans leur grande majorité nous voueraient une haine implacable et fatale. Il faut donc les amener à choisir par l’autodétermination une solution acceptable pour tous. Or il n’en existe que deux : ou bien le gouvernement des Algériens par les Algériens eux-mêmes, dans le cadre d’un statut spécial d’étroite collaboration avec une France qui ne leur ménagerait pas son aide, ou bien la sécession pure et simple, avec les risques qu’elle comporte, à la fois pour les Français d’Algérie, qui recevraient certaines garanties, et pour les Algériens eux-mêmes qui seraient alors condamnés au sous-développement. Je souhaite que nous parvenions à faire prévaloir la première solution […]
Mais on a laissé s’envenimer les choses à un tel point que je crains qu’on ne puisse échapper avant qu’il soit longtemps à la seconde. Il faut donc faire en sorte, dès maintenant, que si l’Algérie devient un jour indépendante, elle le soit dans les conditions et un climat tels que puissent être sauvegardés les intérêts généraux de la France. L’opinion publique n’est guère préparée à cette éventualité. J’aurai beaucoup de mal à la lui faire comprendre peu à peu. Je ne pense pas seulement au Français moyen, mais à certains ministres, à beaucoup de vos amis députés, à bien d’autres encore […]
Et vous, Jacques, qu’est-ce que vous diriez si c’était finalement l’indépendance ?
- 24 Vendroux J. op. cit., 20 août 1959.
35Je dirais qu’il vaudrait mieux en arriver là que de continuer à s’entretuer !24 En admettant la fidélité de la transcription faite par Jacques Vendroux de la teneur du message, le général de Gaulle fait ici preuve de beaucoup de réalisme. L’indépendance est inéluctable, il faut donc la préparer au mieux des intérêts de la France et surtout y préparer les Français.
36C’est le sens du discours qu’il prononce sur le perron de l’Hôtel de ville de Calais à la fin du mois de septembre 1959.
- 25 Ibid., 25 septembre 1959.
Il faut que le problème algérien soit résolu, et soit résolu comme la France doit savoir le faire, et par le libre choix des habitants de l’Algérie ; je suis sûr, d’ailleurs, que c’est la meilleure voie pour eux et pour la France25.
37Le message est entendu par la population calaisienne venue en masse écouter le chef de l’État. Lors du référendum sur l’autodétermination en janvier 1961 :
- 26 Ibid. 9 janvier 1961.
Les résultats confirment les pronostics : pour l’arrondissement de Calais, sur 79 % de votants, on compte 75 % de « oui » et un peu moins de 25 % de « non ». C’est bien. Le Général est satisfait26.
- 27 Nord Littoral, 7 janvier 1961, p. 2, appel de Jacques Vendroux.
38Jacques Vendroux a mis tout son poids dans la balance en lançant un appel aux Calaisiens dans la presse. « Pour la France, pour l’Algérie, je demande à mes concitoyens de voter oui […] Faites confiance au général de Gaulle, qui a besoin de vous comme vous avez besoin de lui pour assurer le destin de la France et de l’Algérie »27.
39Le soutien des Calaisiens s’exprime dans les moments délicats que traverse le pays en raison du conflit algérien, en particulier pendant le putsch des généraux. La mobilisation de la population est importante et dépasse le simple cadre des organisations proches du PCF.
- 28 Nord Littoral, 25 avril 1961, p. 2.
Le Comité de liaison félicite la population calaisienne et du Calaisis qui a manifesté ses sentiments d’attachement à la Liberté, à la Démocratie et à la République en cessant le travail suivant les mots d’ordre lancés par les organisations syndicales, politiques et démocratiques.
Le Comité de liaison informe la population qu’il a pris toutes dispositions pour qu’en cas de danger elle puisse être rapidement mobilisée pour faire face à toute tentative des factieux.
Devant la situation qui reste très grave, le Comité de liaison vous appelle à la vigilance et à l’Union.
Soyez prêts ! !
CGT, CGT-FO, CFTC, FEN, PC, PSU, PS, SFIO, LDH, Mouvement de la Paix, Vieux Travailleurs28.
40Une Calaisienne de Londres exhorte ses compatriotes à la résistance. Elle adresse à Nord Littoral un article du Daily Mirror publié en anglais et en français qui a pour titre : « Tenir bon avec de Gaulle ».
- 29 Nord Littoral, 19 avril 1961, p. 2.
Le général de Gaulle est l’homme – le seul homme – qui demeure encore entre une France en proie à la crise et le désastre final.
Si Charles de Gaulle échoue, l’échec sera total.
Des généraux insurgés – des réactionnaires aveugles et bêtes – se rendront alors maîtres de la France et dirigeront ses destinées, prêts à conduire leur patrie à la ruine plutôt que d’admettre ce fait d’évidence : l’Algérie DOIT inévitablement devenir indépendante.
Si la France est abattue par les mutins, c’est le monde occidental tout entier qui subira un coup écrasant.
Depuis 1940, le peuple britannique connaît, respecte et admire le général de Gaulle. De tout leur cœur, ils lui souhaitent aujourd’hui de sortir victorieux de cette crise.
Ils adressent ce message au peuple de France : TENEZ BON DERRIÈRE DE GAULLE !29
41Contre l’OAS, des comités se créent dans les entreprises de la ville. Le comité des Filés de Calais adresse à Jacques Vendroux une lettre qu’une délégation est allée déposer à la mairie pour demander l’aide des pouvoirs publics. La lettre est reproduite par Nord Littoral.
- 30 Nord Littoral, 2 février 1962, p. 3.
Monsieur le député Maire, le comité Anti-OAS des filés de Calais au nom du personnel
– demande que des mesures soit prises dans le but de mettre immédiatement fin aux attentats et assassinats commis par les membres de l’OAS, ainsi que la mise à la raison des responsables de cette organisation connus des pouvoirs publics ;
– demande l’arrêt immédiat de la guerre d’Algérie, guerre qui a permis au fascisme de se développer ;
– demande l’épuration de l’armée, de la police et de l’administration ;
– demande que le Conseil Municipal de la ville de Calais se prononce pour la lutte contre l’OAS ;
– demande l’appui des Pouvoirs publics pour les éventuelles manifestations contre l’ OAS.
Pour le comité Anti-OAS des filés de Calais : HOCHART André30
42Après Charonne la mobilisation s’amplifie. La répression de la manifestation anti-OAS du 8 février à Paris entraîne une grève de protestation importante.
- 31 Nord Littoral, 10 février 1962, p. 2.
À Calais, hier après-midi, de 15 à 16 heures, le mot d’ordre de grève de protestation contre la répression brutale du service d’ordre lors de la manifestation anti – OAS de jeudi a été suivi dans divers établissements de Calais. C’est ainsi que nous avons appris que le personnel avait débrayé, en totalité ou en partie à la SNCF, chez Brampton, aux Filés de Calais et parmi les dockers des différents services. Ces derniers ont stoppé à 100 %31.
- 32 Nord Littoral, 14 février 1962, p. 2.
43Une seconde journée de protestation est organisée à Calais et les mots d’ordres de grève restent très largement suivis. Une imposante manifestation a lieu au Monument aux Morts. « Ils étaient 700. Plus que leur nombre, voyez les visages et la détermination qu’ils montrent pour que nous demeure la liberté et que cessent les violences »32. Le Parti communiste se félicite du caractère d’union de cette manifestation.
Militants communistes, socialistes, du P.S.U., de la C.G.T. et autres démocrates étaient réunis lundi soir pour rendre hommage aux victimes de la manifestation du jeudi 8 février et pour manifester leur volonté de barrer la route au fascisme.
C’est une nouvelle étape importante dans le rassemblement et le combat antifascistes.
Comme en février 1934, Calais a dit « non au fascisme ».
44M. Raymond Denimal, 1er adjoint au Maire, reçoit une délégation du Conseil Syndicat des Cheminots CGT de Calais et une de l’Union locale CGT des Syndicats confédérés du Calaisis. Les deux délégations remettent une lettre destinée au Premier Ministre en faveur de la paix. La délégation des cheminots est composée de René Sablon, secrétaire du Syndicat ; Léon Fenet et Ghislain Culnard, membres du Comité.
En France également où des hommes de l’OAS, reconnus coupables d’assassinat avec préméditation, échappent au châtiment exemplaire qu’ils méritent, l’OAS redouble d’activité, plastique et assassine.
Compte-tenu de cette situation et certain de traduire la volonté des travailleurs de Calais, notre Bureau exige avec force et insistance que toutes les mesures soient prises, et le gouvernement en a les moyens, pour que l’OAS soit mise dans l’incapacité d’accomplir sa sinistre besogne et que la Paix soit rapidement signée en Algérie.
Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de nos sentiments distingués.
- 33 Nord Littoral, 9 mars 1962, p. 2.
45À 18 heures 30, ce sont les mandataires de l’Union Locale CGT des Syndicats Confédérés du Calaisis qui pénètrent dans le bureau de M. le premier adjoint. MM. Culnard, Germe, Hyart et Lefebvre déposent de leur côté une seconde lettre identique à la précédente et destinée à M. Michel Debré33.
46Le cessez-le-feu signé, les Calaisiens doivent se prononcer par voix référendaire.
- 34 vendroux J. op. cit., 3 avril 1962.
Depuis une semaine, nous sommes plongés dans la préparation du référendum sur les accords d’Évian. Je parcours consciencieusement ma circonscription ; mais ma propagande est superflue : les jeux sont faits. Deux considérations inspirent les électeurs : la confiance qu’ils ont en la politique de paix du général de Gaulle, le désir de voir revenir au plus tôt les jeunes soldats encore en Algérie34.
47Cela n’empêche pas les opposants à la politique algérienne du général de Gaulle de se faire entendre et de se montrer menaçant.
- 35 Ibid, 3 avril 1962.
Pourtant, je continue à être l’objet de menaces anonymes. Des « Algérie française », irréductibles, plus ou moins inspirés par l’OAS, ne désarment pas. La police arrête à Calais un notaire fort connu de la ville, démocrate chrétien, qui, la nuit tombée, couvrait de graffiti les monuments publics ; il a été mon adjoint quand j’étais maire à la Libération et, au demeurant, est un fort brave homme, qui a adopté quatre enfants ! Mais les événements ont plus ou moins perverti sa mentalité. Tout en continuant à le surveiller, on le laisse à ma demande en liberté… il est trop effondré pour être dangereux35.
- 36 vendroux j. op. cit., 9 avril 1962.
- 37 Nord Littoral, 9 avril 1962, éditorial.
48Le référendum est un succès dans l’ensemble de la France. « Dans le Nord, où les socialistes et les communistes sont pourtant nombreux, les Calaisiens se sont bien comportés36 ». Et le quotidien du littoral, qui titre « FRANC ET MASSIF », conclut : « la cause est entendue. C’est un « Oui » à la Paix. Les électeurs et électrices […] ont tenu […] à marquer leur satisfaction d’une politique algérienne qui a abouti finalement à la signature des accords d’Évian37. La politique algérienne étant politique personnelle du chef de l’État, c’est donc un « oui franc et massif » au général de Gaulle.
49Les organisations politiques et syndicales proches du PCF restent mobilisées à Calais contre l’OAS. Le 30 mai 1962, une « manifestation antifasciste » a lieu à l’occasion du procès de Raoul Salan.
- 38 Nord Littoral, 31 mai 1962, p. 2.
Rassemblement populaire hier soir à 18 heures, Place de la Nation où un certain nombre de Calaisiens et de Calaisiennes dans le but de protester contre le fascisme en général et le verdict du procès Salan en particulier se sont réunis, répondant ainsi à l’appel lancé par le Parti Communiste, le PSU, l’Union Locale CGT, l’Union des Femmes Françaises, le Mouvement de la paix, l’Union des Jeunesses Communistes, l’Union des Jeunes Filles de France etc…
Il y eut des banderoles et des cris : « Fusillez Salan et Jouhaud », « OAS assassins », « Le fascisme ne passera pas », « Application des accords d’Évian » « Unité contre le fascisme » etc…
À la tête de ce rassemblement, se trouvaient Mme Lenglet, conseillère générale du Pas-de-Calais et M. Robert Delhaye, ancien conseiller municipal communiste qui s’adressa à la foule38.
50La sensibilité de la population calaisienne s’explique enfin par la cruauté du conflit. 50 soldats de l’agglomération sont décédés au cours de la guerre.
Doc. 16 : Soldats de l’agglomération calaisienne morts en Algérie par commune.
Commune |
Nb de morts |
Blériot – Sangatte |
4 |
Calais |
39 |
Coquelles |
1 |
Coulogne |
2 |
Marck-en-Calaisis |
4 |
TOTAL |
50 |
Source : FNACA Nord et Louis Mortreux.
51Calais est la commune la plus touchée de l’agglomération avec près de 80 % du nombre de victimes. Le nombre de morts culmine en 1958 avec un triste record de 19 décès. La courbe est ensuite nettement descendante, en 1959, le nombre de soldats tués est divisé par trois et ne cesse de diminuer encore. Une diminution qui coïncide avec le retour au pouvoir du général de Gaulle, ce que les Calaisiens ont sûrement perçu. Cela peut donc influer sur le soutien de la population.
- 39 PV des délibérations du Conseil municipal, séances des 28 août et 27 novembre 1961.
52Si Jacques Vendroux essaie d’entraîner ses concitoyens dans la voie suivie par le chef de l’État, il refuse que sa municipalité s’investisse trop avant dans les questions politiques ayant trait à l’Algérie. Lors de la séance du 28 août 1961, M. Ravisse, conseiller municipal, présente une motion au sujet de deux jeunes Calaisiens, prisonniers du FLN en Algérie. Le député-maire se voit « dans l’obligation de faire respecter le règlement et la loi de 1884. Ces sujets, aussi douloureux soient-ils, ne sont pas du ressort du conseil municipal et je ne puis mettre votre motion aux voix ». Il ajoute que cette motion n’avait pas été communiquée au conseil avant la réunion et qu’« il s’agit d’un sujet extrêmement délicat, susceptible de créer sentimentalement un grand trouble dans les familles ». M. Ravisse, soumet une nouvelle fois sa motion au conseil suivant, en respectant les formes, mais M. Lemaitre, adjoint au maire pose la question préalable, soumise au vote secret. Sur 37 votants il y a deux votes blancs, 35 exprimés, 20 « oui » à la question préalable39. M. Ravisse espère-t-il que la relation familiale du maire de Calais avec le général de Gaulle lui permette d’intervenir efficacement ? Est-ce une volonté délibérée de la part de Jacques Vendroux de ne pas se mêler d’une affaire sensible, d’un domaine réservé au seul chef de l’État qu’il ne souhaite pas importuner ?
Un soutien sans faille ?
Un moment de communion : Yvonne et Charles de Gaulle à Calais
53Le grand moment de communion entre les Calaisiens et le chef de l’État, c’est le voyage officiel que celui-ci accomplit en septembre 1959, quelques jours après son discours sur l’autodétermination des Algériens. À 24 heures de l’arrivée de la famille de Gaulle à Calais, Jacques Vendroux lance un appel à la population afin que les Calaisiens lui accordent un accueil encore plus triomphal que celui d’août 1945.
- 40 Galand I., op. cit., p. 38.
En le recevant de nouveau nous ressentirons non seulement une profonde émotion de retrouver l’homme du 18 juin 1940 et le libérateur de 1945 mais aussi l’honneur et la joie de saluer en la personne du président de la République et de la communauté, celui qui nous rend une fois de plus la fierté d’être français40.
- 41 Tous les extraits qui suivent sont issus du quotidien Nord Littoral des 25, 26 et 27 septembre 1969
54La presse n’est pas moins dithyrambique41. Robert Lassus évoque les liens entre le chef de l’État et Calais dans un bel « article nostalgie ».
À Calais, où « l’on mettra les petits plats dans les grands », le protocole devra parfois fermer les yeux et céder le pas au « pèlerinage sentimental ». Notre ville constitue beaucoup plus qu’un simple « contrôle-ravitaillement » : la halte chez les Six Bourgeois est une étape importante. À Calais, écrivait hier un confrère de la capitale, le couple présidentiel partira à la recherche du temps passé ».
À Calais, une famille les attend : la leur. Une ville pavoise en leur honneur : la cité natale de Mme De Gaulle, la « cité du mariage ».
De Gaulle connaît Calais depuis un demi-siècle. Il y vient pour la première fois en 1910. Il n’est que « 2e classe ». Tout au plus, caporal. Ce jour-là à Calais a pris le deuil : la population et une foule de personnalités internationales rendent hommage aux infortunés marins du « Pluviôse ».
Avec les « pioupious » du 33e Régiment d’infanterie d’Arras, De Gaulle escorte les cercueils drapés de tricolore. Sous les voûtes de l’église Notre-Dame où il se mariera onze ans plus tard, il aperçoit son premier Président de la République. Avril 1921 : à Calais, il épouse Yvonne Vendroux. Depuis cette date, le nom de Calais ne le quitte plus […]
55La moitié de l’article est consacrée à Yvonne de Gaulle, à son éducation et à son caractère, à sa discrétion. C’est à travers la première dame de France que la ville de Calais est attachée au chef de l’État.
56Le séjour calaisien est chargé d’émotion mais ne dure que trois heures, trois heures seulement, empreintes de protocole. Nord Littoral revient de façon grandiloquente sur ces « heures exceptionnelles, des heures qui comptent, des heures que l’on évoque lorsque les neiges du temps ont blanchi les femmes et que l’on aime à faire revivre, pour les générations nouvelles, les grandes images du passé ».
Aux sentiments de déférence, de respect et de reconnaissance que les Calaisiens voulaient hier, exprimer, par leurs vivats et leurs applaudissements à celui qui incarne la grandeur de la France, celui qui fut le premier résistant et le libérateur, celui qui a consenti à descendre de son piédestal de gloire pour livrer un nouveau combat se mêlait, à coup sûr, une note sentimentale.
Pour les habitants de cette ville, le Chef de L’État, Président de la République et de la Communauté est un peu des leurs. C’est à Lille qu’il est né et c’est à Arras qu’il a fait ses premières armes, mais c’est à Calais qu’il est revenu, de temps à autre, lorsque le permettaient les lourdes charges qu’il assume et c’est chez nous, en nos murs, que vit, partageant les soucis et les espérances de toute la population, une partie de sa famille […]
57Le message est simple. À Calais, le général de Gaulle est chez lui.
Combien étaient-ils, ces hommes, ces femmes et ces enfants massés sur les trottoirs des boulevards depuis son entrée dans la ville et agglutinés en un gigantesque essaim sur l’immense place de l’hôtel de Ville ? Nous avons retenu le chiffre émis par des spécialistes de l’évaluation des foules : plus de Soixante Mille. Et tout ce monde était tendu, joyeux, endimanché.
58Pour une agglomération d’environ 80 000 habitants à cette date, l’affluence est record.
[…] le président Charles de Gaulle est accueilli sur le boulevard Jacquard par M. et Madame Jacques Vendroux. Aussitôt les congratulations officielles terminées, le Président de la République se dirige vers le trottoir de droite. Il serre les mains qui se tendent cependant qu’une salve éclate de bravos, d’applaudissements, de vive de Gaulle.
Et c’est la lente descente vers l’hôtel de Ville dans un chatoiement de couleurs, une symphonie de tricolores, drapeaux claquant au vent. À chacun des Arcs de Triomphe se tient le maire de la commune dont le nom est inscrit sur le panonceau. Le torse ceint de l’écharpe tricolore, le premier magistrat de la commune tend respectueusement la main au général de Gaulle qui échange avec lui des paroles amicales. Les salves sont devenues feu roulant, tir de barrage ! Les applaudissements et les cris sont ininterrompus […] Ce sourire de Calais, le général de Gaulle ne l’oubliera certainement jamais […]
Il serre les mains un peu au hasard, mais l’on voit les visages s’éclairer, tout le monde est maintenant rassuré, détendu, ce n’est pas la visite protocolaire, c’est la visite familiale.
59Ces bains de foule, typiques de la pratique gaullienne du pouvoir, permettent au chef de l’État un contact direct avec le peuple, ce qui n’est pas commun dans la communication politique d’alors. Ils permettent à la foule de « communier » avec le général de Gaulle, ils permettent aux habitants d’exprimer leur « admiration » et leur « ferveur ».
60Les discours sont plus chaleureux que protocolaires. De Gaulle déclare : « Mon cher Jacques […] Il s’est glissé entre cette belle et grande glorieuse ville et moi-même et les miens des liens particuliers. Les circonstances […] ont fait que j’ai déjà eu l’honneur de me trouver à Calais ». Comme il faut garder à jamais tous les détails de cette journée mémorable, Nord Littoral relate le repas dont il faut sauter un plat pour rattraper le retard, les visite d’Yvonne de Gaulle à la maternité et à l’asile des Petites sœurs des pauvres, celle de Charles de Gaulle aux Filés de Calais, sont largement décrites et commentées par le menu.
61Le lendemain, le député-maire de Calais adresse un message de remerciements à ses concitoyens.
Mes Chères Concitoyennes, Mes Chers Concitoyens,
L’accueil inoubliable que j’espérais, vous l’avez réservé au Général de Gaulle, Président de la République, et à Madame de Gaulle.
Je vous avais demandé que nos hôtes illustres « se sentent heureux à Calais ». Je puis vous donner l’assurance qu’ils ont quitté notre Ville le cœur plein de reconnaissance, de confiance et d’affection.
Calais a donné le spectacle, non seulement de l’enthousiasme, mais aussi de l’ordre et du bon goût.
Il y a plus : le Général, les Ministres et les autres Personnalités qui l’accompagnaient, ont bien senti, par-delà les manifestations sentimentales de la foule, la justification de notre désir de devenir les habitants d’une Cité toujours plus grande, plus belle, et plus prospère.
Avec les Membres de l’Administration municipale, je remercie chaleureusement toutes celles et tous ceux qui, par la qualité de leur accueil, par leur présence aux diverses réceptions, par leur dévouement, par leur souci de mettre en vedette nos activités économiques, par la peine matérielle qu’ils ont prise de décorer les artères principales, ont contribué à placer Calais au premier plan de l’actualité.
Merci encore à toutes et à tous.
Le Député-Maire : Jacques Vendroux
La gauche locale reste fortement enracinée
- 42 Bethouart B., op. cit.
62Si les référendums et les élections législatives révèlent l’existence d’un gaullisme populaire, les partis de gauche obtiennent une audience majoritaire. C’est que la région est historiquement et par ses caractéristiques socio-économiques marquée à gauche. Le socialisme y est présent depuis des décennies et le parti communiste solidement implanté depuis la Libération. Il obtient notamment dans la circonscription de Calais nord-ouest la première place en 1946 avec 23,5 % des suffrages exprimés. Le PCF recueille encore plus de 20 % des voix en 1951 et en 1956, même s’il est alors devancé par la SFIO. Après une sérieuse baisse en 1958 avec 12,9 %, le parti communiste remonte à 15 % en 196242.
63La section de Calais du PCF s’implique dans la création de comités de vigilance face aux événements d’Algérie de mai 1958, comme le montre cet extrait de télégramme :
- 43 AD du Nord, W142243, Événements de mai 1958, document soumis à dérogation.
IGAME à Direction Générale de la Sûreté Nationale 18 mai 1958 message de 11 h
Dans de nombreuses localités, le PCF essaie de constituer des comités de vigilance ; jusqu’à présent, 4 comités ont été créés à Hénin-Liétard, Calais, Auchel et Arras.
À noter qu’à Calais, le syndicat FO des tullistes a désavoué l’un de ses membres qui avait accepté de faire partie du comité de vigilance43
64Dans un autre télégramme, daté du 19 mai 1958 à 18 h, l’IGAME signale peu d’arrêts de travail.
Quelques arrêts de travail vers 15 Heures, notamment aux Ets Fauvet Girel à Arras (400 ouvriers) à l’entreprise de bâtiment Decottignies à Calais (200 ouvriers) des dockers de Calais et de Boulogne (149). Aux Ets Brampton à Calais (800 ouvriers) les quatre délégués cégétistes ont débrayé mais n’ont pas été suivis.
65L’emprise de la CGT semble alors limitée, signe peut-être d’une acceptation par la population du retour possible du général de Gaulle qui vient de s’exprimer à la télévision.
66Dix jours plus tard, le 29 mai 1958, un nouveau message fait état de la constitution d’un comité de liaison regroupant des organisations politiques et syndicales de gauche.
- 44 AD du Nord, W142243, Événements de mai 1958, document soumis à dérogation.
La population suit toujours avec calme le déroulement de la situation.
Les milieux modérés espèrent maintenant un dénouement rapide de la crise avec de Gaulle.
Les milieux de gauche et de Centre Gauche raidissent par contre leur position, notamment à la suite de l’imposante manifestation parisienne.
Quelques socialistes penchent même pour une action commune de tous les groupements de gauche, y compris les communistes.
Hier soir à Calais, constitution d’un comité de liaison par la CGTC, CFTC, FO, syndicats enseignants, UGS, MRP, PC, Libre Pensée, Ligue des Droits de l’Homme et section socialiste de Marck. Ce comité a décidé l’organisation d’une manifestation ce soir à 18h30. La section socialiste de Calais a réservé provisoirement sa réponse pour la participation à ce comité44.
67Les élus communistes du conseil municipal de la ville n’hésitent pas à interpeler le maire de Calais et à transmettre à Nord Littoral leur courrier.
- 45 Nord Littoral, 24 mai 1958, p. 7.
Après le complot d’Alger, les événements d’Ajaccio montrent la gravité que font courir aux institutions républicaines les coups de force fascistes. En raison de l’urgence de la situation, nous pensons qu’il serait souhaitable que vous preniez l’initiative de réunir le Conseil Municipal, en séance extraordinaire, afin que ce dernier puisse manifester son attachement aux institutions républicaines.
Dans l’espoir d’une réponse favorable à notre demande, veuillez agréer, Monsieur le Député-Maire, nos salutations républicaines et antifascistes.
Pour le Gr. des élus communistes : M. DANEL45.
- 46 Galand I., op. cit., p. 78.
- 47 Nord Littoral, 1er décembre 1958, une.
68Lors des élections législatives des 23 et 30 novembre 1958, le scrutin est uninominal, majoritaire à deux tours. La France est découpée en circonscriptions électorales. Le Calaisis représente la 7e circonscription du Pas-de-Calais, qui regroupe les deux cantons de Calais et le canton d’Audruicq. Au premier tour, Jacques Vendroux arrive partout en tête des communes des cantons, sauf à Guemps, Nouvelle-Église, Offekerque et Oye-Plage, communes d’Audruicq, qui le placent second, derrière les candidats de gauche. À Calais, il arrive en tête dans 35 bureaux sur 37. Seuls les deux bureaux de la rue Constantine, quartier populaire du Fort-Nieulay, ne votent pas pour lui, ils avantagent le candidat communiste. Au second tour, dans le canton nord-ouest, il obtient des scores historiques comme 83 % à Escalles. Dans le canton sud-est, il domine avec des pourcentages moins élevés, plus faibles encore dans le canton d’Audruicq. À Calais, le 30 novembre, il arrive cette fois-ci partout en tête. Il réalise de bons pourcentages dans les quartiers démunis traditionnellement de gauche46. Jacques Vendroux récupère son siège avec un total de 62,69 % des voix. Les commentaires de la presse sont élogieux à son égard : « Le corps électoral a rendu son verdict. Il est éloquent. L’élection de Jacques Vendroux est tout simplement triomphale. Le beau-frère a été littéralement plébiscité […] Il n’est donc pas question de minimiser en quoi que ce soit le très grand succès remporté par Jacques Vendroux ; la gauche calaisienne est écrasée »47. Les îlots de résistance, à gauche, sont peu nombreux, c’est un raz-de-marée gaulliste.
- 48 Nord Littoral, 27 mai 1959, p. 2.
69La gauche « institutionnelle » laminée, la nouvelle gauche s’installe à Calais en 1959. Le refus de la politique algérienne menée sous la IVe République par la SFIO amène à la formation à Calais d’une section du Parti socialiste autonome, dont les membres prennent tout de suite position sur l’Algérie, se disant « écœurés par l’attitude des dirigeants de la SFIO », parlant de leur « colonialisme aveugle et fatigué ». L’objectif essentiel est « le rétablissement de la paix en Algérie par la reconnaissance des aspirations légitimes du peuple algérien48 ».
- 49 A.D. du Pas-de-Calais, 1402W7/8 Cabinet du Préfet. Document soumis à dérogation.
70Dès 1959, la campagne menée par l’union locale CGT de Calais avec les sections PCF, UFF, et Union de la gauche socialiste, dans le cadre de « L’assemblée nationale pour la paix », est surveillée par les RG, comme le confirment les instructions préfectorales et ministérielles de surveillance des réunions de cette « assemblée nationale », dont les actions peuvent prendre la forme « d’une critique de l’armée ou d’une apologie de la rébellion », ou bien encore entraîner une « démoralisation de l’armée »49.
71Les syndicats de gauche sont attentifs aux progrès dans la négociation entre la France et les représentants du peuple algérien. Dans une tribune libre : « Nos lecteurs ont la parole », le conseil syndical des Travailleurs du Tulle de Calais s’adresse à la population laborieuse.
- 50 Nord Littoral, 29 mars 1960, p. 2.
Notre Fédération CGT a, dès le début, mené le combat contre cette guerre colonialiste qui a tant coûté à la France. Notre Conseil Syndical est d’accord avec les décisions de notre Fédération, concernant la négociation, sur la double garantie du cessez le feu et de l’autodétermination ; il appelle les travailleurs à se prononcer dans les usines et à constituer partout des Comités de Paix. En même temps, nous informons les syndicats FO et CFTC de la corporation et nous leur proposons de mener l’action commune en faveur de la négociation50.
- 51 Nord Littoral, 27 et 28 octobre 1960.
72Le 27 octobre 1960, les unions locales CGT, CFTC, FO, FEN, SNI, SNES, SFIO, PCF, PSU, Ligue des Droits de l’Homme, Libre Pensée, Mouvement de la Paix, Mouvement de Libération Ouvrière, Union des Femmes Françaises, UJFF, UJCF, Jeunesse du PSU, Association Populaire Familiale protestent contre l’interdiction de la manifestation de Calais, venant après celle de Paris. Elles maintiennent cependant leur mot d’ordre d’arrêt de travail et organisent une manifestation d’un calme absolu et d’une ampleur évidente. Plusieurs milliers de Calaisiens de la Bourse du Travail à l’Hôtel de Ville. Malgré l’interdiction, 19 groupements sont représentés. Les organisations « appellent la population toute entière à rester vigilante et unie pour que soit enfin la paix en Algérie »51.
- 52 Nord Littoral, 23 avril 1961, p. 2.
73Le putsch d’avril 1961 ne laisse évidemment pas indifférentes les organisations de travailleurs. Dès le 23, elles appellent la « Classe Ouvrière Calaisienne » à « faire preuve de la plus extrême vigilance et à dresser contre la rébellion le Front Uni des Travailleurs »52. Le mouvement de grève du 24 a été suivi à 100 %, et le lendemain :
- 53 Nord Littoral, 25 avril 1961, p. 2.
le « Comité de liaison félicite la population calaisienne et du Calaisis qui a manifesté ses sentiments d’attachement à la Liberté, à la Démocratie et à la République en cessant le travail suivant les mots d’ordre lancés par les organisations syndicales, politiques et démocratiques. Le Comité de liaison informe la population qu’il a pris toutes dispositions pour qu’en cas de danger elle puisse être rapidement mobilisée pour faire face à toute tentative des factieux.
Devant la situation qui reste très grave, le Comité de liaison vous appelle à la vigilance et à l’Union. Soyez prêts ! ! » Cet appel à la population est signé par la CGT (R. Lefebvre), CGT-FO (A. Cotrez), CFTC (H. Crepel), FEN (R. Rembotte), PCF (Danel), PSU (Kleimpeter), PS, SFIO (Parmentier), Ligue des Droits de l’Homme (G. Demont), Mouvement de la Paix (Mme Schindler), et les Vieux Travailleurs (R. Denimal)53.
- 54 Nord Littoral, 19 avril 1961, p. 5.
74Dans le Calaisis, les forces politiques et syndicales de gauche sont particulièrement actives en 1961 et 1962, notamment à l’occasion du 1er mai. En avril 1961, l’Union locale des syndicats confédérés de Calais et environs lance un appel à tous les travailleurs et travailleuses54, appel commun à celui discuté aux Union locales CGT-FO et CFTC, aux Sections de la FEN et du SNI, du SNES et du SNET, le 2 avril, pour :
– Engager la négociation avec le GPRA pour la Paix en Algérie,
– L’augmentation des salaires, traitements, pensions et retraites, ainsi que les prestations familiales ;
– La suppression des abattements de zone ;
– L’augmentation du SMIG à 194 francs de l’heure ;
– La réduction du temps de travail et le retour à la semaine de 40 heures sans diminution de salaires ;
– L’avancement de l’âge à la retraite ;
– La sauvegarde des conquêtes sociales et le respect des droits acquis ;
– La défense de la laïcité, des libertés et droits syndicaux et démocratiques, le rétablissement de ceux qui ont subi des atteintes et leur élargissement dans une démocratie rénovée.
L’UNION LOCALE C.G.T. DE CALAIS ET ENVIRONS.
- 55 Nord Littoral, 28 avril 1961, p. 2.
75Unité et lutte sont les deux mots d’ordre de cet appel qui regroupe des revendications surtout économiques et sociales. Quelques jours plus tard, l’appel à la préparation du 1er mai est beaucoup plus politique, le putsch des généraux vient de s’achever. « Cette année, la classe ouvrière française fêtera la GRANDE VICTOIRE qu’avec tous les Républicains du pays, elle vient de remporter contre la rébellion fasciste d’Alger »55. L’appel est signé par la CGT, FO, et la FEN.
76La manifestation de protestation organisée par le Parti Communiste contre l’OAS le 6 décembre 1961, connaît à Calais un important succès.
- 56 Nord Littoral, 7 décembre 1961, p. 2.
Le PSU, le Mouvement de la Paix et le Syndicat National de l’Enseignement Secondaire répondirent favorablement à l’invitation.
Hier vers 17heures 30, une bonne centaine de personnes se sont réunies devant la Bourse du Travail puis ont gagné l’Hôtel-de-Ville où, à 18 heures, une délégation devait être reçue par M. Denimal.
Ajoutons que pour épauler le mouvement, 237 dockers calaisiens travaillant en « schift » débrayèrent trente minutes, c’est-à-dire de 17 heures à 17 heures 3056.
- 57 Nord Littoral, 11 février 1962, p. 2.
77Les organisations proches du PCF forment un Comité de vigilance antifasciste de Calais qui appelle à un arrêt national du travail le lundi 12 février 196257.
Le pouvoir gaulliste a fait couler le sang des antifascistes : il a montré ainsi la véritable nature de sa politique. En déchaînant ses forces contre les antifascistes, il favorise les entreprises factieuses. Le peuple de France aspire à l’ordre et à la sécurité. En s’unissant il dispose de forces suffisantes pour barrer la route au fascisme. Devant l’urgence du danger le Comité se félicite de la constitution de comités antifascistes dans les entreprises : aux Filés, chez les dockers, chez Brampton et chez les cheminots.
78En mars, le Comité s’élargit à d’autres organisations politiques, syndicales et associatives qui forment un vaste Comité de liaison antifasciste et de défense républicaine. Parmi les signataires se retrouvent :
- 58 Nord Littoral, 18 mars 1962, p. 2.
Pour la Ligue des Droits de l’Homme : Rembotte, pour la CGT : Culnard, pour la CGT-FO : Cotrez, pour la CFTC : Simplot, pour le SNI : Fasquel, pour le SNES : Smal, pour le SNET : Canipel, pour le Parti Communiste Français : Danel, pour le Parti Socialiste Unifié : Chifflart, pour le Parti Socialiste SFIO : Roujean, pour la Ligue de l’Enseignement : Gavelle, pour le Mouvement de Libération Ouvrière : Brame, pour l’Association Populaire Familiale : Lavoine, pour l’Union de Femmes Françaises : R. Langlet, pour le Mouvement de la Paix : Schindler, pour la Libre-Pensée : Lemaire58.
79Ce Comité se donne pour tâches :
-
de dénoncer les hommes de l’OAS, leurs complices et leurs instigateurs politiques et autres ;
-
de prendre toutes mesures nécessaires pour prévenir les actions de l’OAS […]
-
de s’opposer tout à coup de force analogue à ceux qui ont été tentés par les factieux en février 1960 et en avril 1961.
80L’élargissement de ce comité et le nombre de manifestations montre l’importance et la variété des organisations de gauche, chrétiennes ou proches du PCF, présentes sur le Calaisis et leur capacité à mobiliser la population ouvrière littorale face à la situation politique issue de la guerre d’Algérie.
81Jacques Vendroux, maire de Calais en 1945, reconquiert la municipalité en 1959, profitant de la vague gaulliste qui le propulse également député. Ces résultats électoraux dans une ville marquée à gauche sont remarquables et tiennent pour partie au lien de parenté qui unit le maire au chef de l’État. Quand celui-ci est au pouvoir, Jacques Vendroux est plébiscité par la population calaisienne. Quand le général de Gaulle est éloigné du pouvoir, les quartiers populaires favorisent les forces de gauche. En fait, ses mandats locaux et nationaux sont liés à la présence du général à la tête de l’État.
82À travers Jacques Vendroux, Charles de Gaulle bénéficie d’un certain élan populaire dans la cité calaisienne. Cet élan est visible dans les résultats électoraux, lors des référendums notamment, supérieurs aux moyennes nationales et départementales, ou lors de la visite présidentielle de septembre 1959. La population est sensible à la politique algérienne du chef de l’État qu’elle soutient, même si les forces de gauche, bien représentées, restent fort critiques.
- 59 Vendroux J. op. cit., 18 juin 1962.
Il est de notoriété publique que trois ou quatre membres de mon conseil, issus de la tendance des républicains indépendants, éprouvent quelque amertume de la politique gaullienne à l’égard de l’Algérie. Or ils avaient tenu à participer à l’hommage rendu à de Gaulle. Ce comportement me confirme dans l’impression que j’ai déjà ressentie à plusieurs reprises : nombre de Français tiennent à souligner la différence qu’ils font entre « l’homme du 18 juin » qu’ils continuent à respecter et à admirer, et le chef de la majorité actuelle qu’au contraire ils contestent59.
Notes
1 Bethouart B., « Le littoral depuis la Libération : son évolution politique », Bulletin historique et artistique du Calaisis, no 166-167-168, janvier 2000, p. 51 à 96.
2 http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/biographies/IVRepublique/parmentierandre-22021912.asp
3 Galand I., Jacques Vendroux, De Gaulle et Calais, mémoire de maîtrise, Université du Littoral Côte d’Opale, dir. P. Villiers, B. Béthouart, 1996, 260 p., p. 75.
4 Vendroux J. Ces grandes années que j’ai vécues… 1958-1970, Plon, 1975, 375 p. Tome II des « souvenirs de famille et journal politique ».
5 Ibid., 29 octobre et 9 novembre 1958.
6 Vendroux J. op. cit., 1er décembre 1958.
7 Galand I., op. cit., p. 127.
8 Publié dans Nord Littoral les 13 et 14 mars 1959.
9 vendroux j. op. cit., 15 mars 1959.
10 Galand I., op. cit., p. 127.
11 L’étude qui suit est reprise de Bethouart B., « Le littoral depuis la Libération : son évolution politique », Bulletin historique et artistique du Calaisis, no 166-167-168, janvier 2000, p. 51 à 96.
12 Vendroux J. op. cit., 20 mai 1958.
13 Vendroux J. op. cit., 29 septembre 1958.
14 Nord Littoral, 30 janvier 1960, p. 2.
15 Vendroux J. op. cit., 22 avril 1961.
16 Ibid. 23 août 1962.
17 Nord Littoral, 24 août 1962, p. 2.
18 Nord Littoral, 4 septembre 1962, p. 2.
19 Vendroux J. op. cit., 29 octobre 1962.
20 « L’Algérie de papa est morte », expression utilisée par le général de Gaulle le 29 avril 1959.
21 Cf. annexe 10 pour le texte complet.
22 Nord Littoral, 9 juin 1956, p. 2.
23 PV des délibérations du Conseil municipal, séance du 13 juillet 1956.
24 Vendroux J. op. cit., 20 août 1959.
25 Ibid., 25 septembre 1959.
26 Ibid. 9 janvier 1961.
27 Nord Littoral, 7 janvier 1961, p. 2, appel de Jacques Vendroux.
28 Nord Littoral, 25 avril 1961, p. 2.
29 Nord Littoral, 19 avril 1961, p. 2.
30 Nord Littoral, 2 février 1962, p. 3.
31 Nord Littoral, 10 février 1962, p. 2.
32 Nord Littoral, 14 février 1962, p. 2.
33 Nord Littoral, 9 mars 1962, p. 2.
34 vendroux J. op. cit., 3 avril 1962.
35 Ibid, 3 avril 1962.
36 vendroux j. op. cit., 9 avril 1962.
37 Nord Littoral, 9 avril 1962, éditorial.
38 Nord Littoral, 31 mai 1962, p. 2.
39 PV des délibérations du Conseil municipal, séances des 28 août et 27 novembre 1961.
40 Galand I., op. cit., p. 38.
41 Tous les extraits qui suivent sont issus du quotidien Nord Littoral des 25, 26 et 27 septembre 1969.
42 Bethouart B., op. cit.
43 AD du Nord, W142243, Événements de mai 1958, document soumis à dérogation.
44 AD du Nord, W142243, Événements de mai 1958, document soumis à dérogation.
45 Nord Littoral, 24 mai 1958, p. 7.
46 Galand I., op. cit., p. 78.
47 Nord Littoral, 1er décembre 1958, une.
48 Nord Littoral, 27 mai 1959, p. 2.
49 A.D. du Pas-de-Calais, 1402W7/8 Cabinet du Préfet. Document soumis à dérogation.
50 Nord Littoral, 29 mars 1960, p. 2.
51 Nord Littoral, 27 et 28 octobre 1960.
52 Nord Littoral, 23 avril 1961, p. 2.
53 Nord Littoral, 25 avril 1961, p. 2.
54 Nord Littoral, 19 avril 1961, p. 5.
55 Nord Littoral, 28 avril 1961, p. 2.
56 Nord Littoral, 7 décembre 1961, p. 2.
57 Nord Littoral, 11 février 1962, p. 2.
58 Nord Littoral, 18 mars 1962, p. 2.
59 Vendroux J. op. cit., 18 juin 1962.
Table des illustrations
Titre | Doc. 14 : Résultats des référendums à Calais de 1958 à 1962. |
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Crédits | Source : AM, cote 17W2 et Nord Littoral. Les résultats sont donnés en % des suffrages exprimés. |
URL | http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47804/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 132k |
Titre | Doc. 15 : Résultats du référendum d’avril 1962 pour le Calaisis. |
Crédits | Source : Nord Littoral. |
URL | http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47804/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 279k |
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