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PME et grandes entreprises en Europe du Nord-Ouest XIXe - XXe siècle

 | 
Jean-François Eck
, 
Michel-Pierre Chélini

III. Espaces et environnement de l'entreprise : État, collectivités territoriales, acteurs locaux

Entreprises, syndicats intercommunaux et reconversion industrielle dans l’ouest du bassin minier du Pas-de-Calais durant les années 1960

Jean Vavasseur-Desperriers

Texte intégral

1Il s’agit ici d’un cas de figure classique, celui d’un secteur dédié à l’extraction de houille, frappé parmi les premiers par la fermeture des puits à partir du début des années 1960. Une importante population risquait de se trouver sans emploi, avec un danger de départs massifs, notamment des éléments les plus jeunes. Précisément, l’administration de l’aménagement du territoire, apparue dans les années 1950, en plein essor dans les années 1960, veillait à éviter ce genre de déséquilibre en créant des zones attractives destinées à recevoir des implantations industrielles nouvelles. Au même moment, les collectivités locales, surtout les communes, assument des responsabilités de plus en plus grandes. Les actions des années 1960 se sont situées au croisement de ces diverses évolutions. Cette étude sera centrée sur l’action des syndicats intercommunaux, particulièrement importante, on le verra, dans le secteur concerné. Il conviendra de préciser les conditions de formation de ces entités, leurs moyens d’action, les acteurs concernés, leurs argumentaires dans les campagnes de publicité lancées pour faire aboutir les projets de création de zones industrielles destinées à prendre le relais de l’industrie houillère déclinante. Ces campagnes ont-elles été couronnées de succès ? Comment les entreprises ont-elles accueilli ces créations et ont-elles répondu à l’appel qui leur était lancé ? Enfin, il conviendra de prendre la mesure des efforts accomplis localement, en soulignant leurs limites, car ils sont restés dépendants de la politique décidée par l’État central.

Une action volontariste forte, menée à l’initiative des syndicats intercommunaux

2L’extrémité ouest du bassin minier du Pas-de-Calais comprend les secteurs d’Auchel, Bruay-en-Artois, Béthune. C’est volontairement que la zone du « centre ouest », avec Lens et Liévin, sera laissée de côté : le secteur envisagé, le Béthunois et le Bruaysis, constitue un « pays » spécifique, avec ses particularités économiques et politiques, même si l’arrondissement de Béthune comprenait alors la ville et les cantons de Lens, qui ne seront constitués en arrondissement qu’en 1964. La Chambre de commerce et d’industrie de Béthune-Lens, de son côté, ne s’est scindée qu’en 1983, avec la création de la CCI de Lens.

3Sur les trois villes du secteur, Auchel, Bruay et Béthune, les deux premières étaient purement minières, tandis que la troisième, ancienne ville bourgeoise à la lisière du bassin, exerçait - et exerce encore aujourd’hui - des fonctions de services, tels que la justice, l’enseignement, les spécialités médicales, le commerce de gros. Cette région a subi la première les contrecoups de la fermeture des mines, le bassin, comme on sait, présentant dans sa partie ouest des couches très profondes, souvent disloquées et infiniment moins rentables que celles de la partie orientale. La fermeture commencée dans les années 1960 est devenue totale en 1975, date de la cessation de l’activité houillère dans le secteur.

4Aussi, dès le début des années 1960, et même à l’extrême fin des années 1950, divers types d’acteurs locaux, tels que les communes, les groupes de pression économiques et les organisations sociales, tout autant que les organismes nationaux d’aménagement du territoire mis en place à cette époque, se préoccupèrent-ils de la question.

  • 1 Bernard Frimat, « Emploi, conversion et avenir de l’ouest du bassin minier », in Une région en mut (...)
  • 2 Léonce Deprez, l’un des acteurs de cette reconversion, parle de la nécessaire « déshouillérisation (...)

5Les Houillères s’en inquiétèrent et agirent par l’intermédiaire de l’Association pour l’expansion industrielle de la région Nord-Pas-de-Calais (APEX), née en 1966, accompagnée par la Société financière pour l’industrialisation des régions minières (SOFIREM), la Société industrielle et commerciale des Charbonnages (SICCA), le Service d’accueil des implantations industrielles1. Toutefois, elles ne parurent pas au départ jouer un rôle majeur dans la reconversion. On les soupçonnait d’être réticentes devant la mise en cause d’un système dont elles avaient été l’une des pièces maîtresses : habituées à faire peser leur tutelle sur l’ensemble social et économique du bassin, accoutumées à régner sur une population de longue date « houillérisée »2, elles se rallièrent toutefois à l’effort de reconversion alors que celui-ci était déjà entamé.

  • 3 Sur l’action du CATEX, on dispose d’une abondante documentation diffusée par son président, Léonce (...)
  • 4 Le maire socialiste de Barlin, Raymond Derancy, est à l’origine de cette création. Voir la plaquet (...)

6Les syndicats intercommunaux jouèrent un rôle plus important, et sans doute majeur, dans le secteur. Ils furent créés au tournant des années 1960, au nombre de trois : le SAZIB (Syndicat d’aménagement des zones industrielles de Béthune), pour Béthune et sa région, lancé dès 1959 (le premier), à l’initiative de la mairie (radicale) et d’un groupe de pression patronal (mais qui suscitait la méfiance de beaucoup de patrons), la Jeune Chambre économique, qui changea par la suite de dénomination et devint le CATEX (Comité d’aménagement et d’expansion) dans les années 19603 ; celui de Bruay, le SAZIAB (Syndicat d’aménagement des zones industrielles de l’agglomération de Bruay), créé à l’initiative du maire socialiste de Barlin, une localité voisine de Bruay4 ; celui d’Auchel, mairie communiste, le SAZIRAL (Syndicat d’aménagement des zones industrielles de la région d’Auchel-Lillers).

  • 5 F. Florent, La reconversion du bassin minier et les chambres de commerce et d’industrie (…), op. c (...)
  • 6 Gustave Deleau voulait empêcher Léonce Deprez de mettre la main sur la Chambre de commerce. En arr (...)

7Ces syndicats se formèrent difficilement. Un premier problème fut suscité par les rivalités opposant les acteurs locaux de la reconversion. La Chambre de commerce et d’industrie de Béthune-Lens fut au départ tenue à l’écart de l’action en faveur de la création des zones industrielles. Pourtant, à l’origine, la Chambre de commerce fut associée aux frais d’études portant sur la création d’une société destinée à promouvoir les zones industrielles du Béthunois. Mais la création du SAZIB se fit en dehors d’elle. Ce ne fut que par la suite que l’un de ses représentants fut associé aux délibérations du syndicat. La Chambre, selon l’expression d’un acteur, « s’inséra dans le mouvement, mais ne le créa pas »5. Et, quand, plus tard, au début des années 1980, la Chambre de Béthune-Lens participa activement à la mise en place de la zone de Liévin (région de Lens), ce fut dans un autre secteur que le Béthunois. Pour expliquer cette situation, plusieurs arguments ont été avancés. En premier lieu, des rivalités de personnes : les divers acteurs ne s’entendaient guère. Le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Béthune, Gustave Deleau, et le président du CATEX, Léonce Deprez, entretenaient une rivalité ouverte. Le sous-préfet de l’arrondissement, Robert David, une forte personnalité qui jouait un rôle de premier plan, tirait partie de cette rivalité pour renforcer son autorité6. Mais de plus sérieux arguments ont été avancés par les acteurs eux-mêmes. D’une part, la Chambre de commerce était « l’institution des acteurs économiques en place », comme le soulignait justement Deprez : pouvait-elle s’insérer aisément dans un processus de transformations qui supposait l’appel à des acteurs extérieurs ? Au sein de la CCI de Béthune-Lens, le poids des petites et moyennes entreprises locales, souvent réticentes devant des implantations extérieures, ne jouait pas dans le sens des transformations. Enfin, géographiquement, la CCI couvrait une très vaste circonscription, dont les divers secteurs (Lens d’un côté, Béthune-Bruay de l’autre) pouvaient entrer en rivalité. Léonce Deprez opta vigoureusement pour une mise en valeur de l’ouest minier béthunois contre le centre-ouest lensois : son CATEX soutenait avant tout le secteur de Béthune-Bruay, ce que ne pouvait faire la CCI de Béthune-Lens. Enfin, on peut invoquer une raison logistique, la faiblesse en personnel de la CCI, formé seulement de quelques employés, occupés à dresser les statistiques du port fluvial de Béthune.

  • 7 Archives municipales de Béthune (désormais AMB), procès-verbaux du conseil du SAZIB, 3 mars et 10 (...)
  • 8 AMB, dossier « Statuts et divers », non coté, lettre du sous-préfet de Béthune au maire d’Essars, (...)
  • 9 Interview R. Derancy, « Comment naquit le SAZIAB ? », plaquette Raymond Derancy. Trente années au (...)

8Les syndicats du secteur furent donc des créations communales. Le bureau du SAZIB comprenait des élus, essentiellement parmi ses membres titulaires, mais également des personnalités d’origines diverses qui furent appelées à participer à ses travaux : certains fonctionnaires de la sous-préfecture, des membres des services extérieurs de l’État, des représentants de la CCI, enfin des représentants des syndicats patronaux et de salariés7. Cette origine communale supposait une bonne entente entre les édiles d’un secteur, et c’est là que surgit une nouvelle difficulté. La formation des syndicats rencontra les hésitations de plusieurs communes à rentrer dans cette association. La formation du SAZIB suscita les réticences de communes rurales, préoccupées par l’indemnisation des cultivateurs expropriés et les atteintes éventuelles à l’environnement8. Celle du SAZIAB fut encore plus difficile. Sur vingt-et-un maires du secteur convoqués, seuls quatre répondirent à l’appel du maire de Barlin, par crainte de difficultés financières9.

  • 10 Ainsi, le BRIO (Bureau d’études et de recherches industrielles), un cabinet conseil parisien, qui (...)
  • 11 AMB, dossiers « Demandes d’industriels », correspondance avec la British Chamber of Commerce of Fr (...)

9La technique utilisée n’était en effet pas sans risques. Avec l’appui financier du FNAT (Fonds national d’aménagement du territoire), le syndicat achetait des terrains, les équipait, les revendait à des industriels qui implantaient des industries créatrices d’emploi, et, au final, remboursait le FNAT. Tout cela posait des problèmes financiers (expropriation et indemnisation) et techniques (aplanissement, assainissement, viabilisation, électrification). Pour les traiter, il fallait disposer d’un véritable appareil logistique et mettre en place tout un réseau. Les relations publiques des trois syndicats étaient assurées par le CATEX et son très actif président, Léonce Deprez. Les syndicats étaient contactés par les bureaux d’études qui prospectaient pour les entreprises10. Des connexions s’établissaient au niveau international, par le biais de plusieurs canaux, comme la Chambre de commerce britannique en France ou les villes étrangères jumelées avec Béthune. Ainsi, à la suite d’une correspondance avec la British Chamber of Commerce of France, le consul du Royaume-Uni vint visiter Béthune en 1972. Des contacts furent pris avec les villes jumelées : Hastings en Angleterre, Schwerte en Rhénanie du Nord-Westphalie11.

  • 12 Voir la présentation qu’en donne Serge Dormard, L’économie du Nord-Pas-de-Calais. Histoire et bila (...)

10La propagande de ces divers types de lobbies mettait en valeur divers avantages, décrits dans les brochures émanant des syndicats et dans les réponses qu’ils envoyaient aux entreprises demandeuses. Les uns relevaient de la politique d’aide de l’État aux régions en difficultés, accordée aux zones dites « critiques », puis « de reconversion ». Mais ces aides n’étaient pas spécifiques au secteur concerné, puisqu’elles s’appliquaient à toutes les zones critiques existant sur le territoire français12. Il importait donc de mettre en valeur d’autres avantages de nature différentielle.

  • 13 Dans un rapport intitulé « Les conditions impératives de la conversion d’une région minière en pér (...)

11Une deuxième série de facteurs présentés comme attractifs résidait dans l’espace offert au développement industriel. Cet attrait pouvait se concrétiser par les possibilités d’utilisation de locaux existants ou de terrains occupés par les Houillères. Mais, si cette utilisation présentait l’avantage de la rapidité en faisant l’économie du délai de constructions nouvelles, elle posait le problème des frais de réaménagement13. Dans la réalité, cette possibilité compta donc de façon secondaire, les industriels préférant utiliser de nouveaux locaux plus modernes et mieux adaptés, édifiés dans les nouvelles zones industrielles. L’exploitation de cet avantage supposait une politique de prix de vente compétitifs des terrains aménagés par les syndicats. Ici intervenaient les moyens financiers des syndicats, placés, pour mener à bien leur politique d’aménagement, devant la nécessité de recourir à des emprunts auprès du Fonds national d’aménagement du territoire : l’échelon national retrouvait ici son poids. Dans ce même registre de l’espace, les communications jouaient évidemment un rôle essentiel. Le grand atout dans ce domaine était le canal à grand gabarit Dunkerque-Valenciennes au nord de notre secteur : il dynamisait Béthune et pénalisait le pays minier profond d’Auchel et de Bruay, malgré une desserte routière en voie d’amélioration, alors que la SNCF supprimait les voies ferrées de ce secteur.

  • 14 Léonce Deprez réalisa plusieurs rapports sur la question : en 1959, en tant que président de la Je (...)
  • 15 AMB, dossier « Demandes d’industriels », réponse adressée par les responsables du SAZIB à la Briti (...)

12Présent dans tous les documents, mais de façon discrète, figurait le problème de la main-d’œuvre. La publicité du CATEX insistait sur la situation démographique : une population nombreuse, jeune, attachée au pays, bénéficiant d’une réputation de grand sérieux dans le travail14. Le SAZIB, dans ses réponses aux entreprises qui le contactaient, ne manquait jamais de préciser que, « en raison de la récession minière actuelle, la région dispose d’une main-d’œuvre importante, tant masculine que féminine »15.

13Comment cette opération de « marketing » fut-elle accueillie par les entreprises, locales, nationales ou multinationales ?

Un bilan positif, mais à nuancer

  • 16 Notamment les conclusions du colloque Une région en mutation : le Nord-Pas-de-Calais. Aspects écon (...)

14Les résultats ne furent sans doute pas à la hauteur des déclarations souvent triomphalistes des responsables locaux. On peut cependant en dresser un tableau plus optimiste que ne le laissent supposer les conclusions de certains travaux universitaires cités plus haut16. On estime qu’en 1973, l’APEX avait créé 3 300 emplois. Les trois syndicats, quant à eux, avaient contribué à en créer 5 700, ainsi répartis : 3 000 pour les deux zones de Béthune (A et B) ; 1 700 pour le SAZIAB ; 1 000 pour le SAZIRAL.

15Dans ce bilan, la diversité de l’origine des investisseurs était incontestablement l’élément le plus remarquable. Les grandes firmes étrangères, surtout américaines, étaient présentes au début des années 1970 dans le secteur de Béthune, telles que Firestone (pneumatiques), implantée dès 1960, Schenectady (résines synthétiques) et Cutler Hammer (composants électroniques), venues plus tard, enfin Mc Cain (unité de fabrication de frites), installée au début des années 1970. Mais on pouvait aussi remarquer des entreprises originaires de la région parisienne, prises dans le flux des délocalisations industrielles, comme, à Béthune, BENOTO (matériel d’appareils de manutention et de travaux publics) ; dans la zone de Bruay, Ripolin (peinture) et la Société de transmission automatique (STA), filiale commune de Renault et de Peugeot pour la fabrication de boîtes de vitesses. On relevait enfin la présence d’entreprises de la région du Nord, dont plusieurs sociétés de confection, tout comme de petites entreprises locales.

16Il reste à mesurer le poids respectif des facteurs attractifs évoqués ci-dessus. Tous n’ont pas joué avec la même intensité pour les entreprises considérées. Il est possible d’opérer des distinctions suivant les types d’avantages évoqués.

  • 17 Dans Zone européenne de conversion, bulletin du CATEX, novembre-décembre 1968.

17Les avantages fiscaux aux industries qui s’installaient en zones critiques ou d’adaptation ont évidemment joué leur rôle. Les demandes des industriels et les réponses types du syndicat SAZIB mentionnaient toutes cet aspect. Et, en 1968, un responsable de Cutler Hammer citait, parmi les facteurs motivants, « le soutien des pouvoirs publics et de l’administration »17. Mais, comme on l’a vu, les mêmes avantages existaient pour d’autres zones sur le territoire français. Les acteurs locaux devaient donc jouer sur d’autres facteurs pour faire la différence. Une fois obtenu ce soutien de l’État, base indispensable à toute action locale, il fallait jouer sur certaines marges.

  • 18 AMB, dossier « Demandes d’industriels », lettre adressée au SAZIB, 24 mai 1966. L’entreprise préci (...)
  • 19 AMB, dossier « Demandes d’entreprises », lettre de la société A.D. Little et réponse de Guisnet, r (...)
  • 20 AMB, dossier « Demandes d’entreprises », lettre de la société SOPREME à la SAZIB, 26 février 1973.
  • 21 AMB, dossier « SAZIB », lettre du directeur de la société Flament à Henri Pad, président du SAZIB, (...)
  • 22 AMB, dossier « Demandes d’industriels », lettre de la SOLINTEX, 20 avril 1966.

18Il semble que les avantages liés à la main-d’œuvre aient joué un rôle déterminant. Nombre de demandes émanant des entreprises à ce sujet montrent le souci bien naturel de recruter une main-d’œuvre intéressante à la fois sur le plan des coûts salariaux, mais aussi docile et flexible, et, ce qui découlait le plus souvent de ces deux données dans la culture de cette époque, féminine. Ainsi, une petite entreprise du XIIIe arrondissement de Paris, Judlin, spécialisée dans la fabrication de fermetures métalliques, placée dans l’obligation de se délocaliser par suite de la rénovation du quartier, se déclare-t-elle attirée par la main-d’œuvre septentrionale, « réputée pour son ardeur et son attachement au sol »18. La « flexibilité » est également mise en avant. Un fabricant de produits alimentaires demande, par l’intermédiaire du bureau d’études Arthur D. Little, si des ouvriers de la région accepteraient de travailler par équipes se relayant toutes les huit heures19. La société SOPREME (Société française d’études mécaniques et électroniques), sise à Ivry, parle de ses « fabrications à caractère répétitif », confiées à des ouvriers et ouvrières spécialisés, dont la formation pourrait être assurée sur place20. L’entreprise Flament, Heuchamps et Cie (filature de lin), de Lambersart, près de Lille, qui emploie 70 femmes sur 80 salariés, envisage une transplantation en fonction de l’abondance de la main-d’œuvre féminine dans l’ouest du pays minier21, de même que la société SOLINTEX (confection, à Courtrai)22.

  • 23 Bernard Convert et Michel Pinet, Logiques industrielles de reconversion et politiques de mobilisat (...)

19Il convient toutefois de relativiser ce type d’« avantages ». Sans doute, la « docilité » de la main-d’œuvre locale ne relevait-elle pas entièrement du mythe. Des études de sociologues ont montré, pour la STA (Société de transmission automatique), installée dans la zone industrielle de Ruitz, dans le secteur du SAZIAB, une grande stabilité sociale, résultant de la mise en place d’un système d’embauche qui ne faisait entrer dans l’entreprise que des individus intégrés dans le réseau de relations familiales des salariés en place, le tout allant de pair avec un niveau de syndicalisation élevé23. Mais les industries nouvelles étaient dépourvues de cet avantage structurel, générateur, si l’on veut, de cette « docilité » : le déroulement des événements de 1968 dans la région de Béthune-Bruay montre en effet une assez forte opposition entre les pays de vieilles traditions syndicales, fortement encadrés, comme le bassin minier, où la prédominance des syndicats restait intacte, et les nouvelles implantations, notamment dans les zones industrielles de Béthune où se produisirent de nombreux incidents, à BENOTO et surtout à Firestone, dont le président pour Firestone-France, de Larosière de Champfeu, fut séquestré durant quelques heures par les employés en lutte. De façon classique, les nouvelles implantations situées dans une zone dépourvue de traditions syndicales (les zones industrielles de Béthune ont été installées dans des secteurs ruraux) se révélèrent plus « fragiles » socialement qu’il n’avait été prévu.

  • 24 Léonce Deprez, dans son rapport précité de 1960, souligne cette nécessité et propose la mise en pl (...)
  • 25 Rapport sur « L’habitat à l’ouest du pays minier du Pas-de-Calais », reproduit dans L. Deprez, 195 (...)
  • 26 AMB, 9W2, procès-verbal du comité du SAZIB, 3 mars 1960.
  • 27 Ibidem.

20Flexibilité, docilité, abondance (donc garantie de réclamations salariales modérées), toutes ces caractéristiques de la main-d’œuvre compensaient largement la faible qualification d’ensemble de ces personnels. Cette question était rarement soulevée par les entreprises, sinon pour préciser qu’elles prendraient en charge la formation de leurs ouvriers spécialisés originaires de la région. Il est clair que, dans la phase d’organisation du travail où l’on se trouvait alors, la qualification importait peu, dans la mesure où l’on recherchait surtout des travailleurs à la chaîne. Mais, pour les travailleurs qualifiés et les cadres, il n’en était pas de même. Beaucoup d’entreprises proposaient alors de transférer leur personnel qualifié, qui accompagnerait la délocalisation. Sans doute, les lobbyistes promettaient-ils un effort de formation en faveur des « autochtones »24. Mais l’importance de la question Entreprises, syndicats intercommunaux et reconversion industrielle 293 de la mise à la disposition de logements pour le personnel transféré montre bien l’ampleur de ces transferts d’ouvriers qualifiés et de cadres, « qui peuvent être rarement recrutés sur place », selon les termes même de Léonce Deprez dans l’un de ses rapports25. Aussi certaines entreprises réclamèrent-elles des attributions prioritaires de logements pour leur personnel. En 1960, Schenectady, faisant valoir la nécessité de logements de fonction pour certains de ses travailleurs qualifiés « transférés » réclama plusieurs logements HLM26. Dans le cadre de l’effort particulier consenti pour BENOTO, une centaine de logements HLM lui furent réservés en 1961, cependant qu’était lancé un programme de 25 logements pour cadres27, dans un secteur dont la médiocrité de l’habitat était une caractéristique de longue date. Ces types de difficultés restreignaient, mais sans les annuler, loin de là, les « avantages » de la main-d’œuvre locale, docile et bon marché.

  • 28 Emile Vanrullen, président de l’Union commerciale, membre de la Chambre de commerce, était aussi c (...)
  • 29 AMB, 9W2, procès-verbal du comité du SAZIB, 4 avril 1960.

21Une dernière difficulté, enfin, pouvait surgir : le risque qu’une concurrence à propos de la main-d’œuvre ne s’établisse entre les nouvelles industries et les industries locales, provoquant des tensions sur les salaires. On en trouve des échos dans le plaidoyer de Léonce Deprez en faveur de l’« union » des industries nouvelles et des industries anciennes. Le risque d’un déséquilibre du marché du travail au détriment des entreprises locales était réel aux yeux des dirigeants du SAZIB, comme en témoignent les protestations de l’Union commerciale de Béthune, dont le président, Emile Vanrullen, était membre du comité du syndicat28. En avril 1960, il dénonçait les pratiques de la Jeune Chambre économique, l’association de Léonce Deprez, qui avait lancé par voie de presse des annonces en vue de recruter du personnel pour les nouvelles industries. Il estimait que cela favoriserait le « débauchage » des entreprises locales. Henri Pad, le maire de Béthune, président du SAZIB, sans désavouer formellement Léonce Deprez, faisait part de sa préoccupation devant un risque de « déséquilibre » du marché du travail local29. Il est vrai que, pour les entreprises nouvellement implantées, le risque de pression sur les salaires restait limité, étant donné l’abondance de la main-d’œuvre et l’excédent de la demande de travail sur l’offre.

22Ces critères étaient communs à toutes les entreprises, locales, nationales ou multinationales, désireuses de s’implanter. Mais, du point de vue de ces dernières, les facteurs géographiques jouèrent un rôle considérable dans la décision, tout spécialement les facilités de transport et de communication, au moins pour la zone de Béthune, privilégiée par rapport à Bruay et Auchel, comme on l’a vu plus haut, par la proximité du canal à grand gabarit.

  • 30 F. Florent, La reconversion du bassin minier et les chambres de commerce et d’industrie (…), op. c (...)
  • 31 Rapport Deprez sur « Les conditions impératives de la conversion d’une région minière en péril », (...)
  • 32 AMB, dossier « SAZIB », note rédigée par la Chambre de commerce, intitulée « Mc Cain », à la suite (...)

23Les motifs explicitement exprimés par les trois grandes entreprises implantées dans la zone de Béthune, Firestone, Schenectady et Mc Cain, ne laissent aucun doute à ce sujet. Firestone obtint une large fenêtre sur le canal, au détriment du port fluvial de commerce, aux mains de la Chambre de commerce. Cette situation fut à l’origine d’un long conflit. Dès 1959, la Chambre de commerce envisageait d’aménager sur le canal à grand gabarit un nouveau port, plus profond et plus opérationnel que l’ancien, situé aux portes du centre ville. Mais le terrain choisi se trouvait sur la zone expropriée par le SAZIB. Quand, à la fin de 1959, l’implantation de Firestone fit l’objet d’une convention, le syndicat, placé entre les souhaits contradictoires de l’entreprise et ceux de la CCI, choisit le parti de la multinationale. Le conflit ne fut résolu que quelques années plus tard, en 1965, quand Firestone accepta de revendre à la CCI une partie du terrain qui lui avait été vendu, situé sur le territoire de la commune de Béthune. La CCI en accepta le rachat, mais demanda et obtint le concours de l’État et de la commune pour réaliser cet investissement30. La firme Schenectady a privilégié également la facilité de communications et l’accès aux matières premières : grâce aux établissements carbochimiques des Houillères, elle disposait de la plupart des produits dont elle avait besoin dans un rayon de 15 km seulement, une situation sans commune mesure avec les grandes distances caractéristiques de l’espace américain31. De même, la firme Mc Cain qui implanta plus tard, en 1974, une unité de fabrication de frites, recherchait explicitement en priorité la proximité du canal et l’approvisionnement en pommes de terre, les besoins de l’usine devant s’élever à 1000 tonnes par jour32. L’eau, en revanche, pouvait poser problème, les ressources de la nappe phréatique n’étant pas illimitées. Il apparaît donc que des facteurs tels que la densité de population et des activités, l’équipement en transport, les vastes possibilités de relations rapides ont fortement pesé sur le choix des multinationales, sans que l’on puisse exclure, comme on l’a vu, le rôle des autres facteurs, comme les incitations financières et les caractéristiques de la main-d’œuvre.

  • 33 AMB, 9W1, procès-verbal du comité du SAZIB, 7 novembre 1959.
  • 34 AMB, 9W8, procès-verbal du comité du SAZIB, 2 juin 1967.

24Un autre facteur de nature matérielle a joué un rôle important : l’espace disponible et le prix des terrains. Sur ce dernier point, les syndicats pouvaient jouer leur jeu en fixant très bas les prix proposés aux firmes. Mais ils furent pris dans un champ de concurrences impitoyables, car la stratégie des firmes étrangères se déployait au plan national. Le prix de vente des terrains cédés à Firestone était inférieur à leur prix de revient, dut reconnaître Henri Pad en novembre 1959, alléguant la mise en concurrence avec d’autres villes françaises, comme Nantes33. BENOTO, agissant sur ce même registre de la concurrence, obtint, en menaçant de s’implanter au Havre, que le SAZIB participe au financement de la construction de son usine, grâce à un prêt de la Caisse des dépôts et consignations, à charge pour l’entreprise de rembourser le syndicat quand elle serait en mesure de le faire. Cette politique de bas prix ne fut pas sans entraîner des difficultés financières pour le SAZIB, qui devait rembourser l’organisme prêteur ayant permis l’aménagement, le Fonds national d’aménagement foncier et urbain (FNAFU)34.

25Ce ne fut pas sans entraîner des difficultés financières pour les syndicats. Dans le cas précis de BENOTO, le SAZIB, ainsi que la commune de Béthune, qui s’étaient engagés dans un ardent soutien à l’entreprise, connurent un échec final, car l’entreprise disparut au début des années 1970. Ailleurs, dans le pays minier profond, l’espoir d’une réutilisation des locaux du bassin minier disparut très vite et il fallut, par les mêmes techniques, édifier de nouveaux bâtiments industriels. Ici, le SAZIAB connut donc les mêmes difficultés financières. Il fallut attendre le milieu des années 1970 pour assister à un début de rééquilibrage, grâce aux patentes importantes versées par les firmes. Par la suite, la Société d’équipement du Pas-de-Calais prit le relais de l’aménagement, devenu d’ailleurs moins intense. Il n’en reste pas moins que le prix des terrains, domaine où les aménageurs disposaient d’une relative marge de manœuvre, a joué un rôle, semble-t-il, tout à fait déterminant.

26Les facteurs d’attractivité ont varié suivant la taille et la surface des entreprises. Si l’on considère les facteurs « naturels » (marché du travail et avantages dus à la géographie, position, etc.), en les distinguant des actions volontaristes, on peut remarquer que les entreprises de petite taille étaient attirées par le bassin de main-d’œuvre, celle-ci étant censée présenter des qualités de docilité et de rigueur dans le travail, en même temps qu’un coût salarial avantageux dû à son abondance. Ces entreprises étaient attirées par les avantages accordés par l’État, mais la main-d’œuvre créait un différentiel, dans la mesure où d’autres régions bénéficiaient des mêmes facilités. Pour les grandes entreprises, il en allait différemment dans la mesure où leur réflexion se situait au niveau du continent européen, voire même à l’échelle du monde. La facilité des liaisons et des relations et l’approvisionnement en matières premières, recherchés de façon évidente par Mc Cain et par Schenectady, ont joué un rôle majeur, sans que l’on puisse dire que les autres facteurs n’ont pas eu d’influence : c’est plutôt leur combinaison qui, sans doute, a permis d’aboutir à la décision d’implantation.

Les limites du volontarisme local

  • 35 Cette aide était accordée par l’administration de l’Aménagement du territoire, l’entreprise intére (...)
  • 36 AMB, 9W8, procès-verbal du comité du SAZIB, 2 juin 1967 ; dossier « SAZIB », lettre de Pierre Bill (...)

27Précisément, il faut revenir sur les avantages relevant de la politique de l’État, évoqués à plusieurs reprises. L’État avait mis en place, au début des années 1960, une politique d’aide aux régions en difficultés, accordées aux zones dites « critiques » ou de « reconversion ». Ces aides, remaniées à plusieurs reprises, consistaient au début des années 1970 dans la prime d’adaptation industrielle, subordonnée à la création d’emplois (30 au minimum), assortie d’avantages fiscaux (exonération de la patente, totale ou partielle, décidée par les municipalités et le conseil général, les collectivités locales participant aussi à ces subventions) et d’une aide au déménagement, réservée aux entreprises de la région parisienne qui acceptaient le déplacement35. Le classement dans les zones d’aide était donc vital pour les actions de reconversion : comme on l’a vu, les acteurs locaux devaient ensuite créer un « différentiel », dans la mesure où d’autres portions du territoire national bénéficiaient du même avantage. Mais c’est précisément là que se trouvait la limite de leur action. L’octroi de ce statut avantageux était la condition nécessaire – bien que non suffisante – de leur volontarisme. On comprend aisément qu’en juin 1967, le comité du SAZIB ait demandé « instamment aux pouvoirs publics d’orienter les industriels vers Béthune et d’y faciliter leur implantation aux taux maximums prévus par la réglementation en faveur de la zone ouest du Bassin minier ». C’était déjà le cas depuis des années, mais le SAZIB souhaitait la reconduction et le renforcement de cette aide. Firestone, à l’occasion de l’extension de sa zone industrielle, demandait le bénéfice de la prime d’adaptation36. L’action locale était donc inenvisageable sans le soutien national.

  • 37 F. Florent, La reconversion du bassin minier et les chambres de commerce et d’industrie (…), op. c (...)
  • 38 Journal Officiel, Débats, Assemblée nationale, 1re séance du 3 novembre 1967, p. 4444.
  • 39 Voir note 34. José Bille mentionne aussi d’excellentes relations avec Pierre Billecocq in F. Flore (...)
  • 40 José Bille évoque Pierre Billecocq, lié à l’APEX, elle-même liée aux Houillères. Il remarque que J (...)

28Il est clair que, dans cette perspective, l’intégration à des réseaux nationaux a été indispensable, afin d’appuyer les actions menées localement. Les acteurs interrogés évoquent constamment la DATAR. C’est par la DATAR que l’entreprise Mc Cain fut contactée37. Parmi les personnalités qui paraissent avoir eu un rôle important, figure Pierre Billecocq. Haut fonctionnaire, puis secrétaire général de la société Béghin de 1962 à 1966, délégué général de l’Association pour l’expansion industrielle de la région Nord-Pas-de-Calais (APEX) en 1966, il fut nommé commissaire à la conversion industrielle l’année suivante, ce qui lui valut d’être pris à partie dans un discours du député communiste de Bruay, Maurice Andrieux, ancien rédacteur en chef de la Gazette des mineurs, qui voyait dans cette nomination un signe de « dénationalisation », entendue dans un double sens, régionalisation et privatisation38. De même, quand Henri Pad, le maire de Béthune, voulut soutenir la demande d’une prime d’adaptation en faveur de Firestone en 1967, c’est à lui qu’il s’adressa pour contacter la DATAR39. Fait intéressant, Pierre Billecocq tenta au début des années 1970 une carrière politique comme député du Nord, puis comme membre des gouvernements Chaban-Delmas et Messmer, avant de quitter la vie politique en 1974. Il y avait là, de sa part, à la fin des années 1960, une tentative de constitution d’un réseau régional débouchant sur une carrière politique. Jean Mattéoli est l’autre personnalité la plus citée : d’abord directeur des relations extérieures, puis secrétaire du conseil d’administration des Houillères de bassin du Nord-Pas-de-Calais (1953-1968), il devint commissaire à la conversion industrielle (1968-1973). Les témoignages des acteurs locaux, Léonce Deprez comme José Bille, ancien secrétaire général de la Chambre de commerce de Béthune, attestent d’excellentes relations avec lui dans le courant des années 196040. Ces personnages qui cumulaient une implantation nationale et une bonne connaissance du terrain local paraissaient les intermédiaires obligés dans les liaisons des acteurs locaux avec l’échelon national. Leur action montre également que les Houillères demeuraient un interlocuteur incontournable dans le processus de reconversion.

29Une deuxième limite aux actions locales résidait dans leur caractère souvent décevant. Décrivant la situation de façon pessimiste et forçant la noirceur du trait, Maurice Andrieux, dans une intervention à l’Assemblée nationale en novembre 1967 évoquée plus haut, mettait l’accent sur plusieurs difficultés : tout d’abord, un parc immobilier présenté comme particulièrement lamentable avec, à Bruay, 89,7 % de logements sans douche ni baignoire ; 90,7 % dépourvus de WC intérieurs ; un bilan scolaire bien maigre avec, sur les 5 900 jeunes de Bruay, 15 qui possèdaient le diplôme des écoles nationales professionnelles ; 92, dont 8 filles, le brevet d’enseignement industriel ou commercial ; 123, le brevet professionnel ; 1 459 un simple certificat d’aptitude professionnelle et, « parmi ces derniers, combien sont manœuvres maçons, et combien d’aides-comptables sont manutentionnaires ». Délaissant la dernière notation assez contradictoire (il y a du personnel qualifié, mais qui ne trouve pas d’emploi, alors que la démonstration s’organisait autour de l’idée d’une insuffisance de la formation), il faut retenir l’idée – juste – d’une population moins bien formée qu’ailleurs. Les lobbyistes du CATEX avaient mis l’accent sur ce thème, mais sans pouvoir proposer autre chose que des solutions très partielles, comme on l’a vu. En fait, une politique volontariste ne pouvait se concevoir sans l’appui de l’État dans ces deux domaines clés que représentent le logement et la formation. Or, ici, le pouvoir de décision échappait en grande partie aux acteurs locaux et relevait de l’autorité centrale qui disposait seule, à l’époque, de moyens d’incitation ou d’intervention suffisamment puissants pour provoquer une évolution significative, car il apparaissait nettement que le développement résulterait d’une synergie d’ensemble, et pas seulement de mesures ponctuelles. L’évolution vers la décentralisation et la régionalisation a dérivé en grande partie de la prise de conscience de cet état de fait et de la nécessité de créer des acteurs locaux suffisamment puissants pour prendre en mains ces secteurs clés.

Conclusion

  • 41 Trente ans plus tard, les usines Mc Cain et Firestone (cette dernière rachetée par d’autres invest (...)

30Ainsi, dans ce type d’opérations, se juxtaposent plusieurs phénomènes. On y trouve d’abord un processus volontariste, caractéristique de l’époque étudiée. Il s’agissait alors, au sein d’un bassin d’emploi offrant une main-d’œuvre abondante et laborieuse, de tirer parti de la force de travail existante et d’éviter un chômage massif. Sous ce rapport, on ne peut dire que ces actions aient échoué, même si le nombre d’emplois détruits par la fermeture des Houillères n’a pas été retrouvé. Une réelle attractivité a permis la création d’emplois durables41, et l’on peut légitimement en conclure que le même niveau d’implantation n’aurait pas été atteint si ces mesures n’avaient pas été prises. Il convient toutefois de relever la faiblesse de la marge de manœuvre des acteurs locaux, dont l’esprit d’initiative et le courage méritent d’être soulignés. Ils se trouvaient confrontés à deux partenaires de taille. D’abord, l’État, dont le rôle était indispensable : c’est lui qui créait les conditions nécessaires, mais non suffisantes, de l’effort de reconversion. Ensuite, les grandes firmes multinationales, dont la stratégie se déployait au plan mondial et dont les critères de choix (facilité des liaisons, proximité des matières premières, densité des activités et de la population) dépassaient largement le cadre de la politique d’aides publiques.

Notes

1 Bernard Frimat, « Emploi, conversion et avenir de l’ouest du bassin minier », in Une région en mutation : le Nord-Pas-de-Calais. Aspects économiques et sociaux, Villeneuve d’Ascq, Publications de l’Université de Lille 3, Cahiers du Centre interuniversitaire de recherches universitaires en sciences humaines no 1, 1975, 240 p. Il s’agit des actes d’un colloque tenu à Lille les 30 et 31 mai 1975, qui dresse un bilan mitigé des opérations de reconversion.

2 Léonce Deprez, l’un des acteurs de cette reconversion, parle de la nécessaire « déshouillérisation » du pays minier. Cité dans Françoise Florent, La reconversion du bassin minier et les chambres de commerce et d’industrie de Béthune-Lens, Douai et Valenciennes, 1945-1983, thèse, Université de Lille 3, 2001, 866 p., dir. Jean-Pierre Hirsch.

3 Sur l’action du CATEX, on dispose d’une abondante documentation diffusée par son président, Léonce Deprez, un homme politique local de tendance giscardienne, futur député-maire du Touquet, mais dont la famille était alors implantée à Béthune. Sur cette action de pression, on peut voir notamment Léonce Deprez, 1958-1968. Dix ans de lutte pour la vie d’une zone minière à reconvertir, Béthune, Éditions Flandres-Artois-Côte d’Opale, 1972. Ajoutons que le président du CATEX était aussi propriétaire du journal local du Béthunois, L’Avenir de l’Artois. Du même L. Deprez, L’envie du futur, Lille, Éditions La Voix du Nord, 2009.

4 Le maire socialiste de Barlin, Raymond Derancy, est à l’origine de cette création. Voir la plaquette sans nom d’auteur intitulée Raymond Derancy. Trente années au service de la population, Barlin, Mairie de Barlin, 1975, 32 p.

5 F. Florent, La reconversion du bassin minier et les chambres de commerce et d’industrie (…), op. cit., entretien avec L. Deprez, p. 114 et suivantes ; voir aussi, dans les annexes, les entretiens avec L. Deprez, membre de la Chambre de commerce de Béthune et président du CATEX et José Bille, secrétaire général de la même Chambre à partir de 1969, p. 454-474.

6 Gustave Deleau voulait empêcher Léonce Deprez de mettre la main sur la Chambre de commerce. En arrière-plan, il existait une nette différence sociale entre Deleau, ancien cafetier, sans formation universitaire, et Deprez, fils de notaire, licencié en droit, issu de la « bonne bourgeoisie ». Voir à ce sujet F. Florent, La reconversion du bassin minier et les chambres de commerce et d’industrie (…), op. cit., p. 114, 454, 464. Henri Pad, radical, maire consensuel, ne semble pas avoir été impliqué dans ces « jeux troubles ».

7 Archives municipales de Béthune (désormais AMB), procès-verbaux du conseil du SAZIB, 3 mars et 10 avril 1959. Les syndicats participèrent aux travaux du conseil d’administration à leur demande (lettre de l’Union locale de la CFTC du 4 février 1959). Dans sa séance du 10 avril suivant, le conseil décida qu’un délégué de chaque organisation syndicale (CFTC, CGT, CGT-FO) participerait à ses réunions avec voix consultative, de même qu’un représentant de l’organisation patronale.

8 AMB, dossier « Statuts et divers », non coté, lettre du sous-préfet de Béthune au maire d’Essars, 9 juillet 1958. Les deux communes concernées, Essars et Beuvry, donnèrent leur adhésion par la suite. Etaient évoqués dans cette correspondance la question des fumées industrielles et l’épuisement éventuel de la nappe artésienne.

9 Interview R. Derancy, « Comment naquit le SAZIAB ? », plaquette Raymond Derancy. Trente années au service de la population, op. cit.

10 Ainsi, le BRIO (Bureau d’études et de recherches industrielles), un cabinet conseil parisien, qui fait parvenir un questionnaire au SAZIB en 1972.

11 AMB, dossiers « Demandes d’industriels », correspondance avec la British Chamber of Commerce of France, 25 janvier et 17 février 1972 ; visite d’Hastings, novembre 1974 ; lettre du maire de Béthune au maire de Schwerte, 11 février 1972.

12 Voir la présentation qu’en donne Serge Dormard, L’économie du Nord-Pas-de-Calais. Histoire et bilan d’un demi-siècle de transformations, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2001, p. 75-86, accompagnée d’une série de cartes très éclairantes.

13 Dans un rapport intitulé « Les conditions impératives de la conversion d’une région minière en péril », présenté à Luxembourg en 1960 au cours d’une conférence internationale pour la conversion organisée par la Haute Autorité de la CECA, Léonce Deprez développa largement cet argument. Voir ce rapport dans L. Deprez, 1958-1968. Dix ans de lutte (…), op. cit.

14 Léonce Deprez réalisa plusieurs rapports sur la question : en 1959, en tant que président de la Jeune chambre économique de Béthune, adressé à l’administration départementale et à la Chambre de commerce de l’arrondissement ; en 1960, sur les problèmes de la main-d’œuvre et de la formation professionnelle en fonction des besoins nouveaux de la zone économique ; sur les besoins de main-d’œuvre, en tant que secrétaire général du GIRBAFA, un organisme qu’il avait créé et qui réalisait des études prévisionnelles. Voir ces rapports dans 1958-1968. Dix ans de lutte (…), op. cit.

15 AMB, dossier « Demandes d’industriels », réponse adressée par les responsables du SAZIB à la British Chamber of Commerce of France, 17 février 1972.

16 Notamment les conclusions du colloque Une région en mutation : le Nord-Pas-de-Calais. Aspects économiques et sociaux, op. cit.

17 Dans Zone européenne de conversion, bulletin du CATEX, novembre-décembre 1968.

18 AMB, dossier « Demandes d’industriels », lettre adressée au SAZIB, 24 mai 1966. L’entreprise précise qu’il n’est pas possible de déplacer l’effectif actuel de 40 personnes et s’interroge sur le niveau des salaires dans le secteur.

19 AMB, dossier « Demandes d’entreprises », lettre de la société A.D. Little et réponse de Guisnet, responsable du SAZIB. Guisnet répond simplement que « la région dispose d’une main-d’œuvre importante par suite de la densité de la population et de la fermeture des mines ».

20 AMB, dossier « Demandes d’entreprises », lettre de la société SOPREME à la SAZIB, 26 février 1973.

21 AMB, dossier « SAZIB », lettre du directeur de la société Flament à Henri Pad, président du SAZIB, 30 juin 1964.

22 AMB, dossier « Demandes d’industriels », lettre de la SOLINTEX, 20 avril 1966.

23 Bernard Convert et Michel Pinet, Logiques industrielles de reconversion et politiques de mobilisation, LARU-IDN, Villeneuve d’Ascq, 1978, cité dans Frédéric Sawicki, Les réseaux du parti socialiste. Sociologie d’un milieu partisan, Paris, Belin, 1997.

24 Léonce Deprez, dans son rapport précité de 1960, souligne cette nécessité et propose la mise en place d’un groupement interentreprises chargé de ces formations de travailleurs qualifiés (chaudronniers, soudeurs, etc.). Mais le point sur lequel il insiste, la mise en valeur d’intérêts communs entre les industries nouvelles et les industries « anciennes », fortement implantées dans les organismes patronaux (Chambres de commerce, Unions commerciales) montre bien qu’il y avait là un risque de fracture.

25 Rapport sur « L’habitat à l’ouest du pays minier du Pas-de-Calais », reproduit dans L. Deprez, 1958-1968. Dix ans de lutte (…), op. cit.

26 AMB, 9W2, procès-verbal du comité du SAZIB, 3 mars 1960.

27 Ibidem.

28 Emile Vanrullen, président de l’Union commerciale, membre de la Chambre de commerce, était aussi conseiller municipal (socialiste) ; il avait été conseiller de la République sous la IVe République. La municipalité de Pad comptait des représentants de tous les partis, sauf le PCF.

29 AMB, 9W2, procès-verbal du comité du SAZIB, 4 avril 1960.

30 F. Florent, La reconversion du bassin minier et les chambres de commerce et d’industrie (…), op. cit., p. 186 ; AMB, 9W1, procès-verbal du comité du SAZIB, 7 novembre 1959. Émile Vanrullen, au cours de cette réunion, protesta, mais fit savoir que, s’il fallait absolument choisir, il préférait l’implantation de Firestone.

31 Rapport Deprez sur « Les conditions impératives de la conversion d’une région minière en péril », in L. Deprez, 1958-1968. Dix ans de lutte (…), op. cit.

32 AMB, dossier « SAZIB », note rédigée par la Chambre de commerce, intitulée « Mc Cain », à la suite de la visite à Béthune en avril 1974 d’Harrison Mc Cain. Le ravitaillement en pommes de terre est considéré comme un « problème crucial ». La note évoque également les caractéristiques du système de distribution français, « qui pose quelques problèmes », comme la taille des exploitations et les structures du stockage.

33 AMB, 9W1, procès-verbal du comité du SAZIB, 7 novembre 1959.

34 AMB, 9W8, procès-verbal du comité du SAZIB, 2 juin 1967.

35 Cette aide était accordée par l’administration de l’Aménagement du territoire, l’entreprise intéressée devant déposer un dossier à la préfecture de région.

36 AMB, 9W8, procès-verbal du comité du SAZIB, 2 juin 1967 ; dossier « SAZIB », lettre de Pierre Billecocq à Henri Pad, 8 décembre 1967.

37 F. Florent, La reconversion du bassin minier et les chambres de commerce et d’industrie (…), op. cit., p. 458, témoignage de José Bille, secrétaire général de la Chambre de commerce de Béthune à partir de 1969.

38 Journal Officiel, Débats, Assemblée nationale, 1re séance du 3 novembre 1967, p. 4444.

39 Voir note 34. José Bille mentionne aussi d’excellentes relations avec Pierre Billecocq in F. Florent, La reconversion du bassin minier et les chambres de commerce et d’industrie (…), op. cit. p. 458.

40 José Bille évoque Pierre Billecocq, lié à l’APEX, elle-même liée aux Houillères. Il remarque que Jean Mattéoli, des Houillères de bassin, était conseiller technique de la Chambre de commerce de Béthune.

41 Trente ans plus tard, les usines Mc Cain et Firestone (cette dernière rachetée par d’autres investisseurs et devenue Bridgestone) existent toujours.

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