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Espaces de pouvoir, espaces d’autonomie en Allemagne

 | 
Hélène Miard-Delacroix
, 
Guillaume Garner
, 
Béatrice von Hirschhausen

Introduction

Guillaume Garner, Béatrice von Hirschhausen et Hélène Miard-Delacroix

Texte intégral

1Les contributions réunies dans ce volume sont pour la plupart issues d’un colloque organisé par le Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Allemagne (CIERA) et qui s’est tenu en décembre 2005 à l’École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines autour du thème : « Espaces de pouvoir, espaces d’autonomie en Allemagne ». Elles ont été assorties de textes complémentaires propres à nourrir la réflexion initiée dans ce colloque qui s’inscrivait dans une triple actualité : un net regain d’intérêt pour l’espace dans les sciences historiques et sociales, de nouvelles questions se posant dans une Allemagne soumise à des transformations issues de la réunification et de la réforme du fédéralisme, et la transformation des échelles et des modes de régulation territoriale en Europe.

1. L’attention renouvelée à l’espace

2Les sciences historiques et sociales sont affectées depuis une dizaine d’années par un net regain d’intérêt pour l’espace et pour la dimension spatiale des processus et phénomènes qu’elles étudient. Les plaidoyers pour un spatial turn au sein des sciences sociales, la tenue en 2004 à Kiel du Congrès bisannuel des historiens allemands (Historikertag) autour du thème « espace et communication » („Raum und Kommunikation“) en sont deux signes parmi de nombreux autres.

3Cette attention renouvelée à l’espace est loin de relever d’un seul phénomène de mode et elle fait suite à une phase, sinon de rejet, du moins de marginalisation de l’espace depuis l’après-guerre, dont on peut rappeler quelques-unes des raisons principales.

  • 1 Osterhammel Jürgen, « Die Wiederkehr des Raumes : Geopolitik, Geohistorie und historische Geographi (...)
  • 2 Behringer Wolfgang, « Bauern-Franz und Rassen-Günther. Die politische Geschichte des Agrarhistorike (...)

4En premier lieu, l’héritage du nazisme et de son instrumentalisation des concepts liés à l’espace a joué un rôle indéniable dans la constitution de l’espace en une notion-tabou („Tabuisierung“), notamment en histoire1. Des travaux récents consacrés à la situation de la discipline historique en Allemagne de 1933 à 1945 ont montré à quel point la notion d’espace et les notions qui lui sont rattachées (sol – Boden, territoire, etc.) avaient constitué les outils de la légitimation et de la caution scientifiques de l’appui apporté au régime et à l’idéologie nazis par certains historiens, qu’il s’agisse de Günther Franz ou d’Otto Brunner2.

  • 3 D’où une minoration de la période moderne et une surestimation de l’importance de la période napolé (...)

5Une conséquence directe de cet héritage scientifique et politique du nazisme a été, en second lieu, l’élaboration par les historiens allemands de problématiques et de questionnements aboutissant, le plus souvent implicitement, a évacuer la dimension spatiale, que ce soit dans le domaine de l’histoire politique ou dans celui de l’histoire sociale. L’histoire politique s’est en effet largement centrée sur des interrogations tournant autour de la construction de l’État et/ou de l’unification allemande, et a ce faisant postulé un cadre de référence spatial qui est resté largement ininterrogé, alors même que ce cadre de référence était dans l’espace allemand moins évident qu’ailleurs et plus largement soumis à des modifications tant dans ses délimitations que dans son organisation intérieure. En histoire moderne, ce cadre a été fourni par les États territoriaux appartenant au Saint-Empire, considérés comme étant les détenteurs de la souveraineté et les acteurs de la mise en place de régimes « absolutistes » (« éclairés » ou non). Et cette référence à l’État territorial, considéré comme un ancêtre de l’État contemporain, a abouti à une dévalorisation des autres échelles auxquelles le pouvoir s’exerçait, et notamment des institutions impériales, dont le déclin était plus souvent affirmé que démontré. Cette prégnance du cadre national a également longtemps été à l’œuvre chez les historiens de la période contemporaine, l’unité allemande de 1871 constituant un point de fuite très fort3, et les débats ultérieurs sur l’existence d’un Sonderweg allemand ont contribué à enraciner un peu plus cette référence implicite au cadre national.

  • 4 Un exemple frappant est fourni par la monumentale synthèse de H.-U. Wehler sur l’histoire de la soc (...)

6L’histoire sociale, telle qu’elle s’est constituée à partir des années soixante, largement en réaction contre l’histoire politique, a elle aussi largement évacué les réflexions sur la dimension spatiale de ses objets d’étude. Cette Historische Sozialwissenschaft a en effet emprunté une grande part de son appareil analytique à la sociologie wébérienne, et a ce faisant développé une approche centrée sur la notion de « modernisation », valable ou non pour les divers États occidentaux. Elle s’est traduite par la reprise implicite du « national » comme échelle d’analyse et de référence pertinente. Une traduction très concrète de cette évacuation de l’espace via la référence à l’échelle nationale est l’absence de cartes dans des ouvrages de synthèse portant sur l’histoire allemande, et parfois l’absence d’interrogation sur ce qu’on entend par « Allemagne »4.

7La conjoncture des décennies postérieures à 1945 a certainement eu sa part dans ce jeu combiné, à l’œuvre dans les sciences historiques, de désintérêt pour l’espace et de référence implicite et univoque au cadre de l’État-nation, et on pourrait s’interroger sur le rôle qu’ont joué de ce point de vue la Guerre Froide, la division de l’Allemagne ou, dans le domaine économique, l’essor de l’intervention de l’État-providence dans le cadre d’une économie sociale de marché conçue comme un modèle national spécifiquement allemand.

 

  • 5 Perroux François, L’économie du XXe siècle, Paris, PUF, 1963.
  • 6 Löw Martina, Raumsoziologie, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2001 ; Läpple Dieter, « Essay über de (...)
  • 7 Luutz Wolfgang, Raum Macht Einheit. Sozialphilosophische und politik-theoretische Reflexionen, Muni (...)

8Le regain d’intérêt des SHS pour l’espace apparaît comme l’une des conséquences de la remise en cause de la pertinence de l’échelle de l’État-nation comme cadre d’analyse. Deux éléments majeurs y ont participé, dont on peut brièvement préciser les contours. En premier lieu, la crise économique des années soixante-dix a entraîné une remise en question des missions et du mode de fonctionnement de l’État, que ce soit dans le domaine économique, avec la « crise de l’État-providence » et l’abandon progressif de politiques économiques interventionnistes notamment d’inspiration keynésienne, dans le domaine politique avec des interrogations nouvelles sur le régime de démocratie parlementaire, ou dans le domaine culturel avec l’émergence ou la réémergence de nouvelles identités collectives, référées non plus seulement à l’État-nation, mais à la région, l’appartenance à une communauté religieuse, etc. Dans le domaine économique, l’accélération de la « mondialisation » ou « globalisation » depuis une vingtaine d’années a produit des effets allant dans une direction similaire, en donnant à la sphère de l’économie de marché une autonomie croissante par rapport à la sphère politique et en réduisant les possibilités d’intervention de la part de l’État. L’économie mondiale s’inscrit ainsi dans un espace spécifique, distinct de celui structuré par les frontières politiques et étatiques. Cette dissociation des espaces économique et politique avait été esquissée dès les années soixante par François Perroux qui proposait d’en faire une clé de lecture du libéralisme économique, et qui avait souligné à quel point les acteurs économiques – les firmes – structuraient un espace spécifique, relevant plus du réseau que de la surface du territoire de l’État. On peut donc formuler l’hypothèse selon laquelle s’est produit dans les trois dernières décennies ce qu’on pourrait appeler, en paraphrasant Karl Polanyi, un « désencastrement » des échelles géographiques, dans la mesure où l’échelle nationale n’apparaît plus comme le « pivot » permettant de penser l’articulation des autres échelles, qu’elles soient locale, régionale, ou internationale5. Remise en cause de l’État keynésien, mondialisation : à ces deux évolutions se sont ajoutés l’accélération des moyens de transport et l’essor des moyens de communication, notamment électroniques. Celle-ci a suscité dans les sciences sociales deux types d’analyses : certains y vont vu dans un premier temps les prodromes ou la manifestation d’une « extinction de l’espace » („Enträumlichung“) et ont par conséquent sinon nié, du moins fortement remis en cause la pertinence d’une prise en compte de la dimension spatiale par les sciences sociales. Dans un second temps, des sociologues, des politistes, des philosophes ont souligné que ces progrès techniques provoquaient moins une extinction de l’espace qu’une reconfiguration de l’ancrage spatial des phénomènes politiques, économiques, sociaux, culturels, etc. que les sciences sociales cherchent à éclairer. Dans la sociologie allemande, les travaux de Dieter Läpple, l’ouvrage de Martina Löw publié en 2001 sur la sociologie de l’espace ont été des étapes majeures de cette réflexion6 – la régularité avec laquelle ce dernier ouvrage est cité dans des travaux relevant de champs disciplinaires différents suffit à le prouver. Les recherches de W. Luutz, visant à la fois à critiquer fortement le postulat de l’extinction de l’espace ou de l’„Entgrenzung“ dans les sciences sociales et à étudier la constitution de nouveaux mécanismes d’identification, non plus nationale, mais régionale, en sont un autre exemple7. Ces débats ont en outre le mérite de rendre nécessaire une clarification du contenu qui est donné à la notion d’espace, à l’usage qui en est fait dans les SHS, comme on aura l’occasion de le voir.

 

  • 8 Revel Jacques (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Le Seuil, (...)

9D’une certaine manière, des signes du « désemboîtement » évoqué des échelles peuvent également être repérés dans les SHS depuis une trentaine d’années. Le cas de la discipline historique le montre, et en particulier l’abandon du projet, formulé par Camille-Ernest Labrousse d’une collection de monographies régionales (ou départementales) qui, à la manière des pièces d’un puzzle, viendraient s’agréger à l’échelle nationale pour donner une image complète de la société et de l’économie française d’Ancien Régime. L’abandon de ce paradigme, qui a joué un rôle structurant majeur dans l’» École des Annales » des années 1960-1970, s’est fait dans un premier temps « par en bas », avec l’émergence, d’abord en Italie, puis en France comme en Allemagne occidentale, du courant de la micro-histoire. Ce dernier s’était donné pour agenda, non de pratiquer de l’histoire locale, mais de se référer à l’échelle locale comme cadre d’analyse de phénomènes ou de processus « macro-historiques », référés à des échelles bien plus réduites. Plus qu’une apologie du « local » ou une application du principe « small is beautiful », la micro-histoire entendait donc être une histoire globale pratiquée à l’échelle locale, « au ras du sol » : ce projet a suscité dans les années 1980-1990 de nombreux travaux, en France comme en Allemagne, et il a par ailleurs suscité des réflexions sur la pertinence heuristique du principe de la variation des échelles d’analyse8. Dans un second temps, l’émergence et l’essor, depuis une vingtaine d’années, dans le monde anglo-saxon comme en Allemagne, de l’histoire globale ou histoire mondiale (Globalgeschichte, Weltgeschichte), ou de l’histoire connectée ou transnationale illustre la façon dont sont élaborés de nouveaux paradigmes pour analyser de manière diachronique la mondialisation, et constitue surtout une seconde voie visant, cette fois « par en haut » à dissocier les échelles d’analyse, et à remettre en question la référence à l’échelle de l’État.

10Ces évolutions historiographiques ont été soutenues par un intérêt accru pour les acteurs, au détriment de macro-notions telles que celles de classe sociale, nation, etc. : une large part est ainsi faite à la fois aux pratiques et aux représentations spatiales de ces acteurs, ce qui permet de réexaminer à nouveaux frais des notions comme celles de « territoire », de « paysage », de frontière, etc.

2. Pouvoir – espace en Allemagne : de nouvelles questions

11Le deuxième élément d’actualité qui a présidé au choix du thème de l’ouvrage est à la fois un objet d’étude en soi en raison des changements que le virage de 1990 a entraînés en Allemagne et un facteur accélérateur de nouvelles interrogations dans les différentes disciplines où s’articule la question du pouvoir et de l’espace.

12Le délitement du bloc soviétique au tournant des années 1980-1990 a eu des conséquences directes pour cette question en Allemagne et, par suite, pour la façon de le questionner. La diversité des questionnements en découlant tient au fait que ce rapport entre espace et pouvoir a été affecté tant dans sa matérialité que dans la dimension plus abstraite des représentations, ce qui rappelle la variété des acceptions du terme « espace » dans sa liaison à la notion de pouvoir : d’un véritable territoire ou lieu d’exercice d’un pouvoir jusqu’aux différentes sphères de projection et de représentation d’un pouvoir virtuel.

 

13La fin de la division de l’Allemagne a signifié l’ébranlement de représentations et de catégories d’organisation du pouvoir dans l’espace allemand. Ce phénomène put être observé à l’occasion de la disparition de structures propres à la RDA mais aussi par la suite, où une mémoire solide de l’héritage assura une pérennité inattendue d’anciennes représentations de l’espace.

  • 9 Pierson Paul, « Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics » in : American Poli (...)
  • 10 Tant chez des historiens comme Winkler Heinrich August, Der lange Weg nach Westen, Munich, Beck, 20 (...)
  • 11 Jugement de la Cour constitutionnelle fédérale du 31. 07. 1973 ; voir Blumenwitz Dieter, « Die Ents (...)

14Dans une telle approche s’est imposé un questionnement s’inspirant de la théorie de la dépendance du chemin (path dependence) qui, en élargissant aux domaines politique, économique et social des processus initialement observés dans le domaine technologique, a mis en évidence l’imprégnation d’une réalité par le chemin parcouru jusqu’à elle et ainsi les phénomènes de détermination d’évolutions ultérieures par des décisions et constructions antérieures9. Aussi est-il utile d’interroger les évolutions consécutives à la réunification allemande d’abord à partir des schémas qui ont présidé à la conception de l’espace et de la frontière dans l’anomalie de la division. L’extension territoriale de « l’Allemagne » a été en effet, pendant les quarante ans de République fédérale dans la division, l’objet d’une législation et de discours révélateurs d’une schizophrénie assez peu étudiée dans cette dimension du rapport pouvoir/espace et plutôt examinée dans le complexe du poids du passé nazi, avec le paradigme de la RFA comme démocratie « postnationale » au milieu d’États nationaux10. Or l’Allemagne-une fut une catégorie d’analyse en particulier chez les juristes ouest-allemands : dans les deux phases successives de définition des rapports de l’Allemagne occidentale avec la RDA, soit avant et après le Traité fondamental de décembre 1972, pièce maîtresse de l’Ostpolitik, le territoire de la RDA fut considéré comme « une partie de l’Allemagne », en maintenant la fiction de la pérennité d’un État dont la personnalité juridique avait survécu à la défaite et se perpétuait dans la RFA « en partie identique d’un point de vue territorial » avec cette « Allemagne dans son ensemble » dont il fut question dans tous les accords quadripartites depuis 194511. En 1973, le jugement de la cour fédérale constitutionnelle qui déclara la constitutionalité du Traité fondamental n’en avait pour autant pas moins affirmé la survivance d’une Allemagne comme espace virtuel d’exercice du pouvoir d’institutions rattachées à l’ordre démocratique de la RFA une fois que serait mis un terme à l’éloignement temporaire de l’élément RDA. Un certain nombre de pratiques furent instaurées et maintenues conformément à ce principe, tel le commerce interallemand (appelé en allemand de manière éloquente « intra-allemand », innerdeutsch) comptabilisé dans les statistiques du commerce intérieur ouest-allemand et n’étant pas soumis aux droits de douane aux frontières de la Communauté européenne. L’espace abstrait avait ainsi pris une indiscutable matérialité servant à son tour la fiction d’une entité politique selon des critères communs aux États ordinaires.

 

15La frontière interallemande cristallise plusieurs des questions soulevées par le changement en 1990. En effet, elle a constitué dans cet espace projeté un lieu de collision dont on peut se demander si la pratique et les expériences ont durablement marqué la perception et la matérialité d’une ligne qui à la fois marqua de facto une limite territoriale pour chacun des deux États allemands et sépara deux parties à l’intérieur d’un ensemble à la pérennité affirmée.

  • 12 Les protestations gouvernementales auprès des éditeurs au sujet de la matérialisation de la frontiè (...)
  • 13 Rumpf Helmut, Vom Niemandsland zum deutschen Kernstaat: Beiträge zur Entwicklung der Deutschlandfra (...)

16La fonction de séparation ne fut pas mise en avant uniquement par les Allemands à l’Ouest, nostalgiques d’une Allemagne-une et aspirant à sa restauration par l’élimination de l’anomalie RDA ; elle fut aussi soulignée par le discours officiel est-allemand stylisant la frontière comme ligne de partage entre antifascistes et nid de nazis, permettant la dénomination du Mur comme « rempart de protection antifasciste » à partir des années soixante, après avoir dénoncé le soulèvement du 17 juin 1953 comme le résultat des agissements de provocateurs venus de l’Ouest et violant le territoire est-allemand. De matérialisation d’une répartition spatiale entre le bien et le mal, la frontière interallemande a pu devenir le lieu d’exercice du pouvoir des autorités est-allemandes, le lieu de l’affirmation de l’existence et de la souveraineté du second État allemand en réponse aux dénégations de l’Ouest. Manifestation d’une légitimité étatique est-allemande par le biais de strictes mesures de contrôle, la frontière devint à son tour légitimation de poursuites contre les coupables de fuite (Republikflüchtlinge). Ainsi cette ligne de démarcation opposait-elle non seulement deux idéologies et deux systèmes mais fonctionnait comme projection de la légitimité respective de chacun des deux États. En effet, si cette frontière était honnie à l’Ouest, elle constitua aussi le miroir de la légitimité et de la supériorité morale affirmée des institutions et de l’ordre démocratique de la RFA. D’un côté sa matérialisation sur les cartes de géographie avait-elle été déplorée dans les années cinquante12 ; de l’autre côté, cette frontière d’impuissance pour l’Ouest permit-elle une définition positive du « cœur de l’Allemagne » (Kernstaat) qui assumait, notamment financièrement, les dettes du passé13.

  • 14 Voir dans ce volume la contribution de Guillaume Lacquement.

17Ainsi la question de la frontière dans l’Allemagne divisée a-t-elle été à la fois un élément majeur dans la problématique du pouvoir dans un cadre national, le témoin de la légitimité d’une double existence étatique reconnue aux Nations Unies après 1973 et, au niveau local et régional, un élément de réorganisation de l’espace – avec notamment la création d’un espace d’entre deux, d’un no man’s land, sur lequel on buta de chaque côté. Une question de fond concerne donc les traces laissées par ce chemin, y compris dans sa matérialité sur le terrain14.

 

18Les aspects techniques puis les conséquences de la réunification allemande de 1990 ont été l’objet ces quinze dernières années de nombreuses analyses, sans qu’aient été synthétisées les diverses occurrences de la dimension spatiale dans son rapport au pouvoir. Il est donc opportun de récapituler les différents concepts mobilisés et d’examiner en quoi la réunification a réactualisé des problématiques spatiales particulièrement « sensibles » dans l’histoire allemande.

  • 15 Les Länder concernés échouèrent dans leur plainte devant la Cour constitutionnelle fédérale qui la (...)

19Au sens strict, la réunification a consisté en l’agrandissement du territoire juridiquement considéré comme domaine d’application de la Loi fondamentale, les cinq Länder reconstitués en RDA ayant adhéré à la République fédérale conformément à l’article 23 du texte constitutionnel. Ce processus d’adhésion fut assez largement perçu comme une inclusion, voire une ingestion, tandis que l’espace commun ainsi créé était qualifié par ailleurs comme lieu d’une communauté affirmée où allaient pouvoir se stabiliser les circulations massives de l’hiver 1989/90. La pertinence d’une interrogation sur le rapport entre pouvoir et espace est particulièrement grande pour cet aspect de la réunification. Les modalités de sa mise en pratique ont permis en effet d’observer une concurrence entre différents lieux et niveaux de décision, dont l’opposition entre l’Est et l’Ouest n’est qu’une parmi d’autres, mais majeure. Si les débats d’actualité ont mis en avant surtout cette opposition Est/Ouest comme le cadre d’identification des habitants des nouveaux Länder – dont le surnom à base spatiale d’» Ossis » exprima aussi une nouvelle impuissance -, elle fut aussi celui de profonds bouleversements matériels, telle la péréquation financière à partir des ressources fiscales des Länder qui fit des anciens bénéficiaires du système à l’Ouest de nouveaux contributeurs nets face à des Länder plus pauvres à l’Est15. Le financement de la politique de rénovation des infrastructures à l’Est et les transferts massifs d’Ouest en Est correspondants firent du nouvel espace issu de la réunification un objet d’exercice du pouvoir.

20Sur cet arrière-plan se dessine la problématique de l’inclusion et de l’exclusion, de la réalité d’une uniformisation et de l’apparition de nouvelles diversités, ainsi que de la fiction d’un espace social unifié.

 

21Ainsi la réunification de l’Allemagne invite-t-elle à interroger des phénomènes tels la réévaluation du Land et de sa spécificité en tant qu’espace de pouvoir et d’État à part entière. Des indices, tels la tentative du parti post-communiste PDS d’inscrire l’antifascisme dans la constitution du Land de Saxe en avril 2005, évoquent une résistance régionale et locale de la périphérie par rapport à un centre, et ce dans une configuration problématique pour un État fédéral.

 

  • 16 Hesse Konrad, Der unitarische Bundesstaat, Karlsruhe, Müller, 1962. Lehmbruch Gerhard, « Der unitar (...)

22Les tentatives de réforme du fédéralisme ne sont pas seulement une conséquence de la réunification mais aussi une actualité rendue nécessaire par l’évolution du rapport entre espace et pouvoir dans une construction décidée à la fin des années 1940. Dès les années 1960 fut identifiée une tendance vers un « État fédéral unitaire »16, en contradiction avec les intentions des pères de la Constitution et des puissances d’occupation.

  • 17 Herzog Roman, « Kooperation und Wettbewerb » in : Aus Politik und Zeitgeschichte, vol. 50, 2006, p. (...)
  • 18 Schatz Heribert, Van Ooyen Robert Chr., Werthes Sascha, Wettbewerbsföderalismus. Aufstieg und Fall (...)
  • 19 La revendication de plus d’autonomie pour les Länder a été portée par des universitaires et experts (...)

23La pertinence d’un questionnement des tentatives récentes de réforme du fédéralisme sous l’angle de la répartition et de l’imbrication des niveaux et espaces de pouvoir en Allemagne tient au fait qu’une des caractéristiques du fédéralisme allemand contemporain est d’être coopératif, c’est-à-dire qu’il est fondé sur l’imbrication des pouvoirs respectifs des États fédérés et de l’État fédéral. Or l’évolution de la pratique a conduit à une distorsion dans la répartition des tâches et à des blocages décisionnels que l’ancien président fédéral et professeur de droit public Roman Herzog a résumés en 2006 dans la formule : « le fédéralisme coopératif, cela signifie que presque rien ne fonctionne plus au niveau fédéral sans l’accord des Länder et que les Länder ne peuvent presque plus rien décider en leur responsabilité propre »17. Herzog est de ceux qui, contestant le bien fondé de cette dimension de coopération strictement « verticale », promeuvent un « fédéralisme de la concurrence » qui serait garanti par une plus grande autonomie et marge de manœuvre de Länder pouvant alors être solidaires en coopération horizontale18. Tandis que l’essentiel des travaux de la « commission pour la réforme de l’ordre fédéral » mise en place à l’automne 2003 se concentrèrent sur les moyens de limiter les capacités de blocage des Länder au niveau fédéral en réduisant le nombre des lois nécessitant l’accord de la chambre haute (Bundesrat) où ils sont représentés, la question se posa de savoir si l’élargissement de la capacité d’action des Länder en était pour le coup négligée19.

  • 20 Voir dans ce volume les contributions de Hans Stark et de Yoan Vilain

24Ces réflexions posent sous divers angles la question des échelles entre les différents espaces de pouvoir et ainsi que celle, centrale, de leur imbrication. Ainsi peut-on se demander si les efforts déployés par la commission de réforme pour « séparer clairement » les tâches du Bund et des Länder ignorèrent le fait que les tâches des pouvoirs publics mettent généralement en action plusieurs niveaux d’intervention et nécessitent une imbrication fonctionnelle. Un exemple en est la politique de l’enseignement qui part de l’organisation des écoles au niveau régional, voire local, passe par des réglementations nationales et s’inscrit dans une coordination au niveau européen. Le problème dépasse donc la simple question « basique » de l’instance de décision la plus adaptée à l’espace concerné, telle qu’elle est formulée dans le principe de subsidiarité : selon ce principe, le pouvoir porteur de décision doit être aussi près que possible des problèmes à traiter et donc des personnes touchées par la décision, autrement dit, mais dans un éclairage par le haut, protecteur de l’autonomie locale : une décision ne peut être prise à un niveau supérieur que s’il est prouvé qu’elle ne peut l’être à un niveau inférieur20.

3. Une transformation des échelles et des modes de régulation territoriale

  • 21 Badie Bertrand, La fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité social (...)
  • 22 Antheaume Benoît, Frédéric Giraut (dir.), Le territoire est mort. Vive les territoires ! Paris, IRD (...)
  • 23 Faure Alain, « La construction du sens plus que jamais en débat » in : Faure Alain, Douillet Anne.- (...)

25Notre questionnement sur les modalités spatiales d’organisation des pouvoirs en Allemagne est porté en troisième lieu par l’actualité d’un processus européen de redéfinition des niveaux territoriaux de l’action publique. Ce processus s’inscrit dans une dynamique à la fois scientifique et politique de réévaluation du rôle de l’État dans la définition des politiques territoriales : dynamique scientifique de développement des recherches sur les niveaux d’exercice de l’action publique dans le sillage du renouveau, évoqué plus haut, de l’intérêt des sciences sociales pour les différentes échelles de construction du social ; dynamique politique de mise en question d’une lecture hiérarchisée et emboîtée des maillages territoriaux. Certains avaient pu parler au début des années 1990 de « fin des territoires »21 pour décrire la mise en cause du modèle de souveraineté nationale s’appuyant sur des assises territoriales compactes et hiérarchisées. Selon ces analyses, le niveau étatique s’est vu contesté par le haut et par le bas. Par le haut, les phénomènes de globalisation sont venus concurrencer des pans entiers des compétences nationales à l’intérieur de leurs frontières ; l’Union européenne a institué un niveau supranational auquel les États membres non seulement délèguent une part de leur souveraineté mais encore octroient des moyens d’intervention au niveau infranational des régions. Par le bas, des acteurs communautaires ou locaux ont contesté, au nom de la défense de leur identité, la validité et la compétence des choix étatiques sur leurs espaces de vie. Mouvement paradoxal, qui peut être lu à rebours comme un « retour » des territoires22 ou du moins comme une montée en puissance de niveaux territoriaux infra-nationaux, « participant dorénavant au travail politique de définition du principe de subsidiarité et des frontières de souveraineté »23. Sans vouloir départager ici ce qui relève d’une mutation effective des pratiques politiques ou d’un changement de la représentation de ces pratiques, constatons que ce mouvement de rééchelonnage de l’intervention publique trouve en Allemagne d’autant plus d’échos qu’il entre en résonance avec des pratiques décentralisées, historiquement bien installées, jusqu’à un niveau fin du maillage territorial. Ce rééchelonnage se traduit notamment par la mise en place d’outils de politique publique qui court-circuitent les hiérarchies administratives et soulèvent tout une gamme de questionnements sur les échelles traditionnelles d’exercice du pouvoir.

Le passage d’une approche pyramidale à une approche réticulaire de la gestion des territoires dans le cadre européen

  • 24 Veltz Pierre, Des lieux et des liens. Essai sur les politiques du territoire à l’heure de la mondia (...)

26Ainsi, à partir de 1990, l’Union européenne a-t-elle par exemple mis en place, via ses fonds structurels, une série de programmes dits « d’initiatives communautaires » (les « PIC ») qui, dans la plupart des États membres, ont inauguré de nouvelles manières de penser l’action territoriale. Bien que mobilisant en complément des fonds nationaux et régionaux, ces programmes ont pour particularité d’être partis de la Commission pour s’adresser directement à des acteurs locaux, en passant par-dessus le niveau national. C’est d’abord le programme Interreg, qui en 1990 a ouvert la voie. Sa vocation transnationale, visant le renforcement de « la cohésion économique et sociale au sein de l’Union Européenne par la promotion de la coopération transfrontalière […] et interrégionale » légitimait le recours à des instruments d’évaluation et de financement suffisamment souples et affranchis des cadrages nationaux pour pouvoir passer outre les contraintes et éventuelles incompatibilités administratives des États. Mais ce modèle a ensuite été transféré à des espaces cette fois-ci intra-nationaux d’abord ruraux, avec le lancement du programme « Leader » en 1991, puis urbains, avec le programme « Urban » à partir de 1994. Tous ont en commun de renverser les modalités de l’intervention publique. Misant sur les logiques bottom-up de financement sur projet, ils tournent le dos aux politiques publiques top-down de planification de type redistributif, en finançant des initiatives locales, montées par des réseaux d’acteurs locaux sur la base d’un triptyque désormais consacré : diagnostic territorial – projet – contrat. Ces programmes participent plus généralement d’une transformation des imaginaires du territoire qui conduit désormais à « penser les politiques territoriales […] comme destinées à favoriser la création de ressources et de richesses nouvelles et non plus comme des politiques d’affectation ou de réaffectation de ressources et de richesses données »24.

 

  • 25 Georgakakis Didier, de Lassale Marine (dir.) La nouvelle gouvernance européenne : genèse et usages (...)
  • 26 Rey Violette, Coudroy de Lille Lydia, Boulineau Emmanuelle (dir.), L’élargissement de l’Union Europ (...)
  • 27 Bulmer Simon, Radaelli Claudio M., « The Europeanization of National Policy » in : Bulmer Simon, Le (...)

27L’action de l’Union Européenne participe ici d’un changement de paradigme dont elle capte les idées autant qu’elle les diffuse et les légitime au sein des États membres25. Dans ce sillage, on observe depuis la fin des années 1990, au sein des dispositifs nationaux de gestion des territoires, un recul de l’emploi des équivalents du terme « d’aménagement du territoire » (en allemand, Raumplanung ou Raumordnung) au profit de ceux de « développement local » (Lokalentwicklung ou Regionalentwicklung)26. Cette mutation lexicale renvoie à une évolution des représentations et des pratiques de l’action publique sur le territoire que les tentatives de définition théorique du phénomène d’européisation ont mise en évidence. En soulignant « la construction, la diffusion et l’institutionnalisation de règles, procédures, styles et normes »27 tels qu’ils se manifestent dans les discours et dans les politiques poursuivies, Bulmer et Radaelli ont insisté sur les effets d’unification de la construction européenne. Sous cet angle, le cas allemand peut être examiné à la fois au regard des continuités repérables dans ses pratiques de pouvoir et des ruptures introduites par de nouveaux modèles. »

Questionner les nouvelles intrications des niveaux de pouvoir

  • 28 Ce sont même à plusieurs reprises des acteurs issus de la scène politique allemande qui se sont fai (...)

28La décentralisation des pouvoirs en Allemagne et la manière dont cette décentralisation s’articule aux lieux et aux territoires s’expriment de manière multiforme à tous les niveaux de la société. Son enracinement tend pour une part à relativiser l’effet de nouveauté introduit par la promotion européenne de politiques décentralisées28. L’historiographie française n’a probablement fait que commencer à explorer la complexité des modèles allemands d’articulation des pouvoirs dans leurs dimensions à la fois historiques et géographiques, culturelles et politiques, économiques et sociales. Une manière de le faire consiste à s’y intéresser en des termes dynamiques, en focalisant l’attention non pas sur ce qui pourrait camper une spécificité nationale figée (au regard notamment d’un non moins réifié centralisme français) mais plutôt sur les évolutions à l’œuvre et sur la manière dont les lignes bougent entre les différents niveaux de pouvoir. L’intensité des mutations à l’œuvre, en tous cas, y invite. Dans beaucoup de domaines, les analyses signalent une intrication et une concurrence croissante entre les différents niveaux de pouvoir.

29C’est le cas, nous l’avons vu, de la réforme du fédéralisme pour laquelle on peut se demander si la nouvelle marge de manœuvre, accordée aux Länder en leur permettant de ne pas appliquer complètement une règle fédérale (nouvel article. 72 § 3), peut se combiner avec la nouvelle possibilité de blocage d’une décision européenne que leur confère le nouvel article 23 de la Loi fondamentale. Assiste-t-on à un renforcement du pouvoir, même négatif, du Land comme unité politique centrale au moment où se renforce le niveau supérieur à l’État fédéral ?

  • 29 Serrano-Velarde Kathia, Evaluation, Akkreditierung und Politik; Zur Organisation von Qualitätssiche (...)
  • 30 Cuny Cécile, « Inhabitants and Bourgeois : Historical Perspectives on popular consultations in toda (...)
  • 31 Depraz Samuel, « Le concept d’Akzeptanz et son utilité en géographie sociale : exemple de l’accepta (...)

30C’est aussi le cas quand on observe non pas les dispositifs constitutionnels d’articulation fédérale mais l’exercice concret du pouvoir au sein de programmes thématiques nationaux : la politique de réforme de l’enseignement et de la recherche29, la politique de la ville Soziale Stadt30 ou la politique de protection de la nature dans les parcs nationaux31 sont autant d’exemples explorés récemment. Ces travaux ont retracé, à partir d’études de cas, les mécanismes d’apprentissages croisés entre acteurs de différents niveaux ; ils ont montré comment les interventions étatiques se négocient au fil de processus historiques locaux qui rodent les coopérations au sein de dispositifs institutionnels complexes associant, habitants et usagers, associations et élus, agences étatiques et entreprises. C’est aussi sur un même modèle réticulaire et contractuel des politiques publiques que se développent toute une série de programmes en matière de développement technologique (programme „Innovationen Netzwerke“) ou scientifique (tel les cluster d’excellence) qui stimulent la constitution de réseaux d’acteurs sur des technologies ou des secteurs particuliers au sein d’un espace régional, en sollicitant et finançant leurs initiatives.

 

  • 32 Queva Christophe, « Acteurs et territoires du développement rural en Allemagne orientale » in : Rev (...)
  • 33 Ibid.

31Intrication et concurrence entre les différents niveaux de pouvoir sont aussi lisibles dans le cas de la réforme de l’aménagement du territoire (Raumordnungsgesetz) de 1998 qui a profondément modifié les schémas de financement des politiques territoriales, se conformant au nouveau modèle réticulaire et contractuel de politique décentralisée et poussant loin le projet de s’affranchir des maillages administratifs emboîtés en créant le concept de Region. Ces nouvelles entités se constituent à partir de réseaux d’acteurs publics (tels notamment les collectivités territoriales) ou privés sur un « projet de développement ». Comme les Groupes d’acteurs locaux des programmes Leader de l’Union européenne, ce sont ces Regionen auto-constituées qui sont les porteurs de projet de développement, financés sur contrat et dans une logique de compétition. Le dispositif a l’originalité d’impliquer non seulement des représentants politiques mais également des acteurs issus des sphères privées, associatives ou scientifiques dans les instances d’évaluation et d’arbitrage financier. Des travaux récents explorent la complexité des relations de dépendance/concurrence entre ces entités, censées être porteuses de dynamiques endogènes, et les échelons classiques de l’aménagement du territoire32. Les études de cas montrent le caractère exploratoire des projets en cours, à l’heure où les instances de définition des politiques de développement sont « à la recherche d’une échelle pertinente pour l’action et d’une articulation des espaces fonctionnels, identitaires et institutionnels »33.

  • 34 Bogumil Jörg, Grohs Stephan, Kuhlmann Sabine, Ohm Anna K. (dir.), Zehn Jahre Neues Steuerungsmodell (...)

32L’argumentaire de ce réagencement des dispositifs publics recourt à des répertoires idéologiques hétérogènes : c’est la référence aux idées environnementalistes qui structure les modèles de développement endogène et durable et justifie par exemple l’inscription des objectifs de « l’agenda 21 » dans les politiques communales et l’introduction de pratiques participatives. Mais c’est aussi paradoxalement la référence au New Public Management – qui a donné naissance en Allemagne à la Neue Steuerung – qui justifie un transfert aux organisations publiques de modes de gestion issus du management des entreprises pour moderniser leur gestion et augmenter leur performance dans un contexte de pénurie budgétaire. Ces modèles introduisent une logique de compétition entre les projets et le recours à des outils de benchmarking pour classer les performances et promouvoir l’échange des meilleures pratiques34. La promotion de ces outils de management au sein des collectivités territoriales a conduit à un ample mouvement de réforme de l’administration des communes, progressivement intégré dans le concept plus large de « l’État stimulateur » (Aktivierender Staat). Ces modèles empruntent, par un étonnant syncrétisme, à la fois aux exigences comptables de modernisation et d’amaigrissement de l’État des courants néo-libéraux et aux idées de mouvements communautaires anglo-saxon de mobilisation et d’implication des habitants dans les politiques sociales. Les dispositifs qui en sont issus notamment au sein de la politique de la ville, sous forme de budgets participatifs et de jurys citoyens, ou de Quartier management, modifient en profondeur à l’échelle locale les modalités d’articulation du pouvoir au territoire et à la citoyenneté.

L’intérêt heuristique du terrain allemand

  • 35 Lozac’h Valérie, « Les communes allemandes face à la gouvernance européenne : entre logiques de tra (...)

33Dans le champ très pluridisciplinaire d’interrogation sur les mutations des niveaux de gestion et d’identification territoriale, l’Allemagne s’avère d’un grand intérêt heuristique. Les sciences politiques en particulier trouvent dans le cas allemand l’occasion de tester des hypothèses sur les logiques de transfert de modèles organisationnels et institutionnels et tendent à mettre l’accent sur les mécanismes de circulation et d’hybridation des savoirs et des pratiques35, qui obligent à historiciser et contextualiser les dynamiques à l’œuvre. Car ici la circulation européenne de nouveaux modèles décentralisés et participatifs de gouvernance s’inscrit dans un contexte à la fois complexe et paradoxal.

  • 36 Voir le travail d’Elsa Vonau sur les Cités jardins en Allemagne et en France qui offre un lecture t (...)
  • 37 Giraud Olivier, « Une école allemande d’analyse des politiques publiques entre traditions étatiques (...)
  • 38 C’est la thèse défendue à propos du Saint-Empire par Georg Schmidt, Geschichte des Alten Reiches. S (...)

34Complexe dans la mesure où la longue durée de structuration des pouvoirs y a donné efficacité et substance à des configurations locales et régionales. L’intérêt contemporain pour les modes de coordination multiscalaire de l’action publique suscite ainsi des retours sur les régimes historiques de régulation et de hiérarchisation des pouvoirs en Allemagne de l’Ouest mais aussi sous la République de Weimar ou dans l’Allemagne wilhelmienne. C’est le cas par exemple en matière de politiques urbaines36 ou de politiques sociales, marquées par une forte tradition de subsidiarité et de délégation à des instances privées ou ecclésiales d’importants segments de la régulation sociale. Plus généralement, le régime allemand de régulation du politique apparaît « comme un système qui cumule plusieurs modes de partage du pouvoir et qui, sans doute plus tôt qu’ailleurs en Europe, a offert aux politologues des objets diversifiés d’analyse des relations entre instances de régulation relativement autonomes les unes par rapport aux autres »37. Les problématiques actuelles commandent aussi un intérêt renouvelé pour les configurations politiques antérieures à l’instauration de l’État-Nation. L’émergence de l’instance européenne dans le nouveau partage de la souveraineté à plusieurs échelles a ainsi, de manière caractéristique, été présenté comme l’une des raisons expliquant les renouvellements récents de l’histoire du Saint-Empire à l’époque moderne, celui-ci étant analysé comme un « État complémentaire », dans lequel les attributions de la souveraineté se partagent entre le niveau impérial et celui des États territoriaux38.

 

  • 39 Lozac’h Valerie, « L’ancienne RDA : un laboratoire pour une réforme de l’action publique locale ? » (...)
  • 40 Rowell Jay, Le totalitarisme au concret. Les politiques du logement en RDA, Paris, Economica, 2006.

35Le contexte allemand contemporain peut aussi apparaître paradoxal quand il résiste à la pénétration des nouveaux modèles de décentralisation, comme celui de la Neue Steuerung évoqué plus haut, sous l’effet de routines et pratiques héritées d’une tradition bureaucratique wébérienne39. Ou inversement quand on met à jour les limites du centralisme en RDA. Ainsi l’enquête approfondie de Jay Rowell sur les pratiques du régime en matière de politique du logement a-t-elle contribué à invalider la lecture univoque d’un pouvoir tout-puissant capable de maîtriser des décisions centralisées jusqu’au maillon local. Cette enquête a démonté des mécanismes proprement locaux de pilotage de l’action publique40.

 

  • 41 Born Karl-Martin, « Débats et enjeux autour du développement lcoal dans les nouveaux Länder » in : (...)
  • 42 Faure Alain, « Politique publique et gouvernements urbains : le temps venu de la démocratie différe (...)

36Dans cette perspective diachronique, la structure fédérale et décentralisée de gestion des territoires apparaît en Allemagne durablement inscrite dans les pratiques. Une lecture attentive des systèmes territoriaux montre aussi qu’elle est fixée dans les espaces, à travers un système urbain faiblement hiérarchisé et fortement intégré, que réactualisent en permanence les synergies et les dynamiques de réseaux entre les acteurs. L’ensemble de ce système politico-territorial s’avère souvent prompt à se saisir des instruments d’autonomisation des pouvoirs locaux. C’est ce qui a fait par exemple le succès pionnier des Eurorégions (telle la région SaarLorlux au contact de la Sarre, de la Lorraine et du Luxembourg) qui sont venues relativiser le poids des États nationaux. Rappelons que c’est sur les frontières de l’Allemagne que se sont constitués les tout premiers exemples de cette politique de développement concerté sur la base d’intérêts communs transnationaux. Le système peut aussi manifester des résistances quand, par exemple, des principes d’équité entre les citoyens semblent mis en question. En témoigne la virulence du débat des années 2005-2006 sur la possibilité de maintenir le principe constitutionnel d’équivalence des conditions de vie („gleichwertige Lebensbedingungen“) garanti par l’article 72 de la Loi Fondamentale : dans les campagnes en voie de puissant dépeuplement, en Mecklembourg ou Brandebourg, le maintien de services à la population dépend de l’État central et son désengagement programmé des services publics met en cause le principe d’équivalence41. Cet exemple vient rappeler la nécessité de se méfier des généralisations hâtives à l’échelle du pays. Autonomie et dépendance s’articulent selon des modalités variables en fonction de l’ancienneté des pratiques d’une économie sociale de marché ou selon qu’il s’agit des espaces densément urbanisés et interconnectés de l’Allemagne rhénane ou saxonne, ou encore des espaces ruraux marginalisés de la grande périphérie berlinoise. À l’intérieur d’un cadre politique fédéral, animé par une puissante tradition de subsidiarité, l’Allemagne constitue ainsi peut-être un espace où s’essaient plus qu’ailleurs des pratiques démocratiques qu’Alain Faure nomme « différentielles », constituées en fonction de configurations locales construites dans la durée et qui « codifient [selon des modalités particulières] les règles de la délibération politique »42.

4. Questions de méthode

37Cette actualité nous a donc conduit à juger pertinente une interrogation sur l’articulation de trois éléments : l’espace, les structures et l’exercice du pouvoir, et enfin les pratiques et représentations des acteurs individuels et collectifs.

38Ce faisant sont apparus quatre grandes exigences de méthode s’imposant à l’étude de cette thématique, et qu’il convient d’expliciter ici.

Interdisciplinarité

39En premier lieu, cet ouvrage se veut interdisciplinaire : les contributions qui y sont rassemblées sont signées par des auteurs provenant d’horizons disciplinaires variés : histoire, géographie, science de la communication, études germaniques, sociologie, science politique. La confrontation d’outils et de catégories divers, mais mobilisés pour l’étude d’un objet commun, offre en effet la possibilité d’une mise à distance critique de ses propres catégories et concepts, dont les significations varient d’une discipline à l’autre. Il suffit de mesurer les écarts existant entre les définitions que donnent les diverses disciplines d’une notion comme celle de territoire pour s’en convaincre.

Variation des échelles

40La seconde exigence de méthode renvoie au principe déjà évoqué de variation des échelles : celui-ci permet de se distancier et de se libérer de l’emprise – d’autant plus forte qu’elle est implicite – de l’échelle étatique ou nationale. De l’échelle locale de la cité-jardin (E. Vonau) ou du quartier (M. Blanc) à celle de l’Union Européenne (H. Stark), le spectre couvert par ces différentes contributions est large. Mais l’intérêt de la démarche réside moins dans l’élargissement de cette gamme que dans la combinaison de ces différentes échelles ainsi rendue possible. La question des « territoires d’identification » est ainsi abordée à l’échelle nationale (par F. Walter) et à celle du Land (par T. Raithel). Effectuée entre les différentes contributions, cette combinaison des échelles d’analyse l’est également à l’intérieur de certains textes : l’étude par H. Stark des rapports entre fédéralisme et subsidiarité européenne permet ainsi de combiner trois échelles (celles du Land, du Bund allemand et de l’Union Européenne), illustrant ce phénomène de désemboîtement, de démultiplication des échelles de référence à l’œuvre dans le domaine politique et juridique. Les études de C. Duhamelle et M. Schnettger rappellent également que le Saint-Empire favorisait cette combinaison des échelles. D’une part, la ville libre de Francfort peut, en raison de son statut juridique et de ses activités économiques tournées vers l’échange, nouer des relations qui dessinent un espace réticulaire présentant une morphologie différente de celle de l’État territorial (Flächenstaat) tel qu’on le définit classiquement : d’autre part, l’exclave montre à quel point l’exercice du pouvoir doit s’envisager non seulement à l’échelle des États territoriaux, mais également à celle, « macro », de l’Empire, comme à celle, plus locale, de ces « micro-territoires », et formule ainsi la question, rarement posée en histoire, du poids de la continuité territoriale dans l’exercice du pouvoir.

Une approche historique dans la longue durée

  • 43 Voir aussi Nipperdey Thomas, « Le fédéralisme dans l’histoire allemande » in : Nipperdey Thomas, (...)

41Le poids important des historiens parmi les contributeurs de ce volume le montre : la question de l’articulation de l’espace et de l’exercice du pouvoir ne peut selon nous être éclairée sans une mise en perspective diachronique. Celle-ci permet, d’une part, de prendre en compte les héritages inscrits dans la moyenne ou longue durée, comme l’illustrent les cas des partis politiques régionaux en Bavière (T. Raithel) ou de l’économie des nouveaux Länder (M. Boldorf) ; elle permet, d’autre part, de mieux cerner les ruptures ou inflexions intervenues dans la relation de l’exercice du pouvoir à l’espace. La prise en compte de la longue durée contribue enfin et surtout à éviter deux pièges : celui d’une vision « fixiste » du rapport de l’exercice du pouvoir à l’espace – consistant notamment à opposer un « modèle » allemand marqué par la décentralisation, le fédéralisme, à un « modèle » français centralisé ou « jacobin » – et le piège de la téléologie, conduisant à rechercher dans le passé des prodromes ou des signes précurseurs, au risque de passer sous silence la diversité des possibles qui s’est historiquement présentée lorsqu’il s’est agi de définir ou de redéfinir l’organisation et les modalités d’exercice du pouvoir : le texte de H. Stark montre ainsi les débats qui ont présidé à l’élaboration de la constitution de la RFA après la Seconde Guerre mondiale, et la diversité des solutions qui ont été envisagées43.

Un souci de mise à distance des concepts

42La dernière exigence de méthode qui s’est imposée est celle de garder une distance critique avec les concepts utilisés, en particulier ceux d’espace et de pouvoir.

  • 44 Läpple D., « Essay… », op. cit. ; Löw M., Raumsoziologie. op. cit.
  • 45 Perrot Jean-Claude, Genèse d’une ville moderne. Caen au XVIIIe siècle, Paris, La Haye, Mouton, 1975
  • 46 Lefebvre Henri, La production de l’espace, Paris, éditions Anthropos, 1974.
  • 47 Voir notamment Harvey David, Explanation in Geography, Londres, Edward Arnold, 1969 dont la critiqu (...)
  • 48 Pour une présentation de l’opposition espace absolu/espace relatif, voir Lévy Jacques, Lussault Mic (...)

43Le concept d’espace s’est historiquement souvent prêté à une définition substantialiste ou essentialiste, et la contribution de W. Köster rappelle quelles instrumentalisations idéologiques une telle approche a permises. Dans le domaine des sciences sociales, des travaux récents44 rappellent que cette approche a souvent abouti à faire de l’espace ou des entités spatiales considérées (la ville, la région, le pays, le territoire national) un simple « container » dans lequel sont localisés des acteurs, des phénomènes divers, sans que pour autant le processus de constitution de ces espaces soit éclairé. Présente en sociologie, cette approche a également prévalu en histoire, qu’il s’agisse de l’État comme échelle de référence de l’histoire politique ou de l’histoire sociale, de la région dans la géographie vidalienne ou les monographies d’histoire régionale rattachées au courant des « Annales », ou de la ville dans un certain nombre de travaux d’histoire urbaine45, ceci en dépit du travail d’Henri Lefebvre dans les années 1960 et 1970 sur la production de l’espace46 et des travaux, à la même époque, d’un certains nombre de géographes47 peu reçus dans les autres disciplines. Depuis une quinzaine d’années ont donc été formulés des plaidoyers pour une conception relativiste de l’espace48, considérant celui-ci non comme un donné préalablement établi, mais comme le produit d’une élaboration, par des acteurs divers, en fonction des ressources dont ils disposent et de leur insertion dans un ensemble de relations de pouvoir diverses (politique, économique, social, culturel). Cette approche permet ainsi d’englober la sphère des représentations mentales, intellectuelles, de l’espace, les investissements affectifs et idéologiques dont il est l’objet, qui sont des éléments constitutifs de l’espace en tant qu’ils informent des pratiques concrètes.

  • 49 Balme Richard, Chabanet Didier, « Action collective et gouvernance de l’Union européenne » in : Bal (...)

44Les réflexions esquissées plus haut, à propos de la diversité des échelles spatiales auxquelles le pouvoir s’exerce, nous conduisent à privilégier une approche relationnelle de l’exercice du pouvoir (Herrschaftsausübung) : au même titre que l’espace, celui-ci est le résultat d’un processus impliquant des acteurs divers. Notre approche du rapport entre espace et pouvoir passe donc moins par la notion de gouvernement des territoires que par celle de gouvernance qui se distingue du premier « en ce qu’elle caractérise un ensemble d’institutions et d’acteurs, publics et privés, plus que l’activité d’un organe centralisant l’autorité exécutive. »49

45Enfin, la mise à distance des catégories s’opère en particulier grâce au recours au comparatisme franco-allemand, comme le montrent notamment les contributions de M. Blanc et de F. Walter.

5. Les contributions de cet ouvrage

46L’ouvrage commence par deux premiers textes qui abordent la question de la diversité et de la pluralité des territoires en Allemagne, fondant un rapport spécifique au pouvoir. Dans cette première partie intitulée Les pouvoirs et la pluralité des territoires allemands, l’historien Matthias Schnettger examine les espaces d’action et d’interaction à Francfort, ville d’Empire, à l’époque moderne, et le germaniste chercheur en sciences de la communication Werner Köster étudie la manière dont des discours génèrent leur évidence en s’appuyant sur la métaphore de « l’espace » qui devient alors un vecteur de la resubstantialisation de cet espace. Un deuxième ensemble de textes est consacré aux territoires d’identification. L’historien François Walter recourt à une comparaison des paysages nationaux, qu’il qualifie d’» improbables », en Allemagne et en France pour dégager des spécificités dans le rapport entre identité nationale et paysage. L’historien Christophe Duhamelle se penche sur le phénomène de l’exclave dans le Saint-Empire après la paix de Westphalie pour proposer un examen détaillé des notions de « dedans » et de « dehors » et nourrir une redéfinition des notions de territoire et de frontière dans l’ancrage des identités. À une autre échelle, celle de la ville et du quartier, et se concentrant sur l’intervention volontariste des acteurs sur l’espace, la germaniste Elsa Vonau présente l’aménagement de l’espace dans l’expérience des cités-jardins et met en évidence des différences dans l’inscription spatiale d’une inspiration similaire. Enfin, l’historien Thomas Raithel étudie l’identification de partis au territoire de la Bavière au XXe siècle et examine le phénomène de l’ancrage politique et de support d’identité propre au parti régional.

47La troisième partie de l’ouvrage rassemble des contributions étudiant sous des aspects différents le paradigme Est-Ouest qui a fortement marqué l’Allemagne du second XXe siècle et qui demeure prégnant après la réunification de 1990. Dans cette partie intitulée Est-Ouest, les différences en héritage, l’historien Marcel Boldorf présente les problèmes économiques et sociaux consécutifs à l’entrée de la RDA dans la République fédérale d’Allemagne, montrant, au-delà de l’instant de la création d’un seul espace économique, l’étendue et les effets de l’héritage de l’économie planifiée. La politiste Johanna Edelbloude s’arrête sur les nouveaux Länder de l’ancienne RDA et y examine les modalités d’un renouveau de l´extrême droite dans une « conquête » territoriale organisée. Enfin le géographe Guillaume Lacquement parcourt l’espace situé le long de la ligne, gommée, de l’ancienne frontière interallemande en y étudiant les politiques de développement local. Sa contribution met en évidence « l’effet de frontière » dans les jeux d’acteurs et de pouvoirs.

48Le quatrième groupe de textes enfin s’arrête particulièrement sur la diversité, l’emboitement et le désemboîtement des échelles. Dans cette partie intitulée Les niveaux de la pratique démocratique : entre participation locale et construction européenne, le sociologue Maurice Blanc procède à une comparaison de la Politique de la ville en France et de la Soziale Stadt en Allemagne, s’arrêtant au quartier et confrontant deux types d’inscription dans l’espace d’une politique d’intégration sociale, de prévention de la violence et de participation des habitants. Deux analyses examinent enfin les effets de la réforme du fédéralisme allemand : Yoan Vilain s’interroge en juriste sur ses effets dans les rapports entre Länder et fédération à l’intérieur de l’Allemagne, tandis que le politiste Hans Stark étudie sa portée pour l’échelle européenne, autour des notions de subsidiarité et de transferts de souveraineté.

6. Résultats

49En dehors des apports propres à chaque contribution de cet ouvrage, il faut retenir deux résultats majeurs de la mise en contact des analyses.

Diversité des échelles auxquelles s’opère l’inscription spatiale de l’exercice du pouvoir, et fortes variations dans le temps

50En comparaison avec des entités culturelles voisines, le cas allemand met en évidence une multiplication et une intrication des échelles d’exercice du pouvoir. Elles se situent de part et d’autre de l’État national qui a été le cadre structurant prédominant de l’historiographie à l’époque moderne et contemporaine. Comme on l’a rappelé ici, la référence implicite et univoque au cadre de l’État-nation ne marqua pas que le point de vue français dans le modèle de l’absolutisme centralisé puis de la République une et indivisible ; la prégnance du cadre national toucha aussi une approche allemande, grosso modo entre l’unité allemande de 1871 et l’unification de 1990. Par rapport à ce pivot, une typologie des échelles permet de distinguer les échelles « infra-étatiques » – c’est-à-dire le quartier, la ville, la région, l’exclave, l’État territorial, les subdivisions Est-Ouest d’un ensemble national – et les échelles « supra-étatiques » – c’est-à-dire le cas particulier du Saint-Empire et la construction européenne.

  • 50 Koselleck R., « Structures fédérales… », op. cit., p. 132-133.

51Un corrélat de cette diversité avec laquelle l’exercice du pouvoir s’est inscrit dans l’espace allemand et du malaise provoqué par le paradigme national est l’apparition de phénomènes de compensation, en réaction au faible rôle joué par l’échelle nationale à la fois sur les plans politique, institutionnel et économique, et en tant que cadre de référence identitaire. Au XIXe siècle la notion d’État unitaire allemand relevait en effet de l’» horizon d’attente » plus que du « champ d’expérience » (R. Koselleck), les élites politiques allemandes étant au XIXe siècle réticentes envers la création d’un État national allemand50. À ce processus de compensation peut être associée la constitution de territoires d’identification tels que la Heimat et le paysage. On a affaire là à une utilisation métaphorique de la référence à l’espace comme fondement identitaire ; elle n’en est pas moins porteuse d’enjeux de pouvoir, à travers l’investissement idéologique dont est l’objet la notion de paysage. C’est ce qu’illustre la contribution de François Walter qui met en évidence la manière dont une définition identitaire, opérée à l’échelle locale ou régionale du paysage, est instrumentalisée pour servir des enjeux idéologiques et politiques se situant à une échelle plus petite (nationale), le paysage devant servir à cristalliser une « identité nationale » encore incertaine et floue.

 

52Werner Köster montre que cette utilisation et cette référence identitaires à l’espace avaient été crédibilisées et dynamisées par la réalisation de l’unité nationale à la fin du XIXe siècle : les rapports et les enjeux de pouvoir à l’œuvre derrière les discours sur l’espace ont, dès lors, trouvé un fondement géopolitique, territorial concret, ce qui a permis à ces discours de légitimer une politique expansionniste.

Exercice du pouvoir et espace : un rapport construit

53L’étude de l’articulation de l’exercice du pouvoir à l’espace fait apparaître le rapport entre pouvoir et espace comme un rapport construit, c’est-à-dire comme le résultat de phénomènes et de processus divers.

54Ceux-ci sont d’abord de nature politique et institutionnelle. Ils résultent notamment du découpage et du maillage de l’espace, des politiques d’aménagement du territoire comme le montrent les contributions de Maurice Blanc et de Elsa Vonau sur l’espace comme support de politiques d’aménagement, et enfin des délégations de pouvoirs et de compétences à des acteurs opérant à une échelle plus locale, par exemple de l’État vers la ville, selon des modalités qui présentent, en France et en Allemagne, des différences (M. Blanc).

55Dans ces phénomènes marquant la construction du rapport entre pouvoir et espace, le poids des acteurs individuels et collectifs est majeur.

56Ainsi observe-t-on que la diversification ou démultiplication des échelles de prise de décision et d’exercice du pouvoir n’est pas seulement le résultat d’un octroi par le pouvoir central (suivant un processus top-down), mais que les espaces d’autonomie sont aussi conquis par les acteurs (bottom-up). Ceci est démontré en particulier dans les contributions de Christophe Duhamelle et de Michael Schnettger sur les élites municipales ou le patriciat marchand de Francfort. Ces phénomènes se réalisent par la mise en œuvre de stratégies diverses, qu’elles soient de prise de parole, de négociation ou de formulation d’une identité régionale.

  • 51 Voir les réflexions de Luutz W., Raum…, op. cit., p. 34 suiv.

57Enfin, ces pratiques des acteurs aboutissent à une redéfinition des espaces. Ainsi se dégage l’espace spécifique de la « frontière » à travers des pratiques qui transgressent ou dépassent les frontières politiques, institutionnelles établies. On le voit dans la contribution de Christophe Duhamelle qui aboutit à la redéfinition des notions de « dedans » et de « dehors », donc de la distinction entre intérieur et extérieur, fondamentale pour toute identité collective51. On le voit également dans le texte de Guillaume Lacquement sur la frontière interallemande comme nouvel espace d’organisation du pouvoir. Par ailleurs le « territoire » apparaît comme l’autre produit important de la redéfinition de l’espace. Les différentes contributions montrent qu’il est à la fois un espace politique, un espace approprié et un espace de référence identitaire, c’est-à-dire où se définit une identité qui n’est pas seulement nationale.

  • 52 Nous nous sommes tenus à l’approche formulée par Jacques Lévy et Michel Lussault : « Un espace se c (...)

58On constate, pour finir, que cette démultiplication des espaces de référence et des échelles de l’exercice de pouvoir aboutit à une extension des espaces d’action ou marges de manœuvre (Handlungsräume) des différents acteurs. Voila qui ouvre la réflexion à des approches articulées à un usage cette fois métaphorique de la notion d’espace. Car, par-delà la définition stricto sensu que nous avons mobilisée dans cet ouvrage52, jusque dans les contributions mettant en évidence les représentations – y compris symboliques – de l’espace, notre ouvrage voudrait s’inscrire dans un champ d’analyse plus large portant sur les manières dont se sont construits et se transforment les espaces publics de l’Europe contemporaine.

Notes

1 Osterhammel Jürgen, « Die Wiederkehr des Raumes : Geopolitik, Geohistorie und historische Geographie » in : Neue Politische Literatur, vol. 43, 1998, p. 374-397, ici p. 374-375

2 Behringer Wolfgang, « Bauern-Franz und Rassen-Günther. Die politische Geschichte des Agrarhistorikers Günther Franz », in : Schulze Winfried, Oexle Otto Gerhard (dir.) Deutsche Historiker im Nationalsozialismus « , (1999), 4e édit., Francfort-sur-le-Main, Fischer, 2000, p. 114-141 ; Algazi Gadi, « Otto Brunner – „Konkrete Ordnung „und Sprache der Zeit“ » in : Schöttler Peter (dir.), Geschichtsschreibung als Legitimationswissenschaft 1918-1945, (1997) 2e édit, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, p. 106-203. Voir dans ce volume la contribution de Werner Köster.

3 D’où une minoration de la période moderne et une surestimation de l’importance de la période napoléonienne, par exemple chez Nipperdey Thomas, Deutsche Geschichte, Munich, Beck, 3 vol., 1983-1992.

4 Un exemple frappant est fourni par la monumentale synthèse de H.-U. Wehler sur l’histoire de la société allemande : Wehler Hans-Ulrich, Deutsche Gesellschaftsgeschichte, Munich, Beck, 1989-2004, 4 vol. Voir François Étienne, « Présentation » in : Duhamelle Christophe (dir.), « Les espaces du Saint-Empire à l’époque moderne » in : Histoire Économie et Société, 2004/1, p. 3-4

5 Perroux François, L’économie du XXe siècle, Paris, PUF, 1963.

6 Löw Martina, Raumsoziologie, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2001 ; Läpple Dieter, « Essay über den Raum. Für ein gesellschaftliches Raumkonzept » in : Häußermann Hartmut, Ipsen Detlev, Krämer-Badoni Thomas, Läpple Dieter, Rodenstein Marianne, Siebel Walter (dir.), Stadt und Raum. Soziologische Untersuchungen (1991), Pfaffenweiler, Centaurus-Verlagsgesellschaft, 2e édit., 1992, p. 157-207.

7 Luutz Wolfgang, Raum Macht Einheit. Sozialphilosophische und politik-theoretische Reflexionen, Munich, Martin Meidenbauer, 2005.

8 Revel Jacques (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1996 ; le « tournant critique » amorcé par les Annales il y a une vingtaine d’années s’inscrit également dans cette démarche. En Allemagne, ces réflexions ont notamment été développées au sein de l’Institut Max-Planck d’Histoire de Göttingen : voir le sous-titre programmatique de l’étude de Medick Hans, Weben und Überleben in Laichingen 1650-1900. Lokale Geschichte als Allgemeine Geschichte (1996), 2e édit., Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997.

9 Pierson Paul, « Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics » in : American Political Science Review, vol. 94, no 2, June 2000, p. 251-267. Id., Politics in Time : History, Institutions, and Social Analysis, Princeton N.J., Princeton University Press, 2004.

10 Tant chez des historiens comme Winkler Heinrich August, Der lange Weg nach Westen, Munich, Beck, 2000, des praticiens de la philosophie politique tels Jürgen Habermas dans la querelle des historiens (article pour Die Zeit 11. 07. 1986 in : Historikerstreit. Die Dokumentation der Kontroverse um die Einzigartigkeit der nationalsozialistischen Judenvernichtung, Munich, Piper 1987, p. 62-76) ou après la réunification avec Die postnationale Konstellation. Politische Essays, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1998. Cette conception avait été reprise avant la reunification notamment par Lafontaine Oskar, Die Gesellschaft der Zukunft, Hambourg, Hoffmann und Campe, 1988.

11 Jugement de la Cour constitutionnelle fédérale du 31. 07. 1973 ; voir Blumenwitz Dieter, « Die Entscheidung des Bundesverfassungsgerichts über die Ostverträge » in : Europäische Grundrechte-Zeitschrift, vol. 2, 1975, 28, p. 556-560. On voit ici appliqué à l’espace le paradigme de la continuité, relativisant le caractère total de la rupture de 1945, qui a fortement marqué la recherche des années 70 et 80, en particulier l’histoire sociale, par ex. Conze, Werner, Lepsius, Rainer M. (dir.), Sozialgeschichte der Bundesrepublik Deutschland. Beiträge zum Kontinuitätsproblem, Stuttgart, Klett, 1983.

12 Les protestations gouvernementales auprès des éditeurs au sujet de la matérialisation de la frontière interallemande portaient également sur le statut de frontière d’État injustement accordé à la ligne Oder-Neisse ; les deux frontières étaient aussi illégitimes pour la RFA, toutes deux étant le produit de l’arbitraire de l’Union soviétique et la matérialisation d’une amputation de territoire contraire aux décisions de Potsdam.

13 Rumpf Helmut, Vom Niemandsland zum deutschen Kernstaat: Beiträge zur Entwicklung der Deutschlandfrage seit 1945, Hambourg, Heitmann, 1979.

14 Voir dans ce volume la contribution de Guillaume Lacquement.

15 Les Länder concernés échouèrent dans leur plainte devant la Cour constitutionnelle fédérale qui la rejeta dans son jugement du 11. 11. 1999. Après intégration des nouveaux Länder, le volume à répartir entre Länder était passé de 1,5 milliard d’euros en 1994 à plus de 8 milliards en 2000, Scharpf, Fritz W., « Weshalb wurde so wenig erreicht ? » in : Aus Politik und Zeitgeschichte, vol. 50, 2006, p. 8.

16 Hesse Konrad, Der unitarische Bundesstaat, Karlsruhe, Müller, 1962. Lehmbruch Gerhard, « Der unitarische Bundesstaat in Deutschland : Pfadabhängigkeit und Wandel » in : Benz Arthur, Lehmbruch Gerhard (dir.), Föderalismus. Analysen in entwicklungsgeschichtlicher und vergleichender Perspektive, Politische Vierteljahresschrift, Sonderheft 32, 2001, p. 53-110. L’État fédéral réussit à élargir de manière progressive et continue ses compétences : Bundesministerium des Innern (dir.), Bewährung und Herausforderung. Die Verfassung vor der Zukunft, Opladen, Leske + Budrich, 1999.

17 Herzog Roman, « Kooperation und Wettbewerb » in : Aus Politik und Zeitgeschichte, vol. 50, 2006, p. 3-5

18 Schatz Heribert, Van Ooyen Robert Chr., Werthes Sascha, Wettbewerbsföderalismus. Aufstieg und Fall eines politischen Streitbegriffs, Baden-Baden, Nomos, 2000.

19 La revendication de plus d’autonomie pour les Länder a été portée par des universitaires et experts, notamment dans le contexte européen, voir Scharpf Fritz, « Föderale Politikverflechtung. „Was muss man ertragen ? Was kann man ändern ? » in : Morath Konrad (dir.), Reform des Föderalismus, Bad Homburg, Frankfurter Institut - Stiftung Marktwirtschaft und Politik, 1999, S. 23-36 ; id., « Mehr Freiheit für die Bundesländer. Der deutsche Föderalismus im europäischen Standortwettbewerb » in : Frankfurter Allgemeine Zeitung, 07. 04. 2001.

20 Voir dans ce volume les contributions de Hans Stark et de Yoan Vilain

21 Badie Bertrand, La fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect. Paris, Fayard, 1995 ; id., Un monde sans souveraineté. Paris , Fayard,1998.

22 Antheaume Benoît, Frédéric Giraut (dir.), Le territoire est mort. Vive les territoires ! Paris, IRD éditions, 2005.

23 Faure Alain, « La construction du sens plus que jamais en débat » in : Faure Alain, Douillet Anne.-Cécile (dir.) L’action publique et la question territoriale, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2005, p. 24.

24 Veltz Pierre, Des lieux et des liens. Essai sur les politiques du territoire à l’heure de la mondialisation, La Tour d’Aigue, éditions de l’Aube, 2002

25 Georgakakis Didier, de Lassale Marine (dir.) La nouvelle gouvernance européenne : genèse et usages politiques d’un livre blanc. Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2007.

26 Rey Violette, Coudroy de Lille Lydia, Boulineau Emmanuelle (dir.), L’élargissement de l’Union Européenne : réformes territoriales en Europe centrale et orientale, Paris, L’Harmattan, 2004.

27 Bulmer Simon, Radaelli Claudio M., « The Europeanization of National Policy » in : Bulmer Simon, Lequesne Christian (dir.), The Member States of the European Union, Oxford, Oxford. University Press, 2005, p. 338-359.

28 Ce sont même à plusieurs reprises des acteurs issus de la scène politique allemande qui se sont faits les actifs promoteurs au sein de l’Union d’une plus forte autonomie régionale et locale. Pensons aux Länder qui s’étaient mobilisés pour obtenir l’inscription explicite du principe de subsidiarité au traité de Maastricht en 1993, reprenant à leur compte un modèle qui plonge ses racines dans l’histoire politique allemande.

29 Serrano-Velarde Kathia, Evaluation, Akkreditierung und Politik; Zur Organisation von Qualitätssicherung im Zuge des Bolognaprozesses,, Wiesbaden, VS Verlag, 2008.

30 Cuny Cécile, « Inhabitants and Bourgeois : Historical Perspectives on popular consultations in today’s Berlin » in : Rabier Christelle (dir.) Fields of expertise : London and Paris since 1600, Cambridge, Cambridge Scholars Press, 2007. Cuny Cécile, Herzberg Carsten, « Herausforderungen der technischen Demokratie : Bürgerhaushalt und die Mobilisierung von Bürgerwissen. Eine Untersuchung von Beispielen in der Region Berlin-Brandenburg » in : Hans Böckler Stiftung, PICRIi/Ile-de-France (éd.), « Les dispositifs participatifs locaux en Europe : Vers une démocratie technique ? » Berlin, Centre Marc Bloch, 2007, sur internet sous http://www.buergerhaushalt-europa.de/documents/Artikel_buergerwissen_Herzberg_Cuny20.pdf

31 Depraz Samuel, « Le concept d’Akzeptanz et son utilité en géographie sociale : exemple de l’acceptation sociale des parcs nationaux allemands » in : L’Espace géographique, vol. 34, 2005, no 1, p. 1-16.

32 Queva Christophe, « Acteurs et territoires du développement rural en Allemagne orientale » in : Revue d’Études Comparatives Est-Ouest, vol. 38, 2007, no 3, p. 117-134.

33 Ibid.

34 Bogumil Jörg, Grohs Stephan, Kuhlmann Sabine, Ohm Anna K. (dir.), Zehn Jahre Neues Steuerungsmodell. Eine Bilanz kommunaler Verwaltungsmodernisierung, Berlin, edition Sigma, 2007

35 Lozac’h Valérie, « Les communes allemandes face à la gouvernance européenne : entre logiques de transposition et stratégies de repositionnement » in : Georgakakis D., de Lassale M. (dir.) La nouvelle gouvernance européenne, op. cit., pp. 255–287.

36 Voir le travail d’Elsa Vonau sur les Cités jardins en Allemagne et en France qui offre un lecture très dynamique du processus d’invention d’une politique de la ville dans les cercles réformateurs.

37 Giraud Olivier, « Une école allemande d’analyse des politiques publiques entre traditions étatiques et théorique » in : Revue francaise de sciences politiques, vol. 52, no 1, 2002, p. 6

38 C’est la thèse défendue à propos du Saint-Empire par Georg Schmidt, Geschichte des Alten Reiches. Staat und Nation in der Frühen Neuzeit 1495-1806, Munich, Beck, 1999. Voir aussi Koselleck Reinhart, « Structures fédérales de l’histoire allemande », in Koselleck Reinhart, L’expérience de l’histoire, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1997, p. 133. Aussi en français, quelques publications récentes : Lebeau Christine (dir.), L’espace du Saint-Empire du Moyen Âge à l’époque moderne, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2004 ; Duhamelle C. (dir.), « Les espaces… », Histoire Économie et Société, op. cit.

39 Lozac’h Valerie, « L’ancienne RDA : un laboratoire pour une réforme de l’action publique locale ? » in : Revue d’Études comparatives Est-Ouest, vol. 39, 2008, no 4. p. 13-31.

40 Rowell Jay, Le totalitarisme au concret. Les politiques du logement en RDA, Paris, Economica, 2006.

41 Born Karl-Martin, « Débats et enjeux autour du développement lcoal dans les nouveaux Länder » in : Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 38, 2007 no 3, p. 57-84.

42 Faure Alain, « Politique publique et gouvernements urbains : le temps venu de la démocratie différentielle » in : Telescope – Revue d’analyse comparée en Administration publique, vol. 13, 2007,3, p. 11-20, ici p. 17.

43 Voir aussi Nipperdey Thomas, « Le fédéralisme dans l’histoire allemande » in : Nipperdey Thomas, Réflexions sur l’histoire allemande, (1990), trad., Paris, Gallimard, 1992, p. 81-155, notamment p. 141 suiv.

44 Läpple D., « Essay… », op. cit. ; Löw M., Raumsoziologie. op. cit.

45 Perrot Jean-Claude, Genèse d’une ville moderne. Caen au XVIIIe siècle, Paris, La Haye, Mouton, 1975.

46 Lefebvre Henri, La production de l’espace, Paris, éditions Anthropos, 1974.

47 Voir notamment Harvey David, Explanation in Geography, Londres, Edward Arnold, 1969 dont la critique a fortement contribué à instituer dans la discipline une conception leibnizienne de l’espace géographique, dont la structure même est créée par des activités de relation. Robic Marie-Claire, « Épistémologie de la Géographie » in : Bailly Antoine, Ferras Robert, Pumain Denise (dir.) Encyclopédie de Géographie, Paris, Economica, p. 37-56.

48 Pour une présentation de l’opposition espace absolu/espace relatif, voir Lévy Jacques, Lussault Michel, « Espace » in : Lévy Jacques, Lussault Michel (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 326-328.

49 Balme Richard, Chabanet Didier, « Action collective et gouvernance de l’Union européenne » in : Balme Richard, Chabanet Didier, Wright Vincent (dir.) L’action collective en Europe, Paris, Presses de Sciences po, 2002, p. 108.

50 Koselleck R., « Structures fédérales… », op. cit., p. 132-133.

51 Voir les réflexions de Luutz W., Raum…, op. cit., p. 34 suiv.

52 Nous nous sommes tenus à l’approche formulée par Jacques Lévy et Michel Lussault : « Un espace se caractérise au minimum par trois attributs : la métrique, l’échelle, la substance » in : Lévy J., Lussault M., « Espace » op. cit., p. 325.

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