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Chapitre III. Le « triomphe » des élections législatives générales de 1893

p. 119-151


Texte intégral

1L'estimation des rapports de forces au sein du mouvement ouvrier français est délicate à réaliser. Au cours des années 1890, nous pouvons considérer que globalement les guesdistes gagnent des militants, que les broussistes en perdent, que les allemanistes stagnent, que les blanquistes progressent sensiblement. Quant aux indépendants, en l’absence de congrès ou de réunions nationales, il nous est difficile d’avancer une estimation. C’est pourquoi les élections générales, qu’elles soient législatives ou municipales, présentent un intérêt essentiel pour nous. Elles seules sont à même de mesurer sinon le nombre de militants, du moins l’aura des différentes fractions socialistes. Certes, de cette influence, nous ne pouvons pas déduire le nombre de militants, mais nous pouvons toutefois supposer qu’il existe un rapport entre un nombre de voix et un nombre de contacts et donc, dans une certaine mesure, l’ampleur des réseaux militants.

2En outre, l’ouvrage d’Albert Orry2 nous présente une histoire des socialistes indépendants essentiellement électorale. Or, l’importance des élections dans la stratégie des indépendants modifie très rapidement le rôle de ces échéances dans l’ensemble des partis socialistes : les socialistes indépendants sont souvent déjà élus et ne peuvent envisager un échec. Désormais, les socialistes se présentent devant les électeurs pour être élus, non pour témoigner.

3Les élections du 20 août et du 3 septembre 1893 sont considérées par les socialistes comme un véritable succès. Les difficultés méthodologiques que nous avons rencontrées sont les mêmes que celles qu’ont soulignées tous les historiens qui ont travaillé sur ces élections3 : résultats incomplets, contradictoires, absence de résultats parfois4, appartenances fantaisistes5 … Nous avons dressé un premier état des résultats à partir du Temps, précisé les appartenances des différentes fractions avec la presse socialiste et radicale-socialiste et plus particulièrement avec La Petite République française et complété ces informations par les dossiers électoraux des archives nationales.

I. Une nouvelle orientation indépendante : « la concentration socialiste »

4La campagne électorale de 1893 semble avoir été préparée de longue date par la rédaction de La Petite République française même si la stratégie a pu connaître des aménagements, parfois majeurs, entre le programme défini par Goblet 18916 et les articles de Millerand en 1893.

5En 1891, le programme est à la fois modéré et tout à fait réformiste. Malgré un appel au « […] concours de tous les républicains, de tous les socialistes – si hardies que paraissent leurs théories », les chances de ces radicaux-socialistes d’être entendus des fractions socialistes sont alors minimes : le texte est trop proche de celui de l’ASR de 1881 pour susciter l’enthousiasme sur leur gauche7 ailleurs que chez les « socialistes de gouvernement8 ».

6L’évolution de la stratégie électorale est indissociable de l’évolution de la rédaction de La Petite République française. Le 4 janvier 1893, la mention « Journal fondé par Gambetta » disparaît de l’ours au profit d’une présentation des « rédacteurs principaux9 » et trois jours plus tard, Marcel Sembat est nommé directeur du journal10, nouveau signe de la radicalisation de la ligne éditoriale du journal11. La position de Millerand entre radicaux et socialistes n’est pas aussi confortable qu’il peut y paraître au premier abord12. Son opposition à Goblet se manifeste de plus en plus fréquemment. Alors qu’il évolue vers « l’union socialiste » et fait des républicains sa cible privilégiée, il se trouve face à un Goblet qui lui, cherche à défendre les « républicains sincères13 ». Le choix de la stratégie électorale est l’objet de nombreux débats dans toute l’extrême gauche et les positions des indépendants semblent relativement contradictoires au moins jusqu’en juillet 1893. Ils veulent tenir envers et contre tout les deux bouts de la chaîne. Ainsi, Basly cherche à la fois à susciter une rupture qu’il veut définitive entre les radicaux-socialistes et les républicains, et à conserver l’alliance des socialistes indépendants avec les radicaux-socialistes puisqu’il se dit prêt à accepter un programme radical qui « est toujours le même hélas ! puisqu’aucune des réformes inscrites n’a été réalisé (e) […] » et ce, même s’il « […] est, pour les socialistes, bien timide et incomplet14 ». L’examen des articles et déclarations de Basly – et des socialistes indépendants de longue date, tel Fournière – et de Millerand tend à montrer une répartition des tâches entre les deux groupes d’hommes. Les « vieux » socialistes indépendants seraient ainsi chargés de conserver l’alliance radicale-socialiste en détachant les radicaux-socialistes des radicaux de Clemenceau et surtout du reste des républicains. Millerand se chargerait pour sa part d’amener les socialistes révolutionnaires dans l’alliance en leur présentant le programme de la rédaction de La Petite République française comme un programme socialiste minimum. Dautre part, discuter avec Millerand des accords électoraux peut apporter un supplément de voix lors d’un deuxième tour. Or, a priori, les socialistes ont bien plus besoin de ce type d’accord que les radicaux. En effet, lors d’un second tour, un électeur radical ne reportera pas nécessairement sa voix sur un socialiste ; en revanche, les socialistes sont des habitués de la discipline républicaine et l’électeur socialiste porte naturellement sa voix sur le candidat le plus à gauche au second tour. Cette répartition semble cohérente dans la mesure où aux yeux des groupements politiques, ce sont toujours les plus proches qui apparaissent comme les plus dangereux puisqu’il chassent sur les mêmes terres. Il est donc possible que les dissensions entre les différentes sensibilités de la rédaction du journal n’aient eu d’autre objet que de permettre une couverture plus large du champ politique. Un discours modéré de Goblet puis de quelques socialistes indépendants à destination des radicaux et un discours plus radical – au sens propre – de Millerand à destination des socialistes répondaient ainsi à cette nécessité d’élargir leur audience. Il est possible aussi que ces tensions concernant l’élaboration de la stratégie électorale aient été réelles et suffisamment importantes pour que, dans un premier temps, Millerand ait envisagé la création d’un nouveau quotidien, entièrement socialiste celui-là15 et que sa promotion comme rédacteur en chef de La Petite République française qui réduit d’autant la place et l’influence de Goblet, ne soit que l’épilogue de cette bataille politique. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il devient rédacteur en chef de La Petite République française le 19 juillet 1893, quelques semaines avant le premier tour des élections, il doit encore concilier la conception radicale et la conception socialiste de la « concentration » ou de « l’alliance républicaine socialiste ». La lettre que Goblet a tenu à faire figurer en première page ce jour-là rappelle les préoccupations et le programme de 1891. En effet, tout en se félicitant de sa nomination comme rédacteur en chef, il se dit convaincu que Millerand soutiendra la politique d’alliance « […] de toutes les forces progressistes radicales, socialistes, sur le terrain de la légalité16 […] »

7Or, l’attachement de tous les partis socialistes français à l’idée d’une révolution rendait difficile l’acceptation des restrictions de Goblet. Millerand devait bien être conscient de ces contradictions. Réunir à la fois radicaux et socialistes révolutionnaires relève pour lui du grand écart. Or, la façon dont il évite cet écueil est très révélatrice de son évolution propre. Dans son premier éditorial comme rédacteur en chef de La Petite République française, il renverse la proposition de Goblet. La stratégie d’alliance n’est plus fondée sur un programme radical que La Petite République se chargerait de faire accepter aux fractions socialistes mais repose au contraire sur un « programme minimum socialiste17 ». Sur le fond des réformes proposées, cela ne change pas grand-chose mais le renversement de perspective est saisissant. L’initiative n’est plus considérée comme émanant des radicaux mais des socialistes. Cela marque le passage définitif de Millerand dans le camp des socialistes. Certes, il lui reste à convaincre les-dits socialistes de l’utilité d’un programme minimum mais cela semble a priori moins difficile18 que de les faire se résoudre à l’abandon d’une perspective révolutionnaire. Millerand vise en priorité les guesdistes peut-être parce qu’ils disposent d’un corpus idéologique plus construit que les autres écoles et que s’ils sont aussi les plus difficiles à circonvenir, une fois convaincus, ils sont susceptibles d’entraîner les autres. En outre, Millerand a pu penser qu’ils constituaient la seule force réellement incontournable au sein du mouvement ouvrier, les autres écoles pouvant être à ses yeux déjà marginalisées. La recherche d’une union socialiste n’empêche évidemment pas les socialistes indépendants de jouer sur les divisions du mouvement socialiste en se présentant comme les moins doctrinaires ou les moins sectaires19.

8La stratégie choisie impose des comportements spécifiques lors du second tour. Il s’agit donc d’orchestrer de façon très méthodique la campagne de désistements qui doit naturellement précéder le second tour. Or, les appels au désistement sont rendus d’autant plus crédibles que les indépendants les suivent effectivement. De ce point de vue, le fait que Fournière soit arrivé derrière le broussiste Prudent Dervillers dans la deuxième circonscription du xixe arrondissement de Paris – 870 voix contre 1151 –, était pour la rédaction20 de La Petite République française un moyen de montrer qu’elle appliquait ses conseils et directives puisque Fournière s’est désisté.

9En septembre 1893, il est possible de considérer que la stratégie de Millerand est couronnée de succès21. Elle a reçu l’accueil favorable du POF – ce qui était l’essentiel –, au moins dans la dernière ligne droite22 et des blanquistes23. Enfin, la rédaction de La Petite République peut se vanter d’avoir rallié à ses vues l’enfant prodigue du mouvement ouvrier français :

« Chicane qui voudra Rochefort d’avoir attendu la plus noire trahison – et aussi la plus grotesque – pour se retirer de ce qui restait du boulangisme ; les vrais socialistes sont trop heureux de pouvoir marcher absolument avec lui et non en parallèle […] Bah ! Nous pouvons tenir la partie. Rochefort est revenu. Nous avons l’as24. »

10Ainsi, lorsque débute la campagne officielle, la stratégie électorale de la rédaction de La Petite République telle que la comprend Millerand a reçu un accueil suffisamment appuyé pour être crédible. Reste à trouver les moyens de son application concrète.

11La Petite République française ne pouvait suffire à la mise en œuvre de la stratégie de ses rédacteurs. La vie politique locale, a fortiori durant les périodes électorales, passe par les groupes locaux, et de plus en plus par les partis. Cette faiblesse est certainement à l’origine de la création – ou de la « réactivation » – entre février et mars 1893, de deux fédérations indépendantes. La première est mentionnée le 25 février 1893 à l’occasion d’une réunion qui se tient dans les bureaux de La Revue Socialiste25, sans que nous ayons trouvé d’informations supplémentaires sur son fonctionnement, son rôle ou encore sa composition26. La seconde fédération apparaît pour la première fois dans la rubrique « Mouvement Social » de La Petite République française qui signale que « quelques citoyens se sont réunis récemment et ont constitué une fédération républicaine socialiste de la Seine27 ». Elle présente un intérêt bien plus grand dans la mesure où son acte de baptême s’inscrit parfaitement dans la bataille électorale. Si les premiers signataires, ne sont pas des figures de proue du mouvement socialiste, en revanche, la lecture de leur programme laisse peu de place au doute : à l’évidence, ce programme a été largement inspiré par la rédaction de La Petite République. On y trouve des formules cherchant à rassurer les radicaux et à conserver le soutien des socialistes, telles que « La fédération Républicaine Socialiste de la Seine fait appel à tous les groupements républicains socialistes et à tous les citoyens conscients de leurs droits et de leurs devoirs, qui pensent qu’il est indispensable de s’unir sur un programme qui, sans contenir toutes leurs aspirations, leur parait être le minimum des réformes immédiatement réalisables, tant sur le terrain de l’action politique qu’au point de vue des réformes économiques et sociales28 […] ».

12Le programme lui-même vise soigneusement à éviter les sujets qui fâchent. On y trouve donc le très consensuel – du point de vue radical – article premier demandant la révision de la constitution avec entre autres choses la suppression du Sénat et de la présidence de la République et le tout aussi consensuel article 2 exigeant la séparation de l’Église et de l’État. Les choses pouvaient devenir plus délicates dès lors qu’il s’agissait d’aborder les questions économiques et sociales mais le programme est là encore sans surprise : un premier article qui se prononce pour une « réforme générale de l’impôt dans le sens le plus démocratique » ; des articles 3 et 4 qui demandent des lois sociales et ne sont donc guère différents du programme de Goblet en 1891 (prise en charge par les communes des citoyens incapables de travailler ; réduction à 8 heures de la durée du travail…). Seul l’article 2 peut choquer les radicaux puisqu’il demande la suppression de l’héritage en ligne collatérale.

13Ainsi, la Fédération Républicaine Socialiste de la Seine se présente comme le fidèle relais de la politique menée alors – nous sommes en mars 1893, bien avant la nomination de Millerand comme rédacteur en chef – par la rédaction de La Petite République. L’utilité de la Fédération républicaine socialiste de la Seine comme celle des groupes locaux réside également dans la préparation des réunions où peuvent intervenir les candidats. De ce point de vue, la campagne électorale des indépendants est conforme à la norme. Réunions électorales contradictoires, comptes rendus de mandats pour les sortants, meetings, diffusion de professions de foi… rien ne manque. Pourtant, concrètement, la concentration socialiste a des répercussions sur l’organisation des campagnes locales. À Calais, Millerand et Lafargue participent à un meeting électoral commun ; à Narbonne le même Millerand est accompagné de Jourde et de Ferroul ; à Bordeaux, la concentration socialiste s’est étendue aux radicaux-socialistes puisque Sembat et Goblet y font campagne ensemble. Cette extension de l’ère d’influence des hommes de La Petite République en direction de la province est très liée au développement de la presse socialiste. En effet, les relations avec la presse locale ont été une autre des préoccupations de Millerand à la fois pour la constitution de ses réseaux propres mais aussi en vue de cette échéance électorale. La création d’un syndicat de journalistes socialistes durant la même période29 pourrait constituer un autre moyen de s’attacher des fidélités de ces hommes30. À trois mois des élections législatives, ce n’est certainement pas un hasard31. Reste que fédérations et journaux relayant et orchestrant la campagne ne suffisent pas à convaincre les électeurs. Pierre Barral note l’importance des personnalités parmi les motivations des électeurs de la fin du xixe siècle32. La tactique électorale des indépendants ne pouvait laisser cet élément de côté et, du 3 au 20 août 1893, La Petite République publie à la une un portrait de ses candidats33. Il est possible que les articles, bien sûr élogieux, aient été rédigés par les intéressés eux-mêmes ou par des proches même s’ils sont tous signés du nom « d’Amicus ». Ceci expliquerait qu’ils expriment très clairement les contradictions qui existent entre les différents candidats et présentent avec le même enthousiasme le socialisme intégral d’un Fournière ou le passé ministériel d’un Goblet. D’une façon générale, ces portraits reprennent le parcours politique des protagonistes, présentent leur originalité, leurs propositions principales et, parfois, des extraits de textes. Le portrait de Millerand est par exemple composé à 25 % d’extraits de son discours sur le privilège de la Banque de France. Le financement reste un point obscur pour la mise en œuvre de cette campagne électorale et nous ne disposons guère d’éléments pour l’éclairer à l’exception de quelques allusions figurant dans certains rapports de police. On apprend ainsi qu’en janvier 1893, Millerand « […] a trouvé les fonds pour le développement de sa propagande et de ses comités de province » et que les fonds proviendraient des banquiers Cohen34. En juillet 1893, ce sont les finances de La Petite République qui sont l’objet de l’attention policière : on apprend donc que l’état financier du journal est bien meilleur avec Millerand que du temps de Goblet35. Cela pourtant ne nous permet absolument pas de définir le système de financement lors de cette campagne. Quoi qu’il en soit, les locaux de La Petite République française servent bien de quartier général aux socialistes indépendants ; un quartier général très parisien où se distingue la forte personnalité d’Alexandre Millerand.

II. Candidats et circonscriptions

14Le découpage électoral de 1893 fait état de 565 circonscriptions soit 5 de plus que lors des élections législatives générales précédentes de 188936. Les socialistes et les radicaux-socialistes ont présenté 366 candidats dans 224 circonscriptions et 66 départements. La couverture nationale est donc nettement plus importante que lors des élections législatives générales précédentes de 1889. Sur ces 366 candidats on compte 56 socialistes indépendants37 soit 15,30 % du total38. Ainsi en 1893, les socialistes indépendants présentent un nombre de candidats relativement proche de celui du POF (76 candidats et 20,76 % du total)39. Les candidats se répartissent ainsi :

Répartition des candidats socialistes et radicaux-socialistes par appartenance

Appartenance

Nombre

En % des candidats d’extrême gauche

Nombre

En % des candidats socialistes

Divers

115

31,42

115

37,96

FTSF

17

4,64

17

5,61

Indépendants

56

15,30

56

18,48

POF

76

20,76

76

25,06

POSR

22

6,01

22

7,26

CRC

17

4,64

17

5,61

Radicaux-socialistes

63

17,21

Total des candidats d’extrême gauche

366

100

Total des candidats socialistes

303

100

15Les socialistes indépendants distancent d’ores et déjà la plupart des organisations constituées à l’exception des guesdistes. De plus, les marges d’erreur pour les candidats des organisations constituées – FTSF, CRC, POF et POSR – sont bien plus faibles que pour les socialistes indépendants dans la mesure où la presse officielle40 des partis a fourni des listes de candidats et que, par conséquent, il y a probablement bien plus de candidats socialistes indépendants dans la catégorie « divers » que de guesdistes ou de possibilistes. Avec moins de 8 % des candidats d’extrême gauche, le POSR, la FTSF et le CRC sont en voie de marginalisation41. Le rapport de forces essentiel s’établit donc entre le POF et les indépendants. L’examen de ces candidatures semble donc justifier le choix politique de Millerand et la priorité qu’il donnait au POF dans sa campagne de « concentration socialiste ».

16La répartition des candidats par départements en fonction de leur appartenance montre une couverture nationale très variable selon les organisations. Les radicaux-socialistes, les candidats du POF et les candidats « divers » dépassent tous la trentaine de départements. Les socialistes indépendants les suivent immédiatement avec 24 départements tandis que les trois dernières organisations – CRC, FTSF et POSR – n’atteignent pas la dizaine.

Répartition géographique des candidats socialistes et radicaux-socialistes appartenance

Image

17Ce tableau montre qu’aucune organisation socialiste ne peut seule couvrir le territoire national et justifie la stratégie adoptée par la rédaction de La Petite République.

18Dans les 224 circonscriptions où est posée au moins une candidature d’extrême gauche, la moyenne des inscrits est tout à fait comparable à la moyenne nationale : 18 778 contre 18 449. Socialistes et radicaux-socialistes se sont donc présentés devant 4 206 287 électeurs ; 40,35 % des inscrits sur les listes électorales en 1893 ont eu la possibilité de voter pour eux. Ce n’est donc pas une campagne marginale. Il faut souligner l’extrême inégalité des fractions socialistes et radicales-socialistes sous ce rapport : les candidats divers se sont présentés devant 17,21 % des inscrits nationaux, le POF devant 13,35 %, les radicaux-socialistes devant 10,68 %, les indépendants devant 9,01 %, le POSR devant 3,56 %, le CRC devant 2,98 % et la FTSF devant 2,62 %.

19Tous les ensembles régionaux sont représentés lors des élections de 189342. On peut d’ores et déjà remarquer une implantation plus faible dans la région Ouest puisque les candidatures d’extrême gauche sont présentes dans 9 de ses 17 départements et seulement 15 des 109 circonscriptions (13,76 %). À l’opposé, dans le Sud-Ouest, les candidats d’extrême gauche sont présents dans 16 des 18 départements. La proportion est moins favorable pour les circonscriptions puisqu’on ne voit des candidats que dans 40,77 % d’entre-elles (42 sur 103)43. C’est le Midi qui obtient la meilleure représentation des circonscriptions avec 59,25 % (32 sur 54) mais il arrive seulement en deuxième position avec 9 départements représentés sur 11. Sur ce plan, il est immédiatement suivi par le Nord qui dispose de candidats socialistes ou radicaux-socialistes dans 13 de ses 16 départements et dans 38,71 % des circonscriptions (48 sur 124). Vient ensuite la région Est où les candidats d’extrême gauche sont représentés dans 38,46 % des circonscriptions (50 sur un total de 130) et dans 18 des 24 départements. La capitale et sa banlieue disposent de candidats socialistes et radicaux-socialistes dans 86,66 % des circonscriptions (39 sur 45). C’est un score exceptionnel qui ne se retrouve dans aucune autre région. Même le Midi, avec un total comparable de circonscriptions (54) reste bien loin derrière.

Répartition des candidats socialistes et radicaux-socialistes par ensemble régional

Image

20En outre, les indépendants devancent déjà toutes les écoles socialistes traditionnellement bien implantées à Paris (à l’exception de l’AP guesdiste). La concurrence vient de la multitude de candidatures « spontanées », 33 au total. En 1893, la Seine apparaît déjà comme un bastion des socialistes indépendants.

21La Région du Nord semble partagée entre deux sensibilités principales : les radicaux-socialistes et le POF. Les socialistes indépendants ne peuvent prétendre rivaliser avec elles et se situent à un niveau faible, comparable à celui des anciennes fractions. Certes, l’importance des candidatures « divers » peut modifier les rapports de forces et constituer un vivier de développement pour les socialistes indépendants. Ceux-ci sont présents dans deux départements seulement, le Nord et le Pas-de-Calais et doivent compter avec une présence importante du POF. Dans le Nord, où la suprématie appartient indiscutablement au POF même si l’on compte 6 candidats inclassables, la représentation des autres sensibilités – quand elle existe – reste symbolique. Le POF n’a pas à craindre alors dans son bastion l’implantation des socialistes indépendants. Le Pas-de-Calais présente un modèle différent. Même si le nombre de candidatures est limité, il est possible de parler d’un duel entre le POF et les socialistes indépendants. On ne trouve en effet dans ce département aucune présence des radicaux-socialistes, du POSR, de la FTSF ou du CRC, alors qu’il y a une présence du POF, même si elle est très inférieure à celle du Nord44 et une présence indépendante limitée, mais que nous savons solide et ancienne autour de Basly et de Lamendin. À ce moment-là, les indépendants ne représentent pas un danger réel pour le POF même si ce dernier est conscient que ses possibilités de développement sont entravées par les deux indépendants45.

22Dans L’Est, les indépendants peuvent compter sur un début d’implantation. Ceci est particulièrement vrai en Côte-d’Or où ils ne rencontrent qu’une faible présence du POF, dans la Loire et dans le Rhône où, la concurrence est bien plus rude. En effet, si la région lyonnaise a vu disparaître la FTSF et le POSR, elle conserve une présence très forte des radicaux-socialistes, du POF et du CRC. L’importance du nombre de candidats « divers » – 8 – montre qu’il existe un réel potentiel pour les indépendants. On remarque également un mouvement relativement important de militants entre les départements pionniers pour le socialisme. Ainsi, le candidat du CRC à Brioude, Parasols, est en réalité militant dans le Puy-de-Dôme46. Dans la région, les candidatures sont relativement équilibrées. Certes, FTSF, CRC et POSR y disposent de forces limitées mais au moins, ces organisations sont représentées dans des proportions qui ne sont pas si éloignées de celles des indépendants, des radicaux ou du POF. Notons toutefois que les régions voisines des lieux d’exil des communards ne sont pas particulièrement bien représentées. A priori, la première vague socialiste s’est dispersée en ne laissant qu’un très faible héritage47.

23Le Midi méditerranéen est la région où la proportion des circonscriptions disposant d’un candidat radical-socialiste ou socialiste est la plus importante après la Seine. C’est aussi une région d’où ont disparu les plus vieilles organisations : pas de candidat blanquiste ni de candidat broussiste ou allemaniste. À l’opposé, les indépendants ne sont précédés dans cette région que par les candidats « divers » puisqu’ils sont 13 candidats dans 7 départements. Ils font cependant jeu égal avec les radicaux-socialistes et le POF. Enfin, le nombre de candidats « divers » reste important. Pour les indépendants, les Bouches-du-Rhône se détachent nettement des autres départements de la région. Ils y présentent 5 candidats et constituent déjà la première force socialiste du département. Leur présence avec Clovis Hugues est ancienne. Ils doivent cependant compter avec le POF dont la présence est tout aussi ancienne et qui leur oppose 4 candidats. Le département de l’Hérault peut être source de déception pour les indépendants puisqu’ils y disposaient de très anciens réseaux : Rouanet était chargé du suivi de la région au début des années 1880. De fait, la présence guesdiste est bien plus importante. Le bilan est donc encore mitigé mais cette campagne électorale a permis de situer les enjeux des années à venir. Pour croître dans le Sud, il faudra semer sur des terres déjà défrichées par d’autres.

24La situation du Sud-Ouest rappelle par ses principaux protagonistes celle du Midi méditerranéen : absence totale des blanquistes et de la FTSF et présence symbolique des allemanistes ; départements où se croisent radicaux-socialistes, guesdistes et socialistes indépendants. Trois départements se détachent plus particulièrement : la Gironde, le Tarn et la Haute-Garonne. En Gironde, la présence socialiste est ancienne. On rappellera l’élection de Blanqui le 20 avril 1879, la puissance des corporations bordelaises lors des premiers congrès ouvriers et la volonté d’implantation ancienne du POF. Enfin, durant la campagne elle-même, une conférence de Millerand à Bordeaux parvient à réunir quelques 2000 personnes48. Dans ce département on peut expliquer l’importante présence indépendante par le caractère très particulier des guesdistes bordelais et par les dissensions internes très importantes depuis la crise boulangiste49. Certains départements de la région apparaissent indécis. C’est notamment le cas de la Haute-Garonne où l’implantation socialiste est encore très limitée50. Le Tarn est un autre exemple d’indécision mais avec un foisonnement et de nombreuses présences socialistes. Enfin, la présence relativement importante dans le département de la Creuse est principalement due aux militants guesdistes de l’Allier mais l’implantation semble très récente puisqu’Hubert Rouger la fait dater de février 189351, c’est-à-dire quelques mois seulement avant les élections législatives. La présence d’un candidat indépendant peut révéler la faiblesse de la structuration du POF à ce moment.

25L’Ouest est bien pour l’extrême gauche une terre de mission en 1893. Le total des circonscriptions où sont présents des candidats est très inférieur à celui des autres régions et seule se distingue la Loire-Inférieure au bénéfice exclusif du POF52. En outre, dans ce département, la situation est paradoxale. Certes, les socialistes peuvent s’appuyer sur les centres industriels comme Saint-Nazaire mais aussi sur une présence paysanne et en particulier sur les complanteurs nantais. Ce sont les guesdistes qui recueillent en 1893 les fruits d’un premier travail d’implantation mené par Brunellière. La campagne électorale ne met pas en relief l’influence croissante des indépendants dans la région nantaise. Brunellière et les socialistes nantais font autant appel à Jules Guesde qu’aux socialistes indépendants de Paris. Briand y conserve quelques attaches et les avocats indépendants ont bonne réputation chez les viticulteurs du département. En effet, les complanteurs de la région, fortement touchés par la crise du phylloxéra en 1886, ont eu l’occasion de faire appel à des avocats socialistes dans les procès qu’ont engagés contre eux leurs propriétaires53. Ces avocats, étaient le plus souvent des socialistes indépendants tels que Briand et Millerand. Ces actions ont pour effet d’asseoir un socialisme naissant sur des syndicats relativement importants54 et d’établir au moins deux grandes sensibilités socialistes, celle du POF et celle des indépendants auxquelles il faut bien sûr ajouter les libertaires regroupés autour de Pelloutier. La campagne électorale s’appuie sur les syndicats. On rappellera la candidature à Nantes du guesdiste Colombe, par ailleurs secrétaire de la Bourse du Travail de Nantes. La difficulté pour eux est de concilier cette campagne électorale et les grèves qui se développent la même année dans la capitale bretonne55.

26Au total, la répartition des candidatures d’extrême gauche ne présente guère de surprises. Les socialistes sont présents dans les terres républicaines – et notamment dans le Midi – et les indépendants sont d’une façon générale présents dans ces mêmes terres. Il n’est donc pas possible de considérer que l’apparition et le développement des socialistes indépendants correspondent à une absence des autres écoles socialistes. Seules les Alpes-Maritimes ont un unique candidat d’extrême gauche lequel se trouve être un socialiste indépendant. Partout ailleurs, les candidats socialistes indépendants doivent compter avec d’autres candidatures d’extrême gauche, le plus souvent issues du POF et de la mouvance radicale-socialiste. Ces présences multiples dans un même département peuvent également se retrouver dans une même circonscription, illustrant à la fois la diversité des sensibilités socialistes et les limites des ententes électorales.

27La stratégie définie à Paris par Millerand et ses amis ne suscite pas un enthousiasme tel qu’il empêche la multiplicité des candidatures d’extrême gauche dans une même circonscription. 85 circonscriptions disposent de plusieurs candidats d’extrême gauche. Ces duels – ou batailles comportant entre 2 et 5 candidats d’extrême gauche – concernent donc 37,95 % des circonscriptions comptant une présence d’extrême gauche. Les indépendants y participent dans 32 d’entre elles, c’est-à-dire dans 14,28 % des 224 circonscriptions où se présente au moins un candidat d’extrême gauche, ce qui est relativement peu. Néanmoins, cela concerne tout de même plus de la moitié des candidatures indépendantes. Dans l’ensemble, ils ont cherché à respecter leur volonté de concentration sans toujours y parvenir. Pourtant, même sans règles fixes imposées par un parti, on peut remarquer l’existence d’une discipline suffisante pour que les candidats indépendants se retrouvent en position de concurrence entre eux dans seulement 5 circonscriptions.

28La Seine est le département le plus disputé entre candidats d’extrême gauche puisque 30 circonscriptions sont concernées sur un total de 39 circonscriptions disposant d’une présence socialiste et/ou radicale-socialiste ce qui représente 76,92 %. Sur ces 30 circonscriptions, 15 ont au moins un candidat indépendant soit 50 %. La situation est très complexe puisque toutes les sensibilités y disposent de forces conséquentes ; même si l’Agglomération Parisienne guesdiste est toujours très en retrait par rapport aux autres sensibilités, elle dispose d’une implantation réelle. Dans l’ensemble du département de la Seine on compte 10 duels et 20 circonscriptions disposant de plus de deux candidatures d’extrême gauche. Cinq duels mettent en cause des indépendants en les opposant deux fois à des broussistes, deux fois à des blanquistes et une fois à un candidat « divers ». Huit autres circonscriptions voient des socialistes indépendants s’affronter à plus d’un autre candidat d’extrême gauche. Il ne semble pas que ces candidatures multiples répondent à une logique d’ensemble ; elles sont au contraire le produit des situations locales particulières. En effet, les socialistes indépendants s’opposent autant aux radicaux-socialistes (5 fois), qu’aux broussistes (7 fois), qu’aux allemanistes (3 fois) ou encore aux guesdistes (3 fois). En outre dans 4 circonscriptions on note la présence de deux socialistes indépendants.

29À Paris même, la bataille électorale est rude dans la plupart des circonscriptions puisque les candidatures multiples concernent 24 circonscriptions sur les 30 qui disposaient d’une candidature d’extrême gauche. Ainsi, seuls 6 candidats ont été protégés d’une concurrence trop proche par un accord des Etats-Majors politiques. Cette combativité visible dans la capitale et qui pourrait démentir la volonté d’entente électorale semble tenir à la nécessité de préserver – ou de créer – des bastions électoraux. De plus, la plupart des circonscriptions parisiennes ne présentent guère le risque de voir échouer un républicain en raison d’une trop grande multiplication des candidatures. Enfin, la capitale attire à elle des provinciaux qui veulent tenter leur chance dans la capitale après quelques échecs ou quelques scandales. La première circonscription du xixe arrondissement offre un bon exemple de cet état de fait puisqu’elle accueille en 1893 Aristide Briand – en délicatesse avec Nantes pour des affaires de mœurs et de financement de sa campagne de 1889 – et Clovis Hugues qui quitte Marseille. Les deux hommes doivent affronter les militants socialistes déjà implantés dans l’arrondissement, le broussiste Léon Paris et Bourderon (POSR)56.

30Dans la région Nord, les luttes fratricides sont relativement peu nombreuses. En effet, les 13 circonscriptions concernées ne représentent que 27,1 % des circonscriptions qui disposent de candidats socialistes ou radicaux-socialistes. Le second fait remarquable dans la région est l’absence de candidats indépendants dans ces combats fratricides. Dans les bassins miniers, les mineurs s’étaient mis d’accord pour présenter 5 candidats – Basly, Lamendin, Merlin, Moché et Delcourt. Albert Goullé a pu écrire à ce sujet que « jamais campagne politique ne fut menée avec pareille discipline, égale bonne humeur, aussi tranquille confiance57 ». Cet accord explique sans doute qu’on ne trouve pas dans le Nord ni dans le Pas-de-Calais de duels opposant le POF aux socialistes indépendants ou aux radicaux-socialistes58.

31La région Est est une région plus disputée puisque les candidatures multiples concernent 19 des 50 circonscriptions disposant d’une candidature d’extrême gauche (soit 38 %). Les indépendants participent à ces luttes dans 6 circonscriptions c’est-à-dire dans un peu moins d’un tiers des cas. Les circonscriptions les plus disputées sont la première circonscription de Besançon, la seconde circonscription de Grenoble et la neuvième circonscription de Lyon. Dans le premier cas, il semble que le candidat allemaniste – Étienne Charlot – se soit heurté à une opposition locale parce qu’il n’habitait pas dans le Doubs mais en Côte-d’Or et qu’il remettait en cause l’alliance traditionnelle du groupe avec les radicaux59. À Lyon et dans une moindre mesure à Grenoble60, la multiplication des candidatures socialistes semble correspondre à une « crise de croissance ». Le parti le plus structuré, le POF, suscite alors des réactions importantes de la part d’anciens militants blanquistes et de militants socialistes qui acceptent mal un organisme départemental guesdiste « imbu de l’esprit de méthode du POF61 ».

32Si l’on excepte le cas particulier du département de la Seine, d’une façon générale, la région Est est celle qui voit le plus grand nombre d’affrontements entre les blanquistes et les autres groupes. À Lyon, comme à Montluçon62, dans ce combat qui semble opposer les anciens – le CRC – et les nouveaux – le POF –, les indépendants peuvent désormais espérer jouer le rôle du « troisième larron ».

33Le Midi voit les candidats d’extrême gauche s’affronter dans 12 des 32 circonscriptions où ils sont présents soit 37,5 %. C’est la région où les socialistes indépendants semblent être le plus vindicatifs. Sur les 12 batailles fratricides, 4 mettent en cause un ou plusieurs radicaux-socialistes ; 7 des socialistes indépendants, 4 des candidats du POF et 7 des candidats « divers ». À Marseille, la quatrième circonscription est extrêmement disputée puisqu’on compte pas moins de 8 candidats dont 4 socialistes (deux indépendants, Olive et Vaulhert ou Vaulbert et deux candidats issus du POF, le candidat officiel, Jean Coulet63, adjoint au maire et un second candidat, Tressaud, en rupture). Cette originalité Marseillaise64 ne peut être dissociée du contexte politique local qui voit d'une part, se multiplier les problèmes au sein de la fédération guesdiste et d'autre part, la création d’un fédération indépendante65. Ces difficultés sont liées au fonctionnement de la mairie de Marseille, dirigée depuis 1892 par les guesdistes qui n’y disposent cependant que d’une majorité toute relative66. La multiplication des candidats répond dans une large mesure à une volonté de contrer la prédominance guesdiste. Enfin, nous devons nous arrêter sur la circonscription de Draguignan puisque selon les mots de Pierre Barral « aucune ne fut plus agitée67 ». En outre, elle illustre parfaitement la rupture entre les radicaux – représentés par Clemenceau – et les radicaux-socialistes représentés par Jourdan et Antelme. Avec 4 candidats radicaux, 2 candidats radicaux-socialistes le camp radical apparaît divisé à l’extrême. Et comme si cela ne suffisait pas à mettre en difficulté le candidat sortant, Clemenceau doit en outre compter avec la présence d’un candidat socialiste, Gustave Vincent, maire de Flayosc68. L’analyse de cette élection montre bien les difficultés que nous pouvons avoir à classer les différents protagonistes. Candidat de « la ligue des candidatures républicaines locales », Jourdan est un radical-socialiste tellement appuyé par La Petite République française qu’il en est devenu socialiste dans les numéros annonçant les résultats69 alors que lui-même se présente comme un candidat « républicain, radical-socialiste agricole » et que le mercredi suivant le second tour, il redevient, aux yeux de La Petite République française70, le radical qu’il n’avait certainement pas cessé d’être. À l’opposé, le candidat socialiste, Gustave Vincent, est, dans le meilleur des cas, victime d’une coquille qui le présente comme un candidat opportuniste71 ! Les autres duels ne présentent guère de difficultés d’analyse dans la mesure où la plupart mettent en cause des candidats plus ou moins modérés : un candidat du POF ou un candidat indépendant contre un candidat radical-socialiste (2 fois pour chaque cas)72 ; un candidat du POF ou un candidat indépendant contre un candidat « divers » (respectivement 1 et 4 fois).

34Les batailles fratricides sont relativement peu nombreuses dans le Sud-Ouest puisqu’elles ne concernent que 11 des 42 circonscriptions où se présentent un candidat socialiste et/ou radical-socialiste, soit 26,19 %. Elles concernent là encore essentiellement les radicaux-socialistes, les socialistes indépendants – en cause dans 5 circonscriptions –, et le POF – dans 7 cas. Si le cas bordelais ne nous étonne plus, en revanche, ceux de la Haute-Vienne et du Tarn méritent quelques éclaircissement. À Limoges, il semble que les groupes locaux aient accepté dans leur sein des militants d’origines diverses allant des radicaux aux allemanistes. Dans ces conditions, il est fort possible que des militants du groupe plus extrémistes que Labussière aient voulu profité des élections pour cristalliser autour d’eux les éléments les plus radicaux73. Le Cercle démocratique des travailleurs fondé en 1881 par des radicaux a évolué depuis vers un socialisme réformiste74. L’évolution était suffisante pour que lors du second tour, le candidat allemaniste se soit désisté en faveur de Labussière. Dans le Tarn, les luttes entre les candidats du POF et les radicaux-socialistes, ajoutées à l’absence des indépendants dans ces conflits montre que le POF, implanté dans le département depuis plusieurs années75 n’est pas prêt à respecter le pacte électoral de « non-agression » que cherche à mettre en place La Dépêche et qui fonctionne déjà bien entre radicaux-socialistes et socialistes indépendants comme le montre l’exemple de Carmaux76. Le POF a déjà montré dans la région qu’il n’était guère disposé à laisser de bon gré des positions aux radicaux-socialistes77. Enfin, dans la Creuse, il faut certainement prendre en compte de la jeunesse du mouvement socialiste même si Desfarges était déjà candidat en 1889. D’autre part, la circonscription de Bourganeuf était considérée comme la plus à gauche et pouvait susciter la convoitise de sensibilités diverses78. Desfarges se voit ainsi opposer un guesdiste bordelais chargé de l’implantation du parti dans la Creuse79.

35La région Ouest étant la moins représentée à l’extrême gauche, il est naturel que le nombre de circonscriptions très disputées y soit également limité. Le seul cas met en cause deux broussistes issus de groupes affiliés de façon plus ou moins régulière à la FTSF depuis 188280. L’origine de ces deux candidatures dans la circonscription de Châtellerault est sans doute à rechercher dans les différentes approches qu’ont pu avoir un militant syndicaliste et un militant plus « politique »81. Enfin, les débats sur les relations entre les socialistes et les radicaux dans la FTSF ont pu être à l’origine d’une candidature plus intransigeante.

36Même si les socialistes indépendants sont d’ores et déjà partisans d’une « discipline étroite »82 pour le second tour, en 1893, les choses ne sont pas aussi simples pour tout le monde. Les difficultés pour définir de façon stricte les appartenances des candidats expliquent certainement en partie l’inexistence de règles de désistement précises et généralisées. Toutes les pratiques semblent avoir eu cours : de la stricte discipline républicaine – désistement en faveur du candidat de gauche le mieux placé – à une simple discipline socialiste en passant par le tirage au sort83 ! En réalité, une des difficultés, pour déterminer qui doit se désister en faveur de qui lorsque ce désistement met en cause un socialiste et un radical-socialiste, tient à la multiplicité des candidatures socialistes et radicales-socialistes dans une même circonscription. Faut-il prendre en compte toutes les voix socialistes du premier tour pour évaluer le score du candidat le mieux placé ou ne prendre que ses seules voix ? Le problème s’est posé ainsi dans de nombreuses circonscriptions. Sur les 85 circonscriptions concernées84, on en compte 44 dans lesquelles les désistements se font sans grandes difficultés. Dans 8 circonscriptions, plus de deux candidats d’extrême gauche se maintiennent seuls. Dans 3 circonscriptions, plusieurs candidats, parmi lesquels 3 indépendants, se maintiennent contre un radical85 : deux socialistes indépendants et un allemanistes y sont pourtant élus. Dans 4 circonscriptions en revanche, plusieurs candidats d’extrême gauche se maintiennent prenant ainsi le risque de voir élire un opportuniste dans le meilleur des cas. La plus célèbre circonscription relevant de ce cas de figure est Mézières, puisque le maintien d’un candidat radical-socialiste contre Jean-Baptiste Clément a eu pour conséquence l’élection du candidat rallié86. Dans les autres circonscriptions, un socialiste est élu malgré ce (s) maintien (s)87.

37L’examen des candidatures nous a permis de prendre une première mesure de l’audience des socialistes indépendants puisqu’elle nous permettait de repérer l’existence de groupes militants susceptibles de soutenir une candidature. Il nous reste à voir maintenant si cet examen est confirmé ou infirmé par les résultats électoraux.

III. La première vraie percée socialiste

38Plus encore que l’examen des candidatures, les résultats électoraux sont sujets à caution. Ceux que nous fournissons répondent à la même logique que celle qui a présidé à l’étude des candidatures. Quelques précisions doivent cependant être données. Si nous avons tenu à effectuer les calculs relatifs aux socialistes et aux radicaux-socialistes, nous nous sommes contentée des données de la presse pour les autres groupes politiques – radicaux, républicains, ralliés, réactionnaires.

Résultats du 1er tour : répartition par appartenance

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39Certains écarts entre nos résultats et ceux fournis par d’autres travaux ou certaines sources peuvent trouver une explication très rapidement. Il en va ainsi des résultats officiels fournis par les organisations. Le Socialiste du 26 août 1893 par exemple annonce 246 660 voix pour le Parti Ouvrier88 en comptant les voix de ses candidats et de ceux qu’il soutenait (dont les 5895 voix de Jaurès). Ce chiffre est donc très logiquement supérieur à celui que nous donnons – 167 246 voix – qui correspond à celui de Jean-Marie Mayeur – 160 000 voix89. En revanche, certaines données sont plus difficilement explicables en l’absence d’informations plus précises sur leur mode de calcul. C’est notamment le cas pour le pourcentage des votants nationaux fournis par Madeleine Rebérioux90 – 5 % – qui ne correspond absolument pas aux 9,41 % que nous avons trouvés. La même remarque vaut pour les résultats fournis par Pierre Barral puisqu’il donne 510 000 voix pour les socialistes91 – contre 694 480 voix avec notre calcul – et 177 000 voix pour les radicaux-socialistes92 – 327 747 voix dans notre tableau. Pour les socialistes, La Petite République donne le chiffre de 665 038 voix93. Le second chiffre ne pose qu’un problème marginal d’autant que la frontière entre radicaux et radicaux-socialistes est très mouvante. Nous sommes bien consciente que le critère que nous avons retenu pour déterminer le groupe des radicaux-socialistes est tout à fait arbitraire puisqu’il repose sur la perception des socialistes indépendants. La différence concernant le nombre de voix socialistes peut tenir au fait que nous avons pris en compte l’ensemble des candidats portant une étiquette socialiste, y compris lorsque nous ne pouvions pas les rattacher à une mouvance connue. En effet, si à notre total de voix socialistes nous retirons les voix des « Divers », nous obtenons un résultat de 500 883 voix, proche de celui de Pierre Barral.

40Quelle que soit la formule retenue, la première remarque qui s’impose est la très nette progression de l’extrême gauche par rapport aux élections législatives de 1889. En effet, les socialistes seuls passent de 176 396 voix à 694 480 voix ; ils multiplient donc leur score par près de 4. Si à ces résultats on ajoute les voix des radicaux-socialistes on passe de 274 301 voix en 1889 à 1 022 227 voix en 1893 ce qui révèle une progression du même ordre.

41Le second enseignement est la modification de la hiérarchie chez les socialistes par rapport à 1889 : la FTSF arrivait alors en tête avec 30,4 % des voix socialistes ; en 1893, elle est reléguée en dernière position avec moins de 4 % des voix socialistes94.

Évolution de la hiérarchie interne aux socialistes entre 1889 et 1893

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42Ce recul est d’autant plus spectaculaire qu’il n’est guère compensé par le score allemaniste – 7,97 % des voix socialistes. Les possibilistes ensemble totalisent 11,35 % des voix socialistes, en recul de près de 20 points par rapport à leur score de 1889. Les blanquistes perdent également du terrain puisqu’ils passent de 13,56 % des voix socialistes à 7,53 %. Les socialistes indépendants sont, à l’extrême gauche, les grands vainqueurs de ces élections. Leur score connaît d’ailleurs une augmentation très largement supérieure à l’ensemble des socialistes puisqu’il est multiplié par plus de 5 (de 41 531 à 203 938 voix). L’autre vainqueur est le POF qui passe de 18,75 % des voix socialistes en 1889 à 24,08 %.

43C’est également chez les socialistes indépendants – juste derrière les radicaux-socialistes – que les candidatures sont les plus rentables puisque chaque candidat obtient 3641 voix en moyenne alors que les blanquistes atteignent difficilement 2996 voix. Les autres organisations sont très largement au-dessous de la barre des 3000 voix par candidat. Dans nombre de circonscriptions, les scores des candidats guesdistes sont très décevants puisque chaque candidat du POF a obtenu en moyenne 1400 voix de moins qu’un candidat indépendant.

44Si nous prenons comme indicateur les scores des socialistes rapportés aux votants du premier tour uniquement dans les circonscriptions où se présentent des candidats socialistes ou radicaux-socialistes, nous pouvons également constater de très grandes disparités. Les meilleurs scores sont réalisés par les radicaux-socialistes (41,35 % des votants de leurs circonscriptions) et les socialistes indépendants (31,21 %). En troisième position vient le CRC (24,51 %) suivi par le POSR (21,56 %). Le POF arrive uniquement en cinquième position et ne dépasse que la FTSF (11,99 %) et les candidats « divers » (13,07 %).

45Ainsi, le premier rapport de forces établi à partir des candidatures se trouve modifié sensiblement au regard des résultats en voix.

Rang des organisations socialistes en fonction des candidatures présentées et des voix obtenues.

Rang en fonction du nombre de candidatures

Rang en fonction du nombre de voix obtenues

FTSF

5

6

Indépendants

3

1

POF

2

3

CRC

6

4

Divers

1

2

POSR

4

5

46Les indépendants qui étaient en troisième position pour le nombre de candidatures socialistes passent au premier rang pour les voix. À l’inverse, le POF est rétrogradé de la deuxième à la troisième position. Quatre groupes se détachent clairement : les « divers », le POF, les indépendants et les radicaux-socialistes. Les trois autres organisations du mouvement ouvrier apparaissent comme très nettement distancées.

47La répartition des voix des socialistes indépendants n’est pas équivalente entre les 51 circonscriptions et les 24 départements où ils présentent un candidat. En effet, 66,60 % de leurs voix sont regroupés dans huit départements – 135 828 sur 203 938 voix. Il s’agit des Bouches-du-Rhône qui regroupent 7,71 % de leurs voix, de la Gironde (6,28 %), de la Haute-Garonne (7,01 %), du Tarn (4,43 %), du Pas-de-Calais (13,16 %), de la Seine qui à elle seule fournit 22,65 % des voix indépendantes et enfin, dans une moindre mesure du Rhône (3,38 %) et du Nord (1,75 %). Rapportés aux suffrages exprimés dans les circonscriptions concernées, les résultats du premier tour dans ces départements sont très bons puisque partout, les candidats dépassent les 25 %. Il faut noter les chiffres records du Pas-de-Calais où ils atteignent 74,63 % dans leurs circonscriptions. Par ordre décroissant viennent ensuite la Haute-Garonne et le Tarn (respectivement 38,67 % et 38,49 % des suffrages exprimés de leurs circonscriptions) puis les Bouches-du-Rhône (28,86 %), le Nord (28,2 %), le Rhône (27,9 %), la Gironde (26,63 %) et la Seine (25,55 %). Certes, si nous rapportons maintenant ces résultats au nombre total des exprimés95 dans le département, les résultats sont moins spectaculaires mais ils montrent toutefois qu’il est impossible à gauche de préparer une élection sans prendre en compte les socialistes indépendants. En prenant ce critère, la hiérarchie départementale est sensiblement modifiée : on trouve en tête les Bouches-du-Rhône où les indépendants totalisent 17,52 % des suffrages exprimés puis le Pas-de-Calais (15,59 %), la Haute Garonne (15,20 %) tandis que dans la Seine, reléguée en quatrième position, les indépendants n’obtiennent que 10,67 % des suffrages exprimés. Dans le Tarn, le pourcentage atteint 11,65 % ; il diminue sensiblement en Gironde (8,99 %) et devient purement symbolique dans le Nord (1,16 %).

48Si nous comparons maintenant les résultats des indépendants à ceux du POF dans les mêmes départements, nous constatons que ces derniers comptent moins pour le POF que pour les indépendants puisqu’ils n’y totalisent que 42,02 % de leurs voix96. Ils obtiennent un meilleur résultat que les indépendants dans Nord (7,87 % des suffrages exprimés) et dans le Rhône (12,20 %). En revanche, les résultats du POF sont très inférieurs aux résultats indépendants dans la Seine, ce qui n’est pas une surprise puisqu’ils ne dépassent pas 1,43 % des exprimés et dans les Bouches-du-Rhône où ils sont très mauvais (2,77 %). De la même façon, si nous regardons les scores des radicaux-socialistes dans ces huit départements, nous pouvons constater que là encore, il s’agit pour eux de départements dont l’importance n’est pas aussi grande que pour les socialistes indépendants. Ils n’y font que 35,78 % du total de leurs voix soit 115 724 voix97. Ils obtiennent pourtant de meilleurs résultats dans quatre départements : le Nord (2,66 % des suffrages exprimés dans le département), le Rhône (11,51 %) où ils arrivent toutefois derrière le POF, la Seine (13,04 %) et Le Tarn (14,86 %). Dans les autres départements, ils obtiennent des résultats inférieurs à ceux des indépendants : 14,13 % en Haute-Garonne contre 15,20 % pour les indépendants ; 12,23 % dans Les Bouches-du-Rhône contre 17,52 % et enfin 1,58 % des exprimés en Gironde contre 8,99 % pour les indépendants.

49Ces quelques données montrent une implantation des socialistes indépendants non négligeable mais quelque peu déséquilibrée et donc à la merci de quelques personnalités telles que Basly et Lamendin qui à eux deux totalisent 26847 voix c’est-à-dire 13,16 % du total des voix des socialistes indépendants ! De plus, dans la plupart des départements sur lesquels ils peuvent compter, leurs deux principaux concurrents – le POF et les radicaux-socialistes – obtiennent des résultats plus qu’honorables et parfois meilleurs. On ne peut donc pas parler – à l’exception du Pas-de-Calais – de réels bastions indépendants.

50Très logiquement, les remarques concernant les différences de nombre de voix entre les différentes sources se retrouvent dans le nombre d’élus98.

51Nous avons comptabilisé 8 guesdistes99 – Sauvanet, Pierre Vaux100, Antoine Jourde, Paul Vigné d’Octon101, Edmond Charpentier, Jules Guesde, Valentin Couturier et René Chauvin –, 6 allemanistes – Victor Dejeante, Arthur Groussier, Faberot, Toussaint, Jules Coutant et Alexandre Avez –, 5 blanquistes – Christophe Thivrier, Émile Baudin, Emmanuel Chauvière, Édouard Vaillant et Albert Joseph –, 2 broussistes – Prudent Dervillers et Aimé Lavy – et 19 socialistes indépendants102. Après de multiples corrections concernant les socialistes, les radicaux-socialistes et les radicaux, mais en nous en tenant aux résultats fournis par La Petite République française103 pour les élus républicains, ralliés et réactionnaires, nous proposons la répartition suivante des élus à la Chambre des députés :

Répartition des élus à la Chambre à l’issue du second tour

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Note 104104
Note 105105
Note 106106

52Par rapport aux élections précédentes, les socialistes multiplient par 4 leur nombre d’élus qui passe de 11 en 1889 à 42 en 1893. Le succès des radicaux-socialistes – de 11 élus à 33 élus – est dû à la fois à leur progression réelle mais aussi à la prise en compte d’élus qui étaient « radicaux » en 1889 et sont devenus « radicaux-socialistes » en 1893. Notons toutefois que cette progression est suffisamment importante pour faire plus que compenser les départs de quelques radicaux-socialistes vers les rangs socialistes, tels que celui de Millerand. Pourtant, les rapports de forces présents dans cette nouvelle assemblée devraient être à même de tempérer les velléités réformistes d’un Alexandre Millerand au moins pour la durée de la législature. Les républicains, très largement majoritaires n’ont aucune raison de chercher d’autres soutiens ni chez les radicaux et encore moins, bien entendu, chez les socialistes. Les chances pour que les 7,32 % de députés socialistes parviennent à faire adopter des réformes conséquentes apparaissent très minimes. En revanche, à plus long terme, l’espoir peut être permis dans la mesure où socialistes, radicaux-socialistes et radicaux totalisent 172 élus et près de 30 % de la Chambre. Ces chiffres peuvent servir de base à un travail plus approfondi en direction des élus radicaux.

53Au sein de l’extrême gauche, la répartition des élus socialistes et radicaux-socialistes montre une nette supériorité des socialistes indépendants et des radicaux-socialistes.

Répartition des élus socialistes et radicaux-socialistes par appartenance

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54La hiérarchie des sensibilités radicales-socialistes et socialistes qui pouvait être établie à partir du nombre de voix se trouve modifiée avec le nombre d’élus. En première position on trouve les radicaux-socialistes (33 élus et 327 747 voix au premier tour), puis les socialistes indépendants (19 élus et 203 938 voix), les guesdistes (8 élus et 167 246 voix), le POSR (6 élus et 55 320 voix), le CRC (5 élus et 50933 voix), la FTSF (2 élus et 23 446 voix) et enfin les candidats divers (2 élus et 193 597 voix).

55Les sensibilités qui perdent le plus entre leurs résultats du premier tour et leur nombre d’élus au second tour sont les « divers » et le POF. Dans le premier cas, cela n’est guère surprenant puisque la plupart étant inconnus, il leur était plus difficile de rallier une majorité d’électeurs au second tour d’autant qu’ils obtenaient une des plus mauvaises moyennes de voix par candidat (1693). Les résultats du POF sont plus décevants puisqu’avec un nombre de voix au premier tour qui représente 82,01 % de celui des socialistes indépendants, ils n’obtiennent qu’un nombre d’élus équivalent à 42,11 % de celui des indépendants. La rentabilité des candidatures guesdistes est donc très inférieure à celle des indépendants. Si nous rapportons le nombre de voix du premier tour aux élus du second tour, on obtient des résultats comparables pour les indépendants, le CRC et les radicaux-socialistes (à un élu correspondent 10 733 voix au premier tour pour les indépendants, 10 031 voix pour le CRC et 9931 voix pour les radicaux-socialistes) ; des résultats un peu meilleurs pour le POSR (9 220 voix) et tout à fait mauvais pour le POF (20 659 voix). En d’autres termes, le POF est celui des partis d’extrême gauche qui rencontre le plus de difficultés à traduire en élus un potentiel de sympathie important. Les résultats en nombre d’élus montrent également les évolutions qui ont affecté l’extrême gauche depuis 1889. Ainsi, les indépendants qui étaient au nombre de six en comptant trois révisionnistes en 1889 comptabilisent désormais 19 élus. Des six élus de 1889, trois retrouvent leur siège et leur étiquette de socialiste indépendant – Souhet à Saint-Étienne, Antide Boyer à Marseille et Cluseret107 à Toulon – ; un est réélu mais comme guesdiste – Jourde à Bordeaux – tandis que Chiché, également à Bordeaux, est battu dès le premier tour. Les indépendants peuvent donc compter sur l’élection de 16 « nouveaux » étant entendu que nombre de ces nouveaux indépendants sont des habitués du Palais-Bourbon.

56Comme le premier tour pouvait le laisser présager, c’est le département de la Seine qui fournit le gros du contingent avec 8 députés108. À ces élus de Paris et de banlieue, s’ajoutent les deux élus du Pas-de-Calais, Basly et Lamendin, Charonnat (Troyes), Desfarges (Bourganeuf), Thierry Cazes (Lectoure), Calvinhac (Toulouse), Jaurès (Albi) et Labussière (Limoges)109. Il y a peu de visages anciens parmi ces élus de 1893. Certes, nous avons vu agir Rouanet et Clovis Hugues dans les années 1880 mais Camélinat, candidat contre Dejeante dans le xxe arrondissement est battu au second tour comme l’est Lissagaray à Apt.

57Les radicaux-socialistes voient également leurs rangs se renouveler considérablement. Sur les onze élus de 1889, deux sont battus dès le premier tour : Théron (Carcassonne) et Émile Moreau (Lille) tandis que Maujan (xie arrondissement de Paris) n’est plus que radical, que Razimbaud (Saint-Pons) est devenu opportuniste et que Millerand a rallié les socialistes. Six élus sortants sont réélus110. De plus, les radicaux-socialistes gagnent 27 nouveaux, élus pour la première fois ou nouvellement ralliés, le plus souvent en provenance du « parti » radical.

58Le POF gagne 7 élus par rapport aux élections de 1889. En revanche, Ferroul, seul candidat sortant à Narbonne, est battu si bien que les huit élus sont des nouveaux venus à la Chambre111. Le CRC gagne deux sièges par rapport à 1889. Il conserve deux de ses trois élus sortants112 et en gagne 3 nouveaux dans la Seine113. Avec l'élection de Lavy, la FTSF conserve le siège de Joffrin dans la troisième circonscription du xviiie arrondissement et obtient un second élu, toujours à Paris, dans la deuxième circonscription du xxe arrondissement. Le POSR dont la création est postérieure aux législatives de 1889 obtient un résultat tout à fait honorable avec six élus, tous dans la Seine114.

59Les élections de 1893 montrent un incontestable décollage du mouvement socialiste qui profite à l’ensemble des organisations mais plus particulièrement aux socialistes indépendants. Ces derniers bénéficient alors du ralliement de républicains ou de radicaux. Même si certains de ces ralliements ne sont qu’éphémères, ils permettent d’enclencher une dynamique nouvelle. Il faut pourtant attendre près de trois ans pour pouvoir mesurer les effets de ces premiers résultats encourageants pour les socialistes. La prochaine échéance a lieu en effet en 1896. Il s’agit des élections municipales générales de mai.

Notes de bas de page

1 La Petite République française du 5 septembre 1893, p. 1.

2 Orry A., Les socialistes indépendants, op. cit. C’est aussi à partir de cette question qu’ils sont présentés par J. Bourdeau ; Bourdeau J., « Revue du mouvement socialiste », Revue politique et parlementaire, oct., nov., déc. 1896, Paris, Armand Colin et Cie éditeurs, p. 159.

3 Voir notamment pour les élections de 1893, Barral P., Les élections de 1893, mémoire de DES sous la direction d’E. Labrousse, Paris, 1947.

4 Ainsi, lorsque les résultats de plusieurs candidats sont trop faibles – en dessous de la dizaine – les procès verbaux totalisent l’ensemble de leurs voix dans une rubrique « divers ».

5 Nous avons trouvé peu d’aide dans les travaux existants. Leur perspective étant soit, comme pour Claude Willard, d’étudier un groupement défini, ce qui leur permettait d’intégrer dans leurs comptes des « sympathisants », soit une perspective régionale où le calcul global importait plus que la répartition entre sensibilités. Une formule telle que « La fédération (du Tarn) au début, du moins en pensée (souligné par nous), était adhérente au POF » (Roques M. et Tavel J., Le socialisme dans le Tarn de 1870 à 1914, DES sous la direction de R. Trempé, Université de Toulouse-Le Mirail, juin 1971) nous est d’aucune utilité. Nous avons donc laissé une catégorie « divers » qui comprend les militants inconnus et ceux qui ont des parcours tellement sinueux qu’il semble impossible de les suivre. Cela a très certainement limité l’influence des indépendants. D’autres militants ont été considérés comme indépendants alors qu’ils figurent dans les fichiers d’une organisation. C’est par exemple le cas de Pierre Vaux, candidat du POF à Dijon si on en croit Le Socialiste alors que ni ses attaches doctrinales, ni sa campagne électorale ne le présentent comme tel.

6 La Petite République française du 28 novembre 1891. Sur l’évolution de La Petite République française, voir également Durand F., Les tendances socialistes à travers La Petite République 1893-1895, mémoire de DES sous la direction de J. Droz, Paris, 1966. Françoise Durand présente les socialistes indépendants comme les héritiers de l’ASR. Cette thèse nous semble contestable pour plusieurs raisons. La première tient aux conditions particulières de la naissance de l’ASR et au rôle que Clemenceau y a joué. D’autre part, si les programmes sont effectivement très ressemblants, Goblet et Lockroy sont des radicaux-socialistes et comme tels, ne peuvent pas être considérés comme représentatifs des indépendants. Quant à Millerand, sa position en ce 28 novembre 1891 est ambiguë. En effet, en 1903, il fait dater son adhésion au socialisme du meeting de Lille où il soutenait la campagne électorale de Lafargue. Ce meeting s’est déroulé le 7 novembre 1891 soit trois semaines seulement avant la signature du programme électoral. Le 7 novembre 1891 est donc probablement une date charnière dans son évolution politique mais il s’inscrit dans une évolution qui est antérieure et qui n’est pas achevée alors. De plus, nous ne savons pas si Millerand a pensé ce 7 novembre 1891 qu’il « sautait le pas » ou si cette analyse est plus tardive. Leslie Derfler semble considérer qu’effectivement, à cette date il est devenu socialiste : « Millerand’s speech in the hippodrome at Lille, therefore, was his first as an affirmed socialist. » Derfler L., Alexandre Millerand…, op. cit., p. 61.

7 Millerand est chargé au sein de La Petite République française des pourparlers avec les fractions socialistes pour une entente électorale. Il est alors considéré comme le seul à pouvoir opérer « la jonction des radicaux et du Parti Ouvrier ». Rapport de police du 30 novembre 1891. Arch. Nat. Fonds Panthéon, dossier Millerand (MI 25 353).

8 Ibid., 30 juin 1892. Notons toutefois que l’emploi de la formule « socialistes de gouvernement » est alors contestable ou pour le moins prématuré.

9 Jusqu’alors, figurait en première page (en haut à gauche) l’encadré suivant : « La Petite République française publie : le lundi : un article de Goblet ; le mardi : un article de Millerand ; le mercredi : un article de Fournière ; le jeudi : un article de Lockroy ; le vendredi : un article de Sembat ; le samedi : un article de Malon ; le dimanche : un article de Leydet. » La Petite République française du 4 janvier 1893. Ce sont les mêmes rédacteurs qui figurent désormais dans l’ours du journal. Ibid., 7 janvier 1893.

10 Ibid., p. 1.

11 René Goblet, Lettre. Ibid., 19 juillet 1893, p. 1.

12 Rapport de police du 16 mai 1893. A.P.P. Ba/1472.

13 Rapport de police du 16 janvier 1893. Arch. Nat. Fonds Panthéon, MI 25 353.

14 Basly, « Radicaux socialistes », La Petite République française du 25 juin 1893, p. 1.

15 Rapport de police du 16 mai 1893. A.P.P. Ba/1472.

16 René Goblet, Lettre, La Petite République française du 19 juillet 1893, p. 1. Souligné par nous.

17 Ibid., p. 1

18 Les débats sur l’utilité de réformes ponctuelles sont incessants durant cette période entre les indépendants, les broussistes et parfois les allemanistes d’un côté, et les blanquistes et parfois les guesdistes de l’autre. Voir par exemple les débats des congrès des conseillers municipaux socialistes. Pourtant, il ne faut pas en déduire des positions irréductibles. D’une part, lorsque l’on regarde les activités des élus dans les diverses assemblées, on s’aperçoit que les petites réformes ne sont dédaignées par personne. Voir notamment les interventions de Vaillant dans les séances du conseil municipal de Paris (Procès-verbaux du conseil municipal de Paris).

19 « L’homme d’aucune secte. Il n’appartient à aucune église, à aucune côterie… » Affiche du candidat Rouanet pour les élections législatives de 1893. In A.P.P. Ba/643.

20 Fournière fait alors partie des « rédacteurs principaux ».

21 Rapport de police du 2 septembre 1893. Arch. Nat. Fonds Panthéon, dossier Millerand (MI 25 353).

22 Blum L., « Les congrès ouvriers et socialistes », op. cit., p. 460.

23 Le congrès a lieu du 11 au 13 septembre 1892 à Saint-Ouen à l’invitation du maire blanquiste Guinot. Rapport du 13 septembre 1892. Arch. Nat., F7/12 494.

24 Fourniere E., « Enfin ! » (éditorial), La Petite République française du 30 juin 1893, p. 1. Les amis de Millerand ont même été suspectés de connivence avec les antisémites de Drumont qu’ils auraient rencontrés en vue d’une alliance entre les socialistes et les antisémites. Rapport de police en date du 21 février 1893. A.P.P. Ba/1472.

25 La Petite République française du 25 février 1893.

26 Un rapport de police de 1900 signale que sa création serait très antérieure à 1892 (date d’une première dislocation), qu’elle regrouperait une trentaine de groupes parmi lesquels quelques sections de La Libre Pensée (Le Gaulois du 18 janvier 1895. In A.P.P. Ba/1472) et qu’elle compterait quelques militants « socialistes révolutionnaires de vieille date. » Rapport de police du 20 octobre 1900. A.P.P. Ba/1473, p. 14-15. Par ailleurs, Claude Willard met en relation cette fédération avec Millerand, Viviani, Jaurès et Briand. Willard C., Socialisme et communisme français, Paris, A. Colin, 1967, p. 83. Enfin, Pierre Barral parle lui d’Hovelacque, de Millerand et de Viviani dans Les élections de 1893, op. cit., p. 116. Pourtant les dossiers respectifs de ces quatre hommes, tant aux Archives Nationales qu’aux Archives de la Préfecture de police, ne font à aucun moment allusion à cette fédération.

27 « Mouvement Social – Les républicains socialistes », La Petite République française du 4 mars 1893, p. 2. L’article précise qu’ils « ont constitué un comité d’action dont sont membres Pasquier, Adrien Roubel et Margance. » Notons que Pasquier est un militant de la Libre Pensée et membre du Grand Orient.

28 Ibid. Souligné par nous.

29 Un rapport de police du 16 mai 1893 mentionne « l’annonce de la formation d’un syndicat des journaux socialistes dont devraient faire partie Jaclard, Millerand, Guesde […] » Rapport de police du 16 mai 1893. A.P.P. Ba/1472. Gilles Candar date la création du 1er mai 1893 et la publication des statuts au journal officiel du 26 juillet 1893. Candar G., « Jaurès et les journalistes socialistes », in Jaurès et les intellectuels, op. cit., p. 64 et 74.

30 Martin M., « Les journalistes : un nouveau milieu professionnel », Jaurès et le syndicat des journalistes socialistes, Actes du colloque, « Jaurès et les intellectuels » janvier 1988, sous la direction de Madeleine Reberioux et Gilles Candar, Paris, Éditions de l’Atelier/Éditions ouvrières, 1994, p. 58. Sur la nature des « avantages » et autres petits privilèges, voir p. 52.

31 Nous suivons effectivement Gilles Candar lorsqu’il considère que « La simple énumération des noms (du premier conseil syndical) laisse aussi à penser que l’aspect politique l’emportait sur le caractère professionnel de l’association. » Candar G., « Jaurès et les journalistes socialistes », op. cit., p. 66.

32 Barral P., Les élections de 1893, op. cit., p. 117.

33 Le choix des candidats reflète le projet d’alliance entre radicaux et socialistes. : le 3 août 1893, portrait de Baudin ; le 4, Goblet ; le 5, Guesde ; le 6, Fournière ; le 7, Clovis Hugues ; le 8, Viviani ; le 9, Sembat ; le 10, Millerand ; le 11, Hovelacque ; le 12, Gérault-Richard ; le 13, Pierre Baudin ; le 14, Camélinat ; le 15, Vaillant ; le 16, Lafargue ; le 17, Rouanet ; le 18, Jaurès ; le 19, Duc-Quercy ; le 20, Dumay. Ainsi sur les 18 portraits, on compte 11 indépendants, 2 radicaux (Goblet et Pierre Baudin), 2 CRC (Baudin et Vaillant), 2 POF (Guesde, Lafargue) et 1 POSR (Dumay). Seuls les broussistes ne sont pas représentés.

34 Rapport de police du 6 janvier 1893. Arch. Nat., Fonds Panthéon, dossier Millerand (MI 25 353). Le rapport précise que « le caissier a été vu – mais non entendu – avec M. Millerand qui est toujours d’une circonspection extrême. »

35 « M. Millerand, plus heureux que M. Goblet a trouvé de l’argent. Un ennemi anonyme de M. Constans le subventionne. » Ibid., 17 juillet 1893.

36 Lancelot A., Atlas des circonscriptions électorales en France depuis 1875, Paris, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1970, p. 23-30.

37 Onze cas litigieux ont été classés parmi les indépendants. Il s’agit de militants qui ont été à un moment ou à un autre proches du POF mais qui par leur comportement montrent une réelle indépendance. Certains sont revendiqués par Le Socialiste et d’autres non.

38 Les proportions doivent être étudiées avec précaution dans la mesure où nous n’avons pu établir l’appartenance exacte de 115 candidats socialistes qui figurent dans une rubrique « divers ».

39 Les chiffres varient nécessairement en fonction du choix d’intégrer ou pas tel ou tel candidat « soutenu » par le parti. G. Dauger mentionne 69 candidats guesdistes et 28 candidats soutenus. In Dauger G., Le guesdisme dans le Limousin, Limoges, Institut CGT d’histoire sociale du Limousin, (pas de date), p. 14.

40 Respectivement, Le Prolétaire, Le Parti Socialiste, Le Socialiste et Le Parti Ouvrier.

41 Concernant la FTSF, l’impression de marginalisation est sans doute renforcée par le choix de certains groupes de ne pas présenter de candidats lorsqu’ils estimaient ne pas pouvoir obtenir un score honorable comme à Blois. Voir Dupeux G., Aspects de l’histoire sociale et politique du Loir-et-Cher, 1848-1914, Paris-La Haye, Mouton, 1962, p. 527.

42 Le découpage régional reprend celui du mouvement ouvrier après le congrès de Marseille. L’Ouest comprend 109 circonscriptions et 17 départements : Calvados, Côtes-du-Nord, Orne, Finistère, Ille-et-Vilaine, Indre, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Loire-Inférieure, Maineet-Loire, Manche, Mayenne, Morbihan, Sarthe, Deux-Sèvres, Vendée, Vienne ; le Sud-Ouest, 103 circonscriptions et 18 départements : Ariège, Aveyron, Charente, Charente-Inférieure, Corrèze, Creuse, Dordogne, Haute-Garonne, Gers, Gironde, Landes, Lot, Lot-et-Garonne, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Tarn, Tarn-et-Garonne, Haute-Vienne ; le Midi, 54 circonscriptions et 11 départements : Alpes-Maritimes, Aude, Basses-Alpes, Bouches-du-Rhône, Corse, Gard, Hérault, Lozère, Pyrénées-Orientales, Var, Vaucluse ; la région Nord, 124 circonscriptions et 16 départements : Aisne, Ardennes, Eure, Eure-et-Loir, Loiret, Marne, Meuse, Meurthe-et-Moselle, Nord, Oise, Pas-de-Calais, Seine-Inférieure, Seine-et-Marne, Somme, Vosges ; l’Est, 130 circonscriptions et 24 départements : Ain, Allier, Ardèche, Aube, Cantal, Cher, Côte-d’Or, Doubs, Drôme, Hautes-Alpes, Haute-Loire, Haute-Marne, Haute-Saône, Haute-Savoie, Isère, Jura, Loire, Nièvre, Puy-de-Dôme, Rhône, Savoie, Saône-et-Loire, Territoire de Belfort et Yonne. La Seine et la Seine-et-Oise forment une région spécifique.

43 Le nombre de circonscriptions ne correspond pas au total des candidats en raison des candidatures multiples dans une même circonscription.

44 Les numéros du Socialiste ne mentionnent que deux candidats du POF dans le département : Delcourt et Delcluze. Le Socialiste, numéros de juillet à septembre 1893. Ce sont ces deux candidats que Claude Willard a retenu ; in Les guesdistes, op. cit., p. 222. Or, nous avons mis au compte du POF, le candidat de la première circonscription de Béthune, Merlin en nous fondant sur l’ouvrage d’Hubert Rouger. Rouger H., Les fédérations socialistes tome 2, op. cit., p. 431.

45 Voir Willard C., Les guesdistes, op. cit., p. 224.

46 Auguste Rivet, La vie politique dans le département de la Haute-Loire de 1815 à 1974, thèse pour le doctorat d’État soutenue devant l’université de Paris-X, Le Puy, Édition des Cahiers de la Haute-Loire, Archives départementales de la Haute-Loire, 1979, p. 529.

47 À Besançon par exemple, la fédération jurassienne disposait de quelques réseaux qui ont disparu en cette année 1893. La présence d’une candidature du POSR lors des élections de 1893 a pour origine la constitution d’un groupe en mai 1891 suite à la venue de Roussel (adhérent au POSR) et à la reconstitution d’une fédération ouvrière de Besançon et de Franche-Comté. Ceci étant, il ne s’agit pas d’une candidature locale, Charlot est un militant de la Côte-d’Or. Mairry L., Le département du Doubs sous la troisième République : une évolution politique originale, Besançon, Éditions Cêtre, 1992, p. 106-107. Voir également, Roger J.-L., Les débuts du mouvement socialiste à Besançon 1891-1914, DES, 1965, p. 6.

48 Biennes M., Le mouvement socialiste et la pénétration socialiste dans la région de Bordeaux des débuts de la troisième république à la première guerre mondiale 1870-1914, DES sous la direction d’E. Labrousse, Faculté des Lettres de Paris, 1959, p. 90.

49 Marc Biennes considère que « le boulangisme a marqué profondément le socialisme bordelais […] » Ibid., p. 89.

50 Voir les premières pages de Andrieu M., 1890-1990 : Cent ans de socialisme à Toulouse, 1992.

51 Rouger H., Les fédérations socialistes tome 1, op. cit., p. 227.

52 Rappelons que Briand, candidat dans la Loire-Inférieure en 1889 l’est dans la Seine en 1893.

53 Le bail à complant interdisait au complanteur d’arracher les pieds de vignes sans l’autorisation de leur propriétaire. Lors de la crise, et devant les refus des propriétaires, beaucoup d’entre eux sont passés outre et ont arraché les vignes pour planter des pommes de terre ou de nouveaux pieds. Il s’en est suivi de nombreux procès.

54 En 1893, 2 syndicats regroupent 655 adhérents. Rapport de police du 20 novembre 1893. Arch. Nat., Fonds Panthéon, dossier Millerand (MI 25 353).

55 Geslin C., « Le syndicalisme ouvrier en Bretagne avant 1914 » op. cit., p. 50.

56 Sur la vie politique dans l’arrondissement, voir El Gammal J., « La vie politique 1881-1914 », in Jenn J.-M. (dir.), Le xixe arrondissement – une cité nouvelle, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris, 1996, p. 155-165.

57 Goulle A., « La lutte électorale – Chez les mineurs », La Petite République française du 19 août 1893, p. 1.

58 L’assertion de Gustave Delory selon laquelle dans le Nord, « Les radicaux laissaient battre Lafargue », semble très exagérée puisque ce dernier était opposé à un candidat rallié et à un candidat non pas radical mais « centre gauche ». in Aperçu historique sur la fédération du Nord du Parti Socialiste, Lille, Imprimerie ouvrière Maximilien Dhoossche, 1921, p. 112.

59 Roger J.-L., Les débuts du mouvement socialiste à Besançon 1891-1914, op. cit., p. 21. L’arrivée de Charlot dans la ville marque en effet la rupture avec les radicaux alors que le programme du Groupe était essentiellement réformiste et qu’il s’agissait pour ses militants « d’amener sans effusion de sang les réformes qui doivent transformer le monde actuel ». Mairry L., Le département du Doubs sous la troisième République…, op. cit., p. 174.

60 La constitution du premier groupe guesdiste stable est très récente puisque Claude Willard la fait dater d’août 1892 ; Les guesdistes, op. cit., p. 276.

61 Rouger H., Les fédérations socialistes tome 2, op. cit., p. 232.

62 Le vaillantiste Dechaud est opposé à Sauvanet, alors membre du POF et maire d’Huriel. Voir Rougeron G., Le mouvement ouvrier en Allier 1880-1905, Moulins, Imprimerie Pottier, 1981, p. 29.

63 Le Socialiste du 29 juillet 1893, p. 1.

64 On compte seulement 4 candidats dans la 1re circonscription (mais 3 socialistes), 4 dans la 2e circonscription (dont 2 socialistes), un seul candidat (centre-gauche) dans la 3e circonscription et 2 candidats dans la 5e circonscription.

65 Rouger H., Les fédérations socialistes tome 2, op. cit., p. 164. Cela explique également la double candidature du POF dans la première circonscription de Marseille. Il semble qu’à ce moment-là, la position du parti national n’ait pas été très claire puisque Le Socialiste du 29 juillet 1893 présente à la fois Cadenat (adjoint révoqué) et Coulet (maire adjoint en place) comme candidats du Parti.

66 Willard C., Les guesdistes, op. cit., p. 297.

67 Barral P., Les élections de 1893, op. cit., p. 40.

68 Rouger H., Les fédérations socialistes tome 3, op. cit., p. 28. Hubert Rouger le présente comme un candidat du Parti Ouvrier mais son nom ne figure pas dans Le Socialiste présentant les candidats du Parti.

69 La Petite République française du 23 août 1893, p. 4 et du 5 septembre 1893, p. 2.

70 Ibid., 6 septembre 1893, p. 1.

71 Ceci dit, la coquille pourrait bien être intentionnelle et montrer la volonté de la rédaction de soutenir Jourdan. Notons enfin, que la position des socialistes indépendants dans cette circonscription est loin d’être claire puisque Pierre Barral dit que Jaurès aurait soutenu Clemenceau – ce qui n’est donc pas l’orientation de la rédaction de La Petite République – contre Vincent. De même qu’est ambiguë la position de tous les protagonistes de cette affaire : Clemenceau aurait compté sur l’appui de Vincent ! Barral P., Les élections de 1893, op. cit., p. 46.

72 Le duel entre un candidat du POF et un candidat radical-socialiste dans la 1re circonscription de Montpellier montre les limites de l’alliance qui aurait été passée entre les deux mouvances pour les élections législatives et ce, depuis les élections municipales de 1892. Voir Sagnes J., Le mouvement ouvrier du Languedoc, Toulouse, Privat, 1980, p. 56.

73 Rouger H., Les fédérations socialistes tome 1, op. cit., p. 535.

74 Merriman J.-M., Limoges, la ville rouge, portrait d’une ville révolutionnaire, Paris, Belin, 1990, p. 276.

75 Rouger H., Les fédérations socialistes tome 3, op. cit., p. 9-10.

76 Voir Lerner H., La Dépêche, journal de la Démocratie, contribution à l’histoire du radicalisme en France sous la troisième république, Publications de l’université de Toulouse-Le Mirail, 1978, p. 151. L’influence du journal est fondamentale pour Jaurès, au moins dans les quatre cantons ruraux sur les cinq de sa circonscription puisque les voix paysannes représentent toujours plus de la moitié de ses voix. Trempe R., « Jaurès, député de Carmaux », in Jean Jaurès, présenté par Vincent Auriol, Paris, P.U.F, 1962, p. 111

77 On rappellera à ce propos, la liste guesdiste opposée à la liste radicale et socialiste (CRC) sur laquelle figurait Jaurès lors des élections municipales de Toulouse de 1892. Reberioux M., « Jaurès et Toulouse (1890-1892), texte d’une conférence à l’université de Toulouse », Cahiers internationaux, no 107, sept.-oct. 1959, p. 308.

78 Dauger G. et Dayen D., Histoire du Limousin contemporain – Corrèze, Creuse, Haute-Vienne, de 1789 à nos jours, Lucien Souny, 1997 (2e édition revue et corrigée), p. 113. S. Derruau-Boniol rappelle toutefois que le département est moins favorable à l’extrême gauche que les départements voisins de l’Allier et de la Haute-Vienne Voir « Le département de la Creuse : structure sociale et évolution politique », Revue française de science politique, no 1, 1957, Presses Universitaires de France, p. 38-66.

79 Dauger G., Le guesdisme en Limousin, op. cit., p. 14.

80 Rouger H., Les fédérations socialistes tome 3, op. cit., p. 90.

81 Voir Marion J., Le mouvement ouvrier dans la Vienne 1871-1914, DES sous la direction de G. Castellan, Université de Poitiers, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, juin 1963.

82 Viviani publie à la une de La Petite République un article dans lequel il donne un cadre très strict : « Il faut que le parti socialiste ne montre pas seulement son ardeur, mais aussi sa force, et qu’il soit capable de s’imposer cette discipline étroite et sévère sans laquelle succèdent à d’éphémères victoires, de lamentables défaites. Il faut que derrière le candidat socialiste le plus favorisé, les autres se massent et contribuent au succès […] Que l’union s’accomplisse donc en face de l’ennemi commun, maintenant que les préférences ont pu se manifester et les opinions se faire jour […] » La Petite République française du 23 août 1893, p. 1.

83 Cette pratique est certainement exceptionnelle mais on la trouve dans la première circonscription du XIe arrondissement où le radical (devenu radical-socialiste le jour des résultats !) Lagasse se désiste en faveur de Faberot après un tirage au sort. L’objectif est de battre Floquet. Rapport de police du 26 août 1893. Arch. Nat., F7/12596/1.

84 Les circonscriptions qui ne sont pas mentionnées ont vu l’élection d’un des candidats dès le premier tour.

85 1re circonscription du xixe arrondissement de Paris (Clovis Hugues et Briand contre le radical Delattre : Clovis Hugues est élu) ; 3e circonscription de Sceaux (Coutant et Lambert contre Lévêque : Coutant est élu) et Apt (Reboulin et Lissagaray contre Callier : Reboulin est élu).

86 La Petite République du 6 septembre 1893 rapporte « un grave manquement à la discipline républicaine commis par M. Goutan, radical-socialiste dans Les Ardennes ».

87 Cela concerne les 1re et 2e circonscriptions du xviiie arrondissement de Paris où deux socialistes indépendants (Sembat et Rouanet) affrontent au second tour un candidat de la FTSF (Dalle et Lelorrain) mais sont élus et la 3e circonscription de Saint-Étienne où Charpentier est élu malgré le maintien de Soulène.

88 Le socialiste du 26 août 1893, p. 1.

89 Mayeur J.-M., La vie politique sous la troisième République 1870-1940, op. cit., p. 138.

90 Reberioux M., « Le Socialisme français de 1871 à 1914 », op. cit., p. 171.

91 Barral P., Les élections de 1893, op. cit., p. 59. J. Bourdeau, fournit le chiffre bien inférieur encore de 440 000 voix. In « Revue du mouvement socialiste », La Revue politique et parlementaire, juin 1902, p. 574.

92 Barral P., Les élections de 1893, op. cit., p. 59.

93 « Les forces socialistes », La Petite République du 12 mai 1898, p. 1.

94 Le total des voix du POSR et de la FTSF s’élève à 78766. En 1889, avant la scission allemaniste, la FTSF avait recueilli 52 072 voix. Les possibilistes ont donc globalement amélioré leur résultat de 1889 mais ils ont moins progressé que les autres écoles. Les broussistes ne sont pas parvenus à conserver les voix de la FTSF de 1889.

95 Nous avons retenu les chiffres de votants fournis par Alain Lancelot dans son Atlas des circonscriptions électorales en France depuis 1875, op. cit., p. 86. Les données sont les suivantes : Bouches-du-Rhône : 89 773 exprimés ; Gironde : 142 387 ; Haute-Garonne : 97 150 ; Nord : 307 844 ; Pas-de-Calais : 172 186 ; Rhône : 109 277 ; Seine : 433 151 et Tarn 77 508 suffrages exprimés.

96 Le POF n’est pas représenté en Haute-Garonne.

97 Les radicaux-socialistes sont absents du Pas-de-Calais.

98 Voir Mayeur J.-M., Les débuts de la troisième République 1871-1898, op. cit., p. 209-210. Les chiffres d’élus socialistes sont très variables : J. Bourdeau donne le chiffre de 32 élus ; in « Revue du mouvement socialiste », Revue politique et parlementaire, juin 1902, op. cit., p. 594 ; et André Daniel en compte 49 : L’Année politique 1893, op. cit., p. 217.

99 Sans compter Légitimus puisque nous ne prenons pas en compte les circonscriptions d'Outre-mer.

100 Pierre Vaux est membre du POF à cette date même s’il est soutenu lors du scrutin par la fédération allemaniste. Il est exclu du POF en août 1894.

101 Le cas de Vigné d’Octon est délicat dans la mesure où l’ensemble de sa carrière tendrait à la placer parmi les socialistes indépendants voir parmi les radicaux-socialistes. Nous avons maintenu son étiquette de « POF » puisque sa campagne de 1893 se fait sous cette étiquette, même si après son élection, nous le retrouvons plus fréquemment auprès des radicaux-socialistes et des indépendants.

102 Les résultats fournis par La Petite République des 5 et 6 septembre ne sont pas exempts d’erreurs – Delcluze est par exemple considéré comme élu chez les socialistes – et surtout ne sont pas forcément rigoureux quant aux appartenances : le radical-socialiste René Goblet est ainsi présenté comme socialiste de même que les révisionnistes Laporte, Chandioux – élus dans la Nièvre – et Le Senne – élu dans la 1re circonscription du xviie arrondissement. À l’inverse, le socialiste indépendant, Paschal Grousset est compté parmi les radicaux !

103 « La nouvelle Chambre – Statistiques générales », ibid., 6 septembre 1893, p. 1.

104 La Petite République donne 309 élus auxquels nous avons retiré les 4 élus de l’Algérie. Ce chiffre correspond à ce que Jean-Marie Mayeur écrit – « Les républicains de gouvernement étaient plus de trois cents… » – in Les débuts de la troisième République 1871-1898, op. cit., p. 210.

105 André Daniel donne une répartition similaire. Sur 575 élus, il dénombre 49 socialistes, 122 radicaux (et radicaux-socialistes), 311 républicains de gouvernement, 58 élus pour la Droite et 35 ralliés. Les différences constatées pour les socialistes et les radicaux tiennent à la difficulté de trouver une frontière stable entre socialistes indépendants et radicaux-socialistes. Daniel A., L’Année politique 1893, op. cit., p. 281.

106 Le total des élus nationaux pris en compte est 574. Il comprend donc 9 des 16 élus coloniaux.

107 Toujours considéré comme socialiste par La Petite République au cours de la campagne électorale.

108 Viviani (1re circonscription du ve arrondissement), Millerand (1re circonscription du xiie arrondissement), Paschal Grousset (2e circonscription du xiie arrondissement), Hovelacque (1re circonscription du xiiie arrondissement), Clovis Hugues (1re circonscription du xixe arrondissement), Sembat (1re circonscription du xviiie arrondissement), Rouanet (2e circonscription du xixe arrondissement) et Goussot (1re circonscription de Saint-Denis). Bien qu’adhérent à la Ligue des patriotes en 1889, Goussot ne rompt définitivement avec les socialistes qu’après les élections municipales de 1896. Il figure dans la liste des députés socialistes de la Seine fournie par La Petite République française du 5 septembre 1893.

109 Notons qu’il était envisageable d’ajouter Michelin et Chassaing (Paris) parmi les élus socialistes indépendants encore que leurs adhésions ne soient pas certaines à cette date.

110 Braud (Rochefort), Maret (Sancerre), Beauquier (Besançon), Salis (Besançon), Mesureur (IIe arrondissement de Paris) et Merlou (Yonne).

111 Il s’agit de Sauvanet (Montpellier), Pierre Vaux (Dijon), Jourde (Bordeaux), Vigné d’Octon (Lodève), Charpentier (Saint-Étienne), Delcluze (Boulogne), Couturier (Rhône) et René Chauvin qui sauve l’honneur du POF dans la Seine (Saint-Denis).

112 C. Thivrier (Montluçon) et E. Baudin (Bourges). À Villefranche, Lachize est battu par un candidat rallié suite à une triangulaire.

113 E. Chauvière dans le xve arrondissement, Ed. Vaillant dans le xxe arrondissement et A. Walter à Saint-Denis.

114 Victor Dejeante (xxe arrondissement), Arthur Groussier (xe arrondissement), Faberot (xie arrondissement), Toussaint (xxe arrondissement), Coutant (Sceaux) et Avez (Saint-Denis).

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