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La Côte d’Opale en guerre d’Algérie 1954-1962

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Marc Coppin

Partie II. Des hommes et des femmes qui prennent position

Des engagements marginaux

Texte intégral

1Entre 1954 et 1962, alors que la majorité de l’opinion métropolitaine est attentiste, que la majorité de la population du Nord-Pas-de-Calais se résigne à la guerre, des habitants de la Côte d’Opale font le choix d’épouser une cause qui n’est pas, à priori, la leur. Loin du littoral méditerranéen, qu’est-ce qui les pousse à s’engager en faveur de l’indépendance algérienne, ou au contraire en faveur de l’Algérie française ? Les membres de l’OAS ou du FLN ne sont pas très nombreux sur le littoral, mais des graffitis, des tracts, des menaces ou des extorsions de fonds, sont pourtant recensés. Ces engagements extrêmes ne sont pas sans conséquences judiciaires.

Des engagements en faveur du FLN

FLN et MNA sur le littoral

L’organisation du FLN

  • 1 Bouchiouane N., Le FLN, le MNA et le gouvernement français, dans les départements du Nord et du Pas (...)
  • 2 Amiri L., La bataille de France, La guerre d’Algérie en métropole, R. Laffont, 2004, 239 p., p. 50.
  • 3 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7955, Ministère de l’Intérieur - Direction Généra (...)

2Fin 1957, le FLN (Front de libération nationale) met en place le quadrillage systématique de la population immigrée : le nidham. Tout Algérien doit se retrouver dans une structure contrôlée et encadrée. Ce quadrillage géographique permet de mettre en place un système de collecte de fonds efficace, qui s’appuie sur un appareil armé1. En août 1958, le FLN est suffisamment puissant pour porter la guerre en France. Omar Boudaoud est chargé par le Comité de coordination et d’exécution du FLN d’ouvrir un second front en métropole. « L’objectif étant de provoquer un climat d’insécurité dans l’hexagone, de contraindre le gouvernement à y maintenir un maximum de troupes et ainsi soulager l’ALN (Armée de libération nationale) »2. Pour ce faire, le FLN procède à un recensement général des Algériens vivant en France. Le FLN installe en métropole un système très centralisé mais qui évolue dans le temps, notamment avec les arrestations de responsables. En février 1958, le FLN compte trois wilayas en métropole, région parisienne, Nord-est et centre-Sud3. La répartition des « Nord-Africains » en métropole à cette date donne 24 000 personnes pour le Nord et 4 000 dans le Pas-de-Calais.

3L’ensemble de la wilaya Nord-est compte 13 435 adhérents, son responsable est « Si Allal », dont le signalement est connu mais qui reste non identifié à ce jour. La wilaya est divisée en 3 zones, dont la zone Nord qui couvre les départements du Nord, du Pas-de-Calais, la Somme, en partie l’Aisne, les Ardennes et la Belgique. Elle compte 4 200 adhérents, contre 2591 dix mois plus tôt, ce qui peut s’expliquer par une immigration algérienne plus nombreuse, ou par une pression plus forte de la Fédération de France du FLN sur les Algériens présents. À l’intérieur de la zone, trois régions, dont la région Nord-ouest Pas-de-Calais. Cette région englobe une partie du département du Nord avec Lille-Roubaix-Tourcoing, Dunkerque ; une partie du Pas-de-Calais avec Béthune, Boulogne-sur-Mer et Auxi-le-Chateau. Le responsable est Acherfouche Mohamed, alias Hamid, arrêté à Roubaix le 6 janvier 1958. Elle compte 833 adhérents, répartis en 131 cellules. Les organigrammes établis par les RG correspondent à l’état de leurs connaissances à un moment donné. Lorsqu’un responsable est arrêté, ils ne connaissent pas le nom de celui qui est désigné pour le remplacer.

Doc. 6 : Organisation connue de la Wilaya du Nord en février 1958.

Doc. 6 : Organisation connue de la Wilaya du Nord en février 1958.

Source : Archives départementales du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M. 7955.

  • 4 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7955.

4L’organisation du FLN pour la région Nord-ouest Pas-de-Calais évolue six mois plus tard. Haddadi Ramdane, chef de la région, « promu à Denain dans un café par deux hauts responsables du mouvement venus spécialement de Paris », est arrêté le 13 mars 1958. Les RG écrivent alors : « Le choix d’un militant jeune (né en 1938), inexpérimenté, sans grande personnalité, montre la pénurie de cadres élevée où se trouve le FLN ». La situation du FLN dans le Nord n’est pas très bonne à cette date car « il semble qu’il y ait à Lille un important retard dans la perception des cotisations », et « le manque d’activité à Dunkerque et à Boulogne a fait rattacher ces deux villes l’une à l’autre »4.

5En fonction des arrestations policières, de l’évolution des effectifs, de la mise en place de nouveaux réseaux, l’organisation de la Fédération de France du FLN est en constante mutation. En octobre 1958, la Côte d’Opale appartient à la zone II qui englobe la Somme, le Pas-de-Calais et le Nord-Ouest du département du Nord, jusqu’à Denain non compris. Quatre régions sont distinguées : la région de Boulogne avec Dunkerque et Amiens, la région de Lille, Roubaix, Tourcoing ; la région de Douai avec Auby, Roost-Warendin, et Flers-en-Escrebieux ; et la région de Lens avec les kasmas du Pas-de-Calais : Libercourt, Carvin, Courcelles-les Lens, Henin-Lietard, Oignies, Harmes et Leforest. Le choix de Boulogne-sur-Mer comme « tête de pont » peut s’expliquer par une position centrale entre Dunkerque et Amiens, ou par le fait que l’activité policière est plus importante à Dunkerque où la population algérienne est plus nombreuse.

6Selon le rapport des RG, l’activité frontiste dans cette zone souffre des contrôles de police, des réactions meurtrières des commandos du MNA (Mouvement national algérien) qui empêchent le FLN de contrôler étroitement la population algérienne à Lille, Roubaix et Douai. L’enjeu pour les deux organisations est de s’assurer le contrôle et le soutien financier des immigrés de la région.

  • 5 Amiri L., op. cit. p. 48.

Les divergences entre le FLN et le MNA reposent essentiellement sur la manière du combat dont doit être mené : pour les uns, la victoire est au bout du fusil, pour les autres la lutte ne peut se gagner que sur la scène politique. À l’inverse de son frère ennemi, le MNA opte pour la primauté du politique sur le militaire et désavoue les actes de terrorisme perpétrés contre des civils5.

7De plus, les cotisations ne rentrent pas régulièrement. « La masse est lasse et ne croit plus en la victoire prochaine de l’ALN. Le nombre d’attentats terroristes depuis le 24 Août, est peu élevé dans le Nord par rapport au reste de la France. Il semble que l’absence d’une infrastructure politique solide ait gêné les chefs de l’OS (Organisation spéciale) dans leur terme de recrutement, lors de la constitution de commandos de « fidayines ».

8En 1958, une région de la zone II est constituée. Elle comprend Boulogne, Abbeville, Calais, et Dunkerque. Mais :

  • 6 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7955, rapport de mars 1959.

depuis sa mise en place il y a un an, cette région fonctionne de manière défectueuse, en raison du manque de zèle et de savoir-faire des dirigeants locaux. Voici une appréciation récente d’un dirigeant : « Méthode infantile employée pour le quadrillage ; grandes possibilités d’avenir ». On y compte environ 400 éléments. Le régional Drici Mohamed, dit « Alloua », a été arrêté à Paris le 30 octobre 1958. Son agent de liaison était un docker de Boulogne, Ammiche ben Amar6.

9En juillet 1959, la Wilaya du NE porte maintenant le numéro IV. Elle « reste toujours très faible par rapport aux deux wilayas de Paris, tant au point de vue de la collecte que des troupes de choc, qui subissent l’ascendant de leurs homologues du MNA ».

Doc. 7 : Wilaya IV (du Nord-Est) Super zone du Nord. Juillet 1959.

ZONE I (Aisne, Ardennes, Marne, Aube, Meuse et Haute-Marne)

ZONE II (Nord, Pas-de-Calais, Belgique)

ZONE III (Bretagne et Normandie)

Région des Ardennes
Région de Reims
Région de Saint-Dizier

Région de Dieppe–Dunkerque
Avec Abbeville et Calais sur la côte Et St-Omer, Hazebrouck, Béthune, Arras et Amiens
Région de Lille-Roubaix-Tourcoing
Région de Denain-Valenciennes
Région de Douai-Lens-Libercourt
Région de Maubeuge et bassin de la Sambre
Région de Belgique

Région de Caen
Région de Rouen
Région du Havre

Source : Archives départementales du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M. 7955.

  • 7 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7955, rapport de février 1960.

10Les chefs frontistes proposent le rattachement de la zone côtière, d’Abbeville à Dunkerque, à la zone III de Bretagne-Normandie, ce qui est effectif en février 19607. La région de Belgique sert toujours d’asile et de lieu de rendez-vous pour les chefs du Nord de la France, mais elle ne dépend plus, comme en 1957, de la wilaya Nord. Elle constitue une sorte de petite fédération rattachée à la Fédération de France à l’échelon le plus élevé, c’està-dire le Comité fédéral. La Belgique compte environ 1000 membres du FLN répartis en trois secteurs : Mons – Pâturage, Charleroi, Liège.

  • 8 MacMaster Neil et House Jim, « La Fédération de France du FLN et l’organisation du 17 octobre 1961  (...)

11Au 1er septembre 1961, nouvelle organisation, la Côte d’Opale appartient désormais à la Wilaya 2A du FLN8.

Doc. 8 : Organisation du FLN au 1er septembre 1961.

Groupe 1
Wilaya 1
Wilaya 1B

Responsable contrôleur 1
Paris sud (Sud de la Seine)
Atlantique (Sud-ouest de la France, de la région parisienne à Bordeaux

Groupe 2
Wilaya 2
Wilaya 2A
Wilaya 2B

Responsable contrôleur 2 : Younès Aberkane
Paris nord (Nord de la Seine)
Nord (de la région parisienne au Pas-de-Calais, Lille et la frontière belge)
Est (Alsace-Lorraine, de Strasbourg à la frontière suisse)

Groupe 3
Wilaya 3
Wilaya 3B

Responsable contrôleur 3
Région de Lyon, dont Massif Central
Région de Marseille et Languedoc

Source : MacMaster Neil et House Jim, « La Fédération de France du FLN et l’organisation du 17 octobre 1961 », Branche r., La guerre d’indépendance des Algériens 1954-1962, coll. Tempus, Perrin, 2009, 384 p.

Le Nord, bastion MNA

12Le MNA est, comme le FLN, une organisation politico-militaire visant à l’indépendance de l’Algérie. Il succède à partir de 1954 au Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques fondé par Messali Hadj. Il est considéré par le FLN comme une organisation rivale car il a le soutien de la majorité des Algériens vivant en métropole. Le FLN juge par ailleurs le MNA trop réformiste. En Algérie, le FLN prend rapidement le dessus sur le MNA, au prix parfois de massacres effroyables, comme à Melouza. Mais en métropole, où réside Messali Hadj, la lutte pour le contrôle des Algériens est plus longue.

  • 9 Bouchiouane N., Le FLN, le MNA et le gouvernement français, dans les départements du Nord et du Pas (...)
  • 10 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7956, Ministère de l’Intérieur - Direction Généra (...)

13L’organisation du MNA comprend également des wilayas divisées en daïras, ou régions, puis en kasmas, en section, en groupe et enfin en cellule9. Il y a quatre wilayas, la plus importante étant la Wilaya Nord-Belgique qui compte en 1957-1958, 4000 adhérents groupés en quatre daïras, Valenciennes, Lille, Douai et la Belgique. La wilaya Nord-Belgique s’étend au-dessus de la région parisienne, de la Normandie à la Belgique, englobant essentiellement les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Sa limite vers le sud est la ligne Laon – Soissons. Elle compte 4 daïra, Lille-Roubaix, Douai-Lens, Valenciennes-Maubeuge, Belgique, et 8 kasma, pour 3117 membres fin 1958, 4300 en mai 195910.

Doc. 9 : La wilaya du Nord-Belgique.

Nombre d’adhérents

La daïra de Valenciennes

Kasma de Valenciennes : 1050
Kasma de Maubeuge : 700

1750

La daïra de Lille

Kasma de Lille : 900
Kasma de Roubaix-Tourcoing : 400

1300

La daïra de Douai

Kasma de Douai : 360 Kasma de Lens : 190

550

La daïra de Belgique

Kasma de Charleroi : 200
Kasma d’Hornu : 180
Kasma de Liège : 70

450

Source : Archives départementales du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M. 7956.

  • 11 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7956.

14Il existe une cellule à Dunkerque, composée de cinq sympathisants, une douzaine de Français musulmans qui achètent La voix du peuple et donnent de temps en temps quelque argent pour Messali. Guers Mohamed, secrétaire adjoint de l’USTA à Lille semble chargé de la ville de Dunkerque11.

Doc. 10 : Daïra de Lille-Roubaix en octobre 1958.

Doc. 10 : Daïra de Lille-Roubaix en octobre 1958.

Source : Archives départementales du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M. 7956.

15C’est en 1956 que la lutte fratricide entre le FLN et le MNA apparaît dans la région. On dénombre ainsi, au cours de l’année, 38 agressions entre Algériens qui feront 17 morts. Un article de La Voix du Nord, daté du 20 octobre 1956, fait état de cette lutte :

  • 12 Bouchiouane N., op. cit., p. 235-236.

[...] Pourquoi les victimes de ces agressions ont-elles été malmenées, blessées, tuées ? L’une était qualifiée de traître pour avoir quitté le MNA pour le FLN ou inversement. L’autre désireuse de gagner sa vie tranquillement et manifestant ouvertement son attachement indéfectible à la France, restait sourde à la propagande. D’autres encore refusaient de verser une partie de leur salaire ou de leurs bénéfices pour les frères combattants d’Algérie. Il s’est trouvé aussi parmi les victimes certains « caïds » ayant trop pressuré à leur profit leurs coreligionnaires... Pourquoi les débitants de boisson de Lille, Roubaix, Tourcoing figurent parmi les plus visés dans cette lutte à mort que semblent se livrer les Algériens chez nous. Parce que les tenanciers de cafés, les plus sollicités par les collecteurs de l’un ou l’autre mouvement sont souvent réticents, ou ils sont accusés d’héberger, de cacher et de ne pas dénoncer les traîtres, ou même parce qu’ils servent des boissons interdites par le Coran12.

  • 13 Ibid. p. 196-197.

16L’année 1957 est particulièrement meurtrière en métropole, comme dans la région et montre la forte résistance messaliste au FLN. Dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, on dénombre 78 morts. Malgré les arrestations et les assassinats de messalistes, le MNA tient bon et reste majoritaire. La direction du MNA se réfugie en Belgique ce qui lui permet de maintenir efficacement son influence dans la région. En mars 1962, la wilaya du Nord compte près de 3 800 militants et sympathisants messalistes ; une exception au regard de la situation du reste de la métropole, où l’influence du MNA est progressivement éliminée au profit du FLN13.

Collectes de fonds et tentatives d’assassinats

17Pour les nationalistes algériens, l’argent est évidemment le nerf de la guerre. Mais la Wilaya Nord-Est ne représente que 14,1 % des ressources de la Fédération de France du FLN à la fin de l’année 1958.

Doc. 11 : Ressources de la Fédération de France du FLN en octobre 1958.

Doc. 11 : Ressources de la Fédération de France du FLN en octobre 1958.

Source : Archives départementales du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M. 7955.

18Le fait que le Nord reste un bastion MNA, apparaît clairement dans le faible pourcentage que représente la Wilaya Nord dans le total de 1959.

Doc. 12 : Recettes brutes de la Fédération de France du FLN en décembre 1959

Doc. 12 : Recettes brutes de la Fédération de France du FLN en décembre 1959

Source : Archives départementales du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M. 7955.

  • 14 La Voix du Nord, 22 mai 1958, p. 2.

19Pourtant, l’action des collecteurs de fonds au profit du FLN est avérée sur la Côte d’Opale. Trois Nord-Africains, originaire de Boulogne pour l’un d’entre eux, de Dunkerque pour les deux autres, sont sévèrement condamnés par le tribunal de Boulogne-sur-Mer14. Ouanes, le chef de région Boulogne-Dunkerque est condamné à un an de prison, Lafdal, son garde du corps, à six mois et le trésorier payeur du district, Bouaziz, à deux ans. Tous les trois sont condamnés à une amende de 30 000 Frs. La somme de 195 000 Frs trouvée sur eux est confisquée. Au cours du procès, le procureur a rendu un « vibrant hommage à l’Armée qui se bat en AFN et à la police qui lutte contre les tueurs dans notre pays ».

  • 15 Les cités ONCOR sont fréquentes sur le littoral dévasté par la Seconde Guerre mondiale. Le sigle si (...)
  • 16 AD du Nord, Tribunal de Grande instance de Dunkerque, cote 1900W636, Menaces de mort. Document soum (...)

20Le Tribunal de Grande instance de Dunkerque traite des cas de menaces de mort, de violences, dont des tentatives d’homicides, entre ressortissants nord-africains du littoral. Le 22 Septembre 1957 vers 10 h, plusieurs nord-africains jouent aux cartes ou boivent au café Jeannot à Dunkerque. Séfiane B., 27 ans, journalier à Dunkerque, 2 avenue des bains, entre et leur dit : « vous savez bien qu’il est interdit de jouer aux cartes et de boire du vin » et à la patronne : « Faites attention Madame, je ne veux pas que les nord-africains jouent aux cartes. Si je les reprends la prochaine fois je démolis votre café ». Il continue : « le premier que je surprends consommant des boissons alcoolisées ou jouant aux cartes je lui tire neuf balles dans le ventre ». D’après les témoins présents, il est accompagné d’un autre nord-africain connu pour récolter régulièrement des fonds auprès des habitants de l’ONCOR15. Les deux sont connus pour être les principaux collecteurs de l’Union syndicale des travailleurs algériens, visiblement une couverture pour un parti politique, sans que le sigle FLN n’apparaisse dans le réquisitoire16.

  • 17 Ibid., cote 1900W524, Homicides, violences. Document soumis à dérogation.

21Le 14 août 1960 vers 23 h, Bakir B., manœuvre, domicilié cité ONCOR à Dunkerque, porte un coup de couteau à la gorge du dénommé Bachir B. Il reconnaît les faits et prétend avoir agi ainsi parce que Bachir B. serait un agent du FLN et l’aurait menacé. Au contraire, celui-ci affirme que l’inculpé l’a frappé parce qu’il avait refusé de lui donner de l’argent pour le FLN17.

22Les procès-verbaux des officiers de police éclairent également sur les activités du FLN ou du MNA sur le littoral.

  • 18 AD du Nord, Tribunal de Grande instance de Dunkerque, cote 1900W636, Menaces de mort. Document soum (...)

Au cours d’une enquête relative à une affaire de coups et blessures dont se plaint le nommé M. ben Mohamed, 30 ans, manœuvre, sans domicile fixe, nous recevons du nommé L. Mohamed, 29ans, maçon, demeurant à Dunkerque, cantonnement ONCOR, terre-plein de l’Ile Jeanty, une déclaration rapportant des faits s’étant passés courant 1956 et selon lesquels M. ben Mohamed aurait participé à l’époque, à Dunkerque, à la constitution du MNA, mouvement subversif. Il aurait sous la contrainte extorqué des cotisations de 1.050 francs près de coreligionnaires et L. aurait cédé une fois à sa pression par crainte de représailles. L. Mohamed, en raison du temps écoulé, ne se souvient plus des N.A. [Nord-africains] ayant aidé M. dans son action ni de coreligionnaires qui auraient comme lui cotisé au mouvement sous la contrainte. Il se dit convaincu que M. ben Mohamed milite encore dans ce mouvement, celui-ci ayant le 20.11.58 dans l’après-midi, proféré des menaces de mort sous condition à son égard parce qu’il se trouvait attablé dans un café à des coreligionnaires buvant comme lui du vin18.

23La collecte de fonds et le recrutement de nouveaux adhérents sont essentiels pour les deux camps.

  • 19 Ibid., cote 1900W616. Atteinte à la Sûreté extérieure de l’Etat.

B. Ammar a été identifié par la Brigade de Sûreté du Territoire de Lille en juillet 1961, comme étant l’adjoint du responsable régional du FLN de Dunkerque. À ce titre, il assistait aux réunions organisées, à l’échelon « région » par son supérieur hiérarchique, ainsi qu’à celles tenues à l’échelon « secteur » où ils contrôlaient les rapports financiers établis par les différents chefs de Kasma de la région de Dunkerque.
En outre, ses attributions consistaient également à recruter de nouveaux adhérents au FLN Pour ce faire, il se faisait accompagner d’un membre du groupe de choc FLN de Dunkerque afin d’intimider les récalcitrants. C’est ainsi que le 26 Juillet 1961, il était en compagnie du nommé Z. Belkacem, lorsque ce dernier a tiré des coups de feu sur les policiers de Rosendaël chargés de le contrôler. C’est à la suite de cette affaire que B. Ammar a quitté Dunkerque.
Les renseignements recueillis par le Service sur les fonctions qu’exerçait B. Ammar ont été confirmés par les déclarations du nommé L. Mérah dit Abdelhafid.
Ce dernier, en effet, au cours de l’examen de situation auquel il a été soumis au début de novembre 1961, a déclaré que B. Ammar l’avait obligé à verser une cotisation mensuelle de trente nouveaux francs au profit du FLN puis l’avait mis en demeure, sous la menace, de lui servir d’agent de liaison entre lui et un autre chef d’organisation19.

24Au mois d’août 1958, les cotisations mensuelles sont les suivantes :

  • 20 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7956.

– la cotisation pour un ouvrier ou manœuvre est de 2 000 frs ;
– une femme musulmane résidant en métropole est taxée de 500 frs ;
– un chauffeur de taxi de Paris, verse 8 000,00 F ;
– la cotisation est de 5 000,00 F pour une prostituée musulmane ou pour une prostituée européenne ayant un souteneur algérien. Ce dernier verse également 5 000,00 F par femme sous contrôle.
– la redevance mensuelle d’un commerçant est théoriquement fixée à 10 000,00 F mais varie considérablement en fait, suivant l’importance du commerce exploité, par exemple le nombre de locataires pour un hôtel et peut s’élever jusqu’à 50 000,00 F.
À ces cotisations s’ajoutent enfin des dons, plus ou moins volontaires, et les amendes qui vont de 1 000,00 F pour une faute légère d’indiscipline à5 000,00 F pour une désobéissance et de 5 000,00 F pour une consommation d’alcool ou une dispute, à 20 000,00 F, pour une divulgation20.

25Peut-on pour autant considérer comme militants nationalistes des Algériens qui versent une cotisation sans autre forme d’action, cotisation parfois versée contre leur gré ?

26L’activité du FLN comme du MNA reste bien avérée sur la Côte d’Opale, en particulier sur la région de Dunkerque. La population littorale en est parfois gravement affectée. « Fusillade à Rosendaël entre des policiers et un collecteur de fonds du FLN », titre La Voix du Nord en juillet 1961. Une mère de quatre enfants est tuée et son mari gravement blessé par des balles perdues

  • 21 La Voix du Nord, édition de Dunkerque 28 juillet 1961 p. 3.

Jusqu’à présent la guerre d’Algérie n’avait eu aucune répercussion sérieuse dans la région de Dunkerque. Les membres du MNA et du FLN ne se sont jamais livrés à des règlements de compte spectaculaires et la grande majorité des Français musulmans de cette agglomération vivent pacifiquement du fruit de leur travail21.

27Le quotidien relate dans le détail les événements.

Mercredi soir, vers 20 h, ayant appris qu’un collecteur de fonds du FLN résidait depuis le mois dernier dans un café-hôtel sis à l’angle de l’avenue Louis-Herbeaux et de la rue des pêcheurs, des fonctionnaires du commissariat local s’étaient placés en surveillance dans une artère voisine, rue Guillain, par où le collecteur en question, Belkacem Zeghoudi, 21 ans, avait l’habitude de passer. Appréhendé, l’homme se dégagea soudain en sortant un revolver 22 long rifle de sa poche et se mit à tirer en s’enfuyant. Les policiers ripostèrent aussitôt, mais la présence d’une passante les empêcha de poursuivre leur tir. Une chasse mouvementée s’engagea dans les environs, puis l’homme disparut dans le quadrilatère formé par les rues des pécheurs, Guillain, Thiers et Dufresnes. Ce quadrilatère fut fouillé pendant deux heures puis la nuit étant tombée les recherches durent être suspendues et remises au lendemain matin […] Zeghdoudi, apercevant le gardien de la paix, fit demi-tour, escalada une petite clôture et se réfugia dans le jardin dépendant de l’habitation (No 53) des époux Bouden. D’autres policiers, alertés, prirent position alentour et firent les sommations d’usage. Pour toute réponse, le Nord-Africain ouvrit le feu. Les forces de l’ordre ripostèrent. Atteint à la main, au cuir chevelu et au ventre, le collecteur de fonds lâcha son arme et se rendit.

Tandis que les agents entouraient l’Algérien, des cris s’échappèrent de l’habitation des époux Bouden. Les policiers ayant pénétré dans les lieux constatèrent que M. et Mme Bouden avaient été touchés par balles perdues. Tous deux furent aussitôt transportés par une voiture du commissariat à l’hôpital où Mme Bouden ne tarda pas à expirer […]

28La qualité de collecteur du FLN est indiquée par le journal ce qui laisse supposer que l’homme en question est déjà connu des services de police pour de tels faits.

Le soutien à la cause indépendantiste

  • 22 Genty J.-R., « La guerre d’Algérie et la population du Nord-Pas-de-Calais, 1954-1962 », thèse de 3e (...)
  • 23 Liauzu C., « Ceux qui ont fait la guerre à la guerre ». p. 161-170, Harbi M. et Stora B. (dir.), La (...)
  • 24 Doneux J. L., Le Paige H., Le Front du Nord : des Belges dans la guerre d’Algérie, 1954-1962, Bruxe (...)

29Les « porteurs de valises » sont-ils nombreux sur le littoral ? À Dunkerque, des maîtres auxiliaires, des surveillants et des lycéens constituent un groupe qui, bénéficiant sans aucun doute de certaines complicités au sein de la police du port, fait passer plusieurs déserteurs en Belgique22. Ce groupe est rattaché à l’organisation « Jeune Résistance », qui compte 800 membres en métropole23. En Belgique, le soutien au FLN est également actif. « On a parlé des Français qui ont aidé les Algériens comme des “porteurs de valises”. Les Belges porteraient mieux le nom de “passeurs de frontières” »24.

  • 25 Hamon H. et Rotman P., Les porteurs de valise, Paris, Seuil, 1982 (rééd.), p. 337.

30Transporter des militants FLN ou de l’argent destiné à la cause nationaliste sont des actions classiques des réseaux de soutien. Un réseau est opérationnel en milieu étudiant et lycéen, celui fondé par Jean-Jacques Porchez, qui choisit le nom de « groupe Nizan ». Porchez et ses camarades travaillent pour Henri Curiel, principal animateur du réseau Jeanson après l’arrestation de son créateur. « Fin 1960, le noyau comprenait une trentaine de personnes qui, autour d’elles, pouvaient en mobiliser cent cinquante. Nous avions des correspondants structurés à Lille, Dunkerque, Nice, Lyon et dans toute la région parisienne ». Le groupe va fonctionner sans accroc jusqu’au cessez-le-feu25.

31Achille Chassot, né en 1928, est militant de Témoignage chrétien au début des années 1950. Il rencontre Jean Urvoas et Robert Devezies, vicaire et prêtre de la Mission de France qui aident le FLN. Après trois années à l’École nationale supérieure de l’enseignement technique, il est nommé à Lyon puis au lycée technique de garçons de Boulogne-sur-Mer, rue Cazin, le 15 septembre 1961. Membre du PSU, enseignant syndiqué au SNES puis au SGEN, il est en même temps locataire d’un atelier d’artistes à Paris, 82 rue de la Tombe Issoire, adresse du journal Témoignages et documents qui a publié notamment La question. Il compte de l’argent pour le FLN, rencontre deux fois Jeanson dans un café du boulevard Saint Michel, et Henri Curiel plusieurs fois. L’atelier est plastiqué par l’OAS en 1962.

32Mais ces quelques exemples suffisent-ils à parler d’une résistance du littoral à la guerre d’Algérie ?

  • 26 Genty J.-R., op. cit., Chapitre 17.

33En 1959, l’affaire de la disparition de Maurice Audin secoue l’opinion publique. Dans la région, une certaine agitation parcoure les milieux enseignants. Ainsi, le 13 novembre, les sections CFTC et Autonome du collège Mariette à Boulogne votent une motion intitulée « Qu’est devenu Maurice Audin ? »26 C’est dans ce contexte que La Voix du Nord publie un article de Georges Ras, « Audin a-t-il été assassiné ? Ou s’est-il évadé ? Deux thèses s’affrontent ». Notre envoyé spécial en Algérie, Georges Ras fait le point de cette nouvelle « affaire Dreyfus ». Voici sa conclusion.

  • 27 La Voix du Nord, 20 janvier 1960, une et p. 7.

Qu’est devenu, au total, Maurice Audin ? Est-il mort ou vivant ? Le mystère en toute honnêteté, demeure entier. Une seule chose sûre : la campagne si bien orchestrée par le Comité Audin n’a finalement aucune base solide, contient trop d’affirmations controuvées, et néglige trop de faits contrôlables, pour pouvoir être prise au sérieux.
Chacun peut parfaitement admettre les sentiments de Mme Audin, dont on comprend fort bien qu’elle recherche et son mari et la vérité. Doiton pour autant admettre « les thèses » du Comité Audin qui n’oriente ses recherches que du côté français et jamais du côté de nos adversaires ?
De novembre 1956 à novembre 1957, une autre militante communiste, Raymonde Peschard, avait-elle aussi, « disparu » en Algérie. Une campagne de presse féroce avait – déjà – accusé les parachutistes de la 10e D.P. de l’avoir « torturée » puis « assassinée ».
Le 26 novembre 1957, au cours d’un accrochage avec les fellagah, nos troupes trouvaient, parmi eux, Raymonde Peschard, tuée les armes à la main, alors qu’avec un ordre de mission du F.L.N. elle se préparait à passer en Tunisie. Mais cela, certains l’ont oublié…27

34Cet article réfute point par point la thèse du Comité Audin, qui porte plainte pour diffamation contre le quotidien nordiste. Le soutien au FLN ne fait pas l’unanimité.

  • 28 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 16.

35D’autant plus que le fait de voir ses fils partir au combat et parfois y mourir, n’incite guère la population ouvrière à s’ouvrir à la revendication algérienne28. Lucien Duffuler, secrétaire général du syndicat CGT des dockers de Dunkerque, confie des années plus tard combien les dockers pouvaient être réticents à l’égard des actions lancées par le Parti contre la guerre. « L’Algérie est à nous... les armes chargées à bord sont pour nos fils ». Or, le syndicat des dockers avait mené de vigoureuses actions contre la guerre d’Indochine. Cette fois-ci, les dockers refusaient de s’opposer au chargement des armes. Sans compter la présence d’un racisme fort à égard des travailleurs nord-africains.

Des engagements en faveur de l’OAS

Le choix de l’OAS

  • 29 Termes de l’historien Raoul Girardet, cité dans Duranton-Crabol A.-M., Le temps de l’OAS, Bruxelles (...)
  • 30 Duranton-Crabol A.-M., op. cit. p. 48.
  • 31 Propos de M. Pellenc, sénateur du Vaucluse, cité par Lefeuvre D., Chère Algérie, La France et sa co (...)
  • 32 Lefeuvre D., Chère Algérie, La France et sa colonie 1930-1962, opus cit. p. 346.

36Pour quelles raisons des habitants de la Côte d’Opale, si éloignée de la terre algérienne, font-ils le choix des jusqu’au-boutistes de l’OAS ? Pour certains, il y a le mythe de l’âge d’or de l’Algérie coloniale, le temps des « horloges arrêtées »29 ; pour d’autres c’est le mythe politique de « l’Algérie française dernière chance de la puissance »30. Il est impossible d’abandonner un « territoire dont la valeur stratégique a été illustrée au cours de la dernière guerre », car une « puissance n’est grande que par l’entité géographique et ethnique qu’elle représente, ou sur laquelle s’exerce son influence politique ou morale ». La France ne peut l’abandonner « après l’ébranlement subi par l’Union française, à la suite de la perte de l’Indochine ». Les départements d’Algérie constituent donc une partie indivisible de la République31. Les partisans de l’Algérie française ne cessent de le rappeler, le rattachement de la province algérienne à la France est bien plus ancien que celui de la Savoie qui date de 1860. Il y a également la crainte du communisme dans un contexte de guerre froide, car pour certains la guerre d’Algérie se présente comme une nouvelle étape de la politique soviétique d’encerclement de l’Europe occidentale, Moscou étant derrière les dirigeants du FLN32.

  • 33 Fouilloux E., Ordre social chrétien et Algérie française, « La guerre d’Algérie et les chrétiens »,(...)

37Un sentiment partagé par des chrétiens traditionnalistes pour qui « la mission chrétienne de la France en Algérie passe, comme en Indochine, derrière la lutte contre le communisme ou le maintien de la grandeur nationale. Aux avant-postes de la Civilisation ou de la Chrétienté, qui sont une seule et même chose »33. Il s’agit donc bien d’une guerre à mener sans états d’âme jusqu’à la victoire. Une guerre contre le communisme mais aussi plus largement contre la Révolution. « Partout où la France a combattu la Révolution, on a cherché à donner aux Français mauvaise conscience. Confondant la charité, que l’on doit même à l’ennemi, avec l’abdication coupable devant les progrès de la Révolution, on en vient à jeter le discrédit sur un combat légitime » (Verbe, juillet 1959, p. 62-63). Il faut soutenir l’armée, seul « corps sain » de la République, et ses méthodes.

  • 34 Fouilloux E., Ordre social chrétien et Algérie française, op. cit.

Dans l’armée française, l’emploi de la torture est interdit et, s’il se produit néanmoins, il est sanctionné. Les atrocités du FLN sont commandées, organisées et honorées comme autant de faits d’armes ». « Il est bien certain que toutes les représailles ne sont pas moralement permises. Mais il est également certain que, dans une guerre de partisans telle que celle qui nous est imposée par l’ennemi en Algérie, TOUTES LES REPRÉSAILLES NE SONT PAS MORALEMENT INTERDITES. Itinéraires, mai 1957, p. 112, 115 et 11634.

  • 35 Typologie citée par Duranton-Crabol A.-M., Le temps de l’OAS, Bruxelles, Complexe, 1995, p. 51 à 56

38Guy Pervillé recense trois courants dans les soutiens à l’OAS. Le courant fasciste, représenté par Jeune Nation avec François Duprat et l’emblème de la croix celtique, ou les Cahiers universitaires, publication des étudiants anti-UNEF. Un courant antirépublicain et raciste : le courant traditionnaliste avec l’hebdomadaire Rivarol, des poujadistes et des nostalgiques de Vichy. Courant anticommunisme et auquel se rattachent le traditionalisme catholique. Enfin, le courant nationaliste dans le sillage du maurrassisme, avec la revue Esprit public35. La sensibilité nationaliste est par ailleurs exacerbée par les humiliations de Diên Biên Phu et de Suez.

L’implantation littorale

39Dans un message daté du 19 mai 1956 à 16 h et adressé à la Direction Générale de la Sureté Nationale, un IGAME (Inspecteur général de l’administration en mission extraordinaire) dresse le bilan des mouvements de droite.

  • 36 AD du Nord, W142243 Événements de mai 1958, document soumis à dérogation.

Les groupements d’extrême droite sont inexistants dans le Pas-de-Calais. Leurs quelques adhérents suivent attentivement la situation mais ne se manifestent sous aucune forme.
Les militants de l’UDCA sont toujours en état d’alerte, bien que les dirigeants départementaux ne paraissent pas croire qu’ils puissent être appelés à une action éventuelle. Dans certains secteurs, les responsables seraient, au demeurant, assez peu soucieux d’y participer tandis que d’autres envisagent de répondre favorablement à l’appel qui serait lancé éventuellement par les mouvements d’extrême droite.
Aucune association de Français d’Afrique du Nord dans le Département36.

  • 37 Roux J.-B., Les partisans de l’Algérie française dans le département du Nord 1954-1962, mémoire de (...)
  • 38 Duranton-Crabol A.-M., op. cit. 100-101 et 143.
  • 39 L’Esprit public no 4, 6 janvier 1961, cité par Duranton-Crabol A.-M., Le temps de l’OAS, op. cit., (...)
  • 40 Genty J. R., op. cit. ch. 14.

40Mais l’existence de partisans de l’Algérie française dans le département du Nord est avérée, avec notamment le Groupement pour l’Union Française, qui réunit des anciens combattants d’Indochine et d’Afrique du Nord, proche des idées de l’Union pour le salut et le renouveau de l’Algérie française de Soustelle37, ou les positions de Léon Delbecque, député de Lille. Avérée également par des désertions retentissantes, comme celle du lieutenant Bernard qui déserte le 14 décembre 1961 en emportant toutes les armes de sa section, ou par l’engagement du médiéviste Guy Fourquin, enseignant à l’Université de Lille, chez qui un « arsenal » est trouvé, ce qui lui vaut l’incarcération38. Ce soutien intellectuel à l’OAS, l’historien spécialiste de l’économie médiévale, le justifie par la rupture d’une tradition établie « depuis six cents ans » : « on posa en règle que le roi vaincu ne peut céder un territoire français ». Un chef d’État dont la personne n’est pas « prisonnière de l’ennemi », n’accepte pas l’abandon d’un morceau de terre française, alors que « les armes françaises sont victorieuses »39. Sept élèves de la prépa Saint Cyr du lycée Faidherbe de Lille sont arrêtés. Âgés de 21 ou 22 ans, ils forment un groupe structuré de soutien à l’OAS. Ces arrestations permettent d’en dévoiler l’organisation, et d’arrêter le docteur Lucien Schneider trésorier du mouvement, résidant à Ardres40.

  • 41 La Voix du Nord, 17 mai 1958, p. 5. et 18-19 mai p. 3.
  • 42 Entretien avec l’auteur en 2005.

41Le patriotisme n’est pas absent de la Côte d’Opale. En mai 1958, une manifestation est prévue au monument aux morts de Boulogne-sur-Mer à 10 h 30 un dimanche, à la mémoire des « Trois soldats assassinés par le FLN ». Organisée par les organisations patriotiques de la ville, elle est annulée en raison des événements d’Alger, tout comme les « nuits à la gloire de l’armée française »41. Et l’engagement de quelques-uns en faveur de l’Algérie française n’en est pas moins virulent que sur la métropole lilloise. Jean-Pierre Dickès est né en 1942 à Boulogne-sur-Mer où son père dirige une importante clinique obstétrique. Il passe son baccalauréat à 16 ans et intègre la faculté de médecine de Lille en 1958. Il rencontre des étudiants de l’Action française à laquelle il adhère au début des années 60. Son dirigeant, M. Houen est en contact avec l’OAS. Il affiche un portrait de Charles Maurras dans sa chambre. Il devient en 1958 adhérent des Républicains sociaux, « comme Soustelle et Delbecque », puis de l’UNR. Favorable à l’Algérie française, il éprouve un sentiment de désolation totale devant l’échec du putsch. Il héberge des membres de l’OAS recherchés dans son logement étudiant rue Faidherbe. Son ressentiment n’a pas faibli : « De Gaulle est un traître qui a abandonné l’Algérie, avant-poste de l’occident et de la chrétienté ». « Je regrette que les tentatives d’assassinat [du chef de l’État] n’aient pas réussies ». Scandalisé par le « génocide des harkis », il estime que « Joxe devrait être traduit pour crime contre l’humanité devant le TPI »42. Cofondateur de la polyclinique Côte d’Opale, Jean-Pierre Dickès a exercé en tant que médecin accoucheur et médecin généraliste. Engagé de la première heure auprès de Mgr Lefebvre, il est l’un des fondateurs de l’Église Saint Louis, membre du comité de rédaction de la revue Fideliter, et aussi président de l’Association Catholique des Infirmières et Médecins. Il est également Président de la Société académique du Boulonnais.

  • 43 Duranton-Crabol A.-M., op. cit, p. 112.
  • 44 Curutchet J. M., Je veux la tourmente, Robert Laffont, 1973, 334 p., p. 147.

42La proximité de la frontière belge joue en faveur d’une implantation de l’OAS car le Parti national belge, d’inspiration maurrassienne, accorde à l’Organisation son soutien moral, tandis que le Mouvement d’action civique de Jean Thiriart, ancien adepte de la collaboration idéologique avec le Grand Reich, s’investit dans l’action directe, en fondant une véritable OAS-Belgique43. Pour fuir la police, les partisans de l’Algérie française installent des postes de commandement ou des bases arrière outre-quiévrain. Il existe deux filières principales pour gagner la Belgique et une, dite de dégagement ou de secours, qui longeait la côte entre La Panne et Dunkerque44.

  • 45 Déroulède A, OAS. Etude d’une organisation clandestine, Hélette, Jean Curutchet, 1997, cité par Dar (...)

43Mais finalement une implantation plutôt faible sur le littoral, ce qui n’a rien d’étonnant quant à l’échelle de la métropole, le nombre de clandestins véritablement actifs est estimé à une centaine d’individus45. L’action des sympathisants de l’OAS n’est pour autant pas négligeable.

Graffitis, propagande, menaces et attentats

44Il est plusieurs méthodes pour afficher son soutien à une cause, à des hommes ou des idées. L’une des plus discrètes consiste à griffonner à la main des graffitis sur les murs, les arbres… la nuit le plus souvent. Auteur de graffiti pro-OAS, Me Carlot, notaire bien établi du centre-ville de Calais, est pris sur le fait par la police. Nord Littoral développe longuement le fait divers car Me Carlot est un notable fort connu.

  • 46 Nord Littoral, 27 mars 1962, p. 3.

Samedi, 20 heures 35. La nuit était venue. Les deux gardiens de la paix qui, en permanence, veillent sur l’Hôtel de Ville de Calais en prévision d’un attentat possible, aperçoivent soudain un homme qui, subrepticement, barbouille les murs de la « maison commune » de graffiti.
Ils bondissent et appréhendent l’individu, qui ne leur oppose aucune résistance. Il se laisse docilement mener à la conciergerie de l’Hôtel de Ville où on le fouille une première fois : dans les poches de son pardessus on trouve une douzaine de bâtons de craie.
– « Je les ai empruntés à mes enfants ! » devait-il déclarer plus tard.
Les policiers n’en croient pas leurs yeux : l’homme qui se tient devant eux, l’auteur de ces inscriptions pro-O.A.S., n’est autre qu’un notaire très connu de la ville, Me Paul Carlot, 60 ans, dont l’importante étude est située à l’entrée de la rue de la Pomme d’Or. Le tabellion, pris sur le fait, ne pouvait nier…
Il fut donc emmené au commissariat central, Place Crèvecœur. Au « gardé à vue » il passa une première nuit, puis une seconde.
– « Je ne suis pas un activiste, dit-il, je reconnais seulement avoir été profondément troublé par ce qui se passe actuellement en Algérie, au point d’extérioriser mes sentiments. »Père de quatre enfants (13, 14, 15 et 16 ans), Me Carlot se présenta aux élections municipales du 29 avril 1945. Il fut élu avec 11 941 voix. Le 6 mai 1945, il accédait au poste de 3e adjoint au maire (attributions : État Civil, Bureau Militaire, Réquisitions Militaires, Secrétariat), le premier magistrat étant Jacques Vendroux.
Après la démission des docteurs Drujon et Vinay, Me Carlot devint premier adjoint au maire le 30 novembre 1945. Ajoutons qu’il s’occupe de nombreuses œuvres charitables locales.
Dimanche matin, deux officiers de police ont effectué une perquisition au domicile du notaire : cette opération s’est avérée infructueuse. Hier, en fin de matinée, Me Carlot était toujours « maintenu au commissariat ». En début d’après-midi les policiers calaisiens devaient le présenter au Procureur de la République de Boulogne-sur-Mer46. R. L.

  • 47 Nord Littoral, 25 mai 1962, p. 2.

45Le notaire est condamné à deux mois de prison avec sursis et 300 NF d’amende par le Tribunal de Grande Instance de Boulogne-sur-Mer47.

  • 48 Genty J. R., op. cit. p. 516.
  • 49 Nord Matin, 9 mars 1962, p. 3.

46Dunkerque connaît une vie plus mouvementée avec parfois des bagarres qui opposent les différents clans. Jeanne Brunschwig, professeur au lycée Jean Bart de Dunkerque raconte des heurts entre lycéens d’extrême droite et des dockers proches du parti communiste en mai 195848. Il est facile de supposer que certains de ces lycéens pencheront pour l’OAS à partir de 1961. Le port du Nord est aussi centre de propagande comme en témoigne un article de Nord Matin. Au début du mois de mars 1962, la police arrête un ancien officier rayé des cadres de l’armée pour menées subversives et activistes. De passage à Dunkerque, il a pour rôle de contacter d’anciens camarades de régiment et de les embrigader dans les rangs de l’OAS49.

  • 50 AD du Pas-de-Calais, 1W23908/5 et 1W23404/11. Cabinet du Préfet. Document soumis à dérogation.

47Dans les arrondissements de Boulogne, Calais et Montreuil, des inscriptions pro – OAS sont relevées en septembre 1961 et au début de l’année 1962 d’après les rapports de police et des Renseignements Généraux50. Un message de la Direction de la Police de Calais est envoyé le 25 Avril 1961 à 10h 25.

Au cours de la nuit écoulée, il a été découvert, posée sous des couronnes de fleurs du Monument du « souvenir français » à Calais, une affiche de 55 cms sur 15 couleur jaune, intitulée « Non les Français n’abandonneront pas aux égorgeurs les Algériens qui veulent rester Français » elle est signée du Regroupement National, 105 Ter, Rue de Lille à Paris.

  • 51 AD du Pas-de-Calais, 1W23338. Événements d’Algérie, 22 avril 1961. Document soumis à dérogation.

Cette affiche a été enlevée par les Services de Police51.

48Plus graves sont les lettres de menaces recensées par les mêmes services des RG, dont une reçue par le quotidien Nord Littoral. Lettre révélatrice du climat de tension qui règne à cette époque car ce journal, dont le directeur est membre de la SFIO, a continuellement affiché une ligne éditoriale légaliste, peu engagée politiquement, même si toujours favorable à la paix. D’autres menaces sont proférées à l’égard d’enseignants, comme le rapporte avec prudence Nord Littoral.

  • 52 Nord Littoral, 20 janvier 1962, p. 2.

À Calais également, ces enseignants ont été menacés. Mercredi 17 janvier, Madame Danel, professeur d’allemand et secrétaire du SNES au lycée de jeunes filles, trouvait sur un papier administratif l’inscription Mme Danel au poteau ! Grâce à son action immédiate, l’auteur de ces menaces était rapidement identifié : il s’agissait d’une de ces collègues. Celle-ci prétendit qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Même s’il en est ainsi (et encore faudrait-il le prouver) il est inadmissible que certains se permettent de tels actes dans le climat créé en ce moment dans le pays par l’OAS.
D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un fait isolé ! Ces derniers temps des individus sonnèrent à deux heures du matin chez une personnalité calaisienne de l’enseignement et lorsque celle-ci ouvrit sa fenêtre ils crièrent de l’intérieur de leur Simca : « On aura ta peau » avant de disparaître.
Nous avons pensé que nos collègues devaient être informés de ces faits et nous leur demandons de faire preuve de vigilance pour empêcher la gangrène fasciste de s’étendre dans nos établissements scolaires. Pour cela nous les appelons à constituer, avec les différentes organisations syndicales, des comités antifascistes, afin de répondre rapidement à toute nouvelle tentative d’intimidation.
Car, si nous laissons faire, après les menaces viendront les actes52. Les enseignants communistes de Calais.
N. D. L. R. : Il ne nous est pas possible de citer le nom figurant dans ce texte étant donné qu’il s’agit, peut-être, comme indiqué, d’une simple plaisanterie.

  • 53 Entretien avec l’auteur en 2005.

49Les menaces sont également prises au sérieux au parti communiste, victime de nombreux attentats en métropole. Jean-Jacques Barthe, futur maire de Calais, adhère en 1961 au PCF, et monte la garde au siège rue de l’espérance en raison de menaces reçues. Mais il n’y aura pas d’attaque53. Le maire d’alors, Jacques Vendroux, est lui aussi, ainsi que sa famille, victime de ces menaces.

  • 54 Vendroux J. Ces grandes années que j’ai vécues… 1958-1970, Plon, 1975, 375 p. Tome II des « souveni (...)

J’ai reçu moi-même, à nouveau, des lettres anonymes de menaces, concernant non seulement ma propre personne, ce qui ne m’effraye guère, mais aussi mes proches, ce dont je me soucie plus. Compte tenu de ce que mes enfants et petits-enfants sont visés, je communique ces lettres au commissaire spécial. Je lui signale également que nous recevons, à mon domicile, des appels téléphoniques équivoquent dont la répétition, surtout à 3 heures du matin, finit par être lassante54.

  • 55 AD du Pas-de-Calais, cote 1W. Document soumis à dérogation.

50Dans un tract daté du 7 octobre 1961 et signé « OAS METROPOLE-RESEAU FLANDRE », le député-maire est directement menacé55 :

Monsieur Vendroux,
Par votre action en faveur de la trahison, vous avez aidé à tromper l’opinion publique et à maintenir au pouvoir de Gaulle, traître à ses engagements de mai 58. Le tribunal secret de l’O. A. S. Réseau Flandre vous a condamné à mort dans sa réunion du jeudi 5 octobre. Nous avons des amis à Calais, nous avons également des équipes spéciales auxquelles nous avons confié votre dossier.
Les traîtres périront ; la violence répondra à la lâcheté des dirigeants. Le régime sera renversé, de Gaulle jugé, l’Algérie sera Française envers et contre tous 1es salauds de votre espèce.
VIVE L’ALGÉRIE FRANÇAISE, VIVE SALAN

51Les plasticages épargnent la Côte d’Opale qui ne connaît pas de « nuits bleues » comme l’OAS en déclenche à Paris.

  • 56 Duranton-Crabol A.-M., op. cit, p. 141-142..

Le plastic a une fonction de menace et d’intimidation. Il sert à atteindre les immeubles et biens de l’administration, les domiciles, voitures ou permanences d’hommes politiques, les sièges de journaux réputés pour leur hostilité à l’OAS. Comme on pouvait le prévoir, avec 45 % des hommes politiques et 27 % des journaux concernés, le Parti communiste vient en tête des victimes. Il est suivi par les représentants de l’UNR (34 %), puis le PSU (7 %), pour ce qui est des personnalités politiques, et par Le Monde (14 %), puis Le Figaro et France-Soir (environ 10 % chaque), en ce qui concerne la presse56.

  • 57 Genty J.R., op. cit., ch. 14.
  • 58 Cf. annexe 7.

52Le 13 mai 1961, un engin explose sur le perron de l’Hôtel de Ville de Dunkerque. « L’affaire eut surtout pour conséquence de donner du travail aux vitriers et aux serruriers du coin. Le fait que l’attentat fût perpétré le 13 mai, semblait indiquer qu’il s’agissait d’un acte isolé accompli à titre symbolique par quelques personnes mécontentes de l’évolution du régime gaulliste sur la question algérienne ». C’est l’interprétation que propose Patrick Oddone qui s’appuie sur les résultats des deux référendums sur la question algérienne pour démontrer que l’extrême-droite est quasi inexistante sur le plan politique57. Du 16 mai 61 au 29 février 62, 10 attentats sont perpétrés dans le Nord, 5 dans le Pas-de-Calais58.

  • 59 « Notes de l’entretien du camarade I. V. Staline avec le secrétaire général du C. C. du parti commu (...)

53Jean-Pierre Dickès se souvient de son frère, partisan comme lui de l’Algérie française, qui fait sauter un dépôt d’armes communiste, caché dans un blockhaus de la colonie de vacances de la ville d’Avion, à Wimille. Ces dépôts existent bel et bien. En novembre 1944, Staline conseille à Maurice Thorez de constituer en France des dépôts d’armes. Lors d’un nouvel entretien entre les deux hommes le 18 novembre 1947, le maître de l’URSS demande si le PCF estime nécessaire de disposer d’armement. Maurice Thorez lui répond alors que le parti communiste français « est parvenu à camoufler des entrepôts entiers d’armes et de munitions »59.

  • 60 Dard O., op. cit., p. 329.

54Des sondages réalisés en métropole à la fin de 1961 donnent une idée du décalage entre l’OAS et l’opinion. 5 % de Français seulement soutiennent sa position de faire la guerre avec les « moyens nécessaires » pour maintenir une « Algérie française ». Ils sont en revanche 28 % à voir en elle « une organisation fasciste qui veut s’emparer du pouvoir », 38 % à la juger plus dangereuse pour la démocratie que le parti communiste et 53 % à l’estimer dangereuse pour le gouvernement60. Ce qui nécessite de mettre en place un outil répressif, aussi bien contre les partisans de l’OAS que contre les membres de la Fédération de France du FLN.

La répression

55L’article 5 de la loi sur les pouvoirs spéciaux du 12 mars 1956, stipule que « le gouvernement disposera en Algérie des pouvoirs les plus étendus pour prendre toutes les mesures exceptionnelles commandées par les circonstances, en vue du rétablissement de l’ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire ». Mais si la lutte contre le FLN et le MNA est menée par l’armée en Algérie, en métropole elle est du ressort des services de police. Ceux-ci ne bénéficient pas des mêmes pouvoirs spéciaux.

Des pouvoirs policiers renforcés

  • 61 Jauffret J.-C, « Le mouvement des rappelés en 1955-1956 », p. 133-160, Harbi M. et Stora B. (dir.),(...)
  • 62 Amiri L., op. cit, p. 44-45.

56Dès le 18 novembre 1954, François Mitterrand, Ministre de l’Intérieur, signe la circulaire no 345 relative au « Filtrage des jeunes recrues ». Sont fichés par la Gendarmerie et les RG, les militants pacifistes ou communistes, mais aussi ceux qui ont un membre de leur famille engagé politiquement contre la guerre d’Algérie61. En août 1955 est mis en place le Servicede coordination et d’information nord-africaines auquel participent la préfecture de police de Paris, la gendarmerie, le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, l’état-major général, le Service des affaires musulmanes et de l’action sociale, ainsi que le ministère de Justice62. La loi du 26 juillet 1957 étend à la métropole les dispositions de celle sur les pouvoirs spéciaux. Les services de police ont alors la possibilité d’astreindre à résidence toutes personnes condamnées. Des Centres administratifs de résidence surveillée sont aménagés entre 1957 et 1959 à Mourmelon-Vadenay, dans la Marne, Saint-Maurice-l’Ardoise dans le Gard, Thol dans l’Ain et dans le Larzac. À l’assignation à résidence s’ajoute la mise en place d’un fichier, dit « fichier Z », qui recense les militants nationalistes algériens.

  • 63 Souligné par nous.
  • 64 Amiri L., op. cit, p. 44-45.

[…] Les individus dangereux ou suspects, notamment ceux qui poursuivis pour des infractions visées par l’article 2 de la loi du 26 juillet 1957 n’ont pas été condamnés, ainsi que ceux qui poursuivis pour des infractions autres que celles visées à l’article précité ne peuvent faire l’objet d’une assignation à résidence, doivent être inscrits systématiquement au fichier Z, lequel sera diffusé sur l’ensemble du territoire. Les individus inscrits au fichier Z doivent être éliminés de la métropole63. Plusieurs moyens doivent être employés : a) Le départ pour l’Algérie sollicité par tout individu figurant sur le fichier Z, non seulement ne sera pas refusé mais encore favorisé […] B) multiplication des opérations de ramassage […] C) Envoi en Algérie par fournées successives des autres suspects figurant au fichier Z. la difficulté consiste à obtenir l’accord des intéressés. L’effet psychologique produit par les opérations du type B est de nature à faciliter l’obtention de cet accord. De même, les vagabonds doivent être éliminés. Deux moyens peuvent être employés : 1. En obtenant d’eux une déclaration dans laquelle ils reconnaissent leur situation de vagabonds et sollicitent leur rapatriement en Algérie. 2. En déférant les réfractaires devant les parquets en application des articles 270 et 273 du code pénal et en les renvoyant d’autorité en Algérie après condamnation. Sur le plan de la technique policière : tout doit être mis en œuvre pour faciliter la recherche du renseignement et susciter des obstacles à l’unification de la colonie nord-africaine sous l’égide du FLN. Rivalité de race (Arabes, Kabyles), de famille, de « milieu » etc. […]64

57Gilbert Jules, Ministre de l’Intérieur, explicite par la circulaire ministérielle no 332 du 5 août 1957, la création à l’échelon central d’un fichier national. Le but de ce dernier est de recenser tous les individus dangereux résidant sur le territoire métropolitain, « ce qui permettra de lutter plus efficacement contre l’action subversive en Métropole, de ces éléments ».

58II sera ainsi possible :

de disposer à l’échelon national d’un moyen d’action maniable assurant, le cas échéant, le déclenchement rapide de mesures que le terrorisme peut rendre nécessaire à tout moment ;
de suivre le déplacement des agents de liaison, membres de commandos, trafiquants d’armes,
de vous fournir, en retour, des éléments d’information sur ces individus, pour le cas où leur passage serait décelé dans votre département ou votre région [...]
Je désire que ce fichier central des individus dangereux conserve un caractère de secret.

En vue de la constitution de ces fichiers, il sera procédé, dès réception des présentes instructions, à la création, à un premier échelon, d’un fichier départemental, « individus » et d’un fichier « véhicules » tenus par le Service des Renseignements Généraux [...]
D’une manière générale, lorsqu’un Service de Police aura eu connaissance de l’activité d’un élément dangereux (soit par information, soit à l’occasion d’une rafle, soit par la découverte d’une affaire à caractère judiciaire, etc...) ou encore aura observé le déplacement d’un véhicule suspect, il devra porter obligatoirement ces faits à la connaissance du Service des Renseignements Généraux du chef-lieu de département où réside cet individu.
Ces notices auxquelles seront joints dans la mesure du possible des rapports plus complets, seront transmises tous les 15 jours à la Direction des Renseignements Généraux à Paris et concerneront principalement les responsables des organisations clandestines, MNA et FLN, c’est-à-dire les dirigeants politiques aux échelons zone, kasma, groupe, section, cellule, les membres des commandos de choc, les collecteurs de fonds, itinérants, propagandistes ou agents de liaison. Parmi eux, devront être distingués les éléments : « très dangereux », « dangereux », « éléments à surveiller » [...]

59Pour aider à classer les « éléments très dangereux », « dangereux » et « à surveiller », Gilbert Jules rédige la circulaire ministérielle no 398 du 20 septembre 1957.

Je vous demande à l’avenir de vous inspirer dans la mesure du possible, pour l’établissement des notices, des critères suivants :

Individus très dangereux :
Ce sont les agents nationalistes dont l’élimination doit être recherchée en priorité et qui seraient immanquablement internés si des dispositions légales le permettaient.
Ce sont donc les éléments nationaux et régionaux, jusqu’à l’échelon chef de kasma compris, qui entreront dans cette catégorie ; y figureront également les chefs de commandos de tueurs, et les membres de ces commandos connus de vous

Individus dangereux :
Entrent dans cette catégorie les éléments nationalistes qui assument certaines fonctions : chefs de sections, de groupes, collecteurs de fonds, propagandistes actifs.

Individus à surveiller :
Cette catégorie doit comprendre les individus dont les activités ne sont pas considérées comme pouvant créer des troubles graves de l’ordre public : chefs de cellules, diffuseurs de matériel de propagande, responsables des syndicats algériens, etc...
Il semblerait qu’en égard à la classification et aux critères indiqués ci-dessus on devrait arriver approximativement aux pourcentages suivants :
Très dangereux 10 %
Dangereux 35 %
À surveiller 55 %

  • 65 Blanchard E., « Police judiciaire et pratiques d’exception pendant la guerre d’Algérie », Branche r(...)

60La loi du 26 juillet 1957 augmente également les prérogatives policières en matière de perquisition. Tant de jour que de nuit, celles-ci sont possibles sur simple réquisition du préfet de police et, de fait, sur simple initiative des enquêteurs. À plusieurs reprises, la durée de garde à vue en matière de terrorisme est allongée pour atteindre cent vingt heures le 31 janvier 196165.

La répression judiciaire

  • 66 Thenault S., « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : des (...)

61La loi no 55-385 du 3 avril 1955 crée un état d’exception par son article 1er. « L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, de l’Algérie ou des départements d’outre-mer, soit en cas de péril imminent résultant de graves atteintes à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, un caractère de calamité publique ». Officiellement, il ne vise pas l’insurrection algérienne mais est applicable à n’importe quelle portion du territoire national66.

L’état d’urgence permet au représentant de l’État d’instaurer un couvre-feu, de réglementer la circulation et le séjour dans certaines zones géographiques, de prononcer des interdictions de séjour et des assignations à résidence contre des individus. II autorise aussi la fermeture de lieux publics, tels que des salles de spectacle, des cafés ou des salles de réunion, l’interdiction de réunions ou rassemblements, la confiscation des armes détenues par des particuliers, le contrôle de la presse, des publications, des émissions de radio ou encore des projections de cinéma et des représentations théâtrales. Enfin, il dessaisit la justice de prérogatives essentielles : les autorités administratives obtiennent le droit de pratiquer des perquisitions, de jour comme de nuit, et la justice militaire peut être déclarée compétente.

62Ainsi dans une lettre adressée à la Préfecture du département du Nord, le sous-préfet de Dunkerque exprime son refus de voir s’installer dans la ville un individu jugé indésirable car inscrit au fichier Z et précédemment condamné comme membre du FLN ou du MNA.

Comme suite à votre lettre du 18 août 1960, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le nommé L. Ahmed, né le 15 mai 1925 à Djebala (Tlemcen), fis de Abdelkader et de S. Fatma, domicilié à Douai-Dorignies, Coron B 28, objet d’un arrêté ministériel lui interdisant notamment de voyager dans le département du Nord, fait également l’objet d’une fiche d’attention « dangereux » Z-59/20 311.

L. Ahmed qui a été condamné le 6 janvier 1960 par la cour d’appel de Douai à 10 mois de prison et 8 ans d’interdiction de séjour pour atteinte à la sécurité extérieure de l’État et reconstitution de ligue dissoute, doit être considéré comme indésirable à Dunkerque, agglomération dotée d’installations portuaires et pétrolières importantes.

  • 67 AD du Nord, Tribunal de Grande instance de Dunkerque, cote 1270W4, interdictions de séjour, lettres (...)

En conséquence, j’émets un avis défavorable à la requête du susnommé tendant à être autorisé à séjourner à Dunkerque67.

  • 68 Blanchard E., La répression policière des Algériens. p. 323-329, Branche R. et Thenault S. (dir.), (...)

63Tout au long de la guerre d’Algérie, en moyenne plus de 10 000 Algériens ont été détenus dans des prisons métropolitaines68. L’ordonnance du 7 octobre 1958 prévoit qu’un simple arrêté préfectoral, signé sur la foi de rapports des RG, suffit à placer les individus « à surveiller » dans des établissements pénitentiaires ou des « centres de triage » qui sont créés dans les départements où la « colonie nord-africaine est fortement implantée. Seule véritable limite à ces pouvoirs exorbitants accordés aux autorités policières : cet internement préfectoral ne peut normalement pas dépasser quinze jours. Il peut cependant être prolongé par un arrêté ministériel d’assignation à résidence, sans limitation de durée. La volonté policière de placer en rétention le maximum d’individus pousse Émile Pelletier, ancien sous-préfet de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer et ministre de l’Intérieur, à rappeler en octobre 1958 :

Il ne saurait être question pour le moment, bien qu’elle puisse apparaître comme un moyen commode de se débarrasser de tous les éléments FSNA [Français de souche nord-africaine] tenus pour dangereux, de recourir à une politique massive d’internement, en raison des capacités très réduites qu’offrent encore, tant en métropole qu’en Algérie, les centres d’hébergement destinés à les recevoir.

64Sur la Côte d’Opale, le Tribunal de grande instance de Dunkerque est chargé d’instruire les affaires d’atteinte à la Sûreté extérieure de l’État. Ainsi en 1959, Rabah B., Aïssa A., Khodja H., Zidane R., Sétouf B., Saïd B. et Mohammed M., sont inculpés de vol, menaces de mort, port d’arme prohibée, atteinte à la sécurité extérieure de l’État et complicité. Il leur est reproché de s’être présentés au cantonnement de l’ONCOR à Dunkerque, d’avoir réclamé avec menaces de l’argent à des compatriotes. Argent manifestement destiné à une organisation dissoute, c’est-à-dire le FLN. Les peines vont de 18 mois à 3 ans de prison.

65Par exemple, Mohammed M. se voit reproché d’avoir, à Dunkerque les 25, 26 et 27 juillet 1958 :

a) menacé verbalement de mort des pensionnaires de l’ONCOR et ce sous condition, pour cas où ils ne lui remettraient pas des sommes d’argent.
b) Attenté à la sureté extérieure de l’État en entreprenant de porter atteinte à l’intégralité au territoire français,
c) Manifesté par une activité non équivoque, son appartenance au F.L.N. et ainsi prit part à la reconstitution de cette ligue dissoute.
d) Soustrait frauduleusement certaines sommes d’argent, eu préjudice de pensionnaires de l’ONCOR, qui en étaient propriétaires,
e) Eté porteur hors de son domicile sans autorisation d’un pistolet de 7mm65, arme prohibée, arme de la 4e catégorie.

  • 69 AD du Nord, Tribunal de Grande instance de Dunkerque, cote 1900W616. Document soumis à dérogation.

66Tous les faits reprochés ne sont pas maintenus par manque de preuve. En conséquence le Tribunal déclare Mohammed M. coupable des chefs d’accusation suivants : menaces de violences et de mort sous condition, atteinte à la sureté extérieure de l’État, reconstitution de ligue dissoute et vol. Il est condamné à une peine de trois années de prison pendant69.

67En 1960, Djilali Y. et Ahmed G., domiciliés à Dunkerque, sont inculpés d’infraction contre l’autorité de l’État et l’intégrité du territoire national. Les inculpés se sont présentés sur un chantier de Dunkerque le 21 juin 1960 et ont invité deux personnes à collecter des fonds pour le FLN. Les deux prévenus reconnaissent les faits. En 1961, Ammar Z., débitant de boissons, Abdelkader N., gardien de navire, Rachid Z. manœuvre, Abderrahmane B., de Dunkerque et Rosendaël, sont inculpés d’infraction contre l’autorité de l’État et l’intégrité du territoire national. Ammar Z. est connu en 1956 et 1957 pour son activité au profit du MNA. Il se livre à de la propagande nationaliste, collecte des fonds auprès des ouvriers de l’usine des Dunes à Leffrinckoucke, est délégué CGT auprès des ouvriers nord africains. Selon le réquisitoire, en mai 1960 le FLN a réussi à s’implanter à Dunkerque et à éliminer le rival MNA. Ammar Z. est soupçonné d’avoir repris son activité nationaliste au profit du FLN cette fois. Il serait l’adjoint au chef de la Kasma de Dunkerque. Son café, le « Saint – Germain », sert de lieux de réunion pour les responsables FLN locaux. Les autres inculpés sont de simples cotisants. Le jugement aboutit à un non-lieu.

  • 70 AD du Nord, Tribunal de Grande instance de Dunkerque, cote 1900W616. Document soumis à dérogation.

68Une nouvelle affaire d’infraction contre l’autorité de l’État et l’intégrité du territoire national est traitée à l’audience du 27 janvier 1961 du Tribunal correctionnel de Dunkerque, NO du parquet 3978, no greffe 8470. Le procureur de la République contre Areski Af., 34 ans, commerçant, 31 avenue du casino à Malo-les-Bains ; Tahar Ak., 30 ans, commerçant, 5 place de la gare à Dunkerque, tous deux mis en détention le 26 septembre 1960. Selon l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du 10 janvier 1961 :

Le 25 septembre 1960, sur la route entre Dunkerque et Gravelines, au cours d’un contrôle du véhicule conduit par Tahar Ak., les agents de la BST assistés de gendarmes découvraient sur Ak. une somme de 310.500 frs et sur son compagnon Areski Af., une somme de 343.500 frs, et sous le siège avant de l’automobile, des rapports financiers et documents établissant qu’ils collectaient des fonds pour le FLN.
Af. a déclaré que cette somme et ces documents lui avaient été remis à Dunkerque par un inconnu qui l’avait chargé de les remettre à CALAIS à un inconnu qu’il devait interpeller avec un mot de passe. Ak. a reconnu appartenir au FLN et précisé qu’il remettait ses cotisations à Af.
La documentation détenue par les services de la BST a permis d’appréhender Achène K. dont les déclarations ont permis d’identifier les membres de l’organisation de collecte de fonds pour le FLN. K. a mis en cause Areski Af. responsable pour la région de Dunkerque et Idir M. pour le secteur de Calais, Saint-Omer et Boulogne ainsi que Hacène S., Abdelkader M., Belkacem Z. Hacène K. était devenu responsable régional pour la zone côtière au mois de Mars 1960.
Hacène S. a reconnu que sous le contrôle de K., Af. et Z., il collectait des fonds qu’il remettait à Abdelkader M. Celui-ci a reconnu qu’il collectait des fonds à Dunkerque et Leffrinckoucke et qu’il les remettait soit à Z., soit à S. À son domicile, il a été découvert des documents et M. précise qu’ils lui ont été remis par Belkacem Z. Celui-ci a reconnu qu’il était chef de section et qu’il collectait des fonds qu’il versait à S.
Idir M. recruté par K. assurait la liaison entre ce dernier et Am. pour le transport des fonds que centralisait K. Mohammed Am. reconnaissait également que depuis mars 1960 il collectait des fonds à la demande de K. dans la région de Boulogne, qu’il remettait à M. et une feuille de collecte était découverte sur lui au moment de son arrestation.
Les inculpés ont maintenus sur première comparution leurs aveux à la police. Leurs rétractions tardives ne sauraient aller à l’encontre de ces aveux corroborés par la découverte de documents.

69La complexité de ces affaires nécessite un important travail de police préalable. Selon le rapport du Commissaire principal de la Brigade de Sûreté territoriale, cette affaire, menée en étroite collaboration avec la Brigade des Recherches de la Gendarmerie de Dunkerque, s’est soldée par le démantèlement du FLN de la région côtière, Dunkerque, Calais, Boulogne-sur-Mer, et l’élimination des responsables du mouvement. Les auditions, faites par la BST de Lille, ont permis de déterminer le rôle exact joué par chaque inculpé au sein du FLN :

– K. Achène : Régional pour la Zone Côtière
– S. Hassène : Chef de Kasma de Dunkerque :
– M. Idir : responsable pour la région de Boulogne-sur-Mer chargé des liaisons et des transports de fonds
– Af. Arezki chef de section à Dunkerque responsables des commerçants chargé du transports des fonds
– M. Abdelkader : Chef de section à Dunkerque, responsable des ouvriers. Collecteur de fonds.
– Z. Belkacem : adjoint de M. chargé de le seconder dans les fonctions précipitées.
– Am. Mohammed : Chef de section à Boulogne-sur-Mer, responsable des ouvriers, collecteur de fonds.
– Ak. Tahar : Membre du FLN Met son véhicule à la disposition du Mouvement.
En ce qui concerne A. Ali, il s’agit d’un chef de zone permanant du FLN, sans domicile fixe. Ce responsable important ne réside vraisemblablement pas dans la région côtière, en raison des consignes données par le FLN à ses permanents. L’enquête effectuée n’a pas permis de le situer actuellement, ni de l’identifier d’une façon certaine. Il en est de même, d’ailleurs, pour T. Messaoud.

70Ces enquêtes sont non seulement très longues pour déterminer les rôles de chacun, mais elles doivent être renouvelées fréquemment car aussitôt arrêté, un responsable frontiste est remplacé.

 

71Ces formes d’engagement marginales ne sont pas légion sur le littoral. Être opposé à la guerre ne veut pas forcément dire soutenir les nationalistes algériens. Être de gauche ne signifie pas non plus nécessairement être anticolonialiste. Enfin, beaucoup de signataires de pétition en faveur de l’arrêt des combats ne se mettent pas au service du FLN. C’est, au mieux, le peuple algérien qu’ils soutiennent, au minimum la fin de la guerre qu’ils espèrent. La quantité de publications sur les déserteurs et les porteurs de valises, sur les opposants radicaux à la guerre est sans commune mesure avec leur nombre réel, en particulier sur la Côte d’Opale où la présence d’activistes des deux camps, quoiqu’effective, est réduite.

72S’appuyant sur une tradition activiste et poujadiste, l’OAS ne trouve pas sur le littoral le soutien d’une population qui attend la fin de la guerre avec impatience. En se manifestant par la violence, l’organisation armée fait revivre le spectre d’une guerre civile, ce qui explique la faible pénétration de ses idées. En outre, le Nord-Pas-de-Calais reste le bastion d’un certain conservatisme politique et social. L’implantation des démocrates chrétiens dans la classe ouvrière et le patronat est forte et le gaullisme marque profondément la région de son empreinte. Et en provoquant une mobilisation antifasciste qui place le PCF en première ligne, l’OAS contribue, certes involontairement, à renforcer, à légitimer le pouvoir gaulliste aux yeux des partisans de l’ordre.

  • 71 Rioux J.-P., « Les Français et la guerre des deux Républiques », Harbi M. et Stora B. (dir.), La gu (...)

73L’activisme politique ne touche que des minorités. Le soutien au FLN ou à l’Algérie française n’a pas de large soutien populaire. Les Français, tout au long du conflit, semblent s’être assez vite résignés à la perte de l’Algérie. « L’extrémisme armé des ultras a incontestablement accéléré la mutation pacifique des Français qui refusaient tout aventurisme71 ».

Notes

1 Bouchiouane N., Le FLN, le MNA et le gouvernement français, dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, DEA Histoire contemporaine, Lille 3, dir. Hirsch et Guyot, 2003, 248 p., p. 80.

2 Amiri L., La bataille de France, La guerre d’Algérie en métropole, R. Laffont, 2004, 239 p., p. 50.

3 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7955, Ministère de l’Intérieur - Direction Générale de la Sûreté Nationale - Direction des RG, Implantation du FLN en métropole. Sept documents classés « très secret », soumis à dérogation.

4 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7955.

5 Amiri L., op. cit. p. 48.

6 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7955, rapport de mars 1959.

7 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7955, rapport de février 1960.

8 MacMaster Neil et House Jim, « La Fédération de France du FLN et l’organisation du 17 octobre 1961 », Branche R., La guerre d’indépendance des Algériens 1954-1962, coll. Tempus, Perrin, 2009, 384 p., p. 130.

9 Bouchiouane N., Le FLN, le MNA et le gouvernement français, dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, op. cit.

10 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7956, Ministère de l’Intérieur - Direction Générale de la Sûreté Nationale - Direction des RG, Implantation du MNA en métropole, étude de juin 1959. Deux documents classés « très secret », soumis à dérogation.

11 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7956.

12 Bouchiouane N., op. cit., p. 235-236.

13 Ibid. p. 196-197.

14 La Voix du Nord, 22 mai 1958, p. 2.

15 Les cités ONCOR sont fréquentes sur le littoral dévasté par la Seconde Guerre mondiale. Le sigle signifie « office national des cantonnements des ouvriers de la reconstruction ».

16 AD du Nord, Tribunal de Grande instance de Dunkerque, cote 1900W636, Menaces de mort. Document soumis à dérogation.

17 Ibid., cote 1900W524, Homicides, violences. Document soumis à dérogation.

18 AD du Nord, Tribunal de Grande instance de Dunkerque, cote 1900W636, Menaces de mort. Document soumis à dérogation.

19 Ibid., cote 1900W616. Atteinte à la Sûreté extérieure de l’Etat.

20 AD du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M 7956.

21 La Voix du Nord, édition de Dunkerque 28 juillet 1961 p. 3.

22 Genty J.-R., « La guerre d’Algérie et la population du Nord-Pas-de-Calais, 1954-1962 », thèse de 3e cycle sous la direction de M. Marcel Gillet, 1983, Chapitre 16 : Le Parti communiste dans la guerre d’Algérie.

23 Liauzu C., « Ceux qui ont fait la guerre à la guerre ». p. 161-170, Harbi M. et Stora B. (dir.), La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, Paris, Robert Laffont, 2004.

24 Doneux J. L., Le Paige H., Le Front du Nord : des Belges dans la guerre d’Algérie, 1954-1962, Bruxelles, 1992, 262 p.

25 Hamon H. et Rotman P., Les porteurs de valise, Paris, Seuil, 1982 (rééd.), p. 337.

26 Genty J.-R., op. cit., Chapitre 17.

27 La Voix du Nord, 20 janvier 1960, une et p. 7.

28 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 16.

29 Termes de l’historien Raoul Girardet, cité dans Duranton-Crabol A.-M., Le temps de l’OAS, Bruxelles, Complexe, 1995, p. 37.

30 Duranton-Crabol A.-M., op. cit. p. 48.

31 Propos de M. Pellenc, sénateur du Vaucluse, cité par Lefeuvre D., Chère Algérie, La France et sa colonie 1930-1962, Paris, Flammarion, 2005, 512 p., p. 269.

32 Lefeuvre D., Chère Algérie, La France et sa colonie 1930-1962, opus cit. p. 346.

33 Fouilloux E., Ordre social chrétien et Algérie française, « La guerre d’Algérie et les chrétiens », Les Cahiers de l’IHTP, no 9, octobre 1988, CNRS.

34 Fouilloux E., Ordre social chrétien et Algérie française, op. cit.

35 Typologie citée par Duranton-Crabol A.-M., Le temps de l’OAS, Bruxelles, Complexe, 1995, p. 51 à 56.

36 AD du Nord, W142243 Événements de mai 1958, document soumis à dérogation.

37 Roux J.-B., Les partisans de l’Algérie française dans le département du Nord 1954-1962, mémoire de maîtrise, dir. M. Vandenbussche, Lille 3, 2001, 138 p., p. 28-30.

38 Duranton-Crabol A.-M., op. cit. 100-101 et 143.

39 L’Esprit public no 4, 6 janvier 1961, cité par Duranton-Crabol A.-M., Le temps de l’OAS, op. cit., p. 101.

40 Genty J. R., op. cit. ch. 14.

41 La Voix du Nord, 17 mai 1958, p. 5. et 18-19 mai p. 3.

42 Entretien avec l’auteur en 2005.

43 Duranton-Crabol A.-M., op. cit, p. 112.

44 Curutchet J. M., Je veux la tourmente, Robert Laffont, 1973, 334 p., p. 147.

45 Déroulède A, OAS. Etude d’une organisation clandestine, Hélette, Jean Curutchet, 1997, cité par Dard O., Voyage au cœur de l’OAS, Paris, Perrin, 2005, 423 p., p. 151.

46 Nord Littoral, 27 mars 1962, p. 3.

47 Nord Littoral, 25 mai 1962, p. 2.

48 Genty J. R., op. cit. p. 516.

49 Nord Matin, 9 mars 1962, p. 3.

50 AD du Pas-de-Calais, 1W23908/5 et 1W23404/11. Cabinet du Préfet. Document soumis à dérogation.

51 AD du Pas-de-Calais, 1W23338. Événements d’Algérie, 22 avril 1961. Document soumis à dérogation.

52 Nord Littoral, 20 janvier 1962, p. 2.

53 Entretien avec l’auteur en 2005.

54 Vendroux J. Ces grandes années que j’ai vécues… 1958-1970, Plon, 1975, 375 p. Tome II des « souvenirs de famille et journal politique », 9 septembre 1961.

55 AD du Pas-de-Calais, cote 1W. Document soumis à dérogation.

56 Duranton-Crabol A.-M., op. cit, p. 141-142..

57 Genty J.R., op. cit., ch. 14.

58 Cf. annexe 7.

59 « Notes de l’entretien du camarade I. V. Staline avec le secrétaire général du C. C. du parti communiste français le camarade Thorez, 19 novembre 1944 », Communisme, 45-46, 1er et 2e trimestres 1996, p. 25 et Mikhaïl Narinski, « L’entretien entre Maurice Thorez et Joseph Staline du 18 novembre 1947 », Communisme, 45-46, 1er et 2e trimestres 1996, p. 45, cités par Roger Ph., « Un préfet de la guerre froide. Georges Phalempin et la fédération communiste du Pas-de-Calais de 1947 à 1956, Histoire et Archéologie du Pas-de-Calais, XXIV, 2007, p. 117-150.

60 Dard O., op. cit., p. 329.

61 Jauffret J.-C, « Le mouvement des rappelés en 1955-1956 », p. 133-160, Harbi M. et Stora B. (dir.), La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, Paris, Robert Laffont, 2004.

62 Amiri L., op. cit, p. 44-45.

63 Souligné par nous.

64 Amiri L., op. cit, p. 44-45.

65 Blanchard E., « Police judiciaire et pratiques d’exception pendant la guerre d’Algérie », Branche r., La guerre d’indépendance des Algériens 1954-1962, coll. Tempus, Perrin, 2009, 384 p., p. 269.

66 Thenault S., « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi », Le Mouvement Social, no 218, janvier-mars 2007, p63-78.

67 AD du Nord, Tribunal de Grande instance de Dunkerque, cote 1270W4, interdictions de séjour, lettres A à L. Document soumis à dérogation.

68 Blanchard E., La répression policière des Algériens. p. 323-329, Branche R. et Thenault S. (dir.), La France en guerre 1954-1962, Collection Mémoires/Histoire, Autrement, Paris, 2008, 506 p.

69 AD du Nord, Tribunal de Grande instance de Dunkerque, cote 1900W616. Document soumis à dérogation.

70 AD du Nord, Tribunal de Grande instance de Dunkerque, cote 1900W616. Document soumis à dérogation.

71 Rioux J.-P., « Les Français et la guerre des deux Républiques », Harbi M. et Stora B. (dir.), La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, Paris, Robert Laffont, 2004.

Table des illustrations

Titre Doc. 6 : Organisation connue de la Wilaya du Nord en février 1958.
Crédits Source : Archives départementales du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M. 7955.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47798/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 88k
Titre Doc. 10 : Daïra de Lille-Roubaix en octobre 1958.
Crédits Source : Archives départementales du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M. 7956.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47798/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 72k
Titre Doc. 11 : Ressources de la Fédération de France du FLN en octobre 1958.
Crédits Source : Archives départementales du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M. 7955.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47798/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 184k
Titre Doc. 12 : Recettes brutes de la Fédération de France du FLN en décembre 1959
Crédits Source : Archives départementales du Pas-de-Calais, centre de Dainville, série M. 7955.
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47798/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 132k
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/47798/img-5.jpg
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