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Utopies et mythologies urbaines à Villeneuve d'Ascq

 | 
Bénédicte Lefebvre
, 
Michel Rautenberg

Habiter et s’ajuster au quartier et à la ville

Texte intégral

1En plus des facteurs attendus tels que les catégories sociales, le fait d’être ou non propriétaire de son logement, l’âge ou la parentalité, les habitants n’ont pas les mêmes pratiques de sociabilité et d’ajustement selon leur période d’arrivée : nous avons déjà largement vérifié qu’entre « pionniers » et « nouveaux habitants » existent de nombreuses variations dans la manière d’être villeneuvois. Depuis trente ans, plusieurs générations de Villeneuvois se sont installées, rachetant des maisons ou s’installant dans les tranches de logements plus récentes. Il existe ainsi ce que nous appellerons un « effet générationnel d’installation » qui détermine ces pratiques. Il recouvre approximativement les catégories d’âge mais sans se fondre en elles. Les modes de l’ajustement à la ville vont donc varier selon toute une série de facteurs qui se complètent les uns aux autres.

2Comme les représentations, les ajustements des manières d’habiter à la nouvelle situation résidentielle seront examinés selon deux entrées : ils sont sociaux et spatiaux. Nous considèrerons qu’ils se déclinent selon 5 cercles qui associent les deux modes : la maison et ses pourtours immédiats ; l’îlot ou le lotissement (qui regroupe les ensembles plus petits, mais d’architecture semblable, que nous avons appelés « raquettes » ou « bulles ») ; le quartier ; la commune ; l’agglomération. Selon l’époque de l’installation et les situations sociales, les pratiques d’ajustement seront variables ; nous verrons aussi qu’elles se transforment globalement avec le temps et l’effacement des utopies de départ. À un bout, en étant un peu schématiques, les pionniers qui se sont fortement investis dans la vie locale, au niveau de l’îlot, du quartier ou de la commune ; à l’autre bout, les nouveaux habitants qui ont des pratiques plus individualistes et plutôt tournées sur le foyer et l’agglomération.

3Nous avons dit que l’habitant acteur transforme son environnement, proche ou plus lointain, selon ses dispositions et ses aspirations. Celles-ci évoluent, s’ajustent au fur et à mesure des expériences vécues, de nouvelles dispositions sont acquises avec l’installation, comme nous l’avons suggéré dans le chapitre précédent. Ainsi, les « ajustements » s’appliquent-ils à l’ensemble des compétences et habitudes qui sédimentent progressivement tout au long du parcours résidentiel. Les modes d’habiter ne sont pas des modèles de comportement figés, ils sont des constructions permanentes que les habitants réinventent à chaque instant à partir de leurs acquis et selon leurs attentes pour rendre compatible un environnement social et spatial donné à leurs aspirations. Nous avons aussi considéré que l’installation dans la ville nouvelle est une étape décisive dans les biographies résidentielles car elle permet une sorte de « remise en ordre » des manières d’habiter et des pratiques de sociabilité. Il y a, pour beaucoup de Villeneuvois, un « avant » et un « après » l’arrivée dans la ville nouvelle.

4Ainsi, nous formulerons l’hypothèse suivante : des modes d’habiter individuels se forment et s’ajustent dans un mode d’habiter collectif qu’on peut désigner comme « villeneuvois » qui résulte des spécificités urbanistiques, démographiques, sociologiques et politiques de Villeneuve d’Ascq. Dans le même temps, les habitants contribuent à modeler leur cadre de vie, à lui donner un sens, à travers leurs usages des lieux et des espaces, leurs expériences collectives, les formes d’engagement et de mobilisation qu’ils vont développer. Nous verrons par exemple comment, chez certains Villeneuvois, l’aptitude à répondre à la démocratie participative est associée à une posture d’ouverture aux autres, à un goût pour l’échange social, à une attitude générale qui correspond aux idéaux de la ville nouvelle et à leurs aspirations de militants au moment de leur installation à la création de la ville.

La socialisation habitante et les démarches d’habitants

  • 1 Cité par Pierre Mayol, « Michel de Certeau, l’historien et la culture ordinaire », Esprit, 2002, 3- (...)

5Les dispositions acquises, mobilisées à l’arrivée, vont peu à peu se modifier dans le processus de socialisation spécifique à la ville nouvelle. On cherchera à savoir comment les habitants ont développé « tactiques » et « stratégies » pour s’accommoder à la ville ou accommoder la ville à leurs pratiques. Nous désignerons par tactique « un acte accordé à la circonstance » comme le dit Michel de Certeau1, c’est-à-dire un acte qui réagit à des circonstances imprévues, qui prend forme dans un contexte donné, distinct de la « stratégie », qui renvoie, toujours dans l’esprit de Certeau, à une pensée rationnelle, au calcul, et qui est marquée par une culture de l’institution dont on peut penser qu’elle imprime aussi sa marque sur tout accédant à la propriété. Nous partons de l’hypothèse que l’habitant « fait avec » la situation qu’il découvre en puisant dans son expérience antérieure, qu’il invente de nouvelles manières de faire en s’accommodant de ce qu’il rencontre de dérangeant, en le faisant sien. Rappelons que nous nous inscrivons dans la perspective des travaux de Henri Lefebvre qui différenciait l’habiter (de l’habitant considéré comme acteur) de l’habitat (des concepteurs et aménageurs qui inscrivent leurs normes et valeurs dans un habitat destiné à d’autres). Nous chercherons à savoir si un langage commun, des images communes, une mémoire et une histoire communes peuvent naître de ces pratiques de socialisation.

Choisir un quartier et un logement en fonction de ses aspirations

6Lorsque la situation change et ne leur convient plus, les habitants s’ajustent en modifiant à la fois leurs comportements et leurs environnement pour trouver un équilibre qui soit à la fois en accord avec leur propre histoire, avec leurs aspirations et avec l’idée qu’ils ont du bien-être dans la ville ou dans le quartier. Par exemple, lorsque Samuel réalisa que ses mobilités résidentielles répétées avaient pour effet l’impossibilité de s’investir durablement dans des relations sociales, et que l’isolement social commençait à lui peser, il choisit de privilégier son inscription locale plutôt que sa carrière et entreprit de nouer des relations de voisinage, par le biais de l’école d’abord, puis par des pratiques collectives dans le lotissement où il réside. De même, pour trouver un logement en accession à la propriété, il prospecta lui-même en questionnant les habitants du quartier convoité plutôt que d’attendre des propositions d’organismes ou d’agences.

  • 2 Il s’agit de ruelles qui sillonnent un lotissement d’habitat intermédiaire (entre le collectif et l (...)

7L’agencement des maisons de certains lotissements n’est pas conçu pour la rencontre, mais pour la tranquillité de chaque ménage. Pour lutter contre la solitude, trouver un prétexte pour se parler ou faire des choses ensemble, il faut trouver des vecteurs nouveaux. Ainsi Marie a choisi un appartement avec une terrasse visible de la rue2 afin de voir le voisinage et inviter ainsi facilement ses voisins à boire un pot lorsqu’elle organise une fête. On choisit son lieu d’habitat selon ses moyens financiers, ses attentes en matière de logement et de jardin, mais aussi en tenant compte de ses aspirations à s’inscrire dans un environnement social choisi. L’achat d’une maison signale le désir d’accession à la propriété ou l’appartenance à un milieu social. Brigitte s’installera dans le nouveau lotissement à la suite du premier propriétaire, un prof de fac, avec qui le couple sympathise, et dont le cursus résidentiel semble correspondre à ses aspirations :

Ah ! Il y avait déjà des gens dedans. Je me souviens, ces gens, on les avait vus plusieurs fois, on était même allé ensemble au restaurant, on trouvait ça sympa, on leur avait demandé de nous parler un peu du quartier, etc. Ils nous avaient dit : « vous allez voir, c’est hyper sympa, on se réunit de temps en temps, on est tous à peu près du même âge ». C’est des gens qui étaient un peu plus âgés que nous, lui il était prof en fac, et elle travaillait aux impôts, […] ils se sont fait construire une maison de plain-pied, d’ailleurs après, on est même allé visiter leur maison.

8À cause de l’histoire particulière qu’ont vécue les premiers habitants de la ville nouvelle et dont ils gardent, pour beaucoup, la nostalgie, à cause aussi de qualités objectives de l’environnement auxquelles ils tiennent, certains restent très attachés à leur quartier, au point qu’un divorce n’est pas une cause suffisante pour le quitter : même s’il a vécu dans plusieurs lotissements et résidences depuis son arrivée à Villeneuve d’Ascq, Pierre a choisi de toujours rester dans le quartier du Château.

Le recul des sociabilités de voisinage

9Phénomène marquant de la fin du XXe siècle qui voit la fin des utopies collectives, communautaires et solidaires, l’individualisme apparent donne, peut-être plus qu’ailleurs, l’impression que l’ambiance a changé dans une ville qui a symbolisé tous les rêves d’urbanistes et d’habitants des années 70. L’individualisme se manifeste par la méconnaissance grandissante de son voisinage. On ne sait plus ce que fait le voisin ou on ne connaît pas son nom. Daniel y voit un signe de fermeture sur soi :

Ici, à côté, c’est marrant parce que je sais même pas… lui est enseignant et elle je ne sais même pas ce qu’elle fait Mme C., elle part tôt le matin, elle rentre tous les soirs… […] Je pense que c’est… refermés sur eux-mêmes. En face, il y a un couple, alors lui, je pense… enfin, c’est Maghreb, je suis pas capable de dire si c’est un Marocain, un Algérien ou un Tunisien, et elle, elle est allemande, alors ça c’est sûr, bon nous, on se dit « bonjour », mais finalement… ils sont très refermés sur eux-mêmes, mais, chaque fois que j’ai l’occasion de la voir, elle, et lui d’ailleurs, c’est un grand sourire et « bonjour ». Quand elle coupe ses rosiers par exemple, je la vois, donc là, on se dit bonjour, et je ne connais même pas leur nom.

  • 3 Locaux collectifs résidentiels, dont nous avons vu le rôle important dans les premiers temps de la (...)

10Dans une société où la peur de l’autre et l’inquiétude du lendemain sont plus fortes, la tentation du repli sur soi peut sembler dominante, dans les villes nouvelles comme ailleurs (Mottez, 2004). Les anciens ne retrouvent plus le quartier des débuts, une partie de leurs amis ont quitté la ville ou le quartier. Restés dans le même environnement depuis plusieurs décennies, ils n’ont pas été obligés de s’adapter à un cadre nouveau et ils ont gardé parfois leurs vieux schémas de pensée, alors que leur environnement social se renouvelait peu à peu sans qu’ils l’aient choisi. L’appropriation du quartier et des équipements par les habitants, effective au temps des LCR3, s’amenuise. Entre anciens et nouveaux, il n’y a plus grand-chose à partager et les relations sont peu aisées.

11Parmi les nouveaux arrivants, il en existe, comme Pascale, qui souhaitent des rapports de voisinage plus conviviaux. Mais les efforts dans ce sens restent au niveau du strict rapport interindividuel. On est loin de l’esprit collectif décrit au moment de l’arrivée des « pionniers » dans la ville nouvelle. Chacun privilégie ses intérêts individuels, professionnels ou familiaux. Pascale regrette qu’il n’y ait pas eu de pot à son arrivée au Château un an et demi plus tôt. Elle aurait souhaité pouvoir être présentée à chacun, que puisse être « recréé le lien village ». Mais « tout le monde travaille, ou a quelque chose à faire ».

12Le témoignage de Violaine, militante de l’association des parents d’élèves de l’école, nous montre qu’une distinction doit être faite entre les relations de voisinage qui restent dans le registre de la cordialité un peu distante, même quand des petites fêtes de quartier sont organisées, et les liens plus étroits qui sont entretenus avec des gens avec lesquels on partage un engagement :

Nous, si on a des relations dans le quartier, c’est plus par proximité, mais un mélange, je le ressens pas dans ce quartier ou dans d’autres quartiers où j’ai l’occasion de passer quand on va à pied se balader… ce que je trouve sympa, c’est d’avoir des bonnes relations, des relations suivies avec quelques voisins, mais je cherche pas non plus à avoir 15 relations autour… on a des voisins agréables à qui on dit « bonjour », sans plus de…

13En fait, aujourd’hui, on le verra, ce qui a surtout changé, c’est que les relations sociales passent moins par le voisinage que par l’engagement associatif :

moi, j’ai plus de relations avec les gens de la fédération de parents d’élèves, et c’est plus des relations du fait de l’association… Il y en a une qui est vraiment amie, on se voit régulièrement, mais les autres, on se voit plutôt à l’occasion d’une réunion d’association ou à l’école le samedi que… c’est juste cordial, comme ça, on échange trois mots quand on va chercher les gamins qui jouent dehors, s’il est temps de rentrer, on discute cinq minutes avec les gens autour.

Le voisinage, entre entente cordiale et repli sur soi

14Dans ce contexte de montée de l’individualisme résidentiel qui tranche avec le discours des premiers habitants, le bon voisinage reste pourtant une valeur appréciée qu’on cherche à entretenir. Il est peut-être moins présent dans la vie quotidienne, mais il participe largement de la bonne image d’un îlot et de sa qualité de vie. Il passe par l’entraide, par les apéritifs pris en commun, par les enfants ou les animaux domestiques.

15Pour Marie, le bon voisinage consiste à inviter ses voisins à participer aux fêtes qu’elle organise. Ainsi, elle ouvre son cercle d’amis aux parents des amis de ses enfants et aux voisins. Pour Brigitte, le bon voisinage, c’est, à défaut de se fréquenter, pouvoir demander un service ou le donner, c’est, au minimum, pouvoir compter sur l’autre en cas de pépin :

On ne se fréquente pas beaucoup, mais par contre, on peut se rendre des petits services. Par exemple, moi, j’avais besoin d’une échelle, je suis allée chercher une échelle, et il y a un monsieur qui bricole beaucoup là-bas, et qui m’a coupé déjà des planches de bois, mon voisin m’a taillé ma haie, on peut se rendre service. L’autre fois quand on a eu les dégâts des eaux, il était avec son gendre, ils m’ont réparé mon robinet, ils m’ont refait mon joint… on peut demander, je pense qu’on peut demander.

16Cette qualité du voisinage d’être le lieu privilégié des petits services, c’est ce que Germaine, qui habite le quartier depuis 30 ans, met aussi en avant :

ce qui est formidable dans ce type de hameau, c’est que si vous avez besoin de quelque chose, que ce soit alimentaire, mécanique, garde d’enfant, « est-ce que tu peux garder mon chien ? », « est-ce que tu peux garder mon chat ? », Enfin, bref, quand les gens sont en vacances et tout ça, c’est parfait… il y a une sensibilité à rendre service. Et puis par exemple, imaginez, je ne sais pas moi, un couple s’en va, il ne peut pas emmener son enfant le soir, on jette un œil, et éventuellement les enfants jouent ensemble…

17Cette habitante est présidente de l’association de copropriétaires et, à ce titre, on peut penser qu’elle bénéficie de facilités relationnelles plus grandes. En effet, cette convivialité ne concerne pas tous les habitants : « il y en a qui restent à l’écart, comme tout, on ne peut pas demander à tout le monde, mais disons quand même, c’est la majorité de l’ambiance du hameau ».

18Ses propos confortent ceux d’autres pionniers comme Samuel ou Pierre qui soulignent que l’entraide a changé par rapport aux années 70 : à l’époque, on partageait les outils, on se gardait mutuellement les enfants, on achetait du matériel ensemble. Ces pratiques semblent avoir à peu près disparu. Ainsi la machine à tondre le gazon achetée jadis à plusieurs ne sert plus qu’à deux des acheteurs du début, regrette Samuel : « les autres, ça me fait rire, c’était du style : « Non, ça m’embête d’aller la chercher, moi, je préfère avoir mon truc à moi », c’est « mon petit jouet à moi ».

19L’entraide s’oriente de plus en plus vers un service mutuel de « surveillance » des maisons des voisins contre les cambriolages. Ainsi, Lucie et Louise s’occupent de surveiller les maisons de certains de leurs voisins quand ils partent en vacances : rentrer le courrier, ouvrir les volets pendant la journée, faire croire que la maison est occupée. Les exemples d’entraide ou de coups de main sont probablement plus nombreux en direction des personnes âgées ou qui ont des problèmes de santé. Virginie se fait régulièrement apporter son pain, un voisin vient tondre la pelouse de Patrick et Pauline.

20Mais de manière générale, les relations dans le voisinage « ne sont plus ce qu’elles étaient ». Décrites comme « bonnes », « cordiales », elles sont vécues comme étant réduites, comme des ajustements des uns par rapport aux autres pour maintenir un minimum de bons rapports avec les voisins, et en mettant entre parenthèse les utopies et les rêves du départ.

L’échec des initiatives pour recréer du lien et codes de bon voisinage

21Le sentiment général est plutôt que les tentatives pour recréer du lien social comme dans les belles années de l’âge d’or de la ville nouvelle échouent souvent. Les gens se parlent dans la rue, mais on ne pénètre pas chez le voisin. Louise a essayé de relancer les apéritifs pris en commun, mais en vain :

On a fait un pot une fois, on a essayé de faire un pot pour les derniers arrivés, parce que ça avait pas mal bougé. On ne l’a pas refait depuis. […] Petit à petit les gens sont partis et maintenant, c’est différent. Il y avait des fêtes entre nous, on faisait des barbecues, des choses comme ça. Mais encore maintenant, tous les ans, après l’assemblée générale, on boit un pot ensemble.

22Les expériences de sociabilité des années 70 sont largement connues des habitants des quartiers étudiés, mais aussi les échecs des années passées qui découragent les initiatives. Ceux qui étaient enclins à accueillir les nouveaux venus constatent que leurs tentatives ne sont pas toujours fructueuses. Et puis les rassemblements festifs (pots, barbecues, fêtes, etc.) se sont raréfiés, faute de combattants.

23Reste le simple bon voisinage. Aujourd’hui, le vivre ensemble se pratique un peu différemment. On s’invite moins, mais on échange encore volontiers quelques mots dans des lieux publics, autour des commerces de proximité, dans les espaces communs du lotissement, à l’occasion d’échanges de services entre voisins ou des manifestations initiées par les associations d’habitants. Les rencontres se font hors de la maison, on ne sonne pas chez les voisins, comme on le faisait entre pionniers : « je sais pas si on serait allé sonner chez eux en disant « Tiens, on vient de voir que vous avez emménagé, est-ce que… », « Tiens, vous venez habiter là, ben nous on est là-bas, si… », « C’était l’occasion, parce qu’ils étaient dehors, d’échanger… » (Violaine). Violaine, arrivée en 1995, a tenté de reconstruire ces relations de voisinage amicales avec les nouveaux arrivants. La première fois que de nouveaux voisins se sont installés dans son lotissement, elle les a invités à prendre l’apéritif. Mais l’invitation n’a jamais été rendue et « ouais, ouais, on se rappelle », « et puis on les a jamais revus ».

24Pour les anciens, les rapports sont globalement plus distanciés et plus froids. Pourtant ce changement ne date pas d’hier si l’on en croit le témoignage de Brigitte qui, arrivée au Triolo en 1982, avait, déjà à l’époque, essayé de relancer les apéros et barbecues initiés par les pionniers, afin de « se connaître mieux » et « se rencontrer » entre parents ayant des enfants du même âge, « pour commercer ». Mais elle fut découragée par son voisinage et est allée chercher ailleurs, dans d’autres quartiers, la convivialité dont elle rêvait.

25Il y a certes un changement général d’attitude, mais en fait, chez les anciens comme chez les nouveaux habitants, la convivialité locale dépend beaucoup des individualités et des situations. On connaît mieux évidemment ceux qui sont arrivés en même temps que soi, et entre « vieux » voisins, on se reçoit plus facilement. De même les plus jeunes, ceux qui ont des enfants scolarisés, nouent entre eux des relations plus étroites autour de l’école, comme l’ont fait leurs aînés. Certains, par inclination –disposition-personnelle, continuent à pratiquer cette sociabilité des débuts. Ainsi, depuis longtemps déjà, Léon a pris en charge l’accueil des nouveaux arrivants dans son quartier de Triolo. On peut aussi évoquer Benoît qui a participé aux repas entre voisins organisés au LCR des Fiacres par un groupe d’amis pour pallier le vide qui a suivi l’arrêt de la fête du Château (le feu de la St Jean) 6 ou 7 ans auparavant :

Je crois que ça a commencé comme ça. Après il y a eu des amis de X que moi aussi je connais un peu, qui avaient une maison plus au centre, et ils ont voulu à un moment faire une table d’hôtes, donc il y a eu quelques repas pris en commun. Avec des gens comme ça, c’est chacun ramène ses […]. Ils ont fait plusieurs repas sur une année, ça n’a pas duré plus d’une année. C’était entre gens qui se connaissaient, mais chacun pouvait inviter quelqu’un d’autre pour faire tourner un peu le…

26C’est l’arrivée des enfants, des petits-enfants qui, souvent, vient rompre le sentiment de solitude. Les enfants jouent ensemble dans la rue fermée du lotissement, les parents alors saisissent l’occasion pour engager la discussion. Lucie n’a guère eu de contacts avec son voisinage pendant la durée de la vie professionnelle de son mari. Devenue veuve et grand-mère, elle découvre avec ses petits-enfants les environs du quartier du lac et du château. Le rôle des enfants est ainsi primordial dans l’installation d’une sociabilité plus organisée. Grâce aux enfants, l’intégration se fait facilement. L’enfant est celui par qui les adultes se rencontrent, et des fossés s’installent entre les couples avec enfants et les couples sans enfants. Marie l’exprime parfaitement :

Et je m’entends très bien avec une voisine qui est plus loin, qui a des enfants de la même génération, quasi dans la même classe. Et donc là, les enfants viennent dormir, ils vont dormir. Et on se fait souvent des thés. Là-bas c’est le thé. Rire. Et puis souvent, comme ils savent que je suis à côté, il y a des parents d’élèves qui viennent, à 8h30, on dépose les enfants et ils viennent boire un petit café, de temps en temps. C’est sympa. Je suis très souvent ici, parce que je fais ma thèse.

27Autres médiateurs bien connus de la sociabilité ordinaire, les animaux de compagnie, en particulier les chiens. Pour ceux qui n’ont pas ou plus d’enfants comme Louise, la promenade du chien est une activité qui aide à faire des rencontres.

Et il y a une chose, c’est que j’ai un chien, donc je sors le chien, je rencontre des gens et je parle. C’est comme les gens qui ont des petits-enfants qu’ils conduisent à l’école, donc ça crée des liens aussi.

28On promène les chiens dans les rues du quartier, mais aussi on discute volontiers des animaux de compagnie par-dessus la haie du jardin, chiens ou chats, ou encore on se retrouve pour sortir les animaux à plusieurs… Pour Pascale, c’est un « facteur d’adaptation » :

En fait, c’est surtout depuis qu’on a le chien, ça crée des liens, parce qu’on a un chien qui est assez sauveur, et du coup, c’est un bon moyen pour rencontrer les gens avec des chiens… Du coup, maintenant je connais beaucoup de monde, tous les gens avec des chiens, je les connais parce que forcément elle leur saute dessus, du coup, ça a permis de créer énormément de liens. Et maintenant, quand on le promène, généralement, il y a toujours quelqu’un qui vient me chercher ou je vais chercher quelqu’un. La dernière fois, j’ai trouvé quatre cinq personnes, il y avait sept chiens dehors, on les faisait courir, c’était sympa.

29De mauvaises expériences peuvent conduire les habitants à se réfugier dans une attitude de repli sur soi et sur la famille. Les ajustements privilégient alors la politique de la mise à distance de l’autre, pour éviter tout conflit avec les voisins ou de devoir prendre parti dans les querelles de voisinage. Nous avons vu que la « bulle », niveau plus fin que le lotissement, a une fonction protectrice. On s’y sent à l’abri. On y est en terrain connu, chacun s’adapte aux autres pour un équilibre qui évite le conflit qui peut survenir à tout moment. Le « bonjour bonsoir » pour Mathieu est un code qui signifie, « je te respecte, tu me respectes, je ne veux pas dépasser cette limite entre nous ». Chacun pour soi :

La bulle, ce n’est pas une grande famille, non, c’est chacun pour soi. Nous, on a la politique de bien dire « bonjour bonsoir », c’est tout, parce qu’après les histoires entre voisins, ça y va. Donc nous, on ne veut pas d’histoires, on dit « bonjour bonsoir », c’est tout.

30La neutralité est considérée par Mathieu comme garante de la paix sociale, mais elle est difficile à tenir. Certaines interfaces entre public et privé, ou entre deux espaces privés, sont particulièrement exposées aux risques de dispute. C’est le cas emplacements de poubelles, ou des places de parking :

on ne veut plus vraiment avoir d’histoires avec les voisins, parce que c’est prise de tête. […] nous on est neutre et on reste neutre. […] Quand il y a des conflits, en plus, c’est pour des trucs très cons, comme les places de stationnement dans le quartier, ça, ça a été vraiment un conflit. […] On a déjà dit pourtant de ne pas stationner là parce qu’il y a la circulation giratoire qu’il faut respecter, le quartier a été refait pour ça. Et il y en a qui font des efforts et il y en a qui ne font pas d’effort.

31Pascale a fait le choix d’avoir de bons rapports de voisinage en ayant des comportements d’ouverture. Elle préfère être aimable, discuter avec les gens et établir avec eux des codes de bon voisinage pour éviter les conflits :

[…] on a des codes aussi. Par exemple, quand on écoute de la musique, des fois, ça dérange, on avait donné notre numéro de téléphone aux voisins du dessus et ils faisaient sonner une fois quand ils en avaient marre. Et c’est tout, et après on arrêtait. Quand on fait des soirées, on met des petits mots dans les boîtes aux lettres pour prévenir qu’il va y avoir du bruit, et moi, dans ces cas-là, je préfère donner mon numéro, comme ça ils peuvent appeler si jamais ils sont dérangés. […] Des fois, ça m’arrive d’avoir mal à la tête et de devoir aller voir les gens du dessus pour demander de ne pas laisser courir les enfants, parce que quand ils courent, ça résonne chez nous, et la dame comprend très bien. On est poli avec les gens et les gens nous le rendent, et ça me paraît normal.

Quelques initiatives collectives des habitants : braderies et feux de la Saint-Jean

  • 4 Dont nous avons vu plus haut qu’ils avaient été cédés dans un premier temps à la copropriété, et re (...)

32Pour se rencontrer, on a vu que les habitants utilisent les lieux comme l’école ou les commerces de proximité qui sont situés dans le quartier proche. Mais il leur arrive d’en inventer d’autres : décision collective de planter des arbres, organisation de rallye, création d’un club de tennis réservé aux habitants du lotissement, braderies, repas de rues, projet de créer un jardin communautaire : les initiatives sont nombreuses, variées, elles ont pour particularité de se dérouler au niveau de l’îlot et, pour la plupart, d’impliquer un espace public4.

33Au Hameau du Château, l’une des toutes premières tâches de l’association de copropriétaires au moment où Germaine en a pris la présidence a été d’installer un espace poubelle à l’entrée du lotissement. Rapidement, il est devenu l’un des lieux de discussion préféré entre les résidents : « ah, le Club-Med se réunit », nous disait-on. « On se rencontre, on discute parfois une demi-heure, trois-quarts d’heure, enfin, vous voyez, c’est vraiment convivial ». Une initiative d’habitants, qui passe aussi par l’association de copropriétaires, c’est le « barbecue de quartier », qui a pour objectif de faire la fête mais aussi d’accueillir les nouveaux habitants. Violaine, après avoir été accueillie par les anciens, peut à son tour faire connaissance avec les derniers arrivants :

une chose qui se fait depuis 5, 6 ans, il y a un barbecue de quartier, […] ça a bien marché, ça permet effectivement de plus facilement discuter avec les gens, c’est une occasion de les rencontrer […] ça permet de rencontrer des nouveaux qui sont arrivés qu’on n’a pas eu l’occasion de voir.

34Autre moment important de la sociabilité de quartier, véritable institution dans la région lilloise qui prend ici sa déclinaison locale, celui des braderies, organisées à l’initiative des habitants. À Flers-Bourg, il y en a deux par an, en juin et en septembre, très fréquentées par les habitants du Château. À Triolo, la braderie, initiative d’habitants aussi, se tient le premier dimanche « après la braderie de Lille », mi-septembre. Brigitte ne la ratait jamais :

C’est quelque chose, la braderie du Triolo, ça pour rien au monde on ne l’aurait ratée, ça se fait ici derrière. Alors, au départ, c’est né d’un rassemblement de voisins dans l’allée du Triez et l’allée Talmotte, c’est né de là, et puis après, ça s’est étendu sur la place de la piscine dans les petites allées et jusqu’à aller maintenant au centre commercial, et ça, c’est venu des habitants du Triolo hein. J’y vais à pied, c’est juste là, derrière la butte, il faut réserver son emplacement au LCR des Tailleurs.

35La braderie du Triolo était en plus l’occasion d’organiser des « tables ouvertes » en invitant largement les voisins à manger. Les repas de rue, abandonnés un temps, semblent reprendre dans certains lotissements à l’initiative des associations de propriétaires. À Triolo, la femme de Camille s’occupe chaque année d’organiser un apéritif dînatoire qui rassemble les gens du lotissement. Chacun apporte son pique-nique, une bouteille, une tourte à partager avec les voisins. Parfois, c’est l’association gérante du LCR qui les organise, comme pour la cité des HLM départementaux de Partenord.

36Cependant, malgré le succès des braderies, la manifestation du quartier Château qui a laissé sans conteste le plus de souvenirs, c’est le feu de la Saint-Jean qui fut organisé à partir des années 80, par des parents d’élèves et des habitants du quartier, dans la « plaine », près de l’école Chopin. Elle a duré une vingtaine d’années. Elle symbolisait les liens entre les parents, le quartier, l’école Chopin et le LCR, nombre des parents d’élèves étant également actifs au LCR. Moment de retrouvailles annuel avec ceux qui ont quitté la commune, ils sont restés gravés dans la mémoire d’Hélène et de beaucoup d’autres :

Ah ! les feux de la Saint-Jean, oui, il y avait beaucoup de monde, et après, il y a d’autres quartiers qui l’ont fait, la fête de la Saint Jean… il y avait un orchestre, qui était à chaque fois différent, mais c’est toujours un orchestre un peu sympa… Et à l’époque, on n’aurait pas loupé les feux de la Saint Jean pour… c’était un moment important. Mais, remarquez, il y avait des gens qui étaient partis de Villeneuve d’Ascq et ils revenaient aux feux de la Saint Jean de Chopin, pour revoir les anciens de l’école, etc.

37Benoît, arrivé en 1989, avait été séduit par cette fête conviviale qui a contribué amplement à son choix de venir à Villeneuve d’Ascq. C’est par l’essoufflement des organisateurs, dont les enfants avaient grandi, et à cause de problèmes de sécurité, que la fête a été supprimée.

Les habitants s’organisent : associations, syndicats, LCR, l’école

38À côté de ces initiatives individuelles ou collectives, il existe des structures animées par des habitants qui proposent aux autres des activités ou des services. On s’y investit par militantisme, aussi par goût pour le contact ou pour simplement venir à bout d’un problème précis auquel on est confronté. Nous avons déjà croisé, à plusieurs reprises, les associations syndicales de copropriétaires qui jouent depuis 30 ans un rôle important dans l’organisation des habitants au niveau micro local, les Locaux Collectifs Résidentiels, la CSCV devenue CLCV, les associations de parents d’élèves et les écoles. Ces organismes, hauts lieux de la vie de quartier des débuts de la ville nouvelle, ont vu leurs rôles se transformer avec les années.

39La forme d’organisation qui structure la vie des lotissements est généralement l’association syndicale. Rappelons qu’au moment de l’accession à la propriété, le promoteur et l’Epale proposaient aux nouveaux propriétaires de prendre un syndic ou de créer une association syndicale, afin de prendre en charge les questions de copropriété et les relations avec les pouvoirs publics. La plupart des lotissements du Château ont choisi l’association syndicale, moins onéreuse.

  • 5 Pour les luttes contre les malfaçons, se reporter au chapitre suivant.

40Ces associations, qui règlent les droits et des devoirs des copropriétaires, ont vu leur rôle s’élargir quand elles fonctionnaient bien. Elles ont favorisé les bonnes relations entre voisins, la prise en considération d’intérêts collectifs. Elles ont été les lieux historiques des revendications contre les malfaçons qui ont fortement structuré les relations entre les habitants et les pouvoirs publics5. Maintenant que les procès sont terminés, que les luttes collectives se sont tues, leur rôle est moins revendicatif et les intérêts individuels occupent une place grandissante. Aujourd’hui elles sont les lieux où se discutent les conflits de voisinage liés aux fortes contraintes de copropriété, comme les restrictions pesant sur les jardins potagers, l’interdiction de construire une dépendance dans le jardin ou de prolonger le garage, même du côté non visible de la rue. Pour la plupart des modifications de la propriété, même minimes, l’accord de l’association est nécessaire.

41Officiellement, l’assemblée générale de l’association de copropriétaires se réunit une fois par an ; mais souvent, c’est aussi en son sein qu’on se rencontre de manière plus informelle. Afin de mieux comprendre le rôle de ces associations dans l’animation micro locale, nous suivrons l’Association syndicale du Hameau du Château 1. Depuis 1978, Germaine en est la secrétaire, et son mari le président depuis 1980. Une fois par an, un barbecue de quartier permet d’intégrer les nouveaux habitants, après que Germaine les ait accueillis, en tant que secrétaire de l’association, leur donnant les « directives » relatives à leur installation et à leur participation à l’association :

Les 5 premières années, on faisait des fêtes du Hameau… ça date du premier, en 77… donc avec tous les propriétaires, et puis ça s’est arrêté quelque temps… trois, quatre ans. Toutes les fêtes, on les fait sur la place-là… on a fait là, parce qu’on est tranquille, alors chacun apporte sa table, ses chaises, et puis alors on collecte une certaine somme et on achète pour tout le monde, voilà… on s’en occupe tous plus ou moins, mais il y a deux, trois personnes qui sont désignées pour faire les courses et puis tout le monde participe, à apporter sa chaise, sa table et puis après on range tout, proprement… Et là, c’est pour tout le monde pareil, il y a une ambiance je dirais un peu « Club Med » ici… Parce que quand il fait beau, vous voyez, on se retrouve à discuter sur la place, on fait une fête une fois par an avec tous les propriétaires, et alors ben là, c’est sympa quoi !

42La Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de vie (CLCV, ex-CSCV) est implantée à Villeneuve d’Ascq depuis 1978. Elle agit pour défendre les intérêts des locataires des résidences HLM auprès des bailleurs, dans différents quartiers de la ville, sur des problèmes très divers : chauffage, charges, loyers, problèmes d’infiltration etc. Hélène y milite depuis son arrivée à Villeneuve d’Ascq en 1977. Elle se souvient de la naissance du groupe CSCV dans le quartier :

on s’est d’abord réuni ici à trois-quatre,… puis après, on a demandé à des militants de la CSCV de Villeneuve d’Ascq de venir nous expliquer, à l’ensemble des locataires, ce qu’était la CSCV. Et là, on l’a fait dans le LCR Chantecler qui se situe juste en face du stade, là… c’est un peu comme ça qu’est né le groupement CSCV dans le quartier quoi.

  • 6 En particulier la circulaire du 2 juin 1960.

43À partir des années 1960, plusieurs textes réglementaires6 vont progressivement imposer la construction de locaux collectifs dans les ensembles résidentiels de plus de 100 logements construits avec l’aide de l’État. Les villes nouvelles vont mettre en œuvre des politiques relativement volontaristes pour créer et animer ces Locaux Collectifs Résidentiels (LCR), dénomination qui s’impose avec les circulaires du 9 et 11 juin 1965. À partir de 1971, il est admis qu’ils peuvent héberger des services à destination sociale comme les haltes garderies, des équipements socio-éducatifs ou les services de la PMI. Leurs dimensions sont théoriquement indexées au nombre de logements construits. Les LCR vont ainsi s’imposer comme des innovations sociales importantes, à Villeneuve d’Ascq comme dans les autres villes nouvelles, et vont être souvent les principaux lieux de débats, de confrontation, de mise en œuvre de la démocratie locale. Leur gestion sera confiée à des bénévoles qui, dans plusieurs des quartiers étudiés, seront souvent les militants les plus actifs de la démocratie locale, comme en témoigne cet extrait de La Tribune des associations :

Pour que le « L » de « LCR » devienne le point de rencontre et le foyer d’animation dont le quartier a besoin, il faut qu’un noyau de bénévoles naisse et se mette à la tâche, mais il faut aussi que l’état des lieux livrés par le promoteur le permette (sécurité, économie de gestion, adaptation aux activités prévues). Ceci a rarement été le cas jusqu’ici. Mais il semble aujourd’hui que les demandes acharnées des premiers présidents de LCR et la discussion d’une charte en 1978 portent leurs fruits. » (La Tribune des associations, no 12, mars 1981)

44Pour Pierre, l’objectif des LCR était de favoriser l’appropriation du quartier par ses habitants, ce qui manquait tellement dans les grands ensembles des années 60 :

Je crois que ça, c’est une donnée qui change tout, quand les habitants ont l’impression que le quartier, c’est un peu leur affaire, quand ils vont vivre ce quartier, quand ils vont vivre cette ville, ils ne l’appréhenderont plus en simples consommateurs.

45Cependant, la naissance des LCR illustre bien les approximations et les hésitations de la gouvernance par l’établissement public qui a eu du mal à passer à la réalité de la gestion locale. L’appropriation par les habitants de ces locaux collectifs n’a pas été évidente, explique Camille. Le flou sur la propriété des locaux et les responsabilités n’a pas arrangé les choses :

Ici le LCR, baptisé par la suite « des Tailleurs », on ne savait pas au départ à qui il appartenait ! Oh c’était assez bizarre, j’ai eu trois réunions avec les responsables de l’EPALE et les promoteurs de cette partie de quartier du Triolo, et aucun n’était capable de dire qui était propriétaire, comment on allait pouvoir gérer, comment on aurait pu l’occuper.

  • 7 Chaque résident propriétaire attributaire était propriétaire d’une part du LCR (1/125e), une part à (...)

46Finalement, c’est Camille lui-même et sa femme qui vont aménager le lieu, acheter la peinture et peindre le sol « resté en terre battue ». Rien non plus n’était prévu pour l’entretien des lieux. Après d’âpres négociations, les propriétaires vont céder leurs parts7 à l’organisme HLM, à charge pour lui d’entretenir les lieux. Les problèmes que connaissent nombre de propriétaires et de locataires qui emménagent vont aider au succès du LCR des Tailleurs (Triolo) qui va devenir un lieu animé pendant une quinzaine d’années.

47Les LCR étaient, au début de la ville nouvelle, utilisés pour diverses destinations : réunions, activités, fêtes. Au LCR des Tailleurs, Brigitte a organisé cinq années durant un rallye qui mobilisait une trentaine de personnes. Elle se souvient d’un couple, Françoise et Jean-Antoine, qui ont été pendant longtemps les véritables animateurs du LCR. Ils organisaient des week-ends, faisaient des courses de charrettes avec les enfants, montaient des mercredis récréatifs, faisaient de la cuisine avec les enfants, du tricot. Puis ils ont organisé l’aide aux devoirs pour les enfants du collège du Triolo dont les parents travaillaient. Au Château, on l’a vu, le LCR Chanteclerc était partie prenante dans l’organisation des feux de la Saint-Jean qui rassemblaient plusieurs centaines de personnes sur la pelouse du château.

48En dehors des manifestations festives et ludiques que nos interviewés évoquent abondamment et avec nostalgie, les LCR ont beaucoup servi pour les réunions des associations syndicales et des autres associations de quartier en général. Progressivement, ils ont évolué. Leur gestion a été transférée à la mairie ou à des organismes sociaux, ils ont été transformés en garderies, le LCR Chanteclerc héberge aujourd’hui le Secours populaire. Le LCR des Tailleurs prête aujourd’hui des salles aux habitants pour y faire des fêtes. Les plus anciens regrettent cette évolution, les plus jeunes, telle Pascale, n’ont même jamais entendu parler des LCR.

  • 8 Selon la Tribune, il y avait à l’époque 350 écoles ouvertes en France, no 26, hiver 1979-1980.

49Les écoles sont des lieux essentiels de la vie des quartiers : nous avons vu la place qu’elles tenaient à Château et à Triolo dans la socialisation résidentielle. Parmi ces écoles, toutes n’ont pas la même image. L’école Chopin, parce qu’elle fut très associée aux utopies émancipatrices des années 70 auxquelles nombre des résidents du Château étaient sensibles, jouit d’une image particulière. Elle concentre et symbolise à la fois l’ouverture du quartier, la convivialité, les rencontres, les activités, et nombre de fêtes… L’architecture a étonné les habitants : l’école n’a pas de barrière ni de limites matérielles franches, et un chemin piétonnier traverse ses bâtiments. « École ouverte »8, elle a été un lieu d’expérimentations où se sont greffées initiatives individuelles et expériences collectives. Selon les documents de l’Epale, l’école devait être « l’autre maison des enfants » et les services de l’éducation nationale auraient été étroitement associés aux architectes et aux aménageurs.

50Dans les faits, l’école Chopin va bousculer les habitudes : pas de distinction entre les classes maternelles et les classes primaires, les maîtres n’ont pas de classe, mais des groupes à animer sur des thèmes divers, chaque enfant opère lui-même en début de trimestre des choix individuels. Cette pédagogie innovante, même si elle n’a pas été comprise par tous, en particulier des familles des classes populaires, a attiré des parents intellectuels et militants, comme Benoît :

c’est surtout pour l’école… On était très préoccupés de trouver une école un peu neuve. À la fois neuve dans les locaux et neuve par sa pédagogie et ses idées, ce qu’on appelait à l’époque les « écoles ouvertes ». Il y a eu un mouvement d’écoles dites ouvertes. C’est-à-dire que le fonctionnement par classes n’était pas aussi sectorisé ou sectaire. C’était plus des fonctionnements par entités, c’est-à-dire que les enfants fonctionnaient par ateliers. Ils avaient des modules qui correspondaient à une certaine demande parentale universitaire, bourgeoise bohème, bobo, si on peut situer comme ça. Intellectuels, voilà.

51Aujourd’hui encore, à Triolo, comme au Château, une pédagogie originale intègre les habitants du quartier et sa mixité sociale. Les enseignants travaillent en direction des enfants de milieu modeste des résidences HLM, nous dit Daniel :

il vient d’y avoir une fête à l’école, il y a eu une bourse aux jouets, ça c’est un nouveau truc, alors : gros succès, des jouets, 1, 2 ou 3 euros, pas plus de 3 euros, bon… c’est pas pour gagner des sous qu’on fait ça, mais des gens du quartier viennent, des gens qui n’achèteraient pas ça probablement au prix où ça coûte, ben là ils… Et après, il y avait un spectacle qui était animé conjointement par les enfants et les personnels des deux écoles, maternelle et primaire, et puis le soir, un repas, enfin ça c’est l’association parents d’élèves… et il y avait du monde ! C’est un élément structurant très fort, je pense.

52L’école, c’est aussi l’association des parents d’élèves. Outre les réunions habituelles, les associations de parents d’élèves organisent les fêtes des trois écoles de Triolo, en juin, en prenant soin qu’elles n’aient pas lieu le même samedi après midi. À l’école Chopin, les associations de parents d’élèves (affiliées à la FCPE) organisent aussi des rencontres/débats sur des sujets touchant à la vie des enfants : l’argent de poche, les troubles du langage, la diététique, etc. Elles inaugurent un jeu et le partager avec les autres. Mais devant leur succès mitigé, ces soirées semblent s’être également des soirées « jeux », réunissant les enfants et les parents, chaque famille devant apporter arrêtées. Malgré des échecs relatifs, leur fonction de socialisation au quartier reste forte depuis trente ans. Une fois les mobilisations pour l’habitat passées, la convivialité de voisinage s’est appuyée davantage sur l’animation de quartier et sur les écoles, laquelle, nous dit Brigitte, a contribué à consolider des liens qui ont souvent perduré dans le temps :

Après, ça n’avait plus aucun rapport avec l’habitat, mais il y avait des réunions de quartier auxquelles on allait. On considérait qu’on faisait partie d’un quartier qui était privé et qu’on avait choisi, et que c’était sympa qu’il y ait une vie de quartier, donc on a participé à beaucoup de choses. Par exemple, avec des couples d’amis qu’on s’était faits, c’était quand les enfants étaient… on a commencé à avoir beaucoup de relations à l’école maternelle parce qu’on a fait partie des comités de parents machin, on a fait partie de plein de choses, là on a créé des liens, des gens qu’on voit encore maintenant, par exemple, on a été invités au mariage des enfants, des gens qu’on a continué à voir. Pas régulièrement, mais quand il y a des occasions chez eux, on est appelé.

Mobilisations collectives et investissements dans la vie publique

  • 9 Pour un historique plus complet, il faudrait ajouter les mobilisations plus directement politiques (...)

53Nous venons de voir qu’au niveau du quartier, l’école jouait un rôle non négligeable de construction de liens entre les parents. Dans les lotissements, on a vu que la majeure partie des actions passait par l’association syndicale de copropriété. De la même façon que les actions partant de l’école peuvent déboucher sur des formes de mobilisations plus larges, le rôle des associations syndicales ne s’est pas limité aux problèmes collectifs de classement des voiries ou de malfaçons rencontrés dès les débuts de la ville nouvelle, mais elles ont aussi laissé place à des initiatives individuelles ou venant de petits groupes d’habitants. Avec l’école et les associations syndicales de copropriétaires, nous avons ainsi deux institutions emblématiques de l’histoire des mobilisations collectives à Villeneuve d’Ascq9 et des noyaux organisationnels qui vont pouvoir être mobilisés dans d’autres occasions.

54Avec les années 80, une réflexion nouvelle a eu lieu au sein des services municipaux : il s’agissait de mettre en place des conseils de quartier qui fassent remonter au niveau municipal les problèmes de gestion locale. Mais il faudra attendre 2001 pour que ces conseils voient véritablement le jour, quelques mois avant le vote de la loi dite Vaillant du 27 février 2002.

Des luttes collectives aux intérêts individuels concernant l’habitat ou le cadre de vie

  • 10 Voir supra, l’historique du quartier Château.

55Les luttes collectives furent parfois vaines, souvent longues, mais elles restent gravées dans la mémoire des nombreux acteurs de l’époque. Au Château, on a vu que les habitants des Hameau 1 et 2 se sont mobilisés en 1978 contre la construction d’un nouveau lotissement, le lotissement Alvarado, qui devait être édifié devant le château en dépit des réserves liées au périmètre de protection du monument historique et au plan d’occupation des sols. Le chantier avait du être arrêté pendant deux ans10, mais la résidence fut finalement érigée.

  • 11 Voir supra, partie L’arrivée en ville nouvelle.

56Au Triolo, rappelons la longue mobilisation pour le classement des voiries privées11. Il a fallu attendre 1994, soit près de 20 années de mobilisation et de démarches auprès de la communauté urbaine pour que les voies privées soient déclassées en voies publiques. Les habitants du Triolo comme Brigitte et Léon – ou Camille qui était à l’époque proche du parti communiste – conservent la mémoire de nombreuses réunions concernant les logements ou le quartier, qui se passaient au LCR. La mobilisation amenait certains, plus politisés ou militants du travail, comme Hélène ou Camille, à prendre des responsabilités.

  • 12 Effective en 1983.

57Aujourd’hui, les mobilisations sont moins collectives. L’esprit combatif des débuts s’est arrêté. La fin12 de l’Epale – « l’adversaire », comme le nommait Camille –, annoncée depuis qu’une majorité d’Union de la gauche avait emporté la mairie en 1977, a contribué à ralentir l’ardeur militante à partir des années 80. Les nouveaux habitants ne prennent plus en charge la défense des espaces publics comme ils le faisaient il y a 20 ou 30 ans, quand « tout le monde s’était senti concerné en même temps », déplore Léon. Ils ne « dynamisent pas » le quartier Triolo, comme le faisaient ceux de sa génération. Camille constate également un « essoufflement », mais il souligne qu’entre-temps, nombreux sont les Villeneuvois qui se sont investis dans les clubs sportifs, dans la culture. Avec le temps, les formes de la mobilisation évoluent… et changent d’objet :

Alors c’est vrai qu’il y a un certain essoufflement au regard de l’engouement du départ. L’engouement du départ, c’était d’avoir pu créer des noyaux associatifs pour éventuellement se plaindre de pas avoir un accueil aussi facile qu’on aurait pu le penser. Cet engouement s’est concrétisé malgré quelques difficultés en occupant les locaux qui ont été redistribués, c’est-à-dire des équipements sportifs.

58Les anciens militants sont parfois désabusés. Le militantisme, qui était souvent une affaire familiale, n’intéresse plus vraiment les enfants des pionniers. Le transfert de la propriété des espaces publics de l’établissement public à la communauté urbaine-qui délègue les services municipaux pour leur entretien-a contribué aussi à une certaine démobilisation.

59Les habitants ont des intérêts plus individuels, par exemple l’un des enjeux principaux de la copropriété concerne aujourd’hui les modifications des maisons, qui exigent l’accord de tous les copropriétaires. Il s’ensuit des tensions entre propriétaires loueurs et propriétaires résidents qui n’ont pas les mêmes intérêts ni les mêmes idées sur la transformation des lotissements, entre ceux qui veulent modifier et ceux qui, par un refus, n’autorisent pas à leur voisin cette transformation, sous prétexte qu’il faut conserver une unité dans le lotissement. Pour certains, « il y a de l’abus » dans le souci de « garder le cachet » :

C’est des discussions qui n’en finissent pas. Et après ça, on met ça aux voix, mais il n’y a jamais moyen d’avoir une majorité. Donc on dit : « on maintient l’ancien ». À chaque fois, il y a des gens qui faisaient des travaux avant de demander l’autorisation. On valide l’existant, quoi. Mais il y a des gens qui sont un petit peu intégristes, qui disaient « dans ma maison, je n’ai jamais rien fait, donc il n’y a pas de raison… » Donc vote « non », à chaque fois.

Les instances de la démocratie locale et la baisse de la participation des habitants

60De nombreuses instances de débat existent à Villeneuve d’Ascq, mais sont-elles véritablement des lieux de démocratie participative comme semblent le prétendre les déclarations écrites dans la presse municipale ou locale ? La réputation de Villeneuve d’Ascq d’être une ville de « démocratie participative », slogan hérité des chartes organisées par la ville pour pousser l’Epale à terminer son programme en tenant meilleur compte des avis des habitants, se traduit-elle aujourd’hui dans des expériences concrètes ?

  • 13 Déjà en 1980, les associations étaient très réservées et craignaient déjà que les conseils de quart (...)
  • 14 Les conseils de quartiers ont été créés par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de p (...)

61Dès 1980, le maire, Gérard Caudron, avait avancé l’idée de créer des « conseils de quartier » regroupant élus, responsables des commissions extra municipales et représentants des associations (La Tribune, no 14, 1980). Il prévoyait de « consulter les forces vives de chaque quartier sur l’utilité, la composition, le fonctionnement, et les compétences d’éventuels Conseils de Quartiers » (La Tribune, no 16, 1980), l’objectif étant alors que les élus puissent partager le pouvoir, inclure la décision des habitants, et que les habitants s’investissent. Quelques mois plus tard, on n’évoquait plus les conseils de quartier. Leur création a été un échec, ils apparaissaient concurrents des commissions extra-municipales, des comités de quartier, des associations voire de certains élus eux-mêmes qui ne les voyaient peut-être pas d’un très bon œil13. Depuis 2002, la notion de « conseils de quartier » est revenue sur le devant de la scène, mais cette fois définie par la loi14. À Villeneuve d’Ascq, aujourd’hui, plusieurs instances de débat existent dans la ville et les quartiers. Mais entre conseils de quartier, comités de quartier, agoras, réunions plénières, certains s’y perdent.

62Les comités de quartier sont des structures associatives qu’on trouve fréquemment dans les villes grandes et moyennes à partir des années 70. Pierre, pourtant au fait depuis longtemps de la vie municipale, en a découvert l’existence en 2002 en entrant dans les conseils de quartier installés par la ville. Il voit leur origine dans les agoras organisées annuellement à Villeneuve d’Ascq :

Il existait au départ, tous les ans des « agoras ». […] Dans chaque quartier, il y a une réunion avec les habitants pour débattre du quartier, et je crois que le comité de quartier est un peu né de cela, c’est devenu une structure permanente d’inventaire de toutes les choses qui ne vont pas et des solutions qui pourraient y remédier.

63Le comité de quartier de Flers-Château, « qui existe depuis des lustres » selon Samuel, n’a pas un rôle essentiel dans le fonctionnement de la vie démocratique. C’est plutôt, ajoute Benoît, le lieu « où l’on parle des crottes de chien », et « des lampadaires qui ne marchent pas tous comme ils devraient ». Il réunit surtout des habitants de Flers (un peu du Château) dont la moyenne d’âge est plutôt élevée, et qui se retrouvent une fois l’an pour un repas. Y sont présents plutôt des commerçants du Bourg qui trouvent là l’occasion de se réunir pour organiser la braderie et la fête des allumoirs.

64Les conseils de quartier existent depuis 2001 à Villeneuve d’Ascq, mais, nous l’avons dit, l’idée n’était pas nouvelle. Ils ont un rôle consultatif mais pas de pouvoir de décision. Selon les textes, leur périmètre est décidé par le conseil municipal. Le Conseil de Flers-Prés-Château (10 000 habitants) comporte une trentaine de membres. Certains participent également au comité de quartier, d’autres non. L’assemblée élit un président, alors qu’un conseiller municipal référent fait la jonction avec le conseil municipal.

65Ces conseils de quartiers sont des lieux sensibles où semblent se dérouler certains enjeux de pouvoir. Le conseil de Flers-Prés-Château a ainsi été l’objet de tensions avec le maire qui aurait souhaité que soit élu président un élu du conseil municipal. Finalement, il n’a pas eu gain de cause, « mais il a fallu batailler » (Samuel). Certains pionniers se sont inscrits dans les conseils de quartier dès 2002, comme Samuel qui, après plusieurs mandats de conseiller municipal, a choisi de s’investir dans son quartier. Militant au parti communiste et ancien conseiller municipal, il a contribué à les mettre en place :

Le conseil de quartier, ça c’est une structure mise en place très officiellement par la mairie. Moi j’ai beaucoup, à l’époque, participé à la mise en place de ces conseils de quartier. Avec notre groupe, on a beaucoup insisté sur l’ouverture, c’est-à-dire essayer de donner envie aux gens de participer à leur vie de quartier. Et ne pas en faire une structure où on met les copains des copains pour pouvoir mieux gérer encore un certain nombre de choses.

66Déjà très impliqué dans la vie du quartier, Pierre est entré naturellement dans les conseils de quartier. Il a contribué à l’élaboration de la première charte, puis de la seconde actuellement en vigueur. Les conseillers sont élus pour deux ans. Depuis 2005, il est président du conseil de Flers-Prés-Château. Enseignant d’histoire géographie, sa participation aux affaires du quartier est liée à son intérêt pour l’aménagement urbain. Il milite pour que les Villeneuvois contribuent activement à la vie de leurs quartiers. Il prend un exemple de l’influence que peut avoir cet engagement collectif sur la décision publique, celui de l’aménagement d’un rond-point prévu depuis douze ans et qui aurait détruit une rangée d’arbre :

Et nous, ça faisait des années qu’on réclamait un rond-point qui se trouvait ici, à l’angle de l’avenue du Pont de Bois et de l’avenue de la Châtellenie ! Par contre, celui-là, avec un carrefour qui en plus est magnifiquement planté, on n’en voyait absolument aucun intérêt. Ça aurait fait disparaître en plus les 16 très beaux arbres qui sont là au milieu. Donc on a soulevé le problème, on a sensibilisé la population, on a même fait une conférence de presse au milieu du carrefour, sous les arbres… Et finalement le maire a consulté le Conseil général, le représentant de la Communauté urbaine […] Donc le projet a été supprimé.

67Il considère que ces instances de débat, qui associent les habitants et les techniciens pour débattre de projets qui concernent leurs lieux de vie, sont un héritage de l’esprit pionnier de la ville nouvelle. Les conseils de quartier sont pour lui le moyen de promouvoir la démocratie locale. Mais intéresser tout le monde à tous les problèmes traités est difficile. Par exemple, les réunions fréquentes qui ont trait à la petite enfance intéressent peu les conseils dont les membres ont parfois dépassé l’âge d’avoir des enfants. Là encore, la question générationnelle est une donnée cruciale de la vie publique locale.

  • 15 Gérard Caudron, second maire de Villeneuve d’Ascq, Informations municipales, 4 mars 1978.

68Les conseillers ont parfois l’impression que les décisions sont prises sans leur avis. Ils éprouvent un sentiment de frustration, surtout s’ils comparent avec l’époque de la fin du chantier de la ville nouvelle où ils étaient consultés, disent-ils, de manière plus démocratique. À l’époque, les « chartes d’aménagement concerté » associaient les Villeneuvois aux décisions relatives à la fin du chantier de la ville nouvelle : « La procédure des chartes d’aménagement de quartier est une phase nécessaire pour que, quartier par quartier, la ville qui se construit soit la nôtre »15. Selon Léon, la concertation est utilisée aujourd’hui pour faire admettre les projets, mais elle ne laisse plus place à la parole des habitants en tant qu’acteurs. Elle devient simple information et écoute polie des doléances et des regrets. Les habitants qui ont connu l’époque des concertations de quartiers regrettent de ne plus être consultés pour les sujets qui les concernent. Ce sentiment est particulièrement vif au Triolo où la tradition de mobilisation collective semble mieux se maintenir :

C’est moins participatif qu’avant. Ca c’est sûr. À Villeneuve d’Ascq, on n’est plus tellement écouté. Vous pouvez le noter ça ! On nous met les projets ficelés devant nous, et après ça, il faut contester, remuer terre et ciel pour essayer d’instaurer un dialogue. Ils sont ficelés quand on nous les amène, malgré soi-disant des réunions de concertation. Après coup, il y a des réunions de concertation, mais comme les choses sont déjà lancées, sont prêtes et tout ça, et bien il n’y a plus moyen de revenir sur les décisions, et puis il n’y a pas d’écoute… Moi mon sentiment, c’est de ne plus être écouté. Avant, il y avait des tas de réunions pour des tas de sujets, on avait l’impression de pouvoir faire, d’apporter une touche locale de gens qui connaissaient...

  • 16 Rappelons que la Confédération syndicale du Cadre de Vie s’est transformée en Confédération du Loge (...)

69Hélène ne trouve pas d’intérêt dans les conseils de quartier. Au contraire. Pour elle, responsable locale de la CLCV, ce nouvel échelon de la vie municipale fait écran entre les associations représentatives des intérêts des habitants et les responsables municipaux. Quand un problème se posait, la cellule locale de la CSCV16 se réunissait, recueillait les doléances et les faisait valoir directement auprès des élus. Elle pense que la démocratie locale passe par les associations traditionnelles, par les comités de quartier, et elle a peur que le conseil de quartier ne devienne la seule interface possible entre les habitants et les responsables municipaux, ce qui aurait pour effet de faire perdre de l’influence aux associations.

  • 17 « Conjuguer les conseils au futur » La Tribune, no 197 octobre 2004.

70Un premier bilan est tiré en 2004 lors d’une réunion publique. Alors que La Tribune présente les Conseils comme « un pas dans le développement des pratiques de démocratie participative à Villeneuve d’Ascq […] », une enquête d’évaluation indique que « les relations avec la municipalité et ses projets ne sont pas aussi étroits », « les contacts avec les habitants sont difficiles », et pose la question de la représentativité et du faible investissement des jeunes17 : le tiers des conseillers a plus de 55 ans.

L’âge des conseillers de quartier

Tranches d’âges

Nombre de conseillers

Moins de 25 ans

4

25-35

18

35-46

59

46-55

44

55 et +

67

Total

192

Source, La Tribune, no 202 mars 2005

  • 18 « Démocratie participative », La Tribune, no 200 janvier 2005.
  • 19 « Pont de Bois : la parole aux habitants », La Tribune, no 209 décembre 2006.

71Une innovation en matière de démocratie participative a eu lieu fin 2004, avec des ateliers18 qui associent directement la population à la préparation du budget 2005. Ils ont attiré 450 personnes. La participation des habitants a également été organisée pour la réhabilitation du quartier du Pont de Bois19. Mais certains enquêtés expriment la crainte que les dossiers concernant l’aménagement de la commune et l’implantation de gros équipements ne fassent l’objet d’aucune consultation ni concertation. Pour Samuel, cette forme de démocratie locale est un leurre :

Moi je crois qu’il faut aller plus loin, et plus associer les habitants à ce travail-là qui est encore trop un travail de professionnels. C’est dur, il faut reconnaître que ce n’est pas facile. Mais il y a eu un début, ils ont fait deux séances sur le budget, adressées à tous les Villeneuvois pour expliquer un peu. Mais ça reste encore… Sauf qu’on prend un peu les gens pour des cons, du style : « Où est-ce qu’on peut faire des économies ? », alors il y a ceux qui disent : « On a deux poubelles, on n’en met qu’une ». Par contre, les vraies questions de fond ne sont pas abordées.

72Il regrette que les conseils de quartier n’aient pas de pouvoir de décision et réclame une concertation au niveau de la commune pour les gros dossiers, comme pour le projet d’extension du cinéma Le Méliès ou la création du Multiplex. Pour illustrer cette évolution, on peut rappeler qu’en 1991, le projet d’une usine d’incinération à Villeneuve d’Ascq avait donné lieu à une large concertation sur laquelle la ville avait pu s’appuyer pour refuser cette implantation parmi trois sites proposés par la Communauté urbaine. Quinze ans plus tard, le choix du même site par la communauté urbaine pour un grand stade de 50 000 places n’a fait l’objet d’aucune concertation au niveau de la ville. La zone étant déjà saturée par les équipements commerciaux existants, les habitants se demandent si les pouvoirs publics ont pris la mesure des problèmes de circulation et de stationnement qui se poseront sur la zone.

73Au-delà de ces interrogations sur l’engagement véritable de la municipalité à faire mieux participer les Villeneuvois aux décisions publiques, la question se pose de la congruence entre l’engagement politique et l’engagement local. L’engagement dans la vie communale passe souvent par un engagement politique : c’est le cas de Samuel et de Louise. Le premier a été conseiller municipal pendant douze ans, et adjoint pendant six ans. La seconde a été élue d’opposition entre 1983 et 1989, tête de liste contre Caudron. Depuis quelques années, il semble, selon plusieurs témoignages, qu’il est plus difficile de s’engager dans la vie municipale qu’il y a 20 ou 25 ans. Les places semblent passer exclusivement par les partis politiques, et le militantisme local n’apparaît plus comme le marchepied qu’il a pu être.

Le sentiment d’une montée de l’individualisme et la baisse des mobilisations collectives

74Baisse des mobilisations collectives et montée des comportements plus individualistes ont été souvent évoquées par nos interlocuteurs. Si l’on compare à la période héroïque, on ne peut être que déçu comme Léon, Brigitte, Samuel ou Camille. Cependant, les gens continuent à se mobiliser pour défendre ce qu’ils pensent être nécessaire pour la qualité de leur environnement, même si ces engagements ont sensiblement changé de perspective, au regret de quelques pionniers : sur la pression du conseil de quartier, la mairie a enlevé deux bancs publics, le long du chemin du Château, parce qu’ils étaient devenus des lieux de rendez-vous de jeunes gens. Ce que regrette amèrement Samuel :

Sur le chemin qui est le long du Château, il y en avait deux aussi et ils ont disparu. Ça, c’est à la demande des gens. Et je trouve que la mairie ne devait pas céder sur ça. Moi, ce qui m’a frappé sur le fonctionnement des collectivités locales, aujourd’hui, dès que les gens demandent quelque chose, on ne réfléchit pas s’il faut le faire ou ne pas le faire : on le fait.

75En parallèle à la disparition des formes anciennes de mobilisation, ce qui apparaît, c’est une transformation des relations entre les habitants et les pouvoirs publics, et une redéfinition du rôle des pouvoirs publics, – en l’occurrence la mairie ou la communauté urbaine – dont les habitants confondent très souvent les prérogatives. Pour les uns, par exemple sur ce dernier sujet, la priorité de la mairie est de garantir la tranquillité publique, donc d’ôter des bancs qui passent pour être des causes de nuisances ; pour d’autres, la mairie est garante de l’accessibilité des espaces publics et du bon déroulement du vivre ensemble, et s’il y a des problèmes, c’est « qu’il n’y a pas assez de bancs » (Samuel) ou bien qu’on ne s’occupe pas suffisamment des jeunes. Le reproche qui est fait à la mairie, dans cet exemple, est de décider en fonction du rapport de force, d’une attitude trop « clientéliste », au coup par coup, en privilégiant excessivement, de ce fait, les tendances à renforcer la préservation des espaces privés, plutôt que d’avoir une politique plus globale d’intérêt général.

76Les rapports sociaux dans le quartier se limitent de plus en plus au bon voisinage, on l’a vu. Pourtant, reconnaît Samuel, une certaine solidarité n’est pas totalement absente de la vie locale, en témoigne la présence forte des gens du quartier lors des enterrements, ou les collectes organisées en cas de coup dur de l’un d’entre eux. Solidarités de voisinage, mais peu d’implication dans la vie collective. Pierre exprime l’enjeu démocratique et de citoyenneté auquel sont confrontés les Villeneuvois : comment faire pour que les gens s’intéressent à la vie de leur quartier ou de la ville ? L’enquête a montré que la plupart des enquêtés sont davantage en retrait de la ville et de son devenir. Ils consomment la culture (plus ou moins) et les animations organisées par quelques vétérans, mais ne se mobilisent plus pour faire basculer une décision qui les concerne. Les sympathies continuent d’exister entre voisins de longue date, mais on ne s’engage plus vraiment pour le bien commun, et, si on le fait, la démarche reste très individuelle, comme le souligne Pierre. Ce qui semble disparaître, c’est la forme des mobilisations et des engagements collectifs des années 70 et 80, remplacés par des engagements plus personnels et moins locaux.

  • 20 Edgar Pisani était ministre de l’Équipement dans le troisième cabinet Pompidou de 1966 à 1967, mini (...)

77On peut analyser les choses de deux façons. Soit en considérant que prime un effet générationnel qui a fait que les habitants des quartiers du Château ou de Triolo, ayant à peu près le même âge au moment de leur arrivée et appartenant à peu près à la même catégorie sociale, ont partagé en même temps les mêmes préoccupations, les mêmes enjeux, renforcés par la nécessité de s’unir pour faire valoir leurs intérêts de copropriétaires ou de locataires et de jeunes parents, et que l’âge venant, les générations se succédant, l’homogénéité de départ s’est édulcorée ; soit considérer qu’ils ont partagé une aventure résidentielle peu commune, certes enjolivée, mythifiée par les actions collectives qu’ils continuent à se raconter entre anciens, que le monde a effectivement beaucoup changé et que les pratiques résidentielles sont définitivement et profondément transformées. L’intérêt de notre terrain d’enquête est que les deux versions sont complémentaires : effet générationnel et récit mythique de l’âge d’or coexistent, s’entrecroisent, et petit à petit le sociologue parvient à peu près à dérouler chacun des deux fils. On lit dans les biographies des acteurs comment les récits de fondation et de combats ont effectivement donné corps à quelques légendes urbaines, depuis le survol du territoire par Pisani20 jusqu’aux hauts-faits du second maire pour arracher l’indépendance de la commune à l’État et à la communauté urbaine, en passant par les affrontements contre les constructeurs peu scrupuleux, les expériences pédagogiques à l’école Chopin ou les moules frites collectives. On comprend aussi que tout cela ait pris fin, une ville ne pouvant être recréée chaque matin.

  • 21 Nous reprenons ici le terme bienvenu de Danilo Martucelli dans Forgé par l’épreuve. L’Individu dans (...)

78Alors, certes, on peut faire le constat avec nos interviewés de la « montée de l’individualisme » et de la difficulté de mobiliser les habitants si on compare la situation actuelle à celle de la création de la ville nouvelle. Mais il faut aussi remettre les choses dans leur contexte et prendre la mesure de l’événement que constitue la naissance d’une ville, ce que cet événement peut engendrer de mobilisations, de projections collectives. Se résoudre à expliquer les changements d’attitude collective par la montée de l’individualisme est un peu court et ne rend qu’imparfaitement compte de la variété des situations. Nous préférons considérer que les habitants des quartiers que nous avons étudiés sont soumis à toute une série « d’épreuves »21 dont les cadres de référence ont été profondément modifiés. Ils doivent négocier de nouveaux équilibres résidentiels entre famille, travail, voisinage, vie domestique et affective, alors que les modèles sociaux et idéologiques qui ont présidé à la construction de la ville nouvelle sont largement dépassés. L’âge d’or du moment de la création de la ville nouvelle, quand les pionniers étaient jeunes, plein d’allant et d’utopies libératrices, fonctionnerait alors comme une ressource mythique qu’ils utilisent pour interpréter les difficultés présentes face aux épreuves et se situer par rapport à elles.

79Il s’agit maintenant d’examiner comment des évolutions dans les comportements s’articulent aux transformations de la ville. La ville, semble se transformer sans que ses habitants soient vraiment associés. Ils sont pourtant consultés, mais la méthode a changé : on réalise maintenant des enquêtes, là où autrefois on engageait des débats. Entre projets d’aménagement et revendications de riverains, des instances de négociation existent, se transforment (les conseils de quartiers), laissant aux riverains une parole plus ou moins bien entendue.

Les transformations de l’environnement matériel et spatial

La propriété du sol, (on la voit) dans son usage.
Vous savez bien c’est une question tellement grave qu’on essaye de corriger un peu, l’espace commun justement, il se privatise.
C’est le problème du rapport entre les gens.
(J. Tribel, architecte urbaniste, entretien, 2003)

80Le projet même de ville nouvelle, en se posant d’emblée en opposition à l’urbanisme jugé désincarné de la période précédente, a mis l’accent sur la qualité des espaces de proximité, interfaces entre privé et public, souci majeur des architectes et urbanistes des années 70. Habiter Villeneuve d’Ascq, s’approprier la ville, c’est-à-dire y construire des projets dans le temps, cela a signifié pour les premiers habitants avoir le sentiment de participer à un projet urbain. Plus qu’une autre ville, la ville nouvelle a été soumise à l’intervention des habitants. Cependant, avec les années, la nature de ces interventions a changé, les Villeneuvois évoluant avec l’époque. Les utopies de départ ont été peu à peu recouvertes par les intérêts individuels, les valeurs de convivialité et de partage qui fondaient les origines de la ville nouvelle ont laissé la place à des modes d’habiter davantage tournés sur le foyer et sur l’intimité. Peu à peu, l’espace privé et l’espace public subissent des transformations allant dans le sens d’une plus grande place accordée au monde domestique.

Les travaux et l’aménagement de la maison et du jardin

81Les habitants modifient leur logement en fonction de leurs aspirations et de leurs attentes. Améliorer, agrandir, transformer l’espace en l’ouvrant ou en le refermant vont accompagner la vie résidentielle de la plupart de nos interviewés. Cependant tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Les locataires de cités ou de résidences HLM ou les accédants propriétaires des lotissements sont particulièrement contraints par des règlements spécifiques, alors que les habitants de maisons anciennes ont pour seules contraintes les règlements d’urbanisme. Ceux-là chercheront à transformer le logement trop uniforme et à le personnaliser, ceux-ci, lorsque la maison est ancienne, n’auront de cesse de la rénover et de la mettre aux normes modernes. Ils doivent compter avec le temps, les coûts financiers, le travail ou le rapport avec les entreprises.

82Dans les lotissements, les règlements de copropriété interdisent de transformer quoi que ce soit sans l’accord de l’ensemble des propriétaires. C’est pourquoi les travaux de gros œuvre sont rares. Cette contrainte est ressentie comme une entrave à la liberté individuelle. Ici, la copropriété est « horizontale », comme « des appartements disposés au sol », nous dit Léon, cela signifie que « vous n’êtes pas propriétaire des murs ni de la toiture : vous êtes propriétaire de l’espace de vie et du foncier ». Le syndic est censé faire les réparations extérieures, mais lorsqu’on veut faire une modification, on est « obligé de demander des autorisations à n’en plus finir à la copropriété ».

83Pourtant, nous avons pu observer des travaux concernant des agrandissements d’espaces intérieurs et des ouvertures sur le dehors. Pour avoir plus d’espace, il faut souvent faire preuve d’ingéniosité, compte tenu des contraintes et de l’exiguïté des lieux. Tactiques d’habitants. Pour gagner une pièce pour les enfants, un ménage a préféré réduire le « jardin-patio » en le couvrant, quitte à changer l’organisation du logement, et il a ouvert une baie donnant sur un espace collectif qu’il s’approprie d’une certaine façon, par la vue :

On a poussé les murs de partout. L’entrée, on l’a avancée, le bout du garage, on l’a poussé pour faire un plus grand garage. Après ça on a pris de la place ici. C’est-à-dire qu’habituellement il y a un patio quand on rentre, on a ce petit jardin d’hiver qui est chouette aussi. Mais nous, on n’avait pas besoin du jardin d’hiver, […] puisque, avec une baie vitrée, on avait une vue sur le jardin de ce côté-là qui est un espace collectif.

84Toujours pour augmenter le nombre de pièces, de nombreux habitants d’un lotissement du Château ont aménagé des chambres non réglementaires dans les greniers : « Partout où vous voyez des velux, là, sur les toitures, en principe, c’est les gens qui ont fait une pièce en plus ». Autre exemple : un couple du Hameau du Château n’a pas hésité à casser un angle pour faire entrer plus de lumière. Au bout du compte, ce qui frappe, c’est le nombre de gens qui ont modifié leur intérieur. Même dans les maisons récentes, on aime à dire qu’on a tout refait, qu’on a aménagé à son idée, selon ses besoins. C’est que les maisons, construites pour la plupart dans les années 70, étaient bâties selon des normes d’usage qui ont changé. Beaucoup de nouveaux occupants choisissent, avec ou sans autorisation, d’agrandir les séjours, d’avoir une pièce à vivre la plus grande possible quitte à supprimer le salon ou à réunir séjour et cuisine autour d’un feu ouvert.

La clôture des jardins et les limites floues entre privé et public

Dans « espace public », il y a le fait que ça concerne tout le monde. C’est-à-dire que ce ne peut-être une notion exclusive à quelques-uns, il est ouvert à tous, pas réservé à quelques-uns. […] L’espace public c’est le lieu de confrontation.
(A. Pelissier, 2003)

85Le terme « d’ouverture » est un véritable paradigme utilisé pour exprimer les rapports entre propriété privée et espace public pendant toute la période de conception et de démarrage de la ville nouvelle. Nombre de nos enquêtés l’utilisent, y reviennent, l’évoquent pour souligner la spécificité d’une période qui n’est plus et dont ils ont la nostalgie, celle de l’utopie de la propriété non close. Ouverture des jardins, mais aussi des équipements publics comme l’école, le lycée, l’université. Les premiers habitants « passaient de maison en maison » pour se visiter, emprunter un outil, et l’absence de clôtures entre les jardins donnait l’illusion d’une vie plus ou moins communautaire. Les témoignages de « pionniers » abondent et tous dans le même sens, même chez Louise qui n’a jamais été une militante de gauche et regrette cependant cette époque :

J’ai vu les maisons se remplir. C’était sympa, parce que les haies n’avaient pas poussé, on avait toujours besoin d’un outil ou d’un machin, alors on allait d’une maison à l’autre, on prenait l’apéro chez l’un, chez l’autre, c’était super sympa au début. Petit à petit les gens sont partis et maintenant, c’est différent.

86Germaine nous montre des photos datant de 1983 :

en 1983, vous voyez, ça a été quand même pas mal… à l’époque le lac n’était pas… Là, ils ont mis des grilles maintenant entre le chemin et puis le lac pour éviter que les enfants tombent avec leurs vélos et… Mais avant on avait les canards qui venaient carrément dans le patio manger l’hiver.

87Aujourd’hui, ce souvenir reste vivace dans la mémoire des habitants de longue date, mais il est connu aussi de Villeneuvois plus récents comme Pascale, étudiante, qui remarque, et apprécie, que certaines propriétés ne soient pas closes sur le devant, entre la rue et la façade :

Quand on va dans le quartier, les maisons n’ont pas de clôture. Les maisons qui sont en face, les jardins devant ne sont pas clôturés du tout, ils ont leur petit chemin, et le chien entre sans problème. Et chez V. c’était la même chose, devant, c’était une propriété privée mais gérée par la commune. Là, c’est la même chose, il y a un terrain, et les enfants vont y jouer. […] Ils se chamaillent, ils font du vélo, du roller, un peu sur le terrain de tout le monde, mais en même temps les jardins de derrière sont clôturés.

  • 22 Voir photos : « Le temps des fermetures ». : la clôture des jardins.

88L’injonction utopique de ne pas clôturer, énoncée par les urbanistes de la ville nouvelle, a été progressivement oubliée, abandonnée, contournée ou détournée pas les habitants et par les responsables publics. Des espaces publics autrefois accessibles au public ont été entourés de grilles dissuasives ou fermées aux passants. De leur côté, les habitants ont fait pousser des haies ou ont oublié de les tailler22.

89Le lycée Queneau, en plein cœur du quartier HLM de Pont de Bois, dont la cour servait aussi de place au quartier et qui partageait une salle avec la maison de quartier afin de favoriser le mélange entre habitants et lycéens, fut le premier à fermer ses portes, pour des raisons de sécurité et de gestion des espaces. Ce n’est que récemment que l’université Lille 3, qui était depuis sa création entièrement ouverte sur le quartier voisin de Pont de Bois, décida, pour cause de dégradations, de clôturer son campus. Cet événement signifia définitivement la rupture – publique et institutionnelle – avec une des utopies de la ville nouvelle, et pas des moindres : celle du mélange des populations entre citadins et étudiants par l’ouverture des lieux universitaires. Progressivement, la plupart des lieux publics furent ainsi fermés.

Le temps des fermetures : la clôture des jardins (Château)

Le temps des fermetures : la clôture des jardins (Château)

90Aujourd’hui, les règlements de copropriété autorisent l’édification de clôtures. Édifier une clôture, ou la supprimer quand elle existe, est un moment difficile dans les relations de voisinage. Les jardins sont de petites tailles, les maisons sont souvent mitoyennes ce qui entraîne un certain manque d’intimité, mais en même temps l’édification d’une clôture trop élevée peut entraîner une baisse de l’ensoleillement des jardins mitoyens, une réduction visuelle de l’espace, et indiquer au voisinage l’option choisie du « chacun chez soi ». Camille raconte comment peu à peu certains voisins s’isolent :

Le pire, c’est qu’ils ont commencé à mètre des thuyas pour la plupart, et le thuya par lui-même, on le voit de la maison, est monté à 3,5 mètres, ce qui est… mais enfin si les voisins ne rouspètent pas… et puis il s’est complètement isolé, à tel point d’ailleurs, on le connaît même plus, là, le gars et la femme là qui y habitent, on sait pas qui…

  • 23 Voir photos « Jardins traditionnels sans haies ».

91Ajoutons que, traditionnellement, dans la région, les maisons de ville sont très souvent pourvues de jardins allongés et étroits et qu’il n’est pas d’usage d’édifier de hautes séparations entre voisins23. On se voit de jardin en jardin et on échange entre voisins. Le plus souvent, une simple bordure suit à marquer les limites de propriété.

92Mais les traditions s’effacent devant les changements de comportement, et conserver des jardins sans haies ni clôture est un combat permanent de la copropriété. Marie observe la tendance au repli sur soi dans son lotissement où les gens sont « individuels et collés » :

Jardins traditionnels sans haies (Bourg)

Jardins traditionnels sans haies (Bourg)

Il n’y en a toujours pas (de clôtures), hein. Enfin, allée de la Chaîne, je sais qu’il n’y en a toujours pas. Moi, je trouvais ça super, mais il faut s’entendre avec ses voisins. Et on voit que ça devient de plus en plus individuel parce que, même si c’est à tout le monde, il y en a de plus en plus qui mettent leur petite haie. Les gens ne veulent pas être vus. Même ici, ça devrait être beaucoup plus ouvert, mais les gens se barricadent. En bas, par exemple, sur les terrasses, il y a beaucoup plus de bois, ça monte. Les gens ne veulent plus se voir. Il y a de moins en moins de communication. […] En fait, ici c’est des maisons individuelles collées. Donc les gens sont « individuels et collés ».

93L’origine géographique des résidents a peut-être un effet sur les comportements de certains interviewés comme Louise ou Marie, mais c’est nettement chez les anciens militants – comme Samuel, Camille ou Pierre, voire chez les plus jeunes comme Pascale qui envisage de s’engager plus avant – que nous trouvons le plus de résistance face à ce phénomène, quel que soit leurs origines géographiques. Ces partisans de l’ouverture assistent, impuissants, à la montée des haies de thuyas qui contribuent à leur isolement malgré eux. Lentement, ils observent que des lotissements se mettent à fermer certains passages aux promeneurs, contrecarrant ainsi la fluidité de la circulation piétonne qui fait le charme de la ville nouvelle et le plaisir des promeneurs. Certains, comme Pierre, craignent les effets de l’esprit sécuritaire qui conduit à l’enfermement ségrégatif :

Il faut espérer qu’on ne verra pas fleurir, autour, des « communautés fermées »… Je ne crois pas, ce n’est pas du tout dans l’esprit du quartier, pour l’instant, de ce point de vue-là, on serait bien en train de résister, mais cette mode s’est développée aux États-Unis, ou même dans certains endroits de France, où on clôture des îlots d’habitations de grandes grilles, et il faut montrer patte blanche pour entrer, j’espère qu’on ne verra jamais ça.

94Les « pionniers » sont-ils les derniers garants de l’esprit d’ouverture ? Il devient difficile de ne pas être entouré de haies ou de clôtures. Le simple fait de les refuser devient déjà une forme d’engagement :

Ah non, moi, j’ai pas clôturé… non, non, c’est tous les autres qui ont clôturé, Ah moi, j’ai pas de clôture… Au contraire, au contraire, au contraire, sur les trois ici, on a fait en sorte d’avoir un jardin quand même presque ouvert sur les trois… la clôture vient de celui du bout en fait qui a tout clôturé avec ses troènes-là, mais nous, on n’en a pas voulu pour autant hein… non, non, c’est pas à nous ça…

95La notion d’ouverture a été intégrée complètement par ces pionniers restés défenseurs acharnés de cette conception de la vie sociale proche de l’esprit communautaire des années 

  • 24 Voir photo : « Jardin ouvert sur le lac ».

9670. Samuel et sa femme illustrent parfaitement ce qu’on peut appeler un « esprit de résistance » contre un mode d’habiter plus individualiste. Derrière leur maison, s’étend une pelouse d’assez belle dimension pour la ville nouvelle qui se prolonge jusqu’au chemin qui borde le lac du Château. Le long du chemin, un banc sur lequel, indifféremment, Samuel et son épouse, ou des passants, s’asseyent pour profiter de la vue sur le lac24. De l’autre côté du chemin, un terrain municipal. À main droite, une autre pelouse : c’est le terrain de Norman et de Nancy. Dès le début, Samuel et son épouse ont marqué leur adhésion à l’ouverture au point de supprimer la haie de troènes plantée par le promoteur pour marquer la limite entre les jardins privés et le chemin public. De manière à profiter pleinement et du jardin et de l’espace collectif qui est au-delà :

Vous êtes un des derniers à ne pas clôturer ?
Oui, tant qu’on sera là, ça ne sera pas clôturé, quoiqu’il arrive (rires).
Peut-être que ça se fera malgré vous ?
Mais il y a eu une demande de la copropriété. Ceux qui demandent ça, ce sont des gens qui disent : « Moi, je suis propriétaire, et je veux être chez moi et je ne veux pas qu’on m’embête ». Parce que là, il y a un espace aussi qui a failli être clôturé, et on a résisté. Mais je pense que le jour où ils clôtureront, je serai dans l’illégalité […] Et là, il y a le lac. Et on n’a pas souhaité clôturer. Non, on ne supporte pas les clôtures. Il y en avait au départ, mais on les a retirées. Il y avait une haie de troènes et on les a enlevés. Alors ça allait jusque là, dans le prolongement du terrain, et j’ai gardé un troène, mais il y en avait tout le long.
Donc en fait, là, c’est du terrain public.
Là, ça appartenait à la copropriété, mais comme pour beaucoup de secteurs à Villeneuve d’Ascq, ça a été cédé pour le franc symbolique à la communauté urbaine […]. Donc normalement tout notre espace allait jusque-là, et à partir des petits arbustes, c’est la ville.

Jardin ouvert sur le lac

Jardin ouvert sur le lac
  • 25 Voir photos : « Jardin ouvert dur l’espace public ».

97Le résultat est que l’on ne distingue pas les limites entre le terrain privé et le terrain public. D’une certaine manière, Samuel s’approprie, par l’usage, une partie de l’espace public et, en échange, son propre terrain peut être utilisé par les passants, les promeneurs de chiens, les enfants. Ce flou entre privé et public pose la question de repérage pour les passants, mais aussi pour les habitants eux-mêmes qui ne connaissent pas bien les limites de leur propriété, « Quelquefois, il est dicible de savoir ce qui est privatif et ce qui ne l’est pas », « Nous, on n’a pas de plan précis ». L’entretien des parties communes est assuré par les habitants qui ont « annexé » l’espace public : quand on commence à tondre sa pelouse, on ne s’arrête pas à la limite de sa propriété et on tond aussi le terrain alentours. D’un autre côté, on n’hésite pas à intervenir auprès des jardiniers de la ville quand ils taillent les haies pour qu’ils le fassent à son goût25.

Jardin ouvert sur l’espace public

Jardin ouvert sur l’espace public
  • 26 Voir photo : « Portillon de voisinage ».

98L’enjeu de voisinage des jardins est important. Ainsi, lorsque Nancy et Norman ont emménagé à côté de chez Samuel, ils ont souhaité clôturer leur jardin. Mais ce dernier a su les convaincre de le faire a minima et de ménager un portillon dans la clôture pour que les deux jardins correspondent. Les relations entre eux sont devenues amicales, et aujourd’hui, il n’est plus besoin de sonner pour dire « bonjour », demander un service ou simplement prendre un pot. Le portillon, toujours ouvert, symbolise l’échange entre ces voisins devenus amis, même s’il laisse le champ libre aux chiens26.

Portillon de voisinage

Portillon de voisinage
  • 27 Voir photos : « Portillons ouverts sur le piétonnier ».

99Comme Samuel, Nancy et Norman ont aménagé les limites entre leur propriété et les espaces publics voisins. Ils ont ouvert un portillon au fond du jardin pour avoir un accès direct au banc public face au lac ou pour bavarder avec les passants…27 :

Oui, c’est un banc public, c’est symbolique, c’est un passage obligé… Quand j’invite des amis ici, on finit toujours sur le petit banc… Il est à l’extérieur, c’est un banc public. Mais on y va, nous, régulièrement, boire un café ou fumer une cigarette, le soir ou en journée, ou quand on a des copains, en fin de repas, on va tous boire le café là-bas… enfin, le lac et l’environnement nous appartiennent, et moi j’adore le contact avec les gens qui me parlent au travers du chemin et qui me disent : « Oh, vous êtes bien là », ou « Oh, vous avez des superbes belles roses… », et les gens qui passent en vélo ou…

Portillon ouvert sur le piétonnier

Portillon ouvert sur le piétonnier

Portillon qui permet aux riverains de prendre un café sur le banc public...

Portillon ouvert sur le piétonnier

Portillon ouvert sur le piétonnier

... et un accès direct au lac

100Hors de ces poches de résistances, seul le quartier Brigode, peuplé de cadres supérieurs et de chefs d’entreprise, bien protégé et relativement isolé du reste de la commune, s’offre encore le luxe d’avoir des propriétés majoritairement non closes. Là, les jardins ouverts restent invisibles aux promeneurs curieux qui ne se hasardent pas dans les « voies privées » très dissuasives et bien gardées, à l’instar des « gated communities » aux États-Unis, qu’évoquait Pierre. Ailleurs, l’utopie de la ville nouvelle n’a pas résisté au repli sur le domestique ambiant.

101Les habitants qui clôturent leurs jardins le font pour se protéger. Se protéger du regard des autres, se protéger des conflits, se protéger des incursions du chien du voisin, se protéger des cambrioleurs. Ces raisons se mêlant d’ailleurs bien souvent dans les propos qui sont tenus. Se protéger du regard des autres, c’est d’abord édifier un mur, une palissade entre les jardins et les chemins. Ainsi au Hameau du Château, pour fermer les patios autrefois ouverts sur le sentier, ou allée de la Crémaillère, où « les haies sont montées très vite » entre voisins (dès 1974). Les haies, qu’on pouvait enjamber il y a 20 ans, ont poussé au point parfois d’être infranchissables et de devenir des protections contre les cambrioleurs.

102Dans le lotissement de maisons locatives HLM de l’allée Chardin, c’est pour des raisons de sécurité également que les jardins, à la demande des locataires, ont été isolés de la voirie publique le long de l’autoroute. Une des premières actions CSCV, raconte Hélène :

Ici, on ne le voit pas, mais, derrière, vous avez l’autoroute. Et le long, quand on sort du jardin, il y a une allée piéton tout le long, et c’était une de nos premières actions : de faire construire une haie pour pouvoir séparer les locations, sinon, de la rue, on pouvait aller dans les maisons, ce n’était pas très sécurisant. Ça s’est fermé, en 79, deux ans après qu’on était là. Pour la fermeture, ils ont mis des clôtures en béton.

103Pour des raisons de coût d’entretien, le jardin commun de ce lotissement a été divisé en jardins individuels, ce qui a permis aux locataires de faire des potagers et d’installer des terrasses derrière leurs maisons.

Entretien des espaces publics de proximité

104Le flou entre le statut privé ou public de certains espaces conduit, au bout de 30 ans, à une sorte de partition entre la ville et les riverains des lotissements, que ce soit dans le parc public ou le parc privé. L’histoire de la propriété de ces espaces ne clarifie pas leur statut. Au départ, ils avaient été aménagés par les lotisseurs, et l’entretien revenait au propriétaire bailleur pour les locatifs, à l’association syndicale de copropriété pour les propriétaires occupants. Cette charge à été confiée à la collectivité locale lors de la rétrocession des voiries et les espaces communs en 1994. Parce qu’ils sont très caractéristiques des représentations qu’ont les habitants des limites et des recouvrements entre bien public et bien privé, nous allons-nous appesantir un moment sur ces « espaces publics de proximité » : « publics » car ils relèvent juridiquement de la propriété publique ; « de proximité » parce qu’ils sont utilisés, entretenus et parfois même aménagés par les riverains. Nous avons déterminé trois types de comportements d’appropriation de ces espaces :

  • Entretien devant chez soi pour disposer d’un morceau de terrain à son goût

  • Entretien pour pallier les retards des travaux d’entretien par les services communaux

  • Utilisation des espaces communs pour étendre son territoire à des fins privatives

  • 28 Voir photos : « Jardinets entretenus et appropriés par les habitants ».

105Les jardinets situés devant les maisons ont été rétrocédés ensemble à la collectivité, mais ils sont peu à peu appropriés pas les riverains28. C’est le cas dans de nombreux lotissements du quartier Château comme au Hameau du Château.

Jardinets entretenus et appropriés par les habitants

Jardinets entretenus et appropriés par les habitants

Dans les ruelles du hameau du Château

Jardinets entretenus et appropriés par les habitants

Jardinets entretenus et appropriés par les habitants

Sapin de Noël planté il y a 20 ans par un riverain sur l’espace public

106Dans les maisons HLM situées allée Chardin, les locataires arrangent à leur goût ces petits espaces situés devant leurs maisons en y repiquant des plantes et des leurs. Ils s’en sont occupés, disent-ils, de peur que l’entretien ne soit pas fait ou soit mal fait. Depuis, la collectivité se contente de tondre le giratoire, et laisse le soin d’entretenir les jardinets à ceux qui souhaitent ainsi personnaliser leurs façades. Cette situation semble en fait assez générale sur la commune. Un accord tacite existe donc entre les habitants et la ville qui autorise ces initiatives, bien que celles-ci s’assimilent à des formes d’appropriation – ou privatisation ? – d’un bien collectif. De « c’est nous » (sous-entendu : qui le faisons), Mathieu passe au « c’est à nous », qui peut signifier « c’est à nous de le faire », ou « c’est notre propriété ». Un droit d’usage, en quelque sorte.

107Dans un autre lotissement près du lac du Château, les logements sont regroupés par 4 et imbriqués avec des terrasses ou des jardins. La reprise des espaces extérieurs par la collectivité s’est faite comme dans les autres lotissements, mais ici les négociations ont été plus complexes. La mairie proposait de reprendre la totalité des espaces extérieurs, jardins compris, pour un franc symbolique. Les copropriétaires s’y sont fermement opposés, et une partie des jardins a été conservée par la copropriété. Le promeneur se trouve dans un espace vert collectif avec des bandes privatives non délimitées. Les propriétaires qui logent en rez-de-chaussée ont le droit de planter le long du mur, et d’installer quelques mobiliers de jardin, mais avec interdiction de clôturer. Ces espaces peuvent être utilisés, pour y jouer ou organiser des repas. Mais, étant ouverts sur l’extérieur, ils sont exposés aux dégradations et au vol, comme l’explique Martine :

Je les ai payées 4 euros (des chaises en PVC), on peut me les voler, ce n’est pas grave ! Rire. On a le droit de mettre tout ce qu’il y a le long de la maison : des fleurs, ce qu’on veut, des jardinières. Mais par exemple, je n’ai pas le droit de mettre un sapin au milieu de la pelouse. Faut pas mettre un jardin. Ce qu’il y a de dommage, c’est qu’on ne puisse rien laisser dehors. Un salon de jardin, par exemple, je le sors, un parasol aussi et puis, le soir, je le rentre.

108Les habitants qui le souhaitent peuvent ainsi exprimer leur art de jardiner et avoir des relations avec les autres, mais ils sont confrontés à une ambivalence du statut de ces espaces avec laquelle ils doivent composer. Virginie se déclare ainsi « propriétaire » de 3 m2 sur lesquels elle plante des tulipes et des glaïeuls, mais il n’y a pas de clôture avec le terrain de ses voisins et avec les cheminements où se promènent les passants. En revanche, elle distingue clairement cet espace partagé du terrain « public » situé de l’autre côté d’une haie dense et haute qui marque bien les limites entre un « chez soi » relatif mais choisi, et le dehors (l’espace public, la rue) :

Là, « c’est public », mais on n’a aucun rapport, il y a de grandes haies… Ici, c’est « chez moi », j’ai une table, mon fils m’a fait une terrasse en bois dur, alors on met une chaise longue, on peut manger là. Quand mes enfants venaient, et qu’ils étaient petits, ils jouaient là et puis on mangeait. Malgré tout on se sent « chez soi », oui, on a tout à fait l’impression, je ne suis pas du tout embêtée et puis les voisins sont discrets tout en venant voir quand même si je vais bien.

109Au Hameau Watel, des arrangements se font entre le jardinier payé par l’association de copropriétaires et les habitants qui désirent améliorer selon leur goût. Ainsi Germaine a-t-elle planté un petit houx, mis un lilas et un forsythia, mais elle doit s’entendre avec le jardinier pour qu’il laisse ses plantations. Parfois quelqu’un investit un délaissé, et le plante à son goût, telle cette petite bande de terrain au Triolo devant chez Brigitte :

On a un voisin, nous, qui a mis des fleurs dans un espace public, ben moi j’ai trouvé ça charmant, pourquoi pas ? moi je trouve ça très bien, ça fait presque jardin un peu ouvrier, tout est bien aligné, et il entretient ça avec amour hein, comme si c’était son petit jardin, mais personne ne lui a jamais rien dit.

110La rétrocession des voiries privatives et des espaces verts à la communauté urbaine, elle-même déléguant leur entretien à la ville, est regrettée par certains habitants qui auraient aimé conserver la propriété collective des espaces verts. Ils jugent que la ville ne fait pas toujours bien ni à temps le travail d’entretien des parties communes : « c’est la pagaille » nous dit Martine, les pelouses ne sont pas tondues avant le mois de mai, les bordures du lac sont dégradées, « le maire » privilégie la création d’un sentier pédestre « où personne ne passe », au détriment de l’entretien des parties communes et des trottoirs, et prétexte qu’« il n’a plus de sous ». Régulièrement les habitants disent se substituer aux services de la ville car « on ne les voit pas beaucoup », ajoute Brigitte. Lorsque le camion de la ville n’est pas venu couper la haie, « il nous arrive de la tailler, nous, alors qu’elle nous appartient pas… parce que quand on n’a plus de lumière ou quand on voit plus le lac… », avoue Nancy. Gênés par la végétation, certains prennent en charge de couper ou d’élaguer des arbres, quitte à se mettre parfois dans l’illégalité.

111Ces situations illustrent bien une forme d’indétermination entre les espaces publics et privés, indétermination qui relève d’attitudes individuelles quand il y a négociation pour accéder à une plus large appropriation de l’espace, indétermination dans l’application des règlements quand les riverains estiment devoir se substituer aux services de la ville qui ne tient pas ses responsabilités dans l’entretien des lieux, indétermination dans le marquage physique des lieux et dans l’usage quand les limites sont floues et que le promeneur ne sait plus vraiment s’il se trouve en terrain privé ou public. Si elle peut gêner certains, cette indétermination est défendue par d’autres car elle leur permet un (très) relatif degré de liberté dans la pratique de la ville.

Appropriation privée des espaces publics

  • 29 La Communauté urbaine de Lille, créée en 1969, s’appelle aujourd’hui Lille Métropole Communauté Urb (...)

112On a vu que dans l’histoire courte de la ville nouvelle, nombre des espaces collectifs entourant les maisons ont été rétrocédés par les copropriétaires à la collectivité publique après d’âpres et longues négociations parce que ceux-là ne voulaient pas avoir à s’occuper de problèmes de voirie, de lampadaires ou d’entretien des espaces collectifs. Mais, parallèlement, certains propriétaires s’appropriaient une partie de ces espaces qui appartiennent depuis une quinzaine d’années à la communauté urbaine de Lille (CUDL)29. Ceci s’est déroulé de manière négociée, parfois au moment de la rétrocession, parfois ensuite. Mais les règles ne sont pas respectées, explique Léon :

Avant la reprise par la CUDL, il y a des gens qui ont demandé à conserver l’espace collectif près de chez eux. Ca a été donné… loué par le franc symbolique mais avec interdiction de clôturer. Donc ça veut dire, les gens qui ont repris l’espace commun… Dans les faits, tout le monde a clôturé plus ou moins.

113Parfois les clôtures ainsi introduites sont si denses et si hautes que l’espace public alloué est devenu quasi privatif du point de vue de l’usage. Plus aucun promeneur ne s’y aventure. Il arrive que l’accès ne soit plus visible, envahi peu à peu par des buissons qu’on ne taille plus… Au Hameau du Château, nous avons repéré quelques-uns de ces terrains « récupérés » par les habitants qui, sans le dire, agrandissent leur jardin. Ces pratiques, qui semblent se faire avec l’accord tacite de la municipalité, choquent d’autres riverains :

Je pense que c’est bien de le faire si on ne clôture pas. Ce que je supporte mal dans la plupart des gens qui sont en face, c’est que les gens ont mis leurs clôtures et qu’ils s’approprient l’espace public. C’est comme si nous, on avait mis des clôtures jusqu’au bout. Il y en a plein le long, là. Et moi, j’avais réagi à l’époque en disant : « Il ne faut pas laisser faire » et on m’a répondu : « Mais c’est des électeurs » ; ça, ça m’agace profondément, parce qu’en plus, c’est laid, ils mettent des trucs très haut à 2,50m. Eux, derrière, ils remettent de la verdure, alors c’est agréable pour eux. Mais le sentier devient beaucoup plus compliqué, et puis ce n’est plus agréable. Oui, ils deviennent privatifs. […] ça ne gêne personne en général, mais il y a quand même cette mentalité de : « Je veux mon petit bout de jardin et un peu plus si je peux ».

114Alors que certains clôturent sans le dire et s’annexent des espaces publics, d’autres ont essayé en vain de racheter une parcelle de terrain jouxtant la maison pour le clôturer et se protéger des cambriolages. Mais, globalement, il semble que les habitants s’accommodent assez bien de ce flou entre public et privé « qui fait le charme de Villeneuve d’Ascq » : « c’est pas franchement délimité, mais moi je trouve que c’est mieux, parce que ça reste ouvert, ça crée de l’espace, et puis tout n’est pas cloisonné », nous dit Brigitte.

Espaces publics et cheminements piétonniers

  • 30 Voir plan : « Espaces publics entre lac et château ».

115Au Château, un espace public est notoire entre tous les autres : c’est « la plaine » qui s’étend entre le lac et le château de Flers. Les habitants des lotissements alentour ont peu de terrain autour de leurs maisons, mais ils bénéficient de l’usage de cette grande pelouse, coupée par une avenue, bordée par l’école Chopin et deux lotissements. Là se sont déroulées la plupart des fêtes du quartier, comme les feux de la Saint-Jean, à l’époque des pionniers, ou, à l’occasion, des concerts organisés par la ville30.

Espaces publics entre lac et château

Espaces publics entre lac et château

Le lac du château, « la plaine » et le chemin piéton entourés des lotissements d’habitat intermédiaire et de l’école Chopin

  • 31 Des riverains ont demandé la suppression des bancs pour éloigner certains jeunes qui venaient les o (...)

116Le terrain est en temps ordinaire utilisé par les enfants et les jeunes gens qui jouent au ballon ou au cerf-volant, par des promeneurs qui s’arrêtent sur les bancs publics, même si ceux-ci sont moins nombreux qu’autrefois31. Parfois les riverains utilisent cet espace pour se détendre, se retrouver ou pique-niquer. L’occupation, qui varie selon les moments de la journée, donne vie à l’espace public, nous confie Violaine :

on voit aussi souvent des gens qui s’installent sur les bancs pour discuter ou des familles qui viennent faire… ça dépend : des familles c’est plutôt dans la journée ou quand on passe le samedi pour aller au poney-club, mais le soir, c’est plutôt des jeunes qui viennent discuter, d’ailleurs, on voit quelquefois les lendemains matins les cadavres de gin ou des cannetes… Mais c’est sympa qu’il y ait une vie, que les gens puissent avoir des lieux là pour se rencontrer…

Espaces publics et bancs publics au Château

Espaces publics et bancs publics au Château

Banc public face au lac

117Les abords du lac sont très investis pour courir, promener les chiens, y rencontrer des gens, se balader en famille ou avec les voisins. Et pas seulement par les riverains : beaucoup de Villeneuvois, jeunes et moins jeunes, y viennent aussi. Plus que le château ou la plaine, le lac est le véritable pôle d’attraction du quartier du Château.

118En général, au Château et ailleurs, les espaces publics sont d’autant plus appréciés par les habitants des lotissements que l’habitat est dense et offre peu d’espaces à la rencontre, aux jeux ou à la flânerie. Lorsqu’ils manquent, il faut les créer : allée Chardin, les habitants ont demandé l’aménagement d’un terrain de jeux pour les enfants sur un terrain qui ne semblait pas utilisé. Parfois, ces lieux publics, quand ils sont au sein des hameaux, font l’objet de tensions avec le voisinage s’ils sont susceptibles d’attirer des personnes extérieures. Les espaces publics plus ouverts font, pour leur part, l’objet d’appropriations plus larges par les habitants des lotissements et quartiers voisins. Dans le Bourg de Flers, il y a peu d’espaces publics aménagés pour les habitants. Ses habitants fréquentent alors ceux de la ville nouvelle comme le parc urbain où beaucoup de gens vont se promener le dimanche, ou fréquentent des espaces de proximité, tel Benoît qui allait jouer à la pétanque ou à la raquette avec ses enfants sur un terrain « qui n’appartenait à personne ».

  • 32 La même expression, « la plaine », est utilisée au Château et au Triolo, pour nommer un vaste espac (...)

119Au centre du Triolo, au milieu du lotissement, les habitants disposent de cheminements piétons, de pelouses, d’une piscine avec parking, de salles et de terrains de sport. Les enfants utilisent les chemins d’un lotissement à l’autre pour aller voir les copains et « jouer sur la plaine »32. Les adolescents, comme les enfants de Brigitte, ont investi certains lieux stratégiques pour se retrouver, comme le parking de la piscine ou « la butte » :

C’est un endroit qui remonte un petit peu, et qui redescend de l’autre côté ; ils appelaient ça « la butte ». Et il y a des bancs, il y a le local des éclaireurs, etc. Et ça, facilement, même ados, ados, ils allaient là-bas et ils retrouvaient des enfants du quartier. Autour de la piscine, à un moment, ça a été un endroit où elle retrouvait des copains.

120Les chemins piétons et voiries internes aux lotissements sont ouverts sur les espaces publics extérieurs dans un continuum qui fait que le promeneur, mais aussi le riverain, ne se rend pas forcément compte des limites entre propriété publique, espaces communs de la copropriété ou de la résidence, et propriété privée. Villeneuve d’Ascq apparaît ainsi comme un immense réseau de cheminements piétonniers plus ou moins secrets, où chacun peut déambuler à sa guise. Les promeneurs sont amenés sans le vouloir à traverser des lotissements et à côtoyer de près les jardins privés. Beaucoup de gens interrogés parlent « d’espaces semi-publics » sans qu’on puisse vraiment savoir ce qu’ils désignent comme tels. Pour Benoît, cela se traduit, en bordure du lac, par une forme de « débordement » des riverains sur le chemin, et de passage obligé des promeneurs dans l’espace privé ou intime :

tout le tour du lac du château est semi-public. La frontière n’est pas toujours… enfin ça dépend des endroits, mais on a l’impression… Il y a des gens qui ont clôturé de façon très nette entre l’espace privé et l’espace du lac qui ne leur appartient pas, ce qui permet aux passants de… Et d’autres qui ont laissé très ouvert… et, pratiquement, quand on passe, on passe comme si on passait chez eux. D’ailleurs parfois ils sortent de chez eux et ils mettent des chaises et des trucs sur le bord, on a l’impression d’entrer dans l’intimité du logement. […] Donc les gens sont obligés de passer entre leur jardin, qui n’est déjà pas tellement clôturé et puis le bord du lac qu’ils occupent un peu quand ils invitent des gens, par exemple.

121Si la plupart des riverains ne se sentent pas dérangés par les promeneurs, ceux qui supportent mal ce qu’ils considèrent comme une intrusion dans le lotissement tentent, comme on l’a vu au Château, de fermer ces passages en installant un portillon afin de dissuader les passants.

122Pour résumer, nous dirons que ce qui était un paradigme essentiel de la ville nouvelle, l’ouverture et la convivialité de voisinage, s’est en quelque sorte recentré sur les parcours pédestres qui permettent de se rendre à peu près partout, jusque dans des lieux dont on ne sait s’ils sont privés ou publics.

123Depuis sa construction, certains aspects remarquables qui faisaient l’identité de la ville nouvelle, comme l’absence de clôture, le mélange des populations, les circulations automobiles séparées des circulations piétonnes, ont été modifiés, mais pas tous dans le même sens. Certains habitants se sont moulés dans ce nouveau modèle qui leur convenait, auquel ils étaient disposés, d’autres, parce que ce modèle ne correspondait pas ou plus à leur mode d’habiter ou à leurs aspirations, ont aménagé leur environnement à leur convenance, érigeant des haies, s’appropriant des espaces publics, installant des grilles. Quelques-uns en revanche ont été plus loin dans l’utopie, supprimant les haies, gommant les limites entre privé et public, ouvrant des passages entre voisins, résistant à toutes sortes de fermetures physiques, synonymes à leurs yeux de repli social.

124Ces ajustements variés à l’environnement physique et social interviennent alors que peu à peu les rassemblements festifs des débuts de la ville nouvelle laissent la place à la remémoration des belles heures de l’engagement des pionniers. Nous allons voir dans la dernière partie que l’aptitude des Villeneuvois à une sociabilité plus ouverte et généreuse renvoie aussi à des récits mythiques qui contribuent à forger la notoriété de la ville.

Notes

1 Cité par Pierre Mayol, « Michel de Certeau, l’historien et la culture ordinaire », Esprit, 2002, 3-4, p. 202.

2 Il s’agit de ruelles qui sillonnent un lotissement d’habitat intermédiaire (entre le collectif et l’individuel).

3 Locaux collectifs résidentiels, dont nous avons vu le rôle important dans les premiers temps de la ville nouvelle.

4 Dont nous avons vu plus haut qu’ils avaient été cédés dans un premier temps à la copropriété, et repris par la mairie après quelques années de conflits entre les associations d’habitants et l’établissement public.

5 Pour les luttes contre les malfaçons, se reporter au chapitre suivant.

6 En particulier la circulaire du 2 juin 1960.

7 Chaque résident propriétaire attributaire était propriétaire d’une part du LCR (1/125e), une part à peu près équivalente étant octroyée à l’organisme d’HLM.

8 Selon la Tribune, il y avait à l’époque 350 écoles ouvertes en France, no 26, hiver 1979-1980.

9 Pour un historique plus complet, il faudrait ajouter les mobilisations plus directement politiques d’accueil des réfugiés, particulièrement dans les années 70 et sur les questions environnementales dans les années 80.

10 Voir supra, l’historique du quartier Château.

11 Voir supra, partie L’arrivée en ville nouvelle.

12 Effective en 1983.

13 Déjà en 1980, les associations étaient très réservées et craignaient déjà que les conseils de quartier ne se substituent à elles La Tribune, 6 juin 1980.

14 Les conseils de quartiers ont été créés par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité. Ils sont obligatoires dans les communes de plus de 80 000 habitants, facultatifs entre 20 et 80 000. Ils ont pour fonction d’associer les habitants à la gestion municipale.

15 Gérard Caudron, second maire de Villeneuve d’Ascq, Informations municipales, 4 mars 1978.

16 Rappelons que la Confédération syndicale du Cadre de Vie s’est transformée en Confédération du Logement et du Cadre de Vie

17 « Conjuguer les conseils au futur » La Tribune, no 197 octobre 2004.

18 « Démocratie participative », La Tribune, no 200 janvier 2005.

19 « Pont de Bois : la parole aux habitants », La Tribune, no 209 décembre 2006.

20 Edgar Pisani était ministre de l’Équipement dans le troisième cabinet Pompidou de 1966 à 1967, ministre de l’Équipement et du Logement dans le quatrième cabinet Georges Pompidou en avril 1967, l’année où il donne sa démission de membre de gouvernement.

21 Nous reprenons ici le terme bienvenu de Danilo Martucelli dans Forgé par l’épreuve. L’Individu dans la France contemporaine, Paris, 2006, Éditions Armand Colin.

22 Voir photos : « Le temps des fermetures ». : la clôture des jardins.

23 Voir photos « Jardins traditionnels sans haies ».

24 Voir photo : « Jardin ouvert sur le lac ».

25 Voir photos : « Jardin ouvert dur l’espace public ».

26 Voir photo : « Portillon de voisinage ».

27 Voir photos : « Portillons ouverts sur le piétonnier ».

28 Voir photos : « Jardinets entretenus et appropriés par les habitants ».

29 La Communauté urbaine de Lille, créée en 1969, s’appelle aujourd’hui Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU).

30 Voir plan : « Espaces publics entre lac et château ».

31 Des riverains ont demandé la suppression des bancs pour éloigner certains jeunes qui venaient les occuper. D’autres, en écho, militent pour leur maintien, en tant que vecteurs de sociabilité. Voir photo : « Espaces publics et bancs publics au Château ».

32 La même expression, « la plaine », est utilisée au Château et au Triolo, pour nommer un vaste espace public.

Table des illustrations

Titre Le temps des fermetures : la clôture des jardins (Château)
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 664k
Titre Jardins traditionnels sans haies (Bourg)
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 192k
Titre Jardin ouvert sur le lac
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 132k
Titre Jardin ouvert sur l’espace public
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 152k
Titre Portillon de voisinage
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 156k
Titre Portillon ouvert sur le piétonnier
Légende Portillon qui permet aux riverains de prendre un café sur le banc public...
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 128k
Titre Portillon ouvert sur le piétonnier
Légende ... et un accès direct au lac
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 136k
Titre Jardinets entretenus et appropriés par les habitants
Légende Dans les ruelles du hameau du Château
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 104k
Titre Jardinets entretenus et appropriés par les habitants
Légende Sapin de Noël planté il y a 20 ans par un riverain sur l’espace public
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 136k
Titre Espaces publics entre lac et château
Légende Le lac du château, « la plaine » et le chemin piéton entourés des lotissements d’habitat intermédiaire et de l’école Chopin
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 312k
Titre Espaces publics et bancs publics au Château
Légende Banc public face au lac
URL http://books.openedition.org/septentrion/docannexe/image/46001/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 199k

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