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Le nazisme, fausse éducation, véritable dressage

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Hubert Hannoun

I - Le naturalisme nazi

Les principaux thèmes du naturalisme nazi

Texte intégral

Obéir à la « nature »

  • 1 Dans ce qui suit, les passages extraits de Mein Kampf de A. Hitler sont suivis des seules initiales (...)

1Au plan idéologique, le national-socialisme se fonde sur une conception naturaliste du monde et des comportements humains. La « nature » y est considérée comme moyen et fin de l’action, ce qui est est le paradigme de ce qui doit être, partant, norme de moralité. La valeur relativement à laquelle est apprécié le comportement humain n’est pas transcendante, hors de la réalité vécue : elle y est insérée ; sa « nature » est, pour nous, l’exemple à suivre, le modèle de notre jugement et de notre action. C’est ce que, d’entrée de jeu, le Mein Kampf de A. Hitler1 précise en affirmant la nécessité fondamentale du règne de la nature. Dans le monde tant physique qu’humain, tout, selon lui, entre dans le cadre d’un déterminisme naturel auquel n’échappe nul événement. Ses lois régissent l’ensemble des phénomènes et des événements, les enfermant dans une nécessité qui enserre tout être, y compris l’homme lui-même. Il (l’enfant allemand) sentira que, dans un monde où les planètes et les soleils suivent des trajectoires circulaires, où des lunes tournent autour des planètes, où la force règne, partout et seule, en maîtresse sur la faiblesse qu’elle contraint à la servir docilement ou qu’elle brise, l’homme ne peut pas relever de lois spéciales (MK). Déjà au niveau de ses présupposés, le national-socialisme fait peser sur l’homme le poids d’une lourde nécessité porteuse d’exigence de soumission.

  • 2 E. Krieck – Menschenen formung – Cité par J. Piaget – 1965.

2A l’image de tous les naturalismes, l’idéologie nazie tire des conclusions importantes de cette réduction du devoir-être à l’être : l’image de l’individu que la formation doit modeler n’est pas à inventer ; elle est tout entière déjà présente dans le tout jeune enfant, dans sa « nature » profonde à savoir celle de sa race, dans les capacités dont elle le pourvoit et qu’il appartient à l’éducateur de révéler. La formation, en effet, écrit A. Hitler, doit faire en sorte que tout homme... consacre au service de son peuple les capacités que lui a données la nature et que la communauté a complètement développées (MK). L’un des idéologues du nazisme qui lui sont le plus proche, E. Krieck2, considère que tout individu porte en soi ce qu’il est, sa véritable « nature » d’aryen (lorsqu’il s’agit d’un Ubermensch, d’un surhomme) cristallisée dans son sang – nous y reviendrons –. Cette « nature » est un ensemble de potentialités. La formation n’a pas à les créer mais à en provoquer la manifestation. Deux individus coexistent en tout être à former : un individu originel aux vertus uniquement potentielles, et un individu réel tel que le modèlent les contraintes de la vie. Le formateur a pour tâche de faire apparaître le premier par delà le second en facilitant l’expression de ses potentialités « naturelles » latentes.

3On le voit, dans sa forme, le naturalisme national-socialiste reprend les présupposés des grands courants du naturalisme classique. On y retrouve l’analyse de Platon, Aristote et des stoïciens, ou, plus prés de nous, de tous les auteurs qui ont fondé leur pensée sur une confiance dans la « nature humaine », depuis Rabelais et le courant humaniste jusqu’à Rousseau, Kant et les promoteurs de l’éducation nouvelle. De part et d’autre, sont posés deux principes :

  • La personne humaine est pourvue d’une « nature » originelle et essentielle

  • La « nature humaine » est dotée d’une valeur positive qui en fait une norme de notre comportement.

4On aperçoit déjà les traits communs – par delà toute la distance qui sépare leur sens à la fois originel et final – aux principes éducationnels d’un Rousseau ou d’un Kant et à ceux de la formation nazie. De part et d’autre, l’éducation consiste en un processus visant à réaliser un modèle intérieur à l’éduqué, sa « nature » profonde non encore exprimée. Ce modèle est déjà potentiellement ce dont la formation doit aider la manifestation. L’être à former est, en puissance, ce qu’il devrait devenir. Kant, par exemple, voit dans la « nature » originelle de l’enfant une animalité réelle et une humanité potentielle. C’est un petit animal, certes, mais porteur d’une humanité possible. L’éducation consiste à maîtriser le premier pour permettre l’expression de la seconde. Pour l’idéologie nazie, la formation a pour fin d’aider à l’expression de la « nature » profonde – le sang – de chacun afin qu’il la réalise en devenant authentiquement un individu de sa race. Nous y reviendrons.

5Quelle que paradoxale que puisse paraître la mise en parallèle d’un Rousseau et d’un Kant, d’une part, et des thèses nazies de la formation, de l’autre, force est de constater que le naturalisme est source d’une ambiguïté pouvant justifier des attitudes extrêmes selon le sens donné à la notion de « nature ». En effet, chez les uns et les autres, on note la même réduction du devoir-être à l’être et son exigence de soumission à la « nature ». Mais, en même temps, le naturalisme nazi est aussi différent que possible du naturalisme humaniste. Chez l’un et l’autre on constate, certes, l’affirmation d’une « nature humaine » dont l’éducation a pour finalité de libérer l’expression. Mais le sens attribué à cette « nature » ne s’y retrouve pas identique. Pour Rousseau, par exemple, elle est une essence de l’homme originellement bonne parce que porteuse de pitié, cet instinct qui fait l’élan positif de chacun vers son semblable. Pour Kant, cette « nature » est, nous l’avons vu, ambiguë, bestialité et humanité à la fois, la première, primitivement, plus réelle que la seconde dont l’éducation devrait favoriser l’émergence. Le naturalisme nazi, lui, est völkisch. La nature que l’être à former doit exprimer est celle de sa race propre. Le naturalisme nazi est völkisch, raciste. Qu’est-ce à dire ?

Le naturalisme völkisch

6Dans l’idéologie nationale-socialiste, la nature est, essentiellement, völkisch. L’essence de chacun est celle de son groupe, son peuple (Volk) appréhendé dans ses caractéristiques historiques et géographiques inséparables de ses caractéristiques biologiques, de son sang. L’idéologie nazie est, en ce sens, une sociobiologie. Son analyse des comportements humains fait appel à une sociologie qui rend compte des faits sociaux en plongeant leurs racines ultimes dans les substrats biologiques supposés des groupes concernés. L’explication völkisch d’un événement fait référence au sang du volk, du peuple qui l’accomplit, autrement dit, de la race dont il relève. Une race s’avère ainsi un groupe humain en qui les conditions historiques et géographiques d’existence rencontrent une structure génétique de laquelle dépendent tous les comportements humains.

  • 3 Sur la sociobiologie contemporaine, voir :

7G.-S. Stent (1980) considère ainsi que l’on peut fonder la sociobiologie3, comme orientation fondamentale du national-socialisme, sur trois exigences théoriques :

  • Elle explique les faits sociaux par le biais exclusif de la sélection naturelle.

  • Elle réduit les faits culturels à des faits biologiques.

  • Elle explique les faits éthiques par la biologie.

8Le naturalisme nazi met donc en application l’orientation sociobiologique en se fondant, en permanence, sur deux références, le nationalisme et le biologisme.

  • La culture germanique, réalité historique, géographique et sociologique des peuples germaniques en général et du peuple allemand en particulier est le référentiel de l’analyse nazie de l’histoire. La nazisme est nationaliste par principe.

  • Le sang germanique, produit de cette réalité historique – les textes nazis, sur ce point, ne sont pas toujours de grande clarté –, devient le critère d’explication des comportements individuels et collectifs de la race concernée. Le nazisme fait de la biologisation des phénomènes humains le nerf de son explication. Qu’ils soient de contenu sociologique, politique, économique ou culturel, ils se ramènent tous à leur substrat biologique.

Le nationalisme nazi

9Lorsque le Mein Kampf parle de peuple (Volk), il s’agit, avant tout, du peuple allemand de type germanique localisé au Nord de l’Europe. Un théoricien nazi, Walter Darré (1895-1953), spécialiste des questions agraires, met en avant sa théorie du Blut und Boden (le sang et la terre) qui identifie le sang allemand au sol nordique.

10Le nationalisme nazi ne se réduit pas à une simple localisation géographique. Il est exigence d’adhésion du peuple allemand à un sentiment d’appartenance à un groupe particulier, à une race. L’affirmation nationaliste de la germanité est permanente dans les textes de Hitler et des auteurs nazis qui lui sont contemporains. Au plan individuel, le jeune homme ne doit pas être, en quittant son école, un demi-pacifiste, un demi-démocrate ou quelque chose de ce genre, mais bien un Allemand intégral (MK – 425). L’enfant même n’échappe pas à cet impératif : enfant allemand, peut-on lire plus loin, η’oublie pas que tu es allemand. Fillette, pense que tu dois être un jour une mère allemande. Au plan institutionnel, le rappel de la germanité est toujours présent. L’État allemand ne peut être n’importe quel État ; il est allemand plus qu’État ; il est le reflet du Volk, du peuple allemand considéré dans sa spécificité raciale. Il doit être un organisme issu du peuple, un État germanique de Nation allemande (MK).

  • 4 Les Écrits Politiques de M. Heidegger, publiés en 1995, sont mentionnés par son nom suivi d’une let (...)
  • 5 Nous verrons plus loin que cette importance de la langue n’est pas reconnue par Hitler.
  • 6 François Fédier, traducteur de ce texte, emploie l’expression de « socialisme national allemand ».

11On retrouve cette perspective nationaliste chez M. Heidegger4. En Mai 1933 (C – 101), il présente la nation allemande comme un peuple essentiellement occidental émergeant de sa grisaille originelle par la prise de conscience de son destin. Il y a, écrit-il, un commencement de notre Dasein historique par l’esprit. Ce commencement est la rupture par laquelle s’ouvre la philosophie grecque. Là se dresse l’être humain de l’Occident à partir de l’unité d’un peuple, en vertu de sa langue5..., il le met en question et le saisit en tant que l’étant qu’il est. On retrouve dans la germanité soulignée ici les attributs qu’Hitler lui reconnaît : elle est liée géographiquement à un sol, elle est marquée culturellement par certaines aptitudes et par un substrat biologique s’exprimant en terme de santé. La nature est rendue manifeste, écrit Heidegger, un peu plus tard, en Novembre 1933 (K – 127), comme espace du peuple, comme contrée et comme pays où l’on est chez soi, comme fonds et comme sol. La nature est libérée comme puissance et comme loi de cette tradition en retrait qu’est la transmission des essentielles aptitudes et des penchants instinctifs. La nature devient règle en tant que santé – règle qui pose des normes... Reliée à la nature, portée tout autant qu’elle est surplombée par elle, exaltée par son feu et retenue par ses limites, telle est, comme elle se fait réalité, l’histoire du peuple. Ce texte comprend certains des thèmes fondamentaux de l’idéologie nazie. Nous y retrouvons, en effet, l’affirmation d’une « nature » comme norme des comportements, et sa liaison à un sol et à un passé particuliers. De plus, pour Heidegger, la réalisation de la « nature » raciale du peuple allemand a besoin d’un outil : le parti nazi. En Janvier 1934, il le précise sans ambages (N – 143) : il n’y a qu’un seul et unique « genre de vie » allemand. Enraciné dans le sol porteur qu’est le peuple et librement ajointé dans la volonté historique de l’État, c’est l’ordre du travail, dont la frappe se trouve préfigurée dans le mouvement du parti des travailleurs qu’est le national-socialisme allemand6.

12On le voit, la « nature humaine » à laquelle se réfèrent les idéologues nazis n’a rien de commun avec l’humaine condition d’un Montaigne, l’âme bien née du Thélémite rabelaisien ou la « nature » universelle originellement bonne des humanistes et philosophes du XVIIIe siècle français ou de l’Aufklärung allemand. Cette « nature » est spécifique du peuple allemand, forgée par son sol et son histoire comme facteurs fondamentaux de son sang. Qu’est-ce à dire ?

Le (socio) biologisme nazi

  • 7 Voir note 5 concernant le désaccord sur ce point entre Heidegger et Hitler.

13Pour les idéologues nazis, l’explication des faits humains, par delà leurs apparents contenus sociologiques, politiques, culturels ou psychologiques, relève fondamentalement de la biologie. C’est la race, autrement dit le sang, qui détient le pourquoi de tout comportement et de tout événement humains. Une seule cause présente une importance fondamentale : celle du maintien de la race dans l’organisme social. C’est dans le sang seul que réside la force ou la faiblesse de l’homme, prévient le Mein Kampf d’A. Hitler. Plus loin (387), il poursuit : la nationalité ou, pour mieux dire, la race, ne dépend pas de la langue mais du sang7. Chaque groupe humain est nanti d’un sang qui le fait relever d’un type de race. C’est ce sang qui devient son caractère propre. L’idéologie nazie est, répétons-le, un sociobiologisme. La cause fondamentale des faits socio-politiques se situe, pour elle, au niveau du substrat biologique des peuples. Tout se passe comme si les traces de l’histoire et des conditions matérielles d’existence d’un peuple s’inscrivaient au niveau de son génotype assimilé à son sang, source ultime d’explication de ses comportements.

14L’idéologue nazi E. Krieck (1936) propose une analyse de cette notion de sang. Pour lui, les lois incontournables du sang et de la race sont les « matrices du monde » (Mutterschoss ou Mutterboden). Le sang et la race forment ce qu’il appelle la vie (Leben). Par delà le monde physique et ses lois, il est un monde biologique dont le sens n’est pas très éloigné de ce que serait l’entéléchie aristotélicienne revue par Leibniz. La vie (Leben) n’est pas un être effectivement existant mais un ensemble de potentialités qui, comme telles, ont pour sens premier d’être aspiration, projet, mouvement. Et cette vie (Leben) est, précise Krieck, le cadre omni-englobant et originel (urgegeben ou urphänomen) de tout existant. C’est ainsi que tous les faits, tous les événements baignent dans une matrice biologique qui les porte inexorablement vers leur destin.

15Krieck tire, au plan social, les conséquences de cette biologisation de la réalité. Les sciences sociales ne parcourraient qu’une partie de leur explication si elles ne parvenaient pas à son éclairage biologique. La vie socio-politique ne peut s’expliquer fondamentalement que par référence au sang, au substrat biologique des peuples concernés. Chaque groupe humain est englobé dans sa vie propre, vie qui lui donne son sens en en fixant le destin. La vie d’un peuple, son sang, sa race, sont une totalité englobante intermédiaire entre chaque individu et la réalité cosmique totale. Chacun de nous s’intégre dans la totalité cosmique parce qu’intégré dans sa race qui en est une composante. La réalité comporterait, ainsi, trois niveaux : celui de l’individualité, celui de la race et celui du cosmos. Toute explication ne faisant pas intervenir ces trois niveaux ne peut être qu’incomplète ou fausse. Krieck (avec tous les théoriciens nazis de son temps) en vient ainsi à battre en brèche la méthode marxiste d’analyse sociale accordant aux infrastructures économiques un rôle moteur particulier. J. Piaget (1965) n’a pas tort, en ce sens, de présenter l’idéologie nazie comme une tentative de négation des classes sociales définies selon des critères économiques : les brigades du Parti (nazi) rêvent d’opérer la fusion de toutes les couches sociales de la nation en une communauté politique (Volkgemeinschaft – Volkwerdung) qui serait à son tour une transcription efficace et active de la communauté de race. Pour Krieck, aucune science ne peut s’arrêter à la seule dimension sociale des événements humains : le sociologue, l’historien, au terme de leur analyse, rencontrent inévitablement des référents biologiques. C’est à ce niveau que l’on peut comprendre les revendications « socialisantes » du national-socialisme. Il n’y a pas de distinction d’ordre économique entre les individus. Leur seule distinction, pour lui, est d’ordre biologique. L’article 20 du programme du parti nazi prévoit : nous exigeons que des enfants intellectuellement bien doués, issus de parents pauvres, soient élevés aux frais de l’État, sans qu’il soit tenu compte de leur classe sociale ou de leur profession. Mieux encore, l’isolement des classes économiquement défavorisées ne peut que nuire aux autres classes privées, alors, d’un apport de sang frais. Le système d’enseignement adopté par l’État raciste, réclame Hitler (MK – 431), devra veiller à ce que les classes cultivées soient continuellement renouvelées par un apport de sang frais provenant des classes inférieures. L’essentiel, en effet, n’est pas dans la situation socio-économique des enfants ou dans le type d’activité à laquelle ils s’adonnent ; il est dans le sang dont ils sont originellement porteurs. Les critères économiques de distinction entre individus cèdent la place aux critères biologiques. Le sang remplace l’argent. Krieck (1934) ne cesse de le répéter tout au long de son ouvrage : la formation nazie suppose la prise en compte des différences de sang entre les individus et non de ces dysharmonies superficielles entre les hommes que sont les disparités entre riches et pauvres. Les seules différences à reconnaître entre eux sont celles qui séparent les races, non les classes. Elles ne sont pas d’ordre économique mais völkisch, raciste et, plus précisément, sociobiologique. Le bras droit de Hitler, Rudolf Hess (cité par P. Thuillier – 1990), déclare, dans le même sens, en 1934, que le national-socialisme n’est rien d’autre que de la biologie appliquée.

16La seule distinction acceptable entre deux êtres humains, dans une perspective nazie, n’est donc pas celle de leur différence de niveau de vie, mais celle qui oppose l’Allemand (aryen) au non-Allemand, la race supérieure à la race inférieure. C’est le sens que prend la pensée de Heidegger, sur la question. En Juin 1933 (D – 116), il écrit : le chantier de travail est du même coup un authentique centre de formation pour les dirigeants de toutes les catégories sociales et de toutes les professions (c’est nous qui soulignons – HH). Peu après, en Janvier 1934, il persiste dans cette orientation devant une assemblée de travailleurs devant qui il définit le but à atteindre : il est de s’éveiller au savoir en vertu duquel vous pouvez, chacun dans sa catégorie sociale et dans sa sphère de travail, être lucidement et avec résolution des êtres humains qui soient des Allemands. Les distinctions d’origine socio-économique sont reléguées au second plan. L’objectif, ici, est de réaliser une identité nationale fondée sur la communauté du sang. Le peuple allemand doit être un peuple volkisch, ce qualificatif faisant la synthèse des conditions nationales et biologiques de la germanité nazie.

17La race, le sang, occupent ainsi une place centrale dans l’anthropologie nazie entre l’individu et le cosmos. Sa conception de l’État comme outil d’organisation sociale n’échappe pas à cette méthode d’analyse. La sociologie moderne de l’État présente cette question de la façon suivante : l’État est l’émanation d’un groupe (clan, tribu, famille, nation…) qui se donne à lui-même une hiérarchisation des rôles et des responsabilités en créant une organisation artificielle garante de sa survie comme le propose TH. Hobbes (1651) et le rappelle G. Burdeau (1980). Pour Th. Hobbes, par exemple, l’État-Léviathan est le produit d’une réflexion rationnelle, d’un calcul du risque le moins grand pour le groupe social : la puissance publique (personna civilis) est un artifice (artefactum) permettant aux hommes de survivre, en dépassant leurs conflits qui, à l’état « naturel », les amèneraient à s’entre-détruire. Cette conception, surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles européens, n’est pas rare. Spinoza et Rousseau l’illustrent à peu près dans le même sens, chacun dans le cadre de sa pensée.

  • 8 Hoerdt – Théorie des Schule – p. 163 – Cité par J. Piaget – 1965 – pp. 15-17.

18Pour le national-socialisme, l’État n’est pas un artefact, une invention humaine, simple moyen occasionnel de surmonter les risques de discorde sociale. Pour Hitler (MK – 392), l’État est un contenant..., la race en est le contenu. L’État, l’appareil politique d’un pays, est au service non d’un objectif politique, mais de la race. Un texte de Hoerdt8 explicite cette formule : tous ces théoriciens – les théoriciens nazis – partent d’un fait racial, à savoir la communauté du peuple allemand (Volkstum), fondée sur la race. Les membres de cette communauté se reconnaissent par les liens du sang. Loin de reposer sur un contrat social librement accepté, la communauté allemande est un fait, un facteur physiologique. La langue allemande, les vertus allemandes, cette force primitive absolument originelle, est la véritable cellule unique au regard du Tout-Puissant. Ainsi, tout « baigne » dans la race, dans le völkisch ; tout est à fondement raciste. L’État n’échappe pas à ce constat de base. A. Hitler ne cesse de le rappeler. Le parti national-socialiste des travailleurs allemands, écrit-il (MK – 383), tire les caractères essentiels d’une conception raciste de l’univers... Tout progrès humain est progrès biologique de la race, d’où – nous y reviendrons – l’importance que revêt, par exemple, l’éducation physique pour les formateurs nazis. Les forces créatrices de civilisation et de valeurs ont pour base la race et... l’État doit logiquement considérer comme sa tâche principale la conservation et l’amélioration de cette même race, condition fondamentale de tout progrès humain (MK – 389). L’État n’est qu’un moyen, un outil de perfectionnement de la race, du sang qui, lui, demeure premier dans la hiérarchie des valeurs humaines. Dans ce cadre, on comprend que chaque peuple soit porteur des vertus de sa race et que le meilleur État soit celui qui aura été le meilleur facilitateur de leur expression. L’organisation politique d’un pays doit être celle qui assure cette facilitation. L’une des vertus de la race germanique résidant dans sa suprématie matérielle et physique, le meilleur État, pour elle, sera celui qui facilitera la manifestation de sa force et son utilisation face aux autres races. L’État est un moyen de parvenir à un but, écrit Hitler (MK – 391). Son but est de maintenir et de favoriser le développement d’une communauté d’êtres qui, au physique et au moral, sont de la même espèce. Il doit maintenir, en premier lieu, les caractères essentiels de la race, condition du libre développement de toutes les facultés latentes de celle-ci.

19Enfin, cette conception raciste des choses humaines prétend à l’universalité. Le peuple allemand n’est pas seul concerné par la priorité de la race comme facteur explicatif des faits sociaux et individuels. Seule sa supériorité sur les autres lui est spécifique. Mais c’est l’ensemble des peuples qui relève de cette loi sociobiologique qui fait que leur destin est inscrit dans leur sang. Ainsi, la tâche de l’État raciste est de veiller à ce que soit écrite une histoire universelle dans laquelle la question de race sera mise au premier rang (MK – 420). Pour le national-socialisme, l’histoire d’un peuple est celle de l’évolution – progression ou régression – de ses attributs sociobiologiques.

  • 9 Nous verrons plus loin que, pourtant, les caractères de la race sont marqués, chez les nazis, d’une (...)

20Il est différentes conceptions de la synthèse historique. L’histoire théologique, telle qu’elle se présente chez Bossuet, par exemple, voit en Dieu la cause fondamentale des événements humains. L’histoire événementielle voit dans les aléas de ces événements leurs causes réelles, signant ainsi l’absence de tout déterminisme historique. L’histoire biographique voit dans l’action de certaines personnalités considérées comme hors du commun l’explication du processus social. L’histoire marxiste accorde aux rapports de production économique une importance, sinon exclusive, du moins importante dans l’explication des faits sociaux. L’histoire nazie, elle, tente de fonder la synthèse historique sur une réalité sociobiologique, celle de la race. La société n’évolue ni selon les desseins de Dieu9, ni au hasard, ni selon le bon vouloir de « grands hommes », ni selon des impératifs économiques : elle évolue selon les vertus de la race dont relève la société considérée. Ainsi, certains groupes – nous y reviendrons – sont, selon leur nature sociobiologique, prédestinés à la suprématie, d’autres à la soumission. Être « dans le sens de l’histoire » revient, alors, à se soumettre à cette prédestination.

  • 10 P. Thuillier souligne que F. Klein n’est pas antisémite.

21Pour l’idéologue nazi, le sang prédétermine donc l’histoire de l’humanité et des individus qui la composent. Cette prédétermination va jusqu’à, pour lui, marquer leur pensée même. Un article de P. Thuillier (1987) est révélateur à cet endroit. Il nous rappelle le contenu d’un ouvrage du mathématicien allemand F. Klein10 qui publie en 1926-1927 ses Leçons sur le développement des mathématiques au XIXe siècle. Il y vante l’intelligence du mathématicien anglais James Joseph Sylvester descendant d’une famille purement juive et vrai représentant de sa race. En 1812, les Juifs de Prusse sont émancipés et les mathématiciens juifs peuvent entrer à l’Université. Klein parle à ce sujet de renouvellement du sang (Bluterneuerung) et d’infiltration nationale. Concernant le mathématicien allemand de l’école de Berlin Kronecker, il écrit qu’il possède un talent spécifiquement juif. Ainsi, pour F. Klein, chaque race est caractérisée par des attributs d’ordre sociobiologique, mais, de plus, par un état d’esprit particulier, une mentalité, voire une façon de penser et d’analyser. Il faut reconnaître, écrit F. Klein (op. cité), que le degré d’exactitude de l’intuition de l’espace peut être différent chez des individus différents, peut-être même des races différentes. Il semblerait qu’une intuition spatiale forte et naïve soit un attribut par excellence de la race teutonique, alors que la tendance critique et purement logique est plus pleinement développée dans les races latine et hébraïque. Ce texte est de 1911 et annonce déjà ceux des années trente qui devaient « officialiser » l’antisémitisme nazi.

22Dans le même ordre d’idée, P. Thuillier (op. cit.) signale que Johannes Stark, nazi de la première heure et prix Nobel de physique en 1919, publie en 1941 un ouvrage sur La physique juive et la physique allemande, suivant en cela l’exemple donné par un de ses prédécesseurs, Ph. Lénard, prix Nobel de physique en 1905, membre du parti nazi en 1937 et qui publie en 1936-1937 un ouvrage sur la Physique allemande où il veut fonder, dit-il, une physique aryenne. Pour lui, la théorie de la relativité d’Albert Einstein n’est qu’une fraude juive. A ce sujet, Alfons Bühl, élève de Lénard, écrit à la même époque que cette utilisation excessive des mathématiques dans l’étude des problèmes physiques était indubitablement due à l’esprit juif.

23Pour les idéologues nazis, le fondement völkisch de la personne, sa « nature », est un complexe où se mêlent des traits relevant à la fois de la sociologie et de la biologie. Cette « nature » raciste explique pour eux, d’une part, le destin et l’histoire des peuples, d’autre part, le comportement psychologique et même mental de l’individu. Une telle conception du monde humain va avoir des conséquences importantes au plan de la formation des personnes.

L’innéité du substrat « racial »

24Les attributs de la « nature » raciale de l’homme ne sont pas acquis à partir de l’expérience mais originellement présents dans le groupe et/ou l’individu. C’est là ce qui découle logiquement des présupposés sociobiologiques du nazisme. Le fondement explicatif du comportement des peuples et des individus, ce qui donne son sens, est inné. Chacun possède en soi, dés sa naissance, les dispositions « naturelles » de sa race. Ainsi, la capacité à commander ou l’obligation d’obéir, l’aryannité ou la non-aryannité, sont des données constatées et définitives, non construites ni transformables. La race, écrit A. Hitler dans son Mein Kampf crée inéluctablement les prédispositions intimes des peuples qui déterminent toujours la façon dont les influences extérieures agiront sur eux. Parmi ces prédispositions, Hitler note, avant tout, la qualité du sang et la conformation physique sur lesquelles nulle formation ne peut agir. Elles entrent, en effet, à l’intérieur des limites immuables que sont les données de la race. On doit avoir soin d’assigner à l’individu le genre d’activité qui convient à ses capacités, ou, en d’autres termes, de donner aux divers dons l’éducation correspondant aux tâches qui les attendent ;...la capacité n’est pas un produit de l’éducation mais existe chez l’individu à l’état inné... Elle est donc un don de la nature et ne constitue pas un mérite pour celui qui la possède (MK – 433). L’initiative ni le mérite ne sont l’apanage de l’individu. Tout revient à la race ; c’est d’elle que dérive le cours des choses et des gens. Même les plus grands artistes, estime Hitler (MK – 427) n’échappent pas à cette sujétion. En art, écrit-il, tout doit se trouver de naissance à l’état latent... Le génie est indépendant de la situation sociale et même de la fortune.

25L’individu, dés sa naissance, est placé sur les rails de sa race dont relèvent, à la fois, son mode existence et les objectifs qu’il doit se fixer, son présent et son avenir. Ces données de la race sont l’idole devant laquelle tout doit céder. Si le national-socialisme est une idéologie de l’enfermement, il est, de même, celle de l’assujettissement à la race.

Au plan de la formation : le primat du corps

26L’un des caractères essentiels de la formation nazie, au plan de ses contenus, réside dans son anti-intellectualisme : l’appel à la réflexion, à l’intelligence, au raisonnement est frappé d’une suspicion qui renvoie toute activité mentale au bas de l’échelle d’urgence des acquisitions souhaitées. Le nazisme hiérarchise ces degrés d’urgence : il place, en premier lieu, la formation du corps, en second, celle du caractère, en dernier lieu la formation de l’intelligence.

L’exigence première : la formation du corps

27Le formateur nazi considère comme formation du corps celle qui concerne toute acquisition excluant l’activité mentale. En ce sens, elle doit être considérée sous un double aspect :

  • L’éducation physique avec pour objectif l’adaptation anatomo-physiologique la meilleure possible de l’individu à son environnement.

  • L’éducation de la volonté avec pour objectif l’acquisition par l’individu d’une aptitude à la décision.

L’éducation physique

28L’essence de l’individu se situe dans son sang, dans le substrat anatomo-physiologique, voire génétique, de sa personne. En conséquence, une formation qui se voudrait fondamentale doit, en premier lieu, pour l’idéologue nazi, atteindre ce substrat. La formation du corps est le premier acte du processus de formation nazie.

  • 11 Cité par J. Piaget – 1965 – pp. 15-16-7.
  • 12 Krupp est le nom d’une famille d’industriels allemands. Gustav Krupp, favorable au national-sociali (...)

29Le Mein Kampf de A. Hitler est intarissable sur ce point. Sa position est sans nuances : dans un État raciste (völkisch), l’école consacrera infiniment plus de temps aux exercices physiques (MK – 408). Le mode d’explication des faits humains par le substrat de la race rend, en effet, inévitable une telle exigence. De plus, Hitler en vient à l’étayer par une critique – d’ailleurs, en partie, fondée – du rejet du corps par l’éducation en place vers le milieu du XXe siècle européen. Il est vrai que la jonction du dualisme cartésien et du puritanisme religieux réduit alors au maximum le souci que les éducateurs prennent du corps. Il... faut, quand même il devrait consacrer des siècles à (l’)œuvre d’éducation, mettre fin à l’injustice qui consiste à mépriser le travail corporel, écrit Hitler (MK – 432). Ainsi, le but à atteindre prioritairement par les éducateurs réside en la formation de corps sains dont Hitler lui-même trace le profil dans son discours à la jeunesse hitlérienne prononcé devant le congrès de Nüremberg du 14 Septembre 193511 : le jeune Allemand de demain doit être mince et élancé, preste comme le lévrier, résistant comme le cuir et dur comme l’acier de Krupp12 ; plus loin, il précise à nouveau : l’avenir de la race exige des corps bien trempés, agiles, virils.

30Cette importance accordée aux choses du corps concerne aussi les filles. Tout comme les garçons, elles sont, avant tout, des corps dont la destination essentielle est la procréation. C’est dans cette perspective, avant toute autre, que les fillettes doivent être formées. L’État raciste (völkisch) dirigera l’éducation des filles... Là aussi, l’importance principale doit être attachée à la formation physique ; après seulement viendra l’éducation du caractère, enfin, en dernier lieu, le développement des dons intellectuels. Il ne faut jamais perdre de vue que le but de l’éducation féminine doit être de préparer à son rôle la mère future.

31Bien sûr, Hitler entend les critiques intellectualistes qui lui sont ou seront opposées, sur ce point : l’éducation de l’intelligence ne risque-t-elle pas de disparaître ?

32Si l’attention aux choses de l’intelligence ne disparaît pas totalement dans la formation nazie, d’une part, elle est conditionnée par celle du corps, d’autre part, sa place est relativement réduite. L’État, écrit Hitler, doit maintenir, en premier lieu, les caractères essentiels de la race, condition du libre développement de toutes les facultés latentes de celle-ci. De ces facultés, une partie servira toujours à l’entretien de la vie physique et une autre partie à favoriser les progrès intellectuels. Mais, en fait, le premier est toujours la condition du second (MK – 391). Le corps condition de l’esprit, en effet, puisque, ajoute-t-il plus loin, le rendement intellectuel des individus est directement fonction des qualités de race du matériel humain donné, et qu’un corps gangrené n’est pas le moins du monde rendu plus beau par le rayonnement de l’esprit (MK – 407).

33La formation intellectuelle doit être, par ailleurs, réduite. On peut constater, ici, que l’idéologie nazie fait siennes des remarques et observations fréquentes dans les courants d’éducation des années trente, en Europe, lorsque, bien sûr, elles ne contredisent pas les thèses racistes. Elle est même, parfois, ouverte aux novations en matière d’éducation. On sait qu’à cette époque du début et du milieu du XXe siècle, nombreux sont les chercheurs, en particulier au sein du courant de l’éducation nouvelle, qui dénoncent les méfaits d’une éducation intellectuelle de l’enfant trop importante voire exclusive. Les appels à la motivation bio-affective de l’élève sont, dans ce contexte, monnaie courante. L’intelligence ne règne plus en maîtresse parmi les objectifs éducationnels comme cela était le cas durant les siècles précédents ; elle est de plus en plus vécue non comme l’exclusif outil de la formation, mais comme l’aboutissement souhaité d’un processus dont le moteur est la bio-affectivité de la personne. Sur ce point, comme en d’autres, nous le verrons, les idéologues nazis ne sont nullement novateurs. Mais il est nécessaire de souligner que leur adhésion à certaines perspectives de l’éducation nouvelle touche aux moyens, jamais à la finalité de l’éducation. Les lois de l’évolution de l’enfant comme moyens de l’éducation demeurent les mêmes que cette finalité se situe au niveau des exigences de la race, de l’autonomisation de la personne ou de son insertion au groupe. Aussi, Hitler n’a aucun mal à en préconiser le respect et en faire les outils de ses finalités racistes. On comprend, ainsi, qu’il en vienne à écrire (MK-420) que l’État raciste (völkisch) devra donner à l’enseignement des connaissances générales une forme abrégée, ne contenant que l’essentiel. Cet enseignement doit fournir à l’élève la possibilité d’aller plus loin, d’acquérir une culture et des connaissances plus approfondies. Il suffit que l’individu acquiert des notions générales, des grandes lignes qui serviront de base à son activité intellectuelle ; il ne recevra un enseignement approfondi, spécialisé et détaillé que pour les connaissances qui lui seront plus tard nécessaires dans sa sphère. La culture générale sera obligatoire dans toutes les disciplines ; la culture particulière sera laissée au choix de chacun. C’est ainsi que le cerveau des jeunes gens ne sera pas surchargé de connaissances qui leur sont inutiles, ajoute-t-il (417).

34Pourtant, ajoutent les idéologues nazis, la qualité anatomo-physiologique du corps ne suffit pas. Il demeure vain de posséder un corps robuste, capable de réagir aux sollicitations de l’environnement s’il n’en reçoit pas l’ordre, si aucun acte volontaire n’en décide le déclenchement. La robustesse physique ne doit pas être séparée de l’esprit de décision, de la volonté.

L’éducation de la volonté

35Parallèlement au primat du corps sur l’intelligence, l’idéologie nazie réclame celui du vécu sur le conçu, de la pratique sur la théorie, reléguant toujours l’intervention de la réflexion au rang d’accessoire secondaire voire dangereux. Le réalisé, le fait, l’agi, l’effectif comme produits de la décision volontaire, sont, de loin, préférables au pensé, à l’imaginé, au rêvé, au supputé. Dans le cadre de son anti-intellectualisme fondamental, le nazisme débouche sur un pragmatisme intégral. L’essentiel, pour lui, ne se situe pas dans les méandres d’une pensée souvent velléitaire, fermée sur elle-même, mais au niveau de l’intervention des faits, des objets et des événements, qu’ils aient été, ou non, réfléchis. L’article 20 du programme du parti nazi est, sur ce point, sans ambiguïté : pour permettre à tout Allemand capable et laborieux d’atteindre à une culture secondaire, et, de ce fait, d’accéder aux postes de direction, l’État doit modifier de fond en comble tout le régime de notre éducation primaire. Les programmes doivent être adaptés aux exigences de la vie pratique. Cette référence à la pratique, au niveau de l’école élémentaire, est, à l’époque de la rédaction du Mein Kampf monnaie courante dans la pensée éducationnelle. L’idéologie nazie, une fois de plus, la fait sienne en tant que modalité pédagogique dans la mesure où, d’une part, elle ne remet pas en cause ses présupposés sociobiologiques, et où, d’autre part, elle est susceptible, au contraire, de les servir. Le primat absolu de la pratique peut, en effet, comme outil pédagogique, favoriser différentes orientations de formation, y compris celle de la préservation de la race. Le Mein Kampf est l’œuvre d’une époque dont il adopte les acquis lorsqu’ils viennent soutenir, dans la forme, ses finalités racistes.

36La mise en pratique des contenus de la pensée est une obligation, à la fois, de comportement et de formation. En ce sens, la pensée doit être complétée par un pouvoir de décision sans lequel elle ne dépasserait pas le stade de la simple velléité. Le formateur nazi fait sien ce constat. Pour lui, l’homme à former n’est pas un penseur solitaire ni, a fortiori, un rêveur : c’est un décideur. A côté de la robustesse, l’essentiel de la personne à former est là, dans cette aptitude à décider, même lorsque la pensée est incapable de justifier totalement le bien-fondé de la décision. Mieux vaut une décision non motivée qu’une absence de décision. Hitler insiste particulièrement sur ce choix (MK – 409) : l’image idéale que le racisme se fait de l’humanité n’a pas pour types l’honorable petit bourgeois et la vieille fille vertueuse, mais bien des hommes doués d’une énergie virile et hautaine et des femmes capables de mettre au monde de vrais hommes. En d’autres termes, l’homme à former a pour prototype le chef, le Führer, le guide, qui sait toucher la bio-affectivité de la personne et non seulement le Lehrer, l’enseigneur, qui ne se préoccupe que de l’esprit de son élève. L’homme à former doit donc être de corps sain, de caractère honnête et ferme, aimant à prendre une décision et doué de force de volonté (MK – 407). Tout comme la formation physique, la formation du décideur s’avère une condition sans laquelle toute formation intellectuelle est vaine. Il serait injuste de donner la formation intellectuelle la plus complète à des hommes mal venus ou estropiés dont le manque d’énergie et de caractère ferait des êtres indécis et lâches, lit-on, plus loin, toujours dans le Mein Kampf.

37L’importance de la formation de la volonté, pour les théoriciens nazis, nous paraît soulignée particulièrement dans ce passage du Mein Kampf (MK – 406-407) : L’État raciste... s’attachera à obtenir, par un élevage approprié, des corps foncièrement sains. La culture des facultés intellectuelles ne viendra qu’en seconde ligne. Mais, ici même, le but principal sera la formation du caractère, notamment le développement de la force de volonté et de la capacité de décision ; on habituera en même temps les jeunes gens à prendre avec joie la responsabilité de leurs actes. L’instruction proprement dite ne viendra qu’en dernier lieu. La formation a pour objectif une personne capable de décider d’une action à laquelle elle adhère, rationnellement ou non, de tout son être et dont elle assume toutes les conséquences. Lorsque Ton sait l’anti-intellectualisme sous-jacent à l’idéologie nazie, on comprend que l’adhésion de la personne à son acte est davantage d’ordre pulsionnel que réflexif. Pour reprendre une terminologie mise en vogue par Nietzsche, on dira que l’individu issu d’une formation nazie est un être plus dionysiaque qu’apollinien, le moteur de son action se situe davantage dans les fièvres d’une ivresse passionnelle que dans les sereines clartés du raisonnement.

L’objectif visé : un mode de vie militaire

38Le cadre dans lequel doit s’exprimer un individu de formation nazie, physiquement robuste et capable de décision est, pour Hitler, celui de l’armée. C’est à l’armée, écrit-il (MK – 409-410), qu’on peut voir à quel point la conscience de ses ressources physiques peut développer chez un homme le courage et même l’esprit combatif. On comprend donc qu’il en conclue (MK – 412 et 427) que l’éducation physique pourra être, dans ses grandes lignes, une préparation au service militaire... L’éducation, en ce qui concerne la race, trouvera son achèvement définitif dans le service militaire. Ce temps de service doit être considéré comme le dernier stade de l’éducation normale donnée à l’Allemand moyen.

39Le mode de vie militaire auquel la formation nazie prépare le jeune suppose, entr’autres caractéristiques, sa soumission la plus complète possible à l’autorité du groupe et/ou de ses représentants. On doit constater, ici, la cohérence existant entre les différentes conclusions du national-socialisme en matière de formation : primat du corps, importance de la décision volontaire avec, pour objectif, les rigueurs de l’armée, soumission de l’individu à un groupe ou à une autorité, tout ceci se tient mais appelle deux remarques :

  • Ces conclusions entre dans le cadre d’une minoration de la personne pensante

  • Les failles de la formation nazie ne se situent pas nécessairement au niveau des moyens qu’elle préconise mais à celui de ses présupposés et de ses finalités. Former un individu robuste au caractère trempé pourrait séduire. Mais on ne peut faire, ici, l’économie de la question : « en vue de quoi ? » qui révèle la signification profonde du système. Nous y reviendrons.

La soumission de l’individu au groupe

Le sacrifice de soi

40L’idéologie nazie est, avons-nous vu, une sociobiologie. Il est nécessaire d’ajouter que le fondement biologique de la personne qu’elle considère ne se situe pas au niveau individuel mais à celui du groupe. La nature biologique qui caractérise une personne ne lui est pas propre ; elle n’est autre que celle de sa race dont il n’est qu’un spécimen parmi d’autres. Ainsi, obéir à sa « nature » revient non pas à obéir à soi-même, dans sa personne propre, mais au groupe sociobiologiquement défini. En fait, dans le cadre du nazisme, la personne individuelle est le simple produit du groupe (race) auquel elle a l’impérieux devoir – le plus important – de se soumettre totalement. Les textes de Hitler, Krieck et Heidegger ne laissent aucun doute sur ce point.

41Le premier devoir du jeune nazi est le sacrifice de soi au groupe, figuré, ici, par le parti, le peuple (Volk), ou la race elle-même, sacrifice qui lui demande de minorer sinon d’éteindre intégralement ses aspirations personnelles. Il faut enfoncer dans les jeunes cerveaux encore malléables, écrit A. Hitler (MK – 425), ce principe d’airain : qui aime son peuple ne prouve son amour que par les sacrifices qu’il est prêt à s’imposer pour lui... Ce sacrifice de soi est, à la fois, une nécessité et un devoir. Une nécessité car, si l’individu doit... continuer à développer et à ennoblir sa valeur comme homme..., il ne peut le faire que dans le cadre de sa communauté de culture... Un devoir, de même, car ce que le groupe apporte à l’individu n’est qu’un prêt généreusement accordé. Le dévouement de l’individu a, alors, valeur de restitution. Le devoir de l’individu est de restituer à la communauté nationale, par son zèle et son honnêteté, ce qu’il a reçu d’elle. (MK – 433).

42De plus, selon Hitler, la soumission au groupe ne peut porter ombrage à l’individu dans la mesure où ce qui convient au premier ne peut nuire au second. Le groupe dont l’État est l’expression est, en effet, porteur de tous les idéaux encourageant le dépassement de la petitesse des horizons négatifs parce qu’étroitement personnels. L’État doit intervenir, souligne Hitler (MK – 402), comme ayant le dépôt d’un avenir de milliers d’années au prix duquel les désirs et l’égoïsme de l’individu sont tenus pour rien et devant lequel ils doivent s’incliner. L’intérêt de l’individu lui-même réclame la négation de soi.

43Cette négation de la personne individuelle a des conséquences importantes au plan de la formation. Mein Kampf précise son objectif en lui demandant de former les cerveaux les plus capables dans tous les domaines de l’activité humaine et les mettre au service de la communauté... pour en faire des membres... capables de contribuer à son accroissement. L’objectif de la formation nazie réclame donc une place plus importante au groupe qu’à la personne individuelle. Seul le groupe et ses représentants décident des méthodes et des contenus de formation. L’État empiète... sur le droit de libre détermination de l’individu et lui oppose le droit de la collectivité, soumettant l’enfant à l’instruction obligatoire sans tenir compte de la volonté des parents (MK – 407).

44L’exigence de soumission de l’éduqué au groupe réclame, par ailleurs, de sa part, trois qualités essentielles : la loyauté, l’abnégation et la discrétion. Loyauté, abnégation, discrétion sont des vertus absolument nécessaires pour un grand peuple ; les développer et les porter à leur point de perfection par l’éducation donnée à l’école a plus d’importance que bien des matières... (MK – 414). La loyauté, ici, a pour sens l’obéissance aux impératifs non seulement juridiques et politiques, mais encore psychologiques et psychosociologiques du groupe dont l’individu devient le simple rouage. Concernant la discrétion, Hitler réclame la plus grande sévérité à l’encontre du mouchard, dont, dit-il, on peut craindre qu’il sera, plus tard, un espion contre le peuple allemand, donc un individu refusant les normes du groupe. L’abnégation est exigence d’auto-repression des pulsions et affinités personnelles lorsqu’elles viennent en contradiction avec les impératifs groupaux. La remarque est d’importance. Le national-socialisme préconise la libération des pulsions de l’individu, réclame de lui un comportement dionysiaque qui se voudrait synonyme de libération pulsionnelle de soi. En réalité, la libération concernée est celle de la « nature » sociobiologique de la personne dont nous avons vu, plus haut, qu’elle est, avant tout, le substrat de sa race dont elle, la personne, n’est qu’un rouage. L’abnégation est libération du sang racial de la personne et frein de ce qui lui est propre.

45Les grandes orientations étant dessinées par Hitler, E. Krieck, de son côté (1934), les intègre dans une structure idéologique globale. En premier lieu, pour lui, la culture (Bildung) n’est pas le produit de créations individuelles mais de conflits groupaux. D’un sol de différentes cultures antagonistes émerge l’une d’elles qui s’impose aux autres parce qu’émanant du meilleur peuple.

46Dans un autre ouvrage (1936), E. Krieck tente de brosser un tableau général de l’humanité où toutes les composantes de l’idéologie nazie sont organisées dans un cadre marqué d’une forte religiosité. La relation de l’individu à son groupe, son peuple (Volk) défini sociobiologiquement par son sang, est une relation d’enracinement : l’individu est au peuple ce que le Christ est à Dieu. Tous les existants sont plongés dans une religiosité dont la race est le dieu. L’humanité, Tune de ces composantes, se définit et s’analyse donc selon des critères biologiques. Les apparences sociales de la vie humaine, les nations, les pays, les organisations politiques, etc., ne sont que des superstructures sans signification réelle. L’humanité se compose, en réalité, de « peuples-races », autrement dit, de peuples définis non économiquement ni politiquement, mais sociobiologiquement. L’intégration de l’enfant à cette communauté bio-politique se prépare donc au sein d’une communauté de formation völkisch où Ton retrouve la même exigence : le citoyen est le fétu du peuple-race comme l’élève est celui de l’institution scolaire.

47M. Heidegger fait sienne cette orientation en l’intégrant dans son propre système de pensée. Pour lui, l’individu s’inscrit dans le destin de son peuple qui lui fournit le sens de son existence individuelle. La jeunesse, déclare-t-il le 25 Novembre 1933 (K – 131) suit ce qui assure la direction de sa volonté – les puissances qui configurent l’État –. Dans cette disposition à suivre, chaque individu ne peut plus se prendre pour un individu isolé ; il a abandonné aux puissances l’arbitraire de sa volonté... Le maître-mot est, ici, prononcé : suivre (folgen). Le premier devoir de l’individu est de suivre les orientations propres à son groupe (volk) au sacrifice même de ses aspirations personnelles. Toujours en ce même mois de Novembre 1933, Heidegger déclare aux étudiants (H – 118) : Que de jour en jour et d’heure en heure s’affermisse la fidélité de la volonté d’obéir (Gefolgschaftwille). Que sans cesse grandisse en vous le courage de vous sacrifier pour sauver l’essentiel et faire s’élever la force la plus intime de notre peuple en son État.

48Dans son discours du 27 Mai 1933 comme recteur d’université, Heidegger pousse plus loin son exigence d’insertion de l’individu allemand au sein de son groupe (Volk). Il réclame de lui trois obligations : cette insertion est une participation physique et matérielle de l’individu aux faits et événements qui marquent la vie du groupe ; elle est sacrifice de soi aux attentes et besoins de la collectivité et de ses dirigeants ; elle est, enfin, adhésion de type spirituel voire mystique à son destin. En d’autres termes, l’insertion sociale völkisch réclame de l’individu allemand sa fusion corps et âme dans le creuset de sa race. Il n’a pas d’aspirations, d’attentes, de besoins, de pensées, de destin autres que ceux de son groupe (volk). Ses relations à lui sont, ainsi, de trois types, écrit Heidegger (C – 105) : le premier est celui qui le lie à la communauté du peuple. Il oblige, en portant sa part et en prenant part, à participer aux peines, aux aspirations et aux savoir-faire de toutes les catégories sociales et de toutes les parties du peuple... Le deuxième lien est celui qui le lie à l’honneur et au destin de la nation, au milieu des autres peuples. Il demande... la disponibilité à payer de sa personne jusqu’au bout... Le troisième est celui qui le lie à la mission spirituelle du peuple allemand. Ce peuple œuvre à son destin cependant qu’il installe son histoire. C’est cette perception de la « mission spirituelle » et du « destin » du peuple allemand qui fonde un sentiment patriotique proche d’une certaine mystique dans la formation nazie : « mission spirituelle » et « destin » ne relèvent nullement d’une réflexion ni d’un choix personnel mais d’une croyance en un message dont l’origine n’est pas toujours clairement définie, vécue plus que conçue. Nous y reviendrons.

La nécessité d’un idéal

49Dans l’idéologie nazie, la « nature » du peuple (le völkisch), comme réalité sociobiologique, procède de deux facettes inséparables : celle des données biologiques de la race, dont les sciences de la matière rendent compte, et celle de son vécu qu’étudient les sciences humaines (Geisteswissenschaften). Cette seconde facette forme la culture allemande. La fusion de l’individu dans la « nature biologique » doit donc se doubler de sa fusion dans la culture allemande. C’est cette dernière qui s’exprime dans le sentiment patriotique. Les textes nazis procèdent, sur ce point, en deux temps :

  • En un premier temps – le plus long – ils dénoncent l’absence de tout « idéalisme » dans la société européenne du milieu du XXe siècle, comprenons l’absence d’idéal comme moteur de toute entreprise humaine qui se voudrait cohérente et efficiente, comme visée lointaine de l’action dépassant les étroites limites de l’individualité, de l’ici et du maintenant. Ils exigent donc une action « idéaliste », à savoir celle qui ne répond pas seulement aux « comment » des choses, mais, avant tout, aux « pourquoi » qui en révèlent le sens et la valeur.

  • En un second temps, ces mêmes textes exposent les présupposés fondateurs de ces « pourquoi », à savoir le naturalisme raciste, et, comme nous le verrons plus loin, la hiérarchie des groupes humains et le providentialisme qui prédestine les existences groupales et individuelles.

50Ainsi, on peut lire dans Mein Kampf que l’on peut poser en axiome que, non seulement l’homme vit pour servir un idéal le plus élevé, mais aussi que cet idéal parfait constitue à son tour pour l’homme une condition de son existence (MK – 377), puis, quelques pages plus loin (381), que le nazisme croit nécessaire de donner un idéal à l’humanité car cela lui paraît constituer la condition première pour l’existence de cette humanité.

51Cette exigence de tension vers un idéal s’accompagne, dans l’idéologie nazie, de la détermination de son contenu. En effet, le nazisme rejette en matière de formation les objectifs d’ordre matériel tels que les questions de salaires, de confort et de loisirs qu’il considère comme étrangers aux nobles idéaux. Hitler se prononce sans ambages sur ce point. L’époque actuelle... voit dans le salaire matériel, écrit-il (MK – 434), l’expression de la valeur d’un homme et détruit ainsi les bases de la plus noble égalité qui puisse exister. En effet, les différences d’ordre économique (salaires, niveaux de vie, richesse ou précarité matérielle...) ne sont qu’épiphénomènes en regard de cette réalité fondamentale qu’est l’égalité du sang chez les individus d’une même race. Si l’on admet que l’explication des faits humains relève d’une logique fondée sur la sociobiologie, cette conclusion paraît rigoureuse. C’est ce qui autorise Hitler à confirmer, quelques lignes plus loin (MK – 435-436) : il se peut qu’aujourd’hui l’or soit le dénominateur exclusif de la vie ; pourtant, il viendra un jour où l’homme rendra hommage à des dieux plus nobles... C’est aussi une des tâches de notre mouvement d’annoncer dés maintenant la venue de temps où l’individu recevra ce dont il a besoin pour vivre ; et nous devons, en même temps, maintenir le principe que l’homme ne vit pas uniquement pour des jouissances purement matérielles... Une fois de plus, nous découvrons une position répandue dans le milieu du XXe siècle européen et adoptée par l’idéologie nazie comme moyen de réalisation de ses finalités propres. Le dépassement de la dimension individuelle de l’existence humaine doit, certes, être réalisé vers un idéal plus vaste. Ce mouvement peu contestable, en soi, est, chez Hitler, le véhicule de l’expression d’une idéologie de type sociobiologique. Il donne à ce dépassement non pas la dimension d’une universalité porteuse de générosité et de paix, mais celle d’une race particulière spécifique. L’individu nazi n’ouvre pas ses bras à l’humanité, mais à sa seule race, à l’encontre des autres.

52Ce qui, pour Hitler, est vrai au plan humain, le demeure au plan économique. La société humaine a besoin d’un idéal qui lui donne sens et valeur. L’idéal nazi est là pour combler le vide que présente la société « réaliste » de son temps, celle qui est à la recherche exclusive de revenus matériels immédiats. Industrie et technique, écrit-il (MK – 422), commerce et métiers ne sont florissants qu’aussi longtemps qu’une communauté nationale soutenue par un idéal, leur assure les conditions préalables et nécessaires de développement. Ces conditions ne dépendent pas d’un égoïsme attaché à la matière, mais d’un esprit de sacrifice qui trouve satisfaction dans le renoncement.

53C’est peut-être M. Heidegger qui, au plan de la formation, a le plus insisté sur la nécessité d’un « idéal » comme motivation de l’éduqué. Pour lui, les acquis par le formé ont moins de valeur que la conscience qu’il a – ou doit avoir – de ses raisons de les acquérir. Tout travailleur, écrit Heidegger en 1934 (N – 138), dans notre peuple, doit savoir pourquoi et en vue de quoi il est là où il se tient. C’est seulement grâce à ce savoir vivace et toujours présent que sa vie va pouvoir s’enraciner dans le tout que forme le peuple et dans le destin de ce peuple. Voilà pourquoi il est aussi nécessaire de procurer ce savoir aux chômeurs que de les pourvoir d’un travail...

54Ainsi, l’objectif de la formation nazie est non pas tant l’intégration technico-économique de l’enfant à son environnement, mais, avant tout, la réalisation d’un idéal correspondant à la culture völkisch faite des exigences sociobiologiques de sa race. L’existence de cet « idéal » explique que l’on ait parlé d’une « morale » nazie, ce qui a fait écrire par E. Krieck que l’État doit être l’éducateur éthicisant du peuple. Il doit lui présenter une éthique dont les présupposés sont ceux du racisme. Il y a, en fait, une morale nationale-socialiste dont la norme fondamentale est l’ensemble des vertus attribuées à la race supérieure, entendons, le peuple germanique. Tout ce qui ne répond pas à cette norme devient « immoral ».

  • 13 M. Heidegger n’est pas étranger à cette forme de pensée. Durant l’hiver 1937-1938, il écrit (Q – 17 (...)
  • 14 Alfred Baeumler – Conférence faite à Berlin le 12 Juin 1933 – Cité par J. Piaget – 1965 – pp. 15-15 (...)

55Un texte d’Alfred Baeumler nous paraît résumer cette exigence d’« idéalisme » chez les théoriciens nazis. L’homme à former, pour lui, est celui qui agit par obéissance à l’idéal völkisch pourvoyeur de sens, de raison d’être, en un mot, qui apporte la réponse au « pourquoi » de son action13. Par soldat politique, écrit-il14, nous entendons un type historique du soldat d’aujourd’hui, l’homme qui sait à qui il obéit et pour qui il se bat, – l’homme qui se sent le soldat d’une idée concrète, le missionnaire d’une donnée historique... Le système d’éducation soldatesque doit englober tous les Allemands quels qu’ils soient et quelles que soient leurs fonctions... Quiconque a passé par ce système d’éducation est un soldat politique. Le militaire proprement dit ne se distingue de ce soldat que par l’instruction spéciale qu’il a reçue...

56L’argumentation nazie apparaît, ici, dans sa simplicité rigoureuse, s’étalant sur trois niveaux :

  1. L’action de l’homme völkisch n’est pas attachée à la seule recherche de son intérêt matériel immédiat mais impulsée par sa tension vers un idéal lointain auquel il adhère pleinement.

  2. Cet idéal lointain ne lui est pas personnel : il vise le mieux être de son volk, de son groupe sociobiologiquement défini.

  3. En conséquence, l’objectif de la formation nazie ne se situe pas au niveau de l’épanouissement de l’individu mais à celui de son intégration la plus totale possible au sein d’un groupe qui lui apporte les nonnes de sa pensée et de son comportement.

Notes

1 Dans ce qui suit, les passages extraits de Mein Kampf de A. Hitler sont suivis des seules initiales M.K. avec la mention de la page où figure le passage cité. L’édition utilisée est l’édition française (sans date).

2 E. Krieck – Menschenen formung – Cité par J. Piaget – 1965.

3 Sur la sociobiologie contemporaine, voir :

  • Revue « Sciences Humaines » – no 57 – Janvier 1996 – p. 42.

  • Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution – S/Dir. Patrick Tort – Paris – P.U.F. – 1995.

  • Patrick Tort – Misère de la sociobiologie – Paris – P.U.R – 1985.

4 Les Écrits Politiques de M. Heidegger, publiés en 1995, sont mentionnés par son nom suivi d’une lettre qui renvoie à la liste chronologique qui en est donnée en Annexe 1 et d’un chiffre indiquant la page concernée dans leur édition française.

5 Nous verrons plus loin que cette importance de la langue n’est pas reconnue par Hitler.

6 François Fédier, traducteur de ce texte, emploie l’expression de « socialisme national allemand ».

7 Voir note 5 concernant le désaccord sur ce point entre Heidegger et Hitler.

8 Hoerdt – Théorie des Schule – p. 163 – Cité par J. Piaget – 1965 – pp. 15-17.

9 Nous verrons plus loin que, pourtant, les caractères de la race sont marqués, chez les nazis, d’une prédestination d’origine divine.

10 P. Thuillier souligne que F. Klein n’est pas antisémite.

11 Cité par J. Piaget – 1965 – pp. 15-16-7.

12 Krupp est le nom d’une famille d’industriels allemands. Gustav Krupp, favorable au national-socialisme, a mis à la disposition du régime hitlérien ses productions d’armements et son industrie chimique.

13 M. Heidegger n’est pas étranger à cette forme de pensée. Durant l’hiver 1937-1938, il écrit (Q – 170) que le savant n’a plus aucun rapport mesuré à la vérité d’une expérience, c’est à dire éprouvé au cœur d’une passion... La science des temps modernes donne naissance pour elle-même à ce qui la menace le plus intimement : ne plus avoir de fond ni de sol. Comprenons que, de la même façon que l’individu sans idéal accomplit une action sans avoir conscience de son sens réel, la science, si elle ne prend pas conscience de ses raisons d’être, n’a plus « de fond ni de sol ». Ce sol et ce fond ne sont autres que les principes fondateurs du national-socialisme.

14 Alfred Baeumler – Conférence faite à Berlin le 12 Juin 1933 – Cité par J. Piaget – 1965 – pp. 15-15-7.

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