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La Côte d’Opale en guerre d’Algérie 1954-1962

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Marc Coppin

Partie II. Des hommes et des femmes qui prennent position

Actions et réactions locales

Texte intégral

1Des moments lourds de conséquences politiques ont rythmé la guerre d’Algérie, comme la crise institutionnelle du 13 mai 1958, la semaine des barricades de janvier 1960 ou le putsch des généraux d’avril 1961. La Côte d’Opale n’est pas restée sans réaction face à ces grands événements. L’engagement politique et syndical est localement plus précoce à gauche, plus tardif à droite. Mais quand l’investissement des hommes politiques et des leaders syndicaux devient-il conséquent ? Dès 1958, avec la disparition éclair de la IVe République, et la mise en place des nouvelles institutions de la Ve, dont le général de Gaulle est à l’origine ? La réaction de la Côte d’Opale ne devient-elle significative qu’en janvier 1960 ? Où faut-il attendre avril 1961, avec le putsch ?

Les réactions aux événements nationaux

Partis et syndicats faces à la guerre d’Algérie

Les partis politiques : une prise de position essentiellement de gauche

  • 1 Pattieu Sylvain, La guerre d’Algérie et les trotskystes, Dissidences no 9, octobre 2001.

2À l’extrême gauche de l’échiquier politique, le mouvement anarchiste ne semble pas avoir été présent sur la Côte d’Opale. Nationalement, le mouvement anarchiste ne joue de toute façon qu’un faible rôle dans la lutte anticoloniale de la période. Tout en dénonçant les méfaits du colonialisme, certains milieux révolutionnaires restent imperméables aux revendications d’émancipation des Algériens et ne soutiennent ni le FLN, ni le MNA. C’est le cas des trotskystes qui voient avant tout dans la revendication d’indépendance de l’Algérie un coup porté à l’impérialisme français. Et « tout coup porté à l’impérialisme français permet d’avancer vers une possible révolution sociale en métropole »1.

  • 2 Discours de clôture à la conférence fédérale de Paris, 31 mai 1959, publié dans L’Humanité le 3 jui (...)
  • 3 Genty J.-R., « La guerre d’Algérie et la population du Nord-Pas-de-Calais, 1954-1962 », thèse de 3e (...)

3Le PCF joue lui la carte de la légalité et son secrétaire général, Maurice Thorez, invoque Lénine pour se justifier : « Le soldat communiste part à toute guerre, même à une guerre réactionnaire, pour y poursuivre la lutte contre la guerre »2. Bien qu’au cours de la campagne électorale pour les législatives de 1956 Guy Mollet se soit écrié : « Le 2 janvier, les Français diront sans équivoque quel est leur choix entre une politique de réconciliation et de paix, et une guerre imbécile et sans issue », son gouvernement fait voter au printemps les pouvoirs spéciaux pour « maintenir l’ordre » en Algérie. Et bien que considéré comme opposant à cette guerre, le PCF vote les pouvoirs spéciaux avec la SFIO. L’envoi massif du contingent et la poursuite d’un conflit aux méthodes controversées, détachent du parti de jeunes militants communistes qui refusent de suivre la ligne officielle et font le choix de l’insoumission. En novembre 1957, c’est un conseiller municipal de Marcken-Calaisis qui est révoqué par le préfet pour organisation d’une journée de protestation contre la guerre3.

  • 4 Winock M., « Ce qu’on savait vraiment », L’Histoire, no 292, novembre 2004, Guerre d’Algérie : Ce q (...)
  • 5 Procès-verbal des délibérations du conseil municipal de Boulogne-sur-Mer, séance du 26 novembre 195 (...)

4Le contexte de la guerre froide, qui oppose depuis 1947 les États-Unis et l’URSS, est un autre élément explicatif au positionnement du Parti communiste : « la ligne officielle du PCF n’est pas d’avant-garde, contrairement à ce qu’elle était lors de la guerre d’Indochine : le départ des Français d’AFN pourrait favoriser l’impérialisme américain »4. Si le PCF finit par s’opposer à l’action menée par le gouvernement de Guy Mollet, ce n’est donc pas à cause de la politique menée en Algérie, mais plutôt des événements internationaux qui surviennent à la fin de 1956 : l’expédition de Suez, aux côtés des conservateurs britanniques et d’Israël ; la répression de la révolution hongroise par les chars soviétiques. Les morts de Budapest sont ainsi à l’origine de vifs échanges entre les conseillers municipaux socialistes et communistes de Boulogne-sur-Mer, réunis spécialement pour l’occasion, sans autre ordre du jour5.

5Le Parti Socialiste n’est pas tendre avec le PCF qu’il juge responsable au même titre que les poujadistes. La Commission Exécutive de la Fédération Socialiste du Pas-de-Calais, réunie à Lens le 15 mai 1958, pour examiner la situation au lendemain du coup de force d’Alger tendant à renverser les institutions républicaines, rappelle que :

  • 6 Nord Littoral, 17 mai 1958, p. 2.

La gravité de la situation actuelle résulte de la conjonction des voix communistes, poujadistes et réactionnaires qui, à trois reprises en moins d’un an, ont privé la France de gouvernement, encourageant les entreprises des factieux partisans d’une dictature […]
Mettant en garde les travailleurs contre les tentatives du Parti Communiste pour exploiter à son profit une situation qu’il a largement contribué à créer6.

  • 7 Winock M., « 1957 : la campagne des intellectuels », in Les Collections de L’Histoire, H.S. no 15, (...)
  • 8 Thénault S., « La gauche et la décolonisation », in J.J. Becker et G. Candar (dir), Histoire des ga (...)
  • 9 Ibidem.

6La politique de la SFIO, faite de réformes et de répression, suscite également de nombreuses critiques à gauche, en France comme ailleurs. L’organe du parti travailliste du Royaume-Uni, Tribune, commente une photo de Guy Mollet : « From the lips of France own soldiers serving in Algeria comes the most terrible story of crime and atrocity. He disgraces the name of socialism. » (« Des lèvres des soldats de la France en Algérie sortent les plus terribles récits de crimes et d’atrocités. Il [Guy Mollet] déshonore le nom du socialisme »)7. La sévérité de la critique amène à s’interroger sur l’essence même de la gauche en matière d’émancipation coloniale. La gauche française est-elle indépendantiste ou à tout le moins anticolonialiste ? « La décolonisation passe nécessairement par la gauche. Cela est faux, il convient de le constater avec courage » écrit Jean Daniel dans la revue Esprit de mai 1960. Constat partagé par les historiens pour qui « aucune corrélation ne peut être établie entre les périodes où les formations de gauche ont exercé des responsabilités dans la direction de la France et les progrès de la décolonisation, à une exception près : Pierre Mendès France »8. Pourtant, pour lui aussi dans un premier temps, « l’Algérie c’est la France ». Comment expliquer que les forces de gauche n’aient pas eu le sens de l’histoire ? Par la puissance des fédérations implantées dans les colonies, qui freinent toute modification d’un statu quo avantageux. En raison également de l’idéologie égalitaire de la gauche qui la pousse à favoriser l’intégration par des réformes. Et pour réformer, il faut que l’ordre règne. « Réformer et réprimer allaient de pair »9.

  • 10 Duclert V., La « deuxième gauche », in J.J. Becker et G. Candar (dir), Histoire des gauches en Fran (...)

7La contestation menée dans le camp socialiste contre la politique algérienne de Guy Mollet aboutit à la création du Parti socialiste autonome en 1958. Deux ans plus tard, en avril 1960, il devient le Parti Socialiste Unifié, après fusion avec l’Union des Gauches socialistes et avec un groupe de dissidents du PCF formé autour du journal Tribune du communisme de Jean Poperen. La lutte contre la guerre d’Algérie constitue l’événement fondateur de la « deuxième gauche »10. L’UGS est elle aussi issue de ce vaste mouvement de recomposition politique, comme en témoigne cet appel lancé dans Nord Littoral :

  • 11 Nord Littoral, 17 décembre 1957, p. 3.

Au moment où le gouvernement et le patronat entretiennent la guerre en Algérie, font payer aux travailleurs le prix d’une politique de faillite pour le pays, politique qui risque de compromettre l’indépendance de la France et la paix, les adhérents de l’Union de la Gauche socialiste de Calais (parti issu de la fusion du Mouvement de libération du Peuple, de la Jeune République, de la Nouvelle Gauche et des fractions de la SFIO), réunis le 12 Novembre 1957, affirment que seule une majorité groupant tous les partis de gauche sans aucune exclusive, peut répondre à l’attente du pays en lui redonnant la paix et en satisfaisant les justes revendications des travailleurs, et que seule cette majorité est capable de gouverner et de sortir le pays de la faillite11.

8La guerre d’Algérie sert d’événement mobilisateur pour un peuple de gauche dérouté par le coût économique et humain de la guerre d’Algérie, mais l’article se veut aussi rassembleur et appelle à l’union des travailleurs et des socialistes. La « deuxième gauche » ou « nouvelle gauche » tente de trouver sa place entre la SFIO et le PCF, loin des dogmes marxistes ou du discours des socialistes, partisans du rétablissement de l’ordre par la force.

  • 12 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 15 : Le gaullisme à l’épreuve de l’Algérie.
  • 13 Ibid, Chapitre X : La semaine des barricades.

9L’Union pour la nouvelle République est fondée le 1er octobre 1958 pour soutenir l’action du général Charles de Gaulle, revenu au pouvoir au mois de juin avec les pleins pouvoirs pour six mois, et un mandat pour rédiger et faire approuver une nouvelle constitution. La Fédération du Nord est forte. En 1959, elle compte 11 000 adhérents et 13 députés, et elle apparaît plus droitière que l’ensemble du pays12. Deux tendances, deux états d’esprit, coexistent au sein de l’UNR. La fidélité au général de Gaulle, à l’image de Jules Houcke, maire de Nieppe ; la fidélité à l’Algérie française avec Léon Delbecque, secrétaire général de la fédération du Nord, qui défend l’intégration, ou Ernest Denis, député de la région qui quitte l’UNR en janvier 1960 après la semaine des barricades13. La Fédération UNR du Pas-de-Calais est, elle, résolument fidèle au chef de l’État et salue son action alors que les négociations pour le cessez-le-feu progressent.

  • 14 Nord Littoral, 28 février 1962, p. 2.

L’opinion, tant à l’intérieur qu’à l’étranger, reconnaît unanimement que seule l’action tenace et le prestige personnel du Général de Gaulle auront permis d’aboutir à la paix.
Exprimant sa confiance absolue dans la personne du chef de l’État pour assurer l’application de l’accord qui va intervenir, l’UNR revendique simplement l’honneur de lui avoir permis, par un soutien sans défaillance à sa politique et à celle du gouvernement, d’entreprendre, malgré les oppositions, les nostalgies et les rancœurs, la tâche historique qui est la sienne14.

10La personnalité du chef de l’État, son charisme et ses liens avec la nation sont mis en avant. La politique algérienne du général de Gaulle, quelque peu mouvante, est qualifiée de « clairvoyante », comme si depuis son retour au pouvoir, le destin de l’Algérie était déjà tracé et que le chef de l’État ne faisait qu’appliquer une politique préétablie. Cet oubli volontaire des hésitations de de Gaulle, entre intégration et autodétermination, montre la fidélité d’une fédération plus attachée à l’homme qu’à sa politique.

11La Fédération du Nord MRP, animée par Maurice Schumann, ancien porte-parole de la France combattante à Londres, manifeste également sa confiance au général de Gaulle.

  • 15 La Voix du Nord, 31 janvier – 1 février 1960, p. 3.

Le congrès de la Fédération du Nord du M.R.P., réuni à Lille, le samedi 30 janvier :
Approuve sans réserve le langage énergique et clair tenu par le général de Gaulle, qui incarne l’autorité de l’État et la permanence de la république.
Assure celui-ci de son soutien total pour l’application ferme et résolue de la politique d’autodétermination qui peut seule préserver l’intérêt national et hâter l’heure de la paix15.

Les forces syndicales

  • 16 Les Cahiers d’histoire sociale de l’Institut CGT, no 79, septembre 2001, pp. 5-10.
  • 17 Pitti L., « Renault, “la forteresse ouvrière” à l’épreuve de la guerre d’Algérie » in Branche r., L (...)

12Le 3 novembre 1954, le Bureau confédéral de la CGT déclare que : « c’est seulement dans la voie de la satisfaction de ces revendications et des aspirations nationales qui y sont liées que doit être cherchée la solution des problèmes dont les événements en cours attestent la gravité et l’urgence »16. Au plan syndical, la CGT serait la seule à prendre conscience du sens national de la lutte engagée par le peuple algérien, et revendique avoir fait connaître la torture par ses écrits, aidé à la diffusion de livres interdits comme La Question et aidé le peuple algérien dans la tradition de solidarité du mouvement ouvrier français, comme elle avait soutenu le peuple vietnamien après 1945. Il y a donc divergence au sein du mouvement ouvrier communiste dès 1954 avec le PCF qui évoque « l’intérêt national français » et la CGT qui parle des « aspirations nationales du peuple algérien »17.

  • 18 Les Cahiers d’histoire sociale de l’Institut CGT, no 79, septembre 2001, pp. 5-10.

13Puis, en 1956, c’est le coût de la guerre qui est critiqué, guerre contraire à l’intérêt de la France et des travailleurs qui en supporteraient le lourd fardeau. Mais la mobilisation ouvrière reste faible jusqu’en 1961. Une première initiative nationale a lieu le 6 novembre 1955 sous la forme d’une journée d’étude et de discussion qui aboutit à la création du « Comité national d’information et d’action pour la solution pacifique des problèmes d’Afrique du Nord ». Une première action de portée nationale a lieu le 5 février 1956 à l’appel du Comité national, à laquelle participent la CGT et ses organisations. Après les barricades d’Alger, l’ensemble des centrales syndicales appelle les travailleurs à un arrêt de travail d’une heure le 1er février 1960. Le 27 octobre est une journée nationale d’action pour la négociation en Algérie. Les actions se multiplient en France les 10 et 11 décembre 1960. La CGT est le seul syndicat à s’être prononcé sur le référendum du 8 janvier 1961, en appelant à voter non. Lors du putsch d’avril 1961, CGT, CFTC, FEN et UNEF appellent à un arrêt de travail d’une heure le 24, décision à laquelle se rallie FO. Plus de 12 millions de travailleurs répondent à cet appel18.

  • 19 Claude Poperen, cité par Pitti L., « Renault, “la forteresse ouvrière” à l’épreuve de la guerre d’A (...)

14Le 2 août 1961, CGT, CFTC, FEN et UNEF s’engagent « à rester en contact en vue de s’opposer […] à tout nouveau coup de force ». Ces organisations font du 19 décembre une journée de manifestation nationale contre l’OAS, pour la paix en Algérie par la négociation. Les attentats de l’OAS obligent les organisations syndicales à prendre des mesures pour protéger les dirigeants et les locaux. Le Mouvement de la Paix appelle à une semaine d’action du 4 au 12 février 1962. Dans ce cadre, les unions départementales CGT, CFTC, UNEF, SGEN, SNI, PCF, PSU et Mouvement de la paix, décident d’une manifestation à Paris le 8 février qui s’achève par huit morts au métro Charonne. Le lendemain, de nombreux arrêts de travail et des manifestations témoignent de l’indignation des travailleurs de France. Mais cette chronologie établie a posteriori par la CGT, ne doit pas faire oublier que : « La grande majorité, y compris de la classe ouvrière, était pour la paix. La classe ouvrière, pendant la guerre d’Algérie, a joué un rôle plus par sa passivité face à la politique du gouvernement que par son engagement pour l’indépendance »19.

15Socialistes et syndicalistes présents sur la Côte d’Opale ont eu une attitude plus « suivistes », plus attentiste, que réellement initiatrice.

Des réactions qui s’affirment à partir du retour du général de Gaulle au pouvoir

1958 – 1959, les premières véritables réactions

16À la suite des événements du 13 mai 1958, un comité de vigilance se met rapidement en place à Calais.

  • 20 Nord Littoral, 16 mai 1958, p. 3.

Le Comité Provisoire de Vigilance Anti-Fasciste de Calais, réuni le mercredi 14 mai après avoir examiné la situation, considère que le coup de force des ultras en Algérie et les manifestations fascistes à Paris ont un caractère d’atteinte aux institutions républicaines et à la République proprement dite. Le fait que des généraux factieux se permettent de mettre en cause les institutions républicaines, démontre le grave danger de la menace fasciste.
Constate que les prises de position des diverses organisations politiques, syndicales et démocratiques, de résistance et d’hommes politiques, doivent aider au rassemblement de tous les républicains dans la lutte anti-fasciste.
Le Comité appelle les travailleurs à riposter aux menées fascistes sous toutes les formes, pétitions, délégations, arrêt de travail. Que partout s’opère l’Union dans l’action pour la défense des libertés républicaines pour barrer la route au fascisme.
Le comité fait part qu’il a invité les organisations suivantes : Parti Socialiste (S.F.I.O.), Ligue des Droits de l’Homme - U.L.C.F.T.C.-U.L.C.G.T.-F.O.-S.N.E.S. - S.N.I. de Calais - M.L.O. et organisations de Résistance à une réunion qui aura lieu le samedi 17 mai, à 16 heures, à la Bourse du Travail, en la salle Lejeune20.

17S’agit-il d’une réelle crainte d’un coup d’État fasciste ou de surenchère verbale ? Six mots sur 192 tout de même se réfèrent au fascisme dans ce court article. La division syndicale est également notable car aucune invitation n’est lancée au PCF ou à la CGT, signe de méfiance envers le communisme, perçu comme un totalitarisme ?

18Mais la gauche n’est pas seule à réagir et les partisans du gaullisme progressent. Dans son journal de souvenirs politiques Jacques Vendroux écrit :

  • 21 Vendroux J., Ces grandes années que j’ai vécues… 1958-1970, Plon, 1975, 20 mai 1958.

Depuis trois jours, pour sonder l’opinion, j’ai multiplié mes sorties et pris contact avec des concitoyens de tous bords, y compris dans les milieux radicaux et socialistes […] Les réactions sont presque unanimement favorables à de Gaulle. Les gens en ont assez de la décomposition politique. « Lui seul peut désormais nous sauver du désordre et de l’anarchie… Il faut qu’il revienne ! » J’ai entendu ce sondage à différents points du Pas-de-Calais maritime et suis suffisamment renseigné pour adresser à mon beau-frère un rapport succinct sur l’état d’esprit qui règne dans mon secteur21.

19« Désordre » et « anarchie » se réfèrent à l’instabilité politique de la IVe République qui a plus d’une fois laissé la France sans gouvernement pendant plusieurs semaines. Ces phrases sont consignées par Jacques Vendroux au lendemain de la conférence de presse du général de Gaulle qui a pu rassurer les habitants du littoral de la Côte d’Opale. « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur » s’exclame notamment le général.

  • 22 Témoignage recueilli le 30.06.1979 par Genty J.-R., op. cit.

20À Dunkerque, le thème de la lutte antifasciste est aussi porteur pour une extrême gauche peu encline à la modération. « Dans certains cas, prononcer le nom de de Gaulle devant des militants communistes revenait à agiter la “muleta” devant le mufle d’un taureau furieux » témoigne Jeanne Brunschwig, alors professeur au lycée Jean Bart et militante du PCF. Ainsi, le groupe des professeurs communistes du lycée doit s’interposer entre des dockers et des lycéens d’extrême-droite afin que ces derniers ne se retrouvent pas dans l’eau du bassin du vieux port22. Dans les chantiers navals les ouvriers débrayent pendant une heure, tandis que 1 400 dockers tiennent un meeting à la Bourse du Travail, sous la présidence de Lucien Duffuler, leur chef historique.

  • 23 Nord Matin, 15 mai 1958, p. 3. Ce journal se veut le « Quotidien d’information de la démocratie soc (...)
  • 24 Nord Matin, 20 mai 1958, p. 4.
  • 25 Nord Matin, 24 mai 1958, p. 4 et 31 mai 1958, p. 4.

21En ce qui concerne les socialistes, le 15 mai, dans un éditorial intitulé « Pour que vive la République », Jean Lechantre rappelle leur attachement à la République démocratique23. Différents appels sont lancés dans Nord Matin à « tous les républicains et démocrates » de la région de Dunkerque. Par le parti socialiste le 20, par M. le Bâtonnier Spriet, au cours du congrès d’arrondissement des délégués cantonaux, qui demande solennellement « Que les armes cèdent devant le pouvoir civil !24 » ; par des « organisations libres de la région de Dunkerque » qui regroupent la SFIO, représentée par M. Liénard, les Socialistes autonomes avec M. Castien, le MRP de M. Maillard, les Radicaux avec M. Fingado, l’UDSR de M. Bertrand, la CGT-FO avec M. Hulin, la CFTC de M. Ponthieu et la FEN autonome représentés par M. Dumont25. L’opposition, ou tout du moins la méfiance, entre ces organisations et celles proches du PCF est à nouveau patente.

  • 26 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 9 : Le 13 mai 1958.

22À Boulogne-sur-Mer, les dockers et les ouvriers des entreprises du bâtiment arrêtent également le travail entre quatorze et quinze heures le 14 mai26. Ce que confirme Jean Bardol dans ses mémoires :

  • 27 Bardol J., Un train de sénateur, édité par la SARL « Mémoire de militants », 6 rue du Dr Brousse, 6 (...)

J’ai vécu intensément ce mois de mai à Boulogne avec les travailleurs, les démocrates. Dès le coup de force d’Alger, et pouvant le faire puisque je devenais parlementaire le 8 juin, je laissais mon poste d’enseignant à un instituteur remplaçant et me consacrais totalement, avec mes camarades, à l’organisation des luttes pour barrer la route au fascisme menaçant. Dès le 14 mai, les dockers et de nombreuses entreprises du bâtiment se mettent en grève. Ils seront suivis les jours suivants par la grande majorité des entreprises publiques et privées, des administrations. Des manifestations se déroulent presque chaque jour. La plus importante a lieu le 29 mai avec 9 000 à 10 000 personnes. Les socialistes de Boulogne y participent avec leur maire, Henri Henneguelle, le seul député SFIO du Pas-de-Calais qui refusera de voter l’investiture de de Gaulle. Il y perdra son siège en novembre de la même année. Pendant toutes ces semaines, le parti communiste et la CGT se sont dépensés sans compter. […] À minuit, nous écoutons à la radio les dernières nouvelles. Deux ronéos sortent des milliers de tracts que les militants viennent retirer vers six heures du matin pour les distribuer à la porte des usines et des bureaux27.

23Le fascisme est ici également mobilisateur, mais au point de faire descendre dans la rue la majorité des entreprises privées ? L’estimation semble excessive, tout comme celle du nombre de participants à la manifestation du 29 mai. La presse se serait sûrement fait l’écho d’une telle ampleur.

24Le front syndical n’est cependant pas uni. La Confédération générale des Cadres fait part de sa position face aux événements d’Algérie, sous le titre : « la CGC est une organisation strictement apolitique ». Elle :

  • 28 La Voix du Nord, édition de Boulogne-sur-Mer, 22 mai 1958, p. 3.

[…] invite les fédérations et syndicats à ne prendre part à aucune grève politique, à veiller, en raison de la loi instituant l’état d’urgence, récemment promulguée, au maintien des libertés syndicales et à garder contact avec les dirigeants en toutes circonstances. Il rappelle que le redressement de la France implique la réforme des mœurs politiques et des institutions de la République28.

  • 29 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 9 : Le 13 mai 1958.

25Un Comité départemental d’action et de défense républicaine est mis en place avec l’ensemble des forces institutionnelles et des grandes centrales ouvrières : la SFIO d’Augustin Laurent, le MRP de Léon Robichez, le parti radical d’André Muller, la CFTC d’André Glorieux, FO avec Georges Beyart et le SNI de Raymond Allaert. 2 500 personnes répondent à son mot d’ordre de grève et de manifestation, ce qui peut être considéré comme un succès sans qu’il soit possible pour autant de parler de mobilisation de masse. Il faut noter par ailleurs que les communistes et les militants de la nouvelle gauche n’y participent pas, préférant se retrouver au sein d’un comité antifasciste départemental. La CGT fait également cavalier seul lançant un mot d’ordre de grève de 24 heures, modérément suivi le 27 mai29.

26Enfin, le Conseil Général du Nord, réuni en session extraordinaire, met aux voix une motion discutée lors d’un débat souvent houleux :

  • 30 La Voix du Nord, édition de Boulogne-sur-Mer, 28 mai 1958, p. 3.

Réuni en session extraordinaire le 27 mai 1958 sous la présidence d’Augustin Laurent, le Conseil Général constate :
1) que les douloureux et dramatiques événements qui se déroulent en Algérie depuis le 13 mai, se sont aggravés par un coup de force sur le territoire de la Corse, fomenté par les factieux d’Alger, et exécuté par des éléments militaires engagés dans la rébellion
2) que ce qui a pu apparaître un moment aux yeux de nombreux Français comme un mouvement passionnel du peuple algérien et de l’armée manifestant une farouche hostilité à toute politique d’abandon, prend aujourd’hui le caractère d’une vaste et dangereuse conjuration contre la République.
Devant le spectre de la guerre civile qui menace, le Conseil Général, sûr de traduire la volonté de la population laborieuse du Nord qui a si souvent fait la preuve de son patriotisme et de son attachement à la démocratie, proclame sa fidélité inébranlable à la République, et fait connaître qu’il refuserait de s’incliner devant un gouvernement illégal et imposé par l’émeute ou par la sédition d’éléments militaires dévoyés. Il invite la population à se grouper et à se tenir prête à répondre aux appels qui pourraient lui être adressés par les comités de défense et d’action républicaine et par les municipalités républicaines.
Il déclare que par application de la loi du 15 février 1872, si l’Assemblée Nationale venait à être dissoute illégalement, ou empêchée de se réunir, sans qu’il soit besoin de convocation spéciale, le Conseil Général se réunirait de plein droit, et, en vertu des pouvoirs que la loi lui confère, prendrait toutes les mesures rendues nécessaires par la situation.
Il invite solennellement tous les Conseils Généraux de France à imiter son exemple.
Vive la République
Vive la France30.

27Le scrutin donne 10 voix contre, 5 abstentions, la majorité ne peut être recensée exactement, le vote s’étant fait à main levée et dans une certaine confusion. Cette décision est tout de suite saluée par le Comité d’action et de défense républicaine de Dunkerque, réuni le 27 mai.

  • 31 AD du Nord, W142243, Evénements de mai 1958, document soumis à dérogation.

Les formations Politiques et Syndicales ci-dessous signataires […] affirment acquiescer pleinement à l’ordre du jour adopté solennellement par le Conseil Général du Nord, dans sa séance du mardi 27 mai 1958. Elles font connaître au Président de la République qu’elles veulent sonner le rassemblement de toutes les forces saines de la Nation pour permettre le libre exercice du Régime Républicain et pour ne pas tolérer l’usurpation du pouvoir légal et démocratique du Pays à des fins personnelles ou dictatoriales.
Parti socialiste SFIO, Mouvement républicain populaire, Section Socialiste Autonome, Parti radical et radical socialiste, UDSR, CFTC, CGT Force ouvrière, Fédération nationale de l’enseignement31

28Mais dans la région, l’initiative de de Gaulle semble avoir le soutien de la population. Le général n’apparaît pas comme un épouvantail, ce qui peut expliquer un certain attentisme, une certaine résignation.

1960-1962 : les réactions les plus vives

  • 32 Nord Littoral, 29 janvier 1960, p. 2.

29Dès janvier 1960, avec les barricades d’Alger dressées par les partisans de l’Algérie française, l’inquiétude renaît en métropole. À Calais, cette fois, ce sont les tenants de la droite locale qui s’expriment les premiers. Le 29 janvier, les conseillers municipaux indépendants adressent un télégramme au chef de l’État et « l’adjurent de maintenir l’ordre public et de rétablir la confiance entre la métropole et l’Algérie, pour que s’affirme à la face du monde la fraternité franco-musulmane32 ». La fracture entre la France et l’Algérie n’apparaît donc encore pas irrémédiable à leurs yeux. Le lendemain, c’est Jacques Vendroux qui envoie à son tour un télégramme au général de Gaulle : « Le Député-maire de Calais et les Membres du Conseil Municipal de Calais assurent le général de Gaulle, Chef de l’État, de l’entière et fervente confiance qu’ils mettent en lui pour résoudre les difficultés momentanées que traverse le pays ».

  • 33 Nord Matin, 28 janvier p. 6 ; 30 janvier p. 9 et 11.

30Bien d’autres télégrammes affluent vers l’Élysée en provenance du littoral.Nord Matin les recense33 :

Le comité local UNR de Calais, la fédération des élus socialistes du Pas-de-Calais, au nom des 150 maires socialistes du département, la section socialiste de Boulogne-sur-Mer, l’union démocratique du travail de Boulogne-sur-Mer, le Conseil Municipal de Calais, la fédération du Nord de la Ligue des Droits de l’Homme, le syndicat CGT des dockers de Dunkerque, le personnel de l’usine de céramiques de Boulogne, le mouvement « Vie nouvelle pour accession à la dignité et à la responsabilité de tous les hommes » de Dunkerque, le MRP de Dunkerque, le Conseil Municipal communiste de Saint-Pol-sur-Ternoise, la section CGT cheminots de Saint-Pol-sur-Ternoise, l’union locale CGT de Calais, les conseillers municipaux indépendants de Calais, Jules Houcke, maire de Nieppe, les sections syndicales FO, CFTC, CGT de la Sécurité sociale de Boulogne, les syndicats cheminots actifs et retraités CGT Dunkerque

  • 34 Nord Littoral, 3 février 1960 p. 2.

31Partis, syndicats, Conseils municipaux prennent donc position. À gauche, le parti le plus réactif est le Parti Socialiste Autonome, scission de la gauche de la SFIO, qui appelle à la vigilance et à la paix. Il dénonce la politique de la « troisième voie » que le général de Gaulle cherche en vain en Algérie : « Entre la paix et la guerre, entre la négociation et la répression, le moment est venu de choisir »34.

32Les syndicats calaisiens proches du PCF choisissent de s’adresser directement au Président de la République :

  • 35 Nord Littoral, 30 janvier 1960 p. 2.

Les militants des Syndicats dépendant de l’Union locale des Syndicats de la C. G. T. de Calais, réunis le mercredi 27 janvier 1960, élèvent une protestation indignée en présence de l’émeute insurrectionnelle déclenchée par les ultras à Alger contre le droit à l’autodétermination du peuple algérien.
En ces circonstances, les Militants, conscients des terribles dangers que la poursuite de la guerre et les menées des factieux font peser sur notre pays et les libertés, estiment nécessaire et urgent que les mesures suivantes soient prises par le Gouvernement :
– Mettre hors d’état de nuire les émeutiers et châtier les responsables. – Dissoudre toutes les organisations factieuses.
Engager aussitôt avec les représentants de ceux contre qui l’on se bat, les pourparlers en vue d’un cessez-le-feu en Algérie et négocier sur les bases de l’autodétermination du peuple algérien, que vous avez, Monsieur le Président, proclamée et réaffirmée.
Il y va de l’intérêt de la France et de son peuple qui veut la Paix en Algérie.
Recevez, Monsieur le Président de la République, l’expression de nos sentiments les plus distingués
Pour l’Union locale des Syndicats Confédérés : Ziélinski, secrétaire35.

33Négociations, autodétermination et paix sont les mots clés de ce télégramme qui s’en prend également aux « émeutiers » et aux « factieux » d’Alger.

  • 36 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 15 : Le gaullisme à l’épreuve de l’Algérie.

34Les débrayages sont très importants sur le littoral. Les dockers des ports de Boulogne et de Dunkerque suivent massivement, à 100 %, le mot d’ordre de grève d’une heure. À Dunkerque, le mouvement atteint une ampleur impressionnante puisque pendant une heure toute vie semble s’arrêter dans la ville. Cette grève générale est également observée par les fonctionnaires et les employés des services. Ainsi, parmi les employés de la SNCF et de l’EDF, les ouvriers comme les employés de bureau et les cadres, tous participent massivement36.

  • 37 Nord Matin, 28 janvier 1960, p. 6 ; 30 janvier 1960, p. 8.

35À Saint-Pol-sur-Mer, une réunion extraordinaire du conseil municipal est convoquée par voie de presse. « Ordre du jour : problèmes d’Algérie. La municipalité lance un appel à tous les Républicains pour venir nombreux à cette réunion du Conseil. Signé : le Maire, Gaston Tirmarche ». À l’issue de cette séance, le Conseil municipal adresse un télégramme de confiance et de solidarité au Président de la République. « Le Conseil municipal de Saint-Pol-sur-Mer, réuni en séance extraordinaire, demande au gouvernement : application politique autodétermination et mise hors d’état de nuire des organisations fascistes d’Algérie et de France ». Télégramme approuvé à l’unanimité du Conseil Municipal37.

  • 38 Nord Littoral, 23 avril, p. 2.

36Mais c’est en avril 1961, avec le putsch des généraux d’Alger, que les réactions sont les plus nombreuses, tant la population du littoral semble inquiète. Le 23 avril, le maire de Calais envoie un nouveau télégramme à son beau-frère : « Administration municipale Calais convaincue de refléter les sentiments de l’immense majorité de la population de la ville, vous prie de croire à son respectueux dévouement comme à l’indéfectible attachement qu’elle porte à tout ce que vous représentez38 ». La section locale du PSU se prononce pour une riposte puissante et immédiate :

  • 39 Nord Littoral, 23 avril 1961, p. 2, Réactions calaisiennes aux événements d’Algérie.

Une nouvelle fois la France vit des heures tragiques. Une nouvelle fois les corps spécialisés de l’armée de métier prétendent imposer leur volonté au risque de précipiter la nation dans une atroce guerre civile. C’est le prix de trop de complaisance à l’égard des ultras, qui depuis des semaines cherchent impunément à terroriser la France […] Mais c’est la sanction surtout de 3 années de manœuvres et de dérobades devant la seule issue possible à la guerre d’Algérie : la paix par la négociation et la reconnaissance de l’indépendance du peuple Algérien […] Le fascisme militaire ne passera pas39.

  • 40 Nord Matin, 24 avril 1960, une.

37Les fédérations socialistes du Nord et du Pas-de-Calais « appelle[nt] les militants et tous les Républicains et les Démocrates à se considérer comme en état d’alerte »40.

38L’inquiétude gagne aussi le groupe UNR de Calais, qui n’est pas sans rappeler le ton pathétique avec lequel le Premier Ministre Michel Debré invite les Français à barrer la route aux parachutistes putschistes attendus sur Paris. Il s’agit d’un véritable appel à l’aide.

  • 41 Nord Littoral, 26 avril 1961, p. 2.

Depuis lundi matin, des groupes de défense, formés de militants et de membres de l’UNR ont été organisés dans toute la ville et sont en permanence à la disposition de la force publique pour effectuer toutes les tâches de surveillance ou éventuellement de soutien dont celle-ci pourrait avoir besoin […] C’est pourquoi l’UNR, soucieuse de renforcer l’organisation de ses groupes, invite les calaisiens de bonne volonté, qui ont déjà manifesté le désir de soutenir la politique et l’action du général de Gaulle : soit à venir s’inscrire dès demain au siège, 48 rue des Quatre Coins, de 16 h à 20 h ; soit à écrire à M. R. Denimal, Hôtel de Ville, Calais, en indiquant : nom, prénom, adresse, âge, numéro de téléphone, s’il y a lieu, moyen de transport disponible tels que vélomoteurs, automobiles…
Calaisiens : aidez le général de Gaulle !41

  • 42 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 11 : Le putsch des généraux.
  • 43 Nord Littoral, 25 avril, p. 2 et Nord Matin, 25 avril, p. 4.
  • 44 Nord Matin, 26 avril 1958, p. 4.

39L’inquiétude des syndicats est réelle et les débrayages sont massifs sur la Côte d’Opale. À treize heures trente le 22 avril, le syndicat CGT des dockers du port de Dunkerque tient une assemblée générale présidée par son leader, Lucien Duffuler, et décide le principe d’un arrêt de travail42. Plus de 4000 ouvriers et employés débrayent pendant une heure sur Dunkerque, parmi les dockers, le personnel des ACDB [ateliers et chantiers de Dunkerque et de Bordeaux], des Coopérateurs. Sur Calais, « Le mouvement de grève a été suivi à 100 %43 ». Une résolution est votée par le conseil municipal de Gravelines, sous la présidence d’Albert Denvers, maire et député. La réprobation du coup de force d’Alger réunit toutes les tendances politiques et syndicales et la motion est déposée à la sous-préfecture de Dunkerque44.

  • 45 Nord Littoral, 4 avril 1962, p. 2.
  • 46 Nord Littoral, 6 avril 1962, p. 2.

40Pourtant, les désaccords de la gauche apparaissent au grand jour lorsque les accords d’Évian, entrés en vigueur le 19 mars 1962, doivent être ratifiés par les Français. Le PSU – section de Calais – appelle dans une tribune libre à répondre « oui à la paix et non au pouvoir personnel »45. Alors que le PCF, qui rappelle avoir « proposé cette solution dès les premiers jours de la guerre en novembre 1954… », prône une décision contraire : « Malgré l’hostilité de principe de notre Parti au système de référendum, notre opposition irréductible au pouvoir personnel et à la malfaisance de sa politique, considérant avant tout l’intérêt de la paix et de la France, nous vous appelons à répondre OUI… »46

Des actions collectives

Pour des enjeux d’abord économiques

41Le premier impact de la guerre d’Algérie sur la population de la Côte d’Opale, c’est son coût. Une lettre des habitants des Cités Bourre et colonne sud, Heute-Ville, Centre, Bréquerecque, quartiers populaires de Boulogne-sur-Mer, est adressée au conseil municipal de la ville pour critiquer les dépenses militaires.

  • 47 Délibérations du Conseil municipal de Boulogne-sur-Mer, 12 décembre 1955, AM Boulogne-sur-Mer, 59W1 (...)

La paix étant signée au Viêt-Nam nous pensions qu’avec l’argent qui était dépensé pour la guerre du Viet-Nam nous aurions eu une vie meilleure, des écoles pour nos enfants, des logements sains. Au lieu de tout cela 789 millions tous les jours soit 24 milliards de dépenses nouvelles par mois pour la répression en Afrique du Nord, qui viennent s’ajouter à l’énorme budget de guerre de 1 310 milliards de francs47.

  • 48 Nord Littoral, 26 octobre 1957, p. 2.
  • 49 Délibérations du Conseil municipal de Calais, 29 mars 1958, AM de Calais.

42Le 25 octobre 1957, plusieurs milliers de travailleurs calaisiens participent à une journée de grève revendicative. Dans une résolution générale, les syndicats demandent que soit mis fin au « drame algérien qui coûte 2 milliards par jour, engendre la hausse des prix, des deuils, la misère et le blocage des salaires »48. Le 29 mars 1958, le groupe communiste du conseil municipal de Calais refuse de voter le budget primitif de l’exercice 1958, au prétexte que « les difficultés communales résident dans l’accroissement des budgets militaires et notamment dans les dépenses destinées à la guerre d’Algérie »49.

  • 50 Nord Littoral, 23 avril 1958, p. 2.
  • 51 Nord Littoral, 22 mars 1959, p. 3

43« Le peuple est las de se faire sucer, pressurer par les impôts toujours pour la fameuse pacification », s’écrit Madame Veuve B., demeurant boulevard Victor-Hugo à Calais, dans la rubrique « Nos lecteurs ont la parole » de Nord Littoral50. Cette même rubrique est utilisée en 1959 par l’Union progressiste qui lance un appel à l’union et à l’action des « démocrates de gauche et des authentiques républicains » contre la politique économique et sociale du gouvernement. Mais avant cela, « il faut arrêter la guerre d’Algérie » préjudiciable à l’expansion économique et industrielle51.

44Une résolution des syndicats des cheminots CGT, CGT-FO, et CFTC du 17 avril 1958, parue dans Nord Littoral, mêle revendications économiques et préoccupations humanistes. Les syndicats :

n’ignorent pas le poids de la guerre d’Algérie sur l’économie de notre pays et ne peuvent rester insensibles à la soif de liberté et de justice de tous les peuples opprimés. Ils s’insurgent contre la poursuite de la guerre d’Algérie […] s’émeuvent devant le développement de plus en plus meurtrier de la guerre d’Algérie comme de la haine qu’elle suscite […]

45La Commission exécutive de la Fédération socialiste du Pas-de-Calais reste pourtant :

  • 52 Nord Littoral, 17 mai 1958, p. 2.

46Fidèle au programme fixé par Guy Mollet pour promouvoir en Algérie une solution pacifique dans les délais les plus brefs et rappelant, en outre, qu’il ne peut y avoir de politique nationale et de défense républicaine sans politique sociale, elle fait confiance aux ministres socialistes pour continuer à défendre le pouvoir d’achat des masses laborieuses et à s’opposer au rationnement par les prix52.

47Mais cette fidélité à la ligne du parti, cette volonté de croire que la guerre d’Algérie n’affecte en rien le « pouvoir d’achat des masses laborieuses », semble bien loin du ressenti des populations. Sur la Côte d’Opale, les aspects économiques ne sont jamais absents des analyses que peuvent faire les éditorialistes :

  • 53 Nord Littoral, éditorial du 27 janvier 1960.

Cette guerre d’Algérie qui est entrée dans sa sixième année c’est la métropole qui la conduit. Si les Algériens, des deux communautés, ont subi le lourd impôt du sang à cause du terrorisme, les familles françaises ont donné et donnent encore celui de leur fils, sans parler de leur argent53.

48Ils sont présents également chez les militants, comme ici à la section calaisienne du Mouvement de Libération ouvrière :

  • 54 Nord Littoral, 30 janvier 1960, p. 4.

Les milliards engloutis dans la guerre d’Algérie…
Les Français fauchés en pleine jeunesse depuis 5 ans… donnent le droit au peuple de France de s’exprimer et d’appuyer fortement le droit à l’autodétermination des Algériens54.

49En fait, les enjeux économiques restent constamment présents aux côtés de revendications plus politiques, même aux heures graves où la République est menacée, et ce jusqu’en 1960.

Puis la défense de la République

  • 55 Nord Littoral, 15 mai 1958, p. 3.
  • 56 Hilaire Y.M. (dir.), Histoire du Nord-Pas-de-Calais de 1900 à nos jours, éditions Privat, Toulouse, (...)

50Lorsque le 13 mai 1958, à Alger, les manifestants s’emparent du gouvernement général et qu’un Comité de Salut public présidé par le général Massu est formé, « l’opinion publique calaisienne s’est émue »55. La conférence de presse de de Gaulle, le 15 mai, accentue l’inquiétude des cadres politiques et syndicaux. Les fédérations départementales de la SFIO, du MRP, des radicaux, de la Ligue des droits de l’homme, de la CFTC, de FO, de la FEN, des mouvements d’éducation populaire, appellent à la constitution de Comités d’action et de défense républicaine. De leur côté, les communistes dénoncent le fascisme et réclament l’unité d’action avec les socialistes et tous les républicains : les amicales laïques, les résistants, les anciens combattants. La CGT mobilise ses adhérents dans les actions de grève qui associent parfois FO, notamment dans le bassin minier ou dans les ports56.

51Mais les socialistes n’entendent pas se rapprocher des communistes pour sauver la IVe République.

  • 57 Nord Littoral, 17 mai 1958, p. 2.

Mettant en garde les travailleurs contre les tentatives du Parti Communiste pour exploiter à son profit une situation qu’il a largement contribué à créer, elle [La Commission exécutive de la Fédération socialiste du Pas-de-Calais] leur demande de faire plus que jamais confiance au Parti Socialiste pour la défense de la République, de la démocratie et du Progrès social57.

52L’unanimité n’est pas non plus de mise dans le monde syndical du littoral. Dès le 15 mai la CFTC se singularise.

  • 58 Nord Littoral, 15 mai 1958, p. 3.

Face aux menaces que les factieux, exploitant de légitimes sentiments patriotiques font peser sur ses libertés, il appelle tous ses militants à se tenir en état d’alerte, prêts à se grouper et répondre à l’appel qu’il leur lancera si la situation l’exige. Il attend d’eux un respect total de la discipline et le refus de tout mot d’ordre n’émanant pas de la CFTC58.

  • 59 Nord Littoral, 23 mai 1958, p. 3.
  • 60 Nord Littoral, 27 mai 1958, p. 2.

53L’Union locale des syndicats CFTC du Calaisis communique son retrait du Comité d’action et de lutte contre le fascisme et pour la paix en Algérie mis en place en raison de sa volonté d’indépendance par rapport aux partis politiques59. Le syndicat se distingue également les jours suivants. Alors que l’Union locale CGT appelle à un arrêt de travail le 27 mai, avec pour motif la « défense de la République », l’union locale de la CFTC appelle à la manifestation le 28, « pour la défense de toutes les libertés républicaines », mais pas à la grève générale60.

  • 61 Nord Littoral, 30 mai 1958, p. 3.
  • 62 Nord Matin, 24 mai 1958, p. 4.

54Les mots d’ordre départementaux ne sont pas toujours suivis par les sections locales. Une grande manifestation est organisée le 29 mai à Calais sous l’égide du « Comité de liaison pour la défense de la République ». C’est une « manifestation de foule pour exprimer la volonté de la population calaisienne de sauvegarder la République et les libertés ». Les unions locales CFTC, CGT, FO, Ligue des Droits de l’Homme, PCF, MRP, La Libre pensée, la section SFIO de Marck, l’Union de la gauche socialiste et des syndicats d’enseignants. Les slogans les plus remarqués sont éminemment politiques : « halte au fascisme », « halte à De Gaulle », « Front populaire »61. De même, l’union locale CFTC rejoint les « organisations libres » de la région de Dunkerque, SFIO, MRP, UDSR, parti Radical et radical – socialiste, CGT-FO, FEN, Section Socialiste Autonome pour la défense de la République62.

55L’inquiétude pour la République est encore plus grande en avril 1961. La situation provoque à Calais l’organisation spontanée de milices d’auto défense.

  • 63 Nord Littoral, 25 avril 1961, p. 2.

Les dangers du moment, l’éventualité d’événements plus graves encore ont fait que, spontanément, des mesures ont été prises qui, rapidement, pourraient parer à toutes éventualités, même les plus graves […] Une permanence doit fonctionner, de jour et de nuit, nous a-t-il été affirmé de bonne source, à la Bourse du travail qui alerterait immédiatement, si besoin en était, tous les membres des groupements et la population toute entière. Par ailleurs l’UNR aurait constitué des milices qui seraient de suite prêtes à intervenir. Les médaillés militaires, de leur côté ont pris des mesures en prévision du pire.
Si l’on ajoute que de très nombreux isolés se sont fait inscrire à la cabine des huissiers de l’Hôtel de ville, on conviendra que les volontaires ne manqueraient pas si les affaires venaient à se gâter. Qu’on nous permette d’exprimer le ferme espoir que toutes ces volontés n’auront pas à se concrétiser plus avant. Mieux vaut prévenir que guérir. La formule est ici, parfaitement valable63.

  • 64 Nord Matin, 25 avril 1961, p. 4.
  • 65 Nord Matin, 26 avril 1961, p. 6.

56À Hazebrouck également, en raison des événements d’Algérie, un Comité de « Défense de la République » est créé, regroupant des syndicats, des partis politiques et des organisations patriotiques : SFIO, MRP, UNR, PC, SNES, PSU, SNI, CGTCA, FO, SNET, SNI, CGT, FNCR, PG, Anciens d’AFN, CFTC, UVG, AGMG, Veuves de Guerre64. Cette unanimité se retrouve au Conseil général du Nord qui demande que soit rétabli l’ordre républicain65

À laquelle s’ajoutent les réactions anti-OAS

57Très vite, sur le littoral, les ultras de l’Algérie française sont assimilés à des fascistes. Le 16 avril 1960, l’Union locale CGT et le SNES appellent à l’organisation commune de la journée du 1er mai « alors que la guerre d’Algérie entre dans sa sixième année et que les fascistes poursuivent leurs activités ». Le 19, dans un appel intitulé « Halte au fascisme », les organisations suivantes : Ligue des Droits de l’Homme, PCF, UGS, PSA, CGT, SNI, SNES, SNET, Libre Pensée, Mouvement de la Paix, et Grand Orient de France appellent à tenir un meeting commun le 22 avril.

  • 66 Nord Littoral, 16 et 19 avril 1960, p. 3.

Il y aura bientôt quinze ans que l’Allemagne nazie, après avoir fait déferler sur l’Europe un ouragan d’épouvante, a été écrasée […] Et pourtant quinze ans après, en France, foyer traditionnel de la liberté, le fascisme renaît. C’est à Alger, à la faveur de cinq ans de guerre, qu’il s’est développé, engendré par l’agonie d’un colonialisme décadent. […] Le pouvoir personnel, instauré en France après le coup de force du 13 mai, paralyse le fonctionnement de la démocratie, concentre les pouvoirs entre les mains d’un seul homme, assisté de techniciens irresponsables et crée le climat politique favorable au développement du fascisme66.

58La présence du Grand Orient de France dans les signataires de cet appel est symbole d’inquiétude car l’obédience maçonnique est peu habituée à faire parler d’elle et ne s’exprime publiquement que lorsqu’elle estime les valeurs républicaines menacées. Deux autres éléments sont remarquables. D’abord l’absence de la SFIO dans un ensemble d’organisations syndicales et politiques toutes marquées à gauche, et l’incrimination du pouvoir personnel du général de Gaulle qui sans être cité n’en est pas moins visé.

  • 67 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 18 : La lutte contre l’OAS.
  • 68 Nord Littoral, 7 décembre 1961 p. 2.
  • 69 Nord Littoral, 20 décembre 1961, p. 2.
  • 70 A.D. du Pas-de-Calais, 1W23404/11 Cabinet du Préfet. Document soumis à dérogation.

59Le 4 décembre 1961, 2 000 dockers se réunissent pour participer à l’inauguration de leur nouvelle maison syndicale à Dunkerque. Au cours du meeting, le secrétaire de la fédération du Nord de la CGT, fait applaudir l’actrice Brigitte Bardot qui vient d’annoncer qu’elle refuse d’obtempérer à une menace de racket signée de l’OAS. Étonnant spectacle que celui offert par ces 2 000 dockers acclamant l’actrice de cinéma, la « symbolique sexuelle rejoignait l’antifascisme »67. Le mercredi 6 décembre se déroule la première journée d’action contre l’OAS. L’appel est national et conjointement lancé par le PCF, la CGT, le PSU, l’UDSR et la Jeunesse communiste. Les autres organisations restent réticentes devant une initiative largement portée par le mouvement communiste. À Calais, cette « journée d’action contre le terrorisme et le fascisme » regroupe le Parti communiste, le PSU et plusieurs syndicats qui rassemblent jusqu’à une centaine de personnes, auxquelles se joignent souvent les dockers du port68. 100 % des dockers de Calais protestent contre le terrorisme de l’OAS le 19 décembre. Toutes les organisations se déclarent prêtes « à s’opposer, par leurs propres moyens, aux menées factieuses et à lutter de toutes leurs forces pour la défense des libertés et la République »69. La gauche est parfois unie pour organiser des meetings anti – OAS, comme c’est le cas à Berck-sur-Mer le 19 janvier. Le PCF, le PSU et la SFIO sont à l’origine du rassemblement70.

60Ces actions ne semblent pas du goût de la section calaisienne de l’UNR qui fait publier un communiqué fin janvier 1962 :

  • 71 Nord Littoral, 28 janvier 1962 p. 2.

Les militants de l’UNR félicitent leurs compagnons au gouvernement […] d’assurer la défense de la légalité républicaine. Ils mettent la population en garde contre l’action concertée, quoique aux buts divergents, du fascisme rouge qui n’hésiterait pas à s’allier comme en 1939 aux Nazis, dès lors qu’il s’agirait de diminuer les forces de la Nation pour la livrer plus facilement à la dictature soviétique ou chinoise71.

61Le syndrome du fascisme et du nazisme réapparaît dans les deux camps qui s’accusent mutuellement de fascisme.

  • 72 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 18 : La lutte contre l’OAS.

62La municipalité de Saint-Pol-sur-Mer, composée de communistes et de quelques socialistes dissidents, est victime de menaces. Au début du mois de décembre 1961, le maire est menacé de mort par téléphone et par lettre, et il est prévu de « faire sauter la mairie ». En accord avec ses adjoints, il décide de convier la population à une réunion extraordinaire du Conseil municipal. Plusieurs milliers de tracts sont distribués aux portes des usines. Le 19 au soir, 150 personnes assistent à la réunion, Il est décidé de constituer une milice communale qui assure la garde de la mairie toutes les nuits et de centraliser toutes les informations concernant l’OAS pour les transmettre aux pouvoirs publics. La milice communale rassemble 70 à 80 personnes organisées en sept groupes ayant chacun à sa tête un adjoint ; chaque groupe se trouve de garde un jour par semaine. Les volontaires, militants communistes et syndicalistes, recrutés parmi les cheminots et les dockers comptent dans leurs rangs nombre d’anciens résistants. Ils amenèrent pour la plupart des armes, de vieux revolvers, des tuyaux de plomb, des tuyaux de caoutchouc. Leur mission consiste à monter la garde et à signaler tout mouvement suspect. En cas de coup de force, il est convenu d’actionner la sirène d’incendie pendant un quart d’heure afin de mobiliser la population. De son côté, le maire de la ville demande au sous-préfet un permis de port d’arme72.

  • 73 Nord Littoral, 10 février, p. 2.
  • 74 Nord Littoral, 10 février 1962, p. 2 et 14 février 1962, p. 2.

63Les tragiques événements du métro Charonne en février 1962, qui font 8 morts parmi les manifestants, sont l’occasion pour la gauche de se prononcer avec force contre l’OAS. 100 % des dockers du port de Calais sont en grève, accompagnés de nombreux ouvriers et cheminots pour protester contre « la répression brutale du service d’ordre lors de la manifestation anti – OAS de jeudi »73. La section calaisienne du Parti Socialiste SFIO lance un appel « Pour la liberté, contre le fascisme » et quatre jours plus tard c’est au tour du PCF de s’écrier : « Comme en février 1934, Calais a dit non au fascisme »74.

64La mobilisation des organisations et des partis proches du PCF se poursuit avec une tonalité clairement anti gouvernementale. Sous le titre « Travailleurs et Républicains ! », elles lancent un appel aux Calaisiens.

  • 75 Nord Littoral, 11 mars 1962, p. 6.

En Algérie, les fascistes de l’OAS multiplient les crimes racistes, se livrent à des provocations sanglantes, tuent les soldats du contingent.
Le pouvoir gaulliste et ses représentants les laissent agir impunément […] Le fascisme ne passera pas. C’en est assez de la complicité gouvernementale. Le peuple français veut vivre dans l’ordre et la tranquillité […] Manifestez dans l’union lundi 12 mars, à partir de 18 heures. Rassemblez-vous à la Bourse du Travail. En masse, répondez à l’appel des organisations groupées dans le Comité de Vigilance Antifasciste75.
Pour le PCF : Danel, pour le PSU : Chifflart, pour la CGT : Culnard, pour le SNES : Smal, pour l’Union de Femmes Françaises : R. Langlet, pour le Mouvement de la Paix : M. Schindler.

65Deux mois après les accords d’Évian, le PCF, les associations et syndicats communistes lancent un nouvel appel « aux travailleurs, aux Républicains calaisiens » pour un rassemblement contre l’OAS.

  • 76 Nord Littoral, 25 mai 1962 p. 2.

L’OAS veut : empêcher l’application des accords d’Évian – instaurer en France un régime de terreur fasciste.
Depuis des mois, impunément, elle assassine, elle sabote les voies ferrées, elle plastique.
Salan, chef suprême des tueurs de l’OAS, a sauvé sa tête.
Après ce verdict scandaleux, le Garde des Sceaux permet d’envisager la possibilité de la révision du procès Jouhaud, condamné à mort depuis plus d’un mois.
Cette situation ne peut se prolonger : l’accepter, c’est la voie ouverte à l’aventure fasciste.
Seule, la lutte unie des républicains peut mettre en échec les plans criminels des hommes du fascisme, du colonialisme et de la guerre.
Pour l’arrestation et le châtiment des tueurs.
Pour l’épuration de l’Armée, de la Police, de la Haute Administration,
Pour l’application loyale et complète des accords d’Évian,
Républicains Calaisiens, vous vous rassemblerez le MERCREDI 30 MAI, à partir de 18 heures, Place de la Nation76.

66L’appel est signé par le Parti Communiste Français, l’Union Locale CGT, l’Union des Femmes Françaises, le Mouvement de la Paix, l’Union des Jeunesses Communistes de France et l’Union des Jeunes Filles de France.

  • 77 Nord Littoral, 25 et 30 mai 1962, p. 2.

67Les partis de gauche s’expriment une dernière fois en mai 1962, là encore contre l’OAS, à l’occasion du procès de son chef, Raoul Salan. Le PCF s’exprime sans retenue : « Le peuple français […] peut et doit exiger l’exécution immédiate des chefs fascistes Salan et Jouhaud ». Ils ne sont pas exécutés mais cela ne surprend pas le PSU qui, dans un appel à la population calaisienne, ose une explication. « Le régime né dans la boue du 13 mai n’a pas osé condamner à mort l’homme qui avait porté de Gaulle au pouvoir »77.

68La presse locale n’est pas plus clémente quand elle commente les résultats du référendum sur les accords d’Évian.

  • 78 Nord Littoral, éditorial du 9 avril 1962.

La cause est entendue. C’est un « Oui » à la Paix.
[…] Le « oui » global de la métropole signifie également le refus de l’aventure fasciste que voudraient lui imposer les néo-nazis de l’OAS et la détermination de se dresser contre elle si, par malheur, elle passait à l’action de ce côté de la Méditerranée78

Des prises de position marquées

69L’opinion se résigne à la guerre mais cela n’empêche nullement des réactions virulentes, comme au mois de mai 1958, avec la crise institutionnelle, en janvier 1960, avec la semaine des barricades à Alger, en avril 1961, avec le putsch des généraux, en février et mars 1962 avec les morts du métro Charonne et les accords d’Évian.

Mai 1958

  • 79 Stora B., La gangrène et l’oubli, Éditions La découverte& Syros, Paris, 1998, ch. 7 Fin de guerre, (...)
  • 80 L’analyse qui suit est tirée des éditoriaux d’André Meney à la une de Nord Littoral, les 14, 15, 17 (...)

70En février 1958, selon un sondage IFOP, la guerre d’Algérie n’occupe que le 6e rang des préoccupations des Français79. Pourtant, trois mois plus tard, l’indifférence n’est plus de mise. « Va-t-on donc, aujourd’hui, dresser l’armée contre le peuple ? Est-ce la guerre civile que l’on cherche ? La France a connu bien des malheurs, mais aucun n’égalerait celui-là80 ». L’origine de cette situation se trouve dans la « déliquescence des institutions et à la dégradation de l’esprit civique ». L’instabilité de la IVe République est clairement dénoncée. « Confiné dans ses jeux byzantins, le personnel politique du pays est demeuré sourd aux signes précurseurs […] Le jeu de massacre parlementaire doit cesser ». La solution est simple, « il faut à la France un gouvernement qui gouverne » et « pourvoir les institutions d’un cadre plus solide, plus cohérent ». L’éditorialiste a conscience que les libertés sont « menacées comme jamais elles ne l’ont été depuis la fin de la guerre », il faut donc que le futur nouveau gouvernement mette « un terme aux menées subversives » et rétablisse « l’ordre républicain ». Il faut un « Rassemblement National ».

71L’appel lancé au général de Gaulle surprend et ne suscite guère d’enthousiasme.

Depuis qu’il a quitté le pouvoir et surtout depuis la déconfiture du RPF, le général, qui ne passe guère pour être bavard, s’est confiné dans un silence total. Que pense-t-il ? Que ferait-il si les circonstances lui donnaient à nouveau les leviers de commande ? […] Tout au plus est-il permis de souligner que le général lorsqu’il évoquait autrefois les rapports de la France avec les territoires d’outre-mer parlait « d’association ». Et puis, personne n’a oublié la fameuse déclaration de Brazzaville en 1940. Il n’est donc pas assuré que l’homme du 18 juin mènerait, en l’occurrence, une politique conforme aux vœux exprimés depuis quelques jours par le Comité de Salut Public algérois.

72Le général de Gaulle tient une conférence de presse le 19 mai.

Il y a donc, dans les paroles prononcées par l’ancien chef de la France libre des raisons de se réjouir (c’est-à-dire le refus du coup de force) et des raisons de s’inquiéter (approbation de l’action de l’armée). Le moins que l’on puisse dire est que la pensée du général de Gaulle ne va pas faciliter la tâche du gouvernement que préside M. Pierre Pflimlin.

73Nord Littoral demeure légaliste et selon son éditorialiste, il appartient toujours au gouvernement que préside M. Pierre Pflimlin de « prendre les initiatives susceptibles de créer un choc psychologique et de ramener dans le giron métropolitain les brebis égarées… » Un gouvernement « qui a fait face avec courage et discernement ne manque pas d’atouts et son chef semble bien ne jeter ses cartes qu’avec la plus extrême circonspection. On ne peut que l’encourager dans cette voie ». La volonté de Pierre Pflimlin de proposer à l’Assemblée Nationale d’importantes « modifications du texte constitutionnel, dans le sens d’un renforcement des pouvoirs gouvernementaux » est approuvée tant le régime d’assemblée de la IVe République connaît de discrédit.

74L’éditorialiste de Nord Littoral, André Meney, ne se contente pas d’incriminer la faiblesse des institutions, les responsabilités sont aussi à chercher de l’autre côté de la Méditerranée. « Tout ce qui arrive aujourd’hui est la conséquence malheureuse d’une attitude conservatrice en Algérie et de la volonté longtemps manifestée par un certain nombre d’Européens de tenir les Français musulmans pour des citoyens de seconde zone ». Lorsqu’il apparaît que le retour de l’« ermite de Colombey » reste la seule solution pour sortir de la crise, le ton est à la résignation.

Il est toutefois infiniment regrettable que la carte de Gaulle soit jouée en des circonstances aussi malheureuses et que pour un certain nombre de Français elle prenne figure de carte forcée. Il aurait beaucoup mieux valu appeler de Gaulle avant que les événements d’Algérie ne se fussent produits car, en la conjoncture, d’aucuns toujours estimeront qu’il a fallu céder à une pression inadmissible et ce sentiment peut ancrer dans les cœurs des rancunes durables, alors qu’il est absolument indispensable de parvenir à une réconciliation entre Français.

75De Gaulle est investi le 1er juin 1958 par l’Assemblée Nationale. Nord Littoral retrouve sa ligne légaliste et approuve le discours. « Tel quel, ce programme d’action ne peut et ne doit soulever d’objections valables ».

Janvier 1960

  • 81 L’analyse qui suit est tirée des éditoriaux d’André Meney à la une de Nord Littoral, les 24/25, 26, (...)

76Le ton change radicalement en janvier 1960 suite à la « Semaine des barricades ». L’éditorialiste de Nord Littoral s’exprime à propos du voyage de de Gaulle prévu à Alger début février81.

Choisir cette date relève presque du défi[…] acte de courage presque inouï […] De Gaulle connaît les risques, il les accepte, mieux, il va au-devant. Le moins qu’on puisse dire d’une telle attitude se résume en un mot : chapeau ! […] Ah comme nous sommes tentés de lui dire : Mon général, prenez bien soin de votre personne car vous incarnez, actuellement et tant que vous serez à la tête de l’État le meilleur pour ne pas dire le seul bouclier contre la subversion fasciste, contre le totalitarisme. Comme Jean le Bon à la bataille de Poitiers, gardez-vous à droite, gardez-vous à gauche et revenez-nous intact de votre voyage en Algérie […] Alors, Mon général, ne perdons plus de temps et si l’on peut épargner en Algérie le sang de nos jeunes soldats, n’attendons plus, le principe de l’autodétermination étant sauf, pour négocier les conditions d’un cessez-le-feu. C’est ce que la France attend de vous.

77De Gaulle est cette fois perçu comme le meilleur rempart, comme le seul à pouvoir sauver la République, mais également à pouvoir mettre un terme au conflit. C’est pourquoi il doit prendre soin de lui-même.

Nous pensons très sincèrement que le chef de l’État n’a vraiment pas le droit de risquer, outre-Méditerranée, une vie qu’il doit à la nation, à la France […] Sa vie ne lui appartient plus. Il en est comptable à la nation. Il se doit, il nous doit de la réserver à l’accomplissement d’une œuvre de bonne volonté que la population de ce pays a largement plébiscitée.

78Le général de Gaulle, en direct de l’Élysée et en uniforme, s’adresse à la nation, le 29 janvier 1960. L’éditorialiste de Nord Littoral ne cache plus son émotion, sa tendresse pour le chef de l’État, sauveur de la France.

Mon cher et vieux pays, nous voici donc ensemble, encore une fois, face à une lourde épreuve… Quel accent pathétique, quelle passion mal contenue et quelle émotion dans ces quelques mots, dans les paroles de cet homme vieillissant sur qui repose nos inquiétudes et nos espoirs, quelle noblesse de ton et quelle fermeté de langage, propos d’un chef qui incarne, réellement, la patrie outragée et menacée. Que pèsent, en comparaison, les déclarations ordurières de ceux qui prétendent, outre-Méditerranée, incarner l’honneur… Leurs chétives personnalités font pitié. Sans fausse honte, nous l’avouons, les larmes nous venaient aux yeux en écoutant Charles de Gaulle, protecteur et rempart de la démocratie, libérateur des neuf millions d’êtres qu’il entend défendre, en Algérie, contre le racisme égoïste des uns et la cruauté des autres. Charles de Gaulle qui va, peut-être, nous l’espérons, nous le croyons, sauver une seconde fois ce pays de la dictature totalitaire.

79Mais le chef de l’État n’a pas résolu la crise seul.

Qui oserait douter que l’atout le plus efficace du général de Gaulle, face aux comploteurs d’Alger et à leurs complices métropolitains a été le soutien spontané, effectif et massif de la population de ce pays, qui a décisivement montré, devant la montée des périls, la calme résolution d’un peuple décidé à conserver ses libertés essentielles ainsi que sa confiance envers un chef prestigieux qui donne au monde entier, dans ces jours difficiles, une magnifique leçon de démocratie.

80L’opposition est nette entre la dictature totalitaire, le fascisme, le racisme, l’égoïsme et les déclarations ordurières du côté des ultras d’Algérie ; le courage, la noblesse de ton, le prestige du général de Gaulle, protecteur de la démocratie et libérateur des populations algérienne et métropolitaine.

  • 82 La Voix du Nord, éditoriaux de Robert Décout ou André Stibio des 26, 27, 28 et 29 janvier 1960.

81Le ton n’est guère différent à la lecture de la Voix du Nord82 qui qualifie les événements de la semaine de « coup dur contre la France ».

Dans ce lamentable épisode d’un drame que connaît l’Algérie depuis plus de 5 ans, rien n’est plus réconfortant que la discipline des forces de l’ordre, responsables devant un État qui a l’appui de la nation. La déclaration du général de Gaulle sur l’autodétermination a reçu, n’en doutons pas, l’assentiment, l’adhésion du peuple. Qu’on se souvienne du voyage du président de la République dans le Nord […] le pays fait confiance au général de Gaulle pour apporter au problème algérien la solution la plus française.

82Le sacrifice de l’armée, le patriotisme, la discipline, la confiance de la nation en ses soldats sont mis en avant alors que la IVe République est qualifiée de régime décadent. Quant à la politique d’autodétermination voulue par le chef de l’État, elle est approuvée par l’éditorialiste et le « peuple du Nord ». Le quotidien revendique face à l’Algérie une « ligne constamment nationale ».

83Le chef de l’État est également perçu par La Voix du Nord comme le seul véritable rempart de la démocratie.

Le 13 mai 1958 […] l’appel à de Gaulle a épargné alors la guerre civile. Quoi qu’on pense aujourd’hui et en dépit d’erreurs commises que nous ne dénombrerons pas en ce moment afin de ne pas jeter de l’huile sur le feu, tout nous enseigne qu’entre la guerre civile et le pays il n’y a encore, il n’y a plus que le général de Gaulle.

84La position du journal, le 28 janvier 1960, est clairement en faveur de l’armée française dont il légitime l’action en Algérie.

L’armée a été investie d’une lourde mission qu’elle a le désir louable de conduire à son terme […] Elle attend les mots qui légitimeront son combat et qui lui garantiront que l’autodétermination renforcera, consacrera la solution la plus française. Car, de fait, au contact des musulmans qu’elle aide à vivre, qu’elle préserve de la mort, qu’elle a appris à aimer, l’armée s’est, en profondeur, ralliée à cette situation. On n’imagine pas qu’elle cesse d’être disciplinée derrière le pouvoir civil, car ce serait un trop grand malheur. Mais elle attend en retour du pouvoir civil qu’il l’aide à accomplir sa mission, qu’elle ait sa pacifique victoire […] Le trouble s’est à nouveau emparé d’une armée qui ressent jusqu’à l’obsession la peur de revivre un nouveau Dien-Bien-Phu […] Par les moyens appropriés, l’armée doit savoir que de Gaulle a le pays derrière lui. Par les moyens appropriés, de Gaulle de son côté dans le cadre de l’autodétermination, peut convaincre l’armée que l’Algérie Française gagnera à la fin des fins.

85Pour l’éditorialiste de La Voix du Nord, André Stibio, l’Algérie est à la date du 29 janvier 1960 une terre française, et il ne semble pas imaginable qu’elle ne le demeure encore longtemps.

Qui par conséquent servirait mieux l’Algérie française que le général de Gaulle ? Il faut le dire avec fermeté quelles que soient les réserves qu’on ait été amené par ailleurs à formuler sur l’action gouvernementale et la tristesse du sang versé […] Il a été promis, il sera sans doute réaffirmé que l’armée restera aussi longtemps qu’il le faudra afin que l’Algérie demeure terre française. La France aurait-elle consenti tant de sacrifices à une cause qu’elle serait maintenant résignée à perdre ?

86Dans un dernier éditorial daté du 4 février et intitulé « Convalescence », La Voix du Nord tire les leçons politiques de la semaine des barricades, non sans avoir rappelé la veille « le courage, la lucidité, la chaleur humaine du général de Gaulle […] dont le républicanisme est à présent célébré en tous lieux ».

Les pleins pouvoirs ont été votés à l’Assemblée nationale par un scrutin si largement favorable, qu’il efface toutes les lignes de démarcation politique […] En ce sens, le vote est essentiellement un vote d’approbation à l’adresse du chef de l’État […] On ne saurait trop répéter combien, souhaitant la paix, notre peuple la souhaite vraiment de toutes les façons en Algérie et entre citoyens. S’il est avide d’autorité, c’est pour écarter le fascisme, s’il reste épris de ses libertés c’est pour échapper au communisme, s’il est sensible à l’idéal national ce n’est pas pour sacrifier à un chauvinisme désordonné […] Ils traduisent l’état d’âme d’une nation qui vient d’être profondément remuée et qui ayant, grâce à de Gaulle, échappé au pire, pense un peu, selon le mot de l’humoriste, que « la santé est un état précaire qui ne présage rien de bon ».

87Tout au long de cette longue semaine des barricades, La Voix du Nord comme Nord Littoral se montrent légitimistes à travers leurs éditoriaux.

Avril 1961

  • 83 Nord Littoral, éditoriaux des 24, 25, 26, 29 avril 1961 et 30 avril – 1er mai.

88Nord Littoral prend très vite l’ampleur de la nouvelle crise qui vient secouer la République83.

Il est maintenant permis d’estimer que la reculade du pouvoir, en ces journées de février 1956 a été le véritable prélude aux graves événements qui devaient se dérouler en mai 1958, en janvier 1960 et, malheureusement, en ce mois d’avril 1961. Le coup de force, à notre avis, est beaucoup plus grave de conséquences que les précédents par le fait même qu’il oppose l’armée à la Nation et qu’il ne peut se terminer que par la victoire de l’une ou de l’autre […]

89Le soutien que traditionnellement le quotidien accorde l’action du général de Gaulle se renouvelle :

L’attitude des partis politiques et des centrales syndicales, l’empressement aux bureaux de recrutement des milices, l’unanimité de la grève d’avertissement d’une heure, la détermination des simples citoyens en porte témoignage. La France aidera son vieux chef à traverser cette mauvaise passe.

90Mais il est cette fois tempéré.

[La France] n’en est pas moins consciente des responsabilités du pouvoir dans l’orientation nouvelle de la situation : trop d’atermoiements, d’indulgence, de faiblesse même devant ceux qui n’ont pas attendu le 22 avril 1961 pour bafouer l’État et braver la nation ; trop de passivité devant les actes d’indiscipline que les Français ont subi comme autant de gifles.

91Pour autant l’autorité du chef de l’État n’est pas remise en cause.

Pour des raisons qui lui sont propres et que nous ne songeons d’ailleurs pas à contester, le pouvoir a constamment composé avec l’armée, dans l’espoir d’obtenir finalement une obéissance inconditionnelle susceptible de faciliter le règlement pacifique de l’affaire algérienne.

92Au lendemain du putsch, l’éditorialiste de Nord Littoral dresse la liste de ceux qui ont contribué à sauver la France.

L’on sait à qui la France doit son sauvetage en ces heures sinistres. Elle le doit à elle – même, bien sûr, à son sang-froid, à sa détermination, à sa confiance, au fait que tout un pays s’est dressé contre la menace de la subversion pour défendre son mode d’existence, ses libertés et sa joie de vivre.
Elle le doit à l’importante fraction de l’armée demeurée loyale, en particulier à la Marine Nationale, qui n’a pas hésité à jeter tout son poids dans la balance pour réduire les insurgés.
Mais elle le doit, essentiellement, cette victoire de la démocratie sur le fascisme naissant, au général de Gaulle. Longtemps les Français se sont demandés : « Sommes-nous gouvernés ? » Aujourd’hui, ils savent qu’à la tête de l’État, il y a un homme, un chef, à l’indomptable volonté et au tranquille courage qui, par deux fois déjà, dans l’Histoire contemporaine s’était dressé comme un rempart entre la France et son malheur. Pour la troisième fois, son autorité et son incomparable prestige ont servi de bouclier. Sans lui, dans les heures dangereuses que vient de vivre le pays, l’on sait bien qui commanderait aujourd’hui à Paris.

93À la nation, à la majorité de l’armée qui a refusé de suivre les factieux et surtout au général de Gaulle, le « chef à l’indomptable volonté » et au « prestige incomparable ». Mais lorsque la crise est passée, le journal revient le 29 avril 1960 sur le rôle essentiel de la nation dans la mobilisation, la résistance face à la « subversion ».

Nous demeurons convaincus du fait qu’en l’absence d’un pouvoir fort, l’opposition populaire aurait eu bien de la peine à s’organiser pour lutter efficacement contre la subversion mais nous pensons aussi que sans le soutien presque unanime de la Nation, le Président de la République n’aurait certainement pas remporté une victoire aussi rapide et aussi complète […] Il y a donc lieu de penser que le pouvoir, soutenu par le peuple, puissamment aidé par les partis républicains, devrait rapidement s’infléchir sur sa gauche […] Cet infléchissement devrait obligatoirement s’accompagner de la détermination d’une politique résolument sociale.

94À la fois critique de la politique jusque-là menée et appel à changement, la dernière phrase de l’éditorial n’en ressemble pas moins à une injonction. Le chef de l’État doit « obligatoirement » changer de politique, peut-être sous peine que le peuple ne le suive plus ? Cette inquiétude contraste avec le soutien du quotidien au maintien des pouvoirs exceptionnels que l’article 16 de la Constitution accorde au Président de la République en cas de crise grave, car cet article fait du chef de l’État un dictateur potentiel, qui n’a pas à justifier de ses décisions auprès des représentants élus de la nation.

Dans l’intérêt même de la paix par la négociation, il importe que le général de Gaulle jouisse des pouvoirs exceptionnels aussi longtemps que quiconque, individu ou groupement, risquera de se mettre en travers et de saboter, comme trop souvent on l’a fait, les chances d’aboutir à une paix […] C’est pourquoi nous ne sommes absolument pas hostiles à la prolongation du régime actuel d’exception qui laisse les mains libres au chef de l’État pour achever sa mission.

L’année 1962

95Les accords d’Évian, signés le 18 mars, entrent en application le 19. Le lendemain, l’éditorialiste de Nord Littoral revient sur ces années de guerre et tente de refaire l’Histoire.

  • 84 Nord Littoral, 20 mars 1962.

Ces Algériens voulaient être Français et la France les a rejetés. Une certaine France, du moins, qui s’est opposée, au fil du temps, à toutes les tentatives loyales tendant à abolir le racisme et à faire des Musulmans des citoyens à part entière […] Les intérêts, le racisme, la bêtise se liguèrent pour faire avorter tous les projets de nature à satisfaire les aspirations des Algériens de souche, en dépit des sacrifices qu’ils avaient consentis au même titre que leurs compatriotes d’implantation, au cours de trois grandes guerres.
[…] Il aurait été si simple, en appliquant la fière devise de notre République « Liberté – Égalité – Fraternité » d’éviter l’effusion de sang et de traduire dans les actes de la vie courante une véritable communauté au sein de laquelle sans distinction d’origine, de race, de religion, dix millions de Français d’Algérie auraient travaillé, la main dans la main, à l’essor de leur petite patrie locale84.

96Même si le terme n’apparaît pas, cette guerre inutile est en partie due au racisme et au refus de certains pieds noirs à accorder aux Algériens de souche une égalité de traitement, pourtant inscrite dans notre devise républicaine.

97Les accords d’Évian sont soumis à référendum et Nord Littoral prend très clairement position en faveur du « oui ».

Comme le faisait remarquer pertinemment le brillant chroniqueur du « Canard enchaîné », Morvan Lebesque, c’est la première fois que le peuple est appelé à décider de la fin d’une guerre […]
Si vous voulez faire le jeu de l’OAS et compromettre les chances du rétablissement de la paix en Algérie, vous avez trois possibilités :
1°) Restez chez vous, c’est l’abstention pure et simple ;
2°) Votez non, mais alors vous vous déclarez ouvertement pour la poursuite de la guerre ;
3°) Votez nul en employant les faux bulletins distribués par un parti politique qui ne songe qu’aux futures élections.
Mais alors ne venez pas vous plaindre si la guerre se réchauffe en Algérie et reprend pour une durée indéterminée. Si l’OAS victorieuse relance les assassinats, les plasticages, les hold-up. Si vous êtes vous-même plastiqué. Si le néo-fascisme triomphant vient un jour vous botter les fesses. Car vous l’aurez bien voulu.
Si vous voulez la Paix alors, sans hésitation, sans couper les cheveux en quatre, rendez-vous massivement dans les bureaux de vote et déposez un bulletin OUI, un vrai bulletin, légal et de plein droit.
Votez OUI…
Pour que tous nos jeunes soldats reviennent rapidement d’Algérie. Pour que la paix soit rapidement instaurée sur l’autre rive de la Méditerranée. Pour que les criminels de l’OAS soient mis hors d’état de nuire […] Pour que soit écrasée la menace fasciste qui pèse sur la France.

  • 85 Nord Littoral, 8 avril 1962.

Pour que soit réduite la durée du service militaire. POUR QUE LA JOIE REVIENNE DANS LES CŒURS.
Votez Oui. Et lorsque l’affaire algérienne sera entrée définitivement dans l’Histoire, tous ensemble nous travaillerons à reconstruire la France dans la paix et le bonheur de vivre et sous le signe de la démocratie. Françaises, Français, notre sort est entre nos mains85.

98Oui contre l’OAS, contre la poursuite de la guerre, contre le néofascisme ; oui pour la réduction de la durée du service militaire et le retour des soldats. Un éditorial qui résume bien à la fois la lassitude devant la longueur du conflit qui a conduit à l’éloignement, à la séparation d’avec les jeunes appelés du littoral, et la peur de voir triompher l’extrême-droite au détriment de la démocratie, seule à même de procurer paix et bonheur à la Côte d’Opale.

 

99Sur le littoral, la décolonisation ne mobilise pas, à gauche, l’énergie des militants. Il n’y a pas de virulente opposition anticolonialiste. Si les réactions locales restent encadrées par les forces politiques traditionnelles de gauche, partis politiques et syndicats, le retour du général de Gaulle est accueilli avec un évident soulagement par la population, ce qui démontre le discrédit qui frappe la IVe République. Ensuite, l’adhésion est massive à la politique menée par le chef de l’État. Chronologiquement, les réactions locales portent d’abord sur des enjeux économiques. De 1954 à 1958, c’est surtout le coût de la guerre d’Algérie qui mobilise les syndicats. Le 13 mai 1958 suscite très vite un réflexe de « défense républicaine », renouvelé en janvier 1960 et avril 1961. Mais ce réflexe n’empêche pas une certaine méfiance entre forces de gauche, proches ou non du PCF et de la CGT. De 1960 à 1962, la lutte contre l’OAS assimilée au fascisme est la plus mobilisatrice. Mais la mobilisation ouvrière et syndicale s’est faite au regard du contexte métropolitain, plus que du contexte algérien. Ce ne sont pas les attentats à Alger qui font descendre les habitants de la Côte d’Opale dans la rue, mais la crainte qu’ils ne se développent en métropole. Finalement, la mobilisation littorale se fait pour la sauvegarde des institutions, davantage que contre la guerre d’Algérie ; pour la paix plus que pour l’indépendance de l’Algérie, l’émancipation des Algériens. Ce qui compte avant tout c’est éviter la guerre civile et sauvegarder les libertés essentielles.

Notes

1 Pattieu Sylvain, La guerre d’Algérie et les trotskystes, Dissidences no 9, octobre 2001.

2 Discours de clôture à la conférence fédérale de Paris, 31 mai 1959, publié dans L’Humanité le 3 juin 1959, p. 6.

3 Genty J.-R., « La guerre d’Algérie et la population du Nord-Pas-de-Calais, 1954-1962 », thèse de 3e cycle sous la direction de M. Marcel GILLET, 1983, Chapitre 16 : Le Parti communiste dans la guerre d’Algérie.

4 Winock M., « Ce qu’on savait vraiment », L’Histoire, no 292, novembre 2004, Guerre d’Algérie : Ce qu’on savait vraiment.

5 Procès-verbal des délibérations du conseil municipal de Boulogne-sur-Mer, séance du 26 novembre 1956.

6 Nord Littoral, 17 mai 1958, p. 2.

7 Winock M., « 1957 : la campagne des intellectuels », in Les Collections de L’Histoire, H.S. no 15, La guerre d’Algérie.

8 Thénault S., « La gauche et la décolonisation », in J.J. Becker et G. Candar (dir), Histoire des gauches en France, volume 2, XXe siècle : à l’épreuve de l’histoire, Paris, La Découverte, 2004, p. 435.

9 Ibidem.

10 Duclert V., La « deuxième gauche », in J.J. Becker et G. Candar (dir), Histoire des gauches en France, volume 2, XXe siècle : à l’épreuve de l’histoire, Paris, La Découverte, 2004, 776 p., p. 46.

11 Nord Littoral, 17 décembre 1957, p. 3.

12 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 15 : Le gaullisme à l’épreuve de l’Algérie.

13 Ibid, Chapitre X : La semaine des barricades.

14 Nord Littoral, 28 février 1962, p. 2.

15 La Voix du Nord, 31 janvier – 1 février 1960, p. 3.

16 Les Cahiers d’histoire sociale de l’Institut CGT, no 79, septembre 2001, pp. 5-10.

17 Pitti L., « Renault, “la forteresse ouvrière” à l’épreuve de la guerre d’Algérie » in Branche r., La guerre d’indépendance des Algériens 1954-1962, coll. Tempus, Perrin, 2009, 384 p.

18 Les Cahiers d’histoire sociale de l’Institut CGT, no 79, septembre 2001, pp. 5-10.

19 Claude Poperen, cité par Pitti L., « Renault, “la forteresse ouvrière” à l’épreuve de la guerre d’Algérie », Branche R., La guerre d’indépendance des Algériens 1954-1962, coll. Tempus, Perrin, 2009, 384 p.

20 Nord Littoral, 16 mai 1958, p. 3.

21 Vendroux J., Ces grandes années que j’ai vécues… 1958-1970, Plon, 1975, 20 mai 1958.

22 Témoignage recueilli le 30.06.1979 par Genty J.-R., op. cit.

23 Nord Matin, 15 mai 1958, p. 3. Ce journal se veut le « Quotidien d’information de la démocratie socialiste ».

24 Nord Matin, 20 mai 1958, p. 4.

25 Nord Matin, 24 mai 1958, p. 4 et 31 mai 1958, p. 4.

26 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 9 : Le 13 mai 1958.

27 Bardol J., Un train de sénateur, édité par la SARL « Mémoire de militants », 6 rue du Dr Brousse, 62360 Pont de Briques, 1999. Mémoires d’un militant communiste devenu sénateur - maire.

28 La Voix du Nord, édition de Boulogne-sur-Mer, 22 mai 1958, p. 3.

29 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 9 : Le 13 mai 1958.

30 La Voix du Nord, édition de Boulogne-sur-Mer, 28 mai 1958, p. 3.

31 AD du Nord, W142243, Evénements de mai 1958, document soumis à dérogation.

32 Nord Littoral, 29 janvier 1960, p. 2.

33 Nord Matin, 28 janvier p. 6 ; 30 janvier p. 9 et 11.

34 Nord Littoral, 3 février 1960 p. 2.

35 Nord Littoral, 30 janvier 1960 p. 2.

36 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 15 : Le gaullisme à l’épreuve de l’Algérie.

37 Nord Matin, 28 janvier 1960, p. 6 ; 30 janvier 1960, p. 8.

38 Nord Littoral, 23 avril, p. 2.

39 Nord Littoral, 23 avril 1961, p. 2, Réactions calaisiennes aux événements d’Algérie.

40 Nord Matin, 24 avril 1960, une.

41 Nord Littoral, 26 avril 1961, p. 2.

42 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 11 : Le putsch des généraux.

43 Nord Littoral, 25 avril, p. 2 et Nord Matin, 25 avril, p. 4.

44 Nord Matin, 26 avril 1958, p. 4.

45 Nord Littoral, 4 avril 1962, p. 2.

46 Nord Littoral, 6 avril 1962, p. 2.

47 Délibérations du Conseil municipal de Boulogne-sur-Mer, 12 décembre 1955, AM Boulogne-sur-Mer, 59W13.

48 Nord Littoral, 26 octobre 1957, p. 2.

49 Délibérations du Conseil municipal de Calais, 29 mars 1958, AM de Calais.

50 Nord Littoral, 23 avril 1958, p. 2.

51 Nord Littoral, 22 mars 1959, p. 3

52 Nord Littoral, 17 mai 1958, p. 2.

53 Nord Littoral, éditorial du 27 janvier 1960.

54 Nord Littoral, 30 janvier 1960, p. 4.

55 Nord Littoral, 15 mai 1958, p. 3.

56 Hilaire Y.M. (dir.), Histoire du Nord-Pas-de-Calais de 1900 à nos jours, éditions Privat, Toulouse, 1982, p. 393 à 405.

57 Nord Littoral, 17 mai 1958, p. 2.

58 Nord Littoral, 15 mai 1958, p. 3.

59 Nord Littoral, 23 mai 1958, p. 3.

60 Nord Littoral, 27 mai 1958, p. 2.

61 Nord Littoral, 30 mai 1958, p. 3.

62 Nord Matin, 24 mai 1958, p. 4.

63 Nord Littoral, 25 avril 1961, p. 2.

64 Nord Matin, 25 avril 1961, p. 4.

65 Nord Matin, 26 avril 1961, p. 6.

66 Nord Littoral, 16 et 19 avril 1960, p. 3.

67 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 18 : La lutte contre l’OAS.

68 Nord Littoral, 7 décembre 1961 p. 2.

69 Nord Littoral, 20 décembre 1961, p. 2.

70 A.D. du Pas-de-Calais, 1W23404/11 Cabinet du Préfet. Document soumis à dérogation.

71 Nord Littoral, 28 janvier 1962 p. 2.

72 Genty J.-R., op. cit. Chapitre 18 : La lutte contre l’OAS.

73 Nord Littoral, 10 février, p. 2.

74 Nord Littoral, 10 février 1962, p. 2 et 14 février 1962, p. 2.

75 Nord Littoral, 11 mars 1962, p. 6.

76 Nord Littoral, 25 mai 1962 p. 2.

77 Nord Littoral, 25 et 30 mai 1962, p. 2.

78 Nord Littoral, éditorial du 9 avril 1962.

79 Stora B., La gangrène et l’oubli, Éditions La découverte& Syros, Paris, 1998, ch. 7 Fin de guerre, éclatement et consensus.

80 L’analyse qui suit est tirée des éditoriaux d’André Meney à la une de Nord Littoral, les 14, 15, 17, 18/19, 20, 22, 24, 25/26 et 30 mai 1958 et 1-2 juin.

81 L’analyse qui suit est tirée des éditoriaux d’André Meney à la une de Nord Littoral, les 24/25, 26, 30 janvier 1960 et 31 janvier-1er février.

82 La Voix du Nord, éditoriaux de Robert Décout ou André Stibio des 26, 27, 28 et 29 janvier 1960.

83 Nord Littoral, éditoriaux des 24, 25, 26, 29 avril 1961 et 30 avril – 1er mai.

84 Nord Littoral, 20 mars 1962.

85 Nord Littoral, 8 avril 1962.

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