Introduction

1C’est autour de la personne de Charles Maurras que l’Action française se développe à partir de l’affaire Dreyfus. Cette forte personnalité est, à l’évidence, centrale dans le mouvement qu’elle informe, au point d’avoir donné son nom à une doctrine : le maurrassisme. À l’occasion de son jubilé littéraire, en janvier 1937, un auteur de la Revue universelle avance même que « la personnalité de Maurras déborde et de beaucoup le “maurrassisme”1 ». Cette appréciation mérite discussion.

2Le fait est que l’Action française a bénéficié, en son temps, d’une audience certaine et qu’elle suscite, aujourd’hui encore, une abondante bibliographie2. Beaucoup se sont déterminés par rapport à elle. Certains se sont formés politiquement en son sein et l’ont suivie plus ou moins longtemps ; d’autres ont trouvé dans ses publications un intérêt intellectuel ; d’autres encore l’ont combattue. Elle a joui d’un prestige indéniable, le terme étant entendu ici au double sens du mot : celui, moderne, d’attrait, d’ascendant, d’influence ; mais aussi celui, classique, de prestigium, celui d’une illusion, dénoncée comme telle par ses adversaires ou par quelques épigones qui, déçus, ont rompu avec elle.

3Une des raisons majeures de l’audience de l’Action française réside dans le fait quelle a de multiples facettes et qu’elle se manifeste sous diverses formes : elle est tout à la fois une ligue, une revue et un quotidien ; elle publie des almanachs ; ses thématiques sont relayées et répandues par des revues alliées ; elle a un Institut et un bras armé : les Camelots du roi… Loin donc de se réduire à la figure de son principal animateur, ce que l’on nomme maurrassisme paraît excéder largement la pensée de celui qui fut l’un des plus farouches opposants à la République, ne serait-ce qu’en raison de la diversité et du nombre de ceux qui ont fait leur un corpus d’idées tôt fixées et qui les ont diffusées, interprétées, dépassées.

4Dans la mesure où le maurrassisme est un objet pluriel, il est redevable d’approches variées et requiert des regards multiples pour aller au-delà de l’analyse de thèmes politiques et idéologiques connus et reconnus comme récurrents et obsessionnels. En 2007, le premier colloque de la série3 a montré quels étaient les héritages refusés ou revendiqués par l’Action française, la réceptivité plus ou moins grande à ses thématiques dans certains milieux sociaux ou religieux et dans différentes régions. L’étude de quelques canaux de diffusion de la doctrine a également permis de mesurer l’étendue et les limites d’une influence, soumise à des concurrences et à des dissidences. Ce colloque a donc conduit à des confirmations et à des révisions. Ainsi a-t-il été noté qu’une des césures majeures dans l’histoire du mouvement paraît, à bien des égards, ne pas être 1926 mais se situer en amont de la condamnation pontificale. En outre, certains groupes sociaux se révèlent, à l’analyse, moins sensibles aux thèses de l’Action française qu’on pouvait le croire a priori.

5En 2008, une deuxième rencontre intitulée Charles Maurras et l’étranger. L’étranger et Charles Maurras4 a permis notamment d’expliciter les relations qu’entretiennent le doctrinaire et ses interlocuteurs étrangers, de mieux connaître la variété des usages du maurrassisme selon les pays et, surtout, de préciser le caractère sélectif des diverses réceptions de la doctrine. On notera que c’est une semblable étude des réceptions et des interprétations qui est également privilégiée dans trois autres colloques menés dans le même temps, le premier consacré à Jacques Bainville, le deuxième à Maurice Barrès, le troisième à Georges Valois.

6Un des acquis des précédents colloques réside dans le constat d’un écart entre le poids de la ligue sur le terrain strictement politique – le « coup de force » n’est pas réalisé-et le magistère intellectuel de Charles Maurras, qui est avéré. Dans l’Action française le projet culturel est central ; le maurrassisme, au-delà même de la connaissance précise de l’œuvre de son initiateur, connaît une influence diffuse qui dépasse le mouvement proprement politique.

7Ce troisième colloque, plus spécifiquement consacré au maurrassisme et à la culture, aux liens entre politique, philosophie et esthétique, s’est tenu en mars 2009 ; il embrasse une période qui va de la « Belle Époque » aux années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Les entrées proposées sont de nature variées. Sont d’abord étudiés des acteurs individuels, pour l’essentiel écrivains et publicistes. On a pris soin de les choisir parmi les figures incontournables de l’histoire du maurrassisme et ce, en tenant compte des générations successives (Jacques Bainville, Léon Daudet, Louis Dimier, Henri Massis, Thierry Maulnier) mais aussi d’étudier des sympathisants moins connus (Louis Reynaud) ou des adversaires (André Gide). Les acteurs collectifs sont largement présents. D’abord, par le biais des Camelots du Roi, dont l’importance se mesure au-delà de leurs actions, par le fait qu’ils deviennent des personnages de romans ; mais aussi par l’examen nourri de certaines revues qui ont un lien ou plus ou moins étroit avec l’Action française : la Revue critique des idées et des livres, L’Indépendance ou la Revue universelle. L’histoire culturelle et politique proposée ici donne toute sa place aux sources imprimées et aux analyses considérées comme nobles – par exemple la critique de la philosophie kantienne pendant la Grande Guerre ; mais elle entend aussi mettre en lumière d’autres textes issus de la nébuleuse maurrassienne mais jusqu’alors délaissés. Ainsi, les analyses proposées de certaines chroniques du quotidien, celles de la vie ordinaire-de la cuisine, de la mode-, dont la futilité n’est qu’apparente, permettent d’appréhender le maurrassisme sur un mode renouvelé et inédit et de reconsidérer la question de ses vecteurs de pénétration et d’influence.

8Il reste cependant à considérer le cas Maurras lui-même. Si le maurrassisme dépasse sa personne et son œuvre propre, il ne saurait être question de les évacuer de l’analyse. Eu égard à l’importance de l’historiographie disponible, le choix a été fait ici de s’attacher à des domaines jusqu’alors un peu délaissés et de mettre l’accent sur la relation de Maurras à l’histoire (de l’Antiquité à Jeanne d’Arc) et à la littérature (de Rousseau à Chateaubriand). La célébration de l’Antiquité par Maurras, une Antiquité mythifiée, socle de son « nationalisme intégral », et son anti-romantisme sont ici avantageusement revisités à la lumière d’une approche croisée d’historiens du politique, du culturel et de l’art. Ce détour par le « maître de Martigues » ramène au collectif. Le colloque de 2007 avait souligné toute l’importance que revêtait l’histoire dans la culture maurrassienne ; la période postérieure à la Deuxième Guerre mondiale montre que cette tradition trouve des relais et se voit non sans succès réactivée. Par ailleurs, les notions de « classicisme réactionnaire », d’« art national », d’anti-romantisme,-illustrées notamment par la thèse de Pierre Lasserre en 1907-, sont au cœur des analyses des maurrassiens même si l’interprétation du classicisme souffre parfois de certaines discordances.

9Ce troisième colloque reprend donc quelques-unes des pistes empruntées précédemment ; d’autres sont ouvertes, qui devront être suivies. Ici encore, ont été sollicités, qu’ils viennent de France ou de l’étranger, des historiens et des historiens de l’art5, des politistes et des germanistes, des littéraires, des sociologues et des musicologues. Tant il est vrai que le maurrassisme relève, nécessairement, d’une histoire qui est, de façon indissociable, politique, sociale et culturelle.