1Maurice Pujo naît le 26 janvier 1872 à Lorrez-le-Bocage dans une famille de juristes aveyronnais, relativement aisée. Il effectue ses études en tant qu’interne au lycée d’Orléans (où il est condisciple de Georges Goyau et de Charles Péguy) avant de monter à Paris pour préparer une licence de philosophie à la Sorbonne. En 1891, son mémoire sur La philosophie de l’homme chez Spinoza, écrit en collaboration avec Louis Tauxier est couronné du prix Bordin de l’Académie des Sciences morales et politiques.

2Il s’efforce alors de mener la carrière littéraire dont il rêve et de s’intégrer à la vie du quartier latin des années 1890. Il fonde en 1892 La Revue Jeune dont il est bientôt nommé directeur. À cette période, il est très marqué par la philosophie allemande, et il admire particulièrement Novalis, dont il traduit lui-même des textes pour la revue. En décembre 1892, La Revue Jeune devient L’Art et la Vie1, titre qui résume les priorités du groupe qui l’anime, et qui dure jusqu’en 1898. Il s’agit avant tout d’insister sur l’émotion qui est l’essence de l’art et de la beauté de la vie, de s’opposer ainsi à l’art pour l’art. Pour ces jeunes gens, l’influence de la vie sur l’esthétique et donc de l’esthétique sur la vie est prépondérante. Selon une pratique répandue, Maurice Pujo collecte en volumes les articles publiés dans la revue : avec Le Règne de la grâce en 1894, salué par la critique (et par Jaurès dans La Petite République), et La Crise morale en 1898.

3C’est en 1898 qu’il quitte avec Henri Vaugeois, alors professeur de philosophie, l’Union pour l’action morale de Paul Desjardins après que celui-ci eut signé la pétition en faveur de la révision. Après la publication d’un article retentissant dans l’Éclair le 19 décembre 1898, réclamant une « action française2 ^» et probablement écrit en collaboration avec Vaugeois, il fonde un comité d’Action française3. Notons que l’orientation choisie est alors résolument républicaine, l’article écartant même explicitement la monarchie : « Laissons dire ceux qui ne voient d’autre salut que dans un retour aux formes du passé, ceux qui rêvent de dictature ou de monarchie. [ ] Ces formes doivent être repoussées simplement parce qu’elles seraient aujourd’hui impraticables. On ne retourne pas en arrière, on ne fait rien avec les morts. » L’année suivante, en 1899, la Revue d’Action française (revue grise) est fondée.4 Maurice Pujo appartient alors également à la Ligue des patriotes5 et à la Ligue de la Patrie française, fondée en décembre 18986, où il figure au comité directeur, et qui regroupe des antidreyfusards modérés. Cette ligue constitue l’unique mouvement de masse face à la Ligue des droits de l’homme, fondée en 1898, mais Maurice Pujo s’en détache devant ses orientations électorales7. Le 20 juin 1899 a lieu ce qui a été vu, a posteriori, comme le meeting fondateur de l’AF : la conférence publique à la salle des Agriculteurs, rue d’Athènes, à laquelle il participe. Cette année-là, il publie son Pamphlet contre la classe de philosophie de l’enseignement secondaire, demandant sa suppression à la commission parlementaire chargée d’étudier les réformes possibles afin de « faire des hommes d’esprit plus clair et moins éloignés des conditions de l’action pratique ». Selon une thématique toute barrésienne, il soutient la thèse que la philosophie, telle qu’elle est enseignée, ne sert qu’à fabriquer des déclassés intellectuels, démonstration illustrée par une discussion avec un jeune professeur de philosophie8.

4Tandis que Léon de Montesquiou ou Henri Vaugeois se rallient au monarchisme dès 1901, la conversion de Pujo semble avoir été un peu plus tardive. Elle est avérée en mai 1903 puisque Pujo donne alors sa signature à Lucien Moreau pour un télégramme de fête au duc d’Orléans, mais il est vraisemblable que les arguments maurrassiens avaient dû peser déjà avant, avec l’Enquête sur la monarchie9, puis Dictateur et roi10. Le mouvement vit alors, en partie, grâce à la revue grise à laquelle Maurice Pujo participe assez peu. De 1903 à 1905, il s’attelle à l’écriture d’une pièce de théâtre sur Jeanne d’Arc, en vers. Désireux de mettre en forme un certain renouveau classique, il écrit toute sa pièce en alexandrins. Sur le fond, il se propose, en fait, de tout expliquer par « le grand ressort tragique : l’amour. » Après avoir passé deux ans à bâtir sa Jeanne d’Arc et à la versifier, il renonce à la publier car on pourrait y voir une négation du caractère divin de la mission de l’héroïne. Le personnage occupe alors le devant de la scène : en 1904, un professeur d’histoire, M. Thalamas, est accusé d’avoir nié ce caractère divin devant ses élèves et une plainte est déposée à son encontre. Quatre ans plus tard, ce même professeur est invité à donner une série de cours à la Sorbonne, donnant l’occasion à l’AF de mobiliser des jeunes qui avaient déjà participé à la bataille des Inventaires11. Il s’agit d’empêcher Thalamas de faire cours12 et dans les manifestations qui se succèdent au quartier latin et près des statues de Jeanne d’Arc dans la capitale, Maurice Pujo fait de plus en plus figure de chef des futurs Camelots du roi aux côtés de Maxime Réal del Sarte. Il est alors condamné à deux mois de prison en 1909. À cette époque, il publie dans l’Action française, qui est devenue quotidienne13 ses conversations imaginaires avec le baron Pié. Ce personnage, qui parodie sans doute Jacques Piou, de l’Action libérale populaire, est repris de sa pièce de théâtre Les Nuées14, pamphlet dialogué contre la démocratie, la République et le suffrage universel, première pièce du Théâtre d’Action française, et qui est jouée deux fois en décembre 1907. Sa littérature même se veut désormais action. En 1912, il publie un autre pamphlet politique qui témoigne d’une volonté d’efficacité et de dénonciation qui le caractérisera désormais dans ses écrits futurs : Contre les cadres de la démocratie15, reprise d’articles publiés par le journal sur un trafic supposé de décorations. Mais surtout, Maurice Pujo passe beaucoup de temps à la confection même du quotidien : il passe une grande partie de ses nuits à l’imprimerie, avec Maurras. Continuant sa tâche au journal lorsque la guerre éclate, il est incorporé en 1915 et envoyé au front jusqu’à la fin de la guerre.

5Il publie en 1932 le recueil de ses articles parus dans l’AF pendant la Grande Guerre sous le titre La guerre et l’homme. Il fait de même avec ceux publiés pendant l’affaire Thalamas, en 1933, devenant ainsi l’historiographe des débuts des Camelots du roi. En janvier 1934, en pleine affaire Stavisky, il signe en première page du quotidien un appel « Au peuple de Paris » engageant celui-ci à « se tenir prêt à venir en foule, autour du Palais-Bourbon et, au cri de : « À bas les voleurs ! », exiger la justice et l’honneur. » Lors de la journée du 6 février 1934, pourtant, Pujo se contente de partir : il est introuvable ainsi que les deux jours suivants. Il accompagne Maurras au cours de toutes les vicissitudes de l’histoire de l’AF, comme le jour où le comte de Paris, à Bruxelles, leur annonce son projet de lancer une nouvelle publication. Sur le plan personnel, il se marie en 192816, ce qui l’oblige à réduire ses heures au journal. Il apparaît alors quelquefois sur le devant de la scène : quand il publie, à la suite de la condamnation pontificale Comment Rome est trompée17, ou qu’il applique aux membres du CSAR (Comité secret d’action révolutionnaire) le sobriquet de « Cagoulards » en décembre 1936. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’itinéraire de Pujo ne se sépare pas de celui de l’AF et de Maurras, de qui il se rapproche encore plus, jusqu’à l’emprisonnement commun à la Libération. De fait, cet emprisonnement contribue à mettre en évidence l’attachement de Pujo au « maître »18 qui s’est renforcé depuis le repli du journal sur Lyon en 1940. En juin 1944, Maurice Pujo et Georges Calzant, arrêtés par les miliciens, sont emprisonnés par les Allemands au fort Montluc. Ils sont relâchés le 10 juillet, sur les instances de Maurras. C’est en septembre, après la libération de Lyon que Maurras est emprisonné à Saint-Paul et Saint-Joseph où Maurice Pujo le rejoint jusqu’au procès en janvier 1945. Ce dernier est alors condamné à cinq ans de prison, à la dégradation nationale et à une forte amende19. À l’accusation d’intelligence avec l’ennemi, il répondra par un mémoire publié en 1946 : L’Action française contre l’Allemagne. En 1945, au cours de son procès, Maurice Pujo prononce la phrase qui semble justifier sa vie à partir du moment où il s’engage dans l’Action française, puis dans l’action avec l’affaire Thalamas, et enfin au service de Maurras : « L’honneur de ma vie, c’est d’avoir été le compagnon de Charles Maurras. »

6Libéré en 1948, il contribue à la fondation d’Aspects de la France, qui continue l’AF, et meurt en septembre 1955, à Ferrières-en-Gâtinais, trois ans après Maurras.

Lettres20 de Maurice Pujo à Charles Maurras (1915-1942)21

7Les onze lettres présentées ci-dessous sont écrites par Maurice Pujo à Charles Maurras entre 1915 et 1942. Elles sont extraites du fonds Charles Maurras des Archives nationales. L’intérêt de cette correspondance est de présenter un homme qui a déjà dépassé la croisée des chemins, qui a abandonné ses débuts de carrière littéraire pour s’engager dans l’action au sein de l’Action française (depuis l’avant-guerre et les manifestations de 1908). Ce choix oriente sa vie et lui donne sens. Les lettres qui sont présentées ci-dessous nous montrent donc un homme à qui il arrive d’avoir la nostalgie de ses ambitions passées, mais qui est surtout soucieux d’efficacité.

8Les six extraits de lettres qui suivent font partie d’une série écrite au crayon au hasard des veillées dans les tranchées alors que Maurice Pujo se trouve sur les champs de bataille et envoyée telle quelle à Charles Maurras. En 1915, il est, en effet, incorporé en comme simple soldat dans l’armée territoriale22 et envoyé sur le front où il reste jusqu’à la fin de la guerre.

1. Cette lettre écrite dans les tranchées nous présente un Maurice Pujo pris par les « impressions » que la guerre lui procure. On peut ici faire un parallèle avec les manifestations pour Jeanne d’Arc de l’avant-guerre et les prisons que s’en étaient suivies et qui avaient permis à Maurice Pujo de vivre une « seconde jeunesse23 ». Ce texte nous montre le dilemme de Pujo entre l’immersion dans l’action, qui est salutaire, et une intellectualisation esthétisante du vécu qui constitue sa grande tentation, sans cesse repoussée.
Le 27 mai 1915
Ce soir, après l’exercice vers cinq heures, nous rentrons avec une pluie d’orage. Fatigué, je m’étends sur la paille dans le cantonnement, et avec une puissance que je n’avais pas retrouvée depuis ma jeunesse, les impressions les plus chères de ma vie renaissent. C’est une heure merveilleuse et… accablante. Je sais gré à la vie militaire qui m’a séparé de vous et de notre travail commun à Paris, de m’avoir donné [?], avant que l’âge ait définitivement éteint tout cela, l’âge ou les hasards du champ de bataille, ces occasions de me retrouver. Mais n’ayez crainte : tout en les savourant, je sais le danger de ces souvenirs.

2. Dans cette lettre, Maurice Pujo, qui est reconnu comme « chef des Camelots du roi » profite de son expérience du « terrain ». Il justifie la distinction entre nationalisme et royalisme et revient sur la rupture avec Barrès. Parler de rupture est même abusif puisque le grand intellectuel nationaliste qu’il était n’a jamais voulu s’engager aux côtés de l’AF. L’idée qu’avance Pujo ici est donc de promouvoir, à l’occasion de la guerre et des sentiments qu’elle génère (de par les « abus » de la République), le monarchisme maurrassien aux dépens du simple nationalisme chauvin, qui a la caractéristique de rester républicain.
Le 20 octobre 1915
J’étudie toujours l’état d’esprit autour de moi. Au milieu de beaucoup d’ignorance et malgré la pente vers les vieilles erreurs à laquelle les pensées roulent naturellement, je ne sens, dès que j’en fais l’expérience, aucune résistance sérieuse à la vérité. L’amitié universelle et toute particulière que l’on témoigne à celui qui était connu comme « le chef des Camelots du Roi » est déjà un témoignage.

Lettre de Maurice Pujo à Charles Maurras, [s. l.], 1^er mai 1916.

Il y a dans les récriminations contre le métier militaire tel qu’il est pratiqué quelque chose de fondé [...] il est douteux qu’après la guerre on soit en France beaucoup plus militariste qu’avant. Politiquement, je crois que le cri de « Vive l’armée ! » risquera de perpétuer un malentendu24, car il nous fera endosser le souvenir de beaucoup d’abus, de maladresses, de sottises, dont la République est d’ailleurs la cause indirecte. Ce cri peut éveiller dans les esprits une défaveur analogue, par exemple, à celle de l’œillet blanc25. C’est d’ailleurs un cri du nationalisme républicain, et, de même que la foule de nos adversaires sincères sont beaucoup plus anticléricaux, ils sont aussi beaucoup plus antinationalistes qu’antiroyalistes. Je prends le mot nationalisme dans le sens étroit où l’a réduit l’école de Barrès26 : patriotisme purement sentimental, chauvinisme aveugle. La pauvreté, l’inconsistance de ce nationalisme-là est aperçue de tous. Il est la tête de Turc dont nous devons nous distinguer.
Nous n’aurons pas besoin d’autres cris je crois que ceux de : « Vive la France ! » et « Vive le Roi ! » et le second, en tant qu’il exprime une idée nette, positive et pratique aura peut-être encore plus d’écho que le premier. […]
Un propos courant est celui-ci : « Où est donc passé tout l’argent que nous avons donné pour l’armée ? » [sic] Je réponds « À faire les élections ».

3. On retrouve dans cette lettre le désir de Pujo d’écrire son roman, son éternel regret de ne pouvoir réunir les conditions idéales pour le mener à bien et surtout son souci de composer une « œuvre » qui le pose enfin.
Le 1^er mai 1916
J’ai songé à écrire quelque chose. Mais je suis trop mal installé dans la journée et trop peu maître de mes instants pour réaliser cette intention. J’avais l’idée de reprendre et d’achever enfin mon grand roman d’autrefois27 (vous savez le café crème) ; la guerre lui ayant enfin donné une conclusion et des limites qui lui manquaient. Moralement j’aurais été dans d’excellentes conditions pour composer cela, c’est-à-dire à peu près l’histoire de mes sentiments et de mes idées depuis 25 ans28, – précisément parce que c’est très différent de ce que je fais en ce moment. Faire de la psychologie, raconter des histoires d’amour sous les obus m’aurait très bien convenu : sans doute parce que j’ai besoin de pareilles antithèses pour me donner du ton. Mais naturellement cela ne me paraît pas possible. J’ai pris quelques notes, mais c’est stérile : ce qu’il faudrait, c’est pouvoir écrire tout de suite.
Je n’ai pas parlé à Daudet de mon roman et pourtant je le lis avec un intérêt passionné.

4. Cette lettre témoigne du souci de Pujo pour la fête de Jeanne d’Arc, en mai, jusque dans la guerre avec laquelle il faut composer puisqu’elle crée des conditions spéciales : il s’agit de se montrer patriote avant tout et de ne pas faire de désordre, contrairement à ce qui avait cours avant la guerre.
Le 3 mai 1916
L’affaire qui presse est celle de Jeanne d’Arc. Il faut décourager les hurluberlus qui voudraient essayer de faire un grand cortège. La proposition des Étudiants peut être écartée doucement et vous l’avez fait sans doute, en leur conseillant de faire leur cortège spécial, sans chercher une concertation qui ne peut aboutir qu’au désordre. Les dames royalistes avec Mme de Mac-Mahon peuvent également se donner rendez-vous, mais tout cela à des heures différentes. Il faudra enfin qu’une petite délégation de l’Action française et des Camelots du Roi aille déposer nos couronnes. Je suis d’avis qu’en ce qui nous concerne, il ne faut pas de cortège du tout, même spécial, même composé de ligueurs. Le nombre en serait trop petit, ou trop grand, et les deux hypothèses auraient leurs dangers29. Ne pourrait-on sur les rubans des couronnes, indiquer qu’elles sont offertes par nos amis au front, ne pourrait-on pas en faire l’hommage de nos morts ? Mais il faudrait que la formule fût assez discrète pour qu’on ne nous accusât pas d’ostentation.
Autre chose, je crois qu’il faut, cette année, renoncer aux couleurs bleue et blanche, tant pour les rubans que pour les brassards : ce sont aussi les couleurs bavaroises. Mettons du tricolore partout, surtout nous30.

5. Cette lettre montre l’enracinement du royalisme de Pujo, son antisémitisme latent, ainsi que la dénonciation des embusqués, thème qui est alors récurrent (et pas seulement dans l’AF).
Le 5 février 1917
Avez-vous remarqué dans le Journal d’il y a quelques jours, une nouvelle du juif Ch. Henry Hirsch31, à propos de Ferdinand de Cobourg, idiote et bassement insultante pour les Orléans et Louis-Philippe. Ne fallait-il pas envoyer moralement un coup de pied au c... de ce youpin32 qui n’est pas mobilisé bien qu’il soit encore d’âge à l’être.33
Les sept lettres qui suivent sont écrites par un Maurice Pujo dirigeant de l’AF aux côtés de Charles Maurras au cours de l’entre-deux-guerres : dans l’immédiat après-guerre d’abord, puis après la condamnation pontificale, et enfin dans l’immédiat avant-guerre et sous le régime de Vichy.

6. Dans cette lettre de 1921, Maurice Pujo se justifie auprès de Maurras d’un congé qu’il veut prendre avant le départ de celui-ci en février. L’affaire Cassagnac, dont il sera question ici, est en fait une campagne de presse menée par l’AF contre le député Paul de Cassagnac. Bonapartiste par tradition familiale, celui-ci se rallie publiquement à la République en 1920. Il collabore à L’Œuvre de M. Téry, bête noire de l’AF, et le 30 novembre 1920, au cours de la séance sur le rétablissement d’une ambassade auprès du Saint-Siège, il apostrophe Daudet : « M. Daudet a marqué la différence qui existe entre l’homme qui a écrit L’Avant-guerre et les hommes qui ont fait la guerre. » Celui-ci lui répond que le souvenir de son père34 l’empêche de lui répondre.
Mais le lendemain, des anciens combattants du journal, dont Maurice Pujo35, lui demandent des comptes sur ses états de service pendant la guerre. Quelques jours après, l’AF publie une série d’articles intitulée : « Comment M. de Cassagnac a-t-il fait la guerre ?36 », qui ironisent sur sa très courte expérience du feu, sa blessure et son rapide détachement dans un autre corps comme historiographe. Le 7 décembre, le quotidien publie les documents envoyés par Cassagnac attestant sa conduite et sa blessure, accompagnés de commentaires railleurs. Le 8 décembre, Daudet consacre son article du jour37 à l’ « affaire » et refuse l’éventualité d’un duel38 avec Cassagnac. D’autre part, le même jour, les anciens combattants d’AF qui demandaient des comptes à Cassagnac sur « sa guerre », signaient un article intitulé « Nous accusons », invitant Cassagnac à répondre de l’accusation d’avoir « volé sa citation et sa croix en trompant le jugement de ses chefs » et d’avoir « passé le temps de la guerre à l’abri du danger et loin du devoir. » Mais celui-ci n’attaque pas le journal pour diffamation, ce qui prive l’AF de la tribune sur laquelle elle comptait pour poursuivre sa campagne. La polémique se poursuit ensuite decrescendo au cours du mois de décembre par un dialogue avec L’Œuvre et se termine en janvier. Le journal n’en fait plus mention, et c’est alors que Maurice Pujo réagit.
[Janvier] 1921
Mon cher ami,
Si vous le permettez, je vais prendre quelques jours de congé. Je vous ai dit déjà que j’en aurais besoin pour retrouver, dans le travail de mon roman, l’entraînement que j’avais pu prendre aux vacances, et que j’ai dû perdre en octobre au moment où j’ai été seul au journal, et que le courant des affaires m’a empêché de reprendre depuis. Si vous partez dans les premiers jours de février, je n’ai que le temps sinon je serai encore remis à un mois.
D’autre part, j’ai besoin de me désintéresser un peu de l’Action française.
L’affaire Cassagnac39 se termine par un échec qui m’est particulièrement sensible. Cassagnac est renommé à la Commission de l’armée. Ce résultat est dû à l’interruption de notre campagne quand nous étions en mesure de l’écraser définitivement. Daudet40 nous opposait à ce moment-là le sentiment parlementaire que nous aurions froissé en insistant et qui assurait que Cassagnac était mort. On voit aujourd’hui ce qu’il en est. Cassagnac est debout et c’est lui qui nous ferme la bouche le revolver au poing. Il est possible que nous soyons obligés d’obéir, sous peine de voir ce fou passer à l’acte (bien que je ne sois pas persuadé que cette méthode soit la bonne pour l’arrêter) ; mais jusqu’où ce système de conduite nous mènera-t-il ? Si les considérations parlementaires – considérations d’amabilité ou de brutalité – doivent empêcher certaines de nos campagnes, en interrompre d’autres, la politique devient un exercice pour lequel je ne me sens pas fait. Si le grand succès de Daudet au Parlement a permis aux parlementaires de faire de lui un otage ou un paratonnerre, je ne vois pas ce que nous y aurons gagné.
De façon plus générale, j’estime que nous ne remplissons pas notre rôle. Il nous appartenait d’empêcher la majorité de glisser à gauche41 en lui donnant ce qui lui manquerait : des idées et une politique. Il y fallait, certes, de la douceur, mais aussi de l’énergie. On a préféré se mettre à sa remorque. Nous n’avons même pas su utiliser le petit groupe des Indépendants, celui étroit des royalistes, si ce n’est aux tâches du comité d’études législatives qui valent les « travaux » de M. Noblemaire42. Aujourd’hui tout ce monde est derrière Briand, et comme il ne faut pas faire de peine à la majorité, que nous le voulions ou non, nous y sommes avec elle. La victoire de Cassagnac savamment préparée (c’est Marc Sangnier43 qui lui a cédé sa place et Briand a dû agir aussi, sans parler de Mandel44 qui fait partie du groupe nouveau de Cassagnac) a une portée politique : elle est pour nous une nouvelle tape, ce qui n’évitera pas la bûche politique que j’ai précitée à Daudet.
Je vous le répète : je ne me sens pas fait pour cette gymnastique. Je l’ai dit à Moreau45 ce soir : je n’apporte pas à l’Action française, dans la première page à laquelle nous collaborons, un talent digne d’être remarqué pour lui-même (Vous pouvez me faire tous les compliments que vous voudrez et je pourrais même les accepter : il n’en restera pas moins que, sans spécialité, passant d’un domaine à l’autre selon l’exigence du jour, je ne puis me reposer, me tranquilliser sur une œuvre écrite, même en articles, qui me permette de valoir à mes propres yeux (je ne parle pas du public) littérairement ou politiquement). Ma fonction dans le journal et dans la propagande est d’être une utilité, ce qui n’est assurément pas négligeable. Je fais les besognes qui sont d’ailleurs indispensables ; mais il ne me reste rien, comme sécurité et autorité morales, de ce qui demeure acquis à l’orateur ou à l’écrivain.
Or, dans ces conditions, l’action et son but sont tout. On peut leur donner le reste de sa vie lorsqu’ils sont restés les mêmes, aussi purs, qu’au temps de notre jeunesse. Mais si vous laissez introduire dans le mouvement des obstacles qui ne sont pas dans la nature des choses, si l’on s’y prête à une règle étrangère, je n’aurai plus aucun goût à marcher. Il me sera insupportable de subir la loi du parlementarisme même à travers notre ami Léon. Car alors « l’utilité » cesserait d’être nationale pour devenir domestique. Par surcroît j’ai conscience qu’elle serait maladroite et inopérante. Je ne crois qu’aux méthodes qui, depuis vingt ans, ont assuré tous nos succès. Si l’on doit en changer je me sens incapable d’en apprendre d’autres et je préfère faire de l’information dans quelque journal en renonçant à la politique.
Tout ceci n’est pas dit pour rien casser. Je ne vous ai parlé de moi que pour vous montrer que j’ai besoin de prendre du champ et de mettre au premier rang le souci de réaliser, si je le puis, le livre auquel j’ai songé toute ma vie et qui sera le seul témoignage de moi-même. Appuyé sur lui, quel que soit le succès, quelle que soit même la réussite, je pourrai regarder l’action et ses vicissitudes sans y être emporté tout entier et avec le sentiment de la relativité des choses. J’ai eu hier 49 ans. Comme Cornély je songe au « pain de mes vieux jours » : c’est d’ailleurs un pain purement moral.
À vous affectueusement,
Maurice Pujo

7. Dans cette lettre, qui précède ou qui suit celle qui est publiée ci-dessus, Maurice Pujo revient sur sa déception due à l’arrêt de la campagne qu’il analyse comme une victoire du parlementarisme. En fait, s’il n’y a pas eu de véritable jugement sur cette affaire, elle semble avoir été quand même l’objet d’une « sentence » enjoignant à l’AF de cesser sa campagne, au moyen de contreparties politiques comme de « faire prendre une bûche » à Cassagnac à la Chambre. On peut observer les dissensions qui se font jour entre Daudet, qui est alors dans une logique parlementaire (son mandat le faisant bénéficier d’une audience considérable) et Pujo qui reste, dans l’âme, un homme qui croit au terrain (ce que renforce encore son expérience de la guerre) et qui se méfie, ici, de la « corruption parlementaire ».
[Janvier 1921]
Ce soir je n’ai pas voulu laisser partir Juigné46 sans tirer au clair son cas dans l’affaire Cassagnac. Je l’ai donc suivi hors de la salle. Je lui ai déclaré tout de suite que je ne lui demandais aucun détail sur l’affaire à laquelle il avait été mêlé mais qu’il importait cependant de savoir si nous ne risquions pas de nous heurter en cas de reprise de la campagne.
Il m’a répondu qu’il avait en effet été arbitre et qu’il avait rendu une sentence. Il l’a rendu uniquement sur les pièces que C. nous a communiquées à nous-mêmes et que nous avons publiées47. Cependant sa sentence est loin de donner toute satisfaction à C. et, depuis, les nombreuses informations qu’il a reçues ont achevé de l’éclairer.
Il s’attend à ce que, au cours d’un incident de tribune, C. fasse appel à son témoignage, auquel cas il dira exactement ce que je viens de rapporter et C. prendra la bûche. Il m’a assuré que rien, dans notre action, ne pourrait le gêner et que ses déclarations ne nous gêneraient pas davantage : au contraire.
Mais Daudet (qui pourtant ne savait pas que Juigné avait été mêlé aux affaires Cassagnac) inquiet de ce que nous disions est sorti à son tour et est entré dans notre conversation. Bien que celle-ci eût pour unique objet de compléter mon information, il a déclaré tout de suite qu’il ne fallait plus parler de cette affaire-là, parce qu’il ne fallait pas provoquer un fou. Bref, il avait cru nécessaire de mettre Juigné en garde contre moi.
Au sujet des menaces de mort, Juigné en avait eu l’écho par Mandel et Le Provost de Launay48. Mandel lui a dit : « J’ai répondu à C. que s’il voulait tuer Daudet, il réussirait tout au plus à se tuer lui-même.49 » Juigné ne prenait pas ces menaces au sérieux. Il a eu l’air de dire à Daudet que l’affaire reviendrait sur l’eau, qu’on le veuille ou non, et que Cassagnac chercherait une occasion de lui réclamer son témoignage.
Tout cela d’ailleurs sans la moindre animosité entre Daudet et moi.
J’ai tenu aussi à faire constater à Vallat50 (il m’a semblé que Daudet ne tenait pas beaucoup non plus à ce que je lui parle, mais je lui ai parlé après son départ), j’ai tenu à lui faire constater que l’optique parlementaire qui nous avait fait arrêter la campagne avait été en défaut. Il l’a reconnu.
Non seulement C. est membre de la Commission de l’armée, mais il gardera le rapport sur la Légion d’honneur. C’est l’habitude de conserver un rapport à celui que le tenait à la session précédente, surtout lorsqu’il s’agit d’un objet à échéance limitée, comme c’est le cas puisque le contingent de croix doit être entièrement distribué dans trois mois, à moins de prorogation nouvelle.
Il y a un point de vue que je ne vous ai pas développé hier. Ce n’est pas comme défenseurs de Daudet que mes camarades et moi avons commencé la campagne, c’est comme défenseurs de l’honneur des combattants. Nous n’avons pas joué une comédie.
Abandonner cette défense parce que cela gêne Daudet me donne des scrupules au point le plus sensible. Laisser la distribution de la Légion d’honneur des poilus aux mains de cet indigne, de ce voleur, alors que nous avons le moyen de le lui enlever51 m’est insupportable. Je vous avoue que je songe à trouver un autre journal qui publierait ce que tait l’AF, mais si nous en prenons personnellement la responsabilité, Héricourt52 et moi par exemple, Daudet estimera encore que nous le compromettons53. Nous le compromettons encore en envoyant au ministre la demande d’enquête contre C. !
Inconvénient d’une excessive solidarité !

8. Cette carte a l’intérêt de présenter un exemple, sinon de véritable conflit d’intérêt, du moins de divergence entre la ligne politique du journal et les exigences supposées du lectorat et la prose d’un Daudet, qui compromet, pour Pujo, la bonne tenue du quotidien.
Années 1920 (carte)
Un mot pour vous signaler l’annonce en grosses lettres qui est faite dans le journal de la réédition du roman de Daudet Suzanne54. Savez-vous que c’est l’histoire d’un père qui couche avec sa fille ? On me l’a fait remarquer ici, quelqu’un qui l’avait lu. Je l’ai lu moi-même autrefois : il n’y a rien de plus raide. Ne craignez-vous pas des histoires avec notre public ? Sans doute c’est de la publicité passée par Flammarion. Mais n’aurait-on pas pu l’éviter dans l’Action française ?

9. Cette lettre prend place après la condamnation pontificale de décembre 1926 et avant le retour à Paris d’un Léon Daudet grâcié en janvier 1930. La mention de Pernot, ministre des Travaux publics permet de limiter la date à laquelle elle a été écrite aux mois de novembre ou décembre 1929 puisqu’il est nommé le 3 novembre. Léon Daudet est donc encore en exil à Bruxelles à la suite de sa condamnation en 1927. En 1925, il dépose, en effet, une plainte pour meurtre à propos du suicide trouble de son fils, Philippe. Il poursuit pour faux témoignage le chauffeur de taxi dans la voiture de qui son fils a été retrouvé blessé d’une balle dans la tête : il est condamné à 5 ans de prison pour diffamation, peine qu’il refuse d’effectuer. Il se barricade alors dans les bureaux de l’AF, puis se rend aux forces de police. Il est emprisonné et s’évade 12 jours plus tard, grâce à un faux coup de téléphone ordonnant de le libérer, pour rejoindre la Belgique où il continue son activité de journaliste.
[novembre-décembre 1929]
Mon cher ami,
Maxime m’a téléphoné cette nuit qu’il avait vu Mandel, lequel avait vu Tardieu. Celui-ci ne paraît pas redouter l’interpellation Moutet55 et Mandel dit que la grâce est sûre « au cours des vacances du jour de l’an ».
Il paraît que le plus enragé contre la grâce est Maurice (sic) Pernot56, ministre des Travaux publics. À la Chambre, c’est le duc d’Audiffret-Pasquier57. J’envoie un mot à Gabriel Boissy58 pour lui demander de faire un écho signalant que les rancunes romaines contre l’AF, par l’organe de M. Pernot, essaient d’intervenir au sein des conseils du gouvernement, et que les adversaires les plus acharnés de la grâce de Léon sont le Vatican et le parti des ducs. Cet écho peut être utile. Aussitôt paru à Comoedia nous le reproduirions.
L’ennui, c’est qu’au sein du ministère nous n’avons pas d’avocat. Maginot59 s’en fiche. C’est, je crois, Tardieu qui marche le mieux. Oui, j’ai été membre du comité directeur de la Patrie Française, et mon nom était dans la liste proclamée à la réunion d’ouverture, à la salle d’Horticulture en janvier 1899. J’ai pris part à toutes les séances du comité pendant les six premiers mois. Nous étions, Vaugeois60 et moi, les soutiens les plus actifs de Coppée61, de Cavaignac62 et de Barrès (qui nous claquaient d’ailleurs dans la main).
J’ai pris part à un certain nombre (pas à tous) des conciliabules qui préparaient l’AF, chez Caplain63, rue d’Aboukir, et peut-être au café Voltaire, quoique je ne me le rappelle pas. J’étais sur l’estrade à la réunion inaugurale de la rue d’Athènes. Je disais tout le temps que je faisais mon roman, mais, dès qu’il était à Paris, Vaugeois arrivait chez moi et me débauchait, et je m’employais avec lui à écrire des mots pour les journaux, à faire des visites, à préparer les réunions, etc.
Affectueusement à vous,
M. Pujo.
L’article de Dubarry64 m’avait échappé et on me l’a signalé trop tard. Je l’envoie à Tuc65.

10. Cette lettre se place au moment précis où, deux mois après Munich, Édouard Daladier s’appuie sur son ministre des Finances, Paul Reynaud, pour orienter la politique économique et sociale de la France dans la perspective d’une guerre possible. Reynaud, qui est passé de la Justice aux Finances le 1^er novembre, prépare alors un train de décrets-loi prévoyant un aménagement de la loi des 40 heures et une série de dispositions visant à alléger les charges des entreprises.
Paris, le 8 novembre 1938
Mon cher ami,
Vous dites que l’AF a battu la campagne au sujet des projets de Paul Reynaud66. Mais dans l’ignorance où l’on était du détail de ces projets, nous n’avons guère fait d’hypothèses, si ce n’est que nous avons dit, comme vous, qu’ils s’appuieraient sur la juiverie.
Mais nous avons dit surtout que ces projets financiers dont la « technicité » inconnue, au fond importait peu, étaient doublés de projets politiques. Que Paul Reynaud, à la faveur des Finances, tendait à s’emparer de la présidence du Conseil et à y apporter, avec l’aide d’Herriot et de Blum, la revanche du parti de la guerre et des juifs.
Or cette thèse-là n’est pas chimérique. La lutte entre Daladier et Reynaud a été quasi-publique le jour où ils ont échangé des communiqués qui se démentaient. Les articles de Kérillis67 au surplus révélaient assez le complot et la presse de droite, notamment Le Jour nous a fait écho. Je crois que nous avons contribué à rendre plus difficile l’opération publique. Nous savons que P. Reynaud s’est plaint vivement du fait que notre campagne ait trouvé cet écho.
J’ai appris avec plaisir par Paccard68 que vous alliez mieux. J’espère que vous allez rentrer tout à fait guéri bien que vous n’ayez pas eu le temps de vous reposer beaucoup. Bien affectueusement,
M. Pujo.

11. Cette lettre présente les profondes dissensions qui existent entre le mouvement maurrassien replié à Lyon, en France libre, et le milieu collaborationniste, à Paris, dont Je suis partout et Lucien Rebatet font partie. Maurice Pujo exhorte Maurras à réagir à la sortie des Décombres de Rebatet au cours de l’été 194269, pamphlet judéophobe dénonçant la décadence de la France et faisant montre d’un antimaurrassisme forcené70. L’ouvrage rend publique la rupture entre l’AF et ce maurrassien (parmi d’autres), qui, confronté à la tentation fasciste71, choisit d’y succomber.
Le 12 septembre 1942, Maurras répond effectivement à Rebatet dans un article de l’AF intitulé « Gribouille ? Non. Fripouille.72 ».
Mardi 1^er septembre 1942
Mon cher ami,
Ergal m’a dit aujourd’hui au téléphone que la note sur le livre de Rebatet n’avait pas encore été envoyée à Vichy parce que vous estimiez qu’elle n’était pas au point. Je crois cependant important qu’elle soit faite avant votre départ et c’est pourquoi je vous écris tout de suite sans attendre notre rencontre de vendredi qui risque d’être trop courte.
Je crois vous avoir déjà dit mon point de vue. Nous sommes tenus de faire quelque chose sans quoi on penserait que nous sommes intimidés par ce sale bouquin. Je pense d’ailleurs que, s’il ne faut pas cacher qu’il s’agit d’un ancien collaborateur73, il n’y a aucune nécessité de donner son nom ni le titre du livre74 : mais je pense aussi qu’il faut faire de ce livre, entre nos mains, une arme offensive. Rebatet est un énervé sans importance, mais ce qu’il faut marquer, c’est que cet insulteur de l’armée française (officiers et soldats) et de tout le peuple français – le traître qui jette au vent les secrets militaires – déshonore avec lui son équipe de Je suis partout, la presse de Paris et la cause collaborationniste elle-même75. Il déshonore aussi ceux qui ont permis la publication du livre et le laissent vendre en zone libre : ne perdons pas l’occasion de provoquer un certain redressement.
Pour le reste vous savez mieux que moi ce qu’il y a à dire. J’ai été frappé du fait qu’il lance toutes ses infamies et tous ses blasphèmes au nom de l’intelligence. Je vous rappelle, vous, Maurras, à l’intelligence que vous avez sacrifiée aux [pires] préjugés. Il faudrait peut-être lui dire qu’il est un imbécile, que l’intelligence n’est pas cette frénésie, cette « épilepsie juive » (c’est son expression qui [cabriole] au-dessus du réel sans en prendre grand-chose, et qu’il est allé à reculons en revenant de Maurras à ce Nietzsche que vers 1892, le jeune Robert Dreyfus, premier traducteur du Cas Wagner révélait à notre jeunesse française, soutenus par ses copains juifs du Banquet et de la Revue blanche.
Je voulais aussi vous faire remarquer que ce Rebatet qui se pique de tout dire, de ne reculer devant aucune vérité, de mettre les pieds dans tous les plats, a pourtant un personnage tout conventionné, et c’est lui-même qu’il peint en rose, héros attardé malgré lui dans les embuscades où il prenait des notes sur la lâcheté de l’armée française, mais qui disait à Laubreaux76 : « Ils sont capables de m’envoyer au front !77 »
À vendredi,
Affectueusement à vous,
Maurice Pujo.
PS : Non pour l’article mais pour votre édification, je vous recommande deux passages qui montrent jusqu’à quels tréfonds le malheureux est pénétré de germanisme78 : p. 21 le passage où il invoque le patronage de Nietzsche à côté de celui de Racine et p. 562, celui où il appelle une nouvelle Réforme religieuse opérée par l’Allemagne.