Version classiqueVersion mobile

Instituteurs avant la République

 | 
François Jacquet-Francillon

Deuxième partie. Les instituteurs en 1861

Chapitre IX. Finalités professionnelles : une éthique pour le peuple des campagnes

Texte intégral

  • 1 P. Lorain, Tableau..., op. cit., pp. 14-15.

1Pour effectuer l’enquête de Guizot, Paul Lorain avait lui-même scellé son cheval, puis il avait galopé des lieues et des lieues, ne s’arrêtant qu’au crépuscule du troisième jour dans un « méchant bourg » des Landes où le maire lui avait réservé un accueil plutôt froid, semblant ne pas éprouver le moindre intérêt pour l’instruction des paysans. Plus tard, revenant sur sa déception, Lorain affirma cependant : « Eh bien ! en y songeant depuis, j’ai vu que ce brave homme, c’était le peuple des campagnes en personne »1.

2La difficulté de reconnaître et d’admettre les particularités un peu étranges du monde rural se retrouve encore chez les instituteurs de 1861. En les lisant, il faut donc relier le discours qu’ils tiennent sur les finalités socio-culturelles de leur travail à leur vision de ce « peuple des campagnes » qu’ils accueillent à l’école. On comprendra alors que leurs justifications professionnelles soient bien moins sensibles aux aspects démocratiques et méritocratiques de l’instruction qu’à un idéal de moralisation du peuple, c’est-à-dire de contrôle des mœurs et d’imposition de devoirs pratiques.

1. Finalités de l’enseignement primaire

  • 2 Quelques références théoriques apparaissent malgré tout ici ou là, comme dans le mémoire de Charles (...)

3Les termes « éducation » et « instruction » ne sont pas très fermement définis dans ces textes de 1861. Peu différenciés par un usage spontané plus que réfléchi, ils sont tous les deux synonymes d’un concept plus général qui pourrait être celui de l’« Ecole » ou de l’« Enseignement primaire », pour dénoter la pratique du maître avec les résultats qu’elle cherche à obtenir2. Pour nous en revanche, la distinction est assez nette, puisque nous entendons l’éducation comme une transmission de valeurs et l’instruction comme une transmission de savoirs. Nous devons par conséquent supposer que les instituteurs traitent des finalités de l’instruction quand ils pensent les effets idéaux des savoirs enseignés (en termes de compétences), et qu’ils traitent des finalités de l’éducation quand ils pensent les effets idéaux des valeurs inculquées (en termes de conduites).

Des finalités techniques aux finalités sociales de l’instruction

  • 3 Arch. Nat. F17 10793, Mayenne. Paul Bouilly dit également qu’un paysan instruit est capable de trac (...)
  • 4 Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.

4Les instituteurs assignent d’abord à leur métier un but utilitaire. Il est probable qu’un tel argument sert aussi à démontrer aux paysans les avantages de l’école et les propres mérites des maîtres, comme on l’a déjà constaté à propos de l’enseignement agricole. C’est la raison pour laquelle ils affirment se préoccuper avant tout des savoirs épistolaire et comptable. Pourquoi, s’interroge Paul Bouilly, d’Epineux-le-Seghin (Mayenne), le père de famille devrait-il quitter ses travaux et perdre son temps et son argent pour aller à la ville voisine consulter l’avoué, l’huissier, le notaire, afin de donner une quittance, de rédiger un acte sous seing privé ou même d’écrire à « sa fille absente et en condition ou à son fils qui est à l’armée » ? Pourquoi serait-il voué à « mettre les tiers dans la confidence de ses amitiés, de ses antipathies et de ses affaires »3 ? Jean-Marie Bruguières, de Montagut (Tarn-et-Garonne), tout aussi persuadé que son enseignement préviendra ces désagréments, ne manque pas de dicter des lettres de famille en prenant pour exemples le militaire qui écrit à ses parents, le métayer à son maître, etc., donc tout ce qui prépare les enfants à « tenir une correspondance analogue à leur position ». De même, en calcul, fait-il copier des mémoires d’ouvriers « ou d’autres industriels avec lesquels les paysans ont d’ordinaire des relations »4.

  • 5 Arch. Nat. F17 10793, Loire-Inférieure.
  • 6 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.
  • 7 Arch. Nat. F17 10780, Saône-et-loire.
  • 8 Césaire Beaudry, La Flèche, Arch. Nat. F17 10768, Sarthe.

5Que ces conditions soient remplies et les instituteurs promettent des enfants confortés dans leur condition laborieuse. Jean-François Boudet, de Sainte-Pazanne (Loire-Inférieure), reprenant ce terme de « sciences » prononcé avec défiance voire hostilité par les paysans, avoue que sans doute il ne les fera pas apprendre aux élèves, puisqu’il ne les connaît pas lui-même ; car il cherche seulement à préserver la classe ouvrière « du danger et du désœuvrement » en lui faisant acquérir « des connaissances qui puissent lui être utiles dans l’état où elle se trouve » et non « des connaissances dangereuses dont l’effet pourrait dégoûter du métier de cultivateur »5. L’école est donc perçue dans un rôle de frein à la désertion des campagnes ; elle enracine les populations agricoles dans leur monde, elle les stabilise en leur faisant aimer la condition à laquelle elles sont destinées. Jean Lagardère, du Bouscat (Gironde), dit exactement que l’enseignement primaire « attache » les paysans à leur sol natal6, de même qu’Henri Piguet, de Plottes (Saône-et-Loire), parle d’enfants rendus « honnêtes, utiles, bons, polis, vertueux » et dès lors « attachés à leur clocher, à leurs champs comme l’enfant à sa mère, le soldat à son drapeau et le bon citoyen à sa patrie »7. Autre raison d’insister sur l’enseignement agricole qui peut, mieux que tout autre s’il est « mesuré aux nécessités rurales », faire comprendre la valeur du travail de la terre. C’est dire que l’émigration vers les villes vient du fait que les jeunes gens n’ont jamais entendu à l’école parler du métier de leur père « et qu’ils se sont imaginé que labourer la terre était la dernière industrie »8.

Finalités morales de l’instruction et de l’éducation

  • 9 Arch. Nat. F17 10764, Landes. Beaucoup de remarques sur ce thème, évidemment, dans les mémoires. Po (...)
  • 10 André Laumet, de Labastide-du-Temple (Tarn-et-Garonne), Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.
  • 11 Auguste Lépine, d’Autry (Ardennes), Arch. Nat. F17 10775, Ardennes.
  • 12 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.
  • 13 Campagne, de Saint-Aubin (Landes), Arch. Nat. F17 10764. Jean Merle, de Saint-Macaire (Gironde), Ar (...)

6L’utilité technique, l’utilité sociale et l’utilité morale sont naturellement et intimement liées, car l’école est censée produire des effets au-delà du savoir qu’elle dispense : elle contribue à former une personnalité, elle moralise. « Instruire, c’est moraliser » dit même Pierre Bordenave, de Capbreton (Landes)9. Et si l’on pose que les habitants des campagnes doivent être mis « en rapport avec les progrès intellectuels du siècle, comme avec ceux de la civilisation »10, on comprend que cette action moralisatrice soit en outre une action civilisatrice. Les termes de « moralisation » et de « civilisation » sont d’ailleurs fréquemment associés dans des formulations du type : « la moralisation et la civilisation de nos campagnes... »11. Jean Lagardère écrit dans ce style : « en civilisant, en rendant les hommes plus instruits, plus moraux... »12. Cette problématique fondamentale amène en outre de bizarres compromis conceptuels, comme dans un texte qui promet à l’enfant de la campagne un « enseignement pratique », mais tel qu’il le disposera « avant tout à connaître ses devoirs envers Dieu, envers sa famille, envers lui-même »13.

  • 14 Arch. Nat. F17 10779, Hautes-Alpes.
  • 15 Arch. Nat. F17 10791, Haute-Vienne.
  • 16 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.

7Lorsqu’ils définissent l’éducation au cœur de leur pratique, les instituteurs la règlent par conséquent sur une morale dont la substance est le respect et la soumission. Une soumission très ordinaire pourrait-on dire, à des autorités immédiatement visibles c’est-à-dire à des « supérieurs ». C’est le contraire de l’autonomie. Par l’éducation, explique Adrien Bourcier, du Bersac (Hautes-Alpes), « le jeune enfant devient souple, poli, obéissant, affable, et plus tard un homme respectueux envers les supérieurs que la providence lui donnera »14. Il faudrait, propose Michel Duprot, de Chaillac (Haute-Vienne), faire lire aux élèves de petits traités édifiants qui, à côté des ouvrages scientifiques (d’agriculture ou de physique par exemple), leur raconteraient des actions loyales et généreuses, grâce à quoi « le dévouement à ses semblables, la soumission aux lois et la probité prendraient racine dans les âmes neuves d’impressions... »15. Léopold Souillart, d’Aix Noulette (Pas-de-Calais), conçoit l’enseignement de la géographie lui-même comme une introduction à la connaissance des hiérarchies institutionnelles, des autorités civiles, religieuses ou militaires. Voilà, s’exclame-t-il, « la géographie de l’enfance »16 !

  • 17 Voir O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 3, p. 482.
  • 18 Jean Niclot, de Landres et Saint-Georges (Ardennes), Arch. Nat., F17 10775.
  • 19 Cottin, de Saint-Symphorien (Isère), Arch. Nat. F17 10779.

8C’est dans cette orientation tout à fait traditionaliste, assez éloignée de celle de Léopold Charpentier, que la plupart des mémoires reprennent la formule principale du règlement du 17 août 1851 d’après laquelle le maître a pour première tâche d’« inspirer aux enfants le sentiment de leurs devoirs envers Dieu, envers leurs parents, envers leurs semblables, envers eux-mêmes »17, et qu’ils exposent dans leurs commentaires de vigoureuses professions de foi conformistes. L’un donne à son travail le but unique de réaliser un homme religieux, moral, probe, « aimant l’ordre social établi, ami du travail et du devoir », de jugement sain et droit, « ennemi des fausses doctrines et des agitations sociales, modéré dans ses goûts et sachant vivre heureux et tranquille dans la position où la providence l’a placé »18. L’autre affirme qu’il faut « à tout prix » essayer de faire des élèves qui sont ces enfants de la campagne, « de bons chrétiens, de bons serviteurs de l’Etat, de bons pères de famille, d’honnêtes citoyens et de bons cultivateurs »19, et ainsi de suite.

  • 20 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.
  • 21 Arch. Nat. F17 10793, Mayenne.

9Le principe conservateur de ces harangues est explicitement posé comme une manière d’assentiment à la politique impériale. Charles Ben, d’Escalles (Pas-de-Calais), veut par exemple que l’éducation de l’enfance soit à la fois « une œuvre d’autorité et de respect » et un « apprentissage du dévouement aux principes conservateurs de l’ordre social, et dont le souverain en est (sic) le puissant et glorieux symbole »20. Ce genre de formule abondamment véhiculé par la presse et dans les discours officiels signale une déférence un peu trop ostentatoire pour être absolument sincère. Mais certains en font un usage personnel assez enthousiaste ; ils en rajoutent, comme celui qui dessine un médaillon en exergue duquel s’inscrit en lettres éclatantes : « Vive Napoléomagne », ou comme ceux qui ornent l’en-tête de leur mémoire de serments de fidélité ou de déclarations d’allégeance. Exprimant le souhait d’avoir ces sortes de livres de morale pour la classe, Michel Dugas, de Torcé (Mayenne), demande qu’en plus de rappeler aux enfants leurs devoirs religieux et moraux, ces manuels relatent21 :

« les glorieuses victoires de celui dont l’aigle en relevant nos autels, a su faire naître dans notre beau pays cet esprit de concorde, cet amour de l’ordre et cette fidélité constante à obéir aux lois qui nous gouvernent. »

  • 22 Jean Martin, à Orpierre (Hautes Alpes), Arch. Nat. F17 10779.
  • 23 Gilbert Rouel, de Serdoux (Haute-Vienne), F17 10791.
  • 24 Arch. Nat. F17 10788, Seine-et-Oise.

10Il y en a pour tout le monde. Et quelques-uns en profitent pour désigner plus nettement leur adversaire, s’élèvent contre Proudhon22, ou stigmatisent « les mauvaises passions non encore étouffées du socialisme »23. C’est bien la fraction résolument conservatrice qui prend la parole haut et fort, d’autant qu’elle est la seule autorisée à le faire (faut-il répéter que toute affirmation de sens contraire est radicalement impossible ?). Rares sont les propos où perce ne serait-ce qu’une petite nuance de mauvaise humeur à signification politique. Il faut déjà une grande audace pour affirmer, comme Ernest Lamouche, de Bures (Seine-et-Oise), que la loi de 1850 a introduit un « régime rétrograde » dans les écoles normales24. A part sur l’Eglise et les congrégations le silence et l’omission sont la règle, on a vu pourquoi.

  • 25 Arch. Nat. F17 10775, Ardennes.

11Dans cette optique, la religion-du moins celle du catholicisme traditionnel-est convoquée à son tour pour accomplir une fonction coercitive. On lui demande d’inculquer les vertus de patience et de résignation qui peuvent calmer les souffrances des pauvres avec celles des riches, comme dit André Laumet. Jean Niclot, qui invite à se contenter du sort réservé par la Providence, est lui-même convaincu que la religion « fait l’homme résigné, patient, laborieux », et que la morale règle sa conduite, lui apprend ses devoirs et « le force en quelque sorte à les bien remplir »25.

  • 26 Arch. Nat. F17 10791, Haute-Vienne.
  • 27 Arch. Nat. F17 10778, Somme.
  • 28 Arch. Nat. F17 10764, Landes.

12La présence de l’enseignement religieux dans le programme élémentaire est généralement approuvée avec ardeur. Bien sûr, il est de nombreux mémoires qui n’en disent mot, et qui peut-être n’assument un désaccord que par ce minimum d’indifférence. On n’aperçoit sur ce plan aucune opposition franche alors que sont révélés de graves conflits avec les curés et les congrégations. En revanche, quelques textes montrent une approbation exaltée et citent en particulier le règlement de 1851 – qui oblige à placer un Christ bien en vue dans la classe (article 20), mais pour exiger d’autres aménagements de ce type. Gilbert Rouel voudrait une véritable alcôve, avec des statues de la Sainte Vierge, du Saint Patron et du Christ au milieu, le tout fermé par des rideaux qu’on ouvrirait au moment de faire la prière26. Thimothée Paradis, de Hangard (Somme), demande qu’on rajoute à la liste des symboles obligatoires une petite statuette de la Sainte Vierge car, dit-il, l’introduction dans l’école de l’image de cette bonne mère « ne serait pas d’un médiocre secours pour la moralisation de l’enfance »27. D’autres maîtres se prononcent pour que l’école soit construite dans un lieu particulier, apte à recevoir des influences bénéfiques, et c’est bien sûr à proximité de l’église. E. Lataste, de Peyre (Landes), émet ce souhait en supposant qu’un tel voisinage formera dans le cœur des enfants « des impressions pures et religieuses » au lieu des mauvais exemples qu’ils subissent dans la vie courante28.

  • 29 Arch. Nat. F17 10779, Hautes-Alpes.
  • 30 Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.

13Sur ce chapitre des obligations religieuses, on trouve en outre des déclarations passionnées, enflammées, et quelque peu amphigouriques. Louis Grignon, d’Embrun (Hautes-Alpes) agrémente son texte d’un grand dessin, un crucifix auréolé d’un alphabet scintillant et portant deux mentions, l’une au dessus : « L’éducation avant tout », et l’autre en dessous : « Liberté, fraternité, sincérité »29. Voici deux exemples de ces passions religieuses. D’abord André Laumet qui, s’interrogeant sur les besoins des élèves, place en tête la religion (comme il est officiellement formulé). Puis il ajoute que l’instruction primaire30 :

« doit être basée sur les principes bien compris de notre religion, qui est la voie la plus parfaite, au sein de laquelle nous trouvons les exemples les plus purs que nous devons suivre pour obtenir la gloire de Dieu et le salut de nos âmes ; de cette religion si sublime qui a été établie par Notre Seigneur Jésus Christ ; de cette religion toute de charité qui fait consister le bonheur des riches dans les secours aux pauvres ; qui porte tant de consolations dans la chaumière ; qui donne tant de force pour supporter avec calme les souffrances qui gisent sur l’humble grabat de l’indigence, comme celles qui sont entourées des adoucissements de la fortune ; de cette religion qui inspire et commande aux pères et aux mères tant d’amour, tant de moyens de pourvoir aux besoins de leurs enfants, et à ceux-ci l’amitié, la reconnaissance, le respect et la déférence qu’ils doivent avoir, non seulement pour les auteurs de leurs jours, mais encore pour tous les supérieurs spirituels et temporels, particulièrement pour notre gouvernement qui a tant de titres à la sympathie publique ; de cette religion qui élève si haut l’amour du devoir et celui du sacrifice ; qui fait dévouer tant de personnes à son service, et tant d’autres des plus éminentes, au service de la patrie et des intérêts publics... » [le texte se poursuit encore longuement sur cette lancée].

  • 31 Ibid.

14Autre texte intéressant parce qu’il exprime une religiosité de tendance mystique mais assortie d’une poétique scientiste assez étonnante, celui de François Gargaros, du Cuzoul, à Castanet (Tarn-et-Garonne), qui réfléchit sur la trinité, et découvre qu’elle est dans un « premier moteur ». Il explique alors31 :

« Il faut que ce moteur soit comme un foyer lumineux, d’où doivent partir des traits d’une électricité spirituelle, qui atteignent ces jeunes intelligences qui sont renfermées dans des corps véritablement diaphanes, et qui ne manqueront point, à l’instar du caméléon, de s’imprégner des différents traits de lumière que leur transmettra le modèle sur lequel elles se mireront ; reflétant ces mêmes rayons qui les auront illuminés, et projetant autour d’elles à cause de leur transparence des faisceaux de lumière qui iront se répercuter jusqu’au centre de leur premier départ ; démontrant ainsi plus claire et plus belle en quelque sorte, l’Etoile qui les guide et les éclaire dans les ténèbres de l’espace, de l’immense nuit qui environne leur esprit ; qui les réchauffe en même temps pour faire évaporer le nuage qui les empêche de voir une plus grande lumière, dont il n’est lui même qu’une faible image : Dieu, terme final où notre esprit sera rappelé vers ce principe d’où il est émané ; afin de s’y reposer et de s’y perdre dans une éternelle félicité, de même qu’un fleuve dans l’immensité de l’océan. »

2. Les instituteurs et les paysans

  • 32 François Richard, d’Hattstadt (Haut-Rhin), Arch. Nat. F17 10794.
  • 33 Jean Bellot, de Saint-Jean de Vaulx (Isère), F1710779.
  • 34 Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, éd. de 1952 (1re édition, 1856), p. 173.

15Entre les maîtres et leurs élèves, entre ceux qui éduquent et ceux qui sont éduqués, la distance construit un ordre, c’est-à-dire une hiérarchie culturelle et morale, bien différente de ce qui serait le rapport simple d’une offre à une demande d’éducation. L’école est donc le lieu où l’on apprivoise « de petits sauvages32, et « où l’enfant doit se régénérer [...] se dépouiller de ces mœurs rudes, de ces usages grossiers qu’il trouve souvent parmi la populace qu’il fréquente et même à la maison paternelle »33. Cette rupture radicale entre les valeurs de l’école et celles des familles-un schéma qui permet sans doute de se séparer, ou plutôt de se distinguer du monde paysan, du moins de ses fractions inférieures (Tocqueville, dans L’Ancien Régime et la Révolution, notait qu’un trait caractéristique de la bourgeoisie, c’était « la crainte de se voir confondue avec le peuple »34) cette rupture donc, engendre dans les mémoires un ton d’impatience agressive, qui conduit les maîtres à examiner et flétrir les défauts et les vices de leurs élèves bien plus qu’à louer leurs qualités et leurs vertus éventuelles.

  • 35 Voir C. Robert, De l’ignorance..., op. cit., chap. 1, dans lequel on trouve plusieurs cas de ce typ (...)
  • 36 Ibid., p. 11 ; il s’agit d’un mémoire des Vosges.
  • 37 Ibid., p. 5 (Cantal), p. 22 (Landes).
  • 38 Ibid., pp. 3 et 4 (Seine-et-Oise).

16Le reproche le plus fréquemment adressé aux populations rurales concerne leur indifférence à l’égard de l’instruction. Même des conseillers municipaux ou des maires, nous dit-on, montrent une telle négligence, ce qui augure mal du sérieux avec lequel les autorités traitent ensuite les questions scolaires35. Quand ils n’estiment pas indispensable ou pas important de savoir lire et écrire, les paysans préfèrent employer les enfants aux travaux de la ferme, et s’ils les font quand même admettre à l’école, ils n’hésitent pas à les retenir auprès d’eux sous les prétextes les plus futiles, comme fit ce père qui, après avoir découvert un nid d’oiseaux, emmena son fils cinq ou six jours de suite compter les œufs36. D’après Charles Robert, 30 % des mémoires sélectionnés évoquent de telles attitudes, qu’ils illustrent en transcrivant des propos émis ici ou là, du type : « Nos pères ont bien vécu sans savoir lire ; nous avons bien fait comme eux ; pourquoi nos enfants ne feraient-ils pas comme nous ? ». Ou bien : « Je n’ai jamais été à l’école [...] et je cultive ma terre aussi bien que tel ou tel qui sait lire et écrire. Mes enfants seront comme moi »37. Des exemples similaires viennent de tous les départements. On entend dans le Pas-de-Calais : « Mon fils en sait assez pour suivre l’état de son père... » ; en Eure-et-Loir : « Je n’ai jamais rien su ; mes enfants seront comme moi ; on peut bien gagner sa vie sans instruction » ; ou bien encore plus folkloriquement en Seine-et-Oise38 : « Ah Monsieur, quand je demandions à nos parents pourquoi qu’ils ne nous envoyaient pas à l’école comme les autres, ils nous repondiont : j'avons toujours ben vit sans savoir lire et écrire, vous ferez comme nous. »

  • 39 Par exemple François-Célestin François, de Rebreuviette (Pas-de-Calais), Arch. Nat. F17 10777.
  • 40 Césaire Beaudry, de La Flèche (Sarthe), Arch. Nat.F17 10768.
  • 41 Nous traitons ici le thème n° 14. Voir aussi les extraits publiés par Charles Robert dans De l’igno (...)

17Il est certain que l’école rencontre ici ou là une résistance endémique (assez minoritaire) qui a de multiples causes-culturelles, économiques, démographiques, etc. Mais, de la part des instituteurs, ce phénomène ne fait l’objet que d’une interprétation morale, comme si les paysans étaient seulement déterminés par des habitudes malsaines et une mauvaise volonté. S’ils fuient la misère en s’embauchant dans les fabriques aux salaires pourtant fort modestes, c’est qu’ils sont attirés par la vie facile des villes39 ; et s’ils mettent un enfant à la garde du bétail, ils le précipitent vers le mal car ils lui font contracter « des habitudes licencieuses » dont il ne pourra plus se défaire et qui le conduiront un jour à commettre des crimes40 ! Raccourci saisissant, on en conviendra, qui fait de l’enclos à vaches la première étape d’un chemin qui mène inéluctablement à la prison... Les maîtres réprouvent ou condamnent sur ce mode tout une série de comportements anti-éducatifs41, et, avec des accents de grande sévérité, ils n’annoncent plus que des lendemains catastrophiques. Dans cette vision très conservatrice (par différence avec ce qui nous est apparu progressiste sur d’autres plans), c’est, une fois de plus, non le présent mais le passé qui est valorisé : l’« avant » et l’« autrefois » sont évoqués avec nostalgie comme le moment heureux où n’existait pas encore de hiatus entre les bons principes et la réalité de la vie.

  • 42 Arch. Nat. F17 10778, Somme.
  • 43 Ludovic Level, de Ransart (Pas-de-Calais), Arch. Nat. F171077.
  • 44 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.
  • 45 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.

18Une grave cause du « dévergondage de la jeunesse », selon Jean-François Vasseur, de Maurepas (Somme), c’est cette « éducation de la rue » que choisissent aujourd’hui les parents quand ils laissent les enfants courir du matin au soir pour ne pas « en être hébétés [...] en les entendant criailler, disputer et pleurer autour d’eux »42. Voyez surtout, nous disent les instituteurs, l’effacement des liens familiaux, la disparition de « ce profond sentiment de l’amour filial qui régnait autrefois » dans les campagnes, avant que les gens renoncent à la réserve et à la gravité et se permettent parfois devant les enfants « ce qui est mal »43. Partant de ces constats, les maîtres se sentent alors fondés à endosser un rôle paternel. Comme les parents ont perdu « leur véritable caractère » et ne savent plus se faire respecter, affirme Octave Forty, d’Izel-les-Hameaux (Pas-de-Calais), c’est « l’instituteur lui-même qui doit tenir lieu de père »44. Au fond, dit même Louis Corvisier, de Cadaujac (Gironde), « un enfant n’a pas de plus mortel ennemi que son père »45.

  • 46 Comtesse de Ségur, La fortune de Gaspard, op. cit., p. 8.
  • 47 Charles Robert, De l’ignorance..., op. cit., p. 10 (Bas-Rhin).
  • 48 Ibid., p. 14 (Calvados).
  • 49 Ibid., p. 16 (Seine-Inférieure). La situation de domestique rappelle tout à fait le livre d’E. Guil (...)

19A travers cette ethnographie moralisatrice surgit donc la répugnance et même le dégoût traditionnels de la rusticité. Réaction au demeurant courante, comme le montre un roman de la comtesse de Ségur où l’un des personnages s’entend dire : « Tu resteras toujours un pauvre paysan, bête, malpropre et ignorant »46. Les maîtres d’école nous assurent que les paysans sont indécents, injurieux, injustes, cruels envers les animaux domestiques. Qu’ils mènent des vies de brutes, qu’ils sont d’une grossièreté inénarrable, qu’ils contractent toutes sortes de maladies, qu’ils ignorent toute hygiène et n’ont d’ailleurs aucun soin de leur vêture : les femmes ne sachant pas raccommoder les habits (le tricot et la couture sont inconnus de la moitié des jeunes filles au moment de leur mariage), les enfants n’ont pas la moindre honte de porter en toutes circonstances des hardes déchirées47. Selon un instituteur normand, un tableau exact des mœurs campagnardes ferait peur, car dans cette partie du pays d’Auge qu’il habite, les paysans « sont presque tous, comme les sauvages de l’Amérique du Nord, brûlés corps et âme par l’eau de feu ». J’ai vu, ajoute l’auteur de ce témoignage, « des mères accompagnées d’enfants de huit ans passer leur journée au cabaret » ; et un père prétendit un jour « qu’il fallait qu’un enfant s’habituât de jeune âge à boire de l’eau-de-vie afin qu’elle lui fît moins de mal quand il serait grand »48. Parmi les parents qui livrent les enfants au travail salarié, soit dans les fabriques, soit comme domestiques, certains vont même boire au cabaret l’argent si péniblement gagné49.

  • 50 Ibid., p. 7 (Tarn), et p. 11 (Vosges).
  • 51 Césaire Beaudry, de La Flèche (Sarthe), Arch. Nat. F17 10768, et Salomon Lévis, de Biesheim (Haut-R (...)

20Ces jugements conduisent à représenter les mœurs campagnardes comme affectées par une sorte de pathologie aboutissant à un retour dans la sauvagerie des premiers temps. En ce qui concerne leurs habitudes mentales, les paysans nous diton, sont en proie à toutes sortes de préjugés et de superstitions. Ils devisent sur leurs songes, ils font venir des sorciers pour des caricatures de messes destinées à un cochon ou un cheval malade, ils s’abstiennent de couper les foins ou de faucher les seigles si le « macabré » (la voie lactée) est tournée de telle ou telle façon, ils s’interdisent d’enlever les litières des animaux entre Noël et la Circoncision, etc.50. Et puis, lors de ces veillées où rien n’est respecté, où les réputations sont défaites, on lit des mauvais romans ou des contes, et des commères débitent des histoires de revenants ou les aventures des brigands célèbres51. Rien d’étonnant à ce que ces gens restent attachés à des routines rétrogrades et qu’ils n’acceptent aucun des progrès du siècle en ce qui concerne les travaux agricoles. Beaucoup d’entre eux n’ont pas même adopté le système légal des poids et mesures.

  • 52 Sur cette question, voir M. de Certeau, D. Julia, J. Revel, Une politique de la langue, Paris, Gall (...)
  • 53 Voir P. Boutan, La langue des messieurs, op. cit., pp. 74 et suiv. ; et P. Giolitto, Abécédaire et (...)
  • 54 Arch. Nat. F17 10779, Hautes-Alpes.
  • 55 Jean-Baptiste Lefort, de Chamboret (Haute-Vienne), Arch. Nat. F17 10791.
  • 56 Arch. Nat. F1710775, Ardennes.

21Un constat résume à lui seul les aspects à la fois étrangers et inquiétants du monde rural, et c’est celui portant sur les patois. Une plainte contre le jargon « funeste » ou « odieux » s’élève en effet de toutes les régions concernées, du Sud au Nord, de l’Ouest à l’Est, du catalan ou du basque au breton ou au picard. Il est vrai que, depuis longtemps, l’Etat enseignant a mené une lutte contre les particularismes linguistiques52, qui furent officiellement bannis de l’école primaire par les règlements de 1851 et de 185 353. Les inépuisables doléances des instituteurs sur des patois qui signent la grossièreté du monde paysan, sur tel ou tel idiome qui n’est qu’une langue dégradée, un « français corrompu », etc., sont donc plus qu’encouragées. La langue de mes élèves, affirme Borel, de L’Epine (Hautes Alpes), « est tellement défigurée dans ses articulations, tellement altérée dans le son de ses voyelles, qu’il n’y reste presque plus rien de français »54. Souvent, les mémoires détaillent ce côté incompréhensible, cette allure de « baragouinage inintelligible »55, décriant aussi les mères qui enseignent les prières en patois, ou les curés bretons qui n’enseignent pas le catéchisme en français. Si un instituteur de chez nous était envoyé en Chine pour y enseigner sa propre langue aux enfants de là-bas, on imagine quelles seraient ses difficultés, suggère P. Héliès. Or l’enfant de la campagne qui entre dans une école pour la première fois se trouve aussi dépaysé en face d’un homme qui lui parle français que le serait « un enfant du Céleste empire ». Le patois ajoute donc un obstacle radical à ceux déjà rencontrés par le maître, notamment la présence épisodique des élèves. Auguste Fouquet, de Châtel-Chéhery (Ardennes) laisse transparaître un désarroi comparable et il avoue son impuissance dans ces termes56 :

« si encore il était possible d’extirper de nos mœurs ce patois, ce jargon inintelligible qui s’oppose et nuit tant à l’étude et aux progrès de la langue maternelle, ce serait assurément une des plus belles conquêtes que puisse faire notre belle France. Il est vrai qu’un instituteur obtient toujours que ses élèves parlent français en classe et lorsqu’ils sont en sa présence ; mais hors de là quand ils sont dans la rue ou chez leurs parents qui parlent ce maudit patois, sauf quelques rares exceptions, il est très difficile d’obtenir que les enfants conservent le langage habituel de l’école. Des instituteurs ont fait maints essais, ils ont employé récompenses et punitions, et n’ont réussi que pour un petit nombre, dont les parents ont puissamment coopéré à cette extirpation si salutaire et si efficace ».

  • 57 Voir sur ce point F. Muel, Le métier d’éducateur, op. cit. Il faut préciser toutefois qu’une enquêt (...)

22Pas d’autre solution, dans cette perspective, que d’éradiquer, d’extirper le patois, ce qui montre une fois de plus la profondeur des ruptures que l’école prononce, au nom d’une conscience très dévalorisante et méprisante, avec la culture spontanée des élèves. Nous sommes encore loin de la vision bienveillante des traditions paysannes qui interviendra plus tard, sous la Troisième République, quand les instituteurs commenceront – avec plus ou moins de bonheur – à se faire folkloristes de la ruralité57.

Les enfants

  • 58 Arch. Nat. F17 10786, Loir-et-Cher. Il s’agit ici du thème no 15.

23Des récriminations proférées à l’endroit des parents se déduisent immédiatement celles adressées aux enfants, ne serait-ce que parce qu’ils ont subi les influences néfastes et contracté les mauvaises habitudes. On constatera que René Merlin (voir son mémoire en annexe), développe une opposition fondamentale entre les enfants dociles et bien élevés d’une part et les enfants vicieux et mal élevés d’autre part. Supposons, invite Louis Bourgouin, de Saint-Aignan (Loir-et-Cher), un chef d’exploitation appelé par ses affaires au marché voisin, et qui a confié un travail urgent à son fils aîné. Que se passera-t-il58 ? Le fils aîné,

« profitant de l’absence de son père, prend un fusil, part pour la chasse, et ne rentrera au logis qu’après avoir passé une partie de la nuit dans le cabaret du village. La ménagère, occupée au soin de son bétail, ne songe pas que sa fille est sortie furtivement pour aller s’ébattre aux sons discordants que tire de son violon le ménestrier du bourg [...]
Parcourez le village et vous rencontrerez un groupe essayant de savourer déjà la fumée d’une cigarette ; plus loin d’autres faisant sentinelle, tandis que de plus hardis ont franchi la clôture d’un verger pour en dévaster les fruits ; plus loin encore vous en verrez qui s’amusent sur le bord d’un précipice ou qui ne voient rien de mieux à faire qu’à insulter les vieillards et jeter des pierres aux passants. »

  • 59 Arch. Nat. F17 10764, Landes.

24C’est là un genre de propos typique de la variante moralisatrice que nous suivons. Pierre Bordenave affirme aussi que ses élèves59 :

« sont en contact immédiat avec une foule d’autres enfants indisciplinés, grossiers, souvent viciés parce qu’ils sont hors de l’école, avec lesquels ils jouent, ils parlent patois, ils s’émancipent, chaque jour davantage ; ils se pervertissent enfin : ils deviennent menteurs, méchants, incorrigibles, intraitables. »

  • 60 Pesseux, de Wittenheim (Haut-Rhin), Arch. Nat. F17 10794.

25Pourtant, à lire ces textes, nous avons bien plus l’impression d’assister aux espiègleries des gamins de La guerre des boutons qu’aux débauches fastueuses de ce « banquet du vice »60 que stigmatise l’un des mémoires. Mis à part quelques conduites qui relèveraient d’une petite délinquance ordinaire (insultes et jets de pierre), de quoi nous parle-t-on en effet si ce n’est de quelques menus plaisirs de l’enfance et de la jeunesse ? En tout cas, parmi les manières dont nous avons aujourd’hui du mal à comprendre le côté scandaleux, deux surtout retiennent l’attention des maîtres : la fréquentation du cabaret et l’habitude du vagabondage.

  • 61 Voir Arch. Nat. F17 11518, affaires disciplinaires et judiciaires (1834-1921).
  • 62 Ch. Robert, De l’ignorance..., op. cit., pp. 19 (Ardennes), 20 (Seine-et-Marne), et 21 (Mayenne).
  • 63 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.
  • 64 Arch. Nat. F17 10778, Somme.
  • 65 Voir sur ce point M. Agulhon, « La société paysanne et la vie à la campagne », loc. cit., p. 347.

26Dans cette période de surveillance de leur moralité, les instituteurs peuvent avoir de sérieux ennuis s’ils deviennent eux-mêmes habitués des cabarets et autres estaminets. L’article 3 du règlement du 17 août 1851 leur interdit de paraître en ce genre de lieux, et il y a eu effectivement des révocations pour ce motif61. Mais les mémoires en parlent à propos de garçons dès quinze ou seize ans, parfois plus jeunes encore. Dans le recueil de Ch. Robert certains textes assurent que des enfants de douze à quatorze ans s’introduisent dans les cabarets et les bals publics ; d’autres signalent des pères qui viennent se distraire avec des enfants de treize ans à peine, si bien que ces enfants, à peine sortis de l’école, « prennent la pipe, les cartes, et blasphèment comme les hommes »62. C’est ce que confirme Pierre Nicolle, de Lesparre (Gironde), d’après qui, dans les communes rurales, les enfants de quinze à seize ans et « même au dessous de cet âge », « fréquentent en partie les lieux publics, les petits estaminets », s’y réunissent, et « font la partie de cartes ou de billard, tolérés par les maîtres de ces maisons qui y ont intérêt »63. Jean-François Vasseur, de Maurepas (Somme) regrette surtout que dans de tels endroits, les enfants entendent des conversations « aujourd’hui plus licencieuses que du temps passé » (c’est encore le schéma de dévalorisation du présent), des propos qui, en un seul instant, détruisent les efforts de l’école et du catéchisme64. Une telle crispation sur des normes sans doute inspirées par le discours classique des curés (d’où les références au blasphème et au catéchisme) a chez les instituteurs ceci de particulier qu’elle aboutit à rejeter aussi bien la sociabilité traditionnelle de la veillée que la sociabilité nouvelle du café, lesquelles sont par ailleurs en concurrence. Car le cabaret de village se répand à cette époque dans le monde rural comme un type de rencontre fondamental aussi bien des jeunes que des hommes en général65, et ce qu’il peut avoir de positif, notamment son ouverture à la culture écrite et donc à la société globale puisque le journal y est lu, ne transparaît évidemment pas dans les mémoires.

  • 66 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.

27Quant au vagabondage (concept fondamental de la pensée éducative du XIXe siècle), il annonce également la définition strictement pénale du délit, selon une association typique dans ce discours moral. Napoléon Dupont, de Saint-Martin de Boulogne (Pas-de-Calais), nous averti66 :

« on voit avec peine, surtout en été, des enfants jouer des journées entières dans les rues ou vagabonder sans prétexte dans les champs. Ce sont des enfants de cette dernière catégorie que l’on rencontre dans les maisons de correction ; et moi, pour ma part, j’en ai vu condamner de l’âge de dix, onze et douze ans. »

  • 67 Ch. Robert, De l’ignorance..., op. cit., p. 23.

28En outre, ces textes traitent avec la même rigueur la relative liberté que certains parents, moins attentifs que d’autres, concèdent à leurs enfants. Vagabonder est donc seulement échapper à la surveillance des adultes pour s’ébattre par les chemins ou, dans le pire des cas, marauder en toute tranquillité dans les champs. Le pire, en effet, si l’on en croit l’un des maîtres de la Haute-Saône cités dans le recueil de Ch. Robert, qui se dit offusqué par des enfants qui, à la belle saison, sillonnent la campagne à la recherche des nids d’oiseaux (souvent mentionnés) et, au lieu de se rendre sagement en classe, vont batifoler dans les rivières et les mares où ils « se baignent avec frénésie, jusqu’à quarante et cinquante fois dans un jour », ce qui aboutit à affaiblir encore leur intelligence67.

  • 68 Michel Duprot, de Chaillac (Haute-Vienne) Arch. Nat. F17 10791.
  • 69 Arch. Nat. F17 10775, Ardennes.
  • 70 Jean Rouges, de Larrazet (Tarn-et-Garonne), Arch. Nat. F17 10798 ; Auguste Moreau, de Villeneuve-le (...)
  • 71 Th. Barrau, M.G.I.P., juin 1860, décembre 1860, et avril 1861, loc cit.

29Pour expliquer que les enfants arrivent bien souvent à l’école « sans autre connaissance que celle du mal »68, les instituteurs invoquent souvent une sorte de fatalité naturelle en plus de la mauvaise éducation. Ainsi développent-ils les arguments d’une psychologie très anti-rousseauiste, inspirée par la vision augustinienne de l’enfance déchue, vision que le catholicisme de l’époque véhicule toujours. Jean-Baptiste Felten, de Rémonville (Ardennes), prétend que les enfants, sujets si frêles et si délicats, sources de bonnes et de mauvaises idées, ont besoin « d’une direction et d’une surveillance de tous les instants » parce qu’ils ont en eux tous les germes du bon comme du mauvais », ce qui fixe à l’instituteur la tâche d’étouffer les seconds et de favoriser les premiers. Puis Felten achève son exposé en admettant : « Les enfants ont un penchant tout naturel qui les porte sans cesse vers le mal : c’est une nature perverse qu’il faut redresser et mettre dans la bonne voie »69. Texte hésitant donc, mais qui finit par souligner le côté du mal, celui de la nature, des instincts : « des instincts brutaux » selon les uns, un « instinct de dissipation » selon les autres, de « mauvais penchants », etc.70. Dans la littérature pédagogique plus ou moins officielle se fait jour également un tel pessimisme, à la hauteur de la traditionnelle sévérité cléricale, avec les mêmes compromis et parfois les mêmes confusions. C’est le cas de la série d’articles publiée par Barrau dans le Manuel Général entre juin 1860 et avril 1861, sur les « obstacles que les défauts des enfants opposent à l’éducation »71.

  • 72 Arch. Nat. F17 10786, Loiret.

30Cette recherche des tendances instinctives conduit parfois les instituteurs à parler, avec plus ou moins de discrétion d’ailleurs, de la sexualité des enfants. Quelques textes-rares sont explicites. Prosper Neveu, d’Orléans, affirme que72 :

« pendant les jeux, le soin du maître et sa surveillance devraient se porter particulièrement sur certains enfants qui s’isolent des autres, qui sont mornes, tristes ; souvent sous ces dehors de tranquillité se cachent les germes de vices affreux, d’habitudes funestes qui les conduiraient au tombeau si le maître surveillant et attentif n’était pas là pour neutraliser ce penchant au vice. »

  • 73 Ce règlement recommande en effet que les lieux d’aisance puissent être « facilement surveillés ». V (...)
  • 74 Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.
  • 75 Arch. Nat. F17 10765, Calvados.

31En fait, ce thème est posé à travers deux autres, qui sont eux-mêmes liés, celui des latrines – dont les maîtres demandent la construction ou l’aménagement, et celui de la mixité – dont ils exigent la suppression. Quand elle est en effet posée, la demande de latrines est toujours entourée de précaution relatives à la surveillance, ce qui est prévu par certains règlements comme celui pour les écoles maternelles du 22 mars 185573. Les textes du concours nous avertissent parfois, sans autre commentaire, que le regard du maître ne doit pas manquer de saisir cet endroit suspect, et qu’il doit le saisir aussi totalement que facilement : depuis le bureau ou l’estrade. Puisque nous savons, explique Jean Rouges, combien est grande la légèreté de l’esprit des enfants, cette seule considération est « assez puissante pour qu’on doive en conclure qu’une surveillance permanente est rigoureusement nécessaire »74. C’est pourquoi Pierre Chabriac, d’Eterville (Calvados), propose nettement, comme d’autres sur ce sujet, que, dans la cour de récréation, on établisse « une auge en pierre pour la propreté des enfants : puis un pissoir et des latrines placés de telle sorte que l’œil du maître puisse s’y poser facilement, même de son estrade »75.

Actions moralisatrices des instituteurs

  • 76 Ibid.

32Afin de pourvoir aux besoins éducatifs des populations rurales, Antoine Catherine, de Gonneville-sur-Honfleur (Calvados), propose la création d’une Société protectrice de l’homme qu’il voit fondée sur trois principes : se dévouer absolument à l’Empereur et à la famille impériale, se comporter dans le monde en suivant les règles de la morale, de la décence, de la justice, et de la probité, et s’interdire de boire de l’alcool76. Ce genre de solution traduit exactement ce qu’on pourrait appeler le style éducatif des instituteurs. Afin de redresser la situation morale dont ils ont décrit les graves faiblesses, ils envisagent toutes sortes de d’actions singulières, à commencer par l’instauration et le développement d’enseignements spéciaux.

  • 77 Arch. Nat. F17 10786, Loir-et-Cher.
  • 78 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.
  • 79 Ch. Robert, De l’ignorance..., op. cit., p. 62.

33Ce sont d’abord les filles qui ont besoin d’acquérir les compétences et les usages que réclame un foyer domestique bien tenu. Sur ce sujet arrivent autant de solutions concrètes qu’on pouvait l’imaginer. Hippolyte Dubois, d’Ouzouer-le-Marché (Loir-et-Cher) établit un programme qu’il juge complet, avec au centre les travaux d’aiguille certes, mais aussi un cours de « charité pratique », la préparation des cataplasmes, la manière de soigner un vésicatoire, d’appliquer quelques sangsues et de préparer quelques tisanes77. Qu’elles sachent au moins, dit Jacques Bens, de Blangerval (Pas-de-Calais), laver leurs vêtements, pour qu'on ne voie plus « des personnes du sexe dégoûtantes de saleté, avec des habits presque neufs »78. Une restriction toutefois, signalée par les mémoires de Ch. Robert, concerne l’apprentissage de la broderie, qui inviterait malencontreusement les jeunes filles à mépriser leur état, et à envier la frivolité des demoiselles79.

  • 80 Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.

34Ce sont ensuite les écoles du dimanche qui ont la faveur des instituteurs et qui sont sans doute la meilleure expression de leur volontarisme éducatif : aux grands maux les grands remèdes. Jean Rouges poursuit sa demande d’une surveillance permanente des élèves par cette proposition, urgente à réaliser selon lui80 :

« Quand on voit cette dissipation, ces espiègleries, ces jeux bruyants, ces polissonneries qui proviennent de tous les enfants de la commune, lorsque les écoles sont fermées, on ne peut qu’être assurément affligé et demander à hauts cris que l’instituteur soit obligé de garder les enfants qui fréquentent l’école les jours de dimanche et de jeudi, lorsqu’une cour, un préau, des lieux d’aisance se trouvent ajoutés à leur école. Par là, l’élève sera, en quelque sorte, constamment dirigé vers le but en vue duquel les parents le confient aux soins de l’instituteur ; par là encore la voie du vice ou de fâcheuses habitudes sera fermée aux enfants des écoles. »

  • 81 Arch. Nat. F17 10794, Haut-Rhin.

35Même si l’idée semble évoquée ici avec un certain maximalisme, on peut croire qu’elle est sérieusement émise, car elle est dans la logique du propos, et dans celle d’autres mémoires. Plus modestement par exemple, Salomon Lévis, de Bisheim (Haut-Rhin), suggère de réunir le dimanche après la messe les enfants de treize à dix-huit ans, donc sortis théoriquement de l’école, pour leur faire des lectures instructives, pour leur expliquer les découvertes de la science, notamment celles utiles à l’agriculture, et enfin pour les informer sur leurs droits et leurs devoirs de citoyens. Nous voici proches des conférences populaires de la Troisième République81. Plus simplement encore, Jean-François Vasseur souhaite occuper les enfants à des jeux et des promenades.

3. Contre la mixité

36C’est aussi pour lutter contre l’éclosion des bas instincts qu’un grand nombre de mémoires se prononce contre la mixité et veut obtenir la séparation des garçons et des filles en des écoles distinctes. Dans le recueil de Ch. Robert, la suppression des écoles mixtes est demandée par 240 participants, soit 21 %. On peut donc reconstituer sous cet angle précis la vision éducative des instituteurs en examinant du même coup la problématique morale et les fantasmes qui y sont libérés dans le contexte et les débats de l’époque.

  • 82 Une première version du texte qui suit a été publiée dans C. Baudoux et C. Zaidman (dir.), Egalité (...)
  • 83 C’est un décret du 27 brumaire an III qui oblige à séparer les sexes à l’école primaire. Voir F. Bu (...)
  • 84 Voir O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 1.
  • 85 Abbé Affre, Nouveau traité des écoles primaires. Manuel des instituteurs et des institutrices, Amie (...)

37La règle de séparation des sexes à l’école est ancienne82, et elle a été maintenue tout au long du XIXe siècle par les gouvernements successifs. La Révolution a tergiversé entre 1793 et 1794, imposant la mixité un jour et l’interdisant un autre jour83. Mais la Restauration, dès l’ordonnance du 29 février 1816, rappelle que « les garçons et les filles ne pourront jamais être réunis pour recevoir l’enseignement » (article 32), ce qui contraint les instituteurs isolés à accueillir les garçons le matin et les filles le soir84. Et l’Eglise d’insister pour qu’on ne favorise pas la rencontre des deux sexes, ou du moins, si le rapprochement est inévitable, pour qu’on rende impossible toute « communication suspecte », tous les regards et tous les signes. En 1826, l’abbé Affre, vicaire général d’Amiens – et futur archevêque de Paris – écrit dans son Nouveau traité des écoles primaires85 :

« loin de désirer la réunion des enfants des deux sexes, les instituteurs ne doivent rien négliger pour en faciliter la séparation. On ne saurait trop engager les communes rurales à ne jamais avoir deux instituteurs : il vaut infiniment mieux avoir un instituteur et une institutrice, par ce moyen on sépare les filles et les garçons. Ceux des maîtres qui, par intérêt s’opposeraient à l’établissement d’une école de filles, seraient indignes de leurs fonctions, puisqu’ils mettraient obstacle à une chose si importante pour les bonnes mœurs. »

  • 86 O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 1, p. 262 pour l’avis du 13 août 1833, et t. 2, p. 264 p (...)

38Ainsi l’école primaire prolonge-t-elle, sur ce point au moins, la plus ancienne tradition qui veut christianiser les âmes en moralisant les mœurs. Mais on devine qu’à la longue, la demande de scolarisation des filles va faire obstacle à cette règle de séparation des sexes, puisque les petits villages, bien sûr, n’ont pas les moyens de subventionner une autre école avec un traitement d’institutrice. C’est pourquoi, après la loi Guizot, on autorise l’admission des filles avec les garçons (avis du Conseil royal de l’Instruction publique du 13 août 1833). Sans doute préférerait-on une autre solution, à savoir que les communes voisines s’associent, l’une se chargeant de l’école des garçons et l’autre de l’école des filles. Mais ce n’est pas souvent possible à cause des distances que les enfants doivent dans ce cas parcourir entre les deux villages. L’administration fait contre mauvaise fortune bon cœur, quoique dans des limites raisonnables, car elle enjoint de prendre toutes les « précautions nécessaires » au respect de la règle de séparation. En effet, dans les cas de « mixité », les textes officiels – l’avis du 13 août 1833, puis une décision du 22 décembre 1835, puis encore un avis du 8 janvier 1836 –, suivant une très vieille idée, imposent dans les classes une « séparation matérielle et permanente » entre le côté des garçons et celui des filles. A cette « cloison séparative » on fixe pour l’instant une hauteur d’un mètre minimum... en attendant que la seconde République, celle du Prince Président, la rehausse de 50 cm ! (article 36 du règlement du 17 août 1851, qui prévoit en outre qu’on laisse un quart d’heure entre la sortie des garçons et celle des filles86) Telle est l’obligation à laquelle sont théoriquement astreints les instituteurs de 1861.

  • 87 Etat de l’instruction primaire en 1864 d’après les rapports officiels des Inspecteurs d’Académie. C (...)

39L’effort pour installer ces cloisons a duré à peu près 50 ans, et elles se sont donc répandues plus qu’on ne l’imagine aujourd’hui. Des rapports établis par les Inspecteurs d’Académie en complément de la statistique de 1863 donnent des indications concernant un certain nombre de départements87. Quelques-uns se flattent d’avoir élevé des cloisons dans la quasi totalité de leurs écoles mixtes. C’est le cas dans la Manche : 216 écoles publiques mixtes, dont 203 avec cloisons, et 201 avec deux portes d’entrée distinctes, une pour chaque sexe. A l’opposé, la Gironde n’avoue qu’une petite vingtaine de cloisons. En règle générale, on les imposait aux constructions neuves et on y renonçait dans les maisons d’école louées.

  • 88 Ibid., Académie de Besançon, département du Jura.
  • 89 Marguerite Bodin, Les surprises de l’école mixte, Paris, 1905, pp. 11-12.
  • 90 Source : 1) Ministère de l’instruction publique, Exposé général de la situation de l’instruction pr (...)

40Mais les inspecteurs d’Académie trouvent aussi des inconvénients à cette installation. Sur un plan pédagogique reconnaissent-ils, elle force le maître à compliquer la division des élèves selon l’âge, par une division selon le sexe. Elle le contraint aussi à demeurer dans sa chaire pour surveiller les deux parties de la classe. S’il descend par hasard, explique le rapport du Jura, « pour aller au tableau ou surveiller l’écriture, il ne voit plus qu’une partie de ses élèves. Ceux qui sont derrière la cloison s’en donnent à cœur joie »88. De ces désordres, un roman de la fin du siècle, Les surprises de l’école mixte, de Marguerite Bodin (roman d’une féministe, conçu aussi pour glorifier l’école laïque), a donné une image colorée et joyeuse, avec des « gamins » qui percent au couteau les planches de bois tendre, et des fillettes indignées qui mâchonnent du papier pour boucher les fissures89. Sur un plan psychologique ensuite, la cloison est peut-être un mauvais calcul, puisqu’elle attire l’attention des élèves « sur les causes qui l’ont fait établir » (rapport de la Nièvre) ; et puisqu’après leur séparation six heures chaque jour « les enfants n’en ont que plus tendance à se rapprocher » (rapport de la Dordogne). Pour les Inspecteurs d’Académie du second Empire par conséquent, la cloison séparative et les écoles mixtes elles-mêmes restent un pis-aller. Mieux vaut construire des écoles de filles et supprimer les écoles mixtes ; telle est l’opinion dominante, qui s’appuie même parfois sur des cas de curés qui pressent les parents de ne pas envoyer leurs filles à l’école dans ces conditions. En réalité, les chiffres montrent que la progression des écoles de filles, rendues obligatoires par Falloux dans toute commune de 800 habitants en 1850, puis par Duruy en 1867 dans toute commune de 500 habitants, agit peu sur le nombre des écoles mixtes, car c’est la scolarisation des enfants en général qui progresse continûment, nous le savons : en 1866, il y a 21 340 écoles publiques de garçons, 15 099 écoles publiques de filles, et 17 518 écoles publiques mixtes90.

  • 91 Dupanloup, De l’éducation, Paris, 1860, t. 1, p.427-428.
  • 92 Timon-David, Traité de la confession des enfants et des jeunes sens, Paris, 1865, t. 1, p. 158.
  • 93 Régis Fayolle, de Presles (Isère), Arch. Nat., F17 10779.

41Il est visible que les demandes des instituteurs du concours de Rouland ne dérogent pas à l’opinion dominante sur ce point, quand ils préfèrent la séparation des sexes, c’est-à-dire des écoles distinctes. On a assez remarqué qu’ils éprouvent toutes sortes d’inquiétudes au sujet des « penchants » des enfants. C’est en fait l’inquiétude typiquement catholique devant l’inclination à la sensualité, donc à la faute. L’évêque Dupanloup, qui fut un politique plutôt modéré et qui a laissé un des plus importants traités catholiques d’éducation, stigmatise tout à fait la sensualité des enfants comme un « péril redoutable », un « joug dégradant », un mal profond qui « se trouve là souvent avec une domination redoutable »91. De même l’abbé Timon-David, dans son Traité de la confession des enfants et des jeunes gens, invite à « être plus méfiant envers les enfants qui vont dans les écoles ordinaires, et partir a priori de ce principe, que s’ils n’ont pas encore tout fait, ils ne tarderont pas à tout faire »92. Les instituteurs n’ont donc pas été moins diserts, lorsqu’ils ont traité de la mixité, pour dénoncer le « pêle-mêle » de garçons et de filles, chez qui « le sang bouillonne déjà d’une manière particulière dans les veines », lorsque la nature « prend l’empire sur l’humanité et leur fait concevoir un vif attachement les uns pour les autres et détourne infailliblement leurs progrès »93.

  • 94 Prosper Neveu, d’Orléans, Loiret, Arch. Nat. 10786, Loiret.
  • 95 Cité par C. Issaurat, La pédagogie, son évolution, son histoire, Paris, 1886, p. 447.

42A l’époque, le problème est autant celui des relations entre les enfants qu’entre le maître – ou la maîtresse – et les enfants. Il faut surtout, entend-on, mettre les filles à l’écart des hommes afin de les protéger contre les instituteurs scandaleux. Prosper Neveu réclame en ce sens la suppression des écoles mixtes pour l’honneur même de sa corporation. Qui ne s’effraye et ne tremble, explique-t-il, en pensant à un jeune maître de vingt ans placé au milieu de jeunes filles dont quelques-unes sont parfois presque en état de devenir son épouse ! « Que de malheureux n’eussent pas déshonoré le corps enseignant si cette mesure eût été provoquée dès 1833 »94. De tels cas sont souvent mentionnés par les documents dont nous disposons ici, notamment les rapports de 1864, quand on envisage comme une difficulté le célibat des instituteurs, ou plus clairement quand on signale des passages à l’acte : dans l’Eure par exemple, deux en quatre ans, et les fautifs conduits aux Assises. En général, sans imaginer jusqu’à de telles offenses aux bonnes mœurs, la frange catholique et conservatrice de l’opinion réprouve le simple fait de confier les petites filles à un maître. Lors des débats préparatoires à la loi du 30 octobre 1886, le Sénat retentira encore de ces protestations contre les écoles mixtes, surtout celles dirigées par un instituteur95 :

« des pères et des mères peuvent avoir des raisons très sérieuses de désirer qu’une jeune fille de huit, neuf ou dix ans, à plus forte raison de douze ou treize ans, ne fréquente pas l’école mixte. Ces raisons, on les comprend tout de suite quand on a le sentiment des choses délicates, qui ne se disent pas à une tribune. »

  • 96 L. Charpentier, Des moyens d’améliorer et de généraliser l’éducation des jeunes filles, op. cit. ; (...)

43En dehors de ce courant, il existe cependant une opinion plus modérée, qui ne voit pas dans les écoles mixtes un scandale, et ne considère pas leur suppression comme un besoin urgent. D’après Ch. Robert, c’est un avis ultra minoritaire, puisqu’il n’est exprimé que par une dizaine de mémoires (alors que 240 demandent la suppression). Mais ce point de vue est parfois partagé par certains des Inspecteurs d’Académie cités plus haut, par exemple ceux du Doubs, du Cantal, et de la Loire. C’est aussi celui de Léopold Charpentier, de qui nous avons sur ce sujet deux passages, l’un dans son texte de 1838, primé par la Société élémentaire, et l’autre dans son texte de 186296. En 1838 comme en 1862, Charpentier trouve plusieurs intérêts à la mixité des écoles de villages. D’une part écrit-il, l’habitude de se voir est « préservatrice dans les tête-à-tête si fréquents à la campagne », car elle rend les garçons et les filles « moins accessibles à ces engouements subits et trop souvent irrésistibles ». D’autre part il est bon que les filles participent aux leçons – sauf le dessin linéaire –, car elles tiennent à rivaliser avec le banc des garçons ; et de fait elles ont souvent l’avantage dans les exercices de lecture, les compositions d’orthographe « et même dans les problèmes d’arithmétique ». C’est donc ici une visée pédagogique, la saine émulation, qui peut rendre la mixité préférable, et qui engage même à la coéducation des sexes.

  • 97 Léopold Charpentier, Les dires..., ibid., p. 28.

44Léopold Charpentier n’a pourtant pas plus dépassé que d’autres les limites de la mentalité assez rigoriste de son temps. D’après le premier texte en effet, la bonne mixité n’est concevable que dans la salle de classe, l’espace organisé, l’espace du maître. Dehors, c’est autre chose, et « il est presqu’inouï qu’une jeune fille quitte ses compagnes de classe pour aller rejoindre les écoliers ». Il faut donc faire sortir les filles dix minutes avant les garçons, et surtout il faut disposer de lieux d’aisance séparés. Le second texte montre la même exigence, en raillant le mémoire classé avec la septième mention à l’issue du concours de Rouland, et qui reprend l’idée de réunion des communes pour accueillir les filles dans l’une et les garçons dans l’autre. Ineptie répond Charpentier, car si les gardes-champêtres ne peuvent pas faire la conduite et l’échange de leur jeunesse respective, on aboutira au pire, quand le matin et le soir, les filles du village des garçons croiseront en chemin les garçons du village des filles97 :

« Oh quelles bonnes parties on ferait chaque jour à la rencontre ! Les champs, sans témoins, seraient, pour l’innocence, un asile bien autrement sûr que l’école mixte, avec une séparation, sous les yeux du maître et le contrôle des familles. »

45Ce fantasme de l’enfance troublée par ses jeux semblera aujourd’hui étrange ; il était en tout cas fort répandu si l’on en juge par le propos de l’Inspecteur d’Académie du Doubs, pédagogue aussi modéré que l’instituteur rémois, mais qui signale lui aussi comme un danger le trajet des enfants vers l’école.

  • 98 Fortoul, « Rapport et décret concernant les écoles primaires de garçons et de filles, et les maison (...)

46Davantage que les représentations des élèves, ce sont les représentations des maîtres qui ont évolué dans le cadre de la mixité. L’ordonnance de 1816 et une circulaire du 3 juin 1819 interdisaient aux femmes d’enseigner les garçons et les excluaient ainsi de toute institution mixte. Par contre, l’avis du Conseil royal du 8 août 1834 admettait que, provisoirement, les institutrices pouvaient diriger ces écoles. Or une vingtaine d’années plus tard, le 31 décembre 1853 (alors que la loi de 1850 a répété l’interdiction de réunir les sexes), un rapport de Fortoul, conclu par un décret, tire un bilan tout à fait positif de cette expérience, comme d’une épreuve qui a réussi. Bien sûr, on dira longtemps, et encore en 1863, qu’une institutrice dans ce cas « fait fonction d’instituteur », ce qui montre que les deux statuts ne sont pas équivalents. Mais on se félicite de l’enseignement dispensé par les femmes à la place des hommes, et le rapport se termine par une incitation à confier les écoles mixtes aux institutrices dans la mesure de leurs capacités physiques, c’est-à-dire quand les classes ne dépassent pas une quarantaine d’élèves-et en préservant les intérêts des instituteurs98. Il y a là une évolution très importante : désormais, on encourage officiellement la « substitution des femmes aux hommes », et la loi du 30 octobre 1886, grande loi d’organisation de l’école primaire républicaine, achèvera le renversement en imposant des femmes à la tête des écoles mixtes (et en abolissant la cloison séparative). Finalement, les hommes seront seulement tolérés, provisoires, et à condition d’être secondés par une maîtresse de couture (article 6). Cette dernière mesure est du reste prévue dès la loi Duruy du 10 avril 1867 (article 1) ; et la loi du 19 juillet 1889 sur les dépenses ordinaires de l’instruction publique, la finance par des fonds d’Etat.

  • 99 Source : 1) Ministère de l’instruction publique, Exposé général de la situation de l’instruction pr (...)
  • 100 Voir l’Etat de l’instruction primaire en 1864 d’après les rapports officiels des Inspecteurs d’Acad (...)
  • 101 Arch. Dép. Gironde, 1OT 1. Et dans ce cas, si la municipalité n’a pas les moyens de payer une maîtr (...)

47A vrai dire, pendant toute la seconde moitié du siècle, cette politique de féminisation des écoles mixtes n’a pas donné de résultats très spectaculaires. Un département comme la Manche, là aussi en pointe en 1864, semble une exception, avec ses 216 écoles publiques mixtes dirigées par des institutrices (malgré des avis défavorables de la population), et des résultats qu’on estime satisfaisants. Sur l’ensemble du territoire, il y a, en 1866, 14 756 écoles publiques mixtes dirigées par un homme, contre 1666 dirigées par une femme ; et en 1891, il y a 13 700 écoles publiques mixtes dirigées par un homme, contre 5 500 dirigées par une femme : le nombre des hommes est à peu près stable, celui des femmes est multiplié par 3,599. En fait, plusieurs sortes de résistances se sont manifestées durant ces années. Ici c’est le maire qui tient à un instituteur pour avoir un secrétaire de mairie ; là c’est le curé qui y tient pour avoir un chantre. Parfois on se plaint du manque d’autorité des institutrices ; plus souvent on se plaint de leur ignorance, surtout dans les domaines du calcul et de l’arpentage100. Les communes, ayant elles-mêmes la possibilité de choisir entre un homme et une femme, cela n’arrangeait rien. Dans le département de la Gironde par exemple, une correspondance entre le préfet et les maires, de 1893 à 1901, et un état de situation de 1898, montrent qu’à la fin du siècle la majorité des communes veulent encore maintenir l’instituteur101.

48L’opinion du public a donc évolué moins vite que l’opinion officielle. Celle-ci, bien visible chez les Inspecteurs d’Académie du second Empire, trouve plus d’avantages à la présence des femmes dans les écoles mixtes, en posant d’une part que l’institutrice satisfait à l’instruction – aussi bien en l’occurrence aux deux sexes-, et d’autre part qu’elle dispense mieux l’éducation aux filles. C’est ce qu’exprime le rapport de Fortoul de 1853, d’après lequel, si les garçons ne perdent rien quant à l’instruction, les filles y gagnent beaucoup, puisque l’institutrice les forme mieux « à la pratique des vertus spéciales de leur sexe », et qu’elle leur fait « au sujet des travaux d’aiguille, si négligés et cependant si utiles dans les campagnes, des leçons que l’instituteur n’est pas en état de leur offrir ».

Sociabilité enfantine

  • 102 Timon-David, Traité..., op. cit., p. 271.

49A long terme, la banalisation de la mixité et de la coéducation, leur extension, très récente on le sait, aux écoles urbaines, viendront plus directement de l’effacement du schéma sexuel de représentation de l’enfant, ou du moins de représentation de la sociabilité et des mœurs enfantines. Ce qui est très net dans les mémoires de 1861, c’est la connexion entre une idée du naturel (les instincts mauvais) et une idée du « social », celui des groupes et des réunions spontanées des enfants : la condamnation des premiers est souvent associée à la dénonciation des seconds, qui semblent une conséquence directe, inévitable. Dans la tradition catholique, la censure très méticuleuse des penchants érotiques des enfants suppose déjà une méfiance tenace à l’égard des groupes. Pour l’abbé Timon-David, qui voit un théâtre des mauvaises mœurs jusque dans « les pensionnats les plus chrétiens et les mieux surveillés »102 ; pour Léopold Charpentier qui, malgré son réalisme pédagogique, juge inadmissibles les jeux en commun des garçons et des filles ; pour les instituteurs du concours, qui rappellent toujours, en demandant la construction de latrines, les nécessités de la surveillance, pour ceux-là donc, toute réunion d’enfants est suspecte, même organisée par les adultes. Comme si l’être-ensemble des enfants devait accomplir une solidarité honteuse, une solidarité du plaisir et de ses passions. La représentation d’une sociabilité enfantine indexée à la sexualité enfantine, connote par conséquent une idée de contamination. C’est pourquoi en retour le catholicisme a développé une grande nostalgie de l’isolement. « C’est par les amis corrompus que le mal se perpétue », disait Timon-David, et c’est pourquoi il « faudrait qu’un enfant passât toute sa vie seul, pour échapper à ce danger qu’on retrouve partout ».

  • 103 Arch. Nat. F17 107775, Ardennes ; dans le même style, on trouve un texte de Pierre Bordenave, de Ca (...)

50Chez les instituteurs de 1861, on découvre plutôt une volonté de se rendre présent dans les groupes d’élèves, de s’insinuer dans leur société afin de la reprendre, ce qui est cohérent avec leur grand effort pédagogique pour régulariser et refonder positivement c’est-à-dire moralement le groupe concurrentiel. Le groupe et la sociabilité de la récréation ou de la rue demeurent des réunions douteuses, qui emportent irrésistiblement vers la débauche. Auguste Lépine, d’Autry (Ardennes) donne de cette intention une formulation très achevée. Lui qui a demandé la séparation des sexes, qui a dénoncé les « habitudes vicieuses » (et qui pratique le mode mixte : il est donc en tous points dans la norme), il demande une cour, qui sera le « point de ralliement » où cette jeunesse légère, ne pourra plus se livrer à ses habituelles distractions, les jeux bruyants, le pillage des vergers, etc. Là ajoute Lépine103 :

« sous l’œil vigilant du maître, les jeux seront calmes, point de cris désordonnés, ni d’insultes aux passants ; c’est là que le maître réprimera les écarts de quelques uns d’entre eux, qu’il leur inspirera l’union, la concorde [...] alors il les formera à cette vie sociable de l’école qui est le prélude de la vie sociale à laquelle ils sont tous appelés. »

  • 104 F. Buisson, Rapport sur l’instruction primaire à l’exposition universelle de Philadelphie, Paris, 1 (...)
  • 105 Voir l’article « Education » dans F. Buisson, Nouveau dictionnaire..., op. cit., article dans leque (...)
  • 106 Durkheim, L’éducation morale, Paris, PUF, 1963, p. 203.

51Le rapport que Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement primaire sous Jules Ferry, rédige à son retour de l’exposition universelle de Philadelphie en 1878, sur la coéducation des sexes aux Etats-Unis, est un bon révélateur de ce courant d’opinion. Là-bas, la mixité, la coéducation, c’est déjà la règle. Le texte de Buisson est prudent ; il ne juge pas le fait établi mais formule quelques objections comme le surmenage des jeunes filles, et un seul vrai reproche, l’absence des travaux d’aiguille. Mais il constate, pour s’en étonner, qu’il n’y a aucun problème de moralité. Pourquoi ? Parce que le milieu enfantin ou adolescent lui-même assure la surveillance de chacun et la modération de tous. C’est, écrit Buisson, à la vie en commun, qui en apparence constitue « le danger même, que les Américains attribuent la plus grande efficacité pour préserver les enfants du mal »104. De manière générale, c’est bien lorsque cet étonnement aura cessé que la mixité et la coéducation pourront s’imposer ; lorsque la société enfantine sera pensée non plus comme un milieu de contamination mais à l’inverse comme un milieu de socialisation, au sens moral du terme, un milieu où, comme dans le roman de Marguerite Bodin, les enfants jouent, travaillent et s’enthousiasment de leur accord. Cette école socialisante et moralisante a d’ailleurs eu un théoricien dès le début de notre siècle, à savoir Durkheim, qui a justement importé ce concept de socialisation dans la problématique éducative105. Dans L’éducation morale, qui rassemble des cours professés à la Sorbonne en 1902-1903, nous apprenons ainsi que l’école, comme « société intermédiaire », peut et doit être un milieu spécial d’éducation, distinct et complémentaire de la famille, donc un milieu où la sociabilité, c’est-à-dire le groupe, les relations, les liens, la solidarité etc., bref l’inverse des séparations catholiques, est un puissant moyen d’influence morale. Ce livre nous introduit à la modernité : désormais, à l’école, « rien n’est agréable comme la vie collective »106.

Notes

1 P. Lorain, Tableau..., op. cit., pp. 14-15.

2 Quelques références théoriques apparaissent malgré tout ici ou là, comme dans le mémoire de Charles Sallé, de Saint-Riquier (Somme), qui cite Royer-Collard : « Sans l’éducation, l’instruction n’est qu’un instrument de ruine ». Arch. Nat. F17 10778, Somme. Nous analysons ici les thèmes no 30 à 33.

3 Arch. Nat. F17 10793, Mayenne. Paul Bouilly dit également qu’un paysan instruit est capable de tracer un sillon plus droit.

4 Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.

5 Arch. Nat. F17 10793, Loire-Inférieure.

6 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.

7 Arch. Nat. F17 10780, Saône-et-loire.

8 Césaire Beaudry, La Flèche, Arch. Nat. F17 10768, Sarthe.

9 Arch. Nat. F17 10764, Landes. Beaucoup de remarques sur ce thème, évidemment, dans les mémoires. Pour n’en citer qu’une autre, celle d’Antoine Perret, de Pisieu (Isère), qui pense que « l’instruction répandue plus facilement parmi les populations rurales, les moraliserait bien plus vite que par le passé » ; Arch. Nat. F17 10779, Isère.

10 André Laumet, de Labastide-du-Temple (Tarn-et-Garonne), Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.

11 Auguste Lépine, d’Autry (Ardennes), Arch. Nat. F17 10775, Ardennes.

12 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.

13 Campagne, de Saint-Aubin (Landes), Arch. Nat. F17 10764. Jean Merle, de Saint-Macaire (Gironde), Arch. Nat. F17 10763, explique que l’enseignement primaire a bien pour but de répandre dans les classes laborieuses les connaissances indispensables aux diverses professions manuelles, mais il met avant cela le fait de « moraliser le peuple en développant l’intelligence des enfants et en leur donnant les premières notions de religion, de probité et de morale ».

14 Arch. Nat. F17 10779, Hautes-Alpes.

15 Arch. Nat. F17 10791, Haute-Vienne.

16 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.

17 Voir O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 3, p. 482.

18 Jean Niclot, de Landres et Saint-Georges (Ardennes), Arch. Nat., F17 10775.

19 Cottin, de Saint-Symphorien (Isère), Arch. Nat. F17 10779.

20 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.

21 Arch. Nat. F17 10793, Mayenne.

22 Jean Martin, à Orpierre (Hautes Alpes), Arch. Nat. F17 10779.

23 Gilbert Rouel, de Serdoux (Haute-Vienne), F17 10791.

24 Arch. Nat. F17 10788, Seine-et-Oise.

25 Arch. Nat. F17 10775, Ardennes.

26 Arch. Nat. F17 10791, Haute-Vienne.

27 Arch. Nat. F17 10778, Somme.

28 Arch. Nat. F17 10764, Landes.

29 Arch. Nat. F17 10779, Hautes-Alpes.

30 Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.

31 Ibid.

32 François Richard, d’Hattstadt (Haut-Rhin), Arch. Nat. F17 10794.

33 Jean Bellot, de Saint-Jean de Vaulx (Isère), F1710779.

34 Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, éd. de 1952 (1re édition, 1856), p. 173.

35 Voir C. Robert, De l’ignorance..., op. cit., chap. 1, dans lequel on trouve plusieurs cas de ce type. Nous traitons ici le thème no 13.

36 Ibid., p. 11 ; il s’agit d’un mémoire des Vosges.

37 Ibid., p. 5 (Cantal), p. 22 (Landes).

38 Ibid., pp. 3 et 4 (Seine-et-Oise).

39 Par exemple François-Célestin François, de Rebreuviette (Pas-de-Calais), Arch. Nat. F17 10777.

40 Césaire Beaudry, de La Flèche (Sarthe), Arch. Nat.F17 10768.

41 Nous traitons ici le thème n° 14. Voir aussi les extraits publiés par Charles Robert dans De l’ignorance..., op. cit., notamment dans le premier chapitre, sur l’« ignorance des habitants de la campagne et l’indifférence de beaucoup d’entre eux pour l’instruction » ; dans le troisième chapitre les passages sur l’affaiblissement de l’autorité paternelle ; dans le cinquième chapitre, sur l’absence ou les « vices de l’éducation familiale... » ; et partiellement dans le neuvième chapitre, sur « les influences hostiles à l’instruction primaire ».

42 Arch. Nat. F17 10778, Somme.

43 Ludovic Level, de Ransart (Pas-de-Calais), Arch. Nat. F171077.

44 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.

45 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.

46 Comtesse de Ségur, La fortune de Gaspard, op. cit., p. 8.

47 Charles Robert, De l’ignorance..., op. cit., p. 10 (Bas-Rhin).

48 Ibid., p. 14 (Calvados).

49 Ibid., p. 16 (Seine-Inférieure). La situation de domestique rappelle tout à fait le livre d’E. Guillaumin, La vie d’un simple. Mémoires d’un métayer, Paris, 1905.

50 Ibid., p. 7 (Tarn), et p. 11 (Vosges).

51 Césaire Beaudry, de La Flèche (Sarthe), Arch. Nat. F17 10768, et Salomon Lévis, de Biesheim (Haut-Rhin), Arch. Nat. F17 10794.

52 Sur cette question, voir M. de Certeau, D. Julia, J. Revel, Une politique de la langue, Paris, Gallimard, 1975 ; et surtout F. Furet et J. Ozouf, Lire et écrire, op. cit., t. 1, chap. 7, qui posent la question de savoir si l’usage du patois a été un frein réel à l’alphabétisation, et qui répondent affirmativement du moins pour certains cas, notamment la Bretagne.

53 Voir P. Boutan, La langue des messieurs, op. cit., pp. 74 et suiv. ; et P. Giolitto, Abécédaire et férule, Paris, Imago, 1986, p. 354.

54 Arch. Nat. F17 10779, Hautes-Alpes.

55 Jean-Baptiste Lefort, de Chamboret (Haute-Vienne), Arch. Nat. F17 10791.

56 Arch. Nat. F1710775, Ardennes.

57 Voir sur ce point F. Muel, Le métier d’éducateur, op. cit. Il faut préciser toutefois qu’une enquête de Duruy montrera en 1863 qu’un grand nombre de maîtres sont amenés à faire des concessions et utilisent eux-mêmes conjointement l’idiome local et le français : 87 % en Corse, 76 % dans le Bas-Rhin et dans le Finistère, etc. Voir Arch. Nat. F17* 3160, enquête citée par F. Furet et J. Ozouf, Lire et écrire, op. cit., t. 1, p. 337.

58 Arch. Nat. F17 10786, Loir-et-Cher. Il s’agit ici du thème no 15.

59 Arch. Nat. F17 10764, Landes.

60 Pesseux, de Wittenheim (Haut-Rhin), Arch. Nat. F17 10794.

61 Voir Arch. Nat. F17 11518, affaires disciplinaires et judiciaires (1834-1921).

62 Ch. Robert, De l’ignorance..., op. cit., pp. 19 (Ardennes), 20 (Seine-et-Marne), et 21 (Mayenne).

63 Arch. Nat. F17 10763, Gironde.

64 Arch. Nat. F17 10778, Somme.

65 Voir sur ce point M. Agulhon, « La société paysanne et la vie à la campagne », loc. cit., p. 347.

66 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.

67 Ch. Robert, De l’ignorance..., op. cit., p. 23.

68 Michel Duprot, de Chaillac (Haute-Vienne) Arch. Nat. F17 10791.

69 Arch. Nat. F17 10775, Ardennes.

70 Jean Rouges, de Larrazet (Tarn-et-Garonne), Arch. Nat. F17 10798 ; Auguste Moreau, de Villeneuve-les-Chanoine (Aude), Arch. Nat. F17 10781 ; et Jacques Bens, de Fiers (Pas-de-Calais), Arch. Nat. F17 10777.

71 Th. Barrau, M.G.I.P., juin 1860, décembre 1860, et avril 1861, loc cit.

72 Arch. Nat. F17 10786, Loiret.

73 Ce règlement recommande en effet que les lieux d’aisance puissent être « facilement surveillés ». Voir O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 3, p. 640.

74 Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.

75 Arch. Nat. F17 10765, Calvados.

76 Ibid.

77 Arch. Nat. F17 10786, Loir-et-Cher.

78 Arch. Nat. F17 10777, Pas-de-Calais.

79 Ch. Robert, De l’ignorance..., op. cit., p. 62.

80 Arch. Nat. F17 10798, Tarn-et-Garonne.

81 Arch. Nat. F17 10794, Haut-Rhin.

82 Une première version du texte qui suit a été publiée dans C. Baudoux et C. Zaidman (dir.), Egalité entre les sexes, mixité et démocratie, Paris, L’Harmattan, 1992.

83 C’est un décret du 27 brumaire an III qui oblige à séparer les sexes à l’école primaire. Voir F. Buisson, Nouveau dictionnaire..., op. cit., article « Filles ». Nous traitons ici le thème no 28 dans notre classement.

84 Voir O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 1.

85 Abbé Affre, Nouveau traité des écoles primaires. Manuel des instituteurs et des institutrices, Amiens, 1826 ; cité par R. Lemoine, La loi Guizot du 28 juin 1833. Son application dans le département de la Somme, Thèse, Abbeville, 1933, pp. 545 et suiv.

86 O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 1, p. 262 pour l’avis du 13 août 1833, et t. 2, p. 264 pour le règlement du 17 août 1851.

87 Etat de l’instruction primaire en 1864 d’après les rapports officiels des Inspecteurs d’Académie. Complément de la statistique de 1863, Paris, 1866. Voir également G. Rouet, L’invention de l’école, op. cit., pp. 170-171, qui évoque le peu de réussite du département de la Marne.

88 Ibid., Académie de Besançon, département du Jura.

89 Marguerite Bodin, Les surprises de l’école mixte, Paris, 1905, pp. 11-12.

90 Source : 1) Ministère de l’instruction publique, Exposé général de la situation de l’instruction primaire au1er janvier 1867, Paris, 1867, p. 24 : « Etat comparatif 1846-1866 » ; 2) Ministère de l'instruction publique, Résumé des états de situation de l’enseignement primaire : année 1885-1886, Paris, 1887.

91 Dupanloup, De l’éducation, Paris, 1860, t. 1, p.427-428.

92 Timon-David, Traité de la confession des enfants et des jeunes sens, Paris, 1865, t. 1, p. 158.

93 Régis Fayolle, de Presles (Isère), Arch. Nat., F17 10779.

94 Prosper Neveu, d’Orléans, Loiret, Arch. Nat. 10786, Loiret.

95 Cité par C. Issaurat, La pédagogie, son évolution, son histoire, Paris, 1886, p. 447.

96 L. Charpentier, Des moyens d’améliorer et de généraliser l’éducation des jeunes filles, op. cit. ; Les dires d’un vieux maître d’école..., op. cit.

97 Léopold Charpentier, Les dires..., ibid., p. 28.

98 Fortoul, « Rapport et décret concernant les écoles primaires de garçons et de filles, et les maisons d’éducation des jeunes demoiselles », in O. Gréard, La législation..., op. cit., t. 3, pp. 564 et suiv.

99 Source : 1) Ministère de l’instruction publique, Exposé général de la situation de l’instruction primaire au1er janvier 1867, op. cit., p. 24 ; 2) Ministère de l’instruction publique, Statistique de l’enseignement primaire, t. 6, Paris, 1896, pp. 30 et suiv. : « Statistique de 1891-1892 ».

100 Voir l’Etat de l’instruction primaire en 1864 d’après les rapports officiels des Inspecteurs d’Académie, op. cit., rapports des Ardennes, de la Dordogne, de la Savoie, etc.

101 Arch. Dép. Gironde, 1OT 1. Et dans ce cas, si la municipalité n’a pas les moyens de payer une maîtresse de couture (comme 25 villages de ce département en 1898), alors le préfet peut de nouveau inciter à ce que l’on demande enfin une institutrice, mais il peut aussi distribuer la subvention du ministère.

102 Timon-David, Traité..., op. cit., p. 271.

103 Arch. Nat. F17 107775, Ardennes ; dans le même style, on trouve un texte de Pierre Bordenave, de Capbreton (Landes), Arch. Nat. F1710764.

104 F. Buisson, Rapport sur l’instruction primaire à l’exposition universelle de Philadelphie, Paris, 1878.

105 Voir l’article « Education » dans F. Buisson, Nouveau dictionnaire..., op. cit., article dans lequel Durkheim définit l’éducation comme une « socialisation méthodique ».

106 Durkheim, L’éducation morale, Paris, PUF, 1963, p. 203.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search