1Afin d’analyser la position de Maurras vis à vis à la notion de race, il paraît nécessaire de la replacer dans le contexte scientifique de son temps, et plus précisément d’éclairer ses relations avec une nouvelle science qui s’est institutionnalisée et a pris place dans le paysage intellectuel français fin de siècle, l’anthropologie raciale. Le terme de « race » étant éminemment polysémique, l’étude de la vision maurrassienne des origines nationales nous permettra de mieux préciser le sens que Maurras lui attribuait. Enfin, nous verrons comment, dans un contexte marqué par l’affirmation des thèses raciales pangermanistes puis nazies, Maurras s’est refusé à faire de la race le facteur central de l’histoire et de la géopolitique de l’Europe.

Maurras et l’anthropologie raciale

2Lorsque Maurras commence sa carrière de journaliste à Paris à la fin des années 1880, l’anthropologie raciale est alors une science qui a réussi son institutionnalisation et prit place au sein du paysage intellectuel français. Sous l’égide de Paul Broca, une société, une école d’anthropologie ont été créées, des revues, des ouvrages ont été publiés et connaissent alors un assez large écho dans la société fin de siècle1. On comprend aisément pourquoi la rencontre n’a pas eu lieu entre cette anthropologie raciale qui s’inscrit dans les milieux républicains et le jeune Maurras qui, dès son arrivée à Paris, se place dans le sillage de Le Play et commence à collaborer au quotidien catholique L’Observateur français. La suite de son itinéraire intellectuel dans les années 1890 accentue son éloignement des réseaux de l’anthropologie raciale de Broca et de ses disciples, une anthropologie marquée par une tradition républicaine progressiste, matérialiste et anticléricale.

3L’autre tendance de l’anthropologie raciale, cette fois-ci chrétienne et monogéniste, représentée par le protestant Armand de Quatrefages, professeur au Muséum d’histoire naturelle, ne semblait pas plus favorable à une rencontre. Je n’ai retrouvé qu’une allusion à Quatrefages dans les écrits de Maurras. Lorsqu’il évoque les origines des Prussiens, Maurras cite l’étude de Quatrefages et souscrit à l’idée d’une « nature allemande » qui s’enracine dans le temps et explique les atrocités commises par les Allemands durant la Première Guerre mondiale2.

4Il est une autre composante de la pensée raciale de cette seconde moitié de XIX^e siècle qui aurait pu séduire Maurras, celle qui prend source dans les premiers écrits de Gobineau au milieu du siècle et qui connaît un renouveau notable à partir de la seconde moitié des années 1880 sous la plume et le compas de Georges Vacher de Lapouge. Cette pensée caractérisée par une idéologie conservatrice et aristocratique présentait plus d’affinités avec les milieux de l’Action française. Elle a effectivement exercé une certaine attraction sur la jeune équipe de l’Action française du tournant des XIX^e et XX^e siècles, une revue alors ouverte aux théories nationalistes les plus anticonformistes, se tournant vers Nietzsche, la libre pensée, malmenant le christianisme3. Jacques Bainville a ainsi été séduit par l’ouvrage de Lapouge l’Aryen son rôle social que l’auteur lui a envoyé : « Pour les doctrines que l’Action Française a pour objet d’élaborer, il n’y a guère, je crois, paru dans l’année d’ouvrage scientifique qui ait plus d’importance que celui de M. de Lapouge. Aussi la congrégation des mystiques et des idéologues s’est-elle acharnée sur l’Aryen. […] M. de Lapouge doit continuer la lutte contre le néo-obscurantisme. Et peut-être lui sera-t-il donné de voir un jour, comme il l’a prédit, nos modernes idéologues, acculés par la science, s’enfermer avec les derniers cléricaux dans la forteresse du christianisme, pour résister à l’assaut des impitoyables réalités4 ».

5Les deux hommes échangent quelques lettres entre avril et juillet 1900. Bainville s’intéresse aux difficultés professionnelles de Lapouge5, lui demande si son cours et ses recherches à Montpellier ont été suspendus, s’il connaît des « exemples d’attentats contre la science commis par les fanatiques des utopies révolutionnaires », « s’il y aurait avantage à les dévoiler6 ? ». Il envisage de publier quelques pages dans le journal nationaliste populaire, Le Dimanche littéraire. Dans un second courrier, Bainville se déclare catholique et demande à Lapouge sa position7. Il est probable que ce soit les positions de Lapouge, athée et anticlérical virulent, darwiniste convaincu qui ait empêché un rapprochement plus étroit des deux hommes. Leur correspondance s’interrompt8. Vacher de Lapouge n’a collaboré qu’une seule fois à L’Action française sous la forme d’une réponse à l’Enquête sur le protestantisme. L’anthroposociologue liait le protestantisme à la race dolichocéphale blonde et déclarait que personnellement, il avait la même antipathie pour les deux cléricalismes9. L’intérêt pour la pensée de Lapouge semble avoir pris fin rapidement et Maurras y a lui-même personnellement contribué. Il déclara avoir mis en garde Bainville sur la théorie du surhomme et sur les « rêveries de race pure » qui pouvait le tenter10. Le matérialiste darwinien et anti-clérical de Georges Vacher de Lapouge ne pouvait séduire le monarchiste rallié à l’Église catholique11. Si la pensée de Gobineau n’était pas entachée des mêmes maux que celle de Lapouge, elle comportait pourtant un autre élément repoussoir qui éloigna Maurras de cette veine. Maurras rejeta catégoriquement cette doctrine d’un « élève de l’Allemagne » qui voyait dans les Germains « la fleur des races européennes » et qui avait « échafaudé sa thèse sur des hypothèses » à partir de « données obscures, incomplètes », s’appuyant sur des « sciences bégayantes12 », il déconseillait « ce nid de cercles vicieux et de pétition de principes13 ».

6Il est une autre raison qui peut expliquer cette si faible présence de l’anthropologie raciale dans les écrits de Maurras. L’écrivain reste en dehors de la grande fascination qu’éprouve la communauté intellectuelle fin de siècle pour les sciences naturelles, il demeure à l’écart de cette pensée naturaliste qui a séduit et influencé les écrivains, philosophes, philologues, historiens du XIX^e siècle, Renan, Taine, Fouillée mais aussi Barrès. Maurras demeure avant tout un littéraire, un poète plus fasciné par la littérature, l’histoire des civilisations que par les sciences naturelles. Il ne manifesta donc pas d’intérêt particulier pour l’anthropologie physique. J’en ai retrouvé peu de traces dans ses écrits et ses activités. Stéphane Giocanti signale toutefois que lors de son voyage en Italie en 1897, il visite le Musée d’anthropologie et d’ethnologie de Florence guidé et enchanté par celui qui l’a fondé, l’anthropologue Paolo Mantegezza14. S’il apprécie Jules Soury15, ses théories physiologico-psychologisantes semblent avoir eu moins d’influence que sur Barrès16.

7Si on veut aller plus loin pour comprendre les conceptions raciales maurrassiennes, il est nécessaire de mobiliser ses écrits concernant la question des origines nationales, d’aborder sa vision de « l’ethnogenèse » de la nation française. Comment la nation française s’est-elle formée, quelles sont ses composantes raciales et culturelles ? C’est une thématique qui passionne la communauté intellectuelle de cette fin de siècle et Maurras cette fois-ci n’y échappe pas.

Maurras et la « race française » : ethnogenèse de la France

8Tandis que la communauté intellectuelle célèbre les vertus des Celtes et fait remonter le génie de la France à ses ancêtres gaulois, Maurras se distingue en refusant de faire leur apologie et en préférant valoriser l’apport romain. Si Maurras ne succombe au « mirage celtique », c’est parce que ces Celtes sont des hommes du nord, des barbares venus de régions nordiques et sauvages dont les origines sont proches de celles des Germains honnis et bien loin des lumières de la civilisation latine. « Comment trouverait-on l’origine de notre race dans ces tourbillons de peuplades sorties des forêts et des marais du nord-est et qui paraissent comme les avant-coureurs de l’invasion des Germains ?17 ». Si Maurras n’adhère pas au mythe gaulois, s’il ne glorifie pas les ancêtres celtes, il leur concède une place, qui aurait été difficilement niable, dans les origines nationales. Il reconnaît que l’élément celte est aux côtés de l’élément romain l’une des principales composantes du « type français18 ». Mais il ne leur accorde qu’un rôle modeste dans cet apport racial. Les Celtes furent peu nombreux dit-il et il se réfère à d’Arbois de Jubainville pour estimer leur présence à environ le dixième de la population de la Gaule19.

9Comme ses contemporains, Maurras attribue trois couches principales et successives à la « race française ». La première est constituée par une population indigène dont il ne précise ni l’origine, ni les caractéristiques. La deuxième constitué par l’apport celte, la troisième, la plus importante, la plus déterminante, à ses yeux, c’est la composante romaine : « Les Romains apportèrent en Gaule précisément ce qui manquait le plus aux peuples divers englobés sous le nom de Gaulois, la pensée et l’art de l’organisation ». De ces trois couches successives est née le gallo-romain, un alliage considéré par Maurras comme heureux : « Le composé gallo-romain avait déjà tout son essentiel : la sensibilité généreuse, vive, rapide (élément gaulois, si l’on veut) et le sens organisateur, à la romaine. […] L’héroïsme gaulois joint au génie politique et militaire de Jules César constituent les fondements de la nationalité française20 ». « De cette population indigène unie aux conquérants et colons venus d’Italie se dégage un type nouveau, un type fixe, que rien depuis n’a entamé. C’est le Gallo-latin21 ». Maurras insiste sur l’importance de ces trois premières composantes : « Au V^e siècle, le Français était né. Ni l’invasion franque, ni l’invasion normande ne lui ajoutèrent de traits bien originaux22 ». Ce Gallo-romain dit encore Maurras « a résisté au normand, comme il a tenu tête au Goth et au Franc, il a gardé sa langue. Il l’a imposé aux vainqueurs comme ses institutions municipales et politiques, sa littérature et ses goûts23 ».

10Maurras est ensuite confronté à l’encombrant héritage Franc. Comment va-t-il l’aborder ? Le nier ? Impossible pour le monarchiste Maurras car il est trop lié à la monarchie française. Le glorifier ? La germanophobie de Maurras l’interdit tout autant. S’il est difficile pour Maurras de dénigrer l’apport germanique, il n’est pas question pour autant de faire des rois de France des purs descendants des Germains. Maurras relativise l’apport germain en soulignant encore une fois l’apport gallo-romain. « La race des Capétiens » est issue de la « fusion des Francs et des Gallo-romains24 », « une aristocratie peut être formée de sangs assez divers et, ce nonobstant, accomplir toutes les fonctions les plus hautes, si d’autres conditions s’y prêtent favorablement. Il y a aux débuts de l’histoire de France une aristocratie franque, une aristocratie scandinave, une aristocratie gallo-romaine, de toutes les trois, la première et la dernière, ont concouru à l’admirable système féodal ». « C’est à la troisième race des rois de France, les Capétiens que commence la grandeur de la France. D’où viennent-ils ? Germains ? Gaulois ? On n’en sait rien25 ».

11Maurras refuse la thèse des « diviseurs », celles des historiens romantiques ou républicains (Michelet, les frères Thierry, Henri Martin) qui ont dressé deux Frances l’une contre l’autre, deux classes, deux races, la noblesse d’origine germanique et le peuple aux ancêtres gaulois, il juge cette thèse qui « perpétue la haine », « dangereuse26 ». Pas question d’adhérer à cette thèse des deux France, pas question non plus d’adhérer aux thèses assez répandues dans l’historiographie française qui juge décisif l’apport culturel des invasions germaniques. Contre une tradition bien établie de Renan à Guizot, Maurras refuse de voir l’ordre féodal arriver des forêts de Germanie grâce une « poignée de Francs ». Si l’ordre était germain ou Franc, pourquoi les autres pays colonisés par eux n’auraient-ils pas eu des institutions analogues à celle de la grandeur française ? Et l’histoire de l’Allemagne n’aurait pas été cette longue et interminable anarchie. Maurras s’en prend au germanisme de Gabriel Monod qui diffuse sa germanophilie dans les plus hauts lieux de l’enseignement et il trouve le secours de Fustel de Coulanges27

12Dans le troisième chapitre de Devant l’Allemagne éternelle, Maurras cite longuement Fustel. Selon ce dernier, le système féodal ne trouve pas son origine dans les institutions germaniques mais dans celle de la Gaule romaine, les Germains n’ont pas réduit la population gauloise en servitude et les Gaulois n’ont pas été traités comme une race inférieure. L’historien insiste sur la fusion des deux races, distinctes à l’origine, mais que les mariages rendirent au bout de quelques générations difficile à distinguer. Au VII^e siècle, peu d’hommes étaient de pur sang gaulois ou germanique. L’apport de sang germanique fut très modeste, à l’exception du nord-est. Dans la majeure partie du territoire, la langue, la religion, le droit, les institutions sont restées latines et les Gallo-romains ont conservé leurs terres et leur vie raffinée. Il n’a pas eu non plus comme certains l’affirment régénération d’une société corrompue28.

13L’ethnogenèse maurrassienne se construit ainsi sous l’influence des positions idéologiques de son auteur. En raison de son lien avec la monarchie française, Maurras ne peut en exclure les Francs, il ne renie pas l’apport germain mais insiste sur la fusion et surtout à l’aide de Fustel en relativise l’apport. S’il refuse d’adhérer au mythe gaulois pourtant si vivace à l’époque, s’il se refuse à mettre en avant le glorieux héritage celtique, c’est parce que fasciné par la civilisation gréco-romaine, il préfère célébrer l’apport romain. Maurras se pose en défenseur enthousiaste des races latines, dans un contexte idéologique marqué par l’affirmation de la supériorité des races du nord, non seulement sous les plumes des pangermanistes mais aussi sous celles des intellectuels américains et anglais qui cèdent à « l’anglo-saxonisme » en célébrant la branche considérée comme la plus dynamique des Germains, la branche anglo-saxonne29.

14On trouve des positions similaires chez des maurrassiens. René Johannet s’appuie également sur Fustel de Coulanges, rejette Gobineau et Lapouge et ne conçoit le celtisme que comme romanisé30. Jacques Bainville est aussi très proche dans son analyse du peuplement de la France et fait la part belle à l’influence latine31.

Représentations essentialistes

15Sa vision des origines nationales nous montre que Maurras conçoit bien l’existence d’une « race française » dont il a décrit les composantes indigène, celte puis et surtout latine. Le terme de race n’est donc pas pris au sens culturel puisqu’il lui donne des fondements biologiques, il évalue la proportion de sang fourni par chacun de ses éléments, tout comme les caractéristiques culturelles qui lui sont attachées. Certes, à la différence d’un Ribot ou d’un Taine, il ne se passionne pas pour l’anatomie et la physiologie des races. En revanche, il participe, en homme de son temps, au paradigme qui fonde les particularités culturelles sur des spécificités biologiques, notamment la configuration du cerveau. S’interrogeant sur le succès de l’anarchisme en Italie, Maurras écrit : « C’est un espèce de paradoxe. C’est un scandale ethnographique. Il est paradoxal et il est scandaleux que des cerveaux latins puissent une seul instant s’arrêter à une conception qui est bonne à exciter l’encéphale amorphe et rudimentaire d’un Kropotkine ou d’un Bakounine32 ».

16De même sa germanophobie est essentialiste, les caractéristiques culturelles des Allemands sont innées, elles se perpétuent depuis des siècles. Il dénonce le « mal de l’Allemagne éternelle, celui qui fut propre à tous les peuples allemands, à toutes les époques de leur histoire », cette « race ombrageuse et lourde, d’esprit personnel et jaloux, remplit le Moyen Age de luttes contre la plus auguste expression de l’unité chrétienne », cette « force bute », cette « sauvagerie innée » qui provient « des instincts de la chair et du sang allemands33 ». Il adhère à l’idée d’un « caractère national et natif […] inscrit en chacun de nous34 ». Ce caractère national, il convient de le préserver : « quelques personnes d’élite peuvent aspirer légitimement à être incorporées à nos traditions et greffées au vieux tronc de l’histoire de France » mais « la naturalisation, simagrée administrative, ne peut changer les corps, ce n’est pas un acte de mariage qui peut modifier les profondeurs de la nature originelle35 ».

17Pourtant, Maurras se refuse à faire de la race le facteur central de l’histoire et de la géopolitique de l’Europe. « La race au sens physique est un grand sujet de sourire. Je crois qu’on lui donne une importance démesurée », avant de poursuivre « mais je crois […] qu’il y a une race française36 ». En 1899, dans son Enquête sur la monarchie, il précise : « Pratiquement, comme scientifiquement, la Race apparaît en facteur général qu’il faut considérer. Il est trop mal connu pour servir à fonder une loi quelconque, mais il fournit le thème d’observations physiques et morales que la politique utilise37 ». En 1904, il écrit : « Race en biologie est par exemple extrêmement éloignée de correspondre à race en histoire ou en politique. La race historique ou nation a des analogies avec la race biologique. Mais que de différences !38 »

18Il est clair que sa germanophobie a renforcé sa volonté de se démarquer d’approches trop biologisantes. Alors que les approches naturalisantes ne cessent de prendre de l’importance dans la vie intellectuelle allemande pour culminer par le racisme exacerbé des nazis, Maurras entreprend de s’en démarquer très nettement. Il faut, dit-il, dans les années 1930, détruire le préjugé qui consiste à expliquer « tous les faits historico-politiques par l’âme et le génie des races » « Certes, il y a bien des races ! Certes chacune a bien son âme, son génie, mais la race n’est point tout, il y a bien d’autres facteurs, et la constitution de la nature humaine, ses traits essentiels et ses grandes lignes, ne sont peut-être pas les plus négligeables de ces facteurs tant négligés. C’est une merveille, en effet, de voir l’homme, à quel type qu’il appartienne, une fois qu’il est placé dans une certaine situation, réagir uniformément, quel que soit le temps, le lieu, la couleur de la peau et réaliser avec une constance parfaite à peu près le même type de constitution sociale ! On croyait autrefois la féodalité européenne un fait unique, comme il est d’ailleurs un fait original, dans l’histoire. Mais point du tout. On a trouvé les principaux airs de la vie féodale dans l’ancienne Grèce, dans l’Inde moderne, au Japon »39. Victor Nguyen signale que le texte de l’article de la Gazette de France du 26 mai 1895 a été amputée d’une petite phrase « Et moi aussi je suis raciste » lors de sa transcription pour le dictionnaire40. Évoquant la « civilisation latine » et l’« esprit latin », Maurras précise qu’il ne les comprend pas « dans le sens boche, comme une parenté physique et unité ethnique ou matérielle » mais comme une « parenté de langues », une « identité d’éducation et de tradition41 ».

19Cette volonté de se démarquer de l’Allemagne hitlérienne a été aussi au cœur de son argumentaire antisémite. On connaît la distinction qu’il fit entre l’antisémitisme allemand dont il expliquait la « tradition de brutalité » par les fondements biologiques de la notion de race, par l’idéologie de la race pure et un antisémitisme français à qui il déniait son caractère raciste en raison de son absence de fondements biologiques : « En pleine occupation, nous avons publiquement dit au professeur anthropologue et philoboche Montandon que nous n’étions pas pour la petite sauce raciste de son « antisémitisme de peau ». Il ne s’agit pas de dire « Mort aux juifs » qui ont droit à la vie comme toutes les créatures mais : « À bas les juifs » parce qu’ils sont montés trop haut chez nous. Notre antisémitisme d’État consiste à leur reprendre et à leur interdire ce qu’ils ont pris de trop et en premier lieu, la nationalité française, alors qu’ils en ont une et indélébile, et qu’ils gardent toujours en fait. Qu’elle leur suffise donc ! Elle eut ses gloires et elle vient de récupérer un beau territoire au Proche Orient […]42. »

20Laurent Joly a pourtant montré que Maurras et ses compagnons de l’Action française adhèrent pleinement à une conception naturalisante de la judéité et qu’ils soutiennent que l’hérédité raciale, en assurant la transmission des caractères intellectuels et moraux, rend le Juif inassimilable. Cette déclaration de Maurras au début de l’Occupation en témoigne : « J’ai vu ce que devient un milieu juif, d’abord patriote et même nationaliste, quand la passion de ses intérêts proprement juifs y jaillit tout à coup : alors, à coup presque sûr, tout change, tout se transforme, et les habitudes de cœur et d’esprit acquises en une ou deux générations se trouvent bousculées par le réveil des facteurs naturels beaucoup plus profonds, ceux qui viennent de l’être juif43 ».