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Espaces de pouvoir, espaces d’autonomie en Allemagne

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Hélène Miard-Delacroix
, 
Guillaume Garner
, 
Béatrice von Hirschhausen

Les territoires d'identification

Dedans, dehors espace et identité de l’exclave dans le Saint-Empire après la paix de Westphalie

Christophe Duhamelle

Texte intégral

  • 1 Schnettger Matthias, « Le Saint-Empire et ses périphéries : l’exemple de l’Italie » in : Duhamelle (...)
  • 2 À vrai dire, la distinction entre les différents types de frontières est malaisée et les comporteme (...)

1Une exclave est un « bout » de pays totalement séparé de la partie principale. Il faut donc, en partant du centre, traverser une ou plusieurs autres entités politiques pour se rendre dans l’exclave. Celle-ci correspond par conséquent à autre chose qu’une « enclave » – un mot plus familier désignant une portion d’espace entièrement entourée d’un autre territoire auquel elle n’appartient pas. Une enclave n’est pas forcément une exclave, et réciproquement. Dans l’Europe actuelle, par exemple, la République de Saint-Marin est une enclave en Italie, mais ne dépend d’aucun autre pays. En revanche, la région de Kaliningrad (ex-Königsberg) est une exclave russe, mais n’est pas une enclave puisqu’elle jouxte à la fois la Pologne, la Lituanie et la mer Baltique. Il sera ici question des exclaves à l’intérieur du Saint-Empire. Cela exclut celles du Saint-Empire lui-même, étudiées par exemple par Matthias Schnettger en Italie1, sauf si elles se trouvent être en même temps des portions détachées d’un territoire de l’Empire, comme Montbéliard, exclave du Wurtemberg et de l’Empire2. Nous nous intéresserons donc aux petits morceaux de Prusse, de Saxe ou d’une autre principauté qui ne sont pas reliés directement au morceau principal.

  • 3 Llivia, exclave espagnole en France ; Campione d’Italia entre Italie et Suisse ; Büsingen entre All (...)
  • 4 Seuls les condominats, régions partagées entre plusieurs territoires, n’ont pas été représentés com (...)
  • 5 Les princes-électeurs, au nombre de sept au XVIe siècle, puis de huit avec l’adjonction de la Baviè (...)

2Cet intérêt peut paraître curieux, guidé par une sorte de souci d’entomologiste territorial cherchant la mutation rarissime. Après tout, il ne reste en Europe occidentale, aujourd’hui, que quatre exclaves d’une nation dans une autre3. Mais dans le Saint-Empire moderne, au contraire, ce phénomène n’est pas une denrée rare. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer les trois cartes présentées aux pages suivantes, réalisées (ainsi que celles que l’on verra ensuite) selon deux principes : la précision la plus grande possible, grâce à la consultation d’atlas historiques régionaux4 ; mais, ensuite, la réduction à une « silhouette », sans noms, sans échelle, sans repères géographiques tels que rivières ou villes, sans indication des territoires voisins. C’est donc le contour territorial qui est ici mis en valeur. Ces trois images ressemblent peut-être à un test psychologique bien connu, ou évoquent quelque improbable Polynésie germanique. Il s’agit pourtant de trois électorats (les plus éminentes des principautés du Saint-Empire5) ; l’un d’eux est même le premier en dignité, un autre est le plus puissant d’entre tous. Nous voyons, dans l’ordre, l’archevêché-Électorat de Mayence, la partie occidentale de l’agrégat de territoires qu’on prend alors l’habitude d’appeler la monarchie prussienne et enfin le Palatinat électoral. Dans tous les cas, la silhouette est morcelée, dentelée et multiplie comme à plaisir les bizarreries frontalières.

L’électorat de Mayence après 1648

L’électorat de Mayence après 1648

La monarchie prussienne à l’ouest de l’Oder (1791)

La monarchie prussienne à l’ouest de l’Oder (1791)

Le Palatinat électoral (1789)

Le Palatinat électoral (1789)

3Au regard du thème auquel est consacré le présent volume – espaces de pouvoir, espaces d’identification –, cette omniprésence de l’exclave n’est pas anodine. Elle signale une structure de l’espace et du pouvoir qui distingue l’aire germanique à la fin de l’époque moderne. Pourtant, le phénomène n’a pas vraiment retenu l’attention des historiens. On ne manque certes pas de monographies savantes d’histoire régionale (Landesgeschichte) sur la genèse et le statut juridique de telle ou telle exclave. Mais beaucoup de questions restent en bonne partie sans réponse et l’on devra ici, souvent, se contenter de les poser plutôt que les résoudre : comment transmettait-on des ordres ou des indications administratives à une exclave ? Que signifiaient les notions de douanes, ou même de frontières territoriales dans ces conditions ? L’habitant d’une exclave se sentait-il l’élément d’un ensemble plus vaste, et duquel ?

4Nous verrons tout d’abord ce que la fragmentation géographique nous apprend sur la notion même de territoire dans le Saint-Empire moderne. Nous nous pencherons ensuite sur la perception de l’exclave par ses habitants. Enfin, il sera question de la disqualification de ce type de complexité territoriale à la fin de la période.

1. Exclave et territoire

5L’omniprésence de l’exclave confirme tout d’abord que l’État territorial allemand de l’époque moderne ne doit pas être mesuré à l’aune « absolutiste » (quelles que soient par ailleurs les remises en cause que suscite ce terme depuis quelques années) dont la France a fourni le modèle. La multiplication des Versailles en réduction, ou la mise en place de quelques armées permanentes, ne peuvent masquer une réalité encore bien vivace à la fin du XVIIIe siècle : l’état territorial allemand a toujours beaucoup à voir avec un patrimoine, il reflète une logique seigneuriale davantage que territoriale, et il fonctionne dans le cadre d’une vaste république aristocratique, le Saint-Empire.

Partage, héritage, juridiction

  • 6 Ackermann Jürgen, Verschuldung, Reichsdebitverwaltung, Mediatisierung. Eine Studie zu den Finanzpro (...)

6Un patrimoine, tout d’abord : de nombreuses exclaves doivent leur existence au mode de transmission des biens dans les grandes maisons aristocratiques allemandes. Longtemps, en effet, une égalité de traitement entre tous les héritiers a prévalu. Il fallait donc partager les principautés. On veillait alors à une répartition équilibrée des revenus et de leurs sources, ainsi qu’à un exercice des juridictions qui ne lèse aucun des ayants-droits et qui se fasse en partie en commun. La continuité territoriale, en revanche, n’entrait pas en ligne de compte dans ces partages. Cela ne valait pas seulement pour les grandes principautés ; même lors du partage en quatre du minuscule comté d’Empire d’Ysenburg en 1684-1687, par exemple, huit exclaves apparurent6. La carte ci-dessus illustre cette transcription spatiale de principes successoraux n’obéissant pas à une conception territoriale : le partage du Holstein en 1544 parvient à créer, sur un ensemble assez restreint et relativement homogène au départ, pas moins de 17 exclaves.

Holstein : partage de 1544

Holstein : partage de 1544
  • 7 Herz Hans, « Zu einigen Problemen der Landesteilungen in Thüringen vom 16. bis zum Beginn des 19. J (...)
  • 8 Schwarzmaier Hansmartin, « „Von der fürsten tailung“. Die Entstehung der Unteilbarkeit fürstlicher (...)

7Ces divisions successorales s’effectuent, en Allemagne, jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Certains des paysages politiques les plus embrouillés de l’Empire, comme la Thuringe ou l’actuelle Rhénanie-Palatinat, en sont directement issus, d’autant qu’à ces partages s’ajoutent ensuite les héritages d’une lignée vers l’autre. L’extinction d’une dynastie suscite des effets comparables. Souvent prévisible de longue date, elle éveille en effet parmi les autres familles princières des convoitises arbitrées généralement par l’Empereur selon des répartitions sur lesquelles l’équilibre impérial et de complexes contreparties politiques pèsent bien davantage que le principe de continuité territoriale. À la disparition des comtes de Henneberg en 1583, par exemple, leur territoire thuringien est dépecé entre leurs puissants voisins, de telle sorte que sont créées pour longtemps une exclave de Hesse-Cassel (la seigneurie de Schmalkalde) et une exclave de la Saxe électorale (le pays de Suhl)7. L’instauration très lente de la primogéniture ne change pas fondamentalement les données du problème, puisqu’elle fige les éclatements précédents8.

  • 9 Zaisberger Friederike, « „Das Land und Erzstift Salzburg“. Ein Beitrag zur Entstehung des Landes un (...)

8Ce caractère patrimonial des principautés va de pair avec leur nature principalement juridictionnelle. Ce qui compte encore, c’est le maillage complexe des droits de juridiction dont relève tel village ou telle institution. Ces droits, issus d’une longue chaîne de délégations féodales, d’échanges, d’héritage, d’achats et de mises en gage, ne sont pas toujours réunis dans la même main. Ils sont en outre extrêmement contraignants, puisque l’ancienneté prime en ce domaine et que le droit d’Empire, celui qui règle les relations entre princes ou villes libres (ceux qu’on appelle « immédiats » [unmittelbar] car ils relèvent directement de l’empereur), est un conservatoire pointilleux de ces situations acquises. La notion d’État territorial n’émerge que progressivement de cet agrégat de droits – la haute justice devenant le critère principal, mais encore contesté, de la « supériorité territoriale » (Landeshoheit), nourrie ensuite d’autres pouvoirs comme celui de la détermination confessionnelle ou celui, plus limité, de lever des impôts. Cette hiérarchie croissante des juridictions, dégageant la marge de manœuvre nécessaire à l’apparition du caractère étatique des immédiats, s’effectue cependant dans l’ordre juridique, mais pas encore dans l’ordre spatial. Jusqu’à la disparition du Saint-Empire en 1806 subsistent donc des manières d’exclaves juridictionnelles baroques et minuscules : les condamnés à mort du tribunal de Mattsee, situé dans le territoire de la principauté-archevêché de Salzbourg mais relevant de la Bavière, devaient être par exemple transportés par voie d’eau en terre bavaroise pour être exécutés et le duc de Bavière disposait d’une place « extraterritoriale » à Salzbourg même et dans le bourg de Straßwalchen pour y exercer certains droits économiques et juridictionnels – on y « extradait », en plein milieu de l’archevêché, les délinquants passibles des tribunaux du voisin bavarois9.

Omniprésence et faiblesse de la frontière

9Si le pullulement des exclaves est donc un symptôme du caractère patrimonial et juridictionnel conservé par l’État territorial dans le Saint-Empire, il entraîne à son tour des conséquences pour l’inscription de cet État dans l’espace ; il renforce en effet ses difficultés à transmettre et faire respecter ses prescriptions. On insistera ici sur une de ces conséquences : l’omniprésence de la frontière.

  • 10 Constat exprimé dernièrement par Gotthard Axel, « Vormoderne Lebensräume. Annäherungsversuch an die (...)

10La nature exacte et la pratique concrète de la frontière territoriale n’ont, pas plus que le phénomène de l’exclave, retenu pour elles-mêmes l’attention des historiens10. Il est pourtant peu d’endroits dans l’Empire où l’on vive à plus d’une journée de marche d’une limite territoriale. Les exclaves multiplient la longueur des frontières de manière considérable et contribuent à conférer à l’Empire ce caractère d’objet fractal qui, à la fois, illustre et relativise sa division en États territoriaux. L’illustre, puisque ces frontières transcrivent la diversité et l’autonomie des États ; la relativise, puisqu’elles diluent à toutes les échelles la cohérence et l’individualisation de chacun d’entre eux.

11C’est bien parce que la fragmentation se retrouve à toutes les échelles qu’il semble légitime d’employer l’adjectif « fractal ». Il suffit pour s’en convaincre de considérer la silhouette d’États territoriaux de tailles très différentes – ce sont les trois illustrations qui suivent. Nous avons déjà vu trois électorats. Regardons une principauté de taille plus modeste, le Palatinat-Deux-Ponts : l’image est tout aussi éclatée. Choisissons une échelle encore plus grande, pour aborder un des micro-États ecclésiastiques de Souabe, l’abbaye immédiate de Weingarten : même incohérence territoriale. Passons enfin à la petite ville d’Empire de Nördlingen et à son plat-pays. La continuité territoriale n’est pas mieux assurée.

  • 11 Störmer Wilhelm, « Territoriale Landesherrschaft und absolutistisches Staatsprogramm. Zur Mikrostru (...)

12On comprend mieux, dès lors, qu’un des grands juristes de la fin du XVIIIe siècle, Justus Möser, ait pu écrire que chaque territoire « n’est que frontière »11. Tout ce que l’on sait sur les douanes, sur la surveillance des frontières, sur les cordons sanitaires etc. (c’est-à-dire peu de choses) doit être mesuré à cette aune et c’est en fait la notion même de frontière territoriale dans l’Empire qui demande à être interrogée. L’imaginer un tant soit peu étanche, ce serait étouffer toute idée de mouvement, mais aussi toute possibilité de maintenir et gouverner des territoires dont les éléments sont séparés les uns des autres par d’innombrables frontières.

Palatinat-Deux-Ponts (1793)

Palatinat-Deux-Ponts (1793)

Abbaye immédiate de Weingarten

Abbaye immédiate de Weingarten

Ville d’Empire de Nördlingen

Ville d’Empire de Nördlingen

13En fait, ces caractéristiques spatiales de l’État territorial allemand imposent de ne les aborder qu’en relation avec une autre échelle : celle de l’espace impérial.

Espace territorial et unité impériale

  • 12 Conseil impérial aulique et Tribunal de la chambre impériale (Reichshofrat et Reichskammergericht).
  • 13 Eckhardt Albrecht, « Hoheits- und Grenzauseinandersetzungen in Reichskammergerichtsprozessen im Zei (...)
  • 14 La lutte contre les médiatisations [Mediatisierungen] (soumission d’un territoire par un autre) res (...)
  • 15 Müller-Ueltzhöffer Bettina, Der 500jährige Rechtsstreit des Klosters Neresheim um die Erlangung der (...)
  • 16 Herz H., « Problemen », op. cit., p. 154.

14Le lien entre la mosaïque territoriale et le ciment impérial est double. D’une part, l’Empereur et les grandes institutions de l’Empire – la Diète (Reichstag) et deux tribunaux12 – pérennisent la fragmentation des territoires, et donc le grand nombre d’exclaves. Même dans le nord, moins morcelé et plus éloigné des institutions d’Empire, le comté d’Oldenbourg par exemple est impliqué dans 80 procès pour conflits frontaliers entre 1525 et 1625 devant le tribunal de la Chambre Impériale. Bien qu’il parvienne au terme d’un procès séculaire (1548-1683) à s’incorporer une exclave de Münster sur son flanc oriental (Delmenhorst), le comté n’a cependant pas la possibilité d’arrondir et lisser à sa guise ses frontières13 – ce qui est encore plus vrai, et plus longtemps, des princes du Sud morcelé. En effet, jouant les territoires les uns contre les autres, l’Empereur n’est certes plus en mesure d’imposer un pouvoir de style monarchique, mais il peut encore limiter la puissance des princes et empêcher le plus souvent que les territoires majeurs, annexant les plus petits, réunissent leurs exclaves en un espace homogène14. À cet égard, la liste des abbayes souabes qui ont obtenu leur immédiateté (leur reconnaissance comme principautés autonomes de l’Empire), compliquant encore la dentelle territoriale des dynastes voisins, est particulièrement révélatrice (Ottobeuren en 1624, Kaisheim en 1656, Zwiefalten en 1751, Neresheim en 1764) : le droit d’Empire et ses organes contribuent davantage, jusqu’en plein XVIIIe siècle, à accroître le morcellement territorial qu’à le réduire et refusent de considérer que la situation d’un lieu dans un territoire suffise à prouver qu’il fasse partie de ce territoire15. C’est enfin la puissance impériale qui, par le biais de commissaires, surveille et sanctionne l’équité des partages successoraux et facilite ainsi la fragmentation territoriale16.

  • 17 Buschmann Arno (éd.), Kaiser und Reich. Verfassungsgeschichte des Heiligen Römischen Reiches Deutsc (...)
  • 18 Wunder Bernd, « Der Kaiser, die Reichskreise und der Chausseebau im 18. Jahrhundert » in : Zeitschr (...)

15D’autre part, cependant, l’unité impériale permet aux territoires de continuer à exister, en dépit de leur éparpillement, puisqu’elle offre les cadres d’un travail en commun et d’une circulation aisée. Entre le centre et les exclaves comme entre tous les territoires de l’Empire, une certaine liberté de mouvement et de commerce est garantie, en particulier par l’article IX de la paix d’Osnabruck (1648)17. Les grandes foires comme celles de Francfort ou de Leipzig, qui continuent davantage qu’ailleurs en Europe à structurer le grand commerce, reposent ainsi sur des privilèges impériaux assurant aux marchands des déplacements sans entraves, ou presque. De même, les routes qui au XVIIIe siècle, sur le modèle de la chaussée française, facilitent les transports et donc la communication entre une capitale princière et ses exclaves, se développent d’abord, et le plus fortement, non dans les grands États territoriaux de l’Est, mais dans le Sud-Ouest extrêmement morcelé18. Elles sont en effet initiées et mises en travaux par les Cercles d’Empire, ces sortes de fédérations régionales mises en place au début du XVIe siècle et qui, dans certains domaines, suppléent à la multiplicité des états immédiats ainsi qu’à leur morcellement. Aucun n’aurait les moyens de construire les routes permettant de relier, à travers de nombreuses frontières, ses différents morceaux ; mais, à eux tous, ils peuvent y parvenir.

  • 19 Hohkamp Michaela, Herrschaft in der Herrschaft. Die vorderösterreichische Obervogtei Triberg von 17 (...)

16Un exemple nous retiendra plus particulièrement : celui de la poste impériale. Cette institution d’Empire, mise en place au XVIe siècle, parvient progressivement à établir un réseau dense et performant couvrant la plus grande partie de l’Empire. Au XVIIIe siècle, son efficacité est telle qu’elle fait reculer la concurrence des postes créées par quelques États territoriaux ; elle met également en place un système de coches qui constitue une première révolution dans le transport des personnes. Le développement de la poste permet de mieux répondre à une des questions soulevées par le grand nombre d’exclaves, celle de la communication entre le centre et les périphéries. Ce problème est réel : en période de guerre ou d’épidémie, les échanges sont souvent coupés durant de longs mois entre les différentes parcelles d’un territoire. Mais même en temps normal, le mode de transmission des informations et des décisions paraît bien fragile. Dans l’exclave autrichienne de Triberg, en Forêt-Noire, toute la communication administrative est ainsi assurée en 1791 encore par un seul porteur à pied, dont la sacoche trop étroite laisse souvent échapper en chemin les documents les plus importants19. Mais ce messager n’allait tout de même pas chercher ses documents en Autriche : il se rendait à la station la plus proche de la poste impériale.

  • 20 Cette carte est reproduite en fac-similé dans Behringer W., Im Zeichen…, op. cit., p. 786-819.

17Celle-ci était en effet propre à assurer la communication interne aux territoires. Confessionnellement neutre, l’institution postale se place au-dessus de toutes les principautés puisqu’elle constitue un fief d’Empire confié aux Thurn und Taxis. L’établissement des lignes régulières répond à des besoins à la fois infra-territoriaux (à l’échelle des composantes d’un territoire) et supra-territoriaux (à l’échelle impériale). Nous avons ainsi essayé de croiser la carte de l’électorat de Mayence avec celle des routes de postes en 176420 et de suivre étape par étape quelques-uns des chemins que pouvait prendre un courrier administratif. Le résultat est éloquent : la poste impériale, échappant aux contraintes des frontières territoriales, permettait de relier aisément Mayence, via Francfort, à de nombreuses exclaves mayençaises telles qu’Amöneburg, Fritzlar, l’Eichsfeld et Erfurt, sans que le courrier n’ait à sortir de ce « couloir » impérial pour toucher les territoires des princes voisins.

L’électorat de Mayence et la carte des postes impériales de 1764

L’électorat de Mayence et la carte des postes impériales de 1764

18L’exclave, comme la frontière, est donc un bon révélateur pour appréhender, à partir des caractéristiques spatiales, la nature de l’État territorial dans le Saint-Empire de la fin de l’époque moderne. Cet État relève en partie du patrimoine aristocratique, et non d’une souveraineté abstraite identifiée à un territoire homogène. Il doit être envisagé à plusieurs échelles, du très local – l’enchevêtrement des frontières –, au très général – le droit et les institutions d’Empire. On ne saurait donc le réduire, comme c’est trop souvent le cas, à une seule dimension, celle du pouvoir spécifiquement territorial vu comme une espèce particulière d’un genre plus général, celui de l’État pré-moderne européen.

19Prendre en compte la spécificité fractale de l’état territorial allemand incite en outre à s’interroger de plus près sur les espaces d’identification. Retrouve-t-on en ce domaine la même complexité, le même jeu d’échelles ? La gamme qui va du très local au général et qui s’avère indispensable pour comprendre les cartes politiques est-elle également présente dans les « cartes d’identité » des usages sociaux de l’espace ?

2. Exclave et identité

  • 21 Gotthard A., « Lebensräume », op. cit..
  • 22 Ullmann Sabine, « Landesherr und Kaiser im Spiegel eines Zeugenverhörs des Reichshofrats aus den Ja (...)

20Les rares travaux étudiant comment se situaient, spatialement et politiquement, les habitants de l’Empire, semblent confirmer la multiplicité des niveaux de référence, le très local étant certes privilégié, le territorial parfaitement connu, le régional (Franconie, Souabe etc.) n’étant pas négligé et l’impérial resurgissant selon les circonstances. C’est le cas pour les voyageurs dont Axel Gotthard a lu les récits21, ainsi que pour les paysans que l’on interroge, comme témoins, au cours des procès visant à préciser la délimitation entre plusieurs territoires. L’un d’eux eut lieu par exemple à la fin du XVIe siècle à propos des villages que se disputaient la ville de Nördlingen et les comtes d’Öttingen – autant de micro-exclaves dont nous avons déjà vu la silhouette. Ces paysans connaissent avant tout celui qui leur demande de l’argent, aussi celui qui est maître du gibet ; ils sont moins affirmatifs quand il s’agit de dire qui est leur « seigneur territorial » (Landesherr), notion plus abstraite – il est vrai que nous sommes encore au XVIe siècle, et en Souabe, région morcelée s’il en est. L’un d’eux répond même : « on ne saurait dire qui est le seigneur territorial à Pflaumloch » [„man wisse in Pflaumloch von keinem Landesherrn zu sagen“]. Et quelques autres n’hésitent pas à proclamer que leur maître est « Sa Majesté Impériale »22.

21Tout cela ne permet pas de dire clairement de quoi précisément les résidents d’une exclave se sentent les habitants. Deux éléments sont cependant à retenir. D’une part, la multiplicité des réponses confirme que l’exclave est un lieu où s’exprime pleinement le jeu d’échelles qui caractérise l’espace impérial. D’autre part, la circonstance même de l’interrogatoire montre le rôle important reconnu aux communautés locales dans la définition de l’espace et du pouvoir. Poursuivons sur cette voie à partir de trois indices : les diètes territoriales ; le rôle des communes ; le facteur confessionnel.

Exclaves et diètes territoriales

22Le droit impérial protège les diètes territoriales, ces assemblées généralement dominées par la noblesse qui exercent d’importantes fonctions financières. Rares sont les princes qui parviennent, du moins partiellement, à s’en passer. L’électeur de Brandebourg, roi en Prusse après 1701, en fait partie – tout au moins pour le Brandebourg et la Prusse.

  • 23 Eimers Enno, « Das Ständewesen in Ostfriesland » in : Baumgart Peter (dir.), Ständetum und Staatsbi (...)
  • 24 L’indigénat en Clèves et Mark est même particulièrement strict, puisqu’il exclut tout étranger, tan (...)
  • 25 Même si les libertés, au sens ancien, de ces exclaves sont tout de même progressivement réduites fa (...)
  • 26 Jany Curt, « Die Kantonverfassung des altpreußischen Heeres » in : Büsch Otto, Neugebauer Wolfgang (...)

23Lorsqu’en revanche Frédéric II de Prusse, au moment de la réunion à sa Couronne en 1744 d’une nouvelle exclave, la Frise, est confronté aux exigences de la diète frisonne, il règle le problème dans une note marginale d’une grande simplicité : « vous n’avez qu’à leur accorder tout »23. Il suit en cela l’exemple déjà donné par deux grandes exclaves rhénanes, la Mark et Clèves, où non seulement les diètes territoriales conservent un pouvoir important, mais où en outre les noblesses locales ont obtenu en 1649 le droit d’indigénat, c’est-à-dire un accès exclusif à une grande partie des charges administratives24. L’exclave revêt alors un statut similaire à celui d’un véritable territoire autonome qui serait en « union personnelle » avec le centre – et, avec tout de même des restrictions croissantes, c’est bien le sentiment qui prédomine par exemple dans les nombreuses exclaves de la monarchie prussienne25. Certes, les diètes de ces régions périphériques sont écartées des décisions centrales ; mais, sur place, elles assurent une autonomie et un quant-à-soi du petit territoire qui parvient même parfois, comme Krefeld en 1736, à acheter son exemption du système de recrutement militaire par cantons26.

  • 27 Press Volker, « Absolutismus, Regionalismus und Ständetum im Heiligen Römischen Reich » in : Babel (...)
  • 28 Carl Horst, « „Ein rechtes anomalum“ – die umstrittene reichsrechtliche Stellung Mömpelgards » in : (...)

24Cette vigueur des diètes territoriales dans les exclaves semble assez générale27. À tel point que, parfois, l’exclave prend – ou conserve – un rang de second territoire, en union personnelle avec le premier, d’autant qu’il peut à l’occasion servir de secundogéniture pour une branche cadette. C’est par exemple le cas de Montbéliard, fief impérial atypique et refuge régulier pour une branche de la famille de Wurtemberg. Cette évolution n’a d’ailleurs pas que des inconvénients pour les dynasties princières : les ducs de Wurtemberg, à la Diète impériale de 1559, obtiennent que leurs envoyés votent deux fois, la première au titre du Wurtemberg, la seconde à celui de la principauté de Montbéliard. La Paix de Westphalie, en 1648, institutionnalise le procédé et permet aux princes bénéficiant des sécularisations de territoires ecclésiastiques de reprendre à la Diète les voix de ces territoires et donc d’y exercer une influence accrue28. Cette victoire, à la Diète, du principe territorial sur le principe personnel ne s’effectue donc pas au détriment de l’autonomie des exclaves, mais à son profit.

25L’examen des diètes territoriales montre par conséquent que les exclaves ne sont pas seulement une rupture de continuité spatiale des territoires, mais aussi un fractionnement politique ressenti, revendiqué et défendu par les élites, en particulier nobiliaires, de chacune de leurs composantes.

Exclaves et autonomie communale

26Encore s’agit-il là des exclaves les plus importantes, presque des principautés par elles-mêmes. Les silhouettes que nous avons regardées montrent bien souvent des poussières territoriales beaucoup plus menues, au sujet desquelles les informations sont elles aussi fragmentaires. Ou plutôt : ce qu’on sait des communes rurales dans les régions très morcelées de l’Empire est rarement relié à leur statut d’exclave, ou de village-frontière. Aussi bien l’étaient-elles fréquemment : les confins des terroirs, dans l’Empire du XVIIIe siècle, coïncident avec une frontière de principauté dans un nombre non négligeable de cas. Dans ces conditions, le cadre de référence politique est à la fois local, concret et territorial. La proximité de l’étranger si peu étrange qu’est le territoire voisin offre la possibilité de fuir (bien peu, et fort près) ou de recourir aux services de l’autre si l’autorité du lieu est trop exigeante ou si elle répond mal aux demandes de la population. En même temps, l’éloignement du centre politique et surtout l’isolement spatial favorisent une grande autonomie locale.

  • 29 Grube Walter, Vogteien, Ämter, Landkreise in Baden-Württemberg, vol. I : Geschichtliche Grundlagen, (...)
  • 30 Luebke David, « Naïve monarchism and Marian veneration in Early Modern Germany » in : Past and Pres (...)
  • 31 Voir, entre autres, Press Volker, « Herrschaft, Landschaft und „Gemeiner Mann“ » in Oberdeutschland (...)
  • 32 Réduction qui s’inscrit dans un contexte plus général bien présenté par Rath Jochen, « Fürstliche A (...)
  • 33 Schadek Hans, « „Der Statt Freyburg zugehörige Fleckhen und Dörffer“. Das Territorium der Stadt bis (...)

27Tout cela ne signifie cependant pas que règne une sorte d’anomie territoriale. Ainsi, les paysans du comté de Hauenstein, en Forêt-Noire, une exclave des Habsbourg, disposent d’un degré très élevé d’autonomie organisée : l’essentiel de l’administration et de la justice passe par des Einungsmeister élus chaque année par tous les hommes mariés des villages constituant le comté29. Lorsque le seigneur local, cependant, cherche à accroître son emprise sur les paysans, ceux-ci ne cessent (à douze reprises entre 1700 et 1750) d’envoyer vers l’Empereur, qui est aussi leur prince territorial, des délégations très ritualisées, dont le but est la défense des libertés paysannes, mais aussi le contournement des autorités intermédiaires installées sur place – les paysans réclament en effet, pratiquement, leur immédiateté d’Empire30. Le jeu d’échelles, encore une fois, s’exprime pleinement dans la culture politique des exclaves rurales ; il joue en faveur d’une revendication d’autogestion communale dont de nombreuses études ont relevé la prégnance dans les régions de l’Empire les plus morcelées31. Il faut cependant là encore introduire des nuances. La prétention à une forte autonomie peut en effet être également le fait de villes qui se veulent princesses dans leur exclave, y compris à l’endroit de leur plat-pays. Le cas d’Erfurt, que l’électeur de Mayence dut réduire à l’obéissance par les armes en 166432, est le mieux connu. Celui de Fribourg-en-Brisgau est tout aussi probant. Cette forteresse avancée des Habsbourg se considérait comme la véritable maîtresse de ses environs. En ce cas, donc, l’autonomie des communes rurales était restreinte par leur situation dans une exclave33.

L’exemple confessionnel

28Le troisième indice relève du confessionnel. La division entre catholiques et protestants, figée par la Paix de Westphalie en son état de 1624, s’approfondit en deux systèmes culturels. La démarcation entre eux se superpose (avec des raffinements supplémentaires) aux frontières territoriales et comprend elle aussi de nombreuses exclaves.

29La représentation spatiale que l’on se fait habituellement de cette division – un Nord-Est protestant, un Sud-Ouest catholique – ne vaut donc que pour ses grandes lignes. Dans le détail, c’est à travers la vicinité que s’éprouve la différence religieuse. La frontière confessionnelle n’est pas simplement la transcription spatiale d’un cadre juridique général, celui qui fixe, depuis la Paix d’Augsbourg de 1555 et la Paix de Westphalie de 1648, la coexistence des religions à l’échelle de l’Empire ainsi que leur exclusivisme à l’échelle du territoire. Cette frontière est bien plutôt la matrice des identités confessionnelles qui se développent après cette date, c’est-à-dire des marqueurs de distinction, des zones d’indifférence, des moqueries, des concessions, des conflits qui rythment le quotidien ou l’exceptionnel inter-confessionnels.

  • 34 Lausser Helmut, « Die Wallfahrten des Landkreises Dillingen. Der Versuch einer Wallfahrtstypologie (...)
  • 35 Id., « De la confession imposée à l’identité confessionnelle. Le cas de l’Eichsfeld, XVIe-XVIIIe si (...)

30Dans ce domaine, les exclaves jouent un rôle particulier. Bastions isolés de chaque confession, elles en exacerbent souvent les signes, et leurs princes les renforcent dans ce rôle : de nombreux pèlerinages sont ainsi placés dans les fragments catholiques entourés de terres protestantes. Les princes de Palatinat-Neubourg par exemple confient au XVIIe siècle au monastère immédiat d’Empire saint Ulrich et sainte Afra d’Augsbourg l’ancien couvent d’Unterliezheim. Dans cette exclave qui jouxte les terres protestantes des comtes von Öttingen, le monastère crée un pèlerinage à saint Léonard34. C’est là également que les conflits, où se forgent certains aspects des identités confessionnelles, sont les plus fréquents. La confession contribue enfin à renforcer l’appartenance de l’exclave à l’ensemble territorial. Prenons l’exemple de l’Eichsfeld, exclave mayençaise et catholique en Thuringe protestante35. Plusieurs villages y font, au XVIIIe siècle, un pèlerinage à pied et en procession vers Walldürn, un grand sanctuaire qui se situe précisément dans une autre partie de l’électorat, beaucoup plus près de Mayence. À l’occasion d’une supplique, les habitants d’un de ces villages décrivent leur voyage comme celui d’une « armée chrétienne » [„wie eine Christliche Armee“] qui éprouve, par la traversée des frontières, l’unité territoriale et confessionnelle. De même, lorsqu’en 1680, et surtout en 1722, une « prière perpétuelle » fut instaurée, c’est-à-dire une sorte de relais des paroisses de tout l’électorat pour adorer le Saint-Sacrement, les habitants de l’Eichsfeld s’inscrivirent en masse dans les confréries créées à cet effet. À la fin du XVIIIe siècle, cette dévotion qui ancrait l’exclave dans l’espace et le temps de la principauté – l’Eichsfeld tenait le relais du 29 septembre au 3 décembre – était toujours aussi populaire. Au fil des suppliques rurales ou des dépositions que l’on rencontre dans les archives de l’Eichsfeld, les habitants désignent d’ailleurs assez souvent leur région, ou eux-mêmes, comme maynzisch (mayençais).

  • 36 Id., « „Die Kuh“ und „die rothe Mütze“ : Gemeinde, Pfarrer und Obrigkeit im Eichsfeld in der Zeit d (...)

31Dans le même temps, pourtant, l’exclave se signale par son indiscipline. De l’avis des autorités, on y côtoie les protestants d’un peu trop près. On y a même adopté certaines de leurs habitudes. Une enquête de 1777 révèle ainsi aux autorités mayençaises que les chants d’église en Eichsfeld sont presque tous en allemand, comme chez les voisins protestants. Disposant sur place d’une instance-relais en matière ecclésiastique, le commissariat épiscopal, l’Eichsfeld a pris en effet dans certains domaines une direction spécifique. Surtout, les paroissiens font parfois preuve à l’égard de leur curé et du commissaire d’une vigoureuse indépendance d’esprit, qui se manifeste en particulier dans leur opposition décidée envers les mesures de l’Aufklärung en matière de dévotion. Dans ce domaine, l’examen des conflits montre que les habitants savent jouer du jeu d’échelles, menaçant d’en appeler directement à l’archevêque, ou prétendant au contraire que les ordres du vicariat général de Mayence ne leur sont jamais parvenus – un jeu d’échelles qui impose en revanche un handicap aux autorités, empêtrées dans les courriers perdus ou les réponses en retard36.

  • 37 Dans le margraviat de Hochberg par exemple, les exclaves protestantes ont déplacé certaines fêtes p (...)
  • 38 François Étienne, Protestants et catholiques en Allemagne. Identités et pluralisme, Augsbourg, 1648 (...)
  • 39 Kommissariatsarchiv Heiligenstadt, Fach 271-2-II, 25.

32D’une manière plus générale les exclaves, tout à la fois dotées d’un arsenal plus aigu de distinction et de confrontation confessionnelles et singulièrement exposées à la nécessité de trouver des terrains d’entente et de neutralité avec les voisins tout autour, offrent souvent les meilleurs exemples des dispositifs discontinus – dans le temps et l’espace – d’exacerbation et d’indifférence qui caractérisent les identités confessionnelles dans un Empire pluriel37. Enfin, les migrations économiques et les déplacements des campagnes vers les villes constituent également un contrepoint à l’homogénéité confessionnelle des exclaves (au même titre, d’ailleurs, qu’ils nourrissent des minorités catholiques croissantes au sein des villes d’Empire représentant des îlots protestants en pays majoritairement catholique38). Toujours dans l’Eichsfeld, les autorités débattent pour savoir s’il convient de tolérer un office protestant dans la ville de Duderstadt. Un des arguments, très pragmatiques, avancés en faveur de cette option en 1780 par le gouvernement laïc de la région est qu’« il ne sera pas facile de récupérer des gens utiles en provenance des terres catholiques, si éloignées – ces gens ne connaîtront peut-être même pas le nom de notre province – tandis que les fabricants et professionnels qui sont presque en surplus dans les territoires protestants du voisinage seront dissuadés d’élire domicile dans la ville de Duderstadt par l’absence d’un office public »39.

33Revendications d’autonomie ; fort sentiment local ; mais aussi conscience des différents niveaux de référence, local, territorial, impérial, confessionnel ; et intrication accrue avec les « étrangers » voisins, relevant d’autres territoires et/ou d’autres confessions. Voici en définitive les éléments de réponse qui se dessinent à la question : l’exclave est-elle un espace d’identification ? Mais, au-delà des fragmentations de chaque État territorial, c’est encore une fois l’espace du Saint-Empire en général qui est ici en cause. L’exclave n’en est pas un défaut, mais un élément structurel. Elle illustre l’interaction entre plusieurs niveaux de référence spatiale qui constitue une composante spécifique, et déroutante, de l’histoire du Saint-Empire moderne.

3. La disqualification de l’exclave

  • 40 Voir par exemple Schmidt Heinrich Richard, « Sozialdisziplinierung ? Ein Plädoyer für das Ende des (...)
  • 41 Schmidt Georg, Geschichte des Alten Reiches. Staat und Nation in der Frühen Neuzeit 1495-1806, Muni (...)

34Privilégier un seul de ces niveaux constitue une démarche réductrice. Ces dernières années, la recherche historique a adopté ce travers dans toutes les directions possibles. Le niveau communal a été, et c’est heureux, mis en valeur – parfois à l’excès, puisqu’on a quelquefois l’impression que la confession et le pouvoir sourdent uniquement de négociations menées au village40, alors que la religion, dans l’immense majorité des cas, a été fixée par le prince, et qu’un gouffre sépare l’électeur de Brandebourg de l’abbé de Weingarten. Le niveau impérial, lui aussi, a été sorti de l’oubli par l’historiographie récente – mais dans ce domaine également on est parfois allé trop loin, en réattribuant à l’Empire, à la surprise générale, le prédicat d’État national41 ou en en faisant un peu vite l’ancêtre débonnaire du fédéralisme, voire de l’Union européenne. Le niveau territorial, de son côté, n’a pas encore perdu aux yeux d’autres historiens son rang d’objet historique uniquement digne d’être inscrit dans l’évolution qui concentre l’attention de toutes les téléologies : la modernisation [Modernisierung]. C’est cette tradition qui rend compte de la quasi-absence du phénomène de l’exclave dans la littérature historique et qui est héritière d’une disqualification progressive de l’exclave que nous analyserons désormais rapidement.

  • 42 Schyle Helmut, Freiburg i. Br. und seine Einwohner im 17. Jahrhundert, Fribourg, Ploetz, 1993.
  • 43 Dotzauer Winfried, Die deutschen Reichskreise (1383-1806). Geschichte und Aktenedition, Stuttgart, (...)
  • 44 Baumgart Peter, « Die Annexion und Eingliederung Schlesiens in den friderizianischen Staat » in : B (...)
  • 45 Christ Günter, « Selbstverständnis und Rolle der Domkapitel in den geistlichen Territorien des alte (...)

35Du point de vue des princes territoriaux et de leurs appareils administratifs, les exclaves présentaient certes quelques avantages. Stratégiques, tout d’abord : plusieurs, comme Fribourg-en-Brisgau pour les Habsbourg, souvent conquise, souvent reprise, à la démographie cahoteuse42, étaient autant de citadelles couvrant la route vers le cœur de l’ensemble territorial ; à l’inverse, la prise d’une exclave permettait de détenir un gage et une monnaie d’échange une fois venu le jour des négociations. Avantages politiques, ensuite : la Bavière et l’Autriche exercèrent par exemple continûment, par le biais de leurs exclaves, une influence dans le Cercle d’Empire de Souabe (même s’ils n’en étaient pas membres) et la récupération tardive des margraviats de Bayreuth et Ansbach permit aux Hohenzollern de reprendre pied dans leur Cercle d’origine, la Franconie43. Enfin, autant l’exclave – on l’a vu – revêtait en général un statut d’autonomie, presque « extérieur » au sein d’un ensemble pour lequel la désignation usuelle de « principauté territoriale » s’avère trompeuse en cela qu’elle suggère une continuité spatiale et institutionnelle très rarement réalisée, autant elle pouvait au contraire constituer parfois une « chasse gardée » très profitable au prince, une réserve de terres et de juridictions permettant aux puînés de la dynastie de tenir leur rang, ou encore des bastions de pouvoir pour l’oligarchie aristocratique dirigeante. La Silésie, bien que ne constituant pas à proprement parler une exclave de la monarchie prussienne après son annexion de fait en 1741, pourrait illustrer la première de ces options : Frédéric II en fit un domaine réservé, soumis à un ministre relevant directement de lui (et non du Generaldirektorium coiffant l’administration prussienne) et dont les revenus aboutissaient dans son trésor privé44. La seconde possibilité a été mise en œuvre par les Wurtemberg, les Wittelsbach ou les Wettin. La troisième, enfin, est par exemple saisie par les nobles chanoines du chapitre cathédral de Mayence qui, élisant l’archevêque-électeur, conquièrent un rôle de « co-régent » et s’arrogent le monopole d’un grand nombre de fonctions prestigieuses : celles des Statthalter (gouverneurs) à la tête des deux exclaves les plus importantes et les plus éloignées de l’électorat (Erfurt et l’Eichsfeld) sont attribuées à des chanoines de manière privilégiée après 1675, exclusive après 176345.

  • 46 Garner Guillaume, État, économie, territoire en Allemagne. L’espace dans le caméralisme et l’économ (...)
  • 47 Id., « La question douanière dans le discours économique en Allemagne (seconde moitié du XVIIIe siè (...)
  • 48 Opgenoorth E., Die rheinischen Gebiete…, op. cit., p. 40.

36Pour l’essentiel, cependant, l’exclave était considérée comme un inconvénient, à mesure surtout que la conception « territoriale » des états d’Empire s’imposait – la disqualification du morcellement repose en effet sur les obstacles bien réels que la fragmentation géographique opposait au développement du pouvoir princier. Aux yeux des caméralistes qui enseignaient aux serviteurs des princes la meilleure façon d’accroître la puissance de leur maître et la solvabilité de ses peuples, le territoire idéal était ainsi homogène, harmonieusement équilibré, doté d’une frontière rationnelle et contrôlable46. Rien à voir, donc, avec les silhouettes que nous avons vues. Ce sont ces silhouettes qui sont la réalité, mais c’est l’idéal des caméralistes qui a longtemps servi à la juger – même si, confrontés aux pesanteurs du morcellement territorial, certains d’entre eux comme Pfeiffer, qui avait servi entre autres l’archevêque-électeur de Mayence, en vinrent à proposer une politique douanière déplacée aux frontières de l’Empire, et non des principautés47. Il est vrai que le morcellement des territoires et l’omniprésence de la frontière, donc la facilité de la fraude et de la contrebande, découragent en définitive davantage la politique économique que l’économie elle-même. La monarchie prussienne doit renoncer, dans ses prospères exclaves occidentales, à faire jouer à l’accise le rôle d’incitation ou d’entrave aux activités économiques qu’elle exerce à l’est48.

  • 49 Malgré la répugnance croissante des plus grands États d’Empire après 1740, l’investiture impériale (...)
  • 50 La spécificité des usages politiques, économiques et sociaux de l’espace, dont l’étude manque cruel (...)

37Et quel prestige tirer d’un territoire en petits bouts ? L’homogénéisation spatiale, l’Arrondierung, fut ainsi très souvent recherchée par les princes opiniâtres, à coup d’achats, de gages, de mariages, d’investitures féodales49, mais très rarement de conquêtes, réprouvées par le droit d’Empire. Le bilan de tous ces efforts est cependant mitigé ; nos silhouettes, qui reflètent la situation à la fin de l’Ancien Régime, portent témoignage de la résistance des exclaves, protégées par la faiblesse des territoires et la pesanteur du système de l’Empire – il faut ici faire le parallèle avec le maintien des enclaves criblant certaines grandes principautés, par exemple les seigneuries de la chevalerie immédiate d’Empire qui font du Wurtemberg un gruyère territorial et une principauté à peu près sans noblesse médiate50.

  • 51 Press Volker, « Die badischen Markgrafen im Reich der frühen Neuzeit » in : Zeitschrift für die Ges (...)
  • 52 Stauber Reinhard, « Grenzen und Landeshoheit der Grafschaft Werdenfels in der frühen Neuzeit » in : (...)
  • 53 Fried Pankraz, « Die Landeshoheits- und Grenzverhältnisse zwischen dem alten Bayern und den schwäbi (...)
  • 54 Stauber R., « Grenzen und Landeshoheit… », op. cit., p. 182-183.
  • 55 Dörrer Fridolin, « Die „limitierte Landeshoheit“ der Bischöfe von Trient und Brixen in Beziehung zu (...)
  • 56 Press Volker, « Schwaben zwischen Bayern, Österreich und dem Reich 1486-1805 » in : Fried Pankraz ( (...)

38Enfin, au XVIIIe siècle, les accords amiables entre États territoriaux pour répartir avec davantage de clarté les juridictions et rendre les frontières plus linéaires se sont multipliés : indépendamment des rectifications de frontière avec la France, assez abondamment étudiées, le margraviat de Bade-Bade en conclut avec l’électorat du Palatinat en 1707 et avec le Palatinat-Deux-Ponts en 177551 ; un arrangement est signé entre la principauté-évêché de Freising et le Tyrol en 176652. Entre la Bavière et la principauté-évêché d’Augsbourg, la situation était si embrouillée qu’il fallut s’y prendre très tôt, et s’y reprendre à quatre reprises : après les accords de 1549, 1571 et 1669, c’est le traité de 1785 qui établit une frontière quasi linéaire, aux plans juridictionnel et territorial53. Mais ces accords de simplification, qui supposaient un relevé exact des droits et la détermination délicate d’un équilibre dans l’échange de terres et de prérogatives, se heurtaient en outre souvent à la résistance de populations craignant de perdre, dans l’affaire, avantages acquis et droits d’usage bien emmitouflés dans le dédale des délimitations et des ressorts ; un petit territoire ne pouvait se permettre de passer outre ces protestations, souvent assorties de la menace d’un pourvoi devant les tribunaux d’Empire. La convention péniblement conclue en 1721 entre le prince-évêque de Freising et le prince-abbé d’Ettal ne put ainsi être appliquée qu’en 1736, après qu’eurent été prises en considération les doléances de la commune de Garmisch54. On comprend, dans ces conditions, que les rectifications de frontières aient été limitées et incomplètes. Le traité d’échanges réciproques, conclu en 1777 et exécuté en 1779, qui devait simplifier la frontière entre le Tyrol et la principauté-évêché de Trente laissa ainsi subsister un nombre encore important d’exclaves55. On voit cependant s’opérer, à travers tous ces accords, une disqualification de l’exclave, devenue aux yeux des principaux princes de l’Empire comme une petite monnaie territoriale grâce à laquelle on espère solder un arrondissement du territoire central. Lors de la guerre de succession de Bavière, en 1777, l’Autriche prit bien encore en gage les exclaves bavaroises de Souabe ; mais, dans les négociations qui suivirent, l’Empereur Joseph II joua avec l’idée d’échanger toutes ses propres possessions en Souabe, c’est-à-dire cette « Autriche antérieure » si longtemps considérée comme essentielle pour l’influence des Habsbourg dans l’Empire56.

39Cette volonté constante d’arrondissement recueillit en définitive un succès fort limité – jusqu’à ce que vînt Napoléon et que s’écroulât l’Empire. Les principaux princes ne se contentèrent pas alors de réduire drastiquement, à leur profit, le nombre d’États territoriaux. Ils « lissèrent » les frontières partout où cela était possible et firent disparaître la plupart des exceptions à la continuité géographique.

40Le niveau territorial – dans la logique duquel les exclaves représentaient des obstacles, ce qui est beaucoup moins vrai du niveau impérial – l’emporta donc ; c’est par lui, via la Prusse, que se reconstitua plus tard l’unité. Les historiens s’employèrent ensuite à transformer cette victoire en nécessité, comme ils le firent au même moment, en France, pour le niveau étatique et national. Le point de vue idéal des hautes administrations territoriales sur les exclaves s’imposa : elles étaient autant de reliques du passé, d’anomalies spatiales, de limitations à la puissance ; d’ailleurs, elles n’existaient même pas : les atlas généraux laissent (il est vrai aussi pour des raisons techniques) tout ce qui est trop petit ou compliqué dans un blanc pudique. L’étude des exclaves fut reléguée dans les douces torpeurs de l’érudition locale.

4. Conclusion

41Ce que nous avons essayé de dire des exclaves évolue donc entre deux écueils. Le désintérêt d’abord envers un objet réputé répulsif, minoritaire car minuscule, et sans grande pertinence. Le sentiment ensuite qu’il faudrait, au nom d’on ne sait quel localisme un peu réactionnaire, « réhabiliter » les exclaves et l’Empire qui les abritait. Cette condamnation, ou cette emphase, sont à replacer dans la lignée des interactions et des antagonismes animant l’étagement complexe des structures spatiales de l’Empire. Car l’exclave, en définitive, est un symptôme parmi d’autres d’une spécificité de l’espace du Saint-Empire à l’époque moderne – non une « pesanteur spatiale » héritée qui agirait ensuite comme un facteur autonome, mais bien une spécificité de la structure institutionnelle et politique qui se transcrit en usages sociaux de l’espace. Que ces usages, en rejouant et en se modifiant, aient perduré par la suite dans un pays où Fritzlar ou bien l’Eichsfeld, anciennes exclaves de Mayence, ont un vote CDU incomparablement plus élevé que la région environnante, voilà ce que pourront peut-être dire les spécialistes des périodes postérieures.

Notes

1 Schnettger Matthias, « Le Saint-Empire et ses périphéries : l’exemple de l’Italie » in : Duhamelle Christophe (dir), Les espaces du Saint-Empire à l’époque moderne, Histoire Économie et Société, 2004, no 1, p. 7-23.

2 À vrai dire, la distinction entre les différents types de frontières est malaisée et les comportements des habitants des exclaves, mieux étudiés aux frontières de l’Empire, donnent des indications sur leurs manières de faire (beaucoup plus laissées dans l’ombre par la recherche) entre les territoires de l’Empire. Voir par exemple Ulbrich Claudia, « Grenze als Chance ? Bemerkungen zur Bedeutung der Reichsgrenze im Saar-Lor-Lux-Raum am Vorabend der Französischen Revolution » in : Pilgram Arno (dir.), Grenzöffnung, Migration, Kriminalität, Baden-Baden, Nomos, 1993, p. 139-146 ; Motsch Christoph, Grenzgesellschaft und frühmoderner Staat. Die Starostei Draheim zwischen Hinterpommern der Neumark und Großpolen (1575-1805), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2001 ; Scheffknecht Wolfgang, « Grenzlage, Identitätsbildung und Schmuggel in Spätmittelalter und früher Neuzeit : Der Reichshof Lustenau als Beispiel » in : Schriften des Vereins für Geschichte des Bodensees und seiner Umgebung, vol. 120, 2002, p. 161-202.

3 Llivia, exclave espagnole en France ; Campione d’Italia entre Italie et Suisse ; Büsingen entre Allemagne et Suisse ; Baarle entre Belgique et Hollande (Sahlins Peter, Frontières et identités nationales. La France et l’Espagne dans les Pyrénées depuis le XVIIe siècle (1989), trad., Paris, Belin, 1996, p. 320, n. 38).

4 Seuls les condominats, régions partagées entre plusieurs territoires, n’ont pas été représentés comme tels. Les différents atlas et ouvrages utilisés sont le Geschichtlicher Atlas der Rheinlande (atlas historique des pays rhénans publié par la société d’histoire rhénane (Gesellschaft für Rheinische Geschichtskunde)) qui paraît par livraisons depuis 1982 et se compose actuellement de plus de 80 cartes et d’une cinquantaine de livrets explicatifs ; le Pfalz-Atlas (Atlas du Palatinat) publié par la Société palatine pour la promotion des sciences (Pfälzische Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften) de 1963 à 1994 ; le Historischer Atlas von Baden-Württemberg qui est publié par livraisons depuis 1972 par la Kommission für Geschichtliche Landekunde in Baden-Württemberg et le Landesvermessungsamt Baden-Württemberg ; le Großer Historischer Weltatlas des éditions Bayerischer Schulbuchverlag dans sa quatrième édition de 1981 ; et enfin Schindling Anton, Ziegler Walter (dir.), Die Territorien des Reichs im Zeitalter der Reformation und Konfessionalisierung. Land und Konfession 1500-1650, 7 vol., Münster, Aschendorff, 1989-1997 qui fournit de nombreuses cartes malheureusement parfois simplifiées ou incomplètes.

5 Les princes-électeurs, au nombre de sept au XVIe siècle, puis de huit avec l’adjonction de la Bavière au début de la Guerre de Trente Ans et de neuf avec celle du Hanovre à la fin du XVIIe siècle, ont entre autres pour fonction d’élire l’Empereur. Gotthard Axel, Säulen des Reiches : Die Kurfürsten im frühneuzeitlichen Reichsverband, Husum, Matthiesen, 1999.

6 Ackermann Jürgen, Verschuldung, Reichsdebitverwaltung, Mediatisierung. Eine Studie zu den Finanzproblemen der mindermächtigen Stände im Alten Reich : Das Beispiel der Grafschaft Ysenburg-Büdingen, 1687-1806, Marbourg, Hessisches Landesamt für Geschichtliche Landeskunde, 2002, p. 12-21 et carte jointe.

7 Herz Hans, « Zu einigen Problemen der Landesteilungen in Thüringen vom 16. bis zum Beginn des 19. Jahrhunderts » in : Zeitschrift des Vereins für Thüringische Geschichte, vol. 46, 1992, p. 147-159, p. 149-150.

8 Schwarzmaier Hansmartin, « „Von der fürsten tailung“. Die Entstehung der Unteilbarkeit fürstlicher Territorien und die badischen Teilungen des 15. und 16. Jahrhunderts » in : Blätter für deutsche Landesgeschichte, vol. 126, 1990, p. 161-183 ; Klein Thomas, « Verpaßte Staatsbildung ? Die wettinischen Landesteilungen in Spätmittelalter und früher Neuzeit » in : Kunisch Johannes, Neuhaus Helmut (dir.), Der dynastische Fürstenstaat. Zur Bedeutung von Sukzessionsordnungen für die Entstehung des frühmodernen Staates, Berlin, Duncker & Humblot, 1982, p. 89-114.

9 Zaisberger Friederike, « „Das Land und Erzstift Salzburg“. Ein Beitrag zur Entstehung des Landes und seiner Grenzen » in : Riedenauer Erwin (dir.), Landeshoheit. Beiträge zur Entstehung, Ausformung und Typologie eines Verfassungselements des römisch-deutschen Reiches, Munich, Kommission für Bayerische Landesgeschichte, 1994, p. 213-235, p. 231.

10 Constat exprimé dernièrement par Gotthard Axel, « Vormoderne Lebensräume. Annäherungsversuch an die Heimaten des frühneuzeitlichen Mitteleuropäers » in : Historische Zeitschrift, vol. 276, 2003, p. 37-73, p. 44 : « Zu den Reichsterritorien liegt meines Wissens keine Untersuchung vor, doch weiß jeder Archivbenutzer, wie ausufernd die frühneuzeitlichen Bestände über „Grenzstreitigkeiten „sind ».

11 Störmer Wilhelm, « Territoriale Landesherrschaft und absolutistisches Staatsprogramm. Zur Mikrostruktur des Alten Reiches im 18. Jahrhundert» in : Blätter für deutsche Landesgeschichte, vol. 108, 1972, p. 90-104, p. 91.

12 Conseil impérial aulique et Tribunal de la chambre impériale (Reichshofrat et Reichskammergericht).

13 Eckhardt Albrecht, « Hoheits- und Grenzauseinandersetzungen in Reichskammergerichtsprozessen im Zeitalter der Konsolidierung des Territorialstaats im 16. und frühen 17. Jahrhundert anhand nordwestdeutscher Beispiele» in : Diestelkamp Bernhard (dir.), Forschungen aus Akten des Reichskammergerichts, Cologne, Vienne, Böhlau, 1984, p. 75-97.

14 La lutte contre les médiatisations [Mediatisierungen] (soumission d’un territoire par un autre) reste, jusqu’à la fin du Saint-Empire, un des éléments majeurs du droit impérial et de son application.

15 Müller-Ueltzhöffer Bettina, Der 500jährige Rechtsstreit des Klosters Neresheim um die Erlangung der Reichsunmittelbarkeit. Zugleich ein Beitrag zum Rechtsgang vor den höchsten Reichsgerichten in der Mitte des 18. Jahrhunderts, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2003, spéc. p. 152 et 204.

16 Herz H., « Problemen », op. cit., p. 154.

17 Buschmann Arno (éd.), Kaiser und Reich. Verfassungsgeschichte des Heiligen Römischen Reiches Deutscher Nation vom Beginn des 12. Jahrhunderts bis zum Jahre 1806 in Dokumenten, 2e édit., Baden-Baden, Nomos, 1994, vol. 2, p. 67-68. L’article XVII, § 9, règle quant à lui le cas où les troupes d’un prince doivent traverser le territoire d’un autre (Ibid., p. 104).

18 Wunder Bernd, « Der Kaiser, die Reichskreise und der Chausseebau im 18. Jahrhundert » in : Zeitschrift für Neuere Rechtsgeschichte, vol. 18, 1996, p. 1-22. Behringer Wolfgang, Im Zeichen des Merkur. Reichspost und Kommunikationsrevolution in der Frühen Neuzeit, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2003.

19 Hohkamp Michaela, Herrschaft in der Herrschaft. Die vorderösterreichische Obervogtei Triberg von 1737 bis 1780, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 70-71.

20 Cette carte est reproduite en fac-similé dans Behringer W., Im Zeichen…, op. cit., p. 786-819.

21 Gotthard A., « Lebensräume », op. cit..

22 Ullmann Sabine, « Landesherr und Kaiser im Spiegel eines Zeugenverhörs des Reichshofrats aus den Jahren 1575-1579 » in : Fuchs Ralf-Peter, Schulze Winfried (dir.), Wahrheit, Wissen, Erinnerung. Zeugenverhörprotokolle als Quellen für soziale Wissensbestände in der Frühen Neuzeit, Münster, Lit Verlag 2002, p. 257-290 ; Eckhardt A., « Hoheits- und Grenzauseinandersetzungen… », op. cit., signale p. 82 l’intérêt de ces procès-verbaux dans les conflits frontaliers, mais sans les exploiter. Sur la relation entre morcellement territorial et continuation du lien ressenti avec l’échelle impériale, voir également Noël Jean-François, « La conscience d’Empire en milieu populaire dans l’Allemagne du XVIIIe siècle » in : Babel Rainer, Moeglin Jean-Marie (dir.), Identité régionale et conscience nationale en France et en Allemagne du Moyen Âge à l’époque moderne, Sigmaringen, Thorbecke, 1997, p. 119-131.

23 Eimers Enno, « Das Ständewesen in Ostfriesland » in : Baumgart Peter (dir.), Ständetum und Staatsbildung in Brandenburg-Preussen, Berlin, De gruyter, 1983, p. 409-423, p. 414.

24 L’indigénat en Clèves et Mark est même particulièrement strict, puisqu’il exclut tout étranger, tandis que dans d’autres territoires comme la Lippe il se restreint à une préférence accordée au candidat local entre deux impétrants de valeur égale. Voir Engeleit Hans-Gerd, Rothe Jörg Michael, « Das Indigenatsrecht in Lippe. Eine Untersuchung zum Verhältnis von Adel und Verwaltung im 17. und 18. Jahrhundert » in : Lippische Mitteilungen, vol. 58, 1989, p. 95-126, spéc. p. 110-111.

25 Même si les libertés, au sens ancien, de ces exclaves sont tout de même progressivement réduites face aux exigences nouvelles de l’État prussien, elles persistent largement jusqu’à la fin de l’Ancien Régime : Opgenoorth Ernst, « Stände im Spannungsfeld zwischen Brandenburg-Preußen, Pfalz-Neuburg und den niederländischen Generalstaaten : Cleve-Marck und Jülich-Berg im Vergleich » in : Baumgart P. (dir.), Ständetum…, op. cit. p. 243-262 ; Opgenoorth Ernst, « Die rheinischen Gebiete Brandenburg-Preußens im 17. Und 18. Jahrhundert » in : Baumgart Peter (dir.), Expansion und Integration. Zur Eingliederung neugewonnener Gebiete in den preußischen Staat, Cologne, Vienne, Böhlau, 1984, p. 33-44.

26 Jany Curt, « Die Kantonverfassung des altpreußischen Heeres » in : Büsch Otto, Neugebauer Wolfgang (éd.), Moderne preußische Geschichte 1648-1947 : Eine Anthologie, Berlin, De Gruyter, 1981, p. 767-809, p. 787.

27 Press Volker, « Absolutismus, Regionalismus und Ständetum im Heiligen Römischen Reich » in : Babel R., Moeglin J.-M. (dir.), Identité…, op. cit., p. 89-99, spéc. p. 93-95.

28 Carl Horst, « „Ein rechtes anomalum“ – die umstrittene reichsrechtliche Stellung Mömpelgards » in : Lorenz Sönke, Rückert Peter (dir.), Württemberg und Mömpelgard 600 Jahre Begegnung. Montbéliard – Wurtemberg 600 ans de relations, Leinfelden-Echterdingen, DRW-Verlag, 1999, p. 347-363, p. 357-358.

29 Grube Walter, Vogteien, Ämter, Landkreise in Baden-Württemberg, vol. I : Geschichtliche Grundlagen, Stuttgart, Kohlhammer, 1975, p. 49-56. Le comté de Hauenstein est cependant une des rares exclaves autrichiennes où cette autonomie communale fut fortement réduite dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

30 Luebke David, « Naïve monarchism and Marian veneration in Early Modern Germany » in : Past and Present, vol. 154, 1997, p. 71-106.

31 Voir, entre autres, Press Volker, « Herrschaft, Landschaft und „Gemeiner Mann“ » in Oberdeutschland vom 15. bis zum frühen 19. Jahrhundert » in : Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, vol. 123, NF 84, 1975, p. 169-214 ; Gabel Helmut, Widerstand und Kooperation. Studien zur politischen Kultur rheinischer und maasländischer Kleinterritorien (1648-1794), Tübingen, Biblioteca-Academica-Verlag, 1995 ; Motsch C., Grenzgesellschaft…, op. cit.

32 Réduction qui s’inscrit dans un contexte plus général bien présenté par Rath Jochen, « Fürstliche Autorität und städtische Autonomie nach 1648. Das Fürstbistum Münster, die Stadt Münster und die Hansestädte » in : Asch Ronald G., Arndt Johannes, Schnettger Matthias (dir.), Die frühneuzeitliche Monarchie und ihr Erbe. Festschrift für Heinz Duchhardt zum 60. Geburtstag, Münster, Waxmann, 2003, p. 37-57.

33 Schadek Hans, « „Der Statt Freyburg zugehörige Fleckhen und Dörffer“. Das Territorium der Stadt bis zur Auflösung 1807 » in : Haumann Heiko, Schadek Hans (dir.), Geschichte der Stadt Freiburg im Breisgau, vol. 2 : Vom Bauernkrieg bis zum Ende der habsburgischen Herrschaft, Stuttgart, Theiss, 1994, p. 237-251.

34 Lausser Helmut, « Die Wallfahrten des Landkreises Dillingen. Der Versuch einer Wallfahrtstypologie unter dem Gesichtspunkt ihrer Verwendung als Mittel zum Ausbau oder zur Festigung von Herrschaft durch ideologische Einflußnahme auf die Untertanen » in : Zeitschrift für Bayerische Landesgeschichte, vol. 40, 1977, p. 75-119, p. 94-95 ; pour un autre exemple de pèlerinage de frontière situé dans une exclave catholique, voir Duhamelle Christophe, « Les Jésuites de Heiligenstadt et le pèlerinage du Hülfensberg à l’époque moderne » in : Revue Mabillon, n.s. 14 t.75, 2003, p. 203-224.

35 Id., « De la confession imposée à l’identité confessionnelle. Le cas de l’Eichsfeld, XVIe-XVIIIe siècles » in : Études Germaniques, vol. 57, 2002, p. 513-527 ; Id., « Frontière, territoire, confession : l’exemple de l’Eichsfeld » in : Lebeau Christine (dir.), L’espace du Saint-Empire du Moyen Âge à l’époque moderne, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2004, p. 175-192.

36 Id., « „Die Kuh“ und „die rothe Mütze“ : Gemeinde, Pfarrer und Obrigkeit im Eichsfeld in der Zeit der Aufklärung » in : Hartmann Peter Claus, Pelizaeus Ludolf (dir.), Forschungen zu Kurmainz und dem Reichserzkanzler, Francfort-sur-le-Main etc., Peter Lang, 2005, p. 7-27.

37 Dans le margraviat de Hochberg par exemple, les exclaves protestantes ont déplacé certaines fêtes pour harmoniser leur calendrier avec celui des catholiques – ce qui n’empêche pas, dans d’autres domaines, une accumulation des conflits : Schmölz-Häberlein Michaela, « Konfessionelle Konflikte in der Markgrafschaft Hochberg in der frühen Neuzeit. Konfliktregulierung und Kommunikation in einem südwestdeutschen Kleinterritorium » in : Eriksson Magnus, Krug-Richter Barbara (dir.), Streitkulturen. Gewalt, Konflikt und Kommunikation in der ländlichen Gesellschaft (16.-19. Jahrhundert), Cologne, Weimar, Vienne, Böhlau, 2003, p. 309-334, p. 314 ; plus généralement : François Étienne, « Dans un Empire pluraliste : les dynamiques contraires de l’exclusion et de la cohabitation » in : Media in Francia. Recueil de mélanges offert à Karl Ferdinand Werner, Maulévrier, Hérault éditions, 1989, p. 187-198.

38 François Étienne, Protestants et catholiques en Allemagne. Identités et pluralisme, Augsbourg, 1648-1806, Paris, Albin Michel, 1993, p. 56-67.

39 Kommissariatsarchiv Heiligenstadt, Fach 271-2-II, 25.

40 Voir par exemple Schmidt Heinrich Richard, « Sozialdisziplinierung ? Ein Plädoyer für das Ende des Etatismus in der Konfessionalisierungsforschung » in : Historische Zeitschrift, vol. 265, 1997, p. 639-682.

41 Schmidt Georg, Geschichte des Alten Reiches. Staat und Nation in der Frühen Neuzeit 1495-1806, Munich, Beck, 1999.

42 Schyle Helmut, Freiburg i. Br. und seine Einwohner im 17. Jahrhundert, Fribourg, Ploetz, 1993.

43 Dotzauer Winfried, Die deutschen Reichskreise (1383-1806). Geschichte und Aktenedition, Stuttgart, Steiner, 1998, p. 81-179.

44 Baumgart Peter, « Die Annexion und Eingliederung Schlesiens in den friderizianischen Staat » in : Baumgart P. (dir.), Expansion und Integration…, op. cit., p. 81-118.

45 Christ Günter, « Selbstverständnis und Rolle der Domkapitel in den geistlichen Territorien des alten deutschen Reiches in der Frühneuzeit » in : Zeitschrift für historische Forschung, vol. 16, 1989, p. 257-328, p. 293.

46 Garner Guillaume, État, économie, territoire en Allemagne. L’espace dans le caméralisme et l’économie politique 1740-1820, Paris, éditions de l’EHESS, 2005, spéc. p. 166-173.

47 Id., « La question douanière dans le discours économique en Allemagne (seconde moitié du XVIIIe siècle) » in : Duhamelle C. (dir.), Les espaces…, op. cit., p. 39-53, p. 50-52.

48 Opgenoorth E., Die rheinischen Gebiete…, op. cit., p. 40.

49 Malgré la répugnance croissante des plus grands États d’Empire après 1740, l’investiture impériale continue à jouer un rôle important dans l’Empire : Noël Jean-François, « Zur Geschichte der Reichsbelehnungen im 18. Jahrhundert » in : Mitteilungen des Österreichischen Staatsarchivs, vol. 21, 1968, p. 106-122 ; Stollberg-Rilinger Barbara, « Le rituel de l’investiture dans le Saint-Empire de l’époque moderne : histoire institutionnelle et pratiques symboliques » in : Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, vol. 56, 2009, no 2, p. 7-29.

50 La spécificité des usages politiques, économiques et sociaux de l’espace, dont l’étude manque cruellement dans le cas des exclaves, a fait l’objet de travaux anciens mais stimulants dans celui des enclaves chevaleresques : Heinritz Günter, Heller Hartmut, Wirth Eugen, « Wirtschafts- und sozialgeographische Auswirkungen reichsritterschaftlicher Peuplierungspolitik in Franken » in : Berichte zur deutschen Landeskunde, vol. 41, 1968, p. 45-72 ; Heller Hartmut, Die Peuplierungspolitik der Reichsritterschaft als sozialgeographischer Faktor im Steigerwald, Erlangen, Palm & Enke, 1971 ; Kullen Siegfried, « Reichsritterschaft und Siedlungsbild » in : Quarthal Franz (dir.), Zwischen Schwarzwald und Schwäbischer Alb : Das Land am oberen Neckar, Sigmaringen, Thorbecke, 1984, p. 221-270.

51 Press Volker, « Die badischen Markgrafen im Reich der frühen Neuzeit » in : Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, vol. 142, NF 103, 1994, p. 19-57, p. 45.

52 Stauber Reinhard, « Grenzen und Landeshoheit der Grafschaft Werdenfels in der frühen Neuzeit » in : Riedenauer E. (dir.), Landeshoheit…, op. cit., , p. 176-192, p. 186.

53 Fried Pankraz, « Die Landeshoheits- und Grenzverhältnisse zwischen dem alten Bayern und den schwäbischen Territorien : Landeshoheitsrechte in Gemengelage » in : Riedenauer E. (dir.), Landeshoheit…, op. cit.,, p. 64-65.

54 Stauber R., « Grenzen und Landeshoheit… », op. cit., p. 182-183.

55 Dörrer Fridolin, « Die „limitierte Landeshoheit“ der Bischöfe von Trient und Brixen in Beziehung zur gefürsteten Grafschaft Tirol » in : Riedenauer E. (dir.), Landeshoheit…, op. cit., p. 135-144, p. 141.

56 Press Volker, « Schwaben zwischen Bayern, Österreich und dem Reich 1486-1805 » in : Fried Pankraz (dir.), Probleme der Integration Ostschwabens in den bayerischen Staat. Bayern und Wittelsbach in Ostschwaben, Sigmaringen, Thorbecke, 1982, p. 17-78, p. 69. Frédéric II de Prusse chercha également à échanger certaines exclaves occidentales contre des terres accroissant la partie centrale de sa monarchie : Opgenoorth E., « Die rheinischen Gebiete… », op. cit., p. 35.

Table des illustrations

Titre L’électorat de Mayence après 1648
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Titre La monarchie prussienne à l’ouest de l’Oder (1791)
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Titre Le Palatinat électoral (1789)
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Titre Holstein : partage de 1544
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Titre Palatinat-Deux-Ponts (1793)
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Titre Abbaye immédiate de Weingarten
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Titre Ville d’Empire de Nördlingen
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Titre L’électorat de Mayence et la carte des postes impériales de 1764
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