Les espaces du fer
p. 209-231
Texte intégral
« Leurs dirigeants étaient à Paris et à Metzet ici [à Longwy] on n’a plus eu de directions d’usines. Les directeurs d’usines étaient des gens éphémères. Ils avaient une carrière à faire et, quand ils arrivaient à la retraite, ils partaient ailleurs. Il n’y a plus eu de responsables restant en place et faisant vivre un passé auquel ils étaient attachés. C’était devenu impersonnel. »
Bernard Labbé,
ancien maître de forge,
propos recueillis par Dominique Da Costa.
1L’histoire de la sidérurgie est souvent examinée sous l’angle de l’évolution de sa production et de ses aléas. Cette approche, concernant un secteur économique de cette importance, est tout à fait fondée. Cependant la sidérurgie est une activité hautement structurante qui s’inscrit dans un espace et qui va parfois s’identifier avec lui, porteuse d’un très fort imaginaire1. Cet espace, il est possible de l’examiner sous l’angle de la production, certes, mais aussi sous celui des hommes qui l’alimentent. Ces deux démarches sont relativement classiques. Elles ne sauraient faire oublier que, derrière l’usine, il y a une société et sa structure financière. Là aussi, il y a un rapport à l’espace qui mérite d’être analysé. Ces quelques lignes tenteront une synthèse de l’étude de ces objets et ne sauraient être exhaustives2 : il y faudrait un livre entier.
L’espace de la production
2Quand on évoque la sidérurgie, l’esprit fait appel immédiatement à des visions de hauts fourneaux, de cheminées, de bâtiments enchevêtrés à moitié visibles à travers les fumées, entre les évocations picturales de Coalbrookdale, du réalisme socialiste (E. Kibrik, Les architectes du communisme), la gravure du Creusot dans le Tour de la France de deux enfants ou les photos de Bernd et Hilla Becher. L’étape suivante est de se demander : où ? et d’essayer de placer cette production dans un espace plus ou moins délimité, ici la Lorraine. Il faut aussi faire abstraction de la matérialité pesante des installations telles qu’elles se présentent à notre imagination et concevoir une certaine mobilité de cette branche industrielle. En effet, à la question : « Où est la sidérurgie ? », la tentation est de répondre en forme de boutade : « Partout ». Au début de la révolution industrielle, nous sommes en présence d’une certaine atomisation de la production et le gros des forges est plutôt ailleurs qu’en Lorraine. Que l’on pense aux forges de l’Ouest, du Centre, du Nivernais (Guérigny...). Dans l’Est, ce qui peut passer pour la principale zone sidérurgique s’établit au sud de la Lorraine, dans le département des Vosges3, en liaison avec la Haute-Marne. En outre, des forges dispersées s’observent çà et là, au gré de l’énergie (eau-forêt) et des poches de fer fort, exploitées en minières à ciel ouvert. De petits centres industriels croissent ainsi autour d’une usine comme Creutzwald, Mouterhouse, Baerenthal. Adossées au bassin ferrifère, Hayange et Moyeuvre préfigurent les grands centres industriels.
Extrait de la carte de Cassini. Outre la forge, platinerie (laminoir) et fonderie sont déjà présentes à Hayange.

Article Creutzwald (extrait) dans Viville Claude-Philippe de, Dictionnaire du département de la Moselle, Metz, Antoine, 1817, 452 p.

3C’est au milieu du XIXe siècle que se modifie radicalement cette répartition. La cause principale du changement a pour nom chemin de fer. La révolution des transports sonne le glas de la vieille sidérurgie haut-marnaise (à l’exception notable de la zone de Saint-Dizier) et vosgienne. Le charbon de bois ne suffit plus et la houille, livrée par roulage, coûte six à sept fois plus cher la tonne que dans les usines desservies par la voie ferrée. C’est dans cette nouvelle dynamique que naît, par exemple, une agglomération industrielle telle que celle d’Ars-sur-Moselle4. La localité, vieux bourg viticole, est, d’une part, au pied des côtes de Moselle et de leur minerai oolithique et, d’autre part, sur la ligne de chemin de fer de Metz à Nancy. Ajoutons la Moselle pour l’eau et les espérances (alors) de transport fluvial. C’est largement suffisant pour que deux négociants juifs de Metz, Myrtil-Mayer Dupont et Adolphe Dreyfus, y créent une usine qui comptera plusieurs hauts fourneaux, rejoints par deux industriels protestants d’origine « sarroise », Karcher et Westermann. À la fin des années 1860, Ars-sur-Moselle est ainsi dotée de deux usines sidérurgiques et occupe le premier rang en Lorraine dans cette activité avec 4 hauts fourneaux en 1870, un cinquième étant en construction, même si l’ensemble arrive derrière de Wendel.
4Cette dernière société a compris l’intérêt du chemin de fer et relié aussitôt que possible ses sites de Hayange et Moyeuvre à la Moselle et à la ligne de Metzà Thionville par des voies ferrées privées5. C’est encore le rail qui est à l’origine de la construction de l’usine de Stiring6, ouverte en 1852, à la frontière de la Prusse sarroise, sur la ligne de Metzà Sarrebruck. Stiring, rebaptisée Stiring-Wendel après la construction ex nihilo d’une cité inaugurée par Napoléon III, vit par le rail, qui l’approvisionne en minerai lorrain et en charbon sarrois, et pour le rail, objet principal de ses fabrications. Au nord-ouest de l’ancien département de la Moselle, Longwy et ses environs voient aussi surgir les usines de terre. Cette deuxième phase, essentielle puisqu’elle esquisse une nouvelle carte de la sidérurgie, va buter sur un double obstacle, outre la guerre et la partition de la Lorraine : la dépression économique des années 1870 et les limites de la minette qui donne des fontes phosphoreuses impropres à la fabrication de l’acier. Même si des groupes français, belges et allemands s’intéressent au gisement de fer, celui-ci reste essentiellement une promesse jusqu’à la découverte du procédé Thomas-Gilchrist (1877-1879) permettant d’éliminer le phosphore. Le brevet aussitôt acheté par les de Wendel (avec exclusivité), le bassin lorrain devient une terre promise de la sidérurgie. Le brevet devait tomber dans le domaine public en 1893 et, s’il faut attendre cette date pour la création de nouvelles aciéries en Lorraine, de nombreuses usines sont érigées pour, dans un premier temps, fabriquer de la fonte, hormis Joeuf, Hayange et les Aciéries de Longwy7. Entre 1880 (construction de l’usine de Joeuf) et 1914, les vallées de la Chiers, de l’Orne et de la Fensch deviennent de véritables « vallées usinières », pour reprendre l’expression d’Adrien Printz8, historien de la Fensch. Autour de Nancy, se constitue également un petit bassin sidérurgique, mêlant établissements « anciens » et constructions plus récentes, en liaison avec l’histoire politique9 et les progrès techniques.
5À quelques éléments près, la carte de la sidérurgie a atteint là son maximum si l’on raisonne en termes de lieux d’implantation. En effet, les ajouts ultérieurs seront le fait de Renault avec l’édification de l’usine de la Société des aciers fins de l’Est, à Hagondange, dans les années 1930, et proviendront du regroupement des principales sociétés sidérurgiques du Nord lorrain dans la Société lorraine de laminage continu (SOLLAC) qui construit un train de laminage dans la basse vallée de la Fensch au tournant des années 1940-1950. À partir de ce moment débute le long reflux. Il commence par les mines. La première à fermer, en juin 1948, est celle d’Auboué, en Meurthe-et-Moselle. Suit celle de Fontoy, en Moselle, en amont de la vallée de la Fensch, en 1951. Les usines mettent plus de temps à fermer, quand bien même leur sort était tout tracé (cf. infra), car il est toujours possible de changer les approvisionnements.
Les principales zones de la production sidérurgique lorraine entre 1815 et nos jours.

6L’espace de production, ce sont aussi toutes les installations nécessaires, les zones de stockage, bâtiments d’exploitation, terrils, réseaux ferroviaires, d’alimentation en eau, en électricité, funiculaires... Des superficies considérables sont ainsi mobilisées, aussi bien en surface qu’en sous-sol. Pour ne donner qu’un exemple, les surfaces minières exploitables (et pratiquement exploitées) s’étendent, au moment de l’apogée de la sidérurgie, sur 70 242 ha10. Il est très difficile, en l’état actuel des connaissances, de présenter un tableau exhaustif des terrains occupés directement ou indirectement par cette activité. Arriver à présenter un plan correct d’une usine, à partir des planches des services techniques, pose déjà quelques problèmes. Toutes les usines ne sont pas semblables, ne comprennent pas les mêmes éléments. Grosso modo, d’un point de vue théorique, trois espaces complémentaires peuvent se dessiner.
7Tout d’abord, l’espace du travail du fer proprement dit. Il est centré sur les hauts fourneaux qui constituent en quelque sorte le cœur de l’usine sidérurgique. Autour, l’agglomération du minerai, la cokerie, l’aciérie. Un peu plus loin, l’élaboration des produits semi-finis : tréfilerie et laminoir. Cette zone est en relation directe avec l’espace des approvisionnements, des matières premières et de l’énergie. Au début de l’activité, la mine est à proximité. Elle est même à l’origine de l’implantation de la sidérurgie lorraine, inhabituellement située sur le minerai, du fait de la teneur propre aux couches ferrugineuses. Si l’on excepte les minières du début, les premières galeries sont à flanc de coteau, donnant directement sur les vallées sidérurgiques. Au fur et à mesure de l’exploitation du gisement, les puits gagnent les revers des côtes de Moselle et s’éloignent des usines, d’abord le long de la frontière avec la France (après 1871), puis en Meurthe-et-Moselle à la suite de la découverte du bassin de Briey. C’est ainsi que la mine d’Amermont, à la limite du département de la Meuse, dont le premier puits est foncé en 1906, ravitaille en minette l’usine de La Providence, située à Rehon, dans les environs de Longwy, à une quarantaine de kilomètres de là. 61 mines de fer approvisionnent les forges de Lorraine et, jusqu’aux années 1960, les usines de la Sarre. La sidérurgie allemande dans son ensemble a également recours au fer lorrain, mais dans une bien moindre proportion que les forges sarroises. La répartition des mines et des usines est à l’origine d’un maillage du territoire par le réseau ferré, placé tantôt sous le contrôle des sociétés sidérurgiques, tantôt sous celui des compagnies ferroviaires (avant 1937, Compagnie de l’Est et Chemins de fer d’Alsace-Lorraine) dont les traces se perdent aujourd’hui peu à peu. Les éléments que nous avons sur le réseau de Wendel11 donnent une image de ce maillage, ainsi que du trafic qu’il supporte. Alors que les pointes extrêmes du réseau sont à 35 km l’une de l’autre, la longueur des voies ferrées atteint, au moment de sa plus grande extension, en 1966, 332 km ! Au triage d’Ébange, qui permet le raccordement avec le réseau SNCF, à la sortie de la vallée de la Fensch, ce sont 1 500 à 1 800 trains par jour qui passent par la butte de triage. À cela s’ajoutent les différents funiculaires qui acheminent la minette par wagonnets aériens.
8Cependant, il faut aussi tenir compte du charbon. Celui-ci ne se trouve pas sur place. Le bassin houiller de Lorraine ne fournit pas un combustible facile à cokéfier. Aussi, les usines de Lorraine ont assez tôt recours à des fournisseurs extérieurs, répartis entre le Pas-de-Calais en France, les mines de Belgique (bassin de Liège), des Pays-Bas (Limbourg), d’Allemagne (bassins d’Aix-la-Chapelle de la Ruhr, de Sarre), les houillères lorraines fournissant le complément, un complément qui devient de plus en plus important au fur et à mesure que progressent les techniques de cokéfaction. En effet, après la Deuxième Guerre mondiale, les cokes sidérurgiques sont obtenus à plus de 50 % à partir de houille sarro-mosellane. L’Allemagne (Sarre non comprise) continue d’alimenter les hauts fourneaux pour au moins le quart des approvisionnements. La majeure partie du tonnage est transportée par voie ferrée, le reste étant assuré par la voie fluviale. Cette dernière est entrée relativement tard dans l’organisation du transport. Le projet de canalisation de la Moselle, assez ancien, remonte au XVIIIe siècle. Constamment repoussé pour des raisons auxquelles les impératifs de la défense nationale ne sont pas étrangers, il revient sans cesse. Sous le Second Empire, est réalisé un premier tronçon, de Frouard (aux portes de Nancy) aux environs de Metz. Il sera achevé en 1874. C’est ensuite le statu quo, jusqu’à la création, en 1929, de la Société du canal des mines de fer de Moselle12 (CAMIFEMO) dont le capital provient en grande partie des entreprises sidérurgiques. Le CAMIFEMO est inauguré en 1932 et doté de ports directement reliés, à l’exception compréhensible de Metz, aux sites sidérurgiques. Reste alors à poursuivre vers l’aval, au-delà de Thionville, vers le confluent de Coblence. Il faut attendre la CECA et l’application du traité pour que soit entamée la dernière phase de la canalisation, laquelle s’achève par l’inauguration de 1964, en présence de la grande-duchesse du Luxembourg, du président de la République française et du chancelier de la République fédérale d’Allemagne. Ces travaux ont permis de mettre la voie d’eau au grand gabarit (3 000 t), mais interviennent tardivement par rapport à l’évolution générale de la sidérurgie. Sans être négligeable, le trafic fluvial de charbon, de minerai ou de produits sidérurgiques a été insuffisant et a quelque peu pénalisé la sidérurgie lorraine.
9Un dernier réseau peut être évoqué, celui de l’énergie, en l’occurrence l’électricité dont les usines sont grosses consommatrices. La récupération des gaz a permis aux forges de se doter de centrales propres à assurer une bonne partie de leurs besoins. Cependant, il est vite apparu que les disparités production-consommation étaient sensibles d’un site à l’autre. D’autre part, les mines étaient de fortes consommatrices sans être productrices. Or une partie d’entre elles sont partagées entre plusieurs sociétés. Le tout nécessitait une coordination de la distribution d’électricité. Dès 1921, se met en place le premier réseau d’interconnexion électrique, géré par la Société électrique de la sidérurgie lorraine (SESL). Le développement de la demande et l’irrégularité de la production posaient des problèmes qui ne pouvaient être résolus par l’augmentation de la capacité des centrales d’usines. La solution adoptée fut de construire de super-centrales récupérant les gaz des hauts fourneaux et répartissant entre les sociétés l’électricité obtenue. C’est ainsi que furent construites les centrales d’Herserange, dans la région de Longwy, et de Richemont, au confluent de l’Orne et de la Moselle. Les travaux commencent en 1947 à Herserange et, dès 1951, le premier groupe de la centrale, ravitaillée par un gazoduc de 11 km et un aqueduc de 13 km, commence à produire. La centrale de Richemont est entrée en service en 1955. Elle est à la tête d’un réseau de 54 km de conduites traversant le paysage, longeant les fonds des vallées usinières. Huit autres centrales d’usines restent en service et forment, avec les deux précédentes, l’Union sidérurgique de l’énergie, née de l’adaptation de la SESL au contexte de la nationalisation de l’énergie.
10Un autre élément qui ressort de l’espace de l’usine et qui est souvent méconnu en tant que tel, car apparenté aux yeux de la plupart à une autre catégorie, celle des œuvres sociales, est la cité ouvrière ou, plutôt, la cité d’entreprise, pour reprendre le concept anglo-saxon de company town13. Ce dernier terme est plus juste, car il permet d’englober l’habitat des employés et des cadres. En effet, les maîtres de forges ne se lancèrent pas dans la construction de cités dans une démarche inspirée par le paternalisme14. Les raisons essentielles reposent sur la nécessité. Il faut limiter la pénurie de logements qui risque de peser sur les salaires et sur la productivité de l’ouvrier, il faut être capable de répondre à la concurrence face à une main-d’œuvre très mobile et il faut la stabiliser. L’analyse des archives des sociétés industrielles montre combien, du moins jusqu’au début du XXe siècle, les cités entraient davantage dans la constitution de l’appareil de production que dans une action philanthropique, vision d’observateurs généralement extérieurs à l’entreprise. Derechef, la cité est un prolongement de l’usine, de la mine. Sa proximité avec la forge ou le carreau, sa structuration spatiale qui établit une répartition hiérarchique des quartiers et des logements en fonction du rang ou de la tâche occupés renforcent cette conception. Quoi qu’il en soit, les cités couvrent des surfaces considérables dans le bassin sidérurgique. Elles constituent, indépendamment des noyaux villageois, l’essentiel du bâti d’avant 1974. En un lent processus qui se développe sur plus d’un siècle, avec parfois de brutales accélérations15, elles ont envahi les vallées, dans les interstices des usines, ainsi que parfois les coteaux et le plateau minier, transformant une région jadis rurale en une vaste agglomération16. La plus grande partie des cités se trouvent à une distance relativement faible du lieu de travail. Le rayon des 5 km englobe la majeure partie des ouvriers d’une usine. Mais le développement des unités de production, les mutations personnelles obligent parfois à des déplacements plus importants. Dès que ce fut techniquement possible, des réseaux de tramways sillonnèrent les vallées de l’Orne, de la Fensch et de la Moselle. Ils furent progressivement remplacés, après la Deuxième Guerre mondiale, pour plus de souplesse et aussi parce que la répartition des résidences ouvrières s’élargit, se complexifie, par des services d’autobus opérant un véritable drainage du bassin sidérurgique au service des usines sidérurgiques. Des sociétés comme la Trans-Fensch17 naissent de cette mutation.
Les sociétés sidérurgiques drainent, du point de vue de la main-d’œuvre, des espaces complémentaires. Ici, l’exemple des sociétés Sidélor et de Wendel pour leurs usines de Homécourt et Hayange vers 1958

(à partir de Claude Prêcheur, op. cit.)
11Cet espace de la cité, grouillant de vie, d’êtres venus d’autres horizons, cet espace des tramways, des trains de travail, des autobus, c’est celui des hommes.
L’espace des hommes
12En effet, une autre approche consiste à examiner l’espace de la sidérurgie sous l’angle de la main-d’œuvre, non dans sa dimension sociologique, mais dans son rapport au territoire. La première image qui s’impose, concernant l’emploi dans le secteur, est celle d’une immigration massive, tant les esprits restent aujourd’hui marqués par l’implantation de populations d’origine étrangère dans le bassin sidérurgique, notamment des Italiens et des Polonais. L’examen de la constitution de ce groupe humain appelle plusieurs réflexions.
13Comme toujours, il faut replacer notre propos dans une dimension temporelle et passer par les différentes phases concourant à la construction de « l’homme du fer », pour reprendre une expression chère à Serge Bonnet18. Il est très difficile, sauf si l’on souhaite se plonger dans des recherches généalogiques, de se faire une idée de la provenance des ouvriers de la sidérurgie au début du XIXe siècle. Penchons, compte tenu de la faiblesse des effectifs, pour une origine majoritairement locale, même si se pose la question des spécialistes dont les pérégrinations étaient connues dans les anciennes forges. L’espace des travailleurs du fer était généralement la localité elle-même, souvent confrontée à des problèmes de logement19 au fur et à mesure du développement de l’activité, et les villages circum-voisins. Dans un monde qui ignore les moyens de transport organisés autour de la question de la main-d’œuvre, il semblerait que la distance qui forme limite corresponde peu ou prou à une heure de marche, soit 5-6 km autour de l’usine. Cela s’observe encore au milieu du siècle, lorsque les Forges d’Ars-sur-Moselle sont à leur apogée :
« Plus de deux cents ouvriers viennent tous les jours à leur travail des villages voisins où ils logent, tels que de Jouy-aux-Arches, distant de deux kilomètres ; d’Ancy, trois kilomètres ; Novéant, cinq kilomètres ; Gorze, sept kilomètres ; Gravelotte, six kilomètres ; Nerouville, neuf kilomètres ; et de quatre à cinq autres communes à égale distance. »20
14À cette époque, quand se structure une nouvelle répartition des lieux de production, l’immigration étrangère reste limitée car des transferts s’effectuent entre les anciennes forges et les nouvelles usines. Il est cependant possible de noter des flux en provenance de Wallonie dans le bassin de Longwy et du Grand-Duché de Luxembourg dans le nord du bassin sidérurgique. À cela s’ajoutent des Allemands provenant de la zone sarroise21, de Rhénanie-Westphalie ou du Palatinat. La crise des années 1870 a provoqué des transferts entre les sociétés ruinées par la dépression et celles qui survivaient, engendrant ainsi des courants surtout intra-régionaux22. Dans le tarissement de l’offre, le recrutement devient surtout familial ; on entre aussi à la forge ou à la mine par filiation. Mais les questions politiques vont prolonger et amplifier, dans une certaine mesure, ces déplacements de populations. En effet, l’intégration de l’Alsace et de l’actuelle Moselle dans la nouvelle Allemagne s’accompagne de migrations de groupes humains vers la France, soit par décision personnelle de rester Français, soit du fait d’une délocalisation de l’entreprise, ou du moins d’une implantation en territoire français, afin de garder une entrée sur le marché. Ce phénomène est observable dans le cas de quelques créations d’usines comme celle de Pompey, au nord de Nancy, provenant de la migration des industriels Dupont et Dreyfus d’Ars-sur-Moselle, ou encore celle de Dieulouard, due à la famille Gouvy, de Hombourg. Il accompagne également la création de l’usine de Joeuf, en Meurthe-et-Moselle, juste de l’autre côté de la frontière, en face de l’usine de Moyeuvre, désormais allemande.
15Cependant, ces mouvements de population n’atteignent pas, en proportion, ceux qui toucheront le bassin sidérurgique dès lors que le brevet Thomas-Gilchrist tombera dans le domaine public. Les nouvelles usines et mines sont gourmandes en personnel et les zones voisines désormais insuffisantes pour fournir les bras nécessaires23. La solution vient de plus loin, d’Italie dans un premier temps. Après un démarrage plutôt empirique, le Comité des forges de Meurthe-et-Moselle mit en place, dès 1910, un service spécifique de recrutement qui organisa, peut-on dire, de véritables filières d’immigration au profit de la Lorraine sidérurgique. Lesquelles filières alimentèrent aussi la Lorraine allemande du fait des intérêts partagés (cf. infra) et de l’extrême instabilité des effectifs. En effet, il n’est pas rare que les mineurs et ouvriers du fer fassent des allers-retours entre leur zone d’emploi et leur région d’origine, notamment quand les travaux des champs, moissons, vendanges... les appellent au pays. D’autre part, le passage d’une entreprise à l’autre, au gré de l’embauche, des salaires et des retours d’Italie, est fréquent. Au début du XXe siècle, s’esquisse ainsi une carte de l’immigration italienne liant la Lorraine sidérurgique à ses bassins d’origine, essentiellement, avant 1914 et jusqu’aux années 1930, le nord de l’Italie, de la frontière suisse à la Toscane24.
16Apparaissent aussi, à la veille de la Première Guerre mondiale, les premiers Polonais, encore aujourd’hui très difficiles à cerner et à chiffrer. Deux raisons à cela : l’une est académique, elle a pour cause le manque de travaux sur cette immigration, notamment en Lorraine ; l’autre est liée au statut de ces migrants. En effet, nous avons affaire à des « Germano-Polonais » provenant des régions orientales de l’empire allemand et passés par la Ruhr avant de s’installer en Lorraine. De ce fait, ils sont « Allemands », de nationalité « prussienne » et ne figurent pas en tant qu’étrangers. C’est au travers des listes de noms des dossiers d’embauche que l’on peut approcher, vaguement, cette présence. Elle devient plus évidente, et plus importante à la fois, quand se forme un État polonais. Globalement, avec un pic vers 1927-1928, les Polonais forment à peu près 25 % des effectifs étrangers dans le bassin sidérurgique. Ils proviennent surtout des régions de Lwów (aujourd’hui dans l’ouest de l’Ukraine), Cracovie, Poznan, Kielce et Lódz25. Cette dernière fournit une bonne part des ouvriers polonais de Joeuf et de la Société Métallurgique de Knutange (SMK). Comme dans le cas de l’immigration italienne, des flux et des regroupements sont organisés mais, semble-t-il, d’une manière plus légère en ce qui concerne la Lorraine. En effet, s’il y a un centre de regroupement à Toul qui permet, en partie, d’alimenter usines et mines de Lorraine, l’essentiel de cette immigration passe par la Société générale d’immigration, création du Comité des Houillères. L’histoire de l’immigration polonaise dans le bassin sidérurgique lorrain reste à faire. Les bouleversements politiques de l’entre-deux-guerres et la révolution russe ont entraîné également des flux migratoires qu’il faudrait analyser. Claude Prêcheur a consulté le registre du personnel des usines de Rombas pour juillet 1928. Vingt-quatre « nationalités » y sont enregistrées26. Les Polonais sont plus nombreux que les Italiens (885 contre 368 !), Russes et Serbes forment des groupes assez importants (respectivement 219 et 266). Les « Russes » sont également assez nombreux dans la vallée de la Fensch, à la SMK ; il s’agit d’ailleurs, très souvent, d’Ukrainiens. Mais les nomenclatures ne font pas la distinction. Polonais et Italiens, du point de vue du rapport à l’espace, sont ceux qui nous intéressent le plus ici. En effet, leurs pays respectifs, malgré les efforts des entreprises, freinent au maximum leur intégration en France, leur naturalisation. L’objectif est qu’ils puissent acquérir une formation en Lorraine et qu’ils transfèrent, le temps de leur présence sur le sol français, le maximum de leurs revenus vers le pays natal. Toutes sortes de mesures accompagnent cette volonté politique, comme la création d’aumôneries catholiques polonaises ou italiennes, l’institution de bibliothèques dans la langue maternelle, d’associations folkloriques... Elles empêchent l’enracinement de cette immigration et contribuent au maintien des liens avec la mère patrie. Mais, lors de la dépression des années 1930, les ouvriers étrangers sont les premiers sacrifiés par les réductions d’emploi. Leur absence, dans un contexte différent, allait poser problème au moment de la reprise de la deuxième moitié de la décennie et de l’adoption des quarante heures. Le recours à des travailleurs issus de l’Afrique du Nord sera souvent la solution adoptée. Considérés comme « Français de l’Afrique du Nord », leur nombre n’est pas facile à évaluer. Dans l’état actuel de la recherche, tout au plus peut-on se baser sur quelques coups de projecteurs donnés ici ou là. En 1938, par exemple, les forges d’Uckange embauchent 200 travailleurs nord-africains27. Il est difficile, compte tenu des méthodes de classification des bureaux d’embauche des usines, d’y voir très clair dans la composition de cette main-d’œuvre, entre Kabyles, Marocains et Tunisiens... À Joeuf, la plupart des Nord-Africains venaient de Kabylie.
17Après la Deuxième Guerre mondiale, les flux en provenance d’Italie se maintiennent, mais les bassins d’origine glissent vers le sud de la péninsule. Jusqu’au début des années 1960, les Italiens représentent la majeure partie des ouvriers d’origine étrangère (62,95 % des étrangers de Moselle en 1960). Il faut cependant relativiser cette forte présence, du fait que les ouvriers originaires d’Afrique du Nord, notamment d’Algérie, ne sont pas encore comptabilisés comme étrangers. D’autre part, ce qui caractérise la population italienne, par rapport au début du siècle, c’est son enracinement progressif. L’immigration est de plus en plus familiale et la naturalisation française forme une étape qui se banalise avec, pour la deuxième génération, des parcours qui s’éloignent de plus en plus de la mine ou de l’usine. En revanche, l’accession de l’Algérie à l’indépendance apporte une nouvelle visibilité à l’immigration nord-africaine. Apparaît aussi, au tournant des années 1950-1960, une immigration ibérique non négligeable. Les cartes de la répartition des Espagnols et des Portugais en Lorraine coïncident peu ou prou avec la répartition des effectifs de la sidérurgie dans l’ouest de la Lorraine, mais l’étude de leur présence dans la mine ou l’usine reste à approfondir. Cette immigration se développe en effet au moment où les effectifs de la sidérurgie et des mines sont en recul.
18Il faut aussi signaler, ici, une immigration « française » en relation avec la construction des laminoirs de la SOLLAC. En effet, cette nouvelle unité de production ne requiert pas chez les ouvriers des connaissances directement liées au travail de la fonderie ou de l’aciérie. La décision est prise de recruter large. Des appels sont lancés dans la France entière. Une bonne partie des ouvriers de la SOLLAC est constituée de Français extérieurs au bassin sidérurgique, voire à la Lorraine28.
L’espace du capital
19Le rapport à l’espace est aussi à envisager sous l’angle des structures capitalistiques. Là aussi, il y a une nette propension à considérer le lien entre territoire et usine d’un côté, capital de l’autre, comme relativement immuable. Il y a même, par ce biais, une sorte d’appropriation collective inconsciente, née des relations anciennes entre les maîtres de forges, leurs ouvriers et la région où s’exerce le principal de leur activité. Cette vision, erronée mais persistante, a été à la source de bien des incompréhensions au moment du déclin brutal de la sidérurgie lorraine. Elle a connu son point d’orgue lors du rachat d’Arcelor par la société Mittal. Mais il y a un abîme entre les réactions des populations qui considèrent l’outil de production inscrit dans le paysage comme la matérialité d’un lien pérenne et la réalité des sociétés. Au moment évoqué plus haut, juridiquement, Arcelor est une société luxembourgeoise et Mittal une société néerlandaise. Nonobstant les appels à la mobilisation et les déclarations des uns et des autres, les moyens d’action légaux du gouvernement français étaient inexistants. Avant d’en arriver là, un long chemin avait été parcouru depuis les maîtres de forges d’antan. En effet, plusieurs étapes peuvent être détaillées dans l’évolution des relations entre capital-patronat et espace de production
20Dans les premiers temps de la sidérurgie lorraine à l’ère industrielle, une sorte de trilogie s’installe entre les maîtres de forges, l’usine et l’espace, étant entendu qu’alors l’essentiel du capital de l’entreprise était détenu par la famille. Chaque site, chaque lieu de production était en quelque sorte le fief d’un « baron du fer ». Si disparaissent petit à petit les forges de faible capacité, s’enracinent, en revanche, les Labbé à Gorcy, les d’Huart à Longwy, les de Wendel à Hayange et Moyeuvre, les Gouvy à Hombourg, puis Dieulouard... Dans certains cas, cette relation au sol, à un petit pays, concrétisée par une demeure familiale aux allures de château29, va perdurer, nonobstant l’évolution des sociétés, comme c’est nettement perceptible dans le livre où Dominique Da Costa a recueilli le témoignage de Bernard Labbé30. L’attachement était quasi charnel entre le « patron » et ses employés, en une sorte de féodalité revisitée. Baptêmes de haut fourneau, Sainte-Barbe et Saint-Éloi étaient autant de moments pour revivifier les liens.
21Les intérêts étrangers restent pendant un certain temps très minoritaires31. Tout au plus peut-on remarquer quelques pénétrations comme celle des Sarrois Karcher et Westermann, qui fondent des forges à Ars-sur-Moselle (1846), ou des Haldy et Röchling qui rachètent l’usine de Pont-à-Mousson. Il faut attendre les années 1870 pour assister à un élargissement de l’intérêt représenté par le minerai de fer lorrain. Dès les lendemains du traité de Francfort, le bassin ferrifère lorrain attire les convoitises. Les industriels sarrois, voisins, sont les premiers à chercher à s’y implanter32 par l’achat de concessions. Pour eux, le fer lorrain était la solution de facilité, mais avec des réserves, compte tenu de la nature phosphoreuse du minerai. De ce fait, les investissements réalisés sont plutôt des paris sur l’avenir, ce qui explique l’importance des particuliers, notamment de la région de Trèves, dans les années 187033. Les investissements des sociétés de la Ruhr sont peu significatifs. Ils sont surtout le fait de l’association Phönix-Gutehoffnungshütte, deux sociétés confrontées à des problèmes d’approvisionnement en minerai34. Pour d’autres firmes allemandes comme Krupp, les propriétés de la minette sont jugées peu avantageuses. Avec la mise au point du procédé Gilchrist, il devient cependant intéressant d’y recourir. Deux options sont possibles : transport ou implantation. La faible teneur du minerai lorrain pèse en faveur de la deuxième solution. C’est ainsi que les sociétés sarroises Gebrüder Stumm (Neunkirchen) et Röchling (Völklingen) vont bâtir des usines, respectivement à Uckange (1891) et Thionville (1898). La proximité des sièges des entreprises, la personnification de la direction (les Stumm ne sont pas loin de faire penser aux de Wendel) ne les différencient pas fondamentalement de leurs consœurs lorraines. Le lien entre le capital, la direction et l’usine est patent. Ce n’est pas le cas dans les deux principales usines qui naissent à la fin du XIXe siècle35, celles de Rombas, dans la vallée de l’Orne, et de Nilvange-Knutange, dans celle de la Fensch. Les Rombacher Hüttenwerke sont une réalisation du Rhénan Carl Spaeter, de Coblence, allié à d’autres capitaux, qui avait mis un pied dans la sidérurgie à partir du transport du minerai et du charbon. Quant au complexe de la vallée de la Fensch, Aumetz-Friede, il présente la particularité d’être essentiellement, au départ, aux mains d’intérêts belges et allemands, mais avec une nette majorité belge. Dès les débuts de l’usine, vers 1898, la société acquiert des mines de charbon dans la Ruhr. Mais, petit à petit, les capitaux allemands prennent le dessus. Cependant, le siège social reste à Bruxelles. Si Gelsenkirchen s’implante à Audun-le-Tiche, l’opération la plus spectaculaire reste la création ex nihilo de l’usine d’Hagondange par Thyssen à partir de 1910.
22La pénétration des intérêts allemands et belges n’était pas confinée au territoire correspondant à l’actuelle Moselle. En effet, dès 1865, la société belge de la Providence, dont le siège était à Marchienne-au-Pont (aujourd’hui absorbée par la commune de Charleroi), s’installait à Rehon, à proximité de Longwy. En 1880, la Société des charbonnages et hauts fourneaux d’Ougrée fondait la Société des hauts fourneaux de la Chiers, également à proximité de Longwy. La pénétration allemande s’effectue essentiellement dans le domaine des mines de fer, généralement, compte tenu du contexte politique des années 1871-1914, en association avec des entreprises françaises. L’exemple de la Société des mines de Saint-Pierremont est caractéristique : le consortium formé pour exploiter la mine de Mancieulles (Meurthe-et-Moselle, bassin de Briey) regroupe des capitaux français, belges et allemands (Kirdorf, Gelsenkirchen). Signalons au passage que l’usine bâtie par les de Wendel à Joeuf fonctionne sous l’égide d’une société où les Schneider du Creusot sont actionnaires majoritaires. Ils sont aussi présents dans le minerai, détenant le siège de Droitaumont, à proximité de Jarny36. Dans ce contexte, la création du Comptoir et des Aciéries de Longwy, qui réunissent les principaux maîtres de forges locaux, peut paraître comme une sorte de défense de l’intérêt régional. Force est de constater qu’au tournant du siècle, une partie non négligeable de la production sidérurgique lorraine est entre les mains d’intérêts extérieurs à la région. Si ce que l’on peut appeler la technostructure prend son essor à ce moment, l’exercice de la direction, la pratique sociale et la gestion des rapports humains dans l’entreprise effacent d’une certaine manière l’éloignement du capital. Aux yeux de tous, le responsable de l’usine, de la mine, reste le patron. Quand se conjuguent dans la même personne ou le même groupe de personnes la propriété financière et la gestion, nous entrons dans une dimension quasi monarchique37.
23Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la situation se complique quelque peu. En effet, les entreprises allemandes, ou réputées telles, sont mises sous séquestre par l’État français et revendues ensuite. Sans entrer dans la polémique (c’est un autre sujet), elles sont cédées à des prix défiant toute concurrence. Nonobstant cela, l’opération a lieu dans une période où les repreneurs potentiels manquaient de liquidités. Il en résulte des montages financiers assez complexes. L’expression souvent utilisée pour caractériser la structure financière des grandes entreprises françaises, et notamment de celles de la sidérurgie, est celle d’un capitalisme sans capital38. Il conviendrait ici de parler plutôt d’un capitalisme autocentré. En effet, hormis quelques cas, et pour longtemps, les principaux actionnaires des sociétés sidérurgiques sont les sociétés sidérurgiques elles-mêmes. L’exemple de la Société métallurgique de Knutange (SMK) est tout à fait parlant. Constituée pour reprendre les actifs d’Aumetz-Friede, elle est construite à partir des participations financières de l’ARBED (Luxembourg), de Schneider, de Wendel, Denain-Anzin (Nord), Châtillon-Commentry-Neuves-Maisons, Commentry-Fourchambault-Decazeville, Aciéries de Saint-Étienne, MM. de Saintignon et Cie, Senelle-Maubeuge…39 Cette situation se retrouve dans les mines de fer où, dans la liste des actionnaires, figurent à peu près les mêmes sociétés, mais pas forcément dans le même ordre. Nous passerons sur l’organisation des filiales40. Deux faits sont à mettre en parallèle avec cette organisation : le glissement vers Paris des centres de décision et la montée en puissance d’un encadrement supérieur instruit dans des écoles de recrutement national au détriment de la formation interne jusque-là privilégiée. Même si les industriels lorrains s’investissent dans la création à Nancy d’un Institut métallurgique et minier41, socle de la future École des mines de Nancy, ce dernier a vocation à attirer des élèves ingénieurs venus de toute la France.
24L’après-Deuxième Guerre mondiale renforce de façon irréversible ce que l’on pourrait appeler la délocalisation de la gestion stratégique de la sidérurgie. L’heure est à la concentration afin d’atteindre le seuil critique nécessaire à la modernisation des installations. Si cette étape a été entamée assez précocement dans le Nord avec la constitution d’Usinor42, elle tarde à se mettre en place en Lorraine compte tenu du nombre des sociétés. En 1950, les groupes Marine-Homécourt, Micheville, Fonderies de Pont-à-Mousson et Aciéries de Rombas se fondent dans SIDELOR (Union sidérurgique lorraine). Lorraine-Escaut (Aciéries de Longwy, Senelle-Maubeuge et Escaut et Meuse) naît en 1953, mais il faut attendre les années 1960 pour observer des regroupements plus significatifs. Dans un premier temps, la SMK et l’UCPMI (Hagondange) s’unissent dans la Société mosellane de sidérurgie en 1963. Les Hauts fourneaux réunis de Saulnes et Uckange voient le jour en 1965 à partir des Hauts fourneaux de Saulnes, de la Société métallurgique de Gorcy et des Forges et aciéries du Nord et de la Lorraine. En 1966, Lorraine-Escaut tombe sous le contrôle d’Usinor, de même que les Hauts fourneaux réunis dont le capital est contrôlé à 71 % par la Société de valeurs industrielles et commerciales, elle-même filiale à 99 % d’Usinor43. Wendel-SIDELOR naît en 1968, malgré les réticences de la Maison. Jacques Devavry et Charles Klein, dans le chapitre de L’épopée industrielle consacré à la sidérurgie44, titrent : « La fin des maîtres de forges » à propos de la situation d’après 1978. En réalité, cette fin a déjà eu lieu.
25Les usines sont entre les mains de consortiums, certes centrés autour de la production de l’acier et de la fonte, mais détachés du terroir des usines. D’ailleurs, il n’est pas inintéressant d’observer la montée en puissance, durant les années 1970, des groupes bancaires dans les deux grands conglomérats du secteur : Paribas du côté d’Usinor et Suez du côté de Wendel-SIDELOR. À cela s’ajoute, au fil des concentrations, le développement des sociétés financières amenées à gérer les groupes ainsi constitués. Le hiatus entre les actifs industriels proprement dits (usines, infrastructures, machines...) et la gestion financière devient patent. D’une certaine façon, le groupe de Wendel, par exemple, s’est détaché à temps de ce qui pouvait être encombrant ou passer sous le contrôle de l’État. La Maison crée en 1972 la Compagnie lorraine industrielle et financière qui jouera un rôle décisif dans le contrôle de Marine-Firminy. La montée des difficultés et de l’endettement de la sidérurgie amène de Wendel à scinder, en 1977, les investissements du groupe en créant la Compagnie générale d’industrie et de participations (CGIP), tandis que Marine-Wendel, née de la fusion avec Marine-Firminy, reste, jusqu’à la « nationalisation rampante » de 1978, cantonnée aux actifs de la sidérurgie. Au tournant du XXIe siècle, les héritiers de la Maison de Wendel sont regroupés dans la Société lorraine de participations sidérurgiques (SLPS) qui intervient dans le capital des sociétés Wendel Participations, CGIP et Marine-Wendel. Sous la houlette d’Ernest-Antoine Seillière, Marine-Wendel absorbe la CGIP en 2002 pour donner naissance au groupe Wendel Investissement45. Dernière transformation : la fusion-absorption de la SLPS par Wendel-Participations, le 6 juin 2007. L’échange d’actions conduit la famille à détenir moins de la moitié des droits de vote de Wendel Investissement, si l’on ne tient pas compte des actions possédées par le baron Seillière. Toute référence à la sidérurgie a donc disparu avec la fin de la SLPS. Signalons au passage que les actifs de la CGIP, en valeur nominale, s’élevaient en 1977 à l’équivalent de 433 millions d’euros et qu’en 2002 ils atteignaient, pour Wendel Investissement, 2 500 millions d’euros.
26Mais, dès le début des années 1960, l’éloignement des centres de décision était évident. La décision de Roger Martin, en 1962, de diriger de Paris, et de Paris exclusivement, Pont-à-Mousson en était déjà l’un des signes46. Cette dépossession progressive a été particulièrement ressentie par Bernard Labbé, l’héritier des forges de Gorcy47. Après 1978 et la nationalisation partielle de la sidérurgie, la coupure est effective entre la direction d’Usinor ou de Sacilor et le terroir industriel lorrain. De toute façon, en exagérant un brin, les regards étaient tournés vers Dunkerque et Fos-sur-Mer. Entre nationalisation, restructuration, privatisation et internationalisation, il ne reste plus grand-chose de la sidérurgie « lorraine ». D’autant plus que l’avenir de la branche ne se joue pas seulement qu’à Paris. La mise en place de la CECA et la construction européenne contribuent aussi à « délocaliser » les grandes orientations stratégiques48.
Annuaire de la sidérurgie française en 1958
société | siège en 1955 | siège administratif |
Société anonyme métallurgique d’Aubrives et Villerupt | Villerupt | |
Compagnie des Forges de Châtillon, Commentry et Neuves-Maisons | Paris | Paris 9e |
Société anonyme des Hauts Fourneaux de la Chiers | Longwy-Bas | Paris 8e |
Forges et Aciéries de Commercy | Commercy | Paris 9e |
Société des Aciers fins de l’Est (SAFE) | Paris | Paris 8e |
Gouvy et Cie | Dieulouard | Nancy |
Société métallurgique de Knutange (SMK) | Paris | Paris 8e |
Société lorraine de laminage continu (SOLLAC) | Paris | Paris 16e |
Union sidérurgique lorraine (Sidélor) | Metz | Paris 17e |
Lorraine-Escaut | Paris | Paris 8e |
Forges et Aciéries du Nord et de l’Est | Paris | Paris 9e |
Société des Aciéries de Pompey | Nancy | Paris 8e |
Société anonyme des Hauts Fourneaux et Fonderies de Pont-à-Mousson | Pont-à-Mousson | Nancy et Paris 17e |
Société anonyme des Laminoirs, Hauts Fourneaux, Forges, Fonderies et Usines de la Providence | Marchienne-au-Pont (Belgique) | Paris 8e |
Société des Hauts Fourneaux de Saulnes, Marc Raty et Cie | Paris 16e | |
Société minière des Terres Rouges | Paris | Paris 8e |
UCPMI | Paris | Paris 8e |
De Wendel et Cie société anonyme | Paris | Paris 8e |
Source : Chambre syndicale de la sidérurgie française, Annuaire de la Sidérurgie française, 1955, reprogr., 305 p.
27Nonobstant les appels à la résistance nationale face à l’OPA de Mittal sur Arcelor et les réactions de l’opinion lorraine, ce dernier groupe n’avait plus beaucoup de points en commun avec l’ancienne sidérurgie, à part quelques usines vieillissantes échappées aux démolisseurs. Arcelor était un groupe international, composé d’actifs espagnols, luxembourgeois et français, dont le siège était au Luxembourg49. La réaction des Lorrains pose la question du localisme, examinée par Éric Godelier à propos du Nord50. Le problème ne se posait pas vraiment avant la Première Guerre mondiale. Il y avait alors de la place pour tout le monde et le bassin sidérurgique était partagé entre deux États. Ce fut un petit peu plus compliqué avec le retour de la Moselle à la France, mais le jeu des participations financières limitait ce qui aurait pu être une concurrence ouverte. C’est cette situation que l’on retrouve dans l’après 1945 et qui explique partiellement l’insuffisance des restructurations nécessaires. En effet, les différents sites de production, parfois très voisins (quelques kilomètres à peine dans certains cas), se trouvent dépendre de sociétés à la fois concurrentes et partenaires. La logique de la rationalisation aurait voulu la suppression de quelques-unes de ces installations en doublon afin de concentrer les investissements sur des équipements performants. Il est difficile de démêler l’écheveau qui conduit au maintien d’usines obsolètes. Par quel biais passe la pseudo-défense de l’intérêt local au détriment de la stratégie des groupes ? Pseudo-défense, car des choix pertinents au lendemain de la Seconde Guerre mondiale auraient certainement pu maintenir en activité une partie de la sidérurgie lorraine plus importante que celle d’aujourd’hui. Quand on interroge les témoignages des principaux acteurs de la période cruciale, il appert que les interprétations sont variées, partielles. L’engagement par rapport au territoire pèse très nettement et entre en interaction avec d’autres intérêts, politiques et syndicaux, de tous bords. Pour quelqu’un comme Henri Malcor51, c’est dès 1945 que l’on aurait dû fermer l’usine de Pompey, située au nord de Nancy. Mais, pour les responsables politiques locaux, c’était impensable. Et il y a le symbole : Pompey, c’est l’usine qui a forgé le fer de la Tour Eiffel ! Pour les syndicats ainsi que pour l’encadrement technique, il faut sauver l’outil de travail52. Pompey sera encore « sauvée » en 1966, sous la pression de l’État... Ailleurs, pour d’autres raisons tout aussi « valables », le même schéma se répète.
28Autour de la production, trois espaces sont perceptibles, correspondant à trois niveaux d’organisation. Il y a celui de l’usine que l’on vient d’évoquer, matériellement appréhendable. C’est surtout à ce niveau qu’est perçu, généralement, l’engagement public :
« Comment expliquez-vous qu’il y ait eu « un patriotisme d’entreprise », tant du côté patronal que syndical : repli des syndicats sur leur propre usine et politiques sociales concurrentes entre usines ? »
— Je ne crois pas qu’il s’agissait d’une concurrence entre usines. Chacun s’enfermait un peu dans son usine et luttait pour elle. Il est vrai qu’on débauchait des gens, mais cela n’allait pas bien loin. En ce qui concerne les syndicats, ils sont un peu dans la même situation que les communes. Ils étaient élus par le personnel de leur usine, comme nous le sommes par les gens de la commune. Aussi se préoccupaient-ils prioritairement de leur usine. »53
29Ce niveau est directement en lien avec celui des maîtres de forges traditionnels qui sont viscéralement attachés à l’implantation ancienne de leur activité et à leur autonomie de décision battue en brèche par les concentrations. Les gestionnaires qui prennent progressivement les commandes rencontrent ces résistances qui concourent au maintien des installations obsolètes. Elles sont perceptibles même dans un groupe comme de Wendel où la construction de l’usine Solmer de Fos, à proximité de Marseille, entre en concurrence avec les établissements de Lorraine. Elles sont renforcées aussi par les structures capitalistiques mises en avant, dans la configuration d’avant 1978. Les sociétés sont toutes financièrement interdépendantes et se neutralisent ainsi en quelque sorte. Comment, alors, prendre avec le recul nécessaire la décision d’arrêter telle ou telle installation ?
30Et puis, il y a l’espace des grands groupes, où figurent quand même, parfois, des descendants des précédents, peu à peu marginalisés. Cet espace est vaste, basé sur des repères nationaux et internationaux. Le lien devient distant avec l’espace originel, matriciel, du travail du fer, de la mine, de la forge. De ce fait, le localisme recule au sein des états-majors de sociétés de moins en moins en symbiose avec le terroir de la sidérurgie. Les arbitrages se font sur un autre terrain qui, comme on l’a dit plus haut à propos de la situation de 1945-1947, est celui des baronnies politiques. En 1978, par exemple, comme en un écho à la crise, la décision est prise de construire une nouvelle aciérie à oxygène en Lorraine. Deux sites de Meurthe-et-Moselle sont sur les rangs : Longwy et Neuves-Maisons. Le témoignage de Bernard Labbé se dispense de commentaire :
(...) J’ai accompagné des gens d’ici, à Paris. Lorsque nous sommes arrivés devant le Ministère, nous avons croisé la délégation nancéienne qui défendait le choix de Neuves-Maisons et venait d’en discuter avec le ministre. On s’est vite rendu compte qu’on ne ferait pas le poids. Les élus de Nancy étaient beaucoup plus puissants et ce sont eux qui ont emporté la mise. Je continue à penser que ce fut une véritable erreur économique, prise sous la pression des politiques, même s’ils étaient de notre bord, tel Rossinot.54
31Aujourd’hui, la sidérurgie a disparu de Longwy, mais continue à Neuves-Maisons, sous les couleurs de la société familiale italienne Riva...
La sidérurgie lorraine dans l’espace européen

Conclusion
32Les territoires de la sidérurgie sont des espaces complexes, emboîtés, qui dépassent très largement la seule zone où se concentrent hauts fourneaux et laminoirs. En Lorraine, il s’agit d’une activité qui a toujours été ouverte sur l’extérieur, que ce soit au niveau matériel, humain ou capitalistique. Du milieu du XIXe siècle au début du XXIe, son horizon est autant lorrain que rhénan. Ses liens avec les charbonnages wallons et westphaliens, les capitaux luxembourgeois, belges, allemands ont joué un rôle fondamental dans son développement. En aucun cas, et c’est encore plus vrai en ce qui concerne la main-d’œuvre, ce ne fut un monde fermé sur lui-même. Placé au centre, ou peu s’en faut, de l’arc rhénan européen, le bassin sidérurgique lorrain est une périphérie, aussi bien au temps de sa partition entre France et Allemagne qu’à l’époque de sa réintégration complète dans le dispositif français de production d’acier. Cette situation a très certainement pesé, pour des raisons de défense, dans l’absence d’activités d’aval aptes à générer de la plus-value et, par ricochet, à valoriser l’amont et en assurer la pérennité. Dans cette histoire relativement brève, il y a deux noyaux régionaux, locaux, constitués par les maîtres de forges longoviciens (au sens large) et par les de Wendel. Si ces derniers gardèrent longtemps un rôle dominant dans les opérations communes (Joeuf, SOLLAC, Wendel-SIDELOR) jusqu’à la nationalisation partielle de 1978, en partie grâce à leurs relations avec le monde politique55, les premiers furent peu à peu submergés par les intérêts du Nord et de la Belgique. Quant aux autres sociétés, elles furent, de leur création lors de l’essor sidérurgique jusqu’aux concentrations des années 1950-1960, aux mains de capitaux étrangers à la région, qu’ils fussent belges, allemands ou français. La forte personnalité des maîtres de forges56 concourut à la perception d’une sidérurgie profondément lorraine alors que, peu à peu, les intérêts qui la gouvernaient étaient ailleurs. Aujourd’hui, l’espace de la sidérurgie lorraine est en quelque sorte l’espace du vide ! Hormis quelques usines, conduites par Arcelor-Mittal, Riva ou Lucchini57, ne demeurent que les cités ouvrières, jadis conçues comme devant être éphémères, transitoires, espaces d’hommes n’ayant plus rien à voir avec le travail du fer si ce n’est, pour les plus vieux, dans leurs souvenirs et dans les traces de leur chair.
Notes de bas de page
1 Laurent Commaille, « Culture d’entreprise et culture régionale : une industrie ‘lorraine‘ ? » ; Jean-Louis Tornatore, « La reconnaissance pour mémoire. Un parcours dans l’espace de la mémoire de la ‘ Lorraine sidérurgique’ », in J.-L. Tornatore (dir.), L’invention de la Lorraine industrielle, Paris, Riveneuve éditions, 2010.
2 L’étude des filiales, et de l’aval en général, a été évitée, pour des raisons de place.
3 Jean-Pierre Doyen et Bruno Malinverno, L’ancienne métallurgie dans le département des Vosges, Metz, Images du Patrimoine - Éditions Serpenoise, 1988.
4 François Roth, « Les forges d’Ars-sur-Moselle XIXe-XXe siècles », in Les Cahiers lorrains, 1985, no 1, p. 77-92.
5 Au départ à traction animale. Voir Michel Lavertu et Patrick Etiévant, Le chemin de fer de Wendel, Metz, Éditions Serpenoise, 2002.
6 Marcel Gangloff, Stiring-Wendel, t. 1 : Naissance d’une ville, Stiring-Wendel, 1994.
7 Les maîtres de forges de Longwy se sont associés pour créer cette société afin d’exploiter, contre redevance aux de Wendel, le brevet Thomas-Gilchrist.
8 Adrien Printz, La Vallée usinière, Metz, Éditions Le Lorrain, 1966.
9 Les forges de Pompey sont nées du choix de Dupont et Dreyfus, d’Ars-sur-Moselle (cf. supra) d’opter pour la France.
10 Francis Navet, Lorraine : les mines de fer, Metz, Éditions Serpenoise, 1997. Si l’on se base sur Claude Prêcheur, la surface concédée est autour de 90 000 ha.
11 M. Lavertu et P. Etiévant, Le chemin de fer de Wendel, op. cit.
12 Archives départementales de la Moselle, 44 J.
13 John S. Garner (dir.), The Company Town, Architecture and Society in the Early Industrial Age, New York, Oxford University Press, 1992.
14 L. Commaille, Les cités ouvrières de Lorraine 1850-1940, Étude de la politique patronale du logement, thèse de doctorat d’histoire, Université de Metz, 1999, 562 p., reprogr. (publication en cours).
15 Quand Thyssen décide d’implanter une usine à Hagondange, cette localité a moins de 500 habitants. Quatre ans plus tard, c’est, en termes de population, une ville de plusieurs milliers d’habitants
16 Nicolas Binet, Sidérurgie et production de l’habitat en Lorraine. Transformation d’une industrie et évolution des politiques du logement des entreprises 1945-1980, thèse de 3e cycle de géographie, Paris 1, 1980.
17 Guillaume Michy, Histoire de Trans-Fensch, mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Metz, 2004.
18 Serge Bonnet (dir), L’Homme du Fer, Metz-Nancy, Éd. Serpenoise, PUN, 4 tomes, 1987.
19 Le fait est patent quand on analyse le rapport entre les effectifs de l’usine et les capacités de logement de la localité. Une commune telle que Mouterhouse, à l’est du département de la Moselle, a un parc de 31 maisons en 1817 quand les effectifs de la forge voisine s’élèvent à 500 ouvriers, selon Claude-Philippe de Viville, Dictionnaire du département de la Moselle, 1817.
20 Archives départementales de la Moselle, 273 M 2, Cités ouvrières, rapport du maire au préfet de la Moselle, 24 mai 1855.
21 Les Forges Karcher et Westermann, créées par des industriels sarrois à Ars-sur-Moselle, attirèrent des ouvriers en provenance de la région de Sarrebruck.
22 Piero D. Galloro, Ouvriers du fer, Princes du Vent : histoire des flux de main-d’œuvre dans la sidérurgie lorraine 1880-1939, Metz, Éditions Serpenoise, 2000, p. 23.
23 Sur les migrations en Lorraine, voir l’excellent travail de Piero-D. Galloro et Ahmed Boubeker, Histoire et mémoires des immigrations en région Lorraine, ACSÉ, Metz, Laboratoire 2L2S-Erase, Université de Metz, 2007.
24 Marie-Louise Antenucci, Parcours d’Italie en Moselle, Histoire des immigrations italiennes en Moselle, Metz, Éditions Serpenoise, 2004.
25 Janine Ponty, Polonais méconnus : histoire des travailleurs immigrés en France dans l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 1988.
26 Claude Prêcheur, La Lorraine sidérurgique, Paris, SABRI, 1959, t. 1, p. 494. Des guillemets pour nationalité, car le registre distingue les Alsaciens et les Lorrains des Français « de l’intérieur », comme l’on dit encore quelquefois. Les Sarrois, conséquence du mandat de la SDN, sont également séparés des Allemands.
27 P. D. Galloro et A. Boubeker, Histoire et mémoires des immigrations (…), op. cit., p. 129.
28 Mathieu Marie, Éléments pour une approche historique des cités ouvrières de la sidérurgie lorraine d’après-guerre à travers l’exemple de Guénange-Grande (Moselle), mémoire de master 1re année d’histoire, Université de Metz, 2008.
29 Voir les pages consacrées aux maisons des maîtres de forges dans Jean-Marie Moine, Les Barons du fer, les maîtres de forges en Lorraine, Metz, Éditions Serpenoise, 1989.
30 Dominique Da Costa, Bernard Labbé, au nom du fer, témoignage d’un industriel et élu local du Pays-Haut lorrain, Metz, Éditions Serpenoise, 2006.
31 Il est tout à fait impossible ici de retracer toutes les circonvolutions de l’histoire de la sidérurgie lorraine, ne serait-ce que sous l’angle des fondations et des participations financières. Nous renvoyons à l’irremplaçable ouvrage de C. Prêcheur, La Lorraine sidérurgique, op. cit.
32 Markus Nievelstein, Der Zug nach der Minette : deutsche Unternehmen in Lothringen, 1871-1918 : Handlungsspielräume und Strategien im Spannungsfeld des deutsch-französischen Grenzgebietes, Bochum, Brockmeyer, 1993.
33 C. Prêcheur, La Lorraine sidérurgique, op. cit., p. 54.
34 M. Nievelstein, Der Zug nach der Minette (…), op. cit.
35 Pour les questions relatives au contexte particulier de la Lorraine allemande, voir F. Roth, La Lorraine annexée. Étude sur la Présidence de Lorraine dans l’Empire allemand, Metz, Éditions Serpenoise, 2007 (réédition actualisée).
36 Luc Delmas, Une cité minière et cheminote de Lorraine : Jarny 1886-1936. Éveil, mutations et brassages d’hommes, thèse d’histoire, Université de Metz (dir. Alfred Wahl), 1997.
37 Voir l’ouvrage de René Sédillot, commandé par la famille et quasiment hagiographique : Deux cent cinquante ans d’industrie en Lorraine, la Maison de Wendel de mil sept cent quatre à nos jours, Paris, MM. Les Petit-Fils de François de Wendel, 1958.
38 L’expression est aujourd’hui reprise pour stigmatiser les débordements du capitalisme financier actuel, mais en un sens fort différent de celui des origines. À l’époque, il s’agissait de mettre en évidence le manque d’ouverture sur les marchés financiers ou le malthusianisme du capitalisme français.
39 C. Prêcheur, La Lorraine sidérurgique, op. cit. ; Michel Freyssenet et Françoise Imbert, La centralisation du capital dans la sidérurgie 1945-1975, Paris, CSU, 1975.
40 C. Prêcheur, ibidem, p. 207 et suivantes.
41 Françoise Birck, « Des instituts annexes de facultés aux écoles nationales supérieures d’ingénieurs, à propos de trois écoles nancéiennes », in André Grelon et F. Birck (dir.), Des ingénieurs pour la Lorraine XIXe-XXe siècles, Metz, Éditions Serpenoise, 1998, p. 143. L’École des mines de Nancy forme 25 à 30 ingénieurs par an dans l’entre-deux-guerres.
42 M. Freyssenet et F. Imbert, La centralisation du capital (…), op. cit. ; Jean-Marie Gonot, Le processus de restructuration industrielle de la société Usinor depuis 1948, Nancy, Ministère du Travail et de la Participation, Direction régionale du travail et de l’emploi de la Région de Lorraine, Échelon régional de l’emploi et du travail, 1980.
43 Sur la structure des groupes lorrains avant la nationalisation partielle de 1978, Jean-Louis Masson, L’industrie lorraine du fer... ou comment tuer la poule aux oeufs d’or, Paris, Éditions Cujas, 1977.
44 René Bour (dir.), L’épopée industrielle, coll. Encyclopédie de la Lorraine, Metz, Éditions Serpenoise, 1995, p. 110. « La fin des maîtres de forges » reprend le titre du livre de Jean Baumier, La fin des maîtres de forges, Paris, Plon, 1981.
45 Jacques Marseille, Les Wendel 1704-2004, Paris, Perrin, 2004. Notons au passage la présence du qualificatif « lorrain » dans les appellations. Voir aussi, pour les sociétés financières, J.-L. Masson, L’industrie lorraine du fer (…), op. cit., p. 318 et suivantes, et J. Baumier, La fin des maîtres de forges, op. cit., p. 173 et suivantes.
46 Roger Martin, Patron de droit divin..., Paris, Gallimard, 1984 : « Le siège social resta à Nancy pour sauvegarder tout ce qui pouvait l’être de la tradition lorraine » (p. 215).
47 D. Da Costa, Bernard Labbé (…), op. cit.
48 Philippe Mioche, « L’influence de la construction européenne sur les marchés et les produits de l’acier en France (1950-2002) », in P. Mioche et Denis Woronoff(dir.), L’acier en France : produits et marchés, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2006, p. 221-238.
49 L. Commaille, „Das Ende des ‚französischen Modells’. Die Eisen-und Stahlindustrie im späten 20. Jahrhundert“, in Morten Reitmayer et Ruth Rosenberger (éd.), Unternehmen am Ende des „goldenen Zeitalters“, Essen, Klartext, 2008.
50 Éric Godelier, Usinor-Arcelor, du local au global, Paris, Hermes science publications-Lavoisier, 2006.
51 Philippe Mioche et Jacques Roux, Henri Malcor : un héritier des maîtres de forges, Paris, Éditions du CNRS, 1988.
52 Armelle Rousseau, Marcel Gay, Jean-Louis Jolin, Roger Roupert, De fonte et d’acier, Thionville, Gérard Klopp, 1995. Jacques Chérèque, qui a commencé sa vie professionnelle dans l’usine, rappelle que 60 % des ingénieurs provenaient de la formation interne.
53 D. Da Costa, Bernard Labbé (..). op. cit., p. 49.
54 Ibidem p. 54.
55 Présents pendant la phase gaulliste de la Ve République, les ministres Robert Galley, François Missoffe, Jean François-Poncet et Yves Guéna sont liés à la famille de Wendel.
56 J.-M. Moine, Les Barons du fer (…), op. cit.
57 Sur les flancs de l’aciérie de Gandrange, récemment désaffectée, ne figure qu’une gigantesque inscription : MITTAL. Riva et Lucchini sont des sociétés italiennes, ce qui est intéressant pour une région qui a vu défiler tant de travailleurs transalpins. Si le capital de Riva reste entre les mains de la famille, Lucchini est passée en 2005 sous le contrôle de Severstal, un moment intéressée par l’alliance avec Arcelor.
Auteur
Né en 1954, maître de conférences en histoire contemporaine, Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire, Université de Metz
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