1Tandis qu’un projet de loi menace dès 1879 les universités catholiques, un texte1 du corps enseignant s’appuie sur l’exemple de Lille pour montrer que ce projet est contraire aux intérêts de la science. Il donne un coup de projecteur intéressant sur l’état de cette jeune institution en 1879. Elle est présentée, non sans quelque emphase, comme « un des foyers d’études les plus considérables de France et peut-être du monde ». Avec ses cinq facultés, elle compte alors 54 professeurs, plus de 30 auxiliaires, chefs de travaux ou de clinique, bibliothécaires, etc. La bibliothèque universitaire a acquis en trois années de fonctionnement 34 000 volumes, les laboratoires de physique et chimie sont des mieux pourvus et des recherches importantes s’y développent, la botanique possède « la série la plus complète des végétaux fossiles du terrain houiller du Nord », les autres laboratoires sont en train de constituer des collections déjà riches en zoologie ou géologie. La faculté de médecine, outre ses 200 lits à l’hôpital Sainte-Eugénie, possède déjà deux dispensaires, six laboratoires. Le nombre des docteurs est, dans certaines facultés, plus grand que le nombre exigé par la loi (droit et sciences) et les programmes plus larges. Le texte insiste sur l’économie politique obligatoire pour les étudiants en faculté de droit, le droit maritime, le droit constitutionnel, l’enregistrement et le notariat peu développés dans les facultés d’État ou encore le droit naturel et le droit canon qui n’y sont pas enseignés. L’enseignement de la faculté des lettres est présenté comme unique en France… Au total l’Université catholique s’enorgueillit alors de fournir 92 cours qui embrassent « tout le cycle des connaissances humaines ». On y évoque aussi la rigueur demandée aux étudiants qui ont à subir des examens fréquents et sévères, les cycles de conférences, les travaux pratiques, les compositions écrites. Le nombre total d’étudiants est alors de 2702. Les professeurs poursuivent leurs recherches scientifiques et continuent à publier des ouvrages et un grand nombre d’articles. Deux revues propres à l’Université ont été fondées, le Journal des sciences médicales de Lille et la Revue des sciences ecclésiastiques.

2Les auteurs de ces observations soulignent également que tout ceci est un stimulant sur le plan scientifique, un stimulant également « par l’émulation » pour les facultés et écoles officielles. Optimisme de rigueur dans ce texte défensif qui, s’il donne une description des facultés catholiques de Lille, n’en laisse guère apparaître les difficultés. Or celles-ci sont immenses et pas uniquement dues aux menaces que la République anticléricale fait peser sur elles. Outre sa fragilité financière persistante, la jeune institution est le théâtre de convulsions internes qui, dans le contexte incertain des débuts, pourraient compromettre son existence. Dès la fin des années 1880, toutefois, le climat est à l’apaisement et on peut espérer que l’Université qui a semblé, écrit Mgr Lesne, « condamnée à dépérir, à végéter » reprenne « force et vigueur ». Au tournant du siècle sa réputation n’est plus à faire quant à la qualité de son enseignement et de sa production intellectuelle.

Traversée difficile

3Aux difficultés déjà largement évoquées s’ajoutent des problèmes internes qui secouent les facultés catholiques, dans leur première décennie.

Des engagements à tenir

4Un important travail a été réalisé pour recruter des enseignants à la hauteur des ambitions de l’université. On a voulu s’attacher des hommes de foi, à la réputation universitaire solide, compétents en leur domaine et prêts à s’investir dans ce projet, soit une soixantaine de professeurs dont les états de services laissent augurer d’un enseignement de qualité. On s’est engagé (salaire, retraite, assurance, inamovibilité, indemnité de logement…) vis-à-vis d’hommes qui ont déjà une carrière importante derrière eux et qui acceptent de la sacrifier, de quitter la sécurité d’emploi et de rémunération, de déménager avec leur famille, parfois nombreuse,… pour prendre part à une aventure pour le moins risquée. Mais des problèmes apparaissent très vite « dans un milieu formé d’hommes venus de tous les points de l’horizon et de mentalités fort diverses, quoique d’une égale bonne volonté, quelques-uns d’âge mûr ou même ayant blanchi déjà sous le harnois, qui ont contracté ailleurs des habitudes et apporté des idées faites. Les intellectuels et les savants ont, plus peut-être que d’autres, un amour propre chatouilleux et un caractère indépendant » (Lesne). Maints conflits surgissent, en effet, au fil des ans, au sein du corps professoral et avec les autorités hiérarchiques. Au-delà de l’indépendance qui caractérise souvent intellectuels et savants, de leurs sautes d’humeur ou de leur amour propre, on peut penser qu’on s’est aussi parfois mépris sur l’engagement ou les compétences de l’un ou l’autre. En 1927 Mgr Lesne décrit ces conflits dans un langage quelque peu châtié au regard de ce que laissent apparaître les comptes rendus du CA et autres documents archivés sous la rubrique « Affaires » :

Quelques installations de la faculté des sciences : Amphi de chimie

Quelques installations de la faculté des sciences : Amphi de physique

Quelques installations de la faculté des sciences : Salles de TP et laboratoires de physique et chimie

« Tel n’est pas le maître consciencieux, appliqué, désintéressé qui avait été annoncé. Un autre, vieilli avant l’âge, se révèle en dépit d’un passé chargé d’honneurs, notoirement insuffisant. Tel autre joint à une science universellement appréciée une brusquerie, les fantaisies et les emportements d’un enfant. » […] « Dans une maison toute neuve, les règles et les constitutions très récentes n’ont l’appui d’aucune expérience et ne sont pas renforcées par les traditions, complétées par un coutumier. Entêtements, passions, compétitions, et une fois au moins, semble-t-il, de la part d’un égaré, manquement grave à l’honneur, quelle tristesse de rencontrer ces hôtes inattendus au sein d’une Université catholique ! ».

5Il y a dès lors de terribles batailles dans lesquelles les autorités doivent faire front. Le sénat académique est constitué en cours judiciaire, des causes sont évoquées devant les évêques, des appels adressés à Rome, des litiges transportés devant les tribunaux civils… non sans provoquer émoi et dissensions au sein du corps professoral, étonnement de l’opinion, applaudissements ironiques des adversaires…

Les affaires Béchamp et Chautard

6Certains litiges importants choquent particulièrement dans la mesure où ils concernent des personnalités pour lesquelles les sacrifices ont été à la mesure du désir de les gagner à la cause de l’Université catholique de Lille. Dès le début Antoine Béchamp, doyen de la faculté de médecine, conteste les choix qui sont faits, estimant qu’on ne lui donne pas les moyens qui lui ont été promis en termes de collaborateurs, d’enseignants de haut niveau, de matériels, de laboratoires, etc. Le 31 mai 1877, avant même l’ouverture de la faculté de médecine, il écrit au recteur qu’« il est temps de ne pas perdre de vue l’essentiel pour l’accessoire ». Très vite il refuse d’exercer ses fonctions de doyen, estimant qu’il n’en a pas les moyens. Celles-ci sont de fait remplies par deux assesseurs et la question se pose plusieurs fois au CA de savoir s’il ne faut pas lui retirer les « privilèges » attachés à la fonction. Il avait commencé d’importants travaux de laboratoire alors qu’il était pharmacien à Strasbourg et enseignait à l’école de pharmacie. Docteur ès sciences en 1856, docteur en médecine, il est l’auteur d’une thèse remarquée sur l’origine et la synthèse de l’urée. Après 20 ans encore d’enseignement et recherches à Strasbourg puis à Montpellier, il est un des savants les plus réputés dans le domaine des sciences chimiques et biologiques. Dans le domaine industriel il a mis au point le procédé de fabrication des couleurs d’aniline. En biologie ses études sur les fermentations ont abouti à la théorie du microzyma qui s’oppose à l’époque à la théorie microbienne de Pasteur. Il est membre correspondant de l’Académie de médecine. Mais toutes ces qualités incontestables ne répondent pas aux attentes de l’université et la correspondance échangée entre Antoine Béchamp, le recteur Hautcœur et les évêques témoigne d’une incompatibilité complète des positions dont la conséquence est tirée, lorsqu’Antoine Béchamp est mis à la retraite en 1886.

Quelques installations de la faculté de médecine et pharmacie: amphis, laboratoires, salles de TP

Quelques installations de la faculté de médecine et pharmacie: amphis, laboratoires, salles de TP

Quelques installations de la faculté de médecine et pharmacie: amphis, laboratoires, salles de TP

Quelques installations de la faculté de médecine et pharmacie: amphis, laboratoires, salles de TP

Quelques installations de la faculté de médecine et pharmacie: amphis, laboratoires, salles de TP

7Le débat repose en particulier sur les convictions de Béchamp que la faculté de médecine est la seule destinée à attirer longtemps des nombreux élèves à l’université et qu’il faut frapper l’opinion par l’ampleur de son personnel et de ses moyens d’instruction et non la réduire au rang d’école secondaire comme risquent de l’y entraîner les choix budgétaires : « Il y a péril et il faut parler », martèle-t-il. Dans une lettre aux évêques de la Province, il décrit le contentieux qui l’oppose au recteur, dégageant des difficultés de trois ordres : la fausse position du doyen, le mécontentement des professeurs et le désarroi des finances. Le doyen n’a ni autorité ni initiative face au recteur dont il conteste les empiétements. Lorsqu’on est venu le chercher à Montpellier, on lui a promis de le laisser appliquer le programme qu’il avait prévu alors et, à sa question concernant l’argent, il lui a été répondu… « De l’argent, nous en avons tant que nous voulons ! » Au regard de son âge il avait également posé quelques conditions. Aucune promesse n’a été tenue tandis qu’il n’a accepté les fonctions de doyen que pour faciliter un arrangement financier et ménager les finances de l’université. Son mécontentement, ajoute-t-il, est partagé par des professeurs dont l’âge et la position antérieure ne sont pas prises en considération. Il n’est pas acceptable qu’en réponse à toutes les observations et sollicitations, il soit « invariablement fait appel au dévouement de chacun et de tous ». Les dépenses enfin ont été faites sans discernement, avec prodigalité, certaines étant inutiles, accessoires, même dangereuses. On gaspille l’argent dans les dispensaires et maisons de famille au lieu de le consacrer à l’enseignement. Le résultat de ces choix se traduit, dit-il encore, dans une baisse des effectifs dans le cours même de l’année (108 inscrits au début, 67 à la fin) alors même que les facultés d’État sont en progrès. « Les procédés administratifs de Mgr Hautcœur compromettent de plus en plus une noble entreprise »3 indique Antoine Béchamp mettant clairement en cause le recteur lui-même. Antoine Béchamp, conteste aussi les choix du docteur Henri Desplats qui a contribué, dès avant l’ouverture, au recrutement du premier personnel et qui a mis sans doute davantage en avant la dimension humaine et spirituelle de l’œuvre que sa dimension scientifique. Un autre litige surgit également, cette même année 1886, entre les facultés catholiques et le fils d’Antoine Béchamp, Joseph Béchamp, qui perd en 1888 le procès qu’il leur intente.

8D’autres conflits surgissent lorsque, devant faire face à d’insurmontables difficultés financières, l’Institut catholique est contraint de supprimer des chaires. En 1880 le nombre des étudiants a pour la première fois cessé de croître et s’est fixé, pour quelques années, autour de 200. Les ressources diminuent alors qu’elles devraient augmenter. Il faut faire des économies et trancher dans les branches considérées comme les moins utiles, tandis qu’on cesse également d’accorder au corps professoral les augmentations promises. C’est l’occasion d’un certain nombre de conflits plus ou moins graves, particulièrement lorsque les dix années prévues par les contrats en 1876 s’étant écoulées les autorités croient pouvoir supprimer ces chaires de moindre rendement. C’est l’une des dimensions du litige avec Antoine Béchamp comme avec Jules Chautard, doyen de la faculté des sciences dont la chaire est supprimée, au motif que celui-ci a atteint l’âge de 60 ans et que ses problèmes de santé ne lui permettent plus de toute façon d’exercer sa charge de doyen ni celle d’enseignant. Il conteste, opposant le contrat signé 10 ans plus tôt qui lui garantissait l’inamovibilité de sa charge jusqu’à l’âge de 70 ans, et publie même en 1887 la correspondance qu’il a eue à cette occasion avec les autorités académiques. Celles-ci sortent cependant victorieuses de ces bras de fer. Les doyens Béchamp et Chautard se retirent finalement.

9Mgr Hautcœur fait face aux convulsions des années 1880 avec une énergie peu commune et sans doute aussi une raideur peu compatible avec la situation. Or ces graves difficultés internes provoquent l’intervention du Saint-Siège par l’entremise d’une enquête canonique confiée au cardinal Langenieux, ce que les évêques de la Province et singulièrement le chancelier, Mgr Monnier, apprécient peu. Cette intervention fait fi de leur propre autorité. Or dans une note remise au cardinal Langénieux, à son arrivée à Lille le 23 février 1888, Mgr Hautcœur expose son point de vue et constate que le corps professoral a été recruté un peu vite et que, si globalement les fondateurs ont eu la main heureuse, il y a quelques ferments qui n’auraient pas dû s’y développer : une constitution académique, qui fait la part trop large aux discussions et délibérations au risque des intrigues, a rendu la mission du recteur très pénible pendant les dix premières années, en particulier du fait des doyens Béchamp et Chautard qui, écrit Hautcœur, « nous ont fait l’un et l’autre beaucoup de mal ». Ils étaient, ajoute-t-il, « capables à eux seuls de ruiner l’Université, s’ils avaient pu s’entendre. » Le recteur réclame une réforme des statuts avec en particulier la non rééligibilité des doyens et l’interdiction pour les professeurs de recourir aux tribunaux séculiers. En fait la modification des statuts qui a lieu 1887-88 ne concerne que le rôle et la composition du conseil supérieur, qui n’étaient pas formalisés dans les statuts de 1877.

10Au cours de l’année 1887, sa santé donnant quelques signes de faiblesse, Mgr Hautcœur annonce son intention de se démettre. En janvier 1888, il est promu chancelier de l’université à la place de Mgr Monnier que sa résidence à Cambrai et son éloignement de Lille ont amené aussi à démissionner. Sans doute l’enquête canonique menée par le cardinal Langénieux a-t-elle été, plus encore que les raisons invoquées, à l’origine du remplacement du premier recteur, comme de la démission de Mgr Monnier. C’est un homme plus souple, Mgr Baunard qui, accédant au rectorat, saura panser les blessures et favoriser un climat plus paisible permettant l’épanouissement du travail intellectuel et scientifique.

Mgr Louis Baunard recteur

Vingt ans de rectorat (1888-1908)

11Louis Baunard, qui appréhende les soucis de l’administration et les responsabilités pour lesquelles il ne se croit pas fait – même si, en 1881, au moment de l’expulsion des jésuites, il a accepté et assuré avec compétence la charge de supérieur du collège Saint-Joseph à Lille – a refusé, en 1885, le rectorat de Lyon qui lui a été offert. Il est pourtant contraint, en 1887 d’accepter, ne serait-ce que de façon intérimaire, la charge de doyen de la faculté de théologie. Les supputations vont bon train tout au long de l’année universitaire 1887-1888, sans que Mgr Baunard ne se rende vraiment compte du mouvement d’opinion qui, au sein même de l’université, le pousse vers le rectorat. Lorsque la nomination lui parvient en février il n’a qu’à s’incliner. On attend de sa souplesse et de sa douceur qu’il apaise un climat marqué par les tempêtes qui viennent de précipiter l’Université au bord du précipice. Le chanoine Dehaisnes, secrétaire général depuis 1882 et vice-recteur depuis 1884, vient également de démissionner. Son remplacement est problématique. Le nom de l’abbé Fichaux4 a été avancé mais non seulement il semble peu pertinent de confier des tâches administratives à quelqu’un qui est d’abord un homme d’œuvres, mais surtout on préfère ne pas introduire à l’université un homme trop engagé dans les luttes de l’époque. La charge reste vacante jusqu’au jour où le chanoine Louis Salembier accepte de l’ajouter à ses fonctions d’enseignant, en 1897. L’abbé Marcotte est cependant alors préposé au service de la souscription5, tandis que Mgr Baunard se charge lui-même du recrutement des étudiants. Ses liens avec les supérieurs de collège lui favorisent la tâche. L’un de ses soucis est de faire des étudiants catholiques « des hommes, des apôtres, des chefs du peuple chrétien ». Le rectorat ne lui fait abandonner ni ses cours d’histoire, ni ses publications, ni la direction du collège en cette première année, autant dire qu’il ne chôme pas. Même après avoir cédé sa chaire à l’abbé Salembier, en 1893, il continue à donner des leçons de patrologie à diverses occasions. À la fin de l’année scolaire 1888, il fait ses adieux au collège Saint-Joseph, abandonnant non sans tristesse une tâche d’éducation à laquelle il s’est donné sans compter, pour les affaires, non moins nécessaires mais souvent pénibles et ennuyeuses, indispensables à la conduite de l’université pour lesquelles sa finesse et sa délicatesse, son sens du contact sont particulièrement utiles.

Mgr Baunard, recteur

12Quelques initiatives de Mgr Baunard donnent la tonalité de ce rectorat, tandis que les facultés catholiques poursuivent leur développement. Par ses soins, un crucifix est installé dans la salle de dissection afin qu’il inspire le respect du corps humain à tous ceux qui y passent et, un peu plus tard, à son initiative, les étudiants en médecine se cotisent pour célébrer une messe à l’intention des morts dont ils étudient le cadavre. C’est également sous le rectorat de Mgr Baunard que la faculté des lettres inaugure ses fêtes littéraires de la Saint-François-de-Sales consacrant ce patronage sur la faculté, aujourd’hui encore célébré même si la forme et le fond en ont été plusieurs fois modifiés depuis. Les constructions se poursuivent et Mgr Baunard peut inaugurer la maternité Sainte-Anne ou l’hôpital Saint-Antoine, s’intéresser aux travaux de construction de l’observatoire6. En juillet 1893 il inaugure également solennellement la monumentale statue de saint Luc, dans le vestibule de la faculté de médecine. Une troisième maison de famille, la maison Saint-Michel est inaugurée en 1893, dirigée par l’abbé Buns qui a auparavant travaillé 12 ans au collège Saint-Joseph. Un laboratoire de zoologie, enfin, est établi à Ambleteuse dans le Boulonnais, par le professeur Charles Maurice7. Réservé dans un premier temps aux professeurs et étudiants de l’université, il est ouvert aux professeurs et élèves des collèges à partir de 1896. Ce laboratoire dirigé jusqu’en 1914 par les abbés Langrand et René Schodduyn permet aux étudiants en sciences naturelles d’observer sur place la faune maritime. Des séjours y sont organisés avec des étudiants, des professeurs des facultés de sciences et de médecine mais aussi du secondaire, deux fois par an surtout lors des grandes marées de Pâques et pendant les grandes vacances. À coté de la zoologie, y sont enseignées la botanique et la géologie. Le chanoine Boulay, par exemple, contribue à faire connaître la très riche flore du Boulonnais.

Quelques réalisations du rectorat de Mgr Baunard

Statue de saint Luc en faculté de médecine

Construction de l’hôpital Saint-Antoine, gravure

13En fait rien n’échappe à la vigilance du recteur qui remplit son devoir en veillant à la qualité des enseignements, tant sur le plan scientifique que religieux, en s’attachant à multiplier les contacts avec les enseignants qu’il s’agisse de ses anciens collègues ou des plus jeunes : main de fer dans un gant de velours, dit Mgr Lesne, pour qualifier son gouvernement. L’un des problèmes qu’il a à résoudre vient de l’hostilité persistante vis-à-vis du séminaire académique des autorités ecclésiastiques de Cambrai. À la mort de Mgr Hasley (août 1888), Mgr Baunard rencontre le nonce pour demander la nomination à Cambrai d’un archevêque qui soit un protecteur effectif et éclairé de l’Université catholique. Le contexte politique y semble peu propice. Il peut toutefois se réjouir lorsque quelques mois plus tard, est nommé Mgr Thibaudier, évêque de Soissons et qui y a déjà manifesté son souci du relèvement intellectuel de la formation donnée au séminaire. Tout de suite celui-ci s’intéresse à l’université, demandant quel profit le clergé diocésain en a tiré jusque là. Il apprend que le nombre des étudiants des facultés des lettres et des sciences est alors des plus minimes et que la faculté de théologie voit tarir son recrutement, les rares séminaristes qui ont pu acquérir des grades en lettres ou sciences ayant été contraints de retourner à Cambrai pour leurs études de théologie et pour y recevoir les ordres. Aussi ne diffère-t-il pas la mise en œuvre de réformes. Malgré l’opposition de l’abbé Sudre, il ordonne que, pour donner aux nombreux collèges du diocèse un personnel pourvu des grades universitaires, on fasse tendre à la licence ès lettre ou ès sciences la plupart des séminaristes qui en sont capables et que, une fois ces grades obtenus, les séminaristes poursuivent leur formation en faculté de théologie. Ceci contribue évidemment à la prospérité du séminaire académique. Lorsqu’au bout de 3 ans, Mgr Sonnois remplace Mgr Thibaudier (†1892) l’impulsion est donnée qui ne se démentira pas. Les évêques d’Arras, qu’il s’agisse de Mgr Dennel (†1891) ou de Mgr Williez manifestent aussi l’un et l’autre de bonnes dispositions envers l’université qui contribue à la formation de nombreux licenciés pour leurs collèges.

14Mgr Baunard restaure, dès la première année de son rectorat, l’habitude, négligée depuis quelque temps, des séances solennelles de rentrée dont les allocutions sont prononcées devant une assemblée où les professeurs sont revêtus de leur costume académique. Ces séances solennelles ont lieu durant le congrès des catholiques du Nord et du Pas-de-Calais qui amène à Lille de nombreux hommes d’œuvres. Les allocutions ont été rassemblées dans un volume sous le titre Vingt années de rectorat8 et contribuent aujourd’hui encore à retracer l’histoire de ce rectorat tant du point de vue de la vie générale de l’université que des faits les plus saillants de cette période. Elles attestent de la continuité avec le rectorat de Mgr Hautcœur dans le souci de maintenir le cap, dans « les voies étroites et hautes » de l’orthodoxie quelles que puissent être les vents contraires : « doctrines subversives ou pouvoirs hostiles » qui se dressent sur ce « champ de bataille » sur lequel il reçoit le commandement ! Cette période, dans la ligne très ultramontaine qui reste celle de l’Université catholique, est cependant marquée par le souffle nouveau impulsé par l’encyclique Rerum novarum

Les évêques de la province Mgr Sonnois archevêque de Cambrai, Mgr Williez, évêque d’Arras.

Costume universitaire

Vénération de la relique de saint Thomas d’Aquin, patron de la faculté de théologie

Dans la ligne de l’encyclique Rerum novarum

15En effet l’Université catholique ne peut qu’être attentive aux appels de Rome, ce qui se traduit de diverses manières dans les enseignements. Avant même Patris aeterni (1879)9, nous l’avons vue soucieuse d’introduire un enseignement sur saint Thomas d’Aquin, en recrutant des professeurs capables de le commenter et de l’enseigner. Le 12 avril 1895, par motu proprio, le pape Léon XIII l’encourage encore dans cette voie en envoyant à la faculté de théologie une somme de 100 000 F pour fonder une chaire où soit enseignée la doctrine de saint Thomas d’Aquin. De même les questions sociales ont été, dès l’origine, au cœur des préoccupations de la faculté de droit, avant même qu’elle y soit particulièrement encouragée par l’encyclique sociale de Léon XIII Rerum novarum (1891) qui y sera longuement lue et commentée.

Vitrail de saint Thomas, transept sud de la chapelle universitaire

16La chaire de droit naturel qui y a été créée dès sa fondation – initiative originale à cette époque – permet aux juristes de remonter à des principes généraux du droit antérieurs à toute loi positive. Les questions soulevées, et auxquelles fait écho l’encyclique, suscitent la fondation d’un organisme nouveau consacré à les élucider, la section des sciences sociales et politiques (1894), avec l’assentiment et même les encouragements du pape Léon XIII : « Plus les esprits seront profondément et exactement pénétrés de ces sciences, plus on sera fondé à espérer le bon gouvernement des affaires publiques », souligne-t-il dans le rescrit adressé à ce sujet à Mgr Baunard. Le succès est vite au rendez-vous et nombreux sont les auditeurs qui viennent écouter les Béchaux, Duthoit, Selosse, Groussau, Rothe et autres conférenciers de renom, tels Le Cour-Grandmaison, de Lamarzelle, le père de Pascal ou Pierre de la Gorce. Une reconnaissance inattendue du bien fondé de cette institution est la création par les facultés d’État d’un doctorat en sciences politiques, dès 1895. Par ailleurs une section d’anthropologie et de biologie est également créée par les professeurs Duret, Boulay et Van Oye, en lien avec la faculté de droit et la section des sciences sociales et politiques. Elle bénéficie du concours des théologiens, historiens, médecins, géologues, botanistes, orientalistes, physiciens, naturalistes qui tous, dans une série de conférences publiques, mettent leur science, de façon indépendante mais complémentaire au service des grandes questions intéressant l’origine de l’homme. Cette section est présidée par le docteur Henry Duret10.

Un pro recteur

L’abbé Louis Rambure pro recteur

17Le climat est donc à l’apaisement et au travail, même si l’Université catholique de Lille n’est par épargnée par quelques violences liées aux manifestations tumultueuses autour de l’affaire Flamidien11. C’est alors que Mgr Baunard fatigué après presque 15 ans de rectorat, obtient de l’aide par la nomination d’un pro-recteur. Il a déjà depuis quelques années évoqué son âge, sa fatigue et son état de santé et demandé à être remplacé. Ce n’est qu’en 1901, il a alors 74 ans, que les évêques jugent bon de déférer à son vœu. Mais comment trouver un remplaçant ? Le choix est donc fait, sur proposition de Mgr Hautcœur, de nommer un pro recteur, l’abbé Rambure du diocèse d’Arras, maître de conférences en littérature latine à la faculté des lettres, depuis 1891. Il s’agit de suppléer dans certaines tâches et à terme éventuellement de remplacer Mgr Baunard. Cela permet à ce dernier de se retirer dans une maison de campagne, à Gruson, dans une demi-retraite. Il peut, avec moins de charges et plus calmement continuer à gouverner l’université et lui maintenir le prestige de son nom. Mais ce n’est pas sans inconvénients, en particulier liés à la distance entre Lille et Gruson, en une période où les nuages s’amoncèlent à nouveau à l’horizon.

Dans la tempête anticléricale

18Les réformes successives qui ont donné aux universités d’État plus d’autonomie, d’initiative et de liberté, et les règlements nouveaux concernant les examens à partir de 1894, ont renforcé les contraintes pour les facultés libres. Auparavant, pour chaque faculté, les programmes de licence en lettres, sciences, droit ou médecine supposaient exclusivement une culture générale dont la formule était partout la même. Mais la possibilité ainsi ouverte par les règlements de 1894 de sectionner les examens qui conduisent aux grades d’État permet des options de plus en plus variées. Chaque faculté peut, sous contrôle du ministère, dresser ses programmes particuliers… ce qui alourdit les chaînes de l’enseignement libre et rend absurde la condition faite aux facultés libres face à des facultés d’État qui ont toute liberté de choisir un programme spécialisé.

19En même temps, le navire universitaire subit les assauts des désastres qui atteignent alors l’Église de France : fermeture des écoles congréganistes, expulsion des religieux, Loi de Séparation, inventaires, confiscation des biens ecclésiastiques, fermeture des séminaires… détresse du clergé. Comment survivre au cœur de telles secousses alors que la persécution atteint indirectement l’Université catholique ? Il faut dire adieu aux religieux qui lui rendent service, au premier rang desquels les jésuites qui donnent des enseignements dans les facultés de lettres et sciences. Les religieux de Saint-Camille qui desservent le dispensaire du même nom partent aussi précipitamment. Puis en décembre 1902, les lazaristes doivent à leur tour quitter le séminaire académique. Le chanoine Isidore Cornu (1829-1905) qui le dirigeait meurt peu de temps après.

20Dans ce contexte de persécutions, certains catholiques eux-mêmes estiment que les universités catholiques doivent se réformer pour n’être plus que des instituts d’apologétique destinés à compléter ou à corriger, du point de vue religieux, l’enseignement supérieur officiel. Tout au plus continueraient-elles à donner quelques enseignements profanes sous forme de répétitions de cours professés dans les facultés d’État. Cette idée séduit ceux qui trouvent que la charge financière est trop lourde ou estiment qu’il vaut mieux favoriser la présence de professeurs croyants dans l’université officielle plutôt qu’un enseignement complètement catholique12.

21Cette période de tous les dangers est pourtant aussi celle d’un véritable enracinement d’une institution devenue crédible, tant par la qualité de ses enseignements que par le rayonnement de ses étudiants et enseignants, dont beaucoup sont désormais issus de ses propres facultés et qui l’honorent par leurs carrières professionnelles, leurs travaux ou leurs engagements de tous ordres.

Étudiants du séminaire académique.

Étudiants de la faculté de théologie

Étudiants en droit avec le doyen Louis Selosse et Eugène Duthoit

Premières générations d’étudiants

Quelques chiffres

22Sans doute les premières générations d’étudiants sont-elles peu nombreuses. Dès l’ouverture des premiers cours libres on s’est efforcé de les attirer même si l’on ne peut alors proposer qu’une première année. Il s’agit en 1875 d’offrir un enseignement parallèle à celui de l’État et de détourner les étudiants catholiques de l’université publique. Mais dès 1879, avec le changement de majorité politique et la perspective d’une loi nouvelle qui s’annonce plus terrible qu’elle ne le sera réellement, se posent d’importants problèmes de recrutement, surtout pour les sciences profanes. Pour l’année 1879-1880 on compte : 44 étudiants au collège théologique, 90 en faculté de droit, 90 en faculté de médecine et pharmacie, 12 en faculté des lettres, 16 en faculté des sciences, soit au total 252 étudiants.

Effectifs des facultés et des écoles de 1875 à 1913

23Les chiffres stagnent pour la première fois en 1880. La perte des jurys mixtes et de la collation des grades refroidit, pour le moins, les plus timides qui craignent de venir dans une université qui est sans cesse la cible du radicalisme anticlérical. Mais si l’année 1881-82 ne compte que 207 étudiants, la courbe reprend son ascension dès l’année suivante et les rapports annuels des recteurs soulignent une progression constante. En 1882-83, 251 étudiants auxquels s’ajoutent 290 auditeurs libres, en 1883, 309, en 1884-85, 378 qui se répartissent entre médecine et pharmacie (150), droit (109), théologie (48), sciences (38) et lettres (27). Quelques jeunes scolastiques sont confiés par la Compagnie de Jésus aux facultés de lettres et sciences ou par une société de prêtres de Saint-Quentin sous direction de l’abbé Dehon13. On repère cette année-là que 177 étudiants sont originaires du Nord, 50 du Pas-de-Calais, mais qu’il en vient aussi de Normandie, Bretagne, Bourgogne, Irlande, Belgique, Suisse, Allemagne, Luxembourg. Les pays étrangers sont représentés dès l’origine par un groupe d’étudiants italiens en faculté de médecine.

24D’autres viennent du Canada, des États-Unis, d’Amérique du Sud ou de divers pays d’Europe. Dès 1880, le cardinal Lavigerie envoie les six premiers étudiants algériens pour en faire des médecins chrétiens en pays d’islam. Ils sont douze en 1882, dix-huit en 1883, sélectionnés dans les orphelinats que le fondateur de la société des Pères blancs a créés en Algérie. Une souscription est organisée pour couvrir leurs frais d’hébergement. Si les échos donnés à cette expérience sont positifs, il semble toutefois qu’il y soit mis fin dès 1885. Il faut attendre quelques années après la guerre pour que l’esprit missionnaire qui sous-tend ce recrutement soit réanimé en faculté de médecine.

25En 1890, 400 étudiants sont inscrits, 550 en 1894, 630 en 1895, chiffre le plus élevé atteint en cette période. L’effectif se stabilise ensuite autour de 600 jusqu’à la guerre. La répartition à la rentrée 1892 est de 39 étudiants en théologie, 131 en droit, 170 en médecine et pharmacie – « on demande des médecins chrétiens de tous les coins de France », remarque le recteur – 50 en lettres, 32 en sciences, où sont constatés de nombreux échecs aux examens qui amènent l’évêque d’Arras l’année suivante à envoyer ses étudiants de préférence à Paris, où l’on réussit (et en 2 ans au lieu de 3).

Extension universitaire et recherche d’un plus large public

26S’ouvrir à un plus large public est également une des préoccupations des fondateurs et des autorités académiques. Parmi les initiatives en ce sens, au-delà bien sûr des conférences publiques à Lille qui sont le propre de la faculté des lettres, on peut signaler l’extension universitaire, organisée selon le modèle d’Oxford et Cambridge, sortes de cours du soir au terme desquels les auditeurs ont une rédaction à rendre. Le mouvement est lancé à Roubaix, en 1896-97, avec 3000 participants. Ce succès stimule d’autres initiatives à Tourcoing, Armentières, puis Douai, Hazebrouck, Saint-Omer ou Dunkerque. Des étudiants sont parfois associés à ces conférences d’extension qui contribuent à diffuser la pensée de l’Église sur le plan social.

27L’école des sciences sociales et politiques organise chaque année des cycles de conférences données par des spécialistes. Les thèmes sont divers, les apports également qui peuvent être contradictoires. Le public, intérieur et extérieur à la faculté, comporte beaucoup d’ecclésiastiques. Dirigée par Adrien Gand, puis Louis Selosse (1898-1905) et Eugène Duthoit, à partir de 1905, cette école propose un complément de formation générale, qui est très utile à nombre des jeunes militants que suscite l’Université catholique, particulièrement sa faculté de droit. Ses cours sont assurés par des juristes aidés de théologiens et littéraires, cinq ecclésiastiques et quatre laïcs pour les cours de base donnés à tous les étudiants et auditeurs, auxquels s’ajoutent de très nombreux intervenants internes ou externes aux facultés catholiques. Citons Adéodat Boissard14, spécialiste d’économie sociale, fondateur des Semaines sociales, Constant Groussau, Henry-Denis Cochin, député, René Bazin, romancier, Alfred Baudrillart, de l’Institut catholique de Paris, Henri Bazire, président de l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF, 1899-1904), Georges Fonsegrive, directeur de La Quinzaine, etc.15. Le P. Desbuquois de l’Action populaire y donne des conférences entre 1910 et 1913. Sans doute certains s’irritent-ils de voir cette école devenir peu à peu la chasse gardée des démocrates chrétiens mais avant la guerre, la place y est largement faite à tous les courants du catholicisme social. L’école est très ouverte sur l’actualité et fait rapidement appel aux anciens, pas nécessairement universitaires, qui viennent y partager les résultats de leurs recherches ou de leur action.

28En 1897, à l’initiative d’Henry Dard16 sont lancés des cours du soir avec pour objectif d’initier les étudiants des autres facultés, médecine en particulier, aux questions sociales. D’aucuns s’emploient également à étendre l’initiative en dehors de l’université vers des publics de jeunes ouvriers. La conférence Jeanne d’Arc, fondée par Henry Dard, « œuvre de conférences populaires », a pour objet d’exercer les étudiants à la pratique de la parole. Elle envoie des orateurs dans les quartiers de Lille, de la banlieue et aussi dans les régions rurales. C’est dans ce cadre que Victor Diligent17 a l’occasion de ses premières prises de parole. Les thèmes sont divers, certains ayant davantage le souci de la « défense catholique », d’autres de la promotion du peuple ou de l’organisation de la jeunesse. Elles permettent aussi aux démocrates chrétiens de diffuser les consignes de ralliement et la pensée de Léon XIII.

29Sur une idée de l’abbé Eugène Stoffaës, professeur d’astronomie à la faculté des sciences, l’association des anciens étudiants organise, à partir de 1892, des concours annuels entre les élèves des collèges catholiques du Nord et du Pas-de-Calais sur les différentes disciplines enseignées : œuvre d’émulation en même temps que contact utile entre l’université et l’enseignement secondaire, qui est pérennisée sous le nom de Concours général des facultés catholiques. En complément, à la demande de Mgr Sonnois, est organisée dans le diocèse de Cambrai une véritable inspection académique des divers enseignements du secondaire confiée aux professeurs de l’université.

30En 1897, Mgr Baunard est sollicité par des parents pour que les jeunes filles ayant terminé leurs études secondaires puissent, elles aussi, bénéficier d’un enseignement supérieur. Le CA confie la tâche à l’abbé Salembier qui recrute des maîtres, élabore un programme et ouvre des cours dans le pensionnat des Dames de la Sainte-Union. Mais cela reste marginal et, pendant longtemps, il n’est pas question d’admettre des filles dans les facultés elles-mêmes, on en débat à partir de 1907, dans la perspective de préparer les cadres de l’enseignement dans les pensionnats et de se prémunir contre les mesures législatives toujours à craindre, mais la discussion reste sans suite jusqu’au lendemain de la guerre.

Y a-t-il un profil d’étudiants catholiques ?

31Il est difficile d’établir un profil précis des quelque 600 étudiants inscrits dans les facultés et écoles. Parmi les étudiants des facultés, il y a beaucoup de clercs, en ces premières décennies : tous les étudiants de la faculté de théologie le sont, ainsi qu’environ la moitié des étudiants des facultés de lettres et de sciences. D’autres entrent également au séminaire ou dans les ordres au cours ou au terme de leurs études. Les étudiants laïcs des écoles et des facultés ont des perspectives professionnelles bien différentes. Les conditions d’examen obligent les étudiants des facultés à beaucoup travailler. Non seulement il y a les programmes officiels mais il y a aussi les exigences liées au caractère propre et auxquelles quelques-uns rechignent.

32Les comptes rendus des CA qui consignent le rapport des recteurs donnent quelques indications d’année en année. Dans son rapport de 1883-1884, le recteur Hautcœur souligne la qualité des docteurs en médecine formés par la faculté catholique (53, en 7 années d’existence), celle des officiers de santé qu’après hésitation on a choisi de former également, celle des sages femmes, dont le recrutement est un peu difficile, les écoles d’État accordant des bourses ce que la faculté catholique ne peut faire, avec cette remarque qui désidéalise quelque peu le profil d’étudiants modèles que l’on se plaît parfois à mettre en valeur : « L’esprit s’améliore dans la même proportion. Il y a moins de mélange, moins de ces élèves mauvais ou douteux comme il en existe partout et comme il en venait chez nous, poussés ou forcés par leurs familles pendant les premières années de notre fonctionnement ».

33Il y a effectivement quelques brebis galeuses que l’on s’empresse de renvoyer, des jeunes gens qui montrent peu d’intérêt ou de capacités pour les études. Mais globalement les résultats des étudiants des facultés catholiques surpassent en moyenne ceux des étudiants de l’État alors qu’ils n’ont pas l’avantage d’être interrogés par leurs propres enseignants. Par contre, Mgr Baunard décrit les étudiants de l’école agricole18 comme étant « des jeunes gens moins habitués au travail. Ils sont généralement bons et bien élevés, mais sans ardeur suffisante pour leur avancement scientifique sauf quelques exceptions ». Les étudiants de l’école industrielle19, plus nombreux (40 inscrits en 1892), sont aussi plus assidus, même si une forte proportion quitte avant d’avoir obtenu un diplôme, ce qui est sans doute professionnellement moins essentiel qu’aujourd’hui. Beaucoup sont destinés à travailler dans l’entreprise paternelle.

34Le choix d’une faculté catholique par conviction religieuse est celui de familles chrétiennes, qui prennent pour leurs enfants le risque – réel – de les handicaper dans leur vie professionnelle par cette marque donnée à leurs études. Les fonctions publiques constituent un important débouché et les craintes des parents ne sont pas sans fondement dans le contexte des luttes anticléricales. On voit d’ailleurs un fléchissement temporaire du recrutement dans les années 1902-1904.

35Le recteur souligne surtout, dans son rapport annuel, quelques aspects exemplaires de ces étudiants, non seulement studieux mais engagés dans les nombreuses œuvres de piété ou de charité qui leur sont proposées :

« Le travail a été bon dans l’ensemble, l’assiduité aux cours fort satisfaisante et aucun incident fâcheux n’est venu troubler l’ordre général. Beaucoup de nos jeunes gens faisaient partie des Conférences St Vincent de Paul et autres associations pieuses ».

36En 1884-85, Mgr Hautcœur se réjouit aussi de leur patriotisme et de leur engagement civique :

« Beaucoup d’entre nous, Messieurs, ont pu constater par eux-mêmes comment les étudiants sortis des Facultés catholiques de Lille restent fidèles au Drapeau : Dieu et la France ! Telle est leur noble et fière devise. Médecins, pharmaciens, avocats, avoués, agriculteurs, industriels on les trouve déjà un peu partout… puissent-ils être de plus en plus nombreux ces hommes qui comprennent leurs devoirs non seulement comme individus mais comme autorités sociales, ayant un rôle public à remplir pour le bien et le salut de leurs frères, pour le bien et le salut de la société ! »

37Les convictions des étudiants se traduisent dans leurs engagements importants dans les diverses œuvres catholiques. Les témoignages attestent d’une assez grande proximité entre maîtres et étudiants que l’on retrouve parfois dans les mêmes combats, comme en cette année électorale de tous les dangers en 1902. Il est remarquable que la faculté de droit envoie alors au Palais Bourbon trois députés, un professeur, Constant Groussau20 (Nord), un étudiant en doctorat, le baron Henry Dard (Pas-de-Calais)21 et un ancien étudiant22.

38L’un des premiers soucis des fondateurs a été d’établir un internat, pour les jeunes ecclésiastiques mais plus largement pour les jeunes gens étrangers à la ville, et l’on regrette que tous ne puissent profiter des maisons de famille qui sont « la meilleure garantie et sauvegarde de la bonne vie des étudiants ». La communauté des sœurs de Sainte-Marie d’Angers, chargée de leur intendance constitue en même temps un foyer de prière permanente au sein de la Catho23. Mais la discipline n’y est pas toujours respectée. Et l’on se plaint, non seulement de chahuts mais aussi de mauvaises relations, entre autres avec les étudiants de l’État !

« Nous avons dû épurer plusieurs fois les rangs de nos étudiants, de concert avec leurs parents. Nous avons blâmé les actes excessifs […] et surtout l’espèce d’alliance qu’ils seraient tentés de contracter avec ceux de l’État. Nos moyens moraux, les seuls profondément efficaces sont l’action religieuse, retraite annuelle, retraite pascale, prédication spéciale du Carême, adoration, conférences de St Vincent de Paul, bonnes œuvres » (Baunard, 1893).

39Ces œuvres de piété et de charité ne résolvent sans doute pas tous les problèmes, elles sont néanmoins une des dimensions essentielles de la vie des facultés.

Œuvres de piété et de charité

40Le recteur lui-même adresse chaque année la parole aux étudiants laïcs, chaque dimanche de carême, montrant à travers des thèmes divers comment l’Université catholique est œuvre de vérité, de sainteté, de charité et d’apostolat. Lorsque le développement des idées modernistes lui paraît menacer la foi chrétienne, il insiste davantage encore sur la question de la vérité, soulignant successivement l’adhésion de l’homme à la vérité révélée et le rôle de l’Église comme canal et interprète de la Révélation : occasion pour lui de revenir à la fin de sa carrière sur les points de doctrine qui en ont passionné les premières années : l’infaillibilité pontificale et sa nécessaire indépendance vis-à-vis des pouvoirs humains.

41Dès l’origine, de nombreuses associations de piété et de charité sont proposées aux étudiants. Parmi les œuvres de piété, une congrégation de la Sainte Vierge, la Congrégation Notre-Dame des étudiants, inaugurée le 8 décembre 1884. 86 membres fréquentent alors assidûment les réunions sous la direction du P. Orhand. Autour d’elle, s’organise l’animation spirituelle. Elle compte, à la fin de l’année 1893, 112 congréganistes essentiellement étudiants en médecine et en droit. Les messes de chaque mois comptent jusqu’à 85 communiants. Après le P. Orhand, elle est dirigée, entre 1896 et 1907, par le jésuite Joseph Dargent24, professeur de littérature grecque, exclu de son enseignement par la loi de 1901, mais qui continue à animer la congrégation Notre-Dame et le cercle Montalembert. Ce cercle d’études religieuses permet aussi au chanoine Didiot de faire découvrir l’encyclique Rerum novarum et d’approfondir des questions apologétiques.

42L’œuvre de l’Adoration nocturne du Très Saint Sacrement, œuvre de dévotion eucharistique est dirigée par des professeurs de la faculté de droit : Eugène Delachenal, Alfred Trolley de Prévaux, Tancrède Rothe et le doyen Gabriel de Vareilles-Sommières. Elle a été introduite à Lille par Philibert Vrau qui y est très attaché. C’est à partir de cette œuvre que sont nés les congrès eucharistiques.

43La Communion réparatrice est également une dévotion eucharistique et au Sacré-Cœur, née à l’initiative du jésuite Victor Drevon (1820-1880), qui se joint en 1886 à l’œuvre de l’Apostolat de la prière. Le siège de l’association est à Paray-le-Monial depuis 1865. Des retraites fermées sont proposées aux étudiants et professeurs pendant les vacances. Mgr Baunard établit aussi une fraternité de tertiaires de Saint-François, laïcs vivant de l’esprit franciscain.

44Les conférences Saint-Vincent de Paul, très florissantes, orientent les étudiants vers l’extérieur. Leur fondateur Ozanam est volontiers présenté comme modèle par Louis Baunard ou Anatole de Caulaincourt, un des principaux fondateurs de l’université et membre du CA, qui a participé dans sa jeunesse à la création des premières conférences parisiennes. Par ailleurs, le père de Claude Arthaud avait été un ami d’Ozanam, et tous les professeurs de la faculté de droit ont été ou sont encore des conférenciers. Ces conférences ont du succès dans la mesure où elles répondent aux aspirations de ceux qui considèrent la charité comme une pratique individuelle, comme de ceux qui aspirent à plus de justice sociale. Louis Baunard les appelle « notre sixième faculté », et voudrait qu’elles soient « un des organes vitaux » de l’université. Quatre conférences, à la fin du XIX^e, se partagent les étudiants des facultés catholiques, présidées par des professeurs, les autres fonctions revenant aux étudiants. Philibert Vrau est président du conseil central, de 1872 à sa mort en 1905.

45L’œuvre des patronages, pour aider les prêtres sur le plan paroissial, suscite également des vocations chez les étudiants. Cette œuvre, qui intéresse tout le Nord-Pas-de-Calais est une initiative d’un groupe d’étudiants, la plupart de la Catho. Elle est également présidée par un ancien de la faculté de droit à partir de 1892. Elle est remplacée par l’Union des patronages du Nord en 1906.

46La Jeunesse catholique du diocèse de Cambrai est organisée au sein d’un comité central des œuvres de jeunesse depuis 1890. À partir de 1910 elle se regroupe tout entière au sein de l’ACJF25, et l’on retrouve de nombreux étudiants parmi ses militants. Louis Selosse, fils,26 est président de la fédération lilloise (1908-1911), Joseph Danel27, président d’arrondissement, tandis que l’abbé Pierre Tiberghien, depuis deux ans maître de conférences à la faculté de théologie et chargé de cours d’enseignement supérieur religieux dans les autres facultés, en est l’aumônier fédéral à partir de 1910.

Le Cercle et la Fédé

47Précocement, les étudiants ont éprouvé le besoin de se regrouper en associations corporatives ou régionales. Parmi ces regroupements les étudiants en médecine, d’origines géographiques diverses. La plus active est celle des Bretons née en 1891. En 1910 est créée l’ACEM (Association corporative des étudiants en médecine), dont le but est de resserrer les liens, non seulement entre étudiants mais aussi avec les futurs médecins, tandis que le gouvernement multiplie les tracasseries à l’endroit des catholiques. L’ACES est l’association corporative des étudiants en sciences.

48Le cercle des étudiants, fondé à l’aube des années 1890, par Joseph Gervais qui le préside jusqu’en 1898 se réunit dans un premier temps dans des locaux d’emprunt, rue de l’Orphéon, puis à partir de 1894, 241 rue Nationale. Ce n’est que le 16 décembre 1900 qu’est inauguré le vaste bâtiment d’architecture flamande qui devient leur principal lieu de regroupement, rue Meurein. Cette initiative est soutenue par les autorités académiques qui une fois encore lui donnent une dimension éducative et de protection morale :

« Ils ont voulu avoir un lieu de réunion qui fût à eux et qui offrît à ceux qui viennent du dehors ou qui sont logés en ville l’avantage d’un restaurant où ils peuvent prendre leur repas sans perdre de temps et sans se trouver exposés au contact du public habituel des restaurants surtout des restaurants à bon marché. Un appui bienveillant a permis de réaliser ces desiderata. Espérons que le résultat répondra pleinement aux intentions des fondateurs. Le cercle sera un lieu d’honnêtes distractions, un nouveau lien de cohésion et de fraternité entre les éléments si nombreux, si divers par leur origine et par le genre de leurs études, qui constituent le personnel des facultés catholiques ».

Le Cercle, 241 rue Nationale,

puis rue Meurein

Les étudiants de la fédé, portant la faluche, autour de leur président

49Un restaurant, une salle des fêtes, des salles de sport, une bibliothèque deviennent les lieux de rendez-vous des divers groupements étudiants. Le Cercle est transformé en 1909 en Fédération générale des étudiants de l’Université catholique (Fédé). Celle-ci aura ses premiers statuts associatifs en 1926. Elle organise dès l’origine, sous la présidence de Henri Deherripon, de nombreuses activités : conférences d’actualité, fête d’Ozanam, le 4 mai 1913, rencontre avec les étudiants de l’Institut catholique de Paris, fêtes provinciales, tournois sportifs, etc. Ces fêtes et manifestations dégénèrent parfois.

50En 1908 l’abbé Despinoy est nommé directeur de la Maison des étudiants. Ceci fait de lui l’âme du Cercle, l’organisateur discret et volontairement effacé des grandes réunions artistiques et littéraires de la Fédération des étudiants, de la Société de préparation militaire La Sonis, de la Bibliothèque, ordonnançant tout un groupe d’œuvres autour de l’université. Comme le recrutement de l’université dépasse de beaucoup le Nord, on y voit surgir des associations régionales à l’image des vieilles universités : associations flamande, wallonne, artésienne mais aussi de Bretagne, de Normandie, d’Alsace-Lorraine, du Centre et même La Cloucado del Sol. Il s’agit de resserrer des liens entre étudiants parfois éloignés du milieu familial, sans repliement cependant.

Associations d’anciens étudiants

51Les liens perdurent après les études et dès 1880 s’est constituée une association des anciens étudiants sous l’impulsion de Georges Herlin, tandis qu’un groupement particulier des écoles supérieures constitue une grande association qui sera forte de quelque 2000 adhérents en 1927. L’association des anciens est très dynamique et organise diverses manifestations, comme par exemple des exercices oratoires avec, grâce à une fondation du baron Dard, une récompense au plus éloquent. Le « parlement Freppel »28, est également une initiative des anciens étudiants cautionnée par le professeur Eugène Duthoit : vrai parlement avec ses ministres, ses partis, ses crises, ses débats interminables publiés dans le Bulletin des Facultés catholiques. Le baron Dard représente la droite conservatrice et le parti de l’ordre, Paul Verschave, futur directeur de l’école de journalisme, le centre modéré, Arthur Doal, la gauche démocratique et socialisante avec Victor Diligent, hostile à un parti catholique. Jugé trop tumultueux ce « parlement » disparaît cependant en 1900 et est remplacé à l’initiative d’Eugène Duthoit par un cercle d’étude de droit public, banc d’essai des joutes oratoires, tandis que la conférence Berryer29 permet de s’entraîner aux plaidoiries sous la direction du professeur Auguste Béchaux. Les étudiants s’intéressent à la presse catholique, en témoigne le Bulletin des Facultés catholiques de Lille, qui signale en 1898, que plus 400 exemplaires du Pèlerin ont été placés dans les facultés. Une revue À la Voile, est lancée en 1898, à laquelle collaborent des anciens étudiants aux côtés des « prêtres démocrates » dont l’abbé Paul Six, futur directeur des œuvres sociales du diocèse de Lille après la guerre. Quelques professeurs lui prêtent également leur plume. Victor Diligent en assume la direction à partir de 1904 et la revue devient la Revue des cercles d’études et des Instituts populaires, organe du Sillon dans le Nord (cinq départements). Les facultés catholiques et particulièrement la faculté de droit abritent l’une des formations les plus nombreuses de ce mouvement, jusqu’à sa disparition en 191030.

Étudiants, enseignants et engagements politiques

52Les étudiants en droit s’intéressent de près à la vie politique. On a vu leur participation aux élections de 1902, non sans d’ailleurs que surgissent quelques protestations quant à une politisation trop forte de l’ACJF en particulier, dont Henry Dard préside la commission du Pas-de-Calais. Ils ne sont pas étrangers non plus aux manifestations et campagnes déclenchées à l’occasion des expulsions des religieux ou des inventaires ; certains d’entre eux apportent leur soutien actif à l’abbé Lemire, au moment des élections de 1910, encouragés par le chanoine Camille Looten professeur de la faculté des lettres31. Georges Dumont étudiant en droit, pensionnaire d’Albert-le-Grand, secrétaire de l’« Association flamande », est mis à la porte de la maison de famille. D’autres étudiants ayant protesté contre cette décision subissent le même sort. L’abbé Lemire aurait à la suite constaté « l’une des plus curieuses conséquences de mon élection, c’est la revendication par les étudiants des facultés catholiques de Lille, de leur liberté civique » soulignant qu’il y a deux poids, deux mesures, car ils gardent carte blanche pour les manifestations royalistes et nationalistes ». Mgr Margerin rétorque que la mesure disciplinaire est liée seulement au fait que l’étudiant s’est absenté trois jours sans permission. Camille Looten est accusé, quant à lui, de « modernisme littéraire » en raison d’un essai sur Mrs Ward et d’un article sur les sœurs Brontë. Il est, en juillet 1911, l’objet d’un avertissement du conseil supérieur tant pour son article dans Le Correspondant que pour « le choix qu’il a fait pour son enseignement à la faculté des lettres, d’auteurs irréligieux et impies qu’il n’explique pas ou ne réfute pas assez sacerdotalement. » Sa réponse est acceptée mais jugée insuffisante entre autres par Mgr Baunard : « Mais ne pas oublier que c’est une résolution adoptée et pratique courante des modernistes d’éviter les exclusions et condamnations, et de s’y soumettre pour la forme, de manière à rester dans l’Église pour y faire leur œuvre. M. Looten est-il formellement des leurs ? Je ne sais. Mais c’est un esprit tellement faux, comme son grand ami Lemire ! »32.

53Il apparaît assez vite, si l’on regarde, par exemple, du côté de la faculté de droit qu’un certain pluralisme politique caractérise les engagements des étudiants. Les uns accordent la priorité à la défense religieuse, d’autres aux questions sociales, d’autres encore restent foncièrement hostiles au Ralliement. On peut repérer globalement, chez les étudiants comme chez les enseignants, trois courants engendrant les uns et les autres des catholiques sociaux. L’Action française a, à l’Institut catholique de Lille, une emprise durable sous l’influence d’hommes comme l’abbé Constantin Lecigne33, directeur de l’Univers lorsque celui-ci passe aux mains des royalistes en 1912, ou de François Guermonprez34, son premier président départemental. D’autres gravitent autour de l’Action libérale, conservateurs ralliés ou démocrates qui se cherchent, tels Constant Groussau ou Henry Dard, membres des comités libéraux et patriotes lillois ou membres des cercles. Les démocrates chrétiens sont nombreux derrière Eugène Duthoit, l’abbé Thellier de Poncheville, Victor Diligent ou Joseph Danel. Plus d’une dizaine d’anciens de la faculté de droit deviennent parlementaires, de nombreux autres sont élus dans les conseils généraux ou municipaux, etc. d’autres par la suite, tels Natalis Dumez ou Louis Christiaens, s’illustreront dans la résistance. On trouve aussi parmi les anciens étudiants quelques médecins qui réussissent à allier une vie de médecin de chrétien et de citoyen exemplaire, à l’image de Jules Vanneufville (1864-1926) à Tourcoing, Louis Delegrange (1868-1932) fondateur en 1924 du Parti démocrate populaire (PDP) à Roubaix et président du Secrétariat social de sa ville, de Jules Defaux (1885-1977), membre du Sillon qui sera par la suite président fédéral du PDP puis du MRP, Gaston Dubocage qui deviendra après la guerre animateur de sociétés dramatiques catholiques, etc.

Quelques personnalités engagées sur le plan politique : Constant Groussau, Henry Dard, Victor Diligent

54On peut dire à la suite d’André Caudron que les facultés catholiques et singulièrement la faculté de droit sont à cette époque « un vivier de militants chrétiens »35, qu’il s’agisse des enseignants, des étudiants ou des anciens. C’est en droit que le taux de militantisme est le plus élevé. Les chiffres dépassent de loin ceux de la faculté de médecine, davantage encore ceux des écoles d’ingénieurs, la comparaison étant impossible avec les facultés de lettres et de sciences dont les étudiants sont essentiellement des ecclésiastiques.

55Le degré de motivation proprement religieuse est peut-être moindre à l’inscription des futurs « carabins », originaires de toute la France, dans une faculté garantissant par ailleurs aux familles un enseignement de qualité, un encadrement solide et un milieu protégé. Leur programme d’études est très chargé. C’est leur vie professionnelle qui est pour certains d’entre eux le lieu de leur militantisme social et spirituel.

56Si les sources, et principalement le Bulletin des Facultés catholiques, donnent beaucoup de renseignements sur les enseignants, il est beaucoup plus difficile de connaître les étudiants au-delà de ce portrait général que nous venons de tracer. Quelques noms ont été retenus. Nous pourrions encore en citer d’autres que nous retrouverons parmi les enseignants des générations futures et dont sont parfois vantés les mérites de leur période étudiante… ces noms reviendront au fil des pages suivantes. D’aucuns ont fait de belles carrières et rappelé souvent leurs études à la Catho. Lors de l’hommage que lui rend le Sénat Académique, le 26 février 1913, Mgr Delamaire, nouvel archevêque de Cambrai, souligne dans sa réponse le service rendu par l’Université catholique, dont un grand nombre d’anciens étudiants occupent des fonctions juridiques, médicales, industrielles ou commerciales dont ils peuvent « mettre le prestige et les ressources au service de la religion », tandis que l’Église de Cambrai doit à l’université une bonne part de son clergé enseignant. De même, dit-il, l’élite des laïcs, qui participe avec les prêtres à la vie religieuse du diocèse est-elle largement issue de l’Alma Mater.

Les enseignants

Leurs publications

57L’une des caractéristiques des premières générations d’enseignants est le rayonnement de leur enseignement et de leurs travaux36 dans les différents domaines du savoir. La Revue des Sciences ecclésiastiques, fondée par les abbés Bouix et Hautcœur, contribue à diffuser tout un mouvement théologique dans lequel se sont illustrés plusieurs enseignants de la faculté de théologie. Les volumes annuels relatant les travaux de l’Assemblée générale des Comités catholiques du Nord et du Pas-de-Calais, reproduisent les rapports de certains enseignants, de l’abbé Dehaisnes, par exemple. Divers ouvrages évoquent aussi alors la fondation de l’Université catholique mais au milieu d’autres préoccupations. Le Bulletin de la Commission formée pour la création d’une Université catholique dans le Nord de la France, rend compte pendant deux ans des travaux préparatoires et achève sa brève existence par la publication de la loi 1875, le récit de l’inauguration et la souscription. Paraît ensuite le gros volume de la souscription 1878 et de nombreuses plaquettes également entre 1875 et 1879… L’abondance de ces publications ponctuelles a fait comprendre aux responsables la nécessité d’un organe permanent d’information destiné aux amis de l’université avec deux objectifs : une chronique de la vie universitaire et le développement de la souscription. « Si Dieu est pour nous qui sera contre nous ? » : cette citation de saint Paul, reprise en tête de chaque numéro jusqu’en 1914, rappelle le caractère surnaturel de l’entreprise, folie aux yeux des hommes. On y trouve une chronique de la construction des bâtiments, les annales de la vie de l’institution, le palmarès du concours général des facultés catholiques, la liste des travaux des professeurs tandis que le contexte des lois anticléricales donne à nombre d’articles un ton polémique, avec des articles passionnés sur la défense de la liberté de l’enseignement. Louis Baunard donne beaucoup d’articles sur des thèmes divers et sur l’histoire de la maison… Peu d’articles sont inspirés par l’actualité si ce n’est la rubrique nécrologique qui prend de l’importance au fur et à mesure que disparaissent les pionniers de la fondation ! Quand Chrétien Dehaisnes prend la direction de cette publication, en 1883, il souhaite en augmenter l’intérêt par des articles de niveau universitaire. Toutefois la revue cherche encore quelque temps sa voie, l’Université ayant par ailleurs des périodiques spécialisés dans lesquels les professeurs publient leurs travaux personnels, ce qui la prive de leur signature.

58La grande vitalité de l’école des sciences sociales et politiques s’exprime dans la publication d’un supplément régulier au Bulletin des facultés catholiques, intitulé Bulletin bibliographique. Sont aussi éditées six revues techniques régulières officiellement rédigées par chaque faculté. Quatre domaines bénéficient des travaux scientifiques des professeurs : la faculté de théologie qui a repris en charge la Revue des Sciences ecclésiastiques dirigée alors par les abbés Jean Chollet et Hector Quilliet. En 1906, cette revue fusionne avec la Science catholique avant d’être absorbée, en 1910, par Le Prêtre, journal des études ecclésiastiques. En 1908, Chollet et Quilliet créent Les Questions ecclésiastiques qui disparaissent avec la guerre. La Faculté libre de médecine publie le Journal des Sciences médicales, fondé en 1878, la faculté des lettres publie entre 1889-1914 La Revue de Lille, fondée en 1889 par Mgr Baunard. Dirigée par une société de professeurs des facultés catholiques son objectif est de diffuser au grand public de la région le bienfait de la science dont l’université est le foyer : cette revue catholique, inspirée des enseignements du Saint-Siège dure, avec des destinées diverses, jusqu’en 1914. Elle est dirigée par l’abbé Constantin Lecigne. Elle permet également aux étudiants en doctorat et jeunes anciens de diffuser leurs premiers travaux. La faculté de droit, enfin, à l’initiative de Constant Groussau publie une Revue administrative du culte catholique.

59En 1905, est créée la société « Mémoires et travaux » dont les actionnaires se proposent d’éditer une collection d’ouvrages de haute valeur scientifique. De sa création à la Seconde Guerre mondiale elle fait paraître une cinquantaine de volumes dont l’Histoire de la propriété ecclésiastique d’Émile Lesne.

Des savants réputés

En droit

60Les publications des enseignants de la faculté de droit sont significatives de l’influence que celle-ci peut exercer sur la vie publique et contribuent à répandre les doctrines et principes juridiques sur lesquels elle se fonde. Au premier rang, sans doute faut-il placer Gabriel de Vareilles-Sommières37, agrégé de l’université et professeur à la faculté de Poitiers, remarqué par ses études sur les personnes morales.

Les professeurs de la faculté de droit en 1897

61Premier doyen de la faculté libre de droit, il est réélu à l’unanimité jusqu’à sa mort en 1905. Ses principales publications concernent Les Principes fondamentaux du Droit (1889), Du contrat d’association (1893) ; Les personnes morales (1902) ; héorie sur la nouvelle rétroactivité des lois ; Synthèse du droit International privé (1897). Louis Selosse lui succède au décanat et y reste lui aussi jusqu’à sa mort en 1920. Docteur en droit, bâtonnier de l’ordre des avocats, il est entré dans le corps professoral de la faculté dès sa création. Les vingt années de ce décanat, marquées par la guerre mais aussi par l’apaisement des luttes religieuses, voient s’affirmer la personnalité de son successeur, Eugène Duthoit, qui enseigne l’économie politique et le droit constitutionnel.

62Adrien Gand (1836-1898), originaire d’Alsace-Lorraine, nommé juge d’instruction à Lille après l’annexion (1871), démissionne en 1880, au lendemain des décrets sur les congrégations. Il accepte la chaire de droit criminel à titre bénévole en 1882, avant d’en être titulaire en 1885. Il ouvre, en 1890, un cours sur la législation de la presse et dirige, en 1894, la section des sciences sociales et politiques. Il est en 1897 le principal instigateur des cours d’enseignement supérieur pour les jeunes filles. Henri-Constant Groussau, admissible à l’examen d’agrégation, a renoncé à cette situation dans l’enseignement d’État. Après 27 ans d’enseignement à la faculté libre professeur de droit administratif, directeur de la Revue administrative du culte catholique qu’il a fondée, il est élu député de Tourcoing Nord, en 1902. Il cesse son enseignement mais déploie ses talents à la Chambre, en particulier lors du débat sur la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905.

Pierre Bayart, Eugène Delepoulle, Fleurquin, Maurice Vanlaer, Eugène Duthoit, Maurice Gand Trolley de Prévaux, Edmond Ory, Claude Arthaud, Gabriel de Vareilles-Sommières, Louis, Tancrède Rothe, Émile Vanlaer

En médecine

63Des travaux de haute valeur de professeurs de la faculté de médecine contribuent à promouvoir le progrès de la chirurgie et des sciences médicales. Henri Desplats et Henry Duret, membre correspondant de l’Académie de médecine, alternent au décanat. Duret suscite l’enthousiasme chez ses étudiants. Il a acquis une réputation universelle pour ses travaux sur les tumeurs de l’encéphale (1905) et les fractures du crâne, et pour sa technique de chirurgien.

Les professeurs de la faculté de médecine et pharmacie en 1897

Les professeurs de la faculté de médecine et pharmacie en 1905

64D’avant-garde aussi, les travaux du docteur Guermonprez sur les accidents de travail et sa volonté, contestée, de créer un service spécial de chirurgie n’ont pas été reconnus en leur temps. Il rencontre une très forte opposition et son entreprise ne survivra pas à la guerre. Il a créé une maison de secours pour les blessés de l’industrie de Lille qui depuis plus de 10 ans fait preuve de son efficacité, lorsqu’apprenant, en 1896, l’existence, dans l’Yonne, d’un institut orthopédique dirigé par un homme original, l’abbé Crud, qui ne détient aucun diplôme médical, il s’en fait nommer directeur scientifique, impliquant plus ou moins sciemment dans cette affaire les facultés catholiques de Lille. Dès que cela y est connu, une levée de boucliers amène le conseil supérieur à demander au docteur Guermonprez de renoncer à ses titres et fonctions dans cet institut. À la suite d’une plainte en 1899, l’abbé Crud est d’ailleurs condamné pour exercice illégal de la médecine. Guermonprez persiste cependant. Il avait réussi à convaincre Crud de transférer son établissement à Lille, dès 1896. La première pierre de l’Institut orthopédique du Sacré Cœur, dit plus tard Canteleu Lambersart, est posée en septembre 1896, presqu’aux portes de la Catho, les premiers malades y entrent en 1898. Le succès est considérable. Le scandale aussi. Médecin de la Compagnie des Chemins de fer du Nord, Guermonprez est révoqué en 1896 pour avoir dirigé, seulement 18 jours, l’Institut orthopédique de l’abbé Crud, ses collègues de la faculté de médecine, rejetant les méthodes de traitement « en dehors de tout contrôle médical » comme les méthodes commerciales. Le climat ne s’apaise pas, même après le retrait complet de l’abbé Crud en 1901. L’institut a pourtant le soutien de la municipalité de Lambersart où ses services sont reconnus38. Mais les ennuis de Guermonprez avec ses collègues se poursuivent. Il avait réussi à installer à Saint-Camille un petit service de mécanothérapie, mais à l’expulsion de ceux-ci il doit quitter les lieux en 1902. Il le transfère 104 bd Vauban, puis en 1906 dans l’ancien Carmel de Lille (plus tard Blanche de Castille), rue Nationale à Lille. Il créé une association pour racheter ce Carmel. Il y installe une véritable clinique de rééducation mécanothérapique qui fonctionne jusqu’en 1914. Après la guerre il obtiendra enfin une pièce à Saint-Raphaël pour y reprendre ses activités jusqu’à sa mort (1932).

En sciences et lettres

65La faculté des sciences s’honore des travaux d’Aimé Witz, qui a secondé Chautard en sciences physiques et qui a reçu plusieurs prix pour ses recherches en thermodynamique, ses publications sur les moteurs à gaz ou les machines à vapeur : prix de la Société d’encouragement de l’industrie nationale, de la Société des ingénieurs civils de France, prix Montyon de l’Institut de France. En 1907 il est membre correspondant de l’Académie des sciences.

66L’abbé Nicolas Boulay, qui a fait don à l’Institut d’une collection d’histoire naturelle, est le créateur du jardin botanique. Il soutient sa thèse en 1876 sur le Terrain du bassin houiller du Nord de la France et ses végétaux fossiles. Il jette les fondements à Lille d’un centre d’études de paléobotanique. Émilien Bourgeat (1849-1926) est connu pour ses travaux sur le Jura méridional. Grâce à eux se forment des collections uniques.

Les professeurs de la faculté des sciences en 1905

67Cette faculté et celle des lettres connaissent un rayonnement moindre du fait de leur recrutement. Le corps professoral de la faculté des lettres compte toutefois, dès cette époque, quelques personnalités marquantes, tandis qu’émergent déjà parmi leurs anciens étudiants ceux qui l’illustreront dans les décennies suivantes. Amédée de Margerie, inamovible doyen jusqu’en 1900, est un homme d’une grande culture philosophique et littéraire. Avec distinction, souplesse et facilité d’esprit il préside le cercle formé autour de lui par Victor Canet, Auguste Charaux, Cliquennois, le P. Le Génissel, Émile Lesne dès 1910, Dehove, Louis Bayard (1861-1948), Constantin Lecigne, Camille Looten…

Les professeurs de la faculté des lettres en 1897

Les professeurs de la faculté des lettres en 1905

68Dans le domaine de l’histoire, beaucoup de travaux sont à l’actif des enseignants de la faculté des lettres comme de celle de théologie, histoire ecclésiastique le plus souvent, régionale ou générale, au premier rang desquels il faut bien sûr rappeler ceux de Mgr Hautcœur, Histoire de Notre-Dame de la Treille, patronne de Lille (1900) ou l’Histoire de l’Abbaye de Flines, (1909). Mgr Chrétien Dehaisnes obtient un prix de l’Académie des inscriptions et belles lettres pour son ouvrage Histoire de l’Art dans les Flandres, l’Artois et la Picardie avant le XV^e siècle (1889). Dès 1860, il avait publié de nombreux travaux d’art et d’érudition39. Il est associé à l’Académie royale de Belgique, président de la Commission historique du Nord. Le chanoine Louis Salembier qui a succédé à Mgr Baunard à la chaire d’Histoire ecclésiastique (1891-1913), publie À propos de Pierre d’Ailly, évêque de Cambrai (1909) et Deux conciles inconnus de Cambrai et de Lille durant le Grand Schisme (1901). En histoire du droit Paul Viard publie une Histoire de la Dîme ecclésiastique en France au XII-XIII^e siècle (1912) et De l’Administration préfectorale dans le département de la Côte d’Or sous le Consulat et le premier Empire (1914).

69Il ne faut bien sûr pas oublier, dans ce tableau, Mgr Baunard dont la qualité des travaux est reconnue avant même son arrivée à Lille et a constitué un argument essentiel de son recrutement : Histoire de Madame Barat, fondatrice de la Société du Sacré-Cœur de Jésus (1876), Histoire de Madame Duchesne, religieuse de la société du Sacré-Cœur et fondatrice des premières maisons de la société en Amérique (1878) Vie du Cardinal Pie, évêque de Poitiers (1885), La Foi et ses victoires, plusieurs fois réédité, conférences sur les illustres convertis du XIX^e siècle, Frédéric Ozanam d’après sa correspondance (1890), le Général de Sonis (1890) Le Cardinal Lavigerie (1896), Un siècle de l’Église de France (1900), Philibert Vrau et les œuvres de Lille (1826-1905) publié en 1906, Les deux frères, cinquante années de l’action catholique dans le Nord 1911)… Sa plume continue à rejaillir sur toute la maison. Le vieillard. La vie montante. Pensées du soir publié en 1920 fournira par la suite son appellation au mouvement des chrétiens retraités.

En théologie

70Sans doute est-ce alors la faculté de théologie qui, avec la faculté de droit, a le plus fort rayonnement. Son corps professoral est essentiellement constitué de prêtres diocésains ayant été formés le plus souvent dans les universités romaines. Son doyen, le chanoine Jules Didiot (1877-1886 et 1893-1896), y enseigne le dogme puis la théologie morale jusqu’à la veille de sa mort en 1903. Son œuvre fondamentale est constituée de deux volumes de logique et trois volumes de morale, très utilisés alors dans l’enseignement des séminaires comme dans les facultés. Il enseigne également la sociologie aux étudiants de la section des sciences sociales et politiques de la faculté de droit. Soucieux de répercuter l’enseignement romain, il publie, en 1892, La question ouvrière d’après l’encyclique pontificale du 15 mai 1891. Ses écrits et son enseignement contribuent à introduire de nombreux étudiants au catholicisme social, parmi lesquels Eugène Duthoit qui reconnaît en lui son inspirateur. « Esprit de grande envergure, aussi apte à commenter saint Thomas qu’à manier l’argument patristique » (L. Berthe), il a le souci de mettre la théologie à la portée des laïcs, tant à travers ses homélies que ses conférences pour un large public cultivé ou aux congrès catholiques.

71La faculté s’illustre également dans le domaine de l’exégèse biblique avec le chanoine Eugène Pannier (1854-1937) dont la nouveauté de la thèse sur les rapports de la cosmologie biblique avec les monuments égyptiens et chaldéens (1886) suscite toutefois quelque inquiétude, dans un premier temps. Il y insiste sur la nécessité de restituer le contexte au sein desquels les textes sacrés ont été écrits pour en permettre une meilleure compréhension. Il s’attache particulièrement à l’étude des psaumes d’après le texte hébreu, afin d’en faciliter la récitation dans le cadre du bréviaire. Ses travaux lui ouvrent les portes de la faculté de théologie où il enseigne d’abord l’archéologie sacrée (dès 1885) puis l’hébreu, puis l’introduction à l’Ancien Testament, chaire dont il devient titulaire en 1896 et qu’il occupe jusqu’à sa mort. Il est élu trois fois doyen de la faculté (1905-1908, 1914-1919, 1922-1925). Il publie, en 1886, Généalogies bibliques, en 1893-95, Chronologie biblique, une traduction des psaumes d’après l’hébreu avec commentaires. Il collabore, dès 1895, au Dictionnaire de la Bible de Vigouroux, dont il a été l’élève au séminaire Saint-Sulpice. En 1904, dans un article « Critique et exégèse » il tente de montrer que la critique ne mène pas nécessairement à l’hérésie. En 1908, il est consulteur de la commission pontificale des études bibliques.

72Le chanoine Albert Pillet (1842-1928), premier détenteur de la chaire de droit canon de la faculté de droit puis du collège théologique, lui aussi doyen de la faculté de théologie (1896-1899) est souvent appelé à intervenir dans les congrès catholiques sur les questions de droit ecclésiastique. Ses travaux contribuent à la rédaction du nouveau code de droit canon en 1917.

73Deux des professeurs de la faculté, anciens étudiants du séminaire académique sont devenus évêques : Jean-Arthur Chollet (1862-1952) et Hector-Raphaël Quilliet (1859-1928). Jean Chollet, chargé du cours de logique dès 1888, de philosophie en 1894 (titulaire en 1896) devient titulaire de la chaire de théologie morale en 1903. Il a obtenu son doctorat de théologie (1893) avec une thèse sur la Théorie théologique de la Lumière. En 1910 il est nommé évêque de Verdun avant de devenir, en 1913, archevêque de Cambrai. Il publie plusieurs ouvrages. Dès 1891 il partage avec l’abbé Quilliet, intransigeant comme lui, la direction de la Revue des Sciences ecclésiastiques, organe du néo-thomisme et de l’antimodernisme. En 1908, il dirige la revue Questions ecclésiastiques. Hector Quilliet donne des cours à la faculté de théologie dès 1884 et devient professeur de théologie dogmatique après sa thèse sur L’origine du pouvoir civil, (1893). Il est nommé évêque de Limoges en 1913 avant de devenir évêque de Lille en 1920.

Les professeurs de la faculté de théologie en 1897

Les professeurs de la faculté de théologie en 1905

Les professeurs du séminaire académique 1901-1902.

Quelques personnalités de la faculté de théologie

74L’abbé Frédéric Fuzet (1839-1915), est choisi comme secrétaire général de l’université à sa fondation et nommé à la chaire d’histoire ecclésiastique. En 1876, il publie sa thèse sur Les jansénistes du XVII^e siècle, leur histoire et leur dernier historien, M. de Sainte-Beuve. Jugé sévèrement dans la Revue historique, il reconnaît la justesse des critiques et désavoue son ouvrage. Mais son enseignement rencontre peu de succès et comme il ne s’habitue pas au climat du Nord. il regagne son diocèse d’origine, Nîmes. C’est au moins la raison officielle, car sa brochure De l’attitude politique du clergé en face de la démocratie (1881) a suscité quelques remous qui, sans doute, lui valent cet éloignement. Ses sympathies pour le régime républicain, malgré l’attitude irréligieuse du gouvernement, ses relations avec les milieux de gauche, ses « outrances » d’écriture choquent beaucoup de catholiques. Il est un des plus ardents partisans du Ralliement. Devenu évêque de Saint-Denis de la Réunion, il est le type même du prélat concordataire, dont certains redoutent la nomination à Cambrai ou Arras dont les sièges sont vacants. Un rapport hostile est déposé à la nonciature et l’on peut penser qu’il émane de l’Université catholique de Lille. Dans une lettre à Mgr Baunard, Mgr Fuzet se plaint d’ailleurs de « calomnies » dirigées contre lui.

Dans la crise moderniste

75Si le pontificat de Léon XIII a favorisé une ouverture intellectuelle dont quelques-uns des enseignants de la Catho sont les témoins, les débuts du XX^e siècle sont moins propices, alors que se profile la crise moderniste marquée en 1907 par le décret Lamentabili et l’encyclique Pascendi. Cette crise retentit à l’Université catholique où H. Quilliet et J. Chollet commentent en détail les propositions condamnées tandis que Mgr Baunard affirme l’adhésion absolue de l’université à la pensée de Pie X. L’attachement à Rome est certes un des traits majeurs de la faculté de théologie, caractérisée par une grande cohésion dans ses premières années avec un corps professoral groupé autour de son doyen. Mais la mort de Jules Didiot, en 1903, coïncide avec les débuts d’une crise qui crée en son sein des tensions qui ne peuvent qu’en gêner le développement. La mise en œuvre de la méthode historico-critique, en matière d’exégèse et d’histoire des dogmes, suscite de profondes divergences au sein du corps professoral comme, par exemple, la tension qui oppose le jeune abbé Pierre Tiberghien40 pour qui est fondée en 1908 une chaire d’apologétique et l’abbé Albert Michel, prêtre du diocèse de St Dié, qui succède en 1910 à Mgr Chollet et, sur avis de celui-ci, à la chaire de dogme. L’abbé Michel, d’un thomisme intransigeant, voire étroit, s’engage à fond dans la lutte antimoderniste. De son côté Pierre Tiberghien est favorable au mouvement déclenché par la publication de L’Action de Maurice Blondel et les travaux de son collègue de Paris, le P. Rousselot (Les yeux de la foi, 1910). Si la modération et la prudence dont ne se départit pas l’abbé Tiberghien ne donnent pas prise à la critique, les flèches d’Albert Michel atteignent d’autres cibles, en particulier Laberthonnière, ami de Maurice Blondel et directeur des Annales de philosophie chrétienne, qui sont mises à l’Index en 1913 et ne s’en relèvent pas. Une certaine suspicion pèse aussi sur les travaux d’Eugène Pannier, secrétaire de la Revue de Lille, (1889-1908) qui s’abstient de toute publication à partir de 1913. D’autre part, le démarrage du Sillon41, son action comme sa condamnation provoquent aussi une assez vive agitation parmi les étudiants.

76Dans ce contexte, la Sodalitium Pianum, connue sous le nom de Sapinière,42 se spécialise dans la délation. Elle dénonce alors tous ceux qui peuvent être, à un titre ou un autre, suspects de modernisme. Henri Delassus, le directeur de la Semaine religieuse de Cambrai, participe de cette dénonciation. Dans le Nord elle atteint surtout l’abbé Lemire mais aussi Mgr Delamaire et l’Université catholique. Ainsi le 10 juin 1910 : « Au Séminaire Académique de Lille, un professeur a proposé aux ordinands du samedi de la Trinité de renoncer à faire imprimer leurs souvenirs d’ordination et de consacrer cette économie à la souscription pour l’élection de l’abbé Lemire. Tous y ont consenti avec l’approbation du Supérieur » (10 juin 1910). Les archives du séminaire ne gardent toutefois pas traces de cette prétendue initiative… Tel clerc est accusé d’être « un sillonniste ardent », tel autre d’avoir été repoussé de la faculté de théologie « à cause de son modernisme »… La question est de savoir qui fournit ces renseignements à Mgr Benigni. Jean-Marie Mayeur43 attribue la paternité de notes quasi quotidiennes au docteur François Guermonprez, président de la Ligue d’Action française du Nord et ennemi déclaré de l’abbé Lemire, selon la « rumeur publique », recueillie par l’abbé Camille Looten professeur à la faculté des lettres, d’origine flamande et très lié à Lemire. Or dans ses écrits, F. Guermonprez non seulement pourfend l’abbé Lemire mais assimile lemirisme et modernisme. On peut donc légitimement penser qu’il a été l’un des informateurs de Benigni ainsi que Mgr Delassus.

77Au séminaire académique où des prêtres diocésains ont remplacé les lazaristes, au lendemain de la loi sur les congrégations, les séminaristes oscillent entre le Sillon et l’Action française. On peut d’ores et déjà remarquer, parmi les directeurs, le jeune abbé Gaston Delépine, ordonné en 1902, qui joue un rôle de régulateur face aux manifestations parfois impétueuses de part et d’autre. Attentif à guider les séminaristes lors de la crise moderniste, il s’impose de lire lui-même tous les ouvrages importants parus à cette époque. Son action est parfois critiquée, en raison de la confiance que lui témoignent quelques séminaristes ouverts aux discussions théologiques et exégétiques de leur temps. Quittant en 1911 ses fonctions au séminaire après avoir soutenu sa thèse il est nommé professeur suppléant de géologie. Son souci est alors de servir l’Église à travers ses travaux de géologie. Il n’y a pas d’une part le géologue et d’autre part le prêtre et à une époque de luttes religieuses il se veut, au sein du monde savant qu’il fréquente au plus haut niveau, tout à la fois un témoin de la foi chrétienne et un exemple de haute compétence scientifique. Il est un ami de Teilhard de Chardin qu’il fréquente sans en partager toutes les vues. Il porte, dès cette époque difficile, le témoignage que la foi n’est pas un obstacle mais un enrichissement pour la recherche scientifique.

Des chrétiens engagés

78Le climat délétère de ces années ne semble toutefois pas avoir mis en cause, quels qu’en aient été les fondements et orientations, les engagements des enseignants, marqués à des titres divers par les conséquences de la révolution industrielle et les problèmes sociaux qu’elle a générés. Des prises de conscience s’opèrent qui sans doute ont encore quelques difficultés à sortir du paternalisme qui a caractérisé la génération des fondateurs mais qui, les impulsions romaines et le travail de quelques théologiens, juristes et pasteurs aidant, font naître toute une génération de catholiques sociaux dont l’action se développera après la guerre.

79Dans Quarante ans d’Action catholique (1873-1912) Paul Feron-Vrau44, évoque les nombreux professeurs de l’Université catholique de Lille qui participent aux congrès annuels comme aux œuvres qui en sont issues. Gabriel de Vareilles-Sommières préside la commission des patronages, Émile Camelot45 celle des conférences Saint-Vincent de Paul. Amédée de Margerie est vice-président du conseil d’organisation des congrès. C’est lui qui lance l’idée de la célébration du baptême de Clovis à Reims. Victor Canet est secrétaire général de ces congrès pendant plus de 15 ans. Avec des étudiants ils apportent également leur concours dans les diverses œuvres, denier des écoles, patronages, œuvres de piété et de charité, etc. mises en place par la Catho.

80L’Action catholique, telle qu’elle se définit alors et avant que ne s’impose l’Action catholique spécialisée, et l’action politique et sociale qui en est l’émanation à travers toutes sortes d’œuvres et mouvements, sont complémentaires. Elles trouvent à l’Université catholique un terreau particulièrement favorable. Sans doute cette Action catholique porte-t-elle alors fortement la marque des luttes anticléricales et alimente-t-elle beaucoup d’œuvres de défense religieuse, mais elle trouve aussi une vive impulsion dans le mouvement issu de l’encyclique Rerum novarum, auquel participent de nombreux enseignants de l’université, ouverts à la question sociale.

81Dans cette perspective, il nous semble intéressant de donner ici toute sa place à la faculté de médecine et pharmacie, dont les enseignants, les étudiants et les anciens jouent un rôle important dans les œuvres d’assistance et de soin à Lille, tandis que n’existent pas encore sécurité sociale et allocations familiales. Les médecins s’efforcent de répondre par leur enseignement à l’œuvre générale de formation du médecin chrétien : science croyante, croyance savante, unies dans un même esprit qui serait l’esprit distinctif des maîtres et des disciples, tel a été l’esprit dans lequel Camille Feron-Vrau a contrôlé le recrutement des premiers enseignants ou encore un peu plus tard du docteur Henry Duret. Il a pris ou encouragé plusieurs initiatives dans le but de concourir à la formation du médecin-chrétien. Ses papiers intimes révèlent la conception qu’il en a. Il tient au trait d’union, médecin-chrétien, toujours et partout, en public comme en particulier. Pour lui, la pratique médicale n’est pas un métier qui s’exerce comme on tient une épicerie. C’est une mission, reçue et bénie de Dieu, ayant le Christ pour modèle sublime, guérissant les corps mais s’élevant aux réalités spirituelles de la foi. Le médecin a beaucoup contribué à la décadence de la société, estime-t-il, il peut contribuer à son relèvement par la restauration de la vie chrétienne dans la famille et les âmes. Pour cela il entend compléter la formation par un enseignement philosophique et moral qui, pense-t-il, lui a manqué à lui-même dans ses études. Il fait appel en ce sens au doyen de la faculté des lettres, Amédée de Margerie. Il préconise une Association des médecins chrétiens dont la première fin est la sanctification personnelle des membres dans l’exercice de la médecine en conformité avec les enseignements de l’Église. Le docteur Wintrebert est un des 14 fondateurs en 1885, avec les Lillois, Henry Duret et Henri Desplats. Cette association prend le nom de société Saint-Luc, Saint-Côme et Saint-Damien, appelée communément société Saint-Luc. Le pèlerinage à Rome des médecins catholiques à l’initiative de Camille Feron-Vrau, en 1904, jette enfin les bases d’une association internationale de médecins catholiques.

82Jusqu’à la veille de la guerre la faculté entretient également, selon le vœu de Camille Feron-Vrau, des liens étroits avec le Bureau des constations médicales de Lourdes que plusieurs professeurs secondent volontiers. Cette institution, qui commence à fonctionner en 1884, est suscitée par le nombre croissant des malades et des guérisons. Elle institutionnalise la pratique, déjà instaurée, de l’examen clinique des personnes malades venues à Lourdes et se présentant comme guéries. D’emblée des médecins de la faculté libre de médecine manifestent leur intérêt et, par le docteur Desplats, contact est pris avec le docteur Boissarie, président du bureau.

Participation des facultés catholiques de Lille au congrès de Reims, à l’occasion du 14^e centenaire du baptême de Clovis en 1896

Bureau des constatations médicales de Lourdes.

83On prend particulièrement en compte toutes les dimensions des problèmes scientifiques posés par les guérisons de Lourdes. C’est à partir de 1897 que Camille Feron-Vrau va à Lourdes chaque année pour seconder le docteur Boissarie. Ces diverses collaborations contribuent à l’établissement de liens organiques entre la Catho et le bureau des constatations, le docteur Boissarie venant lui-même à Lille pour une conférence dans laquelle il stigmatise la mauvaise foi d’Émile Zola, qui après être venu à Lourdes en 1892 a publié son roman Lourdes. Des professeurs et des étudiants y sont régulièrement envoyés. Ces initiatives contribuent à faire reconnaître le caractère scientifique du travail du bureau médical. Certains participent au service des malades lors des pèlerinages46. Camille Feron-Vrau encourage l’envoi de deux internes en médecine, chaque année, en finançant les frais. Une statue de saint Luc identique à celle de Lille est érigée à Lourdes, sous les arceaux de l’esplanade du Rosaire, où elle domine le linteau du portail qui ouvre sur la salle d’exposition du bureau médical. Sous la statue, la première des plaques de marbre qui y sont scellées porte « l’hommage » de la faculté libre de médecine à Notre-Dame de Lourdes, 1901. Les liens établis alors se poursuivent après la mort de Camille Feron-Vrau et ce jusqu’à nos jours.

84Une autre dimension de la vocation du médecin-chrétien qu’a voulu promouvoir Camille Feron-Vrau réside dans l’attention particulière que, dès l’origine, la faculté de médecine prodigue aux indigents, au sein des dispensaires. Quelques chiffres donnés par Mgr Baunard, en 1899, indiquent qu’ont été données, l’année précédente, à Saint-Camille, 7622 consultations gratuites avec médicaments distribués aux indigents ; à Saint-Raphaël, 12260 consultations gratuites avec médicaments et 4924 journées d’hospitalisation ; à Sainte-Anne, 3554 journées réparties entre 343 personnes toutes reçues gratuitement ; à Saint-Antoine, 12912 consultations et 9372 journées d’hospitalisation réparties entre 281 enfants reçus gratuitement. Mgr Baunard ajoute qu’env. 320 femmes par an (mariées pour la plupart, note-t-il) accouchent à la maternité Sainte-Anne qui en 18 ans n’a eu à déplorer que 8 décès sur 5862 accouchements !

85Si Camille Feron-Vrau peut donc se réjouir des réalisations auxquelles il concourt lui-même financièrement, il s’inquiète aussi de la situation financière globale de l’Université catholique, pour laquelle aucune solution pérenne n’a encore été trouvée quelque trente ans après sa fondation.

Le Docteur Boissarie, président du bureau des constatations médicales

Statue de saint Luc à Lourdes, esplanade du Rosaire

Équilibrer le budget et assurer un financement durable

86Le dévouement de tous ceux qui veillent sur le temporel de l’Institut catholique et des membres du CA présidé par Charles Verley n’est certes pas mis en cause mais il n’a d’égal que les difficultés financières auxquelles l’établissement ne cesse d’être confronté. Faire des économies et trouver un financement durable pour équilibrer le budget s’avère un véritable défi. Outre les décisions concernant les chaires et les traitements des enseignants, d’autres mesures sont prônées comme une réforme radicale du service administratif. L’idée d’un intendant ecclésiastique (moins cher qu’un laïc) qui surveille avec rigueur tous les services (jardins, culte, laboratoires, etc.) et résidant dans l’université, aboutit à la nomination de l’abbé Lamant. Quelques services sont supprimés dont celui de l’économe laïque.

87Comme les questions financières pèsent également sur le recrutement des étudiants, on développe l’œuvre des bourses, manière de lutter contre la concurrence de l’État, dont les bourses sont une des forces. Mais, à l’inverse, lorsqu’en 1893, Mgr Baunard constate un « accroissement insolite » du nombre des étudiants en médecine, risquant de poser des problèmes de locaux, de personnel, d’organisation des cliniques, de nombre de cadavres, on s’inquiète dans la mesure où ce n’est pas les 120 francs annuels d’inscription par étudiant qui peuvent compenser l’augmentation des dépenses afférentes. Que faire lorsque les résultats de la souscription diminuent de plus en plus et que les quêtes dans les églises n’atteignent pas les niveaux escomptés ? Peut-on motiver davantage les curés pour qu’ils annoncent et encouragent la quête dans leur église, sachant qu’un certain nombre de préventions se sont élevées dans le clergé contre l’Université catholique ? Peut-on élargir la souscription décennale hors des limites des deux diocèses étant donné le recrutement large de la faculté de médecine, seule faculté catholique qui fournit des médecins à toute la France ? Faut-il limiter les effectifs (500) avec une politique élitiste ou aller de l’avant, sans reculer face à l’État qui de son côté progresse ? Peut-on augmenter les droits d’inscription, jusque là peu élevés ? Cette dernière question est clairement posée en CA en 1895 par Jonglez de Ligne :

« Permettez-moi de vous soumettre une pensée qui commence à avoir cours dans l’opinion publique. Notre Université compte 600 étudiants qui reçoivent gratuitement l’enseignement supérieur, dans des locaux magnifiques par des professeurs distingués. Une grande partie de nos étudiants appartiennent à des familles riches ou aisées : n’est-il pas anormal de donner gratuitement un enseignement qui pourrait être payé autrement que par l’appoint dérisoire des droits d’inscription. Je sais que je porte en ce moment la main audacieusement sur un principe jusqu’ici intangible, à savoir la gratuité de l’enseignement supérieur. L’Université officielle a tout intérêt à défendre ce principe qui écrase sa concurrente, tandis qu’elle puise elle-même dans la bourse de tous les contribuables, catholiques ou francs-maçons. Mais remarquons que la gratuité n’existe pas dans l’enseignement secondaire et que le principe en est déjà ébranlé dans l’enseignement primaire. Serait-il impossible de l’entamer dans l’enseignement supérieur ? »

88Cette proposition n’est pas alors retenue. Il est vrai que la générosité de quelques-uns continue à faire des merveilles, permettant de rétablir l’équilibre du budget, grâce à des interventions extraordinaires, à rythme régulier, chaque année pendant plus de 20 ans. Quand on prépare le budget, l’insuffisance des recettes destinées à équilibrer les dépenses étant constaté, le recteur annonce qu’il est autorisé par des bienfaiteurs anonymes à inscrire une somme qui établisse la balance sous la rubrique « somme promise pour parer au déficit éventuel ». Quand les comptes sont apurés, la différence souvent plus large que prévue est comblée sans bruit.

Quelques installations de la faculté de médecine et pharmacie : Prières pour l’Université et appel pour la souscription, 1905

Quelques installations de la faculté de médecine et pharmacie : Prières pour l’Université et appel pour la souscription, 1905

Quelques installations de la faculté de médecine et pharmacie : Prières pour l’Université et appel pour la souscription, 1905

Quelques installations de la faculté de médecine et pharmacie : Prières pour l’Université et appel pour la souscription, 1905

89Mais Philibert Vrau meurt en 1905 et, en 1907, Camille Feron-Vrau, envisageant sa propre mort, s’inquiète d’une situation, qui risque d’aller à la catastrophe. Le 5 janvier 190747, il rencontre Mgr Delamaire48, en compagnie de Mgr Baunard. Une note manuscrite confirme l’entretien, dans laquelle il rappelle les engagements de sa famille au service de l’Université catholique depuis 1875. L’œuvre est prospère, mais il faut absolument engager pour la suite les catholiques du diocèse.

Dieu a béni extraordinairement notre œuvre et nos efforts ; nous acquîmes bien vite la conviction que Dieu ne nous envoyait cette grande fortune que pour la faire servir à son œuvre ; cette pensée nous a mis à l’abri de toute pensée de vanité, nous étions simplement les instruments indignes, mais soumis et dévoués de la Providence à l’égard de l’Université catholique, et dès lors nous n’avions qu’à nous laisser aller d’une part à tout l’élan de notre reconnaissance pour l’immense grâce que Dieu nous faisait en se servant de nous, et puis d’autre part à la confiance que Dieu saurait bien pourvoir après nous aux nécessités de notre grande et chère œuvre.
C’est ainsi que nous avons travaillé depuis 1875. En 1888 M^me Vrau nous a quittés. En 1905 M. Vrau est décédé à son tour ; je suis demeuré seul chargé de notre maison commune, mais avec des ressources qui ont diminué d’abord dans le total des bénéfices de la maison et puis par suite de la répartition différente de ces bénéfices. Me voici arrivé à l’âge de 75 ans et demi et après moi il ne faudra plus compter sur la continuation d’apports de ces ressources providentielles : car mon fils a dû prendre, on le sait, dans la voie du bien, une toute autre direction où il doit faire usage de tous les moyens pécuniaires et autres49.
Il m’a été facile de déterminer l’importance des dons que notre famille a faits pendant ces trente années à l’Université catholique. […] Le total est de 11 366 182.70 francs, déduction faite de tous les intérêts. Il convient d’y ajouter une somme 1 239 308.75 francs qui complète l’importance du compte dont j’ai parlé. La somme totale de ce compte a donc été pour ces trente années écoulées de 12 605 491.45 francs. La somme de 1 239 308.75 francs forme une réserve qui permet dans les conditions actuelles de pourvoir au déficit de quelques années. Mais il est temps de faire des efforts nouveaux. J’alimenterai le compte jusqu’à ma mort, mais dans quelle mesure, je ne saurais le prévoir.
Dans les quinze premières années, c’est-à-dire jusque vers 1890 et peut-être un peu au-delà, nous avons pu non seulement pourvoir à ce qu’exigeaient les besoins constants du fonctionnement de l’Université, mais nous avons aussi pourvu à des dépenses extraordinaires de fondations. Nous avons acheté la presque totalité des terrains, et pourvu la presque totalité des constructions ; nous avons pu aussi fonder une dizaine de chaires et pourvoir à d’autres dépenses en dehors de celles strictement nécessaires. Depuis 12 ans au moins la situation s’est amoindrie. L’Université est arrivée à posséder une somme importante en revenus, mais presque tout ce qui lui a été donné, implique des charges spéciales qui en absorbent en grande partie l’emploi. Depuis 12 ans environ, nous nous bornons à peu près à couvrir le déficit soit 200 000 francs environ par année. Ce déficit est considérable malgré tous les efforts continus pour la réduction des dépenses. L’expérience nous permet d’affirmer que nous sommes arrivés depuis déjà longtemps aux limites des économies possibles.
Mais dans une œuvre comme la nôtre, il n’est pas bon de pousser trop loin et trop longtemps aux économies ; il faut beaucoup plus de latitude dans le budget, pour perfectionner l’enseignement, agrandir le matériel scientifique, améliorer les traitements. Ce n’est pas 200 000 francs qu’il faudrait trouver en plus auprès des catholiques des deux diocèses, mais le double ou le triple.
Quoiqu’il en soit, nous n’avons que des grâces à rendre à Dieu, nous surtout, de pouvoir offrir à Mgr Delamaire une œuvre prospère, sans dette, qui ne paraît pas exposée, quant au présent, aux périls qui font succomber tant d’œuvres catholiques de nos jours. D’autre part notre situation paraît plus prospère que celle des autres universités catholiques. De là peut-être résulte-t-il une obligation pressante de conserver et d’augmenter dans l’intérêt de la France l’œuvre qui présente une importance capitale […]50.

90Cette lettre exprime parfaitement ce que la Catho doit aux « deux frères » et l’impasse dans laquelle elle risque de se trouver au lendemain de leur disparition. Mgr Delamaire propose alors de former une commission de patronage composée de chrétiens, zélés et fortunés, qui prendrait le relais. Il s’engage aussi à réveiller le zèle du clergé, en utilisant pour lui-même la note de Camille Feron-Vrau tout en s’engageant à garder une absolue confidentialité quant aux chiffres exposés. Or Camille Feron-Vrau meurt le 30 mars 1908. À cette date le rectorat de Mgr Baunard touche à sa fin et le chanoine Alfred Margerin est appelé à lui succéder.

Mgr Margerin recteur : initiatives et nouveaux projets de constructions

Un nouveau recteur

91Déjà depuis quelques années un pro-recteur, l’abbé Rambure, seconde Mgr Baunard dans sa tâche. Mais cette situation n’est que provisoire et ne doit durer que jusqu’à la retraite définitive de Mgr Baunard. En 1908, celui-ci a atteint l’âge de 80 ans et 20 ans de rectorat. L’occasion semble favorable à Mgr Delamaire qui propose le chanoine Margerin51, alors vicaire général de Cambrai, ancien curé de Fourmies. Celui-ci n’a pas de grade universitaire (ce qui n’était pas favorisé du temps de ses études) mais c’est un homme d’une grande culture, dont la devise est Te rectore, te duce (Tu diriges, tu conduis).

92Prudent, sage et ferme, Mgr Margerin, secondé par le vice-recteur l’abbé Dewaulle, prend les rênes de l’université, qui continue à se développer, et semble avoir atteint sa maturité. Le corps professoral a été rajeuni et élargi, avec le souci de maintenir un recrutement de qualité en offrant aux enseignants des champs d’activité et des instruments de travail à la hauteur de leurs titres comme de leurs ambitions.

93À la mort de Frappé, premier secrétaire des facultés et homme de confiance du CA, Mgr Margerin demande à l’abbé Buns52 de le remplacer dans ses fonctions. Celui-ci est nommé chef du secrétariat et chargé en outre de l’intendance générale des bâtiments et services universitaires.

94Sous l’égide d’administrateurs qui, pour la plupart, sont les fils des fondateurs : Jean Bernard, président, Maurice Scalbert…, les finances sont « administrées avec une entière prudence et une grande habilité, par des hommes rompus aux affaires » (Mgr Hautcœur, 1913) : sage administration ajoutée à la générosité des fidèles qui a permis à l’œuvre de se développer malgré les vents contraires. Cette générosité est cependant beaucoup sollicitée tandis que la loi de Séparation impose de nouvelles charges aux catholiques et que l’écart risque de s’accentuer entre les ressources et les nécessités d’un fonctionnement normal de l’université. De fait les charges ne baissent pas, et même de nouvelles apparaissent. Ceci n’empêche pas d’envisager de nouveaux travaux, tandis que la confiance revenue le nombre des étudiants se maintient aux environs de 600. Dans son rapport triennal en 1913, le chancelier constate, en particulier, le développement de la faculté de théologie, avec 44 étudiants en 1912-13, sous le décanat de l’abbé Édouard Thamiry, des nouveaux cours de droit canonique en faculté de droit, le développement de la bibliothèque53 qui possède 228 000 volumes, l’essor de l’école des hautes études industrielles sous l’impulsion du chanoine Jean-Baptiste Ghesquier (1856-1919).

Mgr Margerin, Recteur

Le recteur Margerin dans ses appartements

Essor de l’école des hautes études industrielles (HEI)

95Les circonstances de la création de l’Université catholique ont obligé à parer au plus pressé et permis l’ouverture des facultés. Mais il est clair que dans l’esprit des fondateurs et parmi eux des deux principaux inspirateurs que sont Philibert Vrau et Camille Feron-Vrau, il importe surtout de former des professionnels chrétiens. Déjà ce projet est mis en œuvre par le biais des facultés mais très vite il prend de l’ampleur par la création d’écoles.

96Nous avons déjà évoqué la première d’entre elles, l’école des sages-femmes, créée dès 1882. Mais, dans le contexte des transformations économiques et sociales générées par la révolution industrielle, l’assemblée générale des catholiques a, dès 1873, souhaité donner aux futurs « chefs et directeurs d’établissements industriels » un enseignement catholique spécifique. Plusieurs rapports en ce sens ont été lus lors de cette assemblée, qui évoquent également ce type de formation à destination des contremaîtres, employés et ouvriers… formation technique mais aussi humaine et religieuse comportant, pour les chefs et directeurs d’entreprises, des études littéraires et classiques. Les années suivantes les congrès catholiques continuent inlassablement à émettre des vœux en ce sens. Il faut toutefois attendre 1885 pour qu’un premier projet aboutisse. On hésite sur le modèle à suivre, les instituts de ce genre qui existent en France ne répondant pas aux souhaits. Le modèle allemand est plus séduisant, d’autant que la récente victoire de l’Allemagne sur la France est attribuée à l’excellence de son industrie et de son enseignement professionnel à tous les niveaux, dans le cadre de « polytechnicums ». Mais cet exemple comme encore celui des écoles spéciales des arts et manufactures, de génie civil et des mines de Louvain semblent alors trop ambitieux. L’hostilité des pouvoirs publics et les difficultés financières retardent dans le même temps le projet d’école des arts et métiers, dont la première pierre a pourtant été posée en 1880, mais qui dépend de la même générosité et doit attendre près de 20 ans pour poser la seconde ! C’est alors que naîtra l’ICAM54.

97De son côté, Léon Harmel55 s’exprimant, en 1884, devant le Congrès des catholiques demande « la fondation immédiate d’une école des hautes études industrielles et commerciales », c’est-à-dire qui concerne autant des ingénieurs que des futurs patrons. Dans son esprit, il s’agit surtout de s’adresser à des « fils de patrons », dont l’influence sociale lui paraît essentielle pour répondre à son projet de christianiser les usines. L’opération lui semble facile à monter puisque l’on peut s’appuyer en grande partie sur les cours déjà donnés à l’université et au bénéfice également de celle-ci. Industriels et universitaires se mettent au travail. Après quelques échecs, on trouve un directeur en la personne du colonel Arnould56, ancien de l’école Polytechnique, qui répond à tous les critères exigés, sentiment religieux, autorité, expérience industrielle et de l’enseignement, même s’il n’a aucun titre universitaire – ce qui posera par la suite quelques problèmes avec ses collègues – Avant que ne s’impose le sigle HEI, le nom de l’école connaît quelques avatars. Elle reste le plus souvent dénommée école industrielle ou école des hautes études industrielles (EHEI) jusque 1914 et même au-delà57.

Portraits des bibliothécaires, de 1876 à 1969

98Le programme comporte 30 semaines de 30 à 36 h de cours et travaux pratiques auxquels s’ajoutent 2 ½ h d’étude obligatoire par jour et un voyage industriel, avec compte rendu, pendant les vacances d’été. 15 % de l’emploi du temps des deux premières années est consacré à une formation humaine, sociale et religieuse, 25 % au droit, commerce, comptabilité et aux langues, 40 % aux matières scientifiques et techniques et 20 % aux travaux pratiques, dessin, visites d’usines. Le niveau semble assez élevé. Sur les 123 élèves entrés à l’école entre 1885 et 1892, avec baccalauréat ou examen d’entrée, 30 seulement sortent avec le diplôme, ce qui n’a que peu d’importance pour beaucoup d’entre eux, destinés à entrer dans l’entreprise familiale. Les deux premiers ingénieurs diplômés qui ne sont pas fils d’industriels, mais envisagent une carrière salariée sortent en 1893. Les frais de scolarité, qui se montent à 800 F par an sont plus élevés que dans les facultés. S’y ajoutent pour les étudiants non lillois des frais de pension. La grande majorité des élèves des premiers temps sont d’origine patronale, un peu moins de la moitié venant de Lille, Roubaix et Tourcoing, 10 % des départements du Nord-Pas-de-Calais, environ 45 % du reste de la France ou même de l’étranger. À partir de 1889, on repère quelques problèmes d’attractivité de l’école que l’on cherche à compenser par la diversification des propositions. La mise en place d’une école de teinture en 1892 est un de ces essais mais qui par suite de différends avec les responsables des facultés catholiques, quitte l’école industrielle, en 1895, pour devenir sous la houlette de l’abbé Vassard, l’institut technique roubaisien (ITR).

Les professeurs de l’école industrielle en 1897

99En 1886 s’ouvre également dans les locaux et avec des enseignants de la faculté des sciences, une école des hautes études agricoles, en vue d’offrir aux fils de propriétaires ruraux ce que l’on offre aux fils d’industriels. On s’inspire de l’institut agronomique de Louvain, l’enseignement étant complété par une exploitation de 80 ha à Genech, à une vingtaine de km de Lille58. Cependant malgré le soutien de la puissante société des agriculteurs de France, la propagande en sa faveur et l’insistance du comte de Caulaincourt, très attaché à la nécessité de moderniser l’agriculture, l’école n’a jamais qu’un petit nombre d’élèves et doit fermer dès 189759.

100L’un des problèmes de l’école industrielle, lors de ses premières décennies, est celui du recrutement. La création de l’ITR génère une certaine hémorragie. Dans le contexte de l’époque, il y a chez certains parents une inquiétude à confier leurs enfants à la seule école supérieure catholique privée. Les lois sur le service militaire ont également perturbé quelque peu son recrutement. La loi de 1889 exigeant trois ans, sauf pour ceux qui sont titulaires de certains diplômes d’État ou délivrés par des écoles reconnues, a amené à suggérer aux étudiants de passer la licence ès sciences, dont le niveau est inférieur à celui de l’école. Dès lors le nombre des étudiants augmente jusqu’à la guerre, mais ce n’est pas sans tensions avec la faculté des sciences qui n’apprécie guère cette incursion des étudiants de l’école industrielle sur son territoire, d’autant qu’elle souffre déjà de l’exiguïté de ses locaux. Simultanément la situation financière reste inquiétante et les facultés catholiques se doivent souvent de combler un déficit que ne compense pas le nombre croissant d’étudiants. Le système est vicié par le fait que ne sont payés que les enseignements effectivement suivis et que beaucoup abandonnent en cours de route. L’école accueille aussi des étudiants qui ne paient qu’une partie des frais de scolarité.

101En 1893, la qualité de la formation dispensée par l’école des hautes études industrielles, est reconnue par l’autorité académique qui institue, pour la première fois, un brevet d’ingénieur pour les élèves qui ont suivi les cours pendant trois ans. Mgr Baunard remettant ce diplôme définit devant les étudiants et les enseignants le portrait du patron chrétien, appelé à servir Dieu dans la modestie, le sacrifice, le dévouement et la charité. On se souvient, en effet, que cette école a été voulue par le monde patronal dans un souci de rechristianisation des usines. La formation religieuse tend cependant à disparaître des programmes. Les jésuites doivent aussi partir en 1901. L’abbé Jean- Baptiste Ghesquier, succédant au colonel Arnould, restaure certaines pratiques quelque peu oubliées : il rétablit un enseignement religieux et davantage de rigueur dans le contrôle du travail des étudiants. L’école connaît alors un développement rapide jusqu’à la guerre en même temps qu’une diversification de ses cursus.

La ferme de Genech de la section agricole, gravure

102Une section commerciale est créée en 1906, mais ne connaît alors qu’un succès relatif⁶⁰. Jusqu’à la guerre elle n’attire que 109 élèves. En 1911, pour répondre aux besoins d’enseignements électro-techniques en rapport avec l’incessant développement des connaissances est ouverte l’école d’électricité. L’abbé Fernand Witz est jusqu’en 1961 le responsable de cette section dont les débuts prometteurs sont interrompus par la guerre. Des bâtiments sont construits rue François Baës, sur les plans de l’architecte Villain, grâce notamment à l’aide apportée par des anciens⁶¹. Cette construction permet à HEI d’avoir ses propres locaux, achevés en 1913, avec un important matériel dont sont dotés les salles de machine et les laboratoires des bâtiments nouveaux. C’est l’un des chantiers de cette période, tandis que l’on espère achever l’ambitieux projet architectural amorcé dans les années 1880.

Nouveaux chantiers

103Le moment semble, en effet, venu de reprendre les travaux délaissés depuis 1896 et surtout de construire la chapelle qui doit plus encore que le style afficher les couleurs de l’Université catholique. Le projet de Dutouquet, a prévu dès l’origine la construction de celle-ci, dont l’emplacement est bien indiqué sur les plans et qui se marque déjà par une amorce dans la façade principale du palais académique. Des vues publiées sous forme de cartes postales en 1913, le montrent bien ainsi que l’emprise prévue pour l’aile parallèle de l’aula maxima. En attendant, une petite chapelle dite Venite Adoremus a été aménagée.

104Mgr Baunard avait annoncé, dès 1900, la réalisation prochaine de la chapelle. Mais surgirent de nouvelles difficultés, liées à l’exécution d’une menace proférée en 1887 concernant la faculté de médecine : assignation lui est faite de quitter les services qu’elle occupe à l’hôpital de la Charité. L’afaire est poussée du tribunal de première instance de Lille à la cour d’appel de Douai puis en cour de cassation. À chaque étape la justice donne droit aux facultés libres. Mais ceci tient en alerte la faculté de médecine entre 1902 et 1907 et la perspective de devoir peut-être construire et entretenir un grand hôpital que nulle administration ne pourrait lui reprendre empêche tout autre projet. Le jugement définitif de la Cour de cassation est prononcé le 11 juin 1907 qui maintient de façon irrévocable les droits de la faculté libre sur l’aile droite de l’hôpital. Mgr Margerin peut alors mettre en œuvre la construction de la chapelle. L’architecte Maillard reprend les plans de Dutouquet, et en 1913, les fondations sont creusées. Les travaux ne doivent normalement plus se ralentir, et l’on peut bénir la première pierre de la chapelle le 13 avril 1913. L’abside est terminée et la voûte de la chapelle entreprise, en même temps que l’on envisage outre l’aula maxima quelques nouvelles salles rendues nécessaires par la multiplicité des matières enseignées et l’augmentation du nombre des étudiants, sans toucher aux ressources ordinaires du budget : après un « long sommeil » les temps troublés exigent la prudence.

L’hôtel académique avec les emprises prévues pour la chapelle et l’aile de l’aula maxima (1913)

La faculté des sciences qui accueille dans ses locaux les étudiants de l’école industrielle

Nouveaux bâtiments d’HEI, rue François Baës, achevés en 1913

Reprise des projets de construction de la chapelle.

105De fait la guerre éclate et il faut attendre quelques années après le retour de la paix pour que l’église universitaire soit solennellement bénie en 1924. Entre temps, les catholiques lillois ont remporté un autre succès : après la basilique Notre-Dame de la Treille dont la première pierre a été posée en 1854 et dont la construction avance lentement, après la fondation d’une Université catholique, dont, il faut bien le dire, le coût pèse sur la suite des travaux de la cathédrale, c’est la création du diocèse de Lille qui vient couronner leurs efforts en 1913. L’Université catholique a beaucoup contribué à cette décision romaine, dans un climat assez tendu.

Tensions au sein du diocèse de Cambrai

106Un climat délétère règne dans le diocèse de Cambrai depuis une dizaine d’années, marqué par l’opposition entre Mgr Delamaire et l’abbé Jules Lemire, le premier étant pris entre deux feux : il est jugé trop conservateur par les partisans de Lemire et trop bienveillant et trop à gauche par les conservateurs lillois. Lemire a été élu député d’Hazebrouck en 1893 sous l’étiquette « socialiste chrétien » et est constamment réélu depuis. Son action porte surtout sur le domaine social et familial, mais il intervient aussi dans les grands débats à la chambre touchant la question religieuse : loi sur les associations en 1901 et loi de Séparation en 1905. S’il vote contre celle-ci il en approuve cependant le principe estimant qu’elle peut être, sous certaines conditions, bénéfique pour l’Église. Il accepte « la sécularisation de la vie sociale […] comme fondement de relations nouvelles entre l’Église et la société civile », reconnaissant en particulier le caractère légitime de l’école publique. Il prend part à des tentatives de regroupement des chrétiens sociaux, en particulier les congrès sacerdotaux de Reims en 1896 et de Bourges en 1900, auxquels participent un demi-millier de prêtres soucieux « d’aller au peuple ». C’est chez lui que s’installe en 1897 le secrétariat national de l’éphémère mouvement Démocratie chrétienne. Il est proche du Sillon et de Marc Sangnier sans aller jusqu’à l’engagement personnel à leurs côtés. Siégeant à la gauche de la Chambre il ne peut que rencontrer l’hostilité de la droite et des intransigeants et est la cible des attaques inlassables de Mgr Delassus, directeur de la Semaine religieuse de Cambrai et du professeur Guermomprez. Il s’oppose aussi à Mgr Delamaire, qui manifeste son opposition ferme au Bloc des Gauches et ne cesse de dénoncer la politique anticléricale des radicaux influencée par la franc-maçonnerie. Toutefois, si Mgr Delassus et la droite intransigeante se sont réjouis de la nomination de Delamaire, comme évêque coadjuteur de Mgr Sonnois en 1906, ils déchantent rapidement le trouvant trop complaisant vis-à-vis de leur adversaire. En 1910, par exemple, il hésite à intervenir dans le choix d’un candidat catholique à opposer à Lemire tandis que celui-ci jouit d’une grande popularité dans les milieux ouvriers qu’on craint de détacher davantage encore de l’Église. En 1912 à la suite d’un nouveau conflit, Mgr Delamaire blâme Lemire et suspend son journal Le Cri des Flandres, mais interdit également les journaux de Devos et Guermonprez, L’Éveil populaire et Le clairon des Flandres. Ceux-ci poursuivent leur combat dans Le Nord Patriote dirigé par Robert Havard, ami de Maurras. Ils ont adressé un recours au Saint-Siège qui les encourage dans leur combat contre Lemire mais les invite aussi à plus de pacifisme. De son côté, après les élections de 1910, Mgr Margerin renvoie trois étudiants « coupables » d’avoir soutenu la campagne de l’abbé Lemire. Il considère également que le Sillon est « un ferment de discorde et d’agitation ». C’est dans ce climat que se joue la création du diocèse de Lille.

Pour un siège épiscopal à Lille60

107Avant 1789 pas un morceau de l’actuel diocèse de Lille n’appartenait au diocèse de Cambrai : Lille et sa région dépendaient de Tournai depuis les origines du christianisme dans ces contrées, un petit territoire du côté d’Armentières et La Bassée avait été rattaché au diocèse d’Arras et, après la destruction du diocèse de Thérouanne, les parties Nord du département étaient rattachées à Ypres ou Saint-Omer. Certains évêchés étaient transfrontaliers avant que la Révolution française ne vienne bouleverser profondément la géographie diocésaine. Le Nord ne possédant qu’un seul siège épiscopal ancien, c’est à Cambrai qu’on fixa celui-ci, même si, dès avant 1789, des Lillois avaient manifesté leur souhait d’avoir un évêque dans leur ville. Les événements en ont décidé autrement et les diverses tentatives sous la Restauration et la Monarchie de juillet n’aboutissent pas. Lille reste dans le diocèse de Cambrai quelle que soit la lourdeur de la tâche pour son archevêque. La création de nouveaux sièges épiscopaux n’est pas alors à l’ordre du jour.

108L’horizon semble s’ouvrir sous le second Empire. En 1853, un groupe de notables lillois, soucieux de rendre à la ville sa splendeur chrétienne passée, s’attache à reconstruire l’ancienne collégiale Saint-Pierre sous la forme de « Basilique Notre-Dame de la Treille et Saint-Pierre ». Si l’ambition architecturale est évidente, elle ne cache pas un objectif plus lointain : l’établissement d’un évêché à Lille, qui retrouverait l’ancienne influence religieuse du chapitre Saint-Pierre. Parallèlement le projet d’université doit en rétablir le prestige intellectuel. Si cathédrale, université, évêché ne connaissent pas la même temporalité, il est évident que les projets sont liés et les promoteurs du diocèse sont, jusqu’en 1913, les promoteurs de l’Université catholique. Celle-ci donne à Lille, au détriment de Cambrai, un poids intellectuel.

Dans la crise antimoderniste : Jules Lemire, François Guermonprez, Henri Delassus

109Le concours pour la basilique a été lancé en 1854 et les travaux ont commencé tout de suite. Selon Mgr Régnier, archevêque de Cambrai, pour qui est acquis un pied à terre à Lille, la construction de l’église se doit de précéder l’érection du diocèse. Celle-ci lui paraît inévitable même s’il ne pense pas que ce soit dans un avenir proche. Les catholiques lillois voient aussi dans d’autres créations des jalons vers celle-ci, comme celle de la transformation du collège Saint-François d’Assise d’Hazebrouck en petit séminaire. En même temps l’archevêque obtient un auxiliaire en 1872, en la personne de Mgr Monnier et lui-même est promu cardinal début 1873. Sans doute le sénateur Kolb-Bernard rappelle-t-il aussi à ses amis lillois en 1875 qu’une telle création aurait un coût (palais épiscopal, séminaires, cathédrale…) que le budget ne semble pas alors en état d’assumer. Après la mort du cardinal Régnier en 1881, les évêques se succèdent assez rapidement sur le siège de Cambrai. L’abbé Lemire dans un article en tire argument pour rappeler que la charge est trop lourde. Or l’affaire dépend tout à la fois du gouvernement et du Saint-Siège. « Le gouvernement c’est nous dans une société démocratique » souligne Lemire. En 1892 les membres du comité catholique dressent une supplique au nonce et lors de la conférence générale annuelle des catholiques du Nord et du Pas-de-Calais, en novembre 1892, Victor Canet, professeur aux facultés catholiques, résume les motifs en faveur de cette érection, dont l’existence à Lille de l’Université catholique.

110De son côté, Mgr Sonnois, nommé en 1892, s’épuise à la tâche, comme son prédécesseur. Il est cependant opposé à la partition du diocèse qui ferait de l’archevêque de Cambrai « un petit garçon et un pauvre mendiant, à côté de son opulent voisin de Lille », et obtient en 1905 un coadjuteur. Mais les Lillois ne désarment pas et Mgr Hautcœur rêve parallèlement de faire renaître le chapitre Saint-Pierre. Il est avec Mgr Delassus, directeur de la Semaine religieuse, Mgr Carton61 et le chanoine Vandame, chapelain de la basilique, l’un des plus ardents défenseurs de la cause lilloise. Il a écrit une Histoire de ND de la Treille (1900), dans laquelle il considère comme une nécessité un évêque à Lille. La Séparation a libéré les catholiques de servitudes gouvernementales et le Saint-Siège peut désormais décider seul en la matière. Mgr Delamaire, encouragé par Rome à transporter sa résidence à Lille, habite une semaine par mois une maison louée rue de La Bassée. Les tractations vont bon train dans lesquelles s’opposent fortement partisans et adversaires de ce « sectionnement » (Delamaire).

111Mgr Baunard, de son côté, appelle cette création de ses vœux, tandis que Mgr Hautcœur, à la demande du chanoine Vandame, rédige un mémoire rappelant les différentes tentatives passées et les raisons d’un tel projet, carte et chiffres à l’appui. Il prône en même temps deux autres nouveaux diocèses à Boulogne et Saint-Omer. À Rome on incite à la patience. À Cambrai, où Mgr Delamaire est le véritable chef du diocèse en raison de l’état de santé de Mgr Sonnois, on s’inquiète du « chauvinisme », de la « mégalomanie » lilloise, réduisant la requête aux manœuvres d’un petit groupe de prêtres et de fidèles. Entre autres mémoires et rapports envoyés à Rome, est rédigée, en 1912, une « Note sur la division du diocèse du point de vue de l’Université catholique de Lille ». Cette note n’est pas signée, mais dit bien tout le poids, dans cette affaire, de cette institution où l’unanimité ne règne pas partout. L’auteur craint en cas de scission une diminution des ressources et des étudiants pour les facultés. Des renseignements contradictoires circulent, jusqu’à ce que soit annoncée la nomination d’un vicariat général, confié à un évêque résident à Lille, mais seulement auxiliaire de l’archevêque de Cambrai pour les arrondissements de Lille, Hazebrouck et Dunkerque… décision propre à ne satisfaire personne. La nomination de Mgr Charost62 au lendemain de la mort de Mgr Sonnois contribue à personnaliser à l’excès les oppositions. À Lille on triomphe. Mgr Delamaire présente lui-même son auxiliaire au clergé de Lille et à l’Université catholique, le 24 mai. Mais sa santé pâtit de ces événements et il meurt quelques mois plus tard (juillet 1913).

112Dès lors les unionistes cambrésiens tentent une nouvelle fois de réagir et obtiennent le renfort inattendu de Paul Feron-Vrau qui, craignant la désorganisation de l’Union diocésaine des comités catholiques et le déséquilibre financier et sacerdotal entre les deux diocèses, prône le maintien de la « solution moyenne », tandis que Mgr Hautcœur et d’autres membres du clergé lillois estiment que la pacification ne peut se faire qu’avec la scission. Une nouvelle adresse des catholiques lillois est envoyée à Rome à la fin de l’été. Mgr Charost de son côté envoie un rapport au cardinal Merry del Val, soulignant entre autres arguments l’état doctrinal et moral du clergé (danger du lemirisme et du modernisme), nécessitant une grande vigilance épiscopale et donc une proximité. Il est vrai que le petit groupe composé des chanoines de la basilique Notre-Dame de la Treille et de professeurs de la faculté de théologie, parmi lesquels Hector Quilliet, est également très marqué alors par l’Action française. Catholicisme intégral, lutte anti-moderniste et rejet de la République laïque sont leurs chevaux de bataille. Parmi les motivations romaines favorables à cette partition, le souhait de mettre fin aux agissements du député maire d’Hazebrouck l’abbé Lemire dont Mgr Charost dès sa nomination obtient la suspense. Mgr Delamaire est de son côté jugé trop démocrate. Jean Chollet, ancien de la Catho, évêque de Verdun depuis 1910, persuadé que Mgr Delamaire est un danger pour le diocèse et pour l’Université catholique, est un des pivots du « lobby sécessionniste ». Il espère bien devenir évêque de Lille, mais il est nommé en 1914, archevêque de Cambrai. Parmi les zélateurs, figure Guermonprez « qui est un peu exalté », écrit Charost à Chollet, le 7 mars 1913, lui demandant de tenter de le calmer. Les partisans du maintien de l’unité du diocèse trouvent des défenseurs à Rome tels Mgr Jules Tiberghien (1867-1923), acquis aux idées sociales et à la démocratie chrétienne, en lien avec des prêtres du diocèse comme les abbés Léon Flipo (1878-1949), directeur au séminaire académique depuis 1911, Charles Thellier de Poncheville, Jules François et d’autres.

113Finalement, une bulle en date du 25 octobre 1913 érige le diocèse de Lille. Le 8 novembre Mgr Chollet est nommé archevêque de Cambrai et le 18, Mgr Charost, évêque de Lille. Mgr Hautcœur est nommé prévôt du chapitre, Mgr Delassus doyen, le chanoine Henri Vandame, chantre, tous trois gardiens fidèles de la tradition et de l’intégrité de la doctrine. Mgr Margerin qui était, quant à lui, opposé à la division et a peu apprécié les conditions dans lesquelles elle s’est faite, est néanmoins nommé par Mgr Charost, en décembre 1913, vicaire général du nouveau diocèse de Lille et archidiacre de Lille. Il cumule ces fonctions avec celle de recteur de l’Université catholique, dont il espère être prochainement déchargé.

114En fait, Mgr Margerin n’est pas très à l’aise dans ce poste très académique de recteur et surtout ses relations avec Mgr Hautcœur sont difficiles. Une lettre de Mgr Charost à Mgr Hautcœur à propos de sa messe jubilaire et du dîner auquel il n’a pas convié Mgr Margerin, et qui lui demande de l’inviter, rend compte, à travers l’anecdote, du climat de cette époque :

« Il faut savoir, quand on est un homme public, faire des sacrifices qui coûtent, à cause du bien public qui compte bien plus que tout. La faction libérale, démocrate et modernisante de l’Université tâche contre l’intransigeance des intégraux de rallier à elle des sympathies hésitantes. Mgr Margerin très blessé me l’a dit nettement ».

115On devine que le climat, au sein même de la Catho est quelque peu tendu et que ces événements ne sont pas pour l’apaiser. Dès le 1^er janvier 1914, Mgr Margerin s’est installé à l’évêché, rue Royale, marquant ainsi son désir de voir cesser ses fonctions à la Catho, mais il est décidé qu’il ne donnerait pas officiellement sa démission. « Ce qui évite de prononcer en public la question de sa succession » (Emmanuel Fontaine). Certains comme Eugène Pannier ou Léon Flipo, craignent que soit nommé un candidat du parti intransigeant qui renforcerait la position de la Catho dans la lutte antimoderniste. On espère de ce côté un homme ouvert aux questions sociales : Charles Lecomte (1867-1934), supérieur du séminaire depuis 1908, qui a choisi le diocèse de Lille et futur évêque d’Amiens en 1921 paraît avoir un bon profil, mais ses partisans s’inquiètent aussi de ce que cela le séparerait du séminaire et de la formation des prêtres. Il est nommé vicaire général. Sur le conseil de Margerin, l’abbé Pajot, directeur de la maison de famille St Michel est choisi par Mgr Charost comme secrétaire particulier. Sans doute n’y a-t-il pas lieu ici de s’attarder sur la personnalité du premier évêque de Lille, dont le bref épiscopat dans ce diocèse sera essentiellement marqué par la guerre. Il est cependant intéressant de déceler chez cet homme, proche de l’Action française, une ouverture d’esprit et un intérêt pour la question sociale qui laissent augurer quelques grincements de dents chez ceux qui l’ont souhaité à ce poste.

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116Au-delà de ces tensions, nous retiendrons de préférence pour conclure ce chapitre le compte-rendu d’une conférence donnée à Rome par le vice-recteur Henri Dutoit63, devant le Cercle Saint-Pierre publiée par Le Bulletin de guerre des facultés catholiques de Lille en mai-juin 1918. Il rappelle l’histoire de l’Université catholique en France et il fait une sorte de bilan à la veille de la guerre. « Elles ont montré de façon éclatante que la foi n’avait pas peur de la science, mais qu’au contraire la science s’harmonisait parfaitement avec la foi ». Quelques chiffres indiquent qu’elles auraient donné à la France quelque 4000 licenciés ès-lettres et ès-sciences et que la région du Nord compte 200 prêtres pourvus de ces diplômes. Des publications et en particulier celle de grandes encyclopédies témoignent de la qualité de ses membres. Dutoit souligne également la part des laïcs « pourvus d’une religion éclairée », dans cette œuvre, devenus magistrats, médecins, industriels ou enseignants et précise que cette concurrence a été bénéfique pour l’enseignement public lui-même dont la qualité s’est nettement améliorée. Sans doute peut-on accepter ce bilan à la veille de la guerre, même si l’horizon n’est pas tout à fait éclairci. L’Université catholique de Lille semble vraiment parvenue à sa maturité, en même temps que disparaissent, à l’aube du XX^e siècle, les grandes figures qui ont présidé à ses débuts, Jules Didiot, Henri Didio, Édouard Villié, Victor Canet, Auguste Béchaux l’abbé Lebel, géographe assassiné dans une rue de Paris « en haine de la religion », Nicolas Boulay, Amédée de Margerie, Gabriel de Vareilles-Sommières dont le buste fut inauguré le 9 juin 1907… Philibert Vrau est mort en 1905, Camille Feron-Vrau en 1908. Leur cause en béatification et canonisation est introduite en 1912. Les constructions vont bon train… Mgr Margerin devrait pouvoir se retirer…

Le nouveau diocèse de Lille. Mgr Charost et Mgr Delamaire.