Chapitre 1. Fondations
p. 23-112
Texte intégral
1La loi du 12 juillet 1875 qui permet la création des universités catholiques de Paris, Angers, Lille, Lyon et Toulouse, est la dernière étape d’un mouvement qui s’est développé tout au long du XIXe siècle, en France, en faveur de la liberté de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Universités catholiques, elles entendent également restaurer la vocation intellectuelle de l’Université telle qu’elle s’est élaborée à partir du Moyen Âge.
Contexte de la création des universités catholiques1
L’Université en France
2Les universités sont issues d’une longue tradition pédagogique venue de l’Antiquité et revivifiée au Moyen Âge, en réponse au besoin, de plus en plus ressenti, d’hommes maîtrisant les disciplines savantes. Au XIIe siècle, les Arts libéraux et l’Écriture sainte sont enseignés dans les écoles cathédrales qui se sont multipliées, tandis qu’apparaissent également des écoles « privées », autour de maîtres installés à leur compte. Mais la plupart de ceux-ci, souvent des clercs d’ailleurs, se soumettent au monopole affirmé par l’Église à travers la Licentia docendi, autorisation d’enseigner délivrée dans chaque diocèse par l’autorité épiscopale. Il y a aussi des écoles plus nettement « laïques » enseignant le droit et la médecine, sous la seule responsabilité du maître. Après celle de Bologne, dès la fin du XIIe siècle, c’est sur ce terreau que naissent, à partir du XIIIe siècle, les universités médiévales : Valence, Oxford, Paris, etc. À Paris, malgré les réticences de l’évêque, le roi encourage l’Université qui obtient ses premiers statuts en 1215, confirmés en 1231. À Montpellier (1289), les écoles de médecine sont également transformées en universités, ce qui a pour effet de renforcer le contrôle de l’Église sur une institution jusque là essentiellement laïque.
3Dans le latin médiéval, le mot universitas signifie « communauté » : forme originale de communauté qui se régit elle-même, l’Université est également originale dans sa tentative de mise en œuvre d’une approche universelle de la connaissance. Elle est née d’un besoin d’indépendance, intellectuelle et juridique, envers l’autorité ecclésiastique, comme envers les pouvoirs laïcs, indépendance consacrée alors par des statuts octroyés par le Saint-Siège. La papauté, en effet, par l’intermédiaire de ses légats, favorise ce mouvement de création des universités, qui à l’instar de la fondation, contemporaine, des ordres mendiants, lui permet de contrôler directement la formation des clercs et la pureté de la foi.
4L’Université médiévale est organisée en établissements autonomes : les facultés des « arts » se consacrent à l’enseignement des « arts libéraux » aux étudiants de 14 à 20 ans environ, le plus souvent répartis en groupes linguistiques ou nationaux. Elles correspondent à l’enseignement secondaire, tandis que l’enseignement supérieur est dispensé dans les autres facultés. À Paris, célèbre pour les arts et la théologie, il n’y a pas de droit ; celui-ci est enseigné par contre à Montpellier qui brille également par sa faculté de médecine. Maîtres et écoliers sont le plus souvent itinérants, du moins avant que les universités ne se multiplient un peu partout, ce qui donne à la formation un caractère universel.
5L’Université ne dispose pas souvent de locaux propres, l’enseignement étant donné au domicile des maîtres ou dans les couvents, puis dans des collèges. La fondation de ceux-ci est une forme de mécénat. Certains sont devenus très célèbres, à l’instar de celui qu’a fondé, en 1257 à Paris, Robert de Sorbon, chapelain de saint Louis. Ces collèges servent à loger des écoliers boursiers.
6L’enseignement est donné en latin et repose sur une exégèse des textes reçus de l’Antiquité : lecture commentée, essai d’interprétation, discussion dans laquelle les étudiants jouent un rôle actif. L’enseignant se contente de poser la « question », de rectifier les jugements et de faire la synthèse finale. Cette technique, appelée scolastique, particulièrement illustrée par Thomas d’Aquin ou Guillaume d’Ockham (Oxford), contribue à clarifier la pensée médiévale et, à travers une rationalisation de la foi, à accorder la pensée antique et la doctrine chrétienne.
7Outre la formation des clercs, les universités contribuent à diffuser la culture parmi les laïcs. Les maîtres de droit et des arts font de certaines d’entre elles de grands foyers de l’humanisme. Toutefois, elles ne s’ouvrent que lentement aux disciplines nouvelles, ce qui ne permet pas toujours aux élites religieuses et laïques d’avoir une formation adaptée à leurs missions. François Ier tente de combler cette lacune en introduisant dans l’Université un groupe de lecteurs payés par le roi et spécialisés dans l’enseignement des disciplines humanistes. Ce groupe est à l’origine du Collège de France (1530).
8D’autre part, la scolastique porte en elle les germes d’une « sclérose » (Jean Favier), en devenant elle-même sa fin, tandis que dogmatisme et piété mystique, refusant toute conciliation de la raison et de la foi, affaiblissent le rayonnement de l’Université dès la fin du Moyen Âge. Une volonté de réforme s’exprime souvent qui ne peut aboutir tant du fait de l’opposition de l’Église catholique que de l’Université de Paris. À la fin du XVIIIe siècle une grande partie de l’activité d’enseignement relève d’institutions extra-universitaires (académies, sociétés savantes) ou de savants isolés, alors que le monde germanique, dont le modèle universitaire est fondé sur la liberté d’apprendre et d’enseigner, sur la solitude du chercheur et de l’étudiant et sur l’encyclopédisme, se transforme beaucoup plus précocement.
9L’Université de Paris approuve les événements de 1789 mais, de caractère corporatiste, elle apparaît très vite comme contre-révolutionnaire. La Convention abolit les universités en 1793, et l’enseignement supérieur disparaît alors complètement. On mesure toutefois rapidement les effets catastrophiques de cette suppression. C’est pourquoi surgissent des initiatives pour former des officiers de santé ou des ingénieurs civils et militaires : la création de l’école Polytechnique, en 1794, en est un témoin durable. Aux anciennes universités on préfère alors le système moderne et scientifique des écoles. Dans le même temps, on crée des lycées (1802) pour les élèves qui se distinguent dans l’enseignement secondaire puis, au-dessus, des « écoles spéciales », distinctes mais rattachées aux lycées et délivrant des grades en droit, médecine, pharmacie… Ceci aboutit à la reconstitution progressive de l’enseignement supérieur, démantelé par la Révolution, sur des bases plus professionnelles que scientifiques. Avec le décret de 1808 portant organisation de l’Université, apparaissent les cinq ordres de facultés : théologie, droit, médecine, sciences mathématiques et physiques, lettres. Les écoles de droit et médecine se transforment en facultés. En 1815 on compte en France deux facultés de théologie protestante, six de théologie catholique, trois facultés de médecine, neuf facultés de droit, dix facultés de sciences et vingt-deux facultés de lettres. La dualité, déjà apparente sous l’Ancien régime, de l’université et des grandes écoles, chargées d’alimenter les grands corps de l’État, se constitue pour longtemps. L’enseignement supérieur se caractérise par sa finalité professionnelle : former l’élite de la nation dans toutes les disciplines, sauf dans les disciplines industrielles et commerciales qui souffrent de l’indifférence de l’autorité publique. Les facultés de lettres et sciences ne préparant à aucune profession précise n’ont pas ou presque pas d’étudiants. Elles restent rattachées organiquement aux lycées et ne s’intègrent donc pas à l’enseignement supérieur. Entre les sessions d’examen, les professeurs donnent quelques leçons publiques qui n’ont pas grand chose à voir avec l’enseignement supérieur proprement dit ni avec la recherche scientifique.
10Trois soucis dominent au XIXe siècle cette reconstitution de l’enseignement supérieur : donner à l’État et à la société les cadres nécessaires après les bouleversements révolutionnaires ; contrôler étroitement leur formation, en conformité avec le nouvel ordre social ; empêcher la résurgence de corporations. S’exerce en fait sur l’Université une forme de despotisme éclairé qui explique le poids du diplôme d’État, ouvrant droit à une fonction ou à l’exercice d’une profession précise, et le monopole de la collation des grades. Classements et concours prennent de plus en plus d’importance, tandis que se met en place un règlement précis de programmes uniformes. On est très loin du modèle allemand où les facultés sont le lieu naturel des courants novateurs. Le retard scientifique se creuse, d’autant que l’Université française dispose de beaucoup moins de moyens financiers. Elle souffre également d’une hyper concentration parisienne. La situation des enseignants, enfin, est particulièrement difficile dans les facultés de lettres ou sciences, alors qu’en droit ou en médecine les professeurs ont des revenus complémentaires liés à l’exercice de leur profession.
11D’autre part, il n’y avait pas à l’origine de distinctions entre plusieurs ordres d’enseignement, celui-ci se donnant tout entier dans les universités. C’est avec la Révolution qu’est apparue la volonté de les démarquer nettement. Un décret de la Convention définit l’enseignement supérieur comme étant le troisième degré « d’instruction dont l’étude difficile n’est pas à la portée de tous les hommes », définition imprécise, marquée sans doute par la crainte de voir se reconstituer les anciennes universités. Par ailleurs, si aujourd’hui les trois ordres de l’enseignement se superposent, au XIXe siècle ils sont juxtaposés, l’organisation actuelle étant le fruit des efforts réalisés, au XXe siècle, en vue d’une uniformisation et d’une démocratisation de l’enseignement. Au XIXe siècle, l’enseignement primaire et secondaire peuvent donner accès à l’ordre d’enseignement immédiatement supérieur, mais ils ont aussi leur propre cycle professionnel : enseignement primaire supérieur créé par la loi Guizot et enseignement secondaire spécial crée par la loi Duruy en 1863 et qui ne sera absorbé qu’en 1902 en devenant une section moderne de l’enseignement secondaire. C’est le baccalauréat qui joue un rôle important dans la mise en place de l’enseignement supérieur, assurant la transition avec le secondaire et permettant le rapprochement des diverses formes d’enseignement supérieur. Les facultés ont, seules, vocation à conférer les grades. C’est leur principale fonction. Les étudiants y passent pour s’inscrire et subir les examens.
12Les facultés de lettres et de sciences s’intègrent donc logiquement à l’enseignement secondaire. Leur évolution cependant les rattache progressivement au supérieur. À partir de 1847, les jurys du bac qui, initialement, comprenaient des enseignants du secondaire, sont composés exclusivement d’enseignants du supérieur. Ceci conduit à la création de nouvelles facultés de lettres, viviers d’examinateurs plus qu’établissements d’enseignement. En 1850, pour éviter que les enseignants des établissements privés puissent participer à la collation des grades, le baccalauréat reste rattaché à l’enseignement supérieur, dont le monopole est intact. En 1875, les baccalauréats ès lettres et ès sciences sont exclus des dispositions de la loi établissant les jurys mixtes.
13Le baccalauréat n’est pas le seul passage obligé vers l’enseignement supérieur. Il n’est pas exigé pour l’accès aux grandes écoles, et l’on voit apparaître dans le secondaire des classes préparatoires, le baccalauréat dispensant du concours ou donnant des points d’avance. Le rôle donné au bac n’est pas tant dans l’examen lui-même que dans l’effort de promotion qualitative de l’enseignement supérieur… Il faut ajouter que la loi Falloux (1850) stipulant, qu’il suffit d’avoir le baccalauréat ou un brevet officiel pour ouvrir une école secondaire et n’exigeant aucun titre des professeurs, contribue à une certaine indifférence, des clercs en particulier, à l’endroit des diplômes universitaires.
14Quant à l’enseignement théologique, dispensé dans quelques facultés de théologie catholique ou protestante, il reste très médiocre si l’on excepte la Sorbonne où Mgr Maret, doyen depuis 1853, s’efforce de développer un enseignement de qualité. Ces facultés sont en outre boudées par les évêques qui privilégient pour leurs séminaristes l’enseignement, souvent médiocre également, donné dans les séminaires. En raison de l’obligation d’y enseigner les quatre articles de 1682, elles sont considérées à tort ou à raison par Rome comme des foyers de gallicanisme, d’autant qu’on y enseigne en français et non en latin. On craint en outre le rationalisme qui imprègne alors la culture universitaire.
« Face à Taine et à Littré, qui contribuent en France au succès d’une philosophie dégagée de toute préoccupation religieuse ; face au progrès des sciences naturelles, historiques, philologiques ; face à la critique biblique rationaliste, le clergé français, démuni de manuels modernes et formé dans des séminaires mal pourvus en enseignants de valeur, s’en tient alors à une « théologie oratoire », ignorante de l’esprit historique et critique, crispée sur des positions anathémisantes et plus préoccupée de questions doctrinales dépassées (jansénisme, quiétisme…) que de problèmes contemporains. » (P. Pierrard).
15À partir de la fin des années 1860, les défauts du système napoléonien des facultés apparaissent de plus en plus nettement. On s’intéresse au modèle allemand sur fond de réflexion sur la défaite de 1870, avec le double souci de développer les fonctions de recherche et de réformer un organisme trop centralisé. Pour répondre au premier objectif Duruy crée, en 1868, les quatre premières sections de l’École pratique des hautes études (EPHE), avec des laboratoires liés à l’enseignement et l’organisation de séminaires spécialisés qui rompent avec le cours formel destiné au grand public, jusque là mode principal d’enseignement dans les facultés. La décentralisation s’avère difficile, car elle suppose des soutiens locaux, et les réformes de la fin du XIXe entament peu la suprématie parisienne. Toutefois elle contribue à affaiblir, voire faire disparaître la notion d’Université dans la mesure où chaque académie a la sienne. La loi du 10 juillet 1896, enfin, attribue une personnalité juridique aux « corps des facultés » auxquels on donne le nom d’universités.
16C’est dans ce contexte qu’il faut situer la conquête progressive du principe de la liberté de l’enseignement au XIXe siècle.
La liberté de l’enseignement
17La reconnaissance de la liberté de l’enseignement est l’aboutissement de deux mouvements convergents : l’opposition, négative, au monopole mis en œuvre par Bonaparte et la revendication, positive, doctrinale, de la liberté, en vertu d’une conception libérale du rôle de l’État et de ses rapports avec les particuliers placés sous la protection de l’Église ou, au contraire, détachés d’elle sinon hostiles. Sont invoqués les droits du père de famille, ceux de l’Église et ceux de l’État, les trois partenaires traditionnels de l’enseignement.
18L’État a déjà manifesté son intérêt pour l’enseignement dès avant la Révolution, mais c’est surtout à partir de 1789 que les révolutionnaires comprennent le rôle immense que l’enseignement peut jouer dans la propagation des idées nouvelles. Ce mouvement bénéficie du renouveau philosophique du XVIIIe siècle qui a remis en cause les fondements traditionnels de la religion catholique. Déiste, il considère la foi comme une affaire individuelle et il manifeste de l’indifférence, voire de l’hostilité en matière de religion. Émerge alors l’idée de séparation de l’Église et de l’État. De la primauté de la raison individuelle et de l’abstention de l’État dans les matières qui relèvent de la conscience, découle le principe de la liberté de l’enseignement ou tout au moins la remise en cause du monopole. Un courant doctrinal favorable à la liberté de l’enseignement se manifeste, dès 1790-91, dans les projets de Mirabeau, Talleyrand ou Condorcet… Mais c’est surtout en réaction au monopole sans faille, établi par l’Empire et maintenu sous la Restauration, qu’est réclamée cette liberté, et nombreux sont ceux qui le font au nom des droits individuels, qu’il s’agisse des royalistes catholiques, qui attaquent l’Université sous l’Empire, ou des anticléricaux qui le font sous la Restauration ; de leur côté, les libéraux catholiques, par les voix de Lamennais et Montalembert ne cessent jamais de revendiquer cette liberté. Ce sont sans doute ces derniers qui affirment avec le plus de vigueur les droits de la conscience individuelle en matière d’éducation.
19Sous la Restauration, la critique du monopole masque souvent les revendications positives de la liberté de l’enseignement au profit d’un libéralisme de circonstance, nourri d’anticléricalisme. Il est combattu dans la mesure où il est l’auxiliaire de l’alliance du trône et de l’autel. Toutefois, à partir de 1830, les anciens exclus de l’Université, à l’instar de Guizot, par exemple, y occupent une place privilégiée et l’idée se précise que, si l’enseignement doit être libre, il doit l’être au sein de l’Université. Il s’agit de concilier la liberté avec les droits de l’État. Cela se traduit par le vote des lois Guizot (1833) et Falloux (1850) qui instaurent respectivement la liberté de l’enseignement primaire et celle de l’enseignement secondaire. La liberté de l’enseignement supérieur, votée en 1875, en est le complément logique. Victoire des principes libéraux, elle est aussi, dans le contexte où elle est votée, l’expression des droits de l’Église.
L’Église et la liberté de l’enseignement
20Avant la Révolution, l’enseignement est encore en grande partie délivré sous la tutelle de l’Église, dans un contexte gallican. Église et État y trouvent leur intérêt réciproque. On y reconnaît une fonction traditionnelle de l’Église, peu contestée, au même titre que la charité. Les seules difficultés concernent les juifs ou les protestants. Avec la Révolution, l’Église perd en peu de temps son quasi monopole. Les religieux disparaissent de l’enseignement officiel. On trouve toutefois un moyen de contournement par les petits séminaires et les écoles secondaires ecclésiastiques, fréquentés par de nombreux enfants sans vocation sacerdotale. La Restauration se traduit par un retour en force de l’Église. Mgr Frayssinous devient le grand maître de l’Université et l’Église est rétablie dans ses droits anciens. Il ne s’agit pas de liberté d’enseignement mais au contraire de légitimité exclusive de l’Église à assurer, au moins à surveiller, l’éducation et l’instruction. Cet excès provoque une réaction face au maintien du monopole contesté, non plus aux mains de fonctionnaires d’Empire mais mis au service de l’Église. Celle-ci, en outre, n’a pas les moyens de sa tâche et l’enseignement reste médiocre. Ceci amène, dans les rangs même des ultras et au nom de l’Église, à revendiquer la liberté d’enseignement : suppression du monopole, abstention totale de l’État, exclusivité de l’Église sous l’impulsion du pape et non dans la soumission aux souverains temporels : telles sont les revendications du libéralisme ultramontain du premier Lamennais. La plupart des ultras restent cependant gallicans, mais face à un État indifférent, les vieilles théories gallicanes ne sont plus d’aucuns secours. Aussi, sous la Monarchie de juillet, la droite catholique la plus intransigeante se retrouve, pour la circonstance, ultramontaine, rejoignant les catholiques libéraux dans la revendication de la liberté d’enseignement : liberté qu’elle réclame pour elle-même, sans se soucier de savoir si elle l’accorderait à d’autres ni s’inquiéter de son désaccord fondamental avec l’idéologie révolutionnaire et l’idée même de Liberté. On retrouve cette même attitude de principe chez les intransigeants en 1850 ou 1875, à l’instar d’un Louis Veuillot pour qui l’enseignement, qui est communication de La Vérité à l’enfant, doit revenir tout naturellement à l’Église. Il ne s’agit pas là de libéralisme mais de reconquête.
21La défense des droits de l’Église emprunte également la voie libérale avec une génération nouvelle entraînée par Lamennais, proclamant désormais la possibilité de réconcilier « Dieu et la liberté », la nécessité de « L’Église libre dans un État libre » ou « la liberté dans le droit commun ». Ce dernier principe est à la base de la doctrine juridique des catholiques en matière d’enseignement. L’État doit proclamer et assurer la liberté de l’enseignement, sans autre limites que celles de l’exercice de ses propres prérogatives : ordre, sécurité publique… Formulée positivement, la liberté de l’enseignement s’adresse à tous, sans distinction politique ou religieuse. Il ne s’agit pas tant des droits de l’Église en tant qu’institution, que de ceux des catholiques dans l’État, même si l’espoir que l’Église puisse retrouver la place qui lui est due, n’est pas absent. Toutes ces idées apparaissent clairement dans les débats en 1850 et 1875 et on les retrouve dans l’intervention de Mgr Dupanloup en 1875. Le vote de la loi de 1875 est l’ultime triomphe de cette doctrine libérale catholique, mais ses prolongements seront durables car elle offre peu de prise à ses adversaires : sauf à renoncer à l’idée même de la liberté, les anticléricaux ne pourront jamais refuser, non à l’Église mais aux catholiques, ce minimum auquel ils ont un droit légitime en tant que citoyens : le bénéfice du droit commun. Ainsi la loi du 12 juillet 1875 ne sera-t-elle jamais supprimée et l’enseignement supérieur privé, confessionnel ou non, jamais remis en cause dans son existence, même dans la période la plus anticléricale de la IIIe République.
La situation de l’enseignement supérieur dans le Nord de la France
22En 1808 a été créée une faculté des sciences à Douai qui n’ouvrira jamais ses portes. La faculté des lettres, annexée au lycée de Douai (l’unique lycée pour les départements du Nord et du Pas-de-Calais) qui n’a qu’un seul professeur en exercice en 1814, est supprimée l’année suivante. Ce n’est qu’en 1865 que la ville, ville aux fonctions judiciaires et qui accepte de subvenir aux frais de cet établissement, obtient une faculté de droit. En 1854, elle a été dotée d’une faculté des lettres, tandis que Lille l’est d’une faculté des sciences, annexée au lycée, pour pallier les carences de jurys d’examen. Grande misère donc de l’enseignement supérieur, que traduisent les doléances des doyens et les rapports des recteurs. Pourtant les cours publics créés par la ville de Lille au profit du physicien Charles Delezenne, du chimiste Frédéric Kuhlmann, du botaniste Thémistocle Lestiboudois, de l’historien François Chon ou du littérateur Colimcamp ont déjà attiré l’attention du public sur des travaux de qualité. Ces travaux sont poursuivis dans le cadre des nouvelles facultés où s’illustrent, par exemple, Louis Pasteur et Jean-Pierre Girardin, premiers doyens de la faculté des sciences. Mais globalement ces facultés souffrent d’un manque de moyens, de l’indifférence des pouvoirs publics et d’une pénurie d’étudiants : une seule licence octroyée par la faculté des sciences, douze pour celle de lettres pour toute l’académie de Douai (cinq départements2), en 1866. La situation n’est pas beaucoup plus favorable dans les facultés de médecine. La majorité des étudiants y préparent non pas le doctorat mais le diplôme d’officier de santé : en 1866 on compte, sur les cinq départements de l’Académie, 562 docteurs en médecine et 883 officiers de santé (Pierrard), ce qui est insuffisant pour répondre aux besoins de la population.
23Ceci ne semble cependant beaucoup préoccuper, ni les pouvoirs publics, ni le clergé des diocèses concernés. La loi Falloux a pourtant favorisé le développement des écoles et collèges libres dans de nombreuses villes du Nord et du Pas-de-Calais. On compte parmi les ecclésiastiques enseignants dans ces collèges libres quelques licenciés mais aussi de nombreux autodidactes de qualité tel l’abbé Chrétien Dehaisnes (1815-1897), qui sera vice-recteur de la Catho. Cependant les évêques d’Arras, Mgr Parisis (1851-1866) et Mgr Lequette (1866-1882) restent très hostiles à l’université et ne semblent pas avoir beaucoup encouragé les études supérieures dans leur clergé. Quant au cardinal Régnier, archevêque de Cambrai (1850-1881), il est surtout soucieux du ministère paroissial et ne tient pas à ce que la multiplication des collèges ecclésiastiques le prive d’un trop grand nombre de prêtres. À l’instar de nombreux évêques de cette époque, il est peu porté lui-même vers les spéculations intellectuelles et cherche surtout à former des prêtres pieux et attachés à leurs devoirs de pasteurs. C’est à cette mission que se consacre le lazariste Augustin Sudre, directeur du séminaire de Cambrai « foyer plus fameux pour son austérité que pour sa science » (P. Pierrard). La faculté de théologie la plus proche est la Sorbonne.
24Dans ce contexte beaucoup rêvent de renouveau. Parmi eux l’abbé Édouard Hautcœur, particulièrement soucieux de la formation scientifique du clergé, mène depuis plusieurs années un combat en ce sens. Lui-même, docteur en théologie, a fait partie des premiers élèves envoyés par Mgr Giraud au séminaire français de Rome. Depuis, il est aumônier des bernardines de Flines, enseigne au grand séminaire, et s’intéresse aux études médiévales. Avec son ami l’abbé Marie-Dominique Bouix, canoniste réputé, il a fondé en 1860 la Revue des Sciences ecclésiastiques, imprimée à Arras avec l’autorisation de Mgr Parisis. C’est dans cette revue qu’il publie, en 1860 et 1861, deux articles qui constituent une sorte de cri d’alarme : « Qu’arrivera-t-il si le clergé se tient en dehors de tout le mouvement scientifique de l’époque ? »… « le terrain appartiendra entièrement aux adversaires de la vérité religieuse », s’alarme-t-il. Comme on l’a vu, les facultés de théologie ne peuvent apporter de réponse et la législation française ne permet pas d’ériger des universités catholiques. Aussi préconise-t-il la création de plusieurs centres d’instruction théologique sur le territoire français où serait donné un enseignement de qualité pour des sujets envoyés par leur évêque : deux années de philosophie et quatre ou cinq ans de théologie, enseignement magistral qui serait complété par un travail personnel et de recherche. On ne peut espérer l’octroi par l’État de grades académiques pour ces établissements mais, si Rome donne l’institution canonique, ils pourraient être le lieu d’une véritable impulsion pour les sciences théologiques.
25L’abbé Hautcœur, comme d’autres érudits, admire les universités allemandes, leur enseignement et leurs recherches. Il leur a consacré plusieurs articles de la Revue des Sciences ecclésiastiques en 1861-1862 où il compare la théologie allemande et la théologie française, invitant à un dialogue qui permettrait à la théologie française de « s’engager résolument dans la voie du progrès ». Il correspond avec le célèbre juriste catholique allemand, François-Joseph von Buss (1803-1878), professeur à l’université de Fribourg, qui prône « pour l’avantage du clergé mais aussi des fidèles […] des cours publics de théologie et de philosophie où tous iraient puiser comme à une source abondante. »
26Les facultés des lettres et de droit créées à Douai ne font que pâle figure au regard du souvenir de l’université de Douai et de celle de Louvain3 qui trouve une nouvelle jeunesse depuis sa refondation en 1835. Il s’agit en fait de la première université libre de l’histoire contemporaine, dans la mesure où les universités allemandes, le collège romain ou les facultés de théologie françaises sont alors des organismes officiels. Elle exerce, dès sa création, une véritable fascination sur les facultés de théologie catholique françaises, tant par son organisation que par la qualité de son enseignement scientifique et théologique. Sa revue Les Mélanges théologiques, fondée en 1847 et devenue en 1869 La Nouvelle Revue théologique, dépasse de beaucoup le poids scientifique de la Revue des sciences ecclésiastiques, même lorsque celle-ci sera prise en charge par l’Université catholique de Lille en 1878.
27C’est donc vers ce modèle que se tournent l’abbé Hautcœur et les autres fondateurs de l’Université catholique de Lille, et non vers les expériences encore peu convaincantes qui, à Paris ou ailleurs en France, ont tenté d’organiser, dans un contexte peu favorable, un embryon d’enseignement supérieur catholique. Le Nord ne connaît d’ailleurs pas d’institutions semblables à celles qui, à Angers ou à Paris, constituent le noyau des futures universités catholiques : Écoles des hautes études Saint-Aubin à Angers, École des Carmes (1845) et Cercle du Luxembourg (1868) à Paris, ou encore École de théologie, fondée par le P. d’Alzon4 à Nîmes. Il n’y a pas non plus, dans le Nord, un réel mouvement en faveur des universités catholiques, comme en témoigne le faible nombre d’abonnés (33 pour le Nord-Pas-de-Calais, sur 1641 la première année) à la revue lancée par l’abbé Gerbet en 1835 L’Université catholique, véritable université par correspondance. Elles trouvent pourtant bientôt les plus ardents promoteurs dans cette ville de Lille, en pleine transformation économique et sociale et où se développe tout un mouvement catholique.
Le vote de la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur. Ses premières conséquences à Lille5
Un contexte politique et ecclésial favorable
28Peut-être le désastre de Sedan et le traumatisme de la Commune ont-ils provoqué à Lille comme à Paris, des prises de conscience ? Toujours est-il que l’opportunité offerte par une assemblée à majorité monarcho-cléricale constitue un aiguillon. Les événements se précipitent. Dans un contexte de réactions à la fois nationalistes et cléricales et avec le soutien de la papauté, les catholiques du Nord prennent la tête du mouvement en faveur des universités catholiques, c’est-à-dire non seulement d’une structure de formation à l’intention des clercs, mais d’une véritable université qui s’élèverait contre l’université monopoliste, gallicane, scientiste, rationaliste, positiviste, etc., bref qui accumule toutes les tares dénoncées par le Syllabus. Pierre Pierrard reprend quelques expressions qui illustrent bien la croisade entreprise : aux « fils de Voltaire » répliquent « les fils de croisés », Gédéon peut « terrasser les Philistins »6. Ce mouvement est national. À Paris, la Société d’éducation et d’enseignement regroupe des clercs et des laïcs désireux de « garantir les jeunes catholiques de la contagion des doctrines antichrétiennes ». Elle se dresse, à partir de 1867, face à la Ligue de l’enseignement créée par Jean Macé en 1865. On trouve parmi ses fondateurs le député du Nord, Charles Kolb-Bernard, catholique et légitimiste, industriel et homme d’œuvres qui en est un ardent défenseur à l’Assemblée nationale. Déjà à la veille de la guerre de 1870, il avait déposé sur le bureau du Corps législatif une pétition de toute la France en faveur de l’enseignement supérieur libre et un projet était à l’étude. Celui-ci est repris par la nouvelle assemblée dès le 26 août 1871. Une commission est créée, le 31 décembre, qui désigne comme rapporteur Édouard de Laboulaye7. Un rapport favorable au principe de liberté est publié en août 1873, ce qui fait augurer de l’adoption rapide du projet par l’Assemblée nationale. Les catholiques sont toutefois particulièrement préoccupés par la question de la collation des grades que le projet envisage de laisser à l’État. On se mobilise pour une « liberté vraie » : l’Alliance générale des maisons d’éducation fondée à Bourges ou l’Assemblée générale des Comités catholiques de France (1872) multiplient les actions.
29La loi est votée le 12 juillet 1875. Elle institue un régime de liberté qui, s’il ne répond pas pleinement aux vœux des catholiques est suffisamment large pour qu’ils aient confiance dans la possibilité de créer de véritables universités catholiques. L’art. 1 « L’enseignement supérieur est libre », suffit à définir le nouveau régime. La seule obligation est la déclaration au recteur d’Académie. L’établissement doit être administré par trois personnes au moins, à qui incombe cette déclaration. Autant de docteurs que n’en compte la faculté d’État qui en compte le moins permet le titre de faculté, trois facultés celui d’université. Les étudiants ont la possibilité de se présenter pour l’obtention des grades devant les facultés d’État s’ils justifient du nombre d’inscriptions réglementaires ou devant un jury spécial composé à égalité de membres des facultés d’État et de la faculté libre nommés par le ministre.
Le projet des catholiques lillois
30À Lille, Philibert Vrau, son beau-frère Camille Feron-Vrau et quelques autres ont mis en route un vaste mouvement en faveur d’une Université catholique dans le Nord. Le nom de Vrau est attaché à de multiples œuvres8, particulièrement à la création de l’Assemblée générale annuelle des Comités catholiques du Nord-Pas-de-Calais. L’idée de ces comités est née, à Paris comme à Lille, pendant la Commune, considérée par les catholiques comme une révolte de l’enfer. La première assemblée générale a eu lieu à Paris en avril 1872. Le P. d’Alzon y a présenté un rapport, adopté, sur l’enseignement supérieur libre. Dans le Nord plusieurs comités se sont constitués. Le problème de l’enseignement supérieur libre est évoqué au cours de la première assemblée générale des catholiques du Nord qui s’est tenue, en 1873, sous la présidence des évêques de Cambrai et Arras et d’Antoine Théry, député du Nord. À la fin des débats, une réunion plénière des clercs et laïcs présents, présidée par Mgr Monnier9 acclame à l’unanimité l’organisation immédiate de cours de hautes études et la fondation prochaine d’une Université catholique.
31Les hommes du Nord et Philibert Vrau lui-même sont des hommes pratiques. Aussi ne s’éternise-t-on pas en vœux pieux. Une réunion d’organisation présidée par Mgr Lequette et Mgr Monnier se tient à Lille dès novembre 1873 et, sans attendre le vote de la loi, l’Assemblée des catholiques décide d’ouvrir immédiatement des cours de hautes études – ce qu’on ne fait pas finalement car on choisit de faire confiance au législateur, le vote ne devant pas tarder – et de fonder prochainement une Université catholique. Un bureau central, présidé par Mgr Monnier, est créé pour coordonner l’action de deux commissions : la commission des études, présidée par le chanoine Hautcœur, rassemblant autour de lui le chanoine Van Drival d’Arras, l’abbé Chrétien Dehaisnes, archiviste du département du Nord, et quelques personnalités laïques membres du Comité catholique, et la commission de la propagande et des fonds qui s’identifie avec le Comité catholique de Lille animé par Philibert Vrau10. Avant d’aborder la question financière, soulignons l’ardeur de celui-ci, mû d’abord par un souci spirituel et qui, toute sa vie, portera au fond de lui-même cette œuvre dont il se fait le propagandiste zélé, tant auprès des bailleurs de fonds que des autorités ecclésiastiques et du pape lui-même qu’il faut convaincre. Les membres de cette commission, tous fervents catholiques, tiennent que la prière est le premier moyen d’action. Ils font distribuer chaque mois des petites feuilles indiquant prières et invocations en faveur de l’œuvre.
32Le 7 mai 1875, accompagné d’Anatole de Caulaincourt11, président du Comité catholique de Lille, Philibert Vrau est reçu par Pie IX. Ils le rencontrent à nouveau un an plus tard. Dans une lettre manuscrite qu’il adresse au pape, Philibert Vrau évoque la pensée des catholiques de Lille de fonder une université « voyant les ruines morales des intelligences causées par l’erreur ». Notre but unique, précise-t-il, est de « créer un établissement qui, s’inspirant des saines doctrines de l’Église et des enseignements qui nous ont été donnés par Votre Sainteté dans le Syllabus, fasse pénétrer dans toutes les matières de l’enseignement, dans les lettres et dans les sciences, les vrais principes de la foi. »12 Le souci est en même temps de s’assurer que l’œuvre, qui a reçu un commencement de réalisation, soit « vraiment conforme aux désirs de [Sa] Sainteté » et d’obtenir la nomination d’un chancelier : « Nous voulons que notre Université soit tout à fait ultramontaine » dit Philibert Vrau au pape au cours de l’entrevue. Plusieurs rapports sont travaillés par la commission des études et particulièrement celui du chanoine Hautcœur, qui présente l’architecture complète du projet d’Université catholique. Pierre Pierrard le synthétise ainsi :
« Au sommet, la théologie, « reine des sciences ». La faculté de droit et la faculté de médecine occuperont la seconde et troisième place ; pourquoi ? parce qu’elles prépareront à une carrière déterminée, ce qui attirera naturellement les étudiants ; puis « l’enseignement du droit dans les facultés universitaires étant profondément abaissé, mutilé », - on y forme des procureurs, non des jurisconsultes » - l’Université catholique sera là pour enseigner « la science du droit dans toute son ampleur ». Quant à la médecine, « elle a plus besoin encore d’une réforme dans le sens spiritualiste et chrétien » ; car c’est dans les facultés de médecine que « trône l’athéisme ». Derrière ces trois « reines » s’avanceront les deux facultés de lettres et sciences, héritières des antiques facultés des arts et qu’on pourra regrouper en une faculté de philosophie. Ainsi, continue le chanoine Hautcœur, se constituera dans le Nord « une école de hautes études où toutes les branches du savoir humain seront largement représentées. Cette école sera beaucoup plus qu’un « asile offert à notre jeunesse pour la soustraire à de funestes influences » ; elle sera « un foyer qui rayonnera sur tout le pays et dont les vives lumières dissiperont les ténèbres amassées comme à plaisir sur toutes les questions par la science incrédule ».
Le choix de Lille
33Ce vaste programme connaît tout de suite un début de réalisation. Non sans hésitation est fait le choix de Lille, après qu’on ait écarté unanimement, sinon sans regrets13, la candidature d’Arras et renoncé aux avantages que pourrait présenter une installation au moins partielle (théologie, lettres et droit) à Douai, dont les partisans évoquent le passé prestigieux, l’activité judicaire, le calme propice à la méditation, une société policée qui sied à une université… Mais Lille, capitale régionale (160 000 h.)14, au cœur d’une agglomération importante (600 000 h.) se doit d’abriter les facultés de sciences et de médecine et offre davantage de moyens humains et financiers, ainsi que des hôpitaux et des ressources cliniques. Peut-on prendre le risque de briser « un grand corps dont toutes les parties sont appelées à concourir au même objet, renoncer à une compénétration si fructueuse des intelligences, des compétences ? » (Lesne) Il faut « frapper un grand coup » en regroupant toutes les installations en un même lieu et, laissant à l’État une place qu’il occupe solidement à Douai, s’établir à Lille sur un terrain neuf.
34Rappelons aussi que dans l’esprit des catholiques du Nord la fondation de l’Université catholique fait partie d’un triple projet avec l’édification de la basilique Notre-Dame de la Treille dont la première pierre a été posée en 1854 et la création à Lille d’un siège épiscopal, ce qui sera obtenu en 1913.
35Une opportunité pour abriter les débuts de l’université se présente lorsque les Dames du Sacré-Cœur manifestent, en février 1874, leur intention d’acquérir l’ancien hôtel de la préfecture15 pour agrandir leur institution mitoyenne. Philibert Vrau, estimant que cet hôtel convient tout à fait, conclut un accord avec elles : elles acquièrent l’immeuble et le louent pour 5 ans, lui-même prenant à sa charge les intérêts du prix d’achat, soit 32 250 F/an à titre de loyers. La somme est déjà considérable et l’on sait, d’après le témoignage de sa sœur16, que Vrau doit ajouter 100 000 F de sa poche, les enchères montant davantage que prévu. C’est la première manifestation d’une générosité discrète et continue, que révèlent les archives de l’usine Vrau et celles de la Catho. Rien ne peut se faire sans un concours financier important. Et sans doute rien – ou beaucoup moins – n’aurait-il pu se faire sans la générosité de la famille Vrau. Si Marie Feron-Vrau note la discrétion de son frère dans cette œuvre, elle souligne aussi qu’il y joue à l’origine un rôle essentiel. Il en est, écrit-elle, l’inspirateur, l’organisateur, le fondateur et le principal bienfaiteur ». Sans doute n’est-il pas seul à l’origine de l’Université catholique de Lille mais il inspire, selon sa sœur, la rédaction du premier projet et déploie avec son beau-frère Camille Feron-Vrau une grande activité pour que celui-ci soit mis en œuvre. Et on voit grand !
36Un espoir est toutefois rapidement déçu d’étendre le rayonnement de l’université à toute la province ecclésiastique de Reims, soit 7 diocèses et 4 407 230 h17. Des rencontres fructueuses ont déjà eu lieu et les diocèses de Reims, Soissons, Beauvais, Amiens et Chalons se sont associés tout le mois d’octobre 1874 à l’union de prières placée alors sous le vocable de saint Rémi. Mais le siège de Reims est alors vacant et la nomination de Mgr Langénieux, ancien curé parisien et dont les sympathies vont au projet de l’Université catholique de Paris, laisse seuls les diocèses de Cambrai et Arras.
Des cours libres (1874) à l’érection canonique (1877)
37Il faut agir vite, car l’on pressent bien que les jours de l’Assemblée nationale sont comptés. Mais lorsqu’il apparaît que la loi ne sera pas votée pour la rentrée 1874, l’opposition des partisans du monopole augmentant les délais, la question se pose de savoir s’il faut ou non attendre ce vote.
38À Paris et à Lyon existent déjà des cours libres qui ont obtenu l’autorisation ministérielle nécessaire. Il faut choisir entre les débuts modestes que constitueraient ces cours ou l’attente… mais peut-on, de toute façon, imaginer de créer d’emblée une université de toutes pièces et de trouver rapidement enseignants et étudiants pour des cycles complets. Dès lors ne faut-il pas commencer modestement pour être prêts quand la loi sera votée, d’autant que des dépenses ont déjà été engagées, des locaux loués ? On ne craint pas alors d’essuyer un refus de la part du ministère dans la mesure où, en pleine période d’Ordre moral, il y est favorable. La décision est donc prise d’ouvrir une première année de droit et un cours complet de philosophie, quelques cours de sciences, histoire et littérature puis, finalement, on se contente de cours de droit, faute de finances. La publicité est lancée, par affichage sur les murs de Lille et distribution de prospectus avec le programme, publicité officieuse, car aucune déclaration légale n’a encore été faite. On annonce la possibilité pour les étudiants d’une inscription pour les examens dans les facultés d’État. Il suffit pour s’inscrire de justifier « d’une conduite régulière et d’habitudes chrétiennes ». La diffusion de ce prospectus provoque un incident avec l’autorité académique : elle conteste le titre d’Institut catholique d’ores et déjà donné et les promesses concernant les inscriptions aux examens ; elle pose quelques exigences dont l’acceptation par les trois professeurs concernés permet l’ouverture, le 23 novembre, de « cours libres », expression remplaçant celle d’Institut catholique, non autorisée. Le programme comporte des cours de droit romain par Claude Arthaud18, de droit français par Émile Vanlaer19 et de droit naturel par le père jésuite Cochard qui assure en outre des « leçons approfondies de religion ».
39La loi votée, le premier réflexe des catholiques lillois est de remercier Dieu lors d’une messe célébrée rue Royale et de solliciter le secours de la « divine Providence » pour le développement de cet enseignement supérieur dans la région du Nord. La prière reste en tête du programme d’action élaboré dès le début du mois d’août 1875, suscitée sous la forme d’un bulletin mensuel, distribué dans toutes les familles catholiques par l’intermédiaire des comités catholiques. Chaque mois un saint protecteur est invoqué, les communautés religieuses étant de leur côté appelées à des neuvaines de prière sous l’invocation spéciale de saint Joseph : « Que Dieu veuille édifier la maison que seul Il peut construire » implore-t-on tandis que certains obstacles semblent humainement insurmontables. La commission qui n’a jusqu’alors travaillé qu’officieusement demande aux évêques de prendre en mains la conduite de l’entreprise, afin que l’on puisse sous l’autorité de l’épiscopat, solliciter la collaboration et surtout la générosité de tous les catholiques pour subvenir aux immenses besoins financiers générés par ce projet. On espère que l’université puisse être reconnue d’utilité publique mais avant cela il lui faut une existence légale. Le choix d’une société civile paraît le mieux approprié aux besoins universitaires. Elle est créée en août 1875.
40Il faut également ouvrir rapidement les facultés dans la crainte que ne s’organise face à l’enseignement d’État un autre enseignement libre, hostile à l’Église. On décide d’ouvrir, dès novembre 1875, une faculté de droit complète et quelques cours de lettres et sciences, embryons des futures facultés, sous le nom d’Institut catholique. Il est relativement facile de recruter quelques maîtres pour ces premiers cours : l’abbé Jude de Kernaëret20, du diocèse de Quimper vient enseigner la philosophie de la religion sous le titre de « La démonstration de la religion chrétienne », le P. Delorme, dominicain, se voit confier une chaire de philosophie « pour l’interprétation de la Somme de saint Thomas, avant même que Léon XIII n’encourage le retour à la tradition thomiste (Aeterni Patris, 1879). Les ecclésiastiques, docteurs ès lettres, étant rares, on est heureux de l’acceptation d’un prêtre du diocèse de Rennes, l’abbé Orhand, pour le cours de littérature générale. Van Becelaere, père de famille et « excellent chrétien », qui parle la plupart des langues européennes, vient enseigner l’anglais et l’allemand et l’abbé Nicolas Boulay, « un vrai savant », du diocèse de St Dié, les sciences naturelles ; il donne aussi quelques cours de physique et de chimie aux futurs bacheliers.
41Par contre on abandonne rapidement l’idée d’ouvrir de suite des cours de médecine préférant consacrer toutes les énergies à l’ouverture d’une faculté complète de droit. En effet, si un projet de faculté de médecine est d’ores et déjà envisagé et proposé par Camille Feron-Vrau, il faut d’abord résoudre le problème spécifique de l’hôpital, nécessaire aux études et ce sera plus complexe encore que prévu.
42Il n’est pas question non plus de faculté de théologie, la création de celle-ci se heurtant à l’hostilité du haut clergé, des directeurs de séminaire et surtout du supérieur du séminaire de Cambrai, l’abbé Augustin Sudre21, qui craint de voir sa maison privée d’une élite et de perdre son autorité. Les uns et les autres sont plus préoccupés de la formation morale et spirituelle du clergé que de sa formation intellectuelle. Il faut donc préparer les esprits et il apparaît que l’institution d’un séminaire doit précéder à Lille celle d’une faculté de théologie. Le plus pressé est donc de créer un internat pour les jeunes ecclésiastiques qui ont l’autorisation de suivre des cours de lettres ou de sciences. Ceci apparaît d’autant plus nécessaire que, les petits séminaires alors ne préparant pas au baccalauréat, on pense s’inspirer du modèle belge où les cours de philosophie sont donnés à l’université et non dans le secondaire comme cela s’est imposé par la suite en France. C’est ainsi qu’est installé rue Royale un internat réservé aux étudiants ecclésiastiques, embryon du futur séminaire académique, sous la direction de M. Oresve, prêtre de la Mission.
43On s’inquiète également très tôt de la question de l’accueil des autres étudiants. Il a été décidé, en 1874, que l’université ne prendra en charge que le séminaire académique, la création d’autres internats restant à l’initiative privée. Mais pour Philibert Vrau, il s’agit d’une demi-mesure dont il ne peut s’accommoder. Pour lui les laïcs, plus que les clercs, ont besoin de protection. Aussi est-ce grâce à lui que, quelques années plus tard, l’Université catholique dispose de trois maisons de famille. La maison Albert-le-Grand, construite dès 1877, est le premier bâtiment de l’université installée dans le quartier Vauban. En attendant, au moment de l’ouverture, on se préoccupe tout de suite d’assurer un gîte aux étudiants, en les plaçant dans des « familles honorables » et une table est ouverte au cercle catholique de la rue Marais (aujourd’hui rue Jean Moulin).
44Pour publier les programmes, lancer les inscriptions et accomplir les divers actes administratifs, il faut une autorité régulièrement constituée, aussi prie-ton le cardinal Régnier de proposer au Saint Siège, avec la demande d’institution canonique, la nomination d’un recteur. Mgr Monnier ayant indiqué qu’il n’accepterait pas, on se tourne vers le chanoine Hautcœur, quelque peu effrayé à cette perspective mais qui accepte finalement « comme un dévouement nécessaire » (octobre 1875). On peut dès lors avancer et faire les déclarations requises par la loi, le 28 octobre 1875 : déclaration de fondation accompagnée des premiers statuts de l’ICL, envoyée au recteur d’académie, avec les noms des trois administrateurs, Hautcœur, Boulay et Vareilles-Sommières. Il s’agit d’une simple formalité légale, le texte ayant été ensuite retravaillé, afin d’obtenir l’approbation de la Sacrée congrégation des études (11 novembre 1876), et ratifié le 16 décembre 1876, par lettres apostoliques. En effet, libre selon la loi, la nouvelle université se veut surtout catholique et doit répondre aux exigences romaines non moins importantes que celles de l’État. Reconnue canoniquement, elle peut être inaugurée solennellement, le 18 janvier 1877. La séance d’ouverture et la messe du Saint Esprit (à ND de la Treille), avec le recteur et les professeurs revêtus de leur nouveau costume académique, en présence de Mgr Lequette (Arras) et de Mgr Monnier (le cardinal Régnier étant souffrant) se déroule devant une assemblée d’autant plus nombreuse que l’événement coïncide avec l’assemblée générale des catholiques du Nord-Pas-de-Calais.
45Le 18 novembre 1875 a été constituée la société anonyme de l’Université catholique de Lille sous la direction d’Henri Bernard. Celle-ci peut recevoir des dons et legs, mobiliers ou immobiliers, en vue de la fondation et de l’entretien de l’Université catholique de Lille. Le 21 novembre, les deux évêques de la Province de Cambrai lancent une souscription. Le résultat en est prodigieux puisque en trois mois est réunie la somme de 6.473.263 F, grâce à 8000 souscripteurs, clercs et laïcs, riches et pauvres.
46Dès août 1875, on recherche les cadres de la nouvelle université, parmi des personnalités chrétiennes qualifiées possédant les titres universitaires nécessaires (doctorat). Philibert Vrau, Camille Feron-Vrau et le chanoine Dehaisnes s’y emploient, sillonnant la France. La tâche est difficile. Le Nord est réputé froid et brumeux. Si certains sont tentés par l’aventure d’autres, surtout s’ils ont charge de famille, hésitent à quitter un poste sûr, une carrière, des attaches. Le contexte n’est pas non plus très porteur avec, à partir de 1880, la perte de la collation des grades et du droit de porter le titre d’Université. On réussit cependant à convaincre quelques personnalités même s’il y a des échecs (Charles Périn). Nous allons y revenir à travers l’histoire des débuts de chaque entité et après avoir évoqué les remous liés au contexte politique.
Vents contraires
47La loi de 1875 a inauguré une ère de liberté et permis à l’État de reconnaître la nécessité publique d’un enseignement supérieur accessible à tous et d’en assurer et même encourager la libre initiative. C’est la fin d’un monopole de droit comme de fait qui met l’université libre sur pied d’égalité avec l’université officielle. Mais la conjoncture politique favorable depuis le début des années 1870 évolue rapidement. Après la Chambre des députés dès 1876, le Sénat voit la victoire des républicains aux dépens de la majorité monarcho-cléricale qui a dominé la période précédente. Mac-Mahon est acculé à la démission et remplacé par Jules Grévy à la présidence de la République, le 30 janvier 1879.
48Or les partisans du monopole ne désarment pas. Dès 1876, Gambetta lors d’une réunion électorale au grand théâtre de Lille dénonce la loi de 1875 comme « un instrument de division » et proclame l’infériorité congénitale de l’enseignement supérieur libre, ce qui ne l’empêche pas de le considérer comme un danger. C’est sur la question des jurys mixtes et de la collation des grades que portent les premières attaques lancées en 1877 par le ministre de l’Instruction publique, Waddington22. Un projet de loi est adopté par la Chambre le 7 juin. L’émotion est vive chez les catholiques ; Albert de Mun réagit à la Chambre, les évêques interviennent. Au Sénat, Kolb-Bernard prend position contre le projet. Le débat n’y remet pas en cause le principe même de la liberté – contrairement au débat à la Chambre – et finalement les sénateurs votent contre à une faible majorité. Tout cela n’est pas sans contre coup sur le recrutement d’autant que l’horizon n’est pas totalement éclairci. Les adversaires de la loi de 1875 continuent à en gêner l’application. Le projet Waddington a été le premier signe d’un revirement politique dont les conséquences contrecarrent bientôt l’essor de l’université naissante.
49Dans le nouveau ministère Waddington (1879), Jules Ferry, « l’apôtre de la laïcité », reçoit le portefeuille de l’Instruction publique. Il dépose, dès mars 1879, un projet de loi modifiant profondément la loi de 1875. Tandis que les élections ont consacré la victoire des républicains dans toutes les instances de l’État, que s’enfle la vague anticléricale qui va submerger la France dans les décennies suivantes et malgré une vaste campagne de pétitions dans le pays, la loi du 18 mars 1880 supprime les jurys mixtes et restitue aux facultés d’État le droit exclusif de collation des grades. Ceci est vécu difficilement par les promoteurs de l’université : cette part, pourtant modeste, faite aux professeurs de l’enseignement supérieur libre dans des jurys conduisant aux grades d’État, leur permettait d’être autre chose que de simples répétiteurs et garantissait tout à la fois la liberté de leurs recherches et l’originalité de leur enseignement. D’autre part, un établissement libre ne peut, désormais, être reconnu d’utilité publique qu’en vertu d’une loi : les législateurs s’avisant que les facultés d’État, dispersées et indépendantes ne se groupent pas en universités régionales23, ne peuvent accepter que des facultés libres prennent cette qualité. Dès lors le mot Université catholique disparaît au profit de Facultés catholiques24. « C’est la première fois, note Vareilles-Sommières, le doyen de la faculté de droit, qu’on fait en France une loi pour défendre aux Français d’appeler une chose par son nom ». En fait, même si dès le lendemain de la loi de 1880, le recteur demande par une note de rayer le mot université des documents émanant de ses divers services et fait enlever l’inscription rue Royale, le vocable reste souvent utilisé dans les relations internes, avec les autorités ecclésiastiques ou les autres universités catholiques ou étrangères, de même que dans la presse ou la correspondance (y compris avec et par les instances publiques). Un autre article, enfin, qui n’est pas voté mais finalement appliqué par décret présidentiel, vise les congrégations religieuses non autorisées, particulièrement les jésuites, auxquels il est dénié tout droit à l’enseignement.
50Les nouvelles dispositions légales et autres manifestations d’anticléricalisme créent à Lille, comme dans les autres universités catholiques, une crise de confiance. Toutefois, si dans l’esprit des législateurs cette loi doit couper les ailes des universités libres, dans les faits cela ne décourage pas les étudiants qui, dans leur majorité, préfèrent les jurys d’État considérés comme moins sévères. Le recrutement s’en trouve peu affecté, même si pour la première fois, en 1880, le nombre, encore faible mais en progression constante des étudiants, cesse de croître et si les effectifs stagnent pendant quelques années autour de 200 étudiants. D’autre part la loi rendant gratuite les facultés d’État alors que les facultés libres sont obligées de demander une contribution a des conséquences sur la sociologie du recrutement, d’autant que les ressources financières diminuent également du fait des lois sur la laïcité de l’enseignement primaire : celles-ci font peser aussi sur les catholiques la charge des écoles libres qu’ils se font alors un devoir d’ouvrir. Ceci oblige donc, par contrecoup, à sacrifier des chaires de moindre rendement ou empêche d’accorder aux enseignants des augmentations pourtant promises.
51Ce n’est que le début des embûches, obstacles au recrutement des professeurs, obstacles dans la mise en place des services hospitaliers nécessaires au fonctionnement de la faculté de médecine, sans compter les convulsions internes, liées à des problèmes de personnes auxquelles n’échappe pas la jeune institution dans ses premières années.
52Elle résiste cependant et parvient à attirer l’attention des plus hautes autorités religieuses comme celles du monde officiel de l’Université française. Ernest Lavisse, en 1886, résumant les résultats d’une enquête impartiale écrit : « Je ne blâme ni ne récrimine, je suis bien plutôt prêt d’admirer », et le ministre Spuller peut dire à la tribune du Sénat, en novembre 1887 : « les catholiques, dans la région du Nord, ont fondé sur le principe nouvellement proclamé de la liberté de l’enseignement supérieur des établissements que nous sommes réduits à admirer et même à envier… »25. Il ne s’agit pas là d’un changement dans l’état d’esprit du ministre mais d’une justification du transfert des facultés de droit et de lettres de Douai à Lille26 afin de mieux répondre à la concurrence. P. Pierrard constate que l’enseignement supérieur catholique est alors pour l’enseignement officiel, un réel stimulant. Mais, ajoute Mgr Lesne, si quelques « esprits libéraux et sincères regardaient et ne méprisaient pas l’usage qu’on avait pu faire à Lille d’une liberté réduite », ceci ne contribue pas à améliorer la condition des facultés catholiques, au contraire : toutes les réformes engagées par l’État pour donner plus d’autonomie, d’initiative et de liberté aux facultés publiques, contribuent à restreindre davantage les libertés des facultés catholiques, tels les règlements nouveaux qui, à partir de 1894, modifient les conditions d’examen.
Les facultés catholiques de Lille : un ensemble complet
53Il a été décidé d’ouvrir d’abord une faculté de droit complète comprenant les trois années de licence et l’enseignement du doctorat en attendant de pouvoir ouvrir les trois facultés nécessaires pour le titre d’Université. Tandis que l’on cherche les fonds indispensables à la mise en œuvre de ce projet ambitieux, il faut aussi, tâche sans doute plus délicate, assurer le recrutement des professeurs. On a trois mois entre le vote de la loi et la rentrée, pour trouver un personnel susceptible de gagner la confiance des familles. Et on le trouve ! Pour cela les fondateurs, l’abbé Chrétien Dehaisnes et Camille Feron-Vrau surtout, ne ménagent pas leur peine, sollicitant à travers toute la France les présidents des Comités catholiques, des personnalités ecclésiastiques ou laïques susceptibles d’indiquer les hommes « de grand savoir et de doctrine sûre » (Lesne) qui pourraient occuper une chaire de la nouvelle université.
Naissance de la faculté de droit
54L’existence d’un corps relativement nombreux de docteurs en droit, facilite la tâche. Pour prendre le nom de faculté libre il faut autant de professeurs pourvus du grade de docteur que dans les facultés d’État qui comptent le moins de chaires. Outre Claude Arthaud et Émile Vanlaer, on recrute sept autres professeurs, dont un jeune avocat d’origine lilloise, Louis Selosse27 qui achève alors son doctorat, Edmond Ory28, Eugène Delachenal29 et Tancrède Rothe30. Lors d’un voyage à Poitiers, Camille Feron-Vrau parvient à obtenir l’acquiescement de trois docteurs en droit, le vicomte Gabriel de Vareilles-Sommières, jeune agrégé de 29 ans, ancien professeur de droit romain à Douai, puis de droit commercial à Poitiers, et deux de ses amis, alors substituts et admissibles à l’agrégation, Constant Groussau31 (droit administratif) et Alfred Trolley de Prévaux32. Tous acceptent de s’engager dans ce projet au nom de leur foi, tandis qu’ils ont déjà amorcé ou se préparent à des carrières au service de l’État. Le vicomte de Vareilles-Sommières accepte la charge de pro-doyen – on espère encore avoir Charles Périn33 – puis de doyen. Aussi la faculté de droit est-elle au complet, dès octobre 1875, et les cours peuvent-ils débuter en novembre avec dix professeurs et quelque cinquante étudiants.
55Ailleurs c’est encore un immense chantier mais l’Institut catholique de Lille peut déjà être constitué légalement. Il est vrai que, même en faculté de droit, les lacunes sont importantes. Certains enseignements ont dû être confiés à des non spécialistes. Il n’y a pas de chaire d’économie politique, ni de droit canon, essentiel pour une faculté catholique. Tous les professeurs sont très jeunes : les plus âgés n’ont pas 30 ans, ce qui, sans préjuger de leurs compétences – l’avenir les reconnaîtra – signifie cependant un certain manque d’expérience. Il faut au moins que la faculté de droit ait un doyen, dont le nom seul lui donnerait crédit, et la déception est à la mesure des espérances lorsqu’échoue le projet de confier cette charge ainsi que la chaire d’économie politique à Charles Périn, âgé de 60 ans, belge d’origine, marié en France, économiste et juriste de l’université de Louvain. Sa nationalité constitue un obstacle du point de vue des autorités ministérielles et, père de sept enfants, il ne peut pas prendre le risque de mettre en péril la vie de sa famille. Le conservatisme et l’ultramontanisme de ce théoricien de la contre révolution sont appréciés à Rome qui répugne à en priver Louvain. Pie IX lui a même demandé dans un premier temps de rester à Louvain, avant de changer d’avis. Conservateur en politique il est libéral en économie, c’est-à-dire à contre courant de l’école de la Tour du Pin et des catholiques sociaux qui quelques années plus tard, autour d’Eugène Duthoit, marqueront considérablement l’université lilloise. On peut dès lors s’interroger sur les orientations profondément différentes qu’il aurait suscitées…
56Finalement Vareilles-Sommières reçoit le titre de doyen tandis que la faculté complète ses enseignements en recrutant l’abbé Alfred Pillet, venu de Savoie pour enseigner le droit canon, Hervé Lamache34 pour remplacer Vareilles en droit civil, et confie à Tancrède Rothe, le droit naturel, après le départ du P. Cochard que les jésuites refusent de remplacer. Auguste Béchaux35 vient bientôt compléter cette équipe pour le cours de pandectes.
57Selon un des étudiants de la première génération, Eugène Duthoit, ces professeurs venus de toute la France apportent à Lille « l’ardeur, la résolution, la passion de bien faire et de réussir, tous les sentiments et toutes les dispositions nécessaires aux débuts d’une grande entreprise »36. Vareilles-Sommières restera 30 ans doyen de cette faculté à la tête d’une équipe d’autant plus unie et stable qu’il a imposé ses candidats37 et, lorsque apparaissent les premiers problèmes de remplacement, il prend seul les décisions. Grand juriste, il sait aussi se montrer meneur d’hommes, correspondant parfaitement à l’esprit des fondateurs des universités catholiques créées, dit-il, « pour cultiver profondément toutes les parties de la science ». Sous son décanat les étudiants bénéficient d’un enseignement rénové, de qualité, expression de la haute idée qu’il se fait du rôle d’une faculté à la fois libre et catholique, avec un enseignement de droit positif mais aussi du droit canon et du droit naturel. Des exigences sont posées aux étudiants, avec une année ponctuée de révisions, compositions, examens, conférences de plaidoiries, séminaires de droit public ou d’économie... À côté de leur enseignement, les professeurs donnent des conférences de vulgarisation scientifique à Roubaix, Tourcoing ou Armentières.
58Les 50 premiers étudiants, à la rentrée de novembre 1875, sont presque tous en première année, ce qui est normal. Leur nombre augmente rapidement pour atteindre la centaine en 1883, 150 en 1895. Il culmine à 170 en 1897, ces chiffres étant à rapporter au nombre des étudiants dans les facultés officielles soit, par exemple, 400 à Bordeaux, la faculté de province la plus nombreuse en 1887, tandis que la Catho de Lille en a alors 138. Le nombre des étudiants en doctorat est important, 42 par exemple cette même année 1887.
59Dès 1877, le doyen Vareilles-Sommières et quelques professeurs lancent l’idée d’un enseignement des sciences politiques, administratives et sociales et une commission est constituée sur une proposition du romaniste Arthaud, présidée par Adrien Gand. Eugène Duthoit assure les fonctions de secrétariat. Les démarches sont lentes et ne peuvent aboutir qu’en 1894. L’autorisation pontificale obtenue, il est alors possible d’ouvrir, dans la faculté de droit, une « section » des sciences sociales et politiques, amorce d’une école. Celle-ci dépend administrativement de la faculté. Elle est d’abord dirigée par Adrien Gand jusqu’à sa mort en 1897, puis par Louis Selosse qui laisse la place à Eugène Duthoit lorsqu’il accède au décanat de la faculté en 1905.
Les facultés des lettres et des sciences
Former des enseignants du secondaire
60Le titre d’Université étant lié à l’existence de trois facultés et les résultats des législatives de 1876 étant inquiétants, les catholiques et l’épiscopat décident de mettre le plus rapidement possible en place les facultés de lettres et sciences. Il est intéressant, dans un premier temps, d’envisager ces deux fondations ensemble car leurs raisons d’être et leurs débuts sont très liés dans l’esprit des fondateurs qui portent le souci de la double compétence technique et théologique du corps enseignant du secondaire38. Or, on l’a vu au début de ce chapitre, les facultés de lettres et sciences, qui ne préparent aucune profession précise, n’ont pas ou presque pas d’étudiants. Essentiellement jurys d’examen pour le baccalauréat, elles sont rattachées organiquement aux lycées, logiquement intégrées à l’enseignement secondaire. La loi Falloux, dont l’exigence en termes de diplôme est minimale, a cependant favorisé le développement des écoles et collèges libres dans de nombreuses villes des départements du Nord et du Pas-de-Calais.
61Le Journal des Sciences médicales de Lille39, publie en 1898 le texte d’une lettre de Mgr Baunard, alors recteur des facultés catholiques, aux évêques et au clergé de France, appliqué à la nécessité de former des médecins chrétiens mais qui a en fait été écrit dans une perspective beaucoup plus large et à laquelle on pourrait donner le titre de « science et foi ». Il y plaide pour une formation scientifique sérieuse du clergé, considérant qu’il y a péril pour l’Église à dissocier croyance et science, « l’Église et le clergé d’une part, l’École et le pouvoir d’autre part ».
« Les sciences historiques, je le sais, ont été, elles aussi, enrôlées contre nous. Mais, à dire vrai, c’est avant tout, sur les sciences de la nature, physique, chimie, géologie et paléontologie, astronomie, physiologie, biologie, anthropologie, que l’antichristianisme compte pour assurer sa victoire. » Il ajoute plus loin : « Maîtresse de l’École, maîtresse du Pouvoir, la Science séparée aura bientôt fait de mettre la main sur le peuple… »
62Aussi, conclut-il, le peuple lui-même a besoin d’un prêtre instruit dans le domaine de toutes les sciences. Ce n’est ni facultatif, ni surérogatoire, mais lié à l’enseignement religieux et doctrinal lui-même. Cet enseignement doit se donner dans les petits et grands séminaires par des gens spécialisés et bien formés et, pour ce faire, les universités catholiques ont un rôle indispensable à jouer. On le saisit bien à la lecture de cet article, il s’agit de former des clercs, mais il nous faut rappeler que non seulement ceux-ci enseignent dans les séminaires mais qu’ils constituent à l’époque l’essentiel du corps professoral des collèges catholiques. Si Mgr Baunard, recteur des facultés catholiques, estime en 1898 que cet enseignement est insuffisant il fait écho aux préoccupations de ceux qui 22 ans plus tôt, ont présidé à la création des facultés des lettres et des sciences et du séminaire académique et l’on peut sans doute considérer que leurs efforts ont déjà porté des fruits même si c’est encore insuffisant.
63Le recrutement du corps professoral de ces facultés a été difficile. Il faut cinq docteurs ès-lettres et six docteurs ès-sciences. Si faible que soit cette exigence la difficulté reste importante car si la magistrature ou l’ordre des avocats peuvent, à côté des facultés d’État, fournir des docteurs en droit, si les docteurs en médecine sont assez nombreux, il n’y a, à l’époque, y compris au sein du clergé, que très peu de docteurs ès lettres ou ès sciences et ils ne peuvent venir que des facultés d’État.
64Or il y a, à Nancy, deux hommes connus pour leurs convictions catholiques qui pourraient être les doyens des deux facultés, Amédée de Margerie, professeur de philosophie, et Jules Chautard, professeur de physique et doyen de la faculté des sciences de Nancy dont les laboratoires sont réputés. Chautard étant l’ami de Margerie, le recrutement de l’un facilitera, pense-ton, celui de l’autre. Pour l’un comme pour l’autre le dévouement catholique contribue à la décision, servir la cause de Dieu et de la religion passant par dessus les considérations personnelles. Les tractations sont cependant assez longues car ils doivent démissionner de leurs fonctions, non sans risques pour leur situation personnelle, tandis que les circonstances politiques sont peu favorables.
Amédée de Margerie et les premiers enseignants de la faculté des lettres
65Amédée de Margerie (1825-1905), agrégé de l’Université (1847) et docteur ès lettres (1855) pour son Essai sur la philosophie de saint Bonaventure, a participé aux luttes intellectuelles et religieuses de son temps. En 1848 il s’est opposé à la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte et il a eu quelques démêlés avec le pouvoir sous l’Empire. Légitimiste actif, il milite pour la restauration monarchiste et est une des personnalités les plus marquantes du parti catholique. Ultramontain convaincu, il s’est fait remarquer dans les controverses qui ont précédé le concile du Vatican et a pris position en faveur de l’infaillibilité. Humaniste chrétien, sa conviction fondamentale est que la foi et la raison sont deux moyens complémentaires d’accéder à l’unique vérité et qu’il faut être à la fois « très philosophe » et « très croyant ». Puisque l’œuvre lilloise est bien vue à Rome et que le pape consulté a encouragé, pourquoi ne pas y aller ? Mais si Margerie lui accorde « un intérêt plein de sympathie et d’admiration », ce n’est pas sans inquiétudes pour l’avenir.
66Il s’interroge aussi sur la pertinence d’un enseignement franchement catholique : ne sert-on pas mieux la science chrétienne en contribuant à défendre la vérité là où elle est attaquée. « J’ai l’heureuse fortune d’être en possession d’une chaire où il serait très difficile de me fermer la bouche et où j’enseigne exactement comme je ferais à Lille ou à Angers ; et peut-être ne dois-je pas me presser avant de savoir si le droit de vivre sera laissé aux Universités catholiques » ; et n’y a-t-il pas, d’autre part, grave inconvénient à ce que les catholiques quittent un enseignement d’État pour « laisser la place tout entière à l’ennemi » écrit-il dans un mémoire au Saint-Père. Si les Lillois lui ont donné des garanties matérielles, il s’inquiète cependant aussi du climat, des conditions de résidence, de la situation de sa famille – il a 10 enfants – et de quitter les attaches solides (relations, œuvres) construites en 20 ans de présence à Nancy. À l’instar de son ami Charles Périn, il s’en remet au pape, évoquant dans le mémoire cité ci-dessus les arguments contre et pour. Parmi ces derniers, il est important de relever celui qui correspond aux objectifs des fondateurs, de donner à l’Université catholique une forte assise scientifique. Pie IX lève ses dernières objections et, sans hésitation sinon sans déchirement, Margerie fait connaître son acceptation à Édouard Hautcœur, dès le 24 août. La faculté des lettres a donc son doyen. Il le restera jusqu’à sa retraite en 1900.
67Mais il lui faut aussi quatre autres docteurs compétents et orthodoxes, clercs ou laïcs, qu’il est encore plus difficile de trouver. Déjà l’abbé Orhand, helléniste, est venu de Bretagne pour enseigner la littérature grecque. On recrute Pierre Montée, douaisien, pour enseigner la littérature latine et Auguste Charaux40, un lorrain en poste à Mont-de-Marsan, pour la littérature française. Victor Canet (1824-1909), professeur au collège de Castres et qui a dû démissionner, en 1862, en raison des difficultés que lui causent ses convictions religieuses, s’est porté candidat. Il obtient la chaire d’histoire après avoir terminé sa thèse en 1877. Avant cela on a obtenu, de haute lutte, la venue de l’abbé Louis Baunard41. Ses réticences n’ont eu d’égal que le talent de persuasion et la persévérance de Philibert Vrau et de Gustave Champeaux. Louis Baunard a déjà refusé les offres venues de Lyon et d’Angers. Il est très attaché à sa ville d’Orléans, où il est aumônier de lycée et bénéficie de l’estime de son évêque, Mgr Dupanloup, même s’ils ne partagent pas toujours les mêmes points de vue ; très attaché aussi à ses parents, âgés, qu’il vient de faire venir près de lui. Docteur ès lettres (1860) et docteur en théologie (1862) il a déjà publié plusieurs ouvrages qui ont connu un assez grand succès. Les tractations durent plusieurs mois et ce n’est qu’en décembre 1876 qu’il donne enfin son accord. Il reçoit la chaire d’éloquence sacrée et la perspective de l’ouverture d’une faculté de théologie lui donne celle d’y passer avec le même titre. Les fondateurs de l’université lui ont également fait miroiter la fonction de doyen de la faculté de théologie, ce à quoi apparemment il aspire peu et lorsque ces fonctions sont confiées à l’abbé Jules Didiot il n’en prend aucun ombrage.
68La faculté des lettres a donc ses cinq docteurs et peut être officiellement constituée le 25 novembre 1876. Elle présente d’emblée un visage original, car à l’époque le rôle des facultés de lettres est surtout d’offrir, dans les villes où elles sont implantées, des cours publics pour un auditoire le plus large possible, sur « les grandes questions de la philosophie, de la morale, de l’histoire, de la littérature » : c’est ainsi que le conçoit Margerie et ces cours commencent dès le lendemain de l’inauguration. Mais, outre ce public, Mgr Hautcœur entend inscrire aussi des vrais étudiants afin d’améliorer le recrutement des enseignants des collèges, en les préparant à la licence ès lettres. Ceux-ci sont très peu nombreux à l’ouverture – quelques clercs des diocèses de Cambrai et Arras – mais on a confiance en l’avenir... Ces étudiants étant des clercs, la faculté de théologie et le séminaire académique sont considérés comme indispensables, pour relever simultanément, le niveau de leur formation théologique et accompagner leur formation sacerdotale sans devoir passer par les séminaires diocésains. Un internat a déjà été établi pour eux rue Royale.
69À l’ouverture, l’enseignement donné dans la faculté des lettres présente d’énormes lacunes dont les fondateurs ont bien conscience : ni langues étrangères dont la chaire sera confiée en novembre 1878 à l’abbé Hyver, d’origine lorraine, ni géographie, ni histoire en attendant Victor Canet, ni archéologie, ni langues orientales… Huit étudiants sont inscrits la première année, vingt-cinq la seconde. Les chiffres fluctuent ensuite entre quinze et trente.
Les prémices de la faculté des sciences
70La faculté des sciences est inaugurée quelques semaines plus tard le 22 décembre 1876. La tâche est encore plus complexe car, aux difficultés pour recruter un corps professoral, s’ajoute la nécessité, outre de salles de cours et de quelques rayons de bibliothèques, de laboratoires, de collections, d’instruments, etc. Conseil a été pris auprès de Georges Lemoine, professeur à la faculté des sciences de l’Université catholique de Paris, fondée un an plus tôt, et qui ne cache pas les difficultés qu’il prévoit pour Lille, eu égard à celles qu’a connues la faculté des sciences de Paris alors qu’elle bénéficie d’une attractivité plus grande. Le titre de docteur ès sciences est assez rare et ceux qui en sont pourvus sont peu disposés à quitter leur situation. En outre l’Université catholique naissante tient à avoir des enseignants préoccupés de faire progresser la recherche dans le cadre d’un véritable enseignement supérieur et non d’un enseignement secondaire perfectionné.
71L’homme le plus apte à remplir ces conditions et à devenir le doyen de cette faculté semble être Jules Chautard. Là encore les premiers contacts sont réticents tant il est attaché à Nancy, mais aussi en raison de son état de santé (fréquents maux de tête) lui faisant exiger un suppléant pour sa chaire de physique, ce qu’on lui promet, comme on lui promet des collègues pour s’occuper des laboratoires et collections sous son contrôle. Il réclame en outre des collaborateurs dont la notoriété ne soit plus à faire. Leur mise en disponibilité n’est pas acquise sans démarches nouvelles, ni sans garanties, comme celle d’une retraite confortable. Il demande douze chaires, la loi n’en exigeant que six. Les fondateurs de l’Université catholique négocient pied à pied pour obtenir l’acquiescement de deux polytechniciens, Édouard Villié et François de Salvert. Villié, qui est ingénieur des Mines et souhaite cette chaire, répond à ces critères. Mais alors qu’Albert de Lapparent et Georges Lemoine ont obtenu l’année précédente la possibilité de cumuler le titre d’ingénieur des Mines et de professeur à Paris, il faut une intervention du sénateur Kolb-Bernard auprès du ministre de l’Intérieur (de Marcère) pour que Villié obtienne alors sa mise en disponibilité. Finalement, en 1881, il est mis dans l’obligation de choisir : optant pour la faculté des sciences il doit adresser sa démission au ministre. Dans le même temps on s’attache à obtenir l’accord d’un autre polytechnicien, François de Salvert, alors secrétaire général de la préfecture de Blois. Comme d’habitude les Lillois, l’abbé Dehaisnes en tête, ne se laissent pas décourager par un premier refus et les exigences posées et, fin septembre, François de Salvert accepte la chaire de mécanique rationnelle et astronomie. Édouard Villié assure l’enseignement du calcul intégral et différentiel, Aimé Witz42, le suppléant promis, jeune ingénieur très actif, s’emploie tout de suite à l’installation d’un laboratoire de physique. Ingénieur de formation, il accepte de repartir de rien et de passer licence et doctorat pour avoir les grades requis pour enseigner à la faculté.
72En sciences naturelles la faculté s’est déjà assuré le concours de l’abbé Nicolas Boulay (1837-1905), botaniste et géologue. Il a été l’un des trois administrateurs qui ont, en octobre 1875, déposé la déclaration de l’Institut catholique devant l’académie de Douai. On lui adjoint François Cairol en zoologie (le plus jeune docteur ès sciences en France, en 1872) qui quitte, non sans réticences, les cieux plus lumineux de Narbonne. Charles-Ernest Schmitt, chimiste docteur ès sciences de Nancy refuse d’abord puis se laisse convaincre par les brillantes propositions qu’on lui fait. Il enseignera également à la faculté de médecine et pharmacie dont l’ouverture se prépare. Parallèlement, Antoine Béchamp (1816-1908), docteur ès sciences et futur doyen de la faculté de médecine et qui a accepté ce cumul des fonctions donnera des cours de chimie organique à la faculté des sciences.
73Quant aux locaux, on pense d’abord s’installer rue Royale, à côté des facultés de lettres et droit, avant de songer qu’il pourrait y avoir un grand avantage à rendre communs les locaux des facultés de sciences et de médecine, au moins certains laboratoires (physique et chimie), les collections d’histoire naturelle, le jardin botanique… mutualisation des moyens comme des enseignants qui permettrait en outre de faire des économies. La question des locaux de la faculté des sciences suit dès lors les péripéties de la fondation de la faculté de médecine dont le projet proposé par Camille Feron-Vrau, rencontre d’importantes difficultés, liées au problème spécifique de l’hôpital nécessaire aux études.
74Officiellement ouverte le 22 décembre 1876 la faculté s’installe donc provisoirement rue de la Barre, avec la faculté de médecine et de pharmacie, dans un local dit de Saint-Maur43 parce qu’il a été occupé par les dames de Saint-Maur. Les jésuites viennent de le quitter pour s’installer dans de nouveaux locaux, rue Solferino. Cette année-là, il y a quatre étudiants, une dizaine l’année suivante.
Les péripéties de la fondation de la faculté de médecine et de pharmacie44
75La création d’une faculté de médecine paraît alors essentielle, « une question de vie ou de mort pour la société chrétienne », selon Mgr d’Hulst45. Dans les facultés d’État dominent, dit-on, les doctrines matérialistes et la nécessité de former un corps médical de haute tenue, tant sur le plan des convictions religieuses que sur le plan moral, scientifique et technique, est un des principaux moteurs de l’ensemble du projet d’Université catholique. Camille Feron-Vrau, docteur en médecine, qui a pratiqué et enseigné la médecine à Lille, pendant 17 ans, avant de rejoindre l’entreprise familiale à la demande de son beau frère Philibert Vrau, en a fait son affaire. Il exprime ainsi ses convictions :
« Et par médecin chrétien, je n’entends pas celui qui l’est seulement pour lui-même, mais qui l’est et estime devoir l’être pour les autres, faisant rayonner en toute occasion de chaque jour, soit en parole, soit en action, l’influence chrétienne qui fera de lui une sorte d’apôtre laïque de la foi […] Nous avons le droit, sans doute, de présenter aux familles les valeurs de notre enseignement, celles de nos professeurs, nos laboratoires et installations scientifiques, etc. C’est bien. Mais combien plus puissante serait notre force d’attraction, si nous pouvions montrer à la France Catholique comment, tout en réussissant à assurer un enseignement au moins égal à celui des facultés officielles, nous les dépassions toutes – ô combien – par la supériorité morale et religieuse de notre personnel enseignant et enseigné et notre souci de former la conscience et le cœur, non moins que l’intelligence de nos futurs docteurs ».
76Il n’y a pas alors de faculté de médecine dans le Nord, seulement des écoles de médecine préparant aux grades d’officiers de santé. Pour préparer au doctorat il faut créer des chaires, des laboratoires et des cliniques. Dans ce but, on décide d’ouvrir des cours, dès novembre 1875, les étudiants prenant leur inscription à Paris comme l’ont fait ceux des premiers cours libres de droit.
La question de l’hôpital
77Vaste programme dont les exigences ne rebutent pas les Lillois, tandis que ni Paris, ni Lyon, ni Angers n’envisagent alors cette création. Dans l’espoir lointain d’une faculté de médecine, les catholiques de Paris et Lyon se sont d’abord préoccupés d’ouvrir un hôpital. À Lille on fait l’inverse, dans la mesure où l’hôpital existe, et on se préoccupe d’emblée de fonder une faculté afin de former des docteurs en médecine et pas seulement des officiers de santé. En effet, l’administration des hospices y a entrepris en 1866, dans les nouveaux quartiers de la ville agrandie46 de construire un vaste hôpital (hôpital Sainte-Eugénie), mais la construction achevée, elle manque de moyens pour l’équiper et l’établissement reste fermé, au grand scandale de la population. L’occasion est donc à saisir d’autant que les ressources hospitalières de Lille sont très insuffisantes et que ni la ville de Lille, ni l’Assemblée nationale n’ont alors l’intention de transformer en faculté l’école de médecine et de pharmacie. Aussi, dès le 21 août 1875, une proposition ferme est-elle adressée à l’Administration des hospices de Lille. Moyennant le versement de 140 000 F afin de compléter l’aménagement de deux pavillons de l’hôpital Sainte-Eugénie, les médecins, pharmaciens et étudiants de la future faculté libre de médecine se proposent d’en assurer la direction des services sanitaires. Le traitement des médecins et chirurgiens serait à charge de l’université. L’ouverture est prévue pour le 1er octobre 1876 avec 200 lits (120 sont exigés par la loi).
Trouver des enseignants et des locaux
78Dans le même temps des contacts sont pris avec des médecins, le docteur Tison, alors attaché au Muséum, le docteur Wintrebert de Lille, professeur à l’école de médecine. Cinq professeurs sont nécessaires, ce qui est peu. On pourrait dans un premier temps ouvrir des cours libres qui deviendront faculté dès que les conditions seront remplies. Mais il apparaît très vite qu’il sera difficile d’ouvrir les cours de 1re année en 1875, d’autant plus que ceux-ci exigent des laboratoires. Il vaut mieux attendre et faire les choses convenablement sans se précipiter. On diffère d’un an, au grand dam d’É. Hautcœur, en promettant l’ouverture des deux premières années en même temps.
79Le docteur Wintrebert est le seul médecin de l’école de médecine de Lille qui a accepté d’enseigner à la nouvelle faculté de médecine. Il est chargé de la physique biologique. Le docteur François Guermonprez, tout jeune docteur, sans titre universitaire ni hospitalier est incorporé comme « répétiteur de pathologie » avant de se voir confier l’enseignement de l’histoire naturelle médicale (zoologie). Celui-ci donne quelques informations sur des médecins parisiens qu’il a rencontrés au cours de ses études. Le docteur Henri Desplats (1843-1912), accepte avec enthousiasme la proposition de Camille Feron-Vrau qui lui confie la chaire prestigieuse de clinique médicale. Il sollicite à son tour le docteur Jean-Baptiste Bouchaud, récemment installé dans la Creuse, dont la compétence en neuropsychiatrie lui permet d’être accepté comme médecin de l’asile d’aliénés de Lommelet, tenu par des frères de Saint-Jean de Dieu. Il accepte en même temps d’enseigner la pathologie interne. Le docteur Augier, autre collègue d’internat installé dans le Var, accepte lui aussi de venir dans le Nord. On lui confie l’anatomie pathologique et l’histologie. Le docteur Adrien César est chef des travaux anatomiques et les docteurs Challes et Bricart, chefs de clinique médicale et chirurgicale.
80Les tentatives faites par l’abbé Dehaisnes et Camille Feron-Vrau du côté de Nancy ayant échoué, c’est à Montpellier que l’on trouve le professeur de chimie Antoine Béchamp à qui est réservé le décanat de la future faculté. Nous reviendrons sur la personnalité de celui-ci alors très connu pour ses travaux scientifiques. Ses recherches sur les fermentations ont abouti à la théorie du microzyma qui l’oppose à Pasteur. Comme pour les autres professeurs son acceptation vient au terme d’hésitations de sa part et de nombreuses démarches des Lillois. L’évêque de Montpellier, Mgr de Cabrières l’y encourage : « les universités libres ne donneront les fruits qu’on en attend que si, dès leur fondation, les maîtres y sont égaux ou même supérieurs aux maîtres des universités de l’État ». Son fils, Joseph Béchamp (1847-1893) « son meilleur élève », dit-il, accepte également de venir à Lille pour enseigner la chimie analytique, le père enseignant la chimie organique et biologique. Viennent également de Montpellier, Ernest Baltus pour la chaire de physiologie, Gonzague Eustache comme professeur d’anatomie ainsi que le docteur Dominique Domec. Le corps des médecins militaires fournit le docteur Eugène Papillon qui accepte le service de clinique médicale. Le docteur Julien Jeannel aurait dû diriger la pharmacie de l’hôpital. En fait il enseigne la matière médicale et la thérapeutique. Le docteur Adolphe Faucon, professeur à l’école de médecine d’Amiens les rejoint au début de l’année 1877.
81C’est largement suffisant pour commencer surtout si on y ajoute les professeurs de la faculté des sciences susceptibles de donner quelques enseignements aux deux premières années. Mais de nombreuses questions restent en suspens et d’abord celle des diplômes préparés : proposera-t-on l’officiat de santé en même temps que le doctorat en médecine, formera-t-on des pharmaciens de 1re ou de 2e classe, les seconds ne pouvant officier que dans le département du Nord ? On se prononce, d’emblée, à l’Université catholique, contre le droit d’exercer la médecine avec un minimum de connaissances, qui reste alors une réalité importante du paysage médical. On choisit donc de n’ouvrir la faculté de médecine qu’à des candidats au doctorat en médecine et de sélectionner les candidats aux études de pharmacie. Concernant les locaux et en attendant que puissent être mis en œuvre des projets plus ambitieux, on se met d’accord avec la commission des hospices qui peut louer un pavillon supplémentaire à l’entrée de l’hôpital et un terrain contigu pour des installations provisoires (amphithéâtre d’anatomie). Mais le préfet refuse de donner son accord. Aussi installe-t-on, 78 rue de la Barre, les jeunes facultés de sciences et de médecine et pharmacie. Un terrain est cherché à l’extérieur de la ville pour le pavillon d’anatomie et la salle de dissection sur le territoire de Saint-André – et non sans quelques obstacles administratifs et sentimentaux – pour trouver des « sujets anatomiques » auprès des asiles ou prisons de la région et jusqu’en Belgique.
82Les principaux obstacles semblent avoir été contournés et, même si ce n’est pas sans quelques inconvénients quant à la dispersion des locaux et aux distances à parcourir, on peut annoncer l’ouverture de l’école de médecine pour le 16 novembre 1876 avec l’espoir de la transformer rapidement en faculté. En fait seuls les cours libres peuvent commencer à cette date, tant s’accumulent de vicissitudes sur le projet.
Premiers ennuis
83C’est de la ville de Lille que surviennent les premiers ennuis. Celle-ci possède depuis 1852 une école de médecine, dont le Conseil municipal, comme dans d’autres villes de France, avait, dès 1872, demandé la transformation en faculté. Le projet lillois a alors été refusé, en raison de ressources hospitalières insuffisantes. Lorsqu’il apparaît que le projet des catholiques est sur le point d’aboutir, les radicaux qui dominent alors au Conseil municipal, sous l’impulsion de l’avocat Pierre Legrand, obtiennent du ministre de l’Instruction publique, Henri Wallon, la création d’une faculté de médecine officielle, avec école de pharmacie, création que la ville s’engage à soutenir financièrement : bâtiments, matériels, bibliothèque et 12 ans de traitement des professeurs et fonctionnaires. Il est dès lors possible au ministre de passer outre au vote émis par l’Assemblée nationale. Le décret est publié au JO le 12 novembre 1875 et la nouvelle faculté ouverte, dès novembre 1876, sans que rien ait été changé à l’ancienne école. Cette précipitation est bien l’expression d’une manœuvre dirigée contre l’Université catholique à laquelle les républicains lillois sont hostiles. Et non contents de créer une institution concurrente, ils veulent également entraver la mise en œuvre de la faculté libre en attaquant les accords portant sur les services hospitaliers. Une intervention du Conseil d’hygiène à propos du système de vidange retarde les travaux. Des plaintes sont adressées au ministère contre le contrat passé entre les Hospices et l’Institut catholique, contrat que toutefois le Ministère considère comme parfaitement légal. On retarde la signature du deuxième contrat concernant le troisième pavillon, on conteste le droit de l’Administration des hospices et du Préfet de signer ces contrats sans demander l’accord du Conseil municipal et on reproche à celle-ci de sacrifier le droit des pauvres en « vendant », pour une somme dérisoire, un hôpital qui a coûté « une fortune » ! Après consultation il apparaît que la convention est juridiquement inattaquable mais les autorités pratiquent la méthode dilatoire, laissant par exemple en souffrance les marchés qui nécessitent l’approbation du Préfet, mettant donc en échec l’exécution du contrat. On en appelle au président Mac Mahon par l’intermédiaire du comte de Mun ; le sénateur Kolb-Bernard frappe à la porte du ministre de Marcère qui subit simultanément un véritable déchaînement de toutes les forces lilloises hostiles aux catholiques. Celui-ci est convaincu que la seule possibilité est la conciliation mais les radicaux lillois ne sont disposés qu’à une solution empêchant la faculté libre de s’ouvrir, les catholiques étant de leur côté prêts à quelques accommodements, à condition bien sûr de ne pas renoncer au droit acquis, jusqu’à le faire prévaloir devant le Conseil d’État contre tout arbitraire ministériel.
84Le partage de l’hôpital Sainte-Eugénie est jugé impossible par les deux parties ; la division de la ville en deux circonscriptions pourvues chacune d’un hôpital affecté uniquement à l’une des deux facultés – à l’État, Sainte-Eugénie, aux catholiques, Saint-Sauveur – paraît acceptable à ces derniers mais ils préfèrent cependant faire valoir leur droit conformément aux accords signés et mettent l’administration des hospices en demeure de remplir ses obligations, tout en se montrant ouverts à une transaction qui permettrait d’éviter de fâcheux atermoiements. Mais dès qu’il apparaît qu’une solution est possible, la presse anticléricale se déchaîne à Lille comme à Paris, qualifiant le Ministre de traître et le menaçant en termes couverts d’un débat au Parlement, tandis que les arguments en faveur de l’un et l’autre hôpital sont à nouveau inversés, Saint-Sauveur, jadis présenté comme un foyer d’infection, étant devenu un hôpital modèle. La tentative de conciliation ayant échoué le Ministère n’a plus d’autre alternative que de laisser exécuter le contrat de 1875 ou de le briser, ce qu’il fait le 1er novembre, un arrêté d’annulation étant notifié aux administrateurs de la société civile anonyme de l’Institut catholique mettant celui-ci dans l’impossibilité de faire autre chose que des cours libres.
85Si certains étudiants préfèrent partir, une trentaine, groupés autour du doyen et de ses collègues, choisissent de rester. Un recours est déposé au Conseil d’État qui donne gain de cause à l’Institut catholique, le 2 mars 1877. Les marchés en souffrance peuvent être validés. Les travaux sont repris et terminés en l’espace de 3 mois. Le 25 juin, la bénédiction de la chapelle de l’hôpital en marque l’achèvement. Le maire de Lille, Catel-Beghin, le préfet du Nord et des membres de la Commission des hospices participent à la cérémonie après laquelle le maire déclare ouvert l’hôpital Sainte Eugénie, remettant au recteur de l’Institut catholique le service des cliniques médicales, chirurgicales et d’accouchement. Le 6 juillet, la faculté libre de médecine et pharmacie a une existence légale, l’Université possédant déjà par ailleurs les collections et laboratoires exigés par la loi. Le service des soins des deux ailes (d’État et celle de la faculté libre) est confié en 1877 aux sœurs augustines47.
86Mais tandis que commence à se manifester partout une hostilité envers les congrégations religieuses, les sœurs elles-mêmes sont victimes des tensions qui surgissent avec la Commission des hospices et se traduisent par des tracasseries à leur endroit tant à Sainte-Eugénie qu’à Saint-Sauveur. En effet la Commission des hospices, qui a été longtemps d’accord avec les fondateurs de l’Université catholique pour combattre l’arbitraire administratif retourne sa veste en 1881. Sous prétexte que le contrat donne droit à la faculté libre à une clinique de médecine et de chirurgie mais pas à une clinique d’obstétrique, elle la met en demeure, le 1er février 1881, d’évacuer dans les 15 jours le service de maternité qu’elle occupe à Sainte-Eugénie. Il faut en toute hâte trouver, louer et meubler un local – rue du Marché, prémisses de la maternité Sainte-Anne. On s’aperçoit également que le contrat ne donne droit à la faculté libre qu’à une seule clinique médicale et une seule clinique chirurgicale. Or deux chaires de cliniques ont été instituées dans chaque ordre. Les professeurs se résignent à n’enseigner qu’un semestre mais la faculté est mise en demeure, en 1882, de mettre fin à cette alternance et de n’avoir plus qu’un seul professeur de clinique. Enfin, en 1887, elle est sommée de quitter les services hospitaliers qu’elle occupe. Elle résiste cependant, prête à faire valoir ses droits et l’administration menace d’obtenir la résiliation du contrat devant les tribunaux, menace qui n’est pas exécutée à cette date mais en dit long sur le climat d’animosité qui règne alors.
87Au terme de ce combat dont l’Université catholique sort victorieuse il faut dire que la faculté de médecine reste encore bien modeste car, mis à part un grand hôpital neuf et dont les installations constituent un modèle pour l’époque, celles de la nouvelle faculté sont plutôt incommodes, étroites et antiques : rue de la Barre, au bout d’un étroit passage qui débouche sur une courette, des laboratoires et des salles de cours sont partagés avec la faculté des sciences ; ces locaux doivent être rendus à leurs propriétaires, au plus tard le 1er octobre 1885 ; un jardin botanique minuscule et une petite serre, coincés entre les hauts murs des maisons environnantes, n’abritent pas plus de 500 espèces ; les étudiants en médecine doivent traverser les anciens quartiers de la ville pour gagner, au-delà des portes, l’amphithéâtre de dissection installé à Saint-André et aller à l’autre extrémité de la ville, à travers ses nouveaux quartiers pour se rendre à l’hôpital, soit à chaque fois quelque 4 km.
88D’autre part, Camille Feron-Vrau veut compléter la formation des médecins par la création de dispensaires, offrant des consultations gratuites pour indigents. Il en ouvre deux, le dispensaire Saint-Raphaël, rue de Paris, confié aux filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul, l’autre, rue des Fossés, aux pères camilliens spécialisés dans les soins aux malades. Ils donnent plus de treize mille consultations durant l’année 1877-1878, les plus fréquentes étant celles des maladies des yeux et des dents. Ces dispensaires, situés dans d’autres quartiers, augmentent encore la dispersion.
Premières constructions
89Nous reviendrons sur les constructions du quartier Vauban, rappelant simplement ici que, dès 1880, une maison de santé Saint-Camille construite sur une propriété de Camille Feron-Vrau est inaugurée et que la première pierre de la faculté de médecine est posée le 11 août 1880 : les salles de dissection, les laboratoires et les amphis sont prêts à accueillir les étudiants en novembre 1881 et un immense jardin botanique est planté et clôturé. Dès janvier 1883, est ouverte l’école des sages-femmes qui s’installe place Sébastopol à la maternité Sainte-Famille qui a commencé son activité dès 1874. En effet, dès novembre 1872, Camille Feron-Vrau a obtenu des sœurs de La Charité maternelle de Metz qu’elles fondent une petite communauté à Lille pour y exercer leur mission d’aide aux femmes en couches et aux nouveaux nés. Il veut rendre ainsi service aux mamans lilloises et d’abord aux ouvrières de la filature Vrau. Elles s’installent donc d’abord à proximité de l’usine, place du Concert puis, deux ans plus tard, rue du Nouveau siècle. Lorsque prend corps l’idée d’Université catholique, Camille Feron-Vrau envisage très vite de créer avec ces sœurs une école de sages-femmes. Dès 1877, une convention est signée à cet effet, entre la congrégation et l’Université catholique. Camille Feron-Vrau ouvre une souscription et prête de l’argent pour la construction d’une nouvelle maternité, place Sébastopol, avec 40 lits. Elle est inaugurée en novembre 1881 sous le vocable de la Sainte-Famille.
90En 1882, l’école de sages-femmes y est installée. Sa direction médicale est assurée par le professeur d’accouchement de la faculté catholique de médecine, la formation pratique par les sœurs de la Charité maternelle, elles-mêmes sages-femmes. Il s’agit alors avec des sages-femmes formées « au double point de vue de la moralité et de l’enseignement », joignant « à une science non douteuse des sentiments de foi et de véritable religion », de rendre service à la famille et à la société. L’externat pendant le temps de la formation est exceptionnel, sauf si les élèves résident chez de proches parents présentant de sérieuses garanties de moralité. Un certificat de bonne vie et mœurs est nécessaire pour l’inscription ainsi que de vaccination ; par la suite un extrait de casier judiciaire sera exigé. Jusqu’en 1917, il existe deux catégories de sages-femmes, de première et deuxième classe, les premières devant posséder le brevet de capacité élémentaire. Diplômées elles doivent prêter le serment de la sage-femme chrétienne.
91En 1887, s’élèvent, rue du Port, la maison de santé et le dispensaire Saint-Raphaël où une nouvelle aile accueille l’année suivante la maternité Sainte-Anne, qui quitte alors la rue du Marché. L’inauguration a lieu en 1889 et les deux services sont confiés aux sœurs augustines de Cambrai.
Et enfin la faculté de théologie
92La naissance, elle aussi difficile, de la faculté de théologie, n’est pas le moindre des paradoxes, d’autant que cette question est au cœur des préoccupations de Édouard Hautcœur, pour qui elle doit être « l’inspiratrice », « l’âme véritable » de l’enseignement supérieur. Déjà il en traitait en 1861, dans un opuscule intitulé Les Institutions académiques, leur rapport avec l’éducation intellectuelle du clergé. S’il ne remet pas en cause la formation dans les séminaires concernant la piété, la discipline ou l’éducation sacerdotale, il considère que les études théologiques y sont généralement trop faibles : manque de professeurs, insuffisance de leur formation… Sans doute la masse du clergé n’a-t-elle ni le besoin ni la possibilité d’une formation intellectuelle plus poussée, pense-t-il, mais il faut « former des sujets d’élite ». Lorsque se met en route le projet d’Université catholique, le chanoine Hautcœur y voit le moyen de réaliser ce programme longuement médité. D’emblée, il demande que deux théologiens soient recrutés à l’ouverture des cours libres de droit, avec pour mission de former et diriger l’esprit de l’université naissante. Aussi les sciences théologiques sont-elles représentées, dès l’ouverture des premiers cours, par le père Cochard qui, en 1874-1875, donne un cours de droit naturel et un cours approfondi de religion destinés à tous les étudiants. Sont aussi créées la chaire de religion avec l’abbé Jude de Kernaëret et celle de philosophie thomiste avec le père Delorme. Hautcœur continue à travailler parallèlement sur la forme que pourraient avoir ces facultés canoniques. Il lui semble indispensable que les séminaristes aient une vie collégiale et c’est pourquoi dès l’origine est ouvert un séminaire. Il pense aussi que poursuivre parallèlement leurs études, dans leur séminaire diocésain, serait pour eux source d’ennui et de perte de temps, compte tenu du niveau moyen des études censées être accessibles à tous. Il vaut mieux que les séminaristes soient détachés le temps de leurs deux années de philosophie et quatre de théologie, pendant lesquelles ils pourraient également suivre des études scientifiques ou littéraires. Ces vues sont cependant loin de faire l’unanimité et l’hostilité y est même particulièrement vive au séminaire de Cambrai. L’abbé Sudre craignant d’être privé de ses meilleurs sujets, s’efforce de faire partager ses préventions par le cardinal Régnier. On craint également une division entre un clergé de séminaire et un clergé universitaire.
93Cependant, la création de cet enseignement reste indispensable pour obtenir du Saint-Siège l’institution canonique et Pie IX insiste pour que Lille soit pourvue le plus rapidement possible de la faculté de théologie. Le chanoine Hautcœur en appelle directement à Rome et Mgr Czacki, secrétaire de la Sacrée congrégation des études, envoie en mars 1876, des documents pouvant servir à l’élaboration de statuts (statuts des collèges théologiques romains et italiens). Édouard Hautcœur, à la demande du cardinal Régnier, rédige un projet inspiré surtout du régime des universités romaines. Les statuts de la future faculté de théologie sont approuvés pour 5 ans par Rome, dès le 11 novembre 1876. Cette existence « virtuelle » peut être soulignée par Hautcœur, lors de l’inauguration le 18 janvier 1877, d’autant que des cours existent déjà que vient compléter le cours de droit canonique de l’abbé Pillet. La chaire d’éloquence sacrée instituée à la faculté des lettres en faveur de l’abbé Louis Baunard est aussi appelée à faire partie de la faculté de théologie dès sa création.
94L’institution canonique accordée avant même que la faculté de théologie ne soit créée est une marque de confiance du Saint Siège. Mais il faut avancer. Sur une suggestion de Philibert Vrau on se tourne vers les jésuites qui pourraient en même temps procurer des étudiants en transférant leur scolasticat à Lille. Mais ceux-ci se dérobent. On estime, en fait, préférable de part et d’autre de ne pas lier le sort de l’université à celui de la Compagnie de Jésus. De son côté le père Faucillon, prieur des dominicains, demande quelle part pourrait être faite à son ordre dans la future faculté. Mais Hautcœur espère plutôt trouver des enseignants du côté des séculiers, même si les docteurs de haute qualité y sont peu nombreux et qu’il est hors de question de puiser dans les facultés de théologie d’État, réputées gallicanes et d’ailleurs non canoniques. La tâche s’avère très complexe et les premiers contacts sont vains jusqu’à ce que É. Hautcœur parvienne à obtenir l’accord de l’abbé Jules Didiot48 qui partage les idées de Hautcœur quant aux études théologiques. Apte à commenter saint Thomas, il devient le pilier et bientôt le doyen de la faculté de théologie où il est rejoint par un autre ancien du collège romain, venu de Bruges, l’abbé Thomas Bouquillon49 (théologie morale), l’abbé Aloys Florence50 (exégèse biblique), et l’abbé Frédéric Fuzet51 qui partage la fonction de secrétaire général de l’université avec l’enseignement de l’histoire ecclésiastique. Cela fait sept docteurs en théologie, qui peuvent dès lors constituer une faculté de théologie.
95La forme canonique ayant été définie par le Saint Siège, il reste à trouver la forme légale de cette faculté52. Les facultés de théologie ne sont en effet pas comprises dans les règles établies par la loi de 1875 et n’entrent pas dans les trois facultés exigées pour constituer une université. On ne veut pas prendre le risque que lui soient imposées les mêmes règles que pour les autres facultés, soit en particulier autant de professeurs pourvus du doctorat en théologie, délivré par une faculté officielle, que celle qui en compte le moins, en même temps que des jurys mixtes. Aussi le titre de Collège théologique, sous lequel la faculté est inaugurée le 13 novembre 1877, est-il préféré qui permet de se mettre à couvert du point de vue canonique, sans risquer de tomber sous la coupe de l’État gallican. Les cours sont déclarés comme cours isolés de théologie donnés à l’hôtel de l’université. Quant aux grades, ils seront sur le modèle de l’étranger les seuls grades conférés par une faculté de théologie canoniquement instituée, avec l’espoir qu’ils puissent être reconnus par l’État. L’enseignement conduit donc au baccalauréat puis à la licence. Enfin la question principale reste celle des étudiants, les évêques étant peu disposés à en fournir. Une trentaine sont cependant inscrits dès les premières années.
96Entre temps, le 4 janvier 1877, l’Institut catholique fait officiellement place à l’Université catholique de Lille. Ses statuts ont été approuvés par la Sacrée congrégation des études, en décembre 1876, Mgr Monnier a été nommé chancelier, le chanoine Hautcœur confirmé dans sa charge de recteur et l’inauguration solennelle peut avoir lieu le 18 janvier 1877. Un ensemble complet de facultés existe qui peut légalement prendre le nom d’Université.
97Il faut, pour en assurer la pérennité, que soient rapidement assurés son existence juridique – vis-à-vis de l’État français – et son existence canonique – vis-à-vis de Rome – et bien sûr son financement.
Textes fondamentaux régissant la Catho
Déclaration de fondation en 1875
98Le 28 octobre 1875, une déclaration au recteur de l’Académie de Douai est adressée par Édouard Hautcœur, Nicolas Boulay et Gabriel de Vareilles-Sommières53, en qualité d’administrateurs « de l’Établissement d’enseignement supérieur dénommé Institut catholique de Lille » et sis 70 rue Royale à Lille.
« Les soussignés […] font par le présent acte, la déclaration exigée par l’art. 4 de la loi du 12 juillet 1875 ». Celui-ci est ainsi formulé : « Les établissements libres d’enseignement supérieur devront être administrés par trois personnes au moins. La déclaration prescrite par l’art. 3 de la présente devra être signé par les administrateurs ci-dessus désignés ; elle indiquera leurs noms, qualités et domicile, le siège et les statuts de l’établissement, ainsi que les autres énonciations mentionnées dans le dit art. 3 […] Avis en sera donné au Recteur ou à l’Inspecteur d’Académie. La liste des professeurs et le programme des cours seront communiqués chaque année aux autorités désignées dans le paragraphe précédent. Indépendamment des cours proprement dits, il pourra être fait dans lesdits établissements des conférences spéciales sans qu’il soit besoin d’autorisation préalable ».
99Les cours donnés sont énumérés : théologie, droit, anatomie, physiologie, physique et chimie, sciences naturelles, philosophie et lettres avec le programme en annexe. Les moyens adaptés aux études sont précisés comme le demande la loi, ainsi que le nombre de docteurs. Seule la faculté de droit remplit alors les conditions nécessaires.
100Les premiers statuts de l’Institut catholique de Lille accompagnent la déclaration de fondation. Il s’agit d’un texte bref, réduit à 17 articles sommaires, qui n’engage que les déclarants vis-à-vis des autorités civiles et qui, constituant une simple formalité légale, n’est revêtu d’aucune sanction canonique : l’objectif est uniquement de se mettre en règle avec les autorités civiles. D’après Mgr Lesne, c’est le projet de loi organique qui avait été dressé par le comité d’organisation, avant même le vote de la loi sur l’enseignement supérieur, qui a servi de base à la discussion. Celui-ci n’a pas été publié. On définissait d’abord le caractère de l’Université catholique de Lille, qui « fait avant tout, profession d’être dévouée à l’Église et fidèle à ses enseignements », souligne-t-il. Le titre premier portant sur l’organisation générale décrit les autorités académiques : le recteur, le vice-recteur, les doyens des facultés et le secrétaire chargé de contresigner tous les actes et de les expédier. Ces instances sont décrites au titre III.
101Au titre II portant sur le Conseil d’administration, sont mentionnés en premier lieu les deux délégués de chacun des évêques de la province de Cambrai ; puis le recteur, le vice-recteur et le secrétaire de « l’Université », le supérieur du séminaire, et deux professeurs nommés par leurs collègues : les ambitions sont affichées dès ce premier document qui ne porte cependant que sur la fondation d’un Institut catholique. La participation du supérieur du séminaire souligne le souci des fondateurs de participer à la formation des séminaristes. Dix autres membres, enfin, nommés la première fois par les évêques, sont choisis parmi « les principaux organisateurs, fondateurs et souscripteurs de l’œuvre ». Ils seront élus par la suite. Ce conseil doit se réunir quatre fois par an, plus si nécessaire, sur convocation de la commission permanente de cinq membres choisis parmi ses membres, à l’exclusion des autorités académiques, et chargée de l’expédition des affaires courantes. En fait l’autorité étant exercée par le recteur, il est décidé que la commission permanente serait uniquement chargée de « surveiller l’exécution des décisions du conseil, d’en provoquer le cas échéant la réunion extraordinaire ». Le CA doit être « saisi de toutes les questions d’administration générale et des finances. Il règle le budget, reçoit et approuve les comptes, nomme et destitue l’agent ou les agents comptables, il statue sur l’érection des chaires, sur les acquisitions et les constructions », donne son avis sur « tout ce qui intéresse la prospérité de l’institut ». Chaque année le recteur lui présente un rapport sur la situation.
102Le recteur a la direction pédagogique de l’établissement, nomme les professeurs à partir de listes proposées par les facultés et la commission permanente ; il nomme pour 4 ans les doyens, dont le mandat est indéfiniment renouvelable. C’est lui qui dresse le programme des cours. Il veille au bon fonctionnement de l’institut, assisté dans sa tâche par le vice-recteur. Il convoque et préside le sénat académique. Celui-ci composé de tous les professeurs titulaires et fonctionnaires de l’institut n’a qu’un rôle consultatif. Le conseil rectoral, formé des autorités académiques décrites, assiste le recteur en tout ce qui concerne les études et la discipline.
103Dans la déclaration du 28 octobre 1875, il n’est encore question que de l’Institut catholique de Lille et non de l’Université – même si le mot s’y trouve – dans la mesure où il n’y a pas encore les trois facultés nécessaires pour se voir reconnaître, conformément à la loi française, ce titre. Mais à partir du 4 janvier 1877, dans la correspondance administrative avec l’Académie de Douai, le mot Institut catholique de Lille fait place à celui d’Université catholique de Lille, l’établissement ayant les trois facultés.
104Ces premiers statuts ont pour objectif de répondre, rapidement, aux exigences de la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur. Mais ils n’ont pas été ratifiés par les autorités ecclésiastiques. En effet plusieurs points font alors débat avec celles-ci, portant en particulier sur leur rôle : ce texte n’a pas à prendre position sur ce point. Le débat se poursuit donc jusqu’à l’adoption des statuts de 1877 et leur acceptation par Rome.
Statuts de 1877
105Les discussions qui ont présidé à la première élaboration de statuts en 1875, comme à ceux de 1877, portent la marque de l’état d’esprit des fondateurs. En effet, plusieurs points, et particulièrement l’autorité du chancelier, font l’objet d’un important débat. En septembre/octobre 1875, un premier projet de statuts a été soumis, entre autres, à Charles Périn. La commission d’organisation fait sien, après quelques retouches, le projet remanié par celui-ci. Un certain nombre de dispositions sont alors contestées par le cardinal Régnier, en particulier l’autorité prépondérante que le projet accorde au chancelier, qui serait délégué par le Saint-Siège et pourrait ne pas être un évêque de la province. Le projet est renvoyé au comité d’organisation pour une nouvelle étude. Pour la déclaration d’ouverture, le cardinal Régnier refusant toujours ce qu’il considère comme l’omnipotence du chancelier, estimant que la question n’est pas mûre et qu’il est préférable d’attendre que l’Université soit sur pied pour la régler, on se met d’accord sur un premier texte d’où ont été élagués tous les articles litigieux. Hautcœur apporte ensuite quelques retouches concernant la composition du conseil d’administration. Le cardinal Régnier accepte le texte amendé avec cette précision : « Vu et approuvé, sauf les modifications dont l’expérience pourra faire sentir la nécessité » (11 décembre 1875).
106La question des statuts est reprise en prévision de l’inauguration de l’Université. Pour qu’elle soit reconnue et érigée canoniquement par le Saint-Siège il faut présenter à Rome un projet de statuts complétés sur les points essentiels, réglant en particulier les rapports qu’elle entretiendrait avec le représentant du Saint-Siège. Le texte est déposé à Rome, le 15 septembre 1876, auprès de la Congrégation des études. Plus étoffé que celui de 1875, il comporte 53 articles, divisés en 9 titres54. Nous n’en reprendrons que les aspects particuliers, modifiant ou complétant les statuts de 1875. Ces statuts fondamentaux de l’Université catholique de Lille, sont approuvés par le Saint-Siège, en 1877, pour une durée de 5 ans. Hautcœur chargé de la rédaction définitive remanie quelques points en faisant droit aux instructions du cardinal Régnier et à celles de Mgr Czacki, secrétaire de la Congrégation romaine des études. L’épiscopat retrouve la surveillance effective de l’université, les évêques de la province de Cambrai étant de droit les visiteurs. Le chancelier et les visiteurs seront associés dans toutes les décisions. L’art. 1 est une profession de foi et un engagement de fidélité envers l’Église catholique : « L’Université catholique de Lille fait avant tout profession d’être dévouée à la chaire infaillible de Pierre et fidèle à ses enseignements ». Dans la suite du concile de Vatican I, le parti pris est ultramontain et infaillibiliste. Compte tenu du contexte français les autorités romaines ne peuvent cautionner la nouvelle institution qu’à cette condition. Concrètement cela se traduit par la nomination du chancelier, « spécialement chargé de la maintenir dans cet esprit ». C’est lui qui préside au gouvernement de l’université et il doit présenter un rapport au souverain pontife tous les trois ans. Il est nommé par Rome. Il est cependant fait droit aux attentes des évêques de la province de Cambrai, « reconnus pour ses premiers chefs ». Le titre II organise le rôle du chancelier et des évêques, sans distinction. Ils nomment à toutes les chaires et hautes fonctions et peuvent révoquer. Ils approuvent les règlements notamment ceux qui concernent « la direction doctrinale à imprimer aux études » et peuvent y faire introduire des modifications. Le chancelier confère les grades académiques (diplômes canoniques). Le souhait de Rome est que le chancelier garde une certaine liberté par rapport aux évêques qui, dans les faits, sont les « visiteurs », terme absent des statuts. Le premier chancelier nommé par Pie IX est Mgr Henri Monnier, auxiliaire de Cambrai, et appartenant au groupe des fondateurs. Le pape a donc choisi quelqu’un de la région, proche par fonction des évêques et au courant des affaires, ce qui apaise les craintes du cardinal Régnier.
107En ce qui concerne le conseil d’administration, le nombre des membres est augmenté (15) compte tenu du développement rapide de l’Institut ; par contre le supérieur du séminaire de Cambrai, prévu dans les statuts de 1875, n’y figure plus, expression des réticences de celui-ci vis-à-vis des prétentions de l’Université catholique à participer à la formation intellectuelle des séminaristes. Enfin, constitué de nombreux membres choisis en dehors du corps académique, ce conseil n’a plus de fonction pédagogique.
108Les statuts de 1877 précisent le rôle du recteur. Nommé par le chancelier et les évêques, confirmé par le Saint-Siège, celui-ci doit être prêtre et docteur en théologie. C’est lui qui préside effectivement au gouvernement de l’université : organisation et réglementation générale, programme des cours et examens, au sein de l’ensemble de l’université et de chacune des facultés. Il est assisté dans sa tâche par le vice-recteur, dont les fonctions ne sont pas précisées en 1875. Également prêtre et docteur, pas nécessairement en théologie, nommé par les autorités ecclésiastiques, sur présentation du recteur et après avis du sénat académique, suppléant celui-ci en cas d’absence, il a surtout un rôle de surveillance, davantage en prise avec la vie quotidienne de l’établissement, tant en ce qui concerne les étudiants, que le personnel subalterne. Le secrétaire général, docteur mais pas nécessairement clerc, est nommé selon le même mode que le vice-recteur ; il a en charge les actes administratifs, contresigne les actes importants et est gardien des archives de l’Université.
109À la tête de chacune des facultés un doyen, un vice-doyen, dont la nomination répond aux mêmes conditions que celles du vice recteur et du secrétaire général. Leur mandat de trois ans est renouvelable. Leurs principales tâches concernent la présidence des réunions de la faculté, des commissions ou jurys et la surveillance générale de celle-ci. Les cours sont assurés par des professeurs, titulaires ou suppléants. La suppléance est le point de passage obligé avant la titularisation. Ces deux degrés supposent une nomination du chancelier et des évêques, après avis des autorités compétentes. Tous sont révocables après procès régulièrement instruit par le sénat académique et dont la décision est sanctionnée par les autorités ecclésiastiques.
110Le sénat académique a un rôle délibératif. Il est constitué des recteur, vice-recteur, secrétaire général, doyens des facultés et d’un professeur titulaire élu de chacune d’elles ; il se réunit tous les mois, sauf convocation extraordinaire du recteur. Celui-ci préside le sénat et définit l’ordre du jour. Peuvent également être débattues des propositions à l’initiative des facultés et à celle des membres du sénat.
111Les deux derniers articles précisent que les règlements ne peuvent « contrevenir à aucune disposition » de ces statuts et que ceux-ci ne peuvent être modifiés « en quoi que ce soit sans l’intervention du Siège apostolique ». Les autorités civiles ne sont pas mentionnées. Selon les exigences de la loi ce texte est transmis au recteur de l’Académie de Douai, le 10 janvier 1877, après l’approbation romaine.
112Le Saint-Siège répond à l’envoi des statuts par deux types de documents : un décret sur les grades (8 novembre 1876) sur lequel nous reviendrons et la Bulle d’érection canonique, en date du 16 décembre 1876 : Ad catholicae Ecclesiae gubernacula qui érige, institue et confirme à perpétuité l’Université catholique de Lille. Ce document ne peut être suspendu ni limité dans son application et tout contrevenant encourt « l’indignation de Dieu Tout-puissant et de ses bienheureux Apôtres Pierre et Paul ».
113Les statuts de 1877 resteront en vigueur par la suite, malgré la loi du 18 mars 1880. Quelques tentatives sont faites dans les années 1882-1884 pour les réviser au regard des nouvelles dispositions législatives. Il semble qu’aucun accord n’ait pu se réaliser alors, les autorités académiques manifestant leur opposition à la volonté marquée des évêques de renforcer à cette occasion leur autorité sur l’Institut catholique. Quelques années plus tard, en 1887-1888, sont publiées les Emendationes qui complètent les statuts de 1877. Ces « corrections » comportent 15 articles ; elles sont ratifiées par Léon XIII. Y apparaissent, en particulier, la composition et le rôle du conseil supérieur, qui n’étaient pas formalisés dans les statuts de 1877. Composé des évêques de la province et du chancelier, il se réunit deux fois par an. Le recteur doit lui présenter un rapport annuel, à chaque fin d’année universitaire. Le rôle exact de ce conseil n’est toutefois pas très développé.
114Les autres articles donnent quelques précisions quant aux possibilités de révocation, à l’éligibilité aux diverses fonctions, à la durée des mandats (deux seulement pour les doyens) au rôle du conseil supérieur dans les nominations et révocations, à la création des assemblées de faculté… L’art. 7 précise que « tout professeur nouveau prendra l’engagement d’honneur et de conscience de ne point recourir en matière contentieuse aux tribunaux civils et d’accepter la décision d’un tribunal arbitral légalement constitué. » Le conseil d’administration voit sa composition quelque peu modifiée, par la présence du chancelier, alors que les doyens n’y siègent plus. Ils peuvent y être entendus à titre consultatif. Les quinze membres sont nommés à vie. Ces statuts sont restés en vigueur jusqu’aux profondes transformations des années 1970, si l’on excepte quelques légères modifications entre les deux guerres, sur lesquelles nous reviendrons.
Société anonyme
115Il faut aussi donner à cette structure une capacité juridique, en vue de sa gestion. En effet, en 1875, la liberté d’association n’existe pas et les articles 2 et 10 de la loi du 12 juillet viennent déroger à ce principe, anticipant sur la liberté générale d’association qui ne sera reconnue qu’en 1901 : la loi de 1875, outre le régime déclaratif établi pour l’enseignement supérieur, admet « les associations formées légalement dans un dessein d’enseignement supérieur » (art. 2). Les statuts déposés au siège de l’Académie de Douai sont donc les statuts d’une association d’enseignement supérieur. Mais, en l’absence d’un texte législatif précisant la structure des associations, on comprend que les fondateurs aient été quelque peu embarrassés et que la structure juridique de l’Institut catholique de Lille (ICL), définie alors, ait longtemps comporté quelques anomalies, d’autant que rien n’a été fait par la suite pour la mettre en conformité avec la loi de 1901.
116Le premier problème à résoudre en 1875 tient au fait que la nouvelle association, en attendant d’obtenir la reconnaissance d’utilité publique55, n’a pas la capacité d’acquérir ni de posséder. C’est pourquoi les fondateurs choisissent, dès novembre 1875, de créer un autre organe ayant cette capacité, une « société civile en la forme anonyme, à capital variable », « ayant pour objet la fondation et l’exploitation à Lille d’une université libre destinée à desservir la région du nord de la France ». L’acte constitutif de la société anonyme de l’Institut catholique est rédigé le 18 novembre 1875 et s’ajoute, sans les modifier aux statuts précédemment décrits. Cette société composée de douze membres, industriels du textile, banquiers, magistrats, négociants56…, est propriétaire des meubles et immeubles. Elle est administrée par cinq mandataires choisis parmi les précédents et formant le conseil d’administration.
117Le capital social de 12 000 F est alors divisé en douze parts souscrites par chacun des comparants. Ceux-ci se partagent les bénéfices et les pertes, à concurrence de leur mise, sans être obligés sur leurs biens personnels. En fait, il n’est prévu aucune répartition des bénéfices avant la dissolution de la société57, mais les bénéfices seront réservés pour être partagés lors de la dissolution si, par exemple, l’Institut catholique est reconnu d’utilité publique. Les pouvoirs des cinq mandataires décrits à l’art. 8 sont très étendus : ils peuvent acquérir des biens mobiliers et immobiliers, les prendre à bail ou les louer, les aliéner et accepter tous les dons et legs, « tout simplement ou sous conditions ». Sont prévus les retraits, démissions ou décès des associés, leurs devoirs et leurs droits.
118Cette société appelée à l’origine « Société civile anonyme de Facultés catholiques », connaît plusieurs modifications entre 1875 et 1896 : elle devient société commerciale, le 6 janvier 1894, sous le nom de « Société anonyme des facultés catholiques », du fait de sa forme anonyme et bien qu’elle ne se soit jamais livrée à des opérations commerciales. Il s’agit alors pour la société, désormais soumise « aux lois et usages du commerce », de bénéficier des articles 68 et 7, dernier alinéa, de la loi de 1893, portant modification de la loi du 24 juillet 1867 (sur les sociétés par actions). Enfin, l’Assemblée générale du 16 novembre 1895 supprime le mot « civile » dans la dénomination de la société.
Liens conseil d’administration et société anonyme
119L’Institut catholique de Lille a une double dimension juridique et canonique. En fait par ses statuts de 1877, le conseil d’administration est tout, la société civile n’existe même pas. Mais la situation de l’université au point de vue canonique est en complet désaccord avec la situation créée par la loi française, selon laquelle l’université est un établissement d’enseignement mais ne constitue pas une personne morale, d’où la création de la société civile. La difficulté est que nulle part la relation entre ces deux pouvoirs n’est alors définie. L’ambigüité de la situation est résolue à ce moment-là, dans la mesure où tous les membres de la société civile font partie du conseil d’administration de l’ICL et trois de ses administrateurs sont membres de la commission permanente : situation favorable mais qui risque de ne pas durer et porte en elle les germes de conflits entre ceux qui prennent les décisions concernant l’ICL et ceux qui signent les engagements résultant de leurs délibérations. La reconnaissance d’utilité publique serait évidemment la solution qui ferait du même coup disparaître la société civile. Mais celle-ci paraît alors plutôt un danger risquant d’entraîner « une ingérence de l’État, à laquelle quant à présent, il serait fort imprudent de s’exposer. »
120Une autre difficulté est liée au fait que les membres ecclésiastiques du conseil d’administration (CA) ne peuvent faire partie de la société civile. On convient d’un mode de fonctionnement58 qui permet de concentrer l’administration aux mains du CA, considéré comme le légitime administrateur de l’université, la société civile se cantonnant à son véritable rôle de titulaire des biens de l’université et de signataire des décisions de l’administration. Les membres peuvent accepter ce rôle puisque, comme administrateurs de l’université, ils prennent part aux délibérations du conseil. La responsabilité morale des décisions du CA, bien que celles-ci transformées en actes portent la signature de la société civile, lui incombe donc, entièrement et exclusivement. Il gère seul la fortune de l’ICL, il est seul chargé de l’administration générale. Ce qui importe alors, c’est que la société civile, nécessité légale, n’usurpe pas « une autorité que ne lui a pas conférée le chef de l’Église, lorsque dans les statuts de l’université de Lille, il a déterminé l’autorité compétente pour régler les questions d’administration générale ». Rapidement apparaissent les inconvénients de cette situation lorsque, par exemple, surgissent des litiges avec des enseignants (mise en retraite, révocations, etc.) : c’est la société civile qui est en première ligne comme « personnification légale du conseil d’administration ».
121Les tensions sont d’autant plus vives que la gestion financière de l’ICL est un exercice particulièrement périlleux et que les besoins sont très importants. Il y a bien sûr toutes les charges inhérentes à la mission d’enseignement, aux traitements et bientôt aux retraites des enseignants, il y a quelques charges spécifiques liées à la volonté des fondateurs d’assurer l’accueil des étudiants dans des maisons de famille ou de mettre en œuvre des institutions charitables comme les dispensaires et il y a les charges liées aux besoins de locaux… Il faut pour tout cela « beaucoup d’argent »59.
Beaucoup d’argent…
Premiers financements
122On a vu comment s’est constituée tout de suite une commission de la propagande et des fonds, dont les membres60 appartiennent à l’aristocratie et à la haute bourgeoisie légitimistes. Dès 1873, elle se réunit chaque semaine et travaille à sensibiliser l’opinion. Ses membres sont des fervents catholiques qui estiment que la prière est le premier et principal moyen d’action. Chaque mois des petites feuilles de prières et invocations sont distribuées (30 000 exemplaires) par les comités catholiques locaux, des neuvaines demandées aux communautés religieuses. Le premier problème, celui des locaux, a été momentanément résolu, en février 1874, grâce aux Dames du Sacré-Cœur et à la générosité de Philibert Vrau qui permet également d’assurer le financement des premiers cours libres. Mais la création de l’université pose de façon cruciale la question du financement dans la durée : il faut beaucoup d’argent… pour le présent et pour l’avenir… où le trouver ?
123Les entreprises de la région et les industriels, relayés par les politiques jouent un rôle important qui est à comprendre dans le contexte social, économique, religieux et politique de l’époque et d’une région alors en plein développement. Ces catholiques mettent tout en œuvre, non seulement pour obtenir le vote de la loi, mais aussi pour concrétiser rapidement le projet. On retrouve parmi les premiers membres du CA aux côtés des ecclésiastiques et représentants des professeurs61, les hommes qui déjà sont membres de la commission de propagande et des fonds. Henri Bernard est vice-président et Gustave Champeaux, secrétaire, le chanoine Proyart, président. La commission permanente est composée d’Henri Bernard, Philibert Vrau, Gustave Champeaux, Charles Verley, des abbés Poulet et Chrétien Dehaisnes Ces fondateurs ont osé commencer l’œuvre sans en avoir les moyens, s’en remettant à la Providence et espérant qu’après ceux qui ont eu « la hardiesse de la fonder, leurs successeurs auraient celle de la maintenir »62. Face à l’inconnu il faut de l’audace et surtout « la confiance en Dieu » : « osons tout demander à la Providence » peut-on lire dans le compte rendu du CA du 22 décembre 1875. Aussi, dans cet esprit, se préoccupe-t-on d’abord des dépenses, ensuite des moyens d’y subvenir. Parmi les dépenses urgentes celles qui doivent permettre de constituer un fonds de bibliothèque dans toutes les branches, même si alors seule la faculté de droit existe. Il faut anticiper sur les autres créations ; amorcer la constitution de collections scientifiques et des cabinets de physique et chimie ; trouver les subsides nécessaires pour obtenir des Hospices de Lille les deux pavillons de l’hôpital Sainte-Eugénie, pour assurer les travaux d’appropriation des locaux du séminaire et autres locaux de cours. Ces dépenses dites de fondations sont estimées à 188 000 F. S’y ajoutent les dépenses extraordinaires : indemnités de déplacement aux professeurs, salaires des laïcs à qui sont dévolues certaines chaires, dépôts de garantie demandés par certains d’entre eux qui ont sacrifié des positions honorables, lucratives et pleines d’avenir. Pour s’assurer des ressources régulières et pérenniser l’œuvre, l’idée d’une souscription auprès des catholiques est lancée dès le début.
La souscription
124L’appui de l’autorité épiscopale est indispensable pour solliciter avec succès la masse des catholiques, mais on sait que le cardinal Régnier ne favorisera le lancement d’une souscription que lorsque les bases légales seront assurées. Le 26 janvier 1876, dans une recommandation, il montre même une certaine inquiétude devant cette fuite en avant : il ne faut pas risquer de dépasser les ressources que la province ecclésiastique peut fournir… ne pas aller trop vite, asseoir solidement l’œuvre avant de la développer… Il encourage cependant à marcher sans faiblesse, à compter sur la Providence, à avoir le plus tôt possible une existence complète et prendre le titre d’Université.
125Une commission du budget est nommée à la séance du CA du 5 juillet 187663. Deux moyens sont envisagés, les souscriptions et les quêtes. Conformément à l’esprit des fondateurs pour qui il revient à l’épiscopat de lancer la souscription, une première lettre circulaire est adressée par l’archevêque de Cambrai et l’évêque d’Arras, le 28 août 1875, au clergé de leur diocèse. Ce clergé, concordataire, est appelé, même dans des proportions restreintes, à concourir personnellement à la fondation et à l’entretien de la future université. Surtout, il lui est demandé de provoquer des souscriptions dans chacune des paroisses des deux diocèses.
126Une souscription d’au moins 1000 F donne droit au titre de fondateur ; toute souscription de 100 000 F, au titre de fondateur de chaire. Les listes sont publiées dans les Semaines Religieuses. Un diplôme est remis indiquant le montant de la souscription et le titre. Les descendants des fondateurs auront un droit de préférence dans l’attribution des bourses qui pourraient être attribuées aux étudiants. Des messes, célébrées chaque année pour ces fondateurs, et des indulgences viennent compléter ce dispositif de reconnaissance, au prorata du montant de la souscription, que l’on soit simple souscripteur, fondateur ou fondateur de chaire. Pour se faire connaître et soutenir le mouvement des souscriptions est créé, en octobre 1879, le Bulletin de l’œuvre des Facultés catholiques de Lille, qui poursuit sa publication jusqu’à nos jours sous divers titres64.
127Le succès est rapide. Le montant de la participation du clergé dépasse déjà 900 000 F, quand la souscription générale est lancée en novembre. Une lettre circulaire est lue dans toutes les églises. Les membres des comités catholiques sont invités à se concerter avec les curés pour établir des listes de personnes à contacter. Un comité de haut patronage, présidé par les évêques et composé des députés du Nord-Pas-de-Calais à qui on doit le vote de la loi – certains se récusent pour diverses raisons – est constitué. D’importants dons anonymes sont à mettre à l’actif de Philibert Vrau et de Camille Feron-Vrau dont les noms ne figurent cependant que pour des plus petites sommes. À côté de dons importants on note des participations modestes comme celle de 12 F d’un atelier de couturières d’une paroisse de Lille. Au total quelque 6,5 M F et 8000 donateurs, dont 2000 font partie du clergé, sans compter les donations collectives et anonymes. Les donateurs laïcs sont issus de toutes les classes de la société, patrons et ouvriers, professions libérales, fonctionnaires, médecins, militaires, agriculteurs, etc.65
128Il est prévu que le produit des fondations soit affecté au fonctionnement de l’institution en constituant un capital suffisant pour gager l’avenir. Cela permettra de couvrir le budget annuel : traitements des enseignants, divers services (concierges, appariteurs, garçons de service, médailles et récompenses aux étudiants, entretien des locaux (sachant qu’il n’y a pas alors de loyer). On espère que les frais relatifs au séminaire seront à la charge des séminaires diocésains. Les quêtes – une puis deux quêtes annuelles dans les paroisses – ne doivent intervenir qu’en second rang. S’y ajoute la possibilité pour les prêtres de recevoir un honoraire de messe, affecté à cette intention. On attend que dans l’avenir des dons et des legs complètent le capital ou éventuellement colmatent les brèches. Tout cela reste cependant insuffisant quant aux besoins estimés à 8 M F pour la seule faculté de médecine, par exemple. Il faut en outre pourvoir aux constructions. Dès la fin de l’année 1877, les fondateurs comprennent que, malgré le prodigieux succès de la campagne en vue de récolter des fonds un capital beaucoup plus important est nécessaire pour assurer, outre le traitement du personnel universitaire, l’outillage (collections, bibliothèques, laboratoires, hôpitaux…), la construction et l’entretien des bâtiments. En fait « une main généreuse et cachée » y pourvoit pendant quelque 30 ans.
La famille Vrau
129Il apparaît que la famille Vrau, non seulement assure le démarrage mais prend en quelque sorte le relais de la première souscription, en finançant et, pour ainsi dire, en garantissant le financement pendant les 30 premières années de l’université. Cette assistance reste discrète et très peu de personnes en connaissent l’étendue, les « deux frères » refusant l’un et l’autre qu’il en soit fait état : « Chez les chrétiens, la charité est anonyme. Le seul nom qu’on lui connaisse est celui que lui donne l’apôtre saint Jean : Deus caritas est, que je traduisis ainsi : « la charité, c’est Dieu ! » dit Mgr Baunard66.
130Pourquoi tant de générosité et comment est-elle possible ? Les raisons sont à retrouver dans celles qui ont motivé l’ensemble des fondateurs et la foi qui les anime et les a déjà amenés à soutenir, à Lille, de très nombreuses œuvres67. La prospérité de l’entreprise familiale « Le fil au Chinois » fait le reste... Quand Philibert Vrau y est entré en 1849 celle-ci vivait difficilement. La situation a changé du tout au tout à partir de 1859 et du lancement du fil à coudre en pelote. En 1864, Camille Feron-Vrau entre dans l’entreprise, à la demande de son beau-frère (il n’a pas de fortune personnelle et ne met pas d’argent dans le capital de l’entreprise, mais Philibert fait part égale dans la répartition des bénéfices). En 1870, le chiffre d’affaires est dix fois plus élevé qu’en 1860, les bénéfices importants et réguliers68. En 1876, les associés, Mme Vrau pour moitié, Philibert et Camille, chacun pour un quart, décident de conserver pour eux le bénéfice de la maison Vrau à concurrence de 7 % du chiffre d’affaires et d’affecter le surplus à l’Université catholique de Lille, soit à cette date, une somme de 403 000 F. Chaque année, à la date de l’inventaire, une somme est ainsi affectée au compte ouvert à l’université dans les livres de la Maison Vrau. Au débit du compte les dépenses prises en charge comme la création d’une chaire pour 200 000 F, des achats de terrain, des frais de construction et autres frais (3 197 000 F entre 1876 et 1882). À partir de 1883, un compte ICAM est également provisionné pour un total de 837 606 F, en juin 1905. Il faut ajouter le prix du terrain acheté en 1879 pour 155 250 F et payé personnellement par Philibert Vrau. À partir de 1885 un autre compte est ouvert pour les écoles paroissiales…
131Philibert, célibataire, dépense peu pour lui-même. Il verse 1500 F par an à ses parents chez qui il vit. Sa rémunération totale entre 1870 et 1905 est de 5 382 000 F. On évalue, compte tenu d’un certain nombre d’éléments connus quant à son mode de vie, ses voyages et diverses libéralités, qu’il n’a pas dépensé pour lui-même plus de 400 000 F et laisse donc près de 5 M F à des œuvres religieuses et de bienfaisance, pendant cette période.
132Un rapport de Camille Feron-Vrau69 établit qu’en 1907, la maison Vrau a versé à l’Université catholique la somme de 11 366 000 F compte non tenu des intérêts et de quelques dons antérieurs à 1876. Il ajoute qu’il reste au compte de l’université 1 239 000 F à titre de réserve. La faculté de médecine a fait l’objet d’apports particuliers à hauteur de 161 000 F entre 1893-1899. Il s’agit de dons collectifs de la famille auxquels, jusqu’à sa mort, Philibert contribue pour sa part.
133Le rapport sur le budget primitif 1880-1881, présenté par Paul Bernard au CA, souligne, dès cette date, que l’équilibre est impossible à trouver avec un excédent de dépenses de 66 900 F et impossible à réduire quelles que soient les coupes faites dans les dépenses :
« Tous nos moyens de ressources sont parfaitement connus et en admettant que ces ressources viennent à augmenter, ce ne sera jamais que d’une manière lente et relativement faible ; mais quel que soit le chiffre qu’on atteigne, il est évident qu’il faut y conformer les dépenses. On a pu jusqu’ici et sous le prétexte que les frais d’une première installation sont naturellement fort élevés distraire un certain capital de sa véritable destination, mais nous n’aurons pas toujours un capital à absorber pour combler nos déficits et alors que ferons-nous ? Qui paiera cette différence que nous trouverons tous les ans à notre budget car elle ne sera pas le résultat d’un cas fortuit mais bien la conséquence d’un établissement vicieux […] Nous avons été trop vite, sans connaître exactement les ressources dont nous pourrions disposer ; nous nous sommes laissés entraîner par un zèle trop ardent et sans savoir à quoi nous nous engagions, nous avons établi à la fois toutes les facultés, des dispensaires et des maisons de famille ; eh bien, l’expérience nous prouve qu’aujourd’hui nous ne sommes pas encore assez forts pour mener de front toutes ces belles et bonnes choses. »
134On retrouve d’année en année dans les comptes-rendus du CA ce souci d’équilibrer le budget et de faire vivre l’œuvre de ses ressources ordinaires et non de libéralités exceptionnelles et de réduire les charges. On estime qu’on ne peut continuer de compter sur des « dons vraiment princiers », pour couvrir le déficit, tandis qu’une partie de l’opinion publique objecte que l’on dépense trop à l’université et l’on cherche des solutions pérennes parmi lesquelles la réduction de la charge salariale figure en bonne place, même lorsque la plupart des traitements exceptionnels du début ont disparu.
Des charges très lourdes… trop lourdes ?
Le traitement des enseignants
135Le recrutement des premiers enseignants a amené à faire des promesses qui s’avèrent difficiles à tenir. De grands sacrifices ont été faits pour s’assurer le concours de professeurs de premier ordre, avec des contrats qui leur garantissent l’avenir en cas d’insuccès. Des promesses ont également été faites quant à leur retraite. En général, avec les augmentations successives, le traitement d’un professeur peut atteindre 12 000 F. Le traitement le plus élevé est celui d’Amédée de Margerie, 18 000 F/an, avec un enseignement donné à un nombre très restreint d’étudiants. On envisage une démarche des évêques pour qu’il fasse preuve de bonne volonté. On évoque aussi des « abus » du côté des heures supplémentaires par des enseignants qui se font payer ces heures alors qu’ils en donnent relativement peu selon leur contrat.
136Le CA propose de revoir l’échelle des traitements en tenant compte des différences selon les facultés : en droit et lettres l’enseignement demande d’y consacrer tout son temps, et les enseignants n’ont pas d’autres ressources que leur traitement pour vivre et élever leur famille, qui compte la plupart du temps beaucoup d’enfants, alors qu’en médecine (malades) ou en sciences (expertises) les enseignants peuvent avoir d’autres sources de revenus. On choisit par ailleurs de ne conférer à la plupart des maîtres que le titre de chargés de cours ou maître de conférences, moins rétribués et de « n’accorder le titulariat, avec les avantages particuliers attachés aux chaires proprement dites, qu’à ceux d’entre eux qui se seront rendus dignes par des talents éprouvés et par les services rendus ». En outre, les traitements ne sont pas excessifs et suffisent souvent à peine à assurer une existence convenable aux professeurs ; il paraît « donc très difficile d’amoindrir les situations qui leur sont faites et qui pour la plupart sont garanties par des traités plus ou moins formels ». Et si l’on veut des hommes de valeur il faut « accuser par un traitement convenable la dignité de leur position ».
137Une autre solution proposée est d’employer surtout des professeurs ecclésiastiques auxquels on peut assurer des traitements moins importants qu’aux professeurs laïcs, de confier aussi des services comme celui des finances à un ecclésiastique qui aurait son logement à l’université et se contenterait d’une rétribution modeste, en laissant des tâches subalternes à un auxiliaire. On remarque qu’une partie du clergé trouve excessifs les traitements accordés aux professeurs ecclésiastiques qui s’élèvent à 4000 F/an, auxquels s’ajoutent 1000 F d’indemnité logement, alors qu’un prêtre ne touche ailleurs que 2000 F70. Ne peut-on également faire des économies sur les frais généraux ?
138Ces problèmes déterminent les choix budgétaires et sont sources de quelques litiges. L’un des plus importants est celui qui oppose le professeur Antoine Béchamp et les autorités académiques. Dès 1877 il estime que les promesses qui lui ont été faites ne sont pas tenues et que les choix ne permettent pas que soit donné en faculté de médecine l’enseignement de qualité souhaité, ni que l’on puisse s’adonner à une véritable recherche. Il veut davantage de collaborateurs de haut niveau, de laboratoires etc., et conteste certaines dépenses, en particulier celles qu’occasionnent les maisons de famille ou les dispensaires dont le coût risque d’amputer le budget réservé aux enseignements. Il s’oppose en cela à la majorité des membres du CA, qui y tiennent même si tout cela coûte très cher.
Le poids des maisons de famille
139La question des maisons de famille, idée fixe des Vrau, occupe une place importante dans les discussions du CA, quant à leur nécessité, leur coût, leurs installations, leur construction…
Nous sommes de plus en plus persuadés que l’institution des maisons d’étudiants est indispensable si l’on veut faire quelque bien et ne pas livrer à tous les hasards, à toutes les séductions une jeunesse inexpérimentée. Au point de vue des études comme au point de vue plus sérieux de la vie morale et chrétienne, il faut que nos jeunes gens soient non pas internés et traités comme des collégiens, mais soumis à une discipline qui leur laisse une honnête liberté tout en prévenant les écarts dans la mesure du possible. C’est le principe même sur lequel se pose l’organisation des maisons de famille, et je le répète nous devons y tenir. » (Hautcœur, 1879).
140Dès la rentrée de 1877, l’administration universitaire offre aux étudiants une installation de fortune dans quelques maisons de Lille : rue Négrier la maison Notre-Dame, rue des Tours la maison Saint-Eubert, façade de l’Esplanade, la maison Albert-le-Grand, rue d’Angleterre la maison Saint-Bertin et un an plus tard, rue de la Barre la maison Saint-Louis, qui ne renferment qu’un très petit nombre de chambres. Tout est encore improvisé, disparate, dispersé, inconfortable. Par exemple, la maison du 22 rue des Tours louée meublée, est en fait totalement inadaptée. Au départ, compte tenu du manque de moyens, on s’est empressé de saisir ce qui semble une aubaine. Mais rapidement sièges de velours, damas, canapés, bergères antiques et autres meubles d’époque ne résistent pas à l’occupation rien moins que paisible des étudiants. Lorsqu’il faut remettre la maison à son propriétaire celui-ci réclame 5500 F d’indemnité. C’est un don spécial, anonyme qui permet de couvrir ces frais. En outre, le comportement de certains étudiants qui, au départ, sont obligés de loger dans ces maisons lorsque leur famille ne réside pas à Lille, pose quelques problèmes disciplinaires qui amènent à supprimer l’obligation et à sélectionner les candidats.
141Ce sont les sœurs de Sainte-Marie d’Angers71, qui sont chargées de l’intendance de ces maisons, sous la direction d’un ecclésiastique. En 1884, elles acceptent d’envoyer huit religieuses en réponse à une demande de l’Université catholique « pour y être chargées de la dépense et de la lingerie ». Elles résident à la maison Albert-le-Grand. Elles ont également cette charge au Séminaire académique, et celle de la sacristie.
Les dispensaires
142Certains, dont toujours Antoine Béchamp, remettent également en cause l’ouverture des dispensaires. Derrière ceux-ci, on trouve surtout la volonté sans faille de Camille Feron-Vrau qui, outre les 200 lits de l’hôpital Sainte-Eugénie, veut avec le concours des sœurs de la Charité maternelle et des pères camilliens, ouvrir un dispensaire pour les malades non hospitalisés, lancer des consultations médicales et chirurgicales gratuites, des distributions gratuites de médicaments et permettre des hospitalisations gratuites de courte durée. Cette assistance médicale selon l’Évangile doit compléter pour les étudiants les bienfaits de l’instruction. Dans cet esprit, sont ouverts, dès 1877, les deux dispensaires Saint-Raphaël et Saint-Camille. La maternité de la Sainte-Famille, résultat aussi de cette générosité n’est pas une annexe de la faculté catholique mais elle s’y rattache par son école de sages-femmes, une des institutions les plus chères à Camille Feron-Vrau.
143Il faut rappeler qu’en cette fin du XIXe siècle se développe dans le Nord une main d’œuvre textile mal rémunérée et qui s’entasse dans des quartiers pauvres. Le taux de mortalité infantile y est très élevé. Outre les grandes épidémies, les enfants sont particulièrement victimes des maladies infectieuses, gastro-entérites, tuberculose, etc. Pauvreté, malnutrition, manque d’hygiène atteignent enfants et adultes dont les conditions de vie et de travail sont particulièrement difficiles. Le nombre de lits hospitaliers est particulièrement dérisoire, surtout en pédiatrie et la formation des médecins en ce domaine quasiment inexistante. D’où le bon accueil que reçoivent les projets portés par les fondateurs de l’Université catholique.
144Ces fondations, se traduisent assez rapidement en constructions nouvelles à proximité des installations du boulevard Vauban : Saint-Raphaël, desservi par les Filles de la Charité (consultations gratuites et distribution de médicaments aux indigents et maison de santé pour le traitement des femmes malades) et maternité Sainte Anne.
145Avec mère Saint-Paul72 et quatre sœurs auxiliaires qui lui sont envoyées de Lyon est créé un asile de femmes incurables, qui s’ouvre le 17 octobre 1877, dans une maison louée, 286 rue Notre-Dame, sous le vocable d’asile des Cinq-Plaies de Notre Seigneur. Très vite les locaux sont insuffisants et le cardinal Régnier presse l’achat d’un terrain et la construction d’un hospice boulevard Victor Hugo où l’on peut installer des malades dès octobre 1880. C’est aussi l’objet d’une importante participation, toujours aussi discrète, de Camille Feron-Vrau, tandis que des liens s’établissent entre l’asile et la faculté libre de médecine. Après la mort, en 1887, de leur fille Anne-Marie, âgée de 18 ans, qui s’est beaucoup occupée des Cinq-Plaies et s’est émue du sort des enfants du quartier de Wazemmes, ses parents offrent de consacrer la dot qui lui était destinée à la construction d’un hôpital pour enfants malades des deux sexes, contigu aux Cinq-Plaies, l’hôpital Saint-Antoine, sous la direction des sœurs franciscaines. Il est inauguré en 1890. La Faculté Libre de médecine en assurera le service médical et y donnera à ses étudiants l’enseignement clinique des maladies infantiles. Légalement, c’est la société civile de l’Asile libre des incurables qui reçoit les dons et gère les établissements fondés par mère Saint-Paul. Mais, au quotidien et en vertu d’un contrat passé avec les fondateurs, c’est la supérieure de la communauté qui assure la direction des deux œuvres, sur tous les plans. S’il y a parfois quelques tensions avec l’Université catholique, une réelle collaboration s’établit entre la supérieure, directrice de l’établissement, et le médecin-chef de l’hôpital. Le premier est Gustave Augier. Les soins infirmiers et les diverses autres tâches de la maison sont confiés aux sœurs à perpétuité. En 1894 la communauté compte 42 sœurs, jeunes pour la plupart. Ce taux de présence est maintenu pendant une cinquantaine d’années. Pour les aider il n’y a pas au début de personnel salarié, mais beaucoup de bénévoles, certaines dans le cadre du tiers-ordre franciscain. Elles rendent de grands services jusqu’à la guerre ainsi que les moins atteintes des personnes handicapées, nombreuses dans les tâches ménagères. Il n’y a à l’époque aucune aide financière. C’est la donation de la famille Feron-Vrau qui assure non seulement l’achat du terrain et la construction mais aussi le fonctionnement. S’y ajoutent les dons de catholiques lillois. En ses débuts, les consultations représentent l’essentiel des activités de l’hôpital, près de 20 000 en 1894. Elles sont gratuites et les médicaments sont distribués aussi gratuitement aux indigents.
146Ces choix qui ne concernent pas a priori l’Université catholique en tant qu’établissement d’enseignement supérieur, lui sont liés cependant par la vocation que ses principaux financeurs veulent lui donner, englobant formation scientifique, humaine, morale et spirituelle, et les liens qui s’établissent avec des enseignants de la faculté de médecine, plus soucieux pour certains de s’adonner à la charité qu’à la recherche, au grand dam du professeur Béchamp.
La bibliothèque
147Parmi les charges liées à l’enseignement, laboratoires, et équipements divers, il en est une essentielle, que certains trouvent d’ailleurs également trop lourde, c’est la Bibliothèque et son service. Il ne peut, en effet, y avoir d’université sans bibliothèque et les fondateurs s’en sont inquiétés avant même l’ouverture des premiers cours. Dès septembre 1874, un lot de 411 volumes est acheté. L’œuvre des vieux papiers joue un rôle primordial dans la constitution de ce premier fonds. Son but primitif est de revendre, au profit du Saint-Siège, vieux livres et vieux papiers qu’elle s’efforce de collecter. Mais, dans certains diocèses, elle s’est fixé des objectifs particuliers, par exemple au Mans, reconstituer la bibliothèque de l’évêché détruite par un incendie. À Cambrai et Arras elle propose d’aider à la constitution d’une bibliothèque pour la future Université catholique de Lille. C’est ainsi que des livres rares et précieux ont été acquis. Grâce aussi la générosité de catholiques, dont un registre garde la mémoire, le premier noyau est constitué. Spontanés ou provoqués par de fréquents appels ces dons se sont poursuivis régulièrement. Certains sont parfois considérables.
148La bibliothèque, installée rue Royale, sous la direction de l’abbé Frédéric Fuzet, compte déjà 37 000 volumes en novembre 1880. Une bibliothèque spécialisée en sciences et en médecine est également constituée, rue de la Barre, grâce à des dons. Elle rejoint la bibliothèque centrale installée dans ses nouveaux locaux, rue François Baës, dès 188173. Considérée comme le « Grand laboratoire général de toutes les Facultés, l’unique laboratoire des Facultés de Théologie, de Droit et de Lettres » elle est appelée à une croissance rapide. Elle compte 70 000 volumes en 1885, 140 000 en 1897, grâce au zèle de son premier bibliothécaire, l’abbé Thomas Bouquillon (1881-1885) qui a la réputation d’être un savant bibliographe, du recteur ou de l’abbé Chrétien Dehaisnes qui lui succède en 1885. Parmi les acquisitions de cette époque, le fonds qui reste sans doute le plus riche et le plus original est celui des livres liturgiques, Mgr Hautcœur ayant eu le souci de récupérer les livres monastiques menacés par la lutte contre les congrégations et les livres liturgiques que rend désuets la réforme du rituel romain74.
149La bibliothèque est, après la maison Albert-le-Grand, une des premières des constructions de la nouvelle université dans le quartier Vauban. Car les installations provisoires sont très vite insuffisantes et inadéquates.
Les bâtiments de l’Université catholique de Lille75
150On a envisagé dès la fondation de construire les bâtiments susceptibles d’abriter l’ensemble des facultés, et trois mois après l’inauguration solennelle de janvier 1877, Philibert Vrau achète, pour 880 000 F, 15 000 m2 de terrain, dans les nouveaux quartiers de la ville. Les projets à l’étude font entrevoir l’énormité des dépenses à venir. On prévoit en outre déjà l’extension de l’œuvre. Les achats sont faits par personnes interposées pour éviter que les vendeurs ne fassent monter les prix. Ces terrains sont parfois échangés pour constituer un ensemble homogène. Un premier ensemble forme un vaste quadrilatère entre le boulevard Vauban, les rues du Port, de Toul et François Baës76. Un second ensemble, moins vaste s’étend de l’autre côté de la rue du Port jusqu’à la rue Colbert, soit un total d’environ cinq hectares et demi sur lesquels s’élève bientôt un ensemble en style néogothique, reflet de l’esprit et des ambitions qui ont présidé à sa fondation.
Ressusciter l’ancien chapitre de la collégiale Saint-Pierre ?
151Mgr Hautcœur, prélat de sa sainteté en 1876, est un homme de tempérament, autoritaire et entier. Il a voulu une université « très romaine », ce qu’elle est, et il s’efforce de lui donner le caractère d’un centre de vie chrétienne, inspiré des abbayes du Moyen Âge. Il a même songé à y ressusciter l’ancien chapitre Saint-Pierre de Lille, fondé en 1065 et disparu à la Révolution77. Il travaille sur L’histoire de l’Église collégiale et du Chapitre Saint-Pierre de Lille78, qu’il publiera quelques années plus tard, et il entend restaurer l’Université médiévale, reprenant les traditions du chapitre qui, pendant plusieurs siècles, est à Lille un foyer de vie littéraire et artistique. Il est persuadé des bienfaits de la vie commune pour le clergé séculier et a écrit plusieurs articles à ce sujet dans la Revue des Sciences ecclésiastiques. La création de l’Université catholique lui offre une occasion idéale de réaliser un projet longuement mûri qu’il soumet aux enseignants qu’il recrute, et dont les archives de l’ICL conservent différentes versions. Il considère cela comme « une condition nécessaire de prospérité et même d’existence de l’Université catholique », allant jusqu’à envisager l’obligation pour les ecclésiastiques prétendant à une fonction quelconque à l’université de faire partie du collège et d’en accepter les règles, et s’attachant à codifier ce rêve de vie canoniale jusque dans ses détails pratiques. Celui-ci cependant ne connaît pas ne serait-ce qu’un début de mise en œuvre. L’importance qu’y a attachée Mgr Hautcœur subsiste seulement dans les armoiries de l’université dont le premier quartier est constitué des armes de l’ancienne collégiale Saint-Pierre. Toutefois « s’ils ont perdu le bénéfice de la vie commune, les prêtres attachés à la Catho ont souvent obtenu le camail que leur faisait miroiter le premier recteur ». Jusqu’à une date récente en effet, le recteur a continué de solliciter de leur évêque une nomination de chanoine honoraire de leur cathédrale pour les nouveaux professeurs titulaires. Quant à Mgr Hautcœur, à défaut de devenir le prévôt de ce chapitre collégial Saint-Pierre-en-l’Université dont il rêvait, il est choisi par le Saint-Siège, en 1913, comme le premier – et unique – prévôt du chapitre cathédral de Notre-Dame de la Treille.
Un ensemble néogothique
152Ce rêve de ressusciter les institutions médiévales se réalise cependant dans les constructions, avec le choix du style ogival de la première moitié du XIIIe siècle, à l’instar de la cathédrale ND de la Treille dont les travaux ont commencé au milieu du XIXe siècle. Il s’agit d’affirmer face à une architecture civile plutôt néoclassique, le caractère chrétien de l’édifice dans le contexte mouvementé des débuts de la IIIe République et de signifier, jusque dans les bâtiments, la fonction apologétique de celle-ci, « rempart contre la science athée contemporaine » (Pie IX).
153Ce choix ne facilite pas la tâche des maîtres d’œuvre : l’architecture gothique n’a pas laissé beaucoup de réalisations dans le domaine civil ; en outre le temps presse. Le baron Béthune d’Ydewalle (1821-1894), à la fois peintre, sculpteur et architecte, ardent défenseur de la Renaissance gothique en Belgique propose plusieurs projets, chaque fois remis en chantier par manque de réalisme. Cependant des négociations ont déjà été entamées avec un architecte valenciennois, Louis Dutouquet à qui est confiée la responsabilité des plans définitifs en juillet 1879. En fait il se contente de remanier les plans du baron Béthune, selon les vœux des responsables de l’université, sans remettre en cause la conception générale. Les bâtiments doivent refléter dans leur l’organisation la préoccupation du recteur d’une vie collégiale, tout en ménageant les besoins spécifiques de chaque unité. Pour cela on souhaite installer la faculté de théologie et le séminaire à proximité du palais académique et du chevet de la chapelle, pour y ménager le calme et le recueillement nécessaire au travail et à la vie spirituelle. La chapelle doit être ouverte directement au public pour ne pas perturber l’atmosphère de l’université. Cette exigence a été l’un des principaux éléments du débat avec le baron Béthune qui ne peut se résoudre à modifier l’orientation de la chapelle vers l’est, selon les principes de l’architecture sacrée. Dutouquet le fait en déplaçant le palais académique vers l’ouest, au centre du lotissement, sans maintenir la façade le long du boulevard Vauban. La chapelle, au portail ouvert sur la ville a un chevet orienté au sud-ouest, encastré dans le palais académique.
Cinquante ans de travaux
154Le projet est grandiose et son financement comme sa réalisation s’échelonnent sur une période d’une cinquantaine d’années au lieu des dix prévues au départ. Le premier édifice mis en chantier est la maison de famille Albert-le-Grand, qui accueille, dès l’hiver 1880-1881, les élèves du collège Saint-Joseph, puis le premier congrès eucharistique international en juin 1881. Les services généraux de l’université s’y installent également, avant que ne soit construit le bâtiment principal. Quelques cours y sont alors donnés. La maison Saint-Louis est construite en 1880-81 à l’angle du boulevard Vauban et de la rue du Port79. Ces deux édifices sont en briques rehaussées de pierres blanches et de décors néogothiques, avec une spécificité les colonnettes, et arcatures dues à l’architecte Henri Meurillon (1836-1894). La maison Albert-le-Grand s’inspire du style flamand de Bruges.
Hôtel académique : projets du baron Béthune. Plans et croquis
155La partie nord-est du palais académique, avec l’aile occupée par la bibliothèque, est achevée au printemps 1881, l’ensemble du bâtiment l’est en 1887. Il présente une imposante façade de 125 m, orientée nord-est-sud-ouest, étagée sur quatre niveaux, surmonté d’un toit très proche du type à mansarde. Elle « allie avec bonheur l’alignement vertical des fenêtres et des contreforts de pierre et le parti pris d’horizontalité accusé par les bandeaux de pierre qui séparent les étages » (J.P. Ribaut). La bibliothèque se distingue par ses deux rangées d’ouvertures géminées en arc brisé. Quelques années plus tard, la coupole de l’observatoire dominera le toit de ce côté.
156Dès avril 1881 est amorcée la construction de la faculté de médecine et pharmacie, au cœur d’un jardin botanique. Les travaux se ralentissent cependant quelque peu cette année-là pour reprendre à un rythme soutenu dès l’année suivante. La faculté des sciences est édifiée en 1883-84, la partie centrale du palais académique, avec la faculté de théologie, entre 1883 et 1885. À la rentrée 1885 toutes les facultés ont abandonné leurs bâtiments provisoires. Sans doute les deux ailes qui doivent abriter l’aula maxima et la chapelle sont-elles momentanément ajournées, mais « tout cela se fera en son temps. Nous l’attendons sans impatience. Au besoin les constructions actuelles seraient suffisantes pendant une longue période », commente alors le recteur. Les difficultés qui s’accumulent en cette période ne sont pas sans conséquences sur la politique immobilière. D’autres projets voient cependant le jour : la clinique Saint-Raphaël, achevée en 1889, et la maison Saint-Michel, boulevard Vauban, en 1893. Des murs de clôture sont érigés rue François Baës et rue du Port.
157Le matériau utilisé est la brique rehaussée de pierres blanches. La décoration riche et variée joue avec gargouilles, crochets, lèches, tourelles, balustrades ajourées, etc. différemment agencés selon les édifices. L’ensemble témoigne d’une grande homogénéité qui trouve sa source dans l’unité d’inspiration et que ne brise pas l’originalité de chaque bâtiment. Les progrès techniques ont été intégrés avec l’emploi du béton, et une ossature métallique. Ces principes modernes de construction, ainsi que les voûtes en briques pour séparer les étages ont rendu inutiles les contreforts saillants, non sans contrarier les administrateurs qui y voient une des marques essentielles du gothique. La faculté des sciences, ordonnée autour d’une cour intérieure rectangulaire et dans un style plus dépouillé, affirme une architecture plus élaborée que les autres bâtiments. « Elle se rattache directement au courant structuraliste gothique qu’avait contribué à développer Viollet-le-Duc, et qui devait préparer les constructions contemporaines » (MJ. Lussien-Maisonneuve). Quelles que puissent être les contradictions inhérentes au choix du style gothique en cette fin du XIXe, comme à celui d’une architecture typiquement religieuse pour une construction universitaire, la réussite en est incontestable et le jugement de l’historien Ernest Lavisse, observateur attentif de la vie universitaire dans la région septentrionale, en témoigne : « Tout cela forme un groupe important donnant la sensation de l’unité de l’ensemble, d’efforts variés se prêtant un secours réciproque, poursuivant le même but. Tout cela tient sa place sous le soleil, attire le regard, commande l’attention. La municipalité de Lille et l’État auront beaucoup à faire pour faire aussi bien »80.
158Par ailleurs, les travaux de construction de l’hôpital Saint-Antoine, sont confiés à un architecte roubaisien, Paul Destombes qui a édifié dans le département du Nord de nombreuses églises, des monastères et des écoles et l’asile des Cinq-Plaies. Achevé en 1891, l’établissement comprend deux bâtiments d’inégale importance et séparés d’une petite cour pavée : en bordure du boulevard, le bâtiment de l’internat et la conciergerie et, un peu en retrait, le bâtiment principal composé d’un rez-de-chaussée surélevé et orné d’un perron et d’un étage de combles à la Mansart. De la façade côté jardin se détachent deux ailes transversales destinées à recevoir les enfants malades. Cet édifice est greffé sur l’un des bâtiments des Cinq-Plaies comme pour signifier la commune destinée des deux œuvres81. Ces deux fondations ne grèvent pas alors le budget de l’Université catholique dans la mesure où la générosité des Vrau et Feron-Vrau y pourvoit.
Une institution d’Église née dans un contexte anticlérical
159L’université n’en est encore qu’à ses balbutiements, ses premiers locaux à peine inaugurés, que déjà, elle ouvre ses portes à une grande manifestation ecclésiale, en accueillant, en juin 1881, le premier congrès eucharistique international. L’idée n’est pas lilloise mais portée par une pieuse laïque de Tours, Émilie Tamisier (1834-1910) qui a déjà suscité de nombreux pèlerinages eucharistiques. Elle a gagné à sa cause Mgr de Ségur, prélat aveugle qui a introduit à Paris l’œuvre de l’Adoration nocturne. Le projet de ce congrès a pris forme, soutenu par Léon XIII, mais risque de ne pas aboutir faute de lieu, quand est émise l’idée de s’adresser aux Lillois. Ceux-ci ont depuis quelques années l’habitude du grand rassemblement que constitue chaque automne le congrès des catholiques du Nord et du Pas-de-Calais. Philibert Vrau donne son accord. La maison Albert-le-Grand, qui vient d’être achevée est disponible. Elle a déjà accueilli les élèves du collège Saint-Joseph chassés de leurs locaux après l’expulsion des jésuites et n’attend les premiers étudiants qu’à la rentrée. 70 chambres, des salles de réunion, une chapelle. Le succès dépasse largement les prévisions (363 participants, 100 en séances publiques le soir, quelque 5000 à Saint-Maurice). Les cérémonies ont lieu dans des églises de la ville (Sacré-Cœur, Saint-Maurice). L’Institut catholique prend aussi une part active à cet événement, par la participation de ses enseignants, administrateurs et même étudiants. Certains, comme l’abbé Pillet ou l’abbé Baunard, donnent des communications. Le chanoine Jules Didiot a été nommé vice-président du congrès. Si le Bulletin des Facultés catholiques de Lille, préoccupé surtout de sa raison d’être qu’est la souscription, ne mentionne pas cet événement en 1881, dès l’année suivante, il annonce la tenue du congrès d’Avignon et ainsi de suite. En 1910, à la veille du 30e anniversaire, l’événement est commémoré par l’érection d’une plaque dans la Chapelle de la maison Albert le Grand, aujourd’hui apposée dans le couloir du 60 bd Vauban.
160Cette manifestation ecclésiale est une des expressions de l’état d’esprit des fondateurs, sans l’ambition, la foi et la générosité desquels, rien n’aurait été possible. Prêtres et hommes d’œuvres, ils animent la vie diocésaine de la région. En France, à la différence d’autres pays où les universités catholiques ont été fondées par des ordres religieux, l’initiative en est revenue à des évêques, des prêtres et des laïcs, et le rôle de ces derniers a été essentiel. Quelques prêtres désireux de sortir la science théologique et ecclésiastique de la médiocrité dans laquelle elle s’enlisait : le chanoine Hautcœur a été l’un des aiguillons d’une opération que la volonté et le soutien des évêques de la province ont rendue possible. Surtout, leur ambition a croisé les projets de catholiques militants, persuadés de la nécessité d’un retour en chrétienté, soucieux de restaurer les valeurs chrétiennes par l’alliance de la monarchie et de l’Église contre une république laïque considérée comme un poison. Les cours libres lancés, la loi votée permettant d’avancer vers la création d’une université, ces laïcs ont estimé nécessaire de s’effacer alors, officiellement, devant l’épiscopat et de lui demander de prendre en main une tâche qu’ils ont accomplie jusque là à titre officieux. Des pétitions sont adressées aux archevêques de Cambrai et de Reims que l’on espère encore associer, et à leurs suffragants, soulignant la nécessité de la collaboration de tous les catholiques. Aux évêques désormais de prendre les mesures à cette fin et de nommer un recteur. Cette situation durera une centaine d’années, non sans difficultés parfois, tandis qu’on assiste à une certaine émancipation du laïcat, tant au sein de l’administration universitaire que du corps professoral.
161Il est une autre ambiguïté, née du contexte, qui a fait d’un enseignement supérieur officiel plutôt somnolent, mais ouvert par nature, une entreprise anticléricale et antireligieuse contre laquelle il faut ériger non pas une université libre mais une contre Université catholique. En Belgique, par exemple, la liberté de l’enseignement est partie intégrante de la constitution du jeune royaume (1831), constitution marquée par le catholicisme libéral et ultramontain qui a contribué à sa rédaction. En France, la liberté de l’enseignement supérieur s’est construite contre l’université napoléonienne, post-révolutionnaire et gallicane, dans un contexte de réaction monarcho-cléricale. Et il est vrai que la réaction anticléricale très rapide a renforcé cette notion de citadelle assiégée et marqué d’un esprit défensif les débuts de l’université lilloise.
162Le contexte de cette naissance, dont l’Université portera longtemps la marque, ne doit pas cependant cacher la réussite extraordinaire de cette création sans précédent dans une ville sans passé universitaire, une dizaine d’années avant que ne s’y installent à leur tour des facultés d’État, antériorité qui n’est pas sans conséquences sur leurs relations futures. Aux environs de 1885, tandis que ses principales constructions sont achevées, la Catho de Lille apparaît aux yeux de l’opinion nationale comme une réussite équivalente à celle de Louvain et, aux yeux des fondateurs des quatre autres universités catholiques françaises, comme un modèle inaccessible. L’archevêque de Reims qui a préféré se tourner vers Paris, dit son admiration, non sans peut-être quelques regrets, en pleine réunion du CA de l’Institut catholique de Paris en 1885. Cette admiration est partagée également par des universitaires tels Ernest Lavisse qui y voit un exemple vivifiant avec ses facultés et ses écoles. De fait la création de l’Université catholique de Lille est pour l’enseignement officiel un stimulant. Si Douai semble s’être alors contentée de ses deux facultés, droit et lettres, Lille passe à l’offensive et obtient, par décret du 12 novembre 1875, la transformation en faculté de plein exercice de son école de médecine ; la création de l’Université catholique qui, après hésitation, a elle aussi choisi l’implantation à Lille plutôt qu’à Douai et a concentré l’ensemble des facultés, est un argument en faveur du regroupement lillois des facultés : on ne peut sans réagir laisser se développer une institution rivale.
163Pourtant si les catholiques ont su rapidement tirer parti de la loi de 1875 et si souvent, dans le clergé et parmi les catholiques, on ne ménage pas les attaques contre l’université officielle et les doctrines matérialistes qu’on lui reproche de diffuser, il faut également rappeler que les premiers enseignants recrutés pour l’Université catholique ont été formés par l’Université de France et l’ont également souvent servie. Ils n’ont a priori aucune animosité particulière à son endroit mais souhaitent trouver dans la liberté et la religion le moyen de faire autrement et mieux qu’elle. Ils espèrent maintenir avec leurs collègues des liens fructueux sur le plan scientifique et n’estiment pas mériter d’être traités en parias. Il est vrai qu’en 1875, seuls les catholiques s’attachent à développer l’enseignement supérieur libre dans sa forme la plus haute de l’Université. Peut-être le développement d’autres universités libres face aux universités catholiques, à l’instar de ce qui se passe en Belgique ou aux États-Unis aurait-il permis aux universités catholiques d’être mieux respectées. Toujours est-il que la montée de l’anticléricalisme contrecarre l’essor qu’elles sont censées prendre sous un régime de liberté. Les embûches se multiplient au fur et à mesure que s’affirme la lutte antireligieuse et s’ajoutent aux difficultés financières auxquelles, compte tenu de l’ampleur du projet, il est parfois difficile de faire face. Pourtant l’institution, après avoir résisté à moult vents contraires semble, au tournant du siècle, sous le rectorat de Mgr Baunard, avoir atteint sa maturité et pouvoir envisager de nouveaux projets.
Notes de bas de page
1 Ce paragraphe emprunte aux travaux de Stéphane Irsay, Histoire des universités françaises et étrangères depuis les origines jusqu’à nos jours, éd. Auguste Picard, Paris, 1933 ; C. Charles et J. Verger, Histoire des Universités, Paris, PUF, 1994 ; Pierre-Henri Prélot, Naissance de l’enseignement supérieur libre : la loi du 12 juillet 1875, Paris, PUF, 1987. Pour la situation lilloise, voir Pierre Pierrard « Les origines de l’enseignement supérieur catholique à Lille », Ensemble, no 1, 1975.
2 Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne, Ardennes.
3 L’Université de Douai installée en 1562 et détruite en 1793, semble avoir détrôné, au XVIIIe siècle, au sein des Pays-Bas, celle de Louvain, mais celle-ci, au XIXe siècle, stimulée par la création du Royaume de Belgique (1831) bénéficie de l’union des catholiques et des libéraux. Dès 1834, les évêques de ce jeune royaume ont jeté les bases d’une Université catholique qui se réinstalle à Louvain l’année suivante.
4 P. Emmanuel d’Alzon (1810-1880) fondateur des augustins de l’Assomption (assomptionnistes).
5 Cf. Émile Lesne, Histoire de la fondation de l’Université catholique de Lille (1874-1877), Lille, 1927.
6 Expression utilisée par l’abbé Brette en 1872 au Congrès de l’enseignement chrétien.
7 Édouard de Laboulaye (1811-1883), député centre gauche de la Seine, professeur au Collège de France.
8 Cf. Philibert Vrau, 1829-1905, actes du colloque des 4 et 5 mars 2005, Université catholique de Lille. Textes réunis par Catherine Masson et Xavier Théry, Faculté libre de lettres et sciences humaines, Lille. Cf. aussi Louis Baunard, Philibert Vrau et les œuvres de Lille, La Bonne Presse, Paris, 1906 ; Louis Baunard, Les deux frères. Cinquante ans d’Action catholique dans le Nord, La Bonne Presse, Paris, 1910.
9 Mgr Henri Monnier (1820-1916), évêque de Lydda, auxiliaire de l’archevêque de Cambrai, le cardinal Régnier, depuis 1872. Il est réputé pour son ultramontanisme.
10 Sont membres de la commission Philibert Vrau, Camille Feron-Vrau, Gustave Champeaux – Sont membres de la commission Philibert Vrau, Camille Feron-Vrau, Gustave Champeaux, Henri et Paul Bernard, Auguste Scalbert, Gustave Théry, Louis Delcourt, le comte Jonglez de Ligne, le comte de Nicolaï, Charles Verley et Anatole de Caulaincourt, appartenant à l’aristocratie et à la haute bourgeoisie légitimiste et catholiques.
11 Le comte Anatole de Caulaincourt (1811-1896), de toutes les œuvres lilloises, joue un rôle important dans la fondation de l’Université catholique de Lille, contribue au recrutement d’étudiants venus de sa Normandie natale. Il est membre de la Société Saint-Vincent de Paul et du tiers ordre franciscain, président du Comité catholique de Lille.
12 Archives de l’usine Vrau, PC VIII, 3.
13 En faveur d’Arras, sa centralité, d’autant que l’on espère alors rassembler au-delà des deux départements du Nord et du Pas-de-Calais, le site de l’abbaye Saint Vaast, une riche bibliothèque…
14 Douai compte alors 25 000 h.
15 Hôtel de Wambrechies, futur évêché. Cf. Alain Plateau, « Une demeure au destin exceptionnel : le 68 de la rue Royale à Lille », Bulletin de la Commission historique du Nord, T. LII, 2005, p. 171-201.
16 Témoignage de la sœur de Philibert Vrau, en vue du procès de béatification, 21 décembre 1912. Arch. Vrau.
17 À peu près la population de la Belgique au moment de la création de l’université de Louvain.
18 Claude Arthaud (1845-1912), ami d’Ozanam, membre des premières conférences Saint-Vincent de Paul. Il est considéré comme fondateur de la faculté de droit dont il refuse cependant le décanat. Il y est professeur de droit romain jusqu’à sa mort.
19 Émile Vanlaer (1841-1916), avocat inscrit au barreau de Lille après des études de droit à Paris (1860-1867).
20 L’abbé Jude de Kernaëret († 1927) enseigne le droit naturel à la faculté de droit avant que son cours ne soit confié à Tancrède Rothe. Il reste peu de temps à Lille qu’il quitte pour l’Université catholique d’Angers où il est doyen de la faculté de théologie. Il lance en 1884 un groupe de pression, la ligue de la contre révolution, qui collabore avec Albert de Mun dans un projet de parti politique catholique ; il publie, en 1889, La vraie question, réflexions sur le centenaire de 1789.
21 L’abbé Augustin Sudre (1819-1903), lazariste, est depuis 1857 supérieur du grand séminaire de Cambrai, qu’il dirige d’une main de fer jusqu’en 1898.
22 Waddington, d’origine britannique et protestante appartient au centre gauche. Il tente plutôt de freiner l’essor des facultés catholiques.
23 Ce ne sera le cas qu’après la loi du 10 juillet 1896, les facultés d’État prenant conscience de l’intérêt et de la richesse de cette union en universités régionales.
24 En latin, Archigymnasium remplace Universitas.
25 Cités par É. Lesne, op. cit. p. 138.
26 Cf. Jean-François Condette, La Faculté des Lettres de Lille de 1887 à 1945. Une faculté dans l’histoire, Presses universitaires du Septentrion, 1999.
27 Louis Selosse (1850-1925), docteur en droit (1873).
28 Edmond Ory (1847-1936), de Nancy, que l’on convainc de renoncer à un projet de carrière de secrétaire général de préfecture.
29 Eugène Delachenal (1846-1906) avocat au barreau de Chambéry.
30 Tancrède Rothe (1852-1935), avocat au barreau de Valognes.
31 Constant Groussau (1851-1936) futur député.
32 Alfred Trolley de Prévaux (1849-1921), alors substitut à La Rochelle, professeur de droit commercial et maritime et de droit coutumier
33 Charles Périn (1818-1905), docteur en droit, avocat et économiste belge.
34 Hervé Lamache (1850-1896), alors secrétaire d’un avocat de Rouen, est le neveu de Paul Lamache professeur à la faculté de droit de Grenoble, fondateur avec Frédéric Ozanam et Lallier des Conférences Saint Vincent de Paul.
35 Auguste Béchaux (1845-1921), disciple de Le Play, membre correspondant de l’Institut, économiste.
36 Eugène Duthoit en 1925, cité par René Théry, « Deux longs règnes : Gabriel de Vareilles-Sommières, Eugène Duthoit », Ensemble, no 4, 1976 p. 219-227.
37 Cf. Jean-Claude Matthys, « Les débuts de la faculté catholique de droit de Lille, 1874-1894 », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, no 10-11, 1990.
38 Ni l’enseignement primaire, ni les très nombreuses religieuses enseignantes n’entrent à l’époque dans ce projet.
39 No 33, 13 août 1898, Archives centrales de l’Université catholique de Lille.
40 Auguste Charaux (1832-1912) occupe la chaire d’histoire et de littérature française jusqu’en 1907 et est doyen de la faculté des lettres de 1900 à 1903. Il y pourfend Voltaire et Rousseau. Tertiaire franciscain, il intervient dans de nombreux congrès franciscains ainsi que dans les Congrès catholiques de Lille. En 1888, il présente un rapport sur l’histoire du Tiers Ordre dans le diocèse de Cambrai., dont il souligne l’influence.
41 Le chanoine Mahieu en a fait le récit dans sa Vie de Mgr Baunard, recteur de l’Université catholique de Lille (1828-1919), de Gigord, 1924.
42 Aimé Witz (1848-1926), s’est trouvé à Lille le jour de l’inauguration de la faculté de droit et s’est présenté spontanément à Mgr Hautcœur. Jeune ingénieur d’origine alsacienne ayant opté pour la France, ancien de l’École centrale, il est prêt à préparer la licence et le doctorat ès sciences physiques afin d’enseigner les sciences appliquées. Il s’occupe par ailleurs d’une société de patronage de petits ramoneurs et enseigne le catéchisme. Il est à l’aube d’une belle carrière scientifique. Sa thèse de doctorat sur l’effet thermique des parois d’une enceinte sur les gaz qu’elle renferme, soutenue en 1878, lui vaut une renommée européenne.
43 Comme aujourd’hui sous le nom d’Hospice Stappaert.
44 J. Liefooghe et H. Ducoulombier, Histoire de la Faculté libre de médecine et de pharmacie de Lille, de 1876 à 2003, Presses universitaires du Septentrion, 2010, 552 p. « L’enseignement médical dans le Nord de la France avant la création des facultés de Lille » par Jean-Marie Mocq, Ensemble, septembre 1992, p. 143-156.
45 Mgr d’Hulst (1841-1896), fondateur et premier recteur de l’Institut catholique de Paris.
46 En 1858, la ville de Lille étouffe dans ses fortifications. Un décret impérial autorise l’agrandissement de Lille par annexion des communes de Moulins, Wazemmes et Esquermes et la démolition des remparts sud de la ville de Fives et le quartier Saint-Maurice (des Champs) sont intégrés également un peu plus tard.
47 Dans la région, des sœurs de cette congrégation hospitalière dont la tradition remonte au Moyen Âge ont déjà eu en charge, l’hospice Comtesse, l’hôpital Saint-Sauveur, l’hôpital de Seclin et l’hospice Gantois. Après les troubles révolutionnaires, la congrégation a été refondée à l’instigation de Mgr Giraud et reconnue par décret impérial en 1853. La commission des Hospices l’a chargée de l’hôpital Saint-Sauveur et de l’hospice Gantois.
48 Jules Didiot (1840-1903), originaire de Verdun, a étudié au séminaire français de Rome et au collège Capranica. Il a ensuite enseigné la philosophie et la théologie au grand séminaire de Verdun jusqu’à ce ses fonctions lui aient été retirées en 1870 par son évêque qui ne partageait pas ses opinions taxées d’ultramontanisme. Il collabore de longue date à la Revue des Sciences ecclésiastiques.
49 Thomas Bouquillon (1840-1902), alors professeur de théologie morale au grand séminaire de Bruges. Il enseignera par la suite à l’Université catholique de Washington (USA).
50 Aloys Florence (1842-1893), docteur de l’Université d’Innsbruck, alsacien qui a opté pour la France en 1870 et pris du service dans le diocèse de Paris
51 Frédéric Fuzet (1839-1915), historien, qui sera évêque de La Réunion (1887), de Beauvais, (1893), puis archevêque de Rouen (1899).
52 Cf. le document « Université catholique à Lille. Correspondance relative au collège théologique » dans lequel est consignée toute la correspondance concernant la faculté de théologie du 24 octobre 1877 au 15 décembre 1877 entre M. Hautcœur, le recteur d’Académie de Douai, Fleury, le ministre de l’Instruction publique, Brunet puis Faye), ACUCL (document originaire de l’Université catholique d’Angers).
53 Le groupement de trois personnes qui font cette déclaration subsiste au-delà puisque qu’à chaque vacance de l’une d’elles, le nom du remplaçant est régulièrement communiqué au recteur d’Académie. En 1944, ce sont G. Delépine, E. Duthoit, A. Gand.
54 Cf. Anne Buyssechaert, L’Institut Catholique de Lille, au regard du droit canonique et du droit français, master 2, Strasbourg, Université Marc Bloch, Faculté de théologie catholique, Institut de Droit canonique, déc. 2006.
55 La possibilité de demander la reconnaissance d’utilité publique au gouvernement est reconnue par l’art. 11 de la loi de 1875, mais subordonnée à une autorisation législative par la loi du 12 mars 1880.
56 Henri Bernard, négociant, Paul Bernard, propriétaire, Louis Charles Anatole de Caulaincourt, propriétaire, Louis Jules Elisée Cavrois, ancien auditeur au Conseil d’État, propriétaire, Louis Delcourt, filateur, Camille Feron-Vrau, filateur, Alexandre Jonglez de Ligne, ancien auditeur au Conseil d’État, propriétaire, comte de Nicolai, propriétaire, Jean-Baptiste Scalbert, banquier, Gustave Théry, avocat, Charles Verley, banquier, Philibert Vrau, filateur.
57 Société prévue pour 30 ans, puis par périodes de 10 ans renouvelables indéfiniment.
58 À chaque vide à combler au CA, le membre élu sera membre de plein droit de la société civile ; on ramène à quinze le nombre des membres du conseil ; trois membres de la commission permanente, élus chaque année seront parmi les sociétaires de la société civile ; le nombre des administrateurs de société civile est réduit à trois ; le commissaire rapporteur de la société civile sera le rapporteur de la commission des finances et l’AG de la société civile se tiendra chaque année à l’issue de la séance de novembre du conseil.
59 Gustave Théry à la commission du 2 août 1875. Il est le fils du député du Nord Antoine Théry.
60 Philibert Vrau, Camille Feron-Vrau, Gustave Champeaux, Henri et Paul Bernard, Auguste Scalbert, Gustave Théry, Louis Delcourt, le comte Jonglez de Ligne, le comte de Nicolaï, Charles Verley et Anatole de Caulaincourt.
61 Proyart vicaire général d’Arras, Van Drival de Cambrai, Bafaleur, archiprêtre doyen de La Madeleine, Poulet, doyen de St Étienne, Hautcœur, recteur de l’Institut, Oresve, supérieur du SAC, les supérieurs des séminaires d’Arras et de Cambrai, les supérieurs des petits séminaires de Cambrai, Arras, Hazebrouck, Boulogne, les supérieurs des collèges libres (St Jean Douai, ND Valenciennes, ND Dunes Dunkerque, St Joseph Lille, ND Boulogne, Marcq en Barœul, St Bertin à St Omer), le supérieur général de la Congrégation de St Bertin, l’abbé Dennel, archiprêtre doyen de St André Lille, le chanoine Dehaisnes, les pères Boulanger prieur op, Singler, sj, deux professeurs désignés par leurs collègues : Vareilles-Sommières pro-doyen de la faculté de droit et abbé Orhand, professeur de littérature.
62 É. Lesne, op. cit. p. 139.
63 Henri Bernard, Verley, Vrau, Cavrois, Champeaux, Scalbert, Van Drival.
64 Aujourd’hui Vues d’Ensemble. Cf. Jean-Pierre Ribaut « Un miroir de la vie universitaire : le BFCL, 1879-1979 », Ensemble, 1979.
65 Cf. Livre d’Or de l’Université catholique qui publie ces listes à la fin de l’année 1877.
66 Cf. Rapport au Congrès des catholiques du Nord, 1878, Mgr Baunard, Les deux frères, op. cit. p. 229.
67 Cf. C. Masson et X. Théry, op. cit.
68 En moyenne 16,2 % du chiffre d’affaires entre 1870 et 1914.
69 Cf. Ci-dessous visite de C. Feron-Vrau en 1907 avec Mgr Baunard à Mgr Delamaire.
70 Clergé concordataire jusqu’en 1905.
71 Congrégation hospitalière dont les origines remontent au XVIe siècle et dont l’histoire se confond jusqu’au milieu du XIXe siècle avec celle de l’hospice général de cette ville. Elles ont été introduites dans le diocèse de Cambrai par le cardinal Régnier, lui aussi d’origine angevine. Elles y ont fondé jusqu’à 25 établissements, écoles ou établissements à caractère social. Elles se sont mises également au service des établissements secondaires ou petits séminaire et même du diocèse de Lille entre 1913 et 1927. Ensemble, 1985, Jean-Pierre Ribaut et Michel Spanneut, p. 175-180.
72 Mère Saint-Paul (Pétronille Dougnon, 1835-1907), sœur franciscaine de la Propagation de la foi, petite communauté apostolique et missionnaire fondée en 1836 dans l’esprit de la fondatrice de l’œuvre de la Propagation de la Foi, Pauline Jaricot de Lyon. Il s’agit au départ d’aider les missions. Après des débuts difficiles leurs constitutions sont approuvées en 1862. Le but de la congrégation est d’étendre le règne du Christ par le témoignage d’une vie religieuse dans le monde, des engagements apostoliques adaptés aux temps et lieux de vie. La congrégation garde une vocation missionnaire spécifique et s’inscrit dans la spiritualité franciscaine. C’est dans cet esprit que sœur Saint-Paul, guérie en 1876 d’une maladie déclarée inguérissable par plusieurs médecins, a fait le vœu de se consacrer aux femmes incurables et handicapées mentales. Éconduite à Lyon puis à Paris, elle arrive à Lille où Mgr Régnier avalise avec enthousiasme son projet. Camille Feron-Vrau promet son aide.
73 La Bibliothèque centrale y restera jusqu’en 2007.
74 Certains de ces ouvrages ont été mis en valeur lors de l’Exposition « Psaumes, chants de l’humanité » Bibliothèque municipale de Lille, janvier-avril 2010. Le catalogue de l’ouvrage Psaumes, chants de l’humanité, sous la direction de Danielle Delmaire, Marie-Aurore Haingue, Cécile Martini, Jacques Vermeylen et Jean Vilbas, est paru aux éditions du Septentrion, 2010, 252 p.
75 Cette partie a été rédigée essentiellement à partir des articles de Marie-Josèphe Lussien-Maisonneuve « Fascination médiévale et Architecture de la « Catho », Ensemble, 1977, Jean-Pierre Ribaut, Ensemble, « La politique immobilière de l’Université » 1987, et « Les pierres parlent : chronologie et esprit d’une construction » dans Entre science et foi, une Université catholique, op. cit. p. 53 à 67, « Les églises paroissiales, XIXe-XXe siècles, Revue d’Histoire de l’Église de France, no 190, janvier-juin 1987. p. 77-85. Cf. également « La Catho à travers les cartes postales » par Jacques Liefooghe et Jean-Pierre Ribaut, Ensemble, Décembre 1995, p. 229-232. Les Facultés catholiques de Lille : Plans et vues des édifices élevés de 1879 à 1887, sous le Pontificat de Notre Saint-Père le Pape Léon XII, grand in-folio de 27 pages et 19 planches, Lille, 1887. Livret des Facultés catholiques de Lille in-8° de 200 pages et 16 planches hors texte, Lille, Impr. Danel, 1892. Une visite aux Facultés Catholiques de Lille Supplément à L’Illustré Soleil du dimanche, no du 29 octobre 1893, 12 p. ill. Vingt années de l’Université catholique de Lille, 1875-1895, L.M., 1895, grand in-8° de forme oblongue, avec de très nombreuses gravures et portraits. Auteur abbé Théodore Leuridan.
76 Aujourd’hui rue Norbert Segard.
77 Jean-Pierre Ribaut, « Un rêve médiéval de Mgr Hautcœur : le chapitre Saint-Pierre-en-l’Université », Ensemble, 1976 no 4.
78 Édouard Hautcœur, Histoire de l’Église collégiale et du Chapitre Saint-Pierre de Lille, 3 vol. 1896-1899, Lille, L. Quarré, Paris, A. Picard, 1515 p.
79 Qui a été remplacée depuis par un bâtiment d’architecture moderne, pour abriter l’école de service social.
80 Ernest Lavisse, « La question des universités : le transfert des facultés de Douai à Lille », Revue internationale de l’enseignement, no 15, décembre 1886, p. 473-493.
81 Ensemble 1990 no 2, Josette Huguet et Jacques Cousin, p. 71-86.
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