1Georges Calzant est l’un des principaux leaders de l’Action française dans l’entre-deux-guerres. Son parcours peut-être divisé en trois parties. Au temps d’un militantisme juvénile succède dans les années trente celui d’une œuvre de direction structurelle au sein du mouvement. La Libération ouvre une période axée sur l’édition et le travail de mémoire.

2Fils d’un instituteur, Georges Calzant naît le 24 septembre 1897 à Saint-Martin-le-Beau en Indre-et-Loire1. Après des études au lycée de Tours, il s’engage le 2 août 1914. Ayant pris part aux principaux combats et sorti blessé du conflit, il reçoit la croix de guerre. Il poursuit ensuite ses études à la Faculté de Droit de Paris. Licencié en droit, il obtient un diplôme d’études supérieures économiques et sort diplômé de l’École libre des sciences politiques. Il s’inscrit au barreau en 1921. Il se marie le 16 octobre 1929 à Marguerite Lemoine, peintre dont il n’aura aucun enfant.

3Les années 1920 correspondent pour lui au commencement d’une longue carrière comme militant d’Action française. Membre des Étudiants d’Action française en mars 1920 quand il entre en contact avec Maurras, il anime rapidement le groupe dont il devient le secrétaire perpétuel en 1924. Cette charge le met en contact avec les différentes sections régionales, qu’il visite et avec lesquelles il entretient des correspondances suivies. Entre 1932 et 1936, il est secrétaire général des Camelots du roi. Il entre ensuite comme rédacteur à L’Action française et devient l’avocat du journal monarchiste.

4Il renoue avec les temps de l’affaire Thalamas quand, en 1925, il mène bataille au Quartier latin contre Georges Scelle, professeur de droit international public nommé par François-Albert. Organisant batailles, manifestations et cortèges contre le professeur, Calzant déclenche une grève des étudiants qui, partie de Paris, s’étend aux reste des villes universitaires françaises. Le 11 avril, Scelle démissionne.

5En 1926, dans le contexte de la crise avec le Vatican, toutes les organisations d’AF envoient au souverain pontife une lettre de soumission filiale ; Calzant, fortement impliqué dans cette affaire, rédige celle des Étudiants d’AF. La même année, il se retrouve au cœur des tensions entre l’AF et le Faisceau de Georges Valois, ancien maurrassien exclu de la Ligue en 1925. Une expédition punitive de militants de l’organisation fasciste se rendant en novembre au bureau de l’Action française, Calzant, présent, se défend au revolver. Le 27 novembre 1931, les Camelots interviennent contre une réunion pacifiste organisée au Trocadéro par Louise Weiss ; une bagarre éclatant dans la salle, Calzant est expulsé par les gardes républicains.

6L’émeute du 6 février 1934 révèle cependant que ce « Peter Pan camelot »2 est devenu l’un des hommes d’appareil du mouvement. Aux côtés de Maurras, il est accusé d’immobilisme par toute une jeunesse plus révolutionnaire. En effet, introuvable durant l’émeute, de même que Maurice Pujo, il ne fait aucun effort concret d’organisation et de direction dans la révolte. Cette opposition entre la troupe des Camelots et ses chefs trouve une nouvelle occasion d’expression en 1935 quand 97 signataires d’un long mémoire, derrière Jean Filliol, accusent Pujo, Calzant et Réal del Sarte de laisser le mouvement dépérir. Aussitôt exclus, ces protestataires rejoindront en nombre les rangs de la Cagoule.

7Avec Maurras et Pujo, il dirige en septembre 1934, dans un contexte de tensions accrues avec le Prétendant, une croisière en mer de Sicile en l’honneur du jeune prince, le comte de Paris. L’année suivante, il accompagne Maurras dans son premier voyage en Algérie pour y visiter les sections d’AF dans les principales villes.

8Dans la débâcle du printemps 1940, Calzant participe à l’exode de l’Action française. La Ligue quitte Paris en même temps que le gouvernement, le 10 juin 1940. Réfugié à Limoges, Calzant fait partie de l’équipe rédactionnelle qui relance le journal le 1^er juillet suivant. De juin à août 1942, il y racontera cet exode en 13 articles.

9L’Occupation donne à Calzant les moyens d’un véritable déchaînement antisémite. Comme l’écrit Eugen Weber, « c’était un exemple précis où la coïncidence de leurs haines avec celles des Allemands laissaient les membres de l’Action française sans remords. »3 Le terme est sans doute fort. En effet, cette convergence sur l’antisémitisme n’empêche pas l’hostilité traditionnelle de ces maurrassiens envers l’Allemagne, avivée par l’Occupation, de s’exprimer de manière feutrée. Si l’AF accepte la politique de collaboration de Pétain, elle semble le faire par pétainisme et non par collaborationnisme. Une hostilité anti-allemande, certes mise en sourdine, continue d’irriguer les discours des maurrassiens. L’hostilité envers Laval l’illustre. Ainsi Calzant, très proche de Maurras et l’un des principaux dirigeants de la Ligue, sert-il d’intermédiaire entre le maître et Pétain. Selon André Lavagne, chef du cabinet civil du Maréchal, il apporte directement à Pétain l’opinion du maître, notamment son hostilité envers Laval et la politique européenne nazie4. Cette hostilité serait patente également dans les réunions que Calzant aurait tenues en zone libre, notamment dans l’Hérault, à l’hiver 1943-1944, où il aurait répété les directives de Maurras sur la Milice et l’incompatibilité de celle-ci avec l’Action française5. Ces agissements expliqueraient que Calzant, avec Pujo, est arrêté par la Gestapo le 22 juin 1944. Incarcéré au fort Montluc, il est relâché le 10 juillet grâce à une énergique protestation de Maurras qui demande à prendre leur place.

10Après la Libération, si l’on reprend la dichotomie entre « vieux Romains » et « jeunes cyclistes »6, signalée par Jean-Pierre Azéma pour les « années noires », il est évident que Georges Calzant appartient à la première catégorie. Il s’engage alors dans une longue aventure éditoriale. Après avoir rédigé clandestinement les Documents nationaux, il crée les Éditions du Midi où il publie Vérité et La seule France. Le 10 juin 1947, il fonde, aux côtés de Pierre Boutang et de François Daudet, Aspects de la France, qui reprend le flambeau de l’Action française. En 1950, il inspire, avec Pujo et Maurras, la fondation de la « Restauration nationale », renaissance du mouvement d’AF après la guerre, à Pierre Juhel et Olivier de Roux. Il en est l’un des membres actifs.

11Cette période éditoriale est également celle d’un fort engagement auprès de Maurras, alors incarcéré. Calzant est de ceux qui militent, sans plaider cependant, pour obtenir la révision du procès de 1945 et la libération du maître. Il participe à la rédaction du mémoire accompagnant la requête auprès du garde des Sceaux. Avec François Daudet, il entame une démarche auprès du ministre de la Justice pour obtenir l’élargissement de Maurras et son transfert dans une clinique où il le conduit avec Jacques Maurras en mars 1952. Là, il lui rend visite chaque semaine et l’invite avec sa femme dans sa propriété de Ballan. La santé de Maurras se dégradant, il lui propose d’enregistrer un message sur un disque, à l’intention du congrès de la Restauration nationale du 15 novembre suivant. Maurras décédé le 16 novembre, Calzant prononce un discours à ses funérailles.

12Commence alors un travail pour la mémoire du maître. Dans les colonnes d’Aspects de la France, il se pose en défenseur d’une orthodoxie maurrassienne contre les expériences plus novatrices que Pierre Boutang, ayant quitté Aspects en 1954, propose dans la Nation française. Dans le numéro d’Aspects du 18 septembre 1959, faisant suite au fameux discours sur l’«autodétermination », il demande le renvoi du général de Gaulle devant la Haute Cour pour viol de la Constitution. Poursuivi par cet article, il comparaît devant la 16^e chambre correctionnelle le 13 juillet 1960 et est condamné à 2000 F d’amende.

13En avril 1960, il fonde les Cahiers Charles Maurras, « lieu de culte »7 maurrassien. Cette revue trimestrielle publiera de nombreux documents relatifs à Maurras ainsi que des analyses souvent partisanes.

14Georges Calzant meurt le 28 juin 1962 à la maison de santé chirurgicale d’Issy-les-Moulineaux. Le parcours de l’homme peut surprendre. Dans l’histoire de l’Action française, les compagnons de route et les dissidents semblent retenir plus la mémoire que les maurrassiens les plus fidèles. Bourget, le royaliste à distance, Bainville, le diplomate germanophile, Valois, le syndicaliste répudié, Bernanos, les jeunes révolutionnaires que séduira le nazisme, évoquent l’Action française sans s’y enfermer vraiment. Calzant appartient à l’autre catégorie, celle des hommes de plume et d’idées qui dédièrent en partie leur vie au mouvement et à son maître, sans jamais faillir à leur fidélité. Daudet, Pujo sont de ceux-là. Calzant, moins connu, des années 20 aux années 60, fut l’un des collaborateurs les plus proches et les plus engagés auprès d’un Maurras qu’il appellera toujours son « cher Maître ».

Lettres de Georges Calzant à Charles Maurras (1920-1952)8

15Les dix lettres présentées ci-dessous sont tirées de la correspondance Georges Calzant du fonds Charles Maurras conservé aux Archives nationales. Ce dossier contient environ soixante-dix lettres, ainsi que des documents divers, adressés à Maurras entre 1920 et 1952, année de la mort du maître. Cette correspondance décrit le parcours d’un homme dont le destin se confond avec celui du mouvement maurrassien. On parlerait d’homme de parti si l’AF en avait été un. Il fut incontestablement un homme d’appareil, animé d’une admiration fidèle envers le maître de la Ligue.

1. Cette lettre est apparemment la première que Calzant écrit à Maurras. Il s’agit d’un cas typique d’entrée en contact d’un jeune étudiant avec le maître à penser de l’Action française. Les archives Charles Maurras révèlent en effet quantité de courriers analogues depuis la naissance de la Ligue. Cette lettre amorce tout de suite la relation entre les deux hommes. Maurras répond deux jours après au jeune disciple pour le remercier de ce « touchant hommage » et lui proposer de remplacer le livre en question.9
Paris. 20 mars 1920
Monsieur et Cher Maître
J’ai un remords. Il y a huit jours de cela, je fis la découverte d’un livre avec dédicace de vous à Henry Cellerier10.
Je l’achetai, heureux de cette rare aubaine. Puis, méditant sur le pauvre sort des bibliothèques dispersées chez les bouquinistes, je songeais qu’il était bien triste de voir l’amitié décelée aux profanes alors que Montaigne, La Fontaine, en ont fait quelque chose de si délicat et de si intime. Et le scrupule me vint qu’il était impudique de regarder ce qui n’était pas fait pour moi.
Cependant le bonheur de posséder La Politique religieuse11 dédicacé par notre maître était si grand que j’hésitai.
C’est fait maintenant. Le livre est à votre disposition, il ne m’appartenait pas, ce n’est donc pas une restitution, mais un témoignage que vous voudrez bien accepter de la respectueuse amitié d’un Étudiant d’Action française.
G. Calzant.

2. Cette lettre de 1927 montre l’engagement du jeune secrétaire des Étudiants d’AF, promu à ce titre en 1924, dans la propagande de la Ligue, ici autour de la mort de Philippe Daudet. Le fils de Léon Daudet entre en effet dans la mythologie de l’Action française quand, le 24 novembre 1923, il est retrouvé mort d’une balle à la tête. Séduit par les thèses anarchistes, Philippe Daudet est un adolescent instable, en butte au milieu familial et animé d’un véritable désir de fuite. Il envisage de partir pour le Canada, d’assassiner Poincaré, Millerand ou son père. Le suicide est ainsi l’explication la plus vraisemblable de sa mort soudaine. Léon Daudet et l’AF récusent cette théorie et lui opposent la thèse de l’assassinat par les ennemis politiques de la Ligue. L’affaire, portée devant les tribunaux par la famille, est classée en septembre 1925, sans explication autre que celle du suicide.
[Lettre à en-tête « Café restaurant d’Orsay »]
28 sept. 1927
Mon cher Maître,
Nous parlions ce matin, Lecœur12 et moi du projet de manifestation à la tombe de Philippe Daudet.
Il le considère, à la date prévue (anniversaire de la mort le 24 novembre ou le dimanche suivant) comme très difficile en raison du cortège au cimetière de Vaugirard et de l’inauguration du monument de Berger13. C’est aussi la semaine du Congrès.
Voilà par contre qui me semble plus facile, il faudra en reparler devant Pujo, mais l’idée est à creuser je crois :
1- Pendant le mois de novembre, chaque jeudi après-midi des lycéens ou des étudiants iraient, chaque fois au nom d’écoles différentes porter des fleurs à la tombe puisque maintenant les parents ne le peuvent plus. Cela créerait un état d’esprit – que l’on peut prolonger tout le temps que Léon Daudet sera en exil14.
2- Quelques jours avant ou quelques jours après la réunion de rentrée (de préférence après), les étudiants d’AF iraient en cortège à la tombe de Philippe. Mme Daudet s’y trouverait. Il y aurait ainsi une sorte de journée Philippe Daudet. Messe le matin, cortège le soir, rien n’empêcherait les ligueurs de s’y joindre. Bien plus les présidents et les ligueurs venus au Congrès auraient remportés le mot d’ordre ; ils organiseraient par toute la France messes et réunions.
On peut broder sur ce thème, mais je crois qu’il serait assez bon.
Veuillez trouver ici, je vous prie, mon cher Maître, mes sentiments très respectueusement dévoués.
G. Calzant.

3. La lettre suivante illustre la question de la dissidence au sein de l’AF dans les années trente. Un grand débat y oppose en effet les militants les plus proches de Maurras, plutôt conservateurs et d’accord avec le maître pour donner la primeur de l’engagement nationaliste à la doctrine, et ceux, plus persuadés que le militantisme passe d’abord par l’action directe et la mise en place d’une organisation insurrectionnelle. Ces derniers, progressivement exclus de la Ligue, alimenteront plus tard les rangs de la Cagoule ou CSAR (Comité secret d’action révolutionnaire). La désorganisation de l’AF durant la crise du 6 février 1934 incarnera au plus haut point ces désaccords. Où l’on voit que Calzant fait déjà figure d’un homme de structure, partisan de l’ordre contre la révolution.
10 février 31
Cher maître,
Voici une réunion des Étudiants royalistes dans une salle beaucoup plus grande que celles qui étaient retenues précédemment, avec Fraguier et Ph. Besnard.
Le docteur [Monsaingeais] – qui est de nos amis (mais pas très immédiats) – a entendu lui aussi parler d’un banquet Guérin15 avec Fiessinger16. Comme on se rend compte que l’hostilité de l’AF les gênera considérablement, on gémit sur les malheurs du temps et on dispose les meilleurs à croire que le duc de Guise17 ne va pas tarder à arranger tout cela, car c’est en lui qu’est la solution.
J’ai vu Peyre aujourd’hui. Vous lui avez fait – permettez-moi de vous répéter ses paroles – une très forte impression. Pour le reste il est peu probable que nous en entendions parler avant quelque temps : je lui ai dit être indisponible la semaine prochaine et il prend ensuite un mois de vacances. Tout ceci, naturellement, m’a été dit par lui à titre très privé.
Très récemment, la semaine dernière je crois, les dissidents ont été reçus au Manoir d’Anjou : on m’a cité les noms de Chaboche18, Sévinchar, Maudet et Azéma19 – ces deux derniers étudiants, – mais il y avait d’autres personnes dont je vais chercher à savoir les noms. Le Prince aurait dit : « Enfin je vais avoir des troupes à moi. » Ceci doit être une blague, mais le proverbe dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu, le feu c’est l’entourage du Prince. Veuillez, je vous prie, mon cher Maître, trouver ici mon très respectueux dévouement.
G. Calzant.

Lettre de Georges Calzant à Charles Maurras, [s. l.], 18 juin 1949.

4. La lettre suivante n’est pas adressée à Maurras mais à une connaissance de Calzant. Elle illustre néanmoins la proximité de Calzant et de Charles Maurras. S’il ne peut lui rendre visite (seule la famille de Maurras est autorisée à le voir), il est constamment en contact épistolaire avec son maître détenu à Clairvaux, ce que la correspondance conservée aux Archives nationales atteste. Dans ce contexte de détention, on comprend l’intérêt de Calzant à éclairer les sentiments anti-allemands de l’homme qui en 1945 fut condamné à la prison à vie et à la dégradation nationale pour intelligence avec l’ennemi20.
Le 18 juin 1949
Mon cher ami
Voici les lettres dont Ch. M. me parlait jeudi. Je les avais remises à Jacques21, lui demandant de les montrer à son oncle.
Elles établissent les sentiments anti-allemands de Ch. M. (« Personne n’a moins d’illusions que moi sur ce chapitre-là ! » il s’agissait de Mein Kampf ; « ce que vous me dites j’ai tenté plusieurs fois d’en parler au public. Impossible ! C’était affreux » « J’ai demandé à le voir » (Giraud))
Et si quelque mauvais esprit, rappelant ses déclarations au procès (« il eut fallu que tout cela fut coordonné ») disait : cela était énoncé pour les besoins de la cause, il serait facile de lui répondre : pardon, cela était écrit dès le 27 décembre 1942 (« Tout provient d’une mauvaise mise en ordre des éléments en jeu : il y avait de grandes choses à faire. Mais pas ainsi ! »)
Les lettres authentifient l’un des innombrables et concordants jugements que Ch. M. prononça en public sur Laval22. Public restreint, bien sûr, encore convient-il de remarquer que le cercle des amis qui se réunissaient après le souper ne comprenait pas que des amis immédiats, mais, sans doute, des amis absolument discrets.
Ch. M. pensait que ces deux lettres pouvaient être utilisées dans le mémoire23. En raison de sa situation, nous ne pouvons pas divulguer le nom du correspondant, mais je crois que nous pouvons citer des phrases, rapporter les faits.
Je serai heureux qu’il te soit possible de me remettre la rédaction de Ch. M. sur ce point ; je l’intercalerai dans le reste du mémoire.
Présente, je te prie, mes respectueux hommages à Yvonne, porte mon dévouement à Clairvaux.
Et trouve ici toute ma vieille amitié.
G. Calzant
P.S. Ci-joints quelques crayons rouges. Je n’en avais pas porté jeudi car je n’avais pas le souvenir d’avoir vu Ch. M. en user.

5. En juin 1947, Georges Calzant fonde, avec François Daudet et Pierre Boutang, Aspects de la France et du monde, parution bimensuelle (elle devient hebdomadaire à partir de l’été 1948) reprenant le flambeau de la défunte Action française. De prison, Maurras y collabore sous pseudonyme. Ce carrefour de la droite littéraire et intellectuelle accueille les plumes de Maurice Pujo, Roger Nimier, André Fraigneau, Michel Déon, Xavier Vallat ou encore Michel Mourre. Calzant, comme le montre les lettres suivantes, tient son maître informé de la mise en place des numéros. Maurras intervient d’ailleurs directement dans la rédaction, conseillant son cadet sur certains sujets à traiter ou éviter.
Le 11 décembre 1951
Mon cher Maître,
Dans ma hâte, j’ai oublié de vous dire hier que je rétablissais dans Aspects de cette semaine24 votre précision sur les origines maternelles de Frédéric Plessis25.
P.B.26 que j’ai vu hier soir m’a dit qu’il vous avait écrit au sujet du « poule » Schumann27. Il vous a sans doute fait part d’un incident Isorni28. Celui-ci, au cours d’un dîner-compte rendu de mandat a déclaré que, tout pesé, il voterait le fameux Plan. Dans la salle, où se trouvait un bon tiers de nos amis, il y eut des protestations véhémentes – les gens de Rivarol et d’Écrits de Paris, plus spécialement convoqués par Isorni, ne réagirent pas. À la sortie, il y eut de nouvelles protestations. L’incident me fut rapporté samedi matin et immédiatement j’ai alerté et fait alerter par Juhel29 tous les amis possibles pour qu’ils téléphonent à Isorni leur indignation et pour qu’ils lui écrivent. Cela a été fait par plusieurs centaines (1).
Mais en même temps j’ai craint que P.B. ne se mette à profit de l’incident pour se livrer à sa familière manœuvre pro-gaulliste (le RPF vote contre le plan Schumann) en attaquant sur un ton trop violent, qui passe au-dessus de l’objectif, Isorni et tous les Paysans et Indépendants comme il lui est déjà arrivé de le faire.
J’en ai conféré avec Maurice qui a été de mon avis et il a été convenu qu’il rédigerait un filet sur l’incident où il mettrait les choses au point dans le numéro de la semaine prochaine.
Pardonnez-moi, je vous prie, mon cher Maître, de vous déranger peut-être avec le récit de cette histoire, mais j’ai pensé que si vous jugiez à propos d’intervenir, il fallait que vous soyez complètement informé.
Je vous prie, mon cher Maître, de trouver ici très respectueux et très dévoués sentiments.
G. Calzant.
P.S. Pour le cas où vous jugeriez utile de me faire téléphoner, je suis le jeudi matin à l’imprimerie Taitbout 70-8, poste 210.
(1) Je crois qu’Isorni est tenu par Queuille et aussi par Boutmy (du patronat).

6. En mars 1952, Charles Maurras obtient de Vincent Auriol une grâce médicale lui permettant de quitter l’Hôtel-Dieu de Troyes où il avait été transféré pour raison de santé, pour la clinique privée Saint-Grégoire à Tours. Cette grâce permet à Maurras de goûter à plus de liberté sans que la révision de son procès ait été prononcée. Les deux lettres suivantes montrent l’engagement de Calzant en la matière, comme ami, directeur d’un périodique, militant, et juriste.
Le 15 février 1952
Mon cher Maître,
Je vous remercie beaucoup des corrections de Dansette30 qui m’ont été remises hier. Je les ai données immédiatement à faire mais nous n’avons pu encore arriver à cet avant-dernier chapitre.
De renseignements obtenus mercredi et d’une visite que j’ai faite hier après-midi place Vendôme, voici où nous en sommes :
Le Conseil supérieur de la magistrature, qui ne s’était pas réuni la semaine précédente sur la demande du Garde des Sceaux d’accord avec Edgar [Faure], a examiné votre situation mercredi et a été favorable à votre élargissement.
Vincent [Auriol] acquiesce lui aussi à votre élargissement. Mais auparavant il avait convoqué le général Cochet qui est quelque chose comme président du « Comité d’action de la Résistance », (COMAR) lui demandant de ne pas faire de chahut si vous étiez élargi. L’autre a promis. Notre Vincent ne s’est pas contenté de cette précaution. Il demande qu’en même temps que vous l’on élargisse d’autres prisonniers âgés ou malades. La place Vendôme s’emploie à en trouver. Voilà où en étaient les choses hier à six heures. Je ne sais quel jour le décret à signer sera présenté à Vincent ; on nous a affirmé qu’au point où nous étions rendus, la chute possible ne changerait rien et qu’un Garde des Sceaux « expédiant les affaires courantes » présenterait aussi bien le décret à signer. On m’assurait également que la signature du décret pourrait intervenir d’ici une semaine31. Je voudrais être certain, connaissant les mœurs administratives, qu’il n’y a là nul optimisme. De toute façon nous touchons, je crois, à ce premier but. La notification du décret sera sans doute, pour aller plus vite, portée à Troyes par un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire venu de Paris32.
Il est tombé à Paris, hier en fin d’après-midi et cette nuit, beaucoup de neige ; cela me préoccupait pour votre voyage. Mais 1° elle ne « tient » pas, 2° nous sommes en décours de lune et la température doit aller s’abaissant jusqu’à la prochaine (le 25 février). Blouet33 – qui est le grand maître ici – ne tardera donc pas, je l’espère, à autoriser votre voyage. J’ai téléphoné avec lui hier et me suis déjà occupé d’organiser l’étape.
Ma femme a appris avec beaucoup de joie que vous aviez revêtu le costume civil, cela aussi était une étape !
Rencontré hier Susini (de l’affaire Worms-Thomas)34. Il nous a dit que Thomas avait fait pression sur sa complice [Arnis de Ferreire] et sur lui pour les amener à vous mettre en cause. Bien entendu, nous tâcherons de revoir Susini, grand garçon élégant, plus ou moins cinéaste, et sans doute resté aventurier, quoiqu’il en dise. Cela permettra peut-être d’ajouter un mot à votre 2^e lettre au P.G. de Lyon quand nous la publierons dans Aspects. Je songe aussi à votre lettre à Vincent35. Il y a un point sur lequel mon souvenir est imprécis : avez-vous assez insisté sur la Justice que l’on vous doit et surtout sur la révision ? Je vous demande de m’excuser d’insister sur ce point : la révision du procès de Charles Maurras n’est pas seulement l’abolition d’un décret de justice fait à un particulier nommé Maurras, même si, en le frappant, on a voulu se venger lâchement de tant de coups reçus, cette révision est aussi, est surtout – et c’est bien là la raison pour laquelle on la retarde – la fin d’une immense imposture. Je ne me souviens plus si cela a été assez marqué dans le projet que vous avez bien voulu me montrer. Parce que ces messieurs tardent, peut-être pensez-vous que le temps accordé peut vous permettre d’ajouter quelques paragraphes.
Je vous demande, mon cher Maître, de bien vouloir trouver ici, de ma femme et de moi tous mes sentiments de très fidèle et respectueux dévouement.
G. Calzant.

7.
Le 16 mars 1952
Mon cher Maître,
J’ai trouvé cette nuit en rentrant votre télégramme. La Montagne provençale36 me manque encore et c’est avant-hier seulement que j’ai pu me procurer Ironie et Poésie37. Le voici donc avec la Musique intérieure38.
Je vous aurais envoyé ces deux livres dès hier si je n’avais eu les plus sérieuses raisons d’espérer vous les porter. L’ajournement du voyage n’est pas de quelques jours, je pense.
Si je puis aujourd’hui mettre la main sur le docteur Blouet il vous les portera en même temps que le mauvais arrêt de la XI^e chambre, deux lettres et une photographie pour un ancien préfet de Vichy que vous rencontrerez, je l’espère, à Tours, qui est un très brave garçon, un peu sous-préfet aux champs et tombant facilement dans les travers mondains.
Dès que je saurai le jour de la notification qui vous sera faite du décret de grâce, j’irai à Troyes. Je crois qu’il serait bon d’avoir préparé une déclaration aux journalistes s’il y en a, en tout cas pour Aspects. J’ai préparé tout un petit dossier de la presse au sujet de la grâce. Pas un journal n’a parlé de la révision. Et Le Figaro a pris bien soin de souligner que la condamnation subsistait.
L’Humanité et son édition vespérale : Le Soir ne pourraient-ils pas être poursuivis ? Diffamation ? Insertion ? Vous jugerez.
Votre libération nous donne l’occasion de parler de votre labeur en prison. J’ai demandé un article à Roger Joseph39 qui a le mérite (entre autres) d’être fidèle et complet40. Mais peut-être songez-vous aussi à autre chose ?
Nous serions si heureux d’avoir une collaboration plus fréquente à Aspects.
D’autre part, la déclaration faite à l’occasion de votre libération et dont je parlais il y a un instant pourrait être plus complète pour Aspects et se présenter sous la forme d’une conversation (ceci écrit pour éviter intervioue).
Jacques a dû vous dire qu’en raison de l’impossibilité de loger à la clinique vos livres de Clairvaux, j’avais trouvé l’hospitalité d’une bibliothèque amie, que l’on pourra chauffer au besoin. Je crois que cela sera très bien. L’ami est un ancien notaire qui habite une belle propriété (vous ferez le trajet en voiture, il y en a pour dix minutes à peine). Son père était une manière d’intendant des Princes. Son nom Pallu de Lessert41.
Pour donner du pittoresque à nos 2 pages spéciales42, j’ai songé à publier un ou des fac simili de pages annotées par vous du livre de P. Reynaud, par exemple, de M. Vincent, ou d’un autre, même non politique.
Peut-être aussi – j’en parlerai avec Maurice – pourrons-nous publier à nouveau Mon amnistie que nous avons donné dans Aspects43.
La révision44 est, je crois, le premier et le meilleur moyen de nous donner de l’air.
J’ai conduit ma femme à Tours voici huit jours45, elle s’impatiente beaucoup de tous ces retards, j’essaierai un jour de tous les conter.
Voici en tout cas le dernier. La dernière signature qui manquait était celle de Pinay (tout me donne à penser qu’Edgar, dominé par sa terrible juive a préféré laisser au successeur le soin de terminer ce qu’il avait entrepris). On presse Pinay (qui ne demande pas mieux) il signe… mais au lieu de signer avec le vôtre le décret qui libère les autres, il tarde ou omet, bref votre décret étant là, pas l’autre, et Vincent a bien spécifié qu’il fallait libérer tout le monde ensemble…
Telle est la dernière anicroche. Espérons qu’il n’y en aura pas ainsi de nouvelles.
Je vous prie, mon cher Maître, de bien vouloir trouver avec cette lettre trop longue, tous mes sentiments de respectueux et affectueux dévouement.
G. Calzant.
P.S.1. Je n’ai pas encore le mot de l’abbé Boulier.
P.S.2. Dans le tome VI qui vient de paraître des procès-verbaux et la commission d’enquête sur les événements survenus de 1933 à 1945 on lit une dégoûtante déposition de [Lomert Lani]46 chef du service de presse au Quai d’Orsay, faite le 27 décembre 1950. Je vais y répondre et vous la montrerai.

8. Les trois lettres suivantes évoquent une crise au sein de l’équipe rédactionnelle d’Aspects de la France. Pierre Boutang en est l’épicentre. Cette crise est obscure. N’apparaissant pas dans les lignes de l’hebdomadaire, elle est difficile à définir. Elle illustre la rivalité entre les différents héritiers de Maurras. À Calzant, l’homme de l’héritage par la mémoire, s’opposerait Boutang, celui de l’héritage par la renaissance et la perpétuation. Les audaces politiques et intellectuelles de Pierre Boutang semblent en effet gêner Calzant l’orthodoxe.
Le 17 avril 1952
Mon cher Maître,
J’ai écrit assez longuement tout à l’heure à Maurice Pujo au sujet du numéro d’aujourd’hui. J’ai tenu à éviter tout incident avec P.B.47, mais je tiens à vous dire que j’avais très formellement demandé la suppression de certains passages de sa Politique48. Nous reparlerons de tout cela samedi (1).
C’est au prochain numéro que je pense et à l’Entretien avec C.M49.
Nous reviendrons peut-être sur votre lettre à l’Amérique mais il serait bon, je crois, de traiter de la question de l’Espagne, du Portugal et de l’Amérique latine, de parler aussi de l’Allemagne et, aussi, de la monarchie et du Prince. Peut-être, encore, de la question sociale.
J’indique seulement ces différents points. Je crois que nos lecteurs seraient heureux d’avoir votre opinion sur tout.
Ne conviendrait-il pas – car ces entretiens peuvent être assez libres, voire un peu décousus (d’apparence du moins) d’évoquer vos jours de prisons, vos travaux, vos projets.
L’ami d’Annonay50 m’annonce une pièce en provençal. Cela donnerait un aspect nouveau. J’allais oublier de vous dire qu’il a changé la dernière phrase sur le livre de L. de Rome.
À samedi51, si vous le voulez bien, mon cher Maître.
Je vous demande de bien vouloir trouver ici mes très respectueux et très sincères sentiments d’affection.
G. Calzant.
(1) [marge gauche] Nos premiers lecteurs et nombres d’amis à l’imprimerie sont enchantés52.

9.
Mardi 13 mai 1952
Mon cher Maître,
Je viens de voir nos deux Orléanais à l’arrêt des Aubrais. Comme je le pensais, ils sont entièrement d’accord avec vous. Ils souscrivent sans réserve aucune à l’article le « Général » et le Maréchal53. Dans une conversation très libre dans un petit restaurant des Halles, O’Mahony54 blagua la question des guillemets pour dire : la postérité écrira général De Gaulle. Il fut aussi question des sujets des conférences. Ce sont les titres qui ont une apparence d’actualité qui attirent le plus le public (1). L’observation s’est bornée à cela. Fréquemment un auditeur ou un ami demande au conférencier55 notre position sur la Résistance, sur De Gaulle etc. Nos amis ne sont pas moins sévères que vous, et ils étaient ennuyés de l’exploitation de leurs propos car ils sont la fidélité même.
J’ai retrouvé une partie du vers qui précède immédiatement les deux que je citais hier*.
J’ai… lustres de plus que mon maître Chénier. Votre mémoire était fidèle ! Je vais essayer de retrouver la pièce de vers.
Roger Joseph n’avait pu venir tout à l’heure aux Aubrais. Si P.B. déclenche la petite grève, je demanderai à Joseph de faire immédiatement un tableau des principaux faits de la semaine que nous publierons en 2^e page. Si P.B. n’a pas écrit un feuilleton sur Chamine, je ferai passer l’article de Vallat.
J’ai oublié tout à l’heure de vous demander l’adresse de Vallat56. Je veux lui demander de faire un article sur le livre de B. de Vaulx57 paru chez Fayard58 il y a déjà plusieurs mois et dont nous n’avons pas rendu compte pour les motifs habituels que vous savez : cette façon d’écrire l’Histoire n’intéresse pas etc. Or de Vaulx est très fidèle et son livre est utile. Notre silence a, en outre, le défaut de mécontenter inutilement Brouty59 qui sait que nous parlons de tous les livres sauf de ceux qui paraissent dans sa maison60.
Je vous prie, mon cher Maître, de bien vouloir trouver au bas de cette lettre écrite dans les cahots du train, tous mes très respectueux et sincères sentiments.
G. Calzant.
(1). [en retrait sur marge gauche] l’Allemagne, la Russie, les nationalisations, l’étatisme, etc.
* Et s’il est vrai que tout me fait encore envie
Bienvenu soit le jour qui sera le dernier

10.
Mercredi 14 mai 1952
Mon cher Maître,
Je griffonne ce mot à la hâte. Je viens de voir P.B. Sa crise est passée61. Il reste. Il laisse Rémy correspondre avec Tartas…
Rien n’est changé pour le journal… et Rémy ne fera rien imprimer nulle part…
Je ne pense pas que vous ayez convaincu le malheureux garçon par les arguments qui eussent persuadé n’importe lequel d’entre nous. Il a tout simplement cédé devant l’effondrement de ses projets (et persuadé Rémy, qui n’était sans doute pas difficile à persuader – en incise). La crise aura passé inaperçue de nos amis. D’ici la prochaine62, la terre aura tourné pour les autres comme pour nous
Je vous demande, mon cher Maître, de bien vouloir excuser ces propos décousus et hâtifs et vous demande de bien vouloir croire en mes très respectueux et affectueux sentiments.
G. Calzant