Introduction

1In fide ad scientiam. Le livre ouvert en 1874 pour les comptes-rendus du conseil d’administration porte la mention Fide et scientia, qui disparaît par la suite, sans que l’on puisse dater de façon certaine le glissement, vers la formule In fide ad scientiam, sans doute au début du rectorat de Mgr Lesne. Cette devise, qui résume bien l’ambition des fondateurs, couronne toujours le blason de l’Université catholique de Lille. Celui-ci, élaboré durant la période de fondation, met en relief le caractère à la fois universitaire et ecclésial de cette institution, la tradition dans laquelle elle s’enracine et la part prise par les deux provinces septentrionales, des Flandres et de l’Artois, dans sa création. Aujourd’hui la dimension européenne a remplacé cette évocation régionale du quatrième quartier. Dans le premier blason, l’écusson était accosté de deux palmes et surmonté de l’image de Notre-Dame de la Treille avec le vocable Sedes sapientiae, dont il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’il est celui de l’université de Louvain1. Un autre bandeau portait à l’origine la mention Universitas catholica insulensis mais, dès 1880, le mot Universitas, interdit par la loi, est effacé. Par la suite, c’est toute la mention qui disparaît.

2Cinq universités catholiques sont fondées alors à Angers, Lille, Lyon, Paris et Toulouse, expressions de la conquête de la liberté de l’enseignement supérieur, après celle des enseignements primaire et secondaire. Ces universités, nées dans le contexte particulier de la réaction monarcho-cléricale qui suit la chute du Second Empire, sont confrontées, avant même d’avoir le temps d’exister, à la montée d’un anticléricalisme militant qui renforce, dans ces toute jeunes institutions, le réflexe de citadelle assiégée. Dans ce contexte d’affrontements politiques et idéologiques et tandis que scientisme, libéralisme, rationalisme, anticléricalisme et autres formes de modernisme sont vivement condamnés par Rome, l’Université catholique est conçue et perçue comme un moyen de faire front aux attaques d’une laïcité antireligieuse. S’élabore alors toute une contre société chrétienne dans une France qui veut chasser Dieu, la religion et l’Église de toutes ses institutions et singulièrement des institutions éducatives. L’Université catholique a longtemps souffert, et souffre peut-être encore, de ce péché originel, lié aux conditions de sa naissance, « laborieuses, complexes, non dénuées de confusion »2. Elle a cependant continué à chercher, malgré les difficultés, à relever les véritables défis qui sont ceux de l’Université catholique qui est, « par nature et par définition, le lieu de résolution de la problématique entre la foi et la raison », la raison permettant à l’homme de recevoir le surnaturel et de comprendre la Révélation : symbiose de la culture et de la foi, dans la recherche de l’unique vérité, elle se veut au service d’une pensée libre, en vue de l’élaboration et de la transmission d’une culture unifiante au service de l’homme et de la société3.

3La mise en œuvre de cet ambitieux projet vise simultanément à pallier une certaine indigence universitaire tant sur le plan des sciences profanes que de la théologie. Il s’agit de résoudre le problème de la formation des clercs et singulièrement des maîtres de l’enseignement secondaire libre, mais aussi celui de la formation de professionnels chrétiens, médecins, ingénieurs et autres, compétents en leur domaine. L’Université catholique est au service des sciences sacrées, bien sûr, mais aussi des sciences profanes dont Vatican II rappellera qu’elles doivent se développer avec leurs méthodes propres au service des hommes et de tout le genre humain.

4La promotion d’un catholicisme intégral, tant au niveau de la pensée que de l’action, est le moteur des fondateurs, clercs et laïcs, qui n’ont ménagé ni leur peine ni leurs deniers pour que cette œuvre puisse voir le jour et durer. Cette préoccupation reste celle des recteurs et de nombreux acteurs de cette histoire, souvent à travers des vents contraires : le déploiement de l’Université catholique s’est trouvé plusieurs fois entravé tant par des contradictions internes que par les assauts de l’extérieur, dans une société en voie de sécularisation.

5Au moment où elle fêtait son 125^e anniversaire en 2002, l’Université catholique de Lille a déjà jeté un regard sur son passé et publié quelques pages de cette histoire, lançant un défi à quelque historien pour une vaste synthèse de ce riche cheminement4. Je ne sais si le présent ouvrage répond à ce défi, la synthèse étant difficile lorsqu’il s’agit d’une institution si riche et diverse dans ses composantes, si éclatée parfois qu’il a quelque gageure à vouloir intégrer toutes ses facultés, écoles et instituts au sein d’une seule histoire. Mais il est vrai que les transformations de 1973, au-delà desquelles nous n’irons pas dans cet ouvrage, ont reconnu, dans la mise en place d’une fédération, tout à la fois cette diversité et cette unité.

6Dans une démarche chronologique, nous suivrons cette institution, son dynamisme et ses crises, avec le fil rouge de sa fidélité à son idéal de formation de la jeunesse, du service de la société et de la proposition du message évangélique, le fil rouge aussi de cette exploration courageuse et difficile des richesses de la Révélation et de la nature, afin que l’effort combiné de l’intelligence et de la foi permette aux hommes d’atteindre la plénitude de leur humanité, comme y appellera encore Jean-Paul II dans sa constitution apostolique Ex corde ecclesiae, en 1990.

7Les sept chapitres ponctués par les deux guerres mondiales, retracent cette histoire à travers trois grandes périodes, le temps des fondateurs, le temps des crises et remises en cause et celui d’une refondation. Le temps des fondateurs met particulièrement en scène les figures de quelques ecclésiastiques dont Mgr Hautcœur qui fut le premier recteur. Mais rien n’aurait été possible sans le soutien de tout un peuple catholique entraîné par quelques personnalités. Les noms des « deux frères », comme on les appelle alors à Lille, Philibert Vrau et Camille Feron-Vrau, restent aujourd’hui encore attachés à cette œuvre. Après ce temps et celui de quelques tensions internes qui ont failli remettre en cause l’œuvre tout entière, vient celui de la maturité, sous les rectorats de Mgr Baunard et de Mgr Margerin : cette maturité se traduit tant dans le personnel de la Catho, ses programmes et ses initiatives nouvelles que dans ses murs fièrement élevés dans le quartier Vauban. Mais la Première Guerre mondiale éclate avant qu’elle ait pu se déployer totalement. L’arrêt de la construction des bâtiments en est le symbole. Si l’institution semble ensuite s’épanouir entre les deux guerres, sous le rectorat de Mgr Lesne que caractérisent quelques belles réussites et une montée régulière des effectifs, des doutes surgissent cependant. Dès l’origine, des écoles sont nées en lien avec les facultés. Mais très vite les difficultés de ces dernières, dues en particulier aux conditions d’examen, mettent en cause leur survie même, tandis que se développent des écoles : ceci maintient, voire augmente, les effectifs sans cacher pour autant la grande misère des facultés. Des difficultés financières récurrentes s’ajoutent aux tensions internes et remises en cause fondamentales, tandis que l’Église procède à son aggiornamento avec le concile Vatican II et que la société française est bouleversée par les événements de mai 1968. Ceux-ci accélèrent le processus de réforme et c’est à une véritable refondation que l’on procède en 1973, en transformant cette institution hiérarchique et centralisée en fédération d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, non sans quelques acrobaties pour répondre aux exigences romaines quant au caractère d’Université catholique. Au terme de cette évolution s’ouvre une nouvelle page de cette histoire qui reste à écrire avec, en 1979, la nomination d’un premier recteur laïc. La Catho prend alors un nouvel essor.