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    Plan détaillé Texte intégral Le développement du mouvement La Grande Guerre Une réorganisation du mouvement Après la condamnation Notes de bas de page Auteur

    L’Action française

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    Table des matières

    L’Action française en Provence

    The renewal of a royalist tradition in Provence

    Gérard Gaudin

    p. 257-266

    Résumés

    On a souvent l’image d’une Provence « rouge » en oubliant que cette région a été « blanche » de 1815 à 1848 et qu’une importante minorité royaliste persiste encore au début du XXe. siècle, notamment dans ce qu’on appelle la « Vendée provençale » entre Arles et Avignon. C’est cependant dans les communes plutôt « rouges » comme Roquevaire et Martigues qu’a vécu Charles Maurras. Mais il va réveiller entre 1906 et 1914 une tradition royaliste quelque peu assoupie. De 1919 à 1945, l’homme fort de l’Action française régionale sera le commandant Louis Dromard d’origine franc-comtoise. Malgré la condamnation romaine de 1926-1927, le mouvement va rester vigoureux jusqu’en 1939.

    Provence is often thought of as being ‘red’, whereas the region was ‘white’ between 1815 and 1848, and a significant royalist minority remained there until the early 20th century, especially in the area known as the ‘Provençal Vendée’ between Arles and Avignon. However, Charles Maurras lived in ‘red’ towns such as Roquevaire and Martigues. Between 1906 and 1914 he aroused a somewhat slumbering royalist tradition. From 1919 to 1945 the strong-man for the Action française in the area was Major Louis Dromard, whose family came from the Franche-Comté. Despite the papal ban between 1926-7, the movement remained vigorous until 1939

    Texte intégral Le développement du mouvement La Grande Guerre Une réorganisation du mouvement Après la condamnation Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1On a souvent l’image d’une Provence « rouge » avec des départements comme ceux du Var et des Basses-Alpes, foyers de résistance au coup d’Etat du 2 décembre 1851, ou bien avec la ville de Marseille où un maire socialiste est élu dès 1892. Mais perdure une dominante « blanche » de 1815 à 1848 et persiste une importante minorité royaliste jusqu’au début du XXe siècle, malgré plusieurs facteurs d’affaiblissement : la déception des milieux populaires restés fidèles à « Henry V » devant l’acceptation et parfois la collaboration des notables « légitimistes » au moment de Second Empire ; l’immigration importante tant régionale (descente des « Gavots » alpins ou des « Cévenols » vers Marseille) qu’étrangère (en particulier italienne), entraînant souvent « déracinements » et perte de la pratique religieuse ; l’échec de la Restauration espérée en 1873 et la mort du comte de Chambord en 1883. « Nous étions royalistes de cœur, nous tâcherons de le rester de raison ». Cette opinion attribuée au comte Albert de Mun reflète celle de membres actifs du comité légitimiste des Bouches-du-Rhône : le marquis Maxence de Foresta, le grand « homme d’affaires » Henry Bergasse ou le père Timon-David. C’est justement en insistant sur ce coté « rationnel » que le provençal Charles Maurras, né à Martigues et enterré à Roquevaire, va tenter de redonner vie et vigueur à la cause.

    Le développement du mouvement

    2Le comité royaliste avait survécu sous les présidences successives de quelques grands bourgeois : Gustave Luce, Félix Fournier et Paul Bergasse. Un changement d’orientation était confirmé par l’effacement de La Gazette du Midi, le vieil organe légitimiste fondé en 1831, devant le Soleil du Midi, créé en 1886. Surtout il n’y a pas de césure et tous les « blancs » vont accepter de soutenir la candidature du royaliste « libéral » Edouard Hervé lors d’une élection partielle au scrutin départemental en 1888. Celui-ci obtiendra 23 719 voix contre 40 723 voix à Félix Pyat, républicain radical élu, 12 796 voix à Fouquier, républicain modéré et 1 071 voix au général Boulanger qui, il est vrai, n’était pas officiellement candidat.

    3Il n’en était pas moins vrai, que la victoire électorale, un moment espérée par les stratèges du royalisme parlementaire, n’était pas venue et que l’échec du boulangisme suivi de la politique de ralliement des catholiques préconisée par le pape Léon XIII paraissaient renforcer la République. Toutefois à l’aube du XXe siècle les royalistes demeurent assez actifs dans plusieurs domaines. Les ligues patriotiques sont indignées par la réhabilitation d’Alfred Dreyfus ; les associations de défense religieuse se manifestent particulièrement en 1902 (dissolution des congrégations) et en 1906 (inventaire des Eglises) ; les associations sportives comme les excursionnistes marseillais, le Guidon gaulois ou les sociétés d’escrime sont actives.

    4Hors de Marseille, le « pays » d’Aix paraît somnolent malgré la présence de nombreuses familles issues de l’ancienne noblesse de robe qui pratiquent une sorte d’« émigration de l’intérieur ». Le collège catholique où Maurras a fait ses études est influencé par le catholicisme « ouvert » d’un Maurice Blondel qui enseigne à la faculté de lettres et par le Sillon de Marc Sangnier. Des communes comme Martigues ou Roquevaire, liées à l’itinéraire maurrassien, sont alors nettement républicaines voire déjà « socialisantes ». Le pharmacien Autheman qui avait été maire de la « Venise provençale » sous l’« Ordre moral » peut écrire dès 1881 :

    « Martigues est un pays perdu pour toute cause conservatrice… Le parti de l’« Ordre » a perdu l’appui de la majorité des marins et ne pourra le recouvrer que lorsque notre pays sera débarrassé de la lèpre républicaine… Ajoutez à cela l’apathie des conservateurs rendant toute lutte impossible. Martigues est un pays de couards et de poltrons… Je suis honteux de l’habiter !… »1.

    5C’est dans l’arrondissement d’Arles qu’il faut se rendre pour trouver un noyau royaliste encore solide et plus particulièrement dans un triangle délimité par les trois petites villes de Tarascon, Saint-Rémy et Chateaurenard, une « Vendée provençale » où subsiste intact l’esprit des « Blancs du Midi ». Un ouvrage consacré au « siège de Saint-Michel de Frigolet », lors des premières mesures visant les congrégations religieuses en 1881, la présente ainsi non sans quelque lyrisme :

    « Entre Arles et Avignon… sur les bords majestueux de Rhône, se trouve une contrée déjà célèbre avant l’ère du Christianisme… enrichie par la merveilleuse fertilité du sol, heureuse par l’incomparable beauté du climat, orgueilleuse de ses monuments et plus fière encore de son séculaire attachement à la foi de ses aïeux et de son éternelle fidélité aux princes… Là fermente et bouillonne la quintessence de cette population méridionale vive, ardente, indomptable, têtes plus chaudes que des volcans, masse de paysans aux poitrines de bronze, vaillants cœurs remplis de sang romain !… »

    6Ici, les choses sont simples : il y a les « Blancs » catholiques, pratiquants et royalistes, et les « Rouges », radicaux et anticléricaux ardents, même s’ils sont baptisés et envoient leurs fils au patronage parce que la République laïque n’a rien prévu pour garder les enfants le jeudi. Ces Blancs se retrouvent dans les confréries religieuses encore vivaces, dans les associations populaires Henri IV qui siègent au café du même nom, dans les groupes de l’« Œillet blanc » ou du « Panache blanc » ou encore dans les cercles de Provence comme celui d’Arles. Pourtant leurs représentant sont souvent des « messieurs » conservateurs libéraux, tel Mistral-Bernard, le plus riche négociant de Saint-Rémy, Etienne de Courtois, grand propriétaire en Camargue, ou le comte Pierre Terray, beau-frère d’Albert de Mun, devenu du fait de sa mère, née Puget-Barbentane, le plus important propriétaire de cette localité dont il est resté le maire jusqu’en 1914.

    7Mais déjà, en 1906, la région a été réveillée par la campagne électorale d’un jeune avocat de Montpellier, André Vincent, qui affiche des idées très proches de celles de Maurras, dont il deviendra par la suite l’un des principaux soutiens ; brandissant fermement le drapeau d’une monarchie « traditionnelle, représentative et décentralisée », il rassemble sur son nom 6 987 suffrages au premier tour, contre 7 521 au député radical sortant, Henri Michel, et 4 822 au candidat socialiste. A ce moment nul ne peut ignorer l’existence de l’Action française et la « vigoureuse pensée » de son principal animateur dont Denys Bourdet, rédacteur au Soleil du Midi se plaît à relever qu’« il est le produit de notre sol, chère et glorieuse Provence ».

    8En octobre 1907 est créé dans la cité phocéenne un groupe d’études transformé bientôt en section d’Action française. Son président est Paul Vernet, sous-directeur de la compagnie de navigation Cyprien Fabre. En avril 1908, Aix voit naître à son tour une section présidée par Urvoy de Closmadeuc, breton devenu méridional par son mariage avec une demoiselle de Foresta ; à la même époque apparaît la section d’Avignon avec l’avocat Joseph Amic et le commandant Barre. Le 5 mars 1909, tous les militants marseillais sont réunis pour accueillir la marquise de Mac Mahon. En cette circonstance Paul Bergasse constate avec joie l’unité qui règne dans le mouvement et ajoute que « si les procédés de l’Action française ont parfois effarouché quelques royalistes de la vieille école, il n’est pas moins vrai que l’on doit juger un arbre à ses fruits et que la propagande de ces radicaux du royalisme donne des résultats appréciables ».

    9Ce qui inquiétait quelques anciens, c’était les agissements un peu trop violents des Camelots du Roi, qui avaient fait leur entrée officielle à l’occasion de la représentation au théâtre du Gymnase, le 25 janvier 1909, du « Foyer » de « l’anarchiste Mirbeau » et du « juif Nathanson ». Vingt-sept d’entre eux furent interpellés par la police pour avoir répandu de la poudre à éternuer qui, d’après le rédacteur du Soleil du Midi, « atteignait plus particulièrement les nez sémitiques plus vulnérables que les autres ». Parmi les perturbateurs, on relève six étudiants, cinq employés, trois représentants de commerce, trois « propriétaires cultivateurs », un industriel, un artisan, un typographe, un agent technique, un avocat et un comptable. L’un des étudiants, Joseph Lambert, 24 ans, sera le premier responsable des Camelots du Roi. En sa personne la tradition est respectée, car l’un de ses aïeux avait émigré sous la Révolution et son père, le négociant Ambroise Lambert, était une personnalité influente du milieu royaliste de même que son oncle, le banquier Auguste Rondel. On peut en dire autant de Maxence de Chanterac ou des frères Bonnefoy, tous étudiants en droit. Mais on rencontre aussi des camelots venant de milieux plus modestes où la tradition monarchiste est moins évidente : Henri Noettinger, un employé de 18 ans, un artisan, Louis Dominici, et Alexandre Colombani, 24 ans, « homme à tout faire » qui « aide sa mère à tenir un commerce de vins fins dans les vieux quartiers »2.

    10En décembre 1910, la crise qui oppose les amis de Maurras au comte de Larègle, chef du bureau politique du Prétendant, a des répercussions dans notre région. Paul Bergasse et Paul Fournier, fils de Félix, et propriétaire du Soleil du Midi, soutiennent le point de vue de Larègle ; mais le ralliement à l’Action française l’emporte nettement chez les étudiants mais aussi chez les artisans et employés venus de l’Accord Social et dans les campagnes de la Vendée provençale où l’on a l’impression de prendre une revanche sur les « Moussus orléanistes ». C’est ce sentiment qu’exprime fort bien, dans une lettre datée du 13 décembre 1910, Gaston Clavel, agriculteur à Mollèges et régisseur du domaine du marquis de Bonnecorse à Roquemartine :

    « Monsieur Maurras, vous le régénérateur des royalistes militants, dites au Roi que, dans les milieux ouvriers et paysans, vous avez redonné espoir et courage, dites-lui à ce Roi tant aimé par nous… que les paysans de nos campagnes sont de cœur avec vous. Dites-lui que, sans vous, la lutte était abandonnée à quelques exceptions près… Dites-lui que nous en avons assez de ces chefs de salon. Dites-lui que le peuple des campagnes attendait depuis longtemps ce que vous lui avez donné, cet esprit de révolte contre ce qui tue notre malheureuse patrie. »

    11La crise se termine fin mai 1911 par la victoire de l’Action française. Au comité royaliste, Paul Bergasse cède la présidence à Paul Vernet. Au Soleil du Midi, le rédacteur en chef Denys Bourdet va avoir les mains libres, aidé en cela par Odysse Richemont, le père du romancier Edouard Peisson, Jacques de Coursac et Marcel Joannon, dit « Provence ».

    12Dans la Vendée provençale, le comte Terray s’efface au profit d’une équipe de jeunes orateurs d’origine nîmoise venus dans le sillage d’AndréVincent : Albert Bréart, plus connu sous le nom d’Albert Bertrand-Mistral, Jacques Foy et Marcel Viel, qui sera le seul à survivre à la guerre. Même Martigues va voir naître une petite section animée par Albert Pommé, Albert Bazin, protestant et Monsieur Autheman, peu avant sa mort.

    La Grande Guerre

    13Avec la guerre, l’Action française participe à l’Union sacrée derrière le drapeau tricolore et le président de la République, le lorrain Raymond Poincaré. Les sections, souvent formées d’hommes jeunes, vont payer un lourd tribut au conflit. Dès août 1914, deux membres notoires de la section marseillaise sont tués au sein du XVe corps d’armée tant décrié : le commandant Marnas dont le fils était l’un des animateurs du groupe des lycéens et le lieutenant de chasseurs alpins Emmanuel Court de Payen descendant d’une longue lignée de « savonniers du Roi ». Ils sont bientôt suivis en septembre par deux autres héritiers de vieilles familles « blanches » : Pierre Abeille et Guy de Lombardon-Montezan. Au total, rien que dans la cité phocéenne 46 ligueurs vont être tués ou blessés soit un bon tiers de la section. Aix compte neuf morts parmi lesquels Jean de Monval, fils et petit-fils de membres du comité légitimiste, Pierre Jourdan fils de notaire qui, à peine sorti du collège catholique, avait contribué au lancement en 1911 de la revue Les Quatre Dauphins, et Lionel des Rieux, quadragénaire, descendant des « seigneurs d’Orange », poète et condisciple de Maurras. A Maillane, patrie de l’« Homère provençal », on dénombre quatorze morts sur quarante ligueurs, à Saint-Rémy treize sur cinquante…

    14Cependant si les pertes humaines ont été élevées et si le régime paraît renforcé par la victoire, l’Action française a tout de même tiré deux avantages du conflit. Elle a désormais une sorte d’exclusivité pour représenter le mouvement royaliste. Elle est acceptée comme une composante du « bloc national », aux côtés de tous ceux – y compris le vieil adversaire Clemenceau - qui avait défendu une volonté « jusqu’auboutiste » de la guerre. Elle va aussi se présenter comme un pilier de la résistance à la fois aux « embochés » et aux « bolcheviques »

    Une réorganisation du mouvement

    15Les années 1919-1922 voient une « réaction » du mouvement sous l’impulsion de quelques hommes nouveaux. Le plus important, celui qui allait réorganiser la section marseillaise et la diriger jusqu’à sa mort en 1950, étendant son influence sur le département puis la région, dans une fidélité totale au maître de Martigues, n’était pas d’origine provençale. Organisateur sérieux et compétent, d’une grande disponibilité il avait pour nom Louis Dromard. Né à Besançon le 15 juin 1878, ce fils d’un monteur de boîtiers de montres, profondément catholique, avait fait ses études chez les Eudistes qui dirigeaient le collège catholique de la capitale franc-comtoise ; il avait préparé ensuite Saint-Cyr où il était entré en 1898. Sorti lieutenant en 1900, il avait démissionné en 1903 pour des raisons plus personnelles que politiques. Il s’était vu offrir une situation de courtier en graines oléagineuses dans le grand port méditerranéen. Il « descendit » donc vers le Sud, s’y associa avec un certain Devos, s’y maria, eut sept enfants, dont deux morts jeunes, et il ne quitta plus sa nouvelle patrie. Parti en 1914 comme capitaine d’infanterie de réserve, il était revenu de la guerre avec une blessure, la Croix de guerre et le grade de commandant qui devait la plupart du temps accompagner son nom.

    16Pour le seconder, on trouve deux disciples d’Esculape : le docteur Gilles qui, né à Marseille en 1860, habitait dans la banlieue ouvrière de Saint-Henri, et le docteur Roubion qui, né en octobre 1873 à Aups dans le Var, demeurait près de la gare Saint-Charles. Le premier assumera jusqu’en 1926 le secrétariat de la section tandis que le second va prendre, à partir de l’été 1920, la direction locale de « l’union des corporations françaises » et coiffer un groupe d’« études sociales ».

    17En avril 1920, l’équipe reçoit un sérieux renfort en la personne de Marcel Viel. Cet avocat de 36 ans, seul survivant des orateurs nîmois d’avant-guerre, s’est inscrit au barreau de Marseille et devient vice-président de la section. Au même moment un autre Gardois, Jules Servent, se voit confier la reconstitution d’un groupe de camelots et d’une équipe de commissaires. Installé à Marseille depuis 1907, ce grand gaillard juste quadragénaire, « fort en gueule », père de deux enfants, était un employé instable mais un militant dévoué toujours prêt à soutenir de la canne et du poing les discours « raisonnés » de ses chefs. Simultanément les femmes et les filles de ligueurs retrouvent des organisations plus anciennes où, au devoir traditionnel de charité, s’ajoutent des activités plus politiques : conférences et surtout rôle non négligeable dans la collecte des souscriptions et des abonnements.

    18Les jeunes filles se reconstituent sous l’impulsion de Marguerite de Ribbe nommée déléguée régionale en 1919. La nièce du « sociologue » aixois réunit dans son hôtel de la rue Mazarine les sœurs de Monval, Mlle Joannon, sœur de Marcel Provence, les demoiselles de Cormis et de Chenerilles. En janvier 1920, elle « installe » à Marseille un groupe que préside Anne-Marie Maurel, héritière d’une vieille famille de commerçants blancs, assistée par Jeanne Maurras, nièce du maître et Simone Gilles, fille du secrétaire de la section. En Arles, Jacqueline Gibert réveille son petit groupe endormi par la guerre tandis qu’en Avignon Marie-Louise Bayle réanime un mouvement que dirige officiellement Melle de Roubin, fille d’un propriétaire terrien de Villeneuve-lès-Avignon.

    19Chez les dames, seul le chef-lieu des Bouches-du-Rhône paraît conserver une certaine activité sous l’impulsion de la marquise de Clapiers qui en assure la présidence depuis 1911 conjointement avec celle de la Croix-Rouge. Toutefois, la fille du marquis de Foresta, dont le dévouement pendant la guerre est récompensé par l’obtention de la légion d’honneur au début de 1921 et dont le nom symbolise la continuité du légitimisme à l’AF, se décharge peu à peu de ses responsabilités sur la secrétaire du groupe qui n’est autre que Mme Paul Vernet et la trésorière Mme Marin de Carranrais.

    20De 1922 à 1926, l’Action française continue sa progression : au mois de mars 1922, Jean-Austin Brunel, issu lui aussi de la petite bourgeoisie catholique de Nîmes, se voit confirmer au poste de secrétaire de la Xe zone qui regroupe la Provence et les départements languedociens du Gard et de l’Hérault. Au congrès national qui a lieu dans la deuxième semaine de juin 1922, il passe en revue les sections et insiste sur le réveil du « Comtat venaissin » : « la section de Cavaillon réduite à 28 membres en 1919 a retrouvé le quorum (c’est-à-dire au moins 40 membres) sous la conduite de Charles Fraisse, commandant dans la réserve et confiseur dans le civil. Apt et le Lubéron s’animent grâce à Jean Barruol et Avignon reste un point fort avec 75 ligueurs et un groupe actif de camelots et étudiants confié à Henri Lavalade, jeune cheminot, et Xavier Larue, journaliste ». En Vendée provençale, il signale « qu’Arles se reconstruit sous l’impulsion de maître Doutreleau et que Saint-Rémy atteint 50 ligueurs sous l’autorité respectée du marquis de Lagoy ». A Maillane Frédéric Mistral neveu est très actif mais il est d’abord « régionaliste » ; s’il a le plus grand respect pour le « félibre Maurras », il a beaucoup moins de sympathie pour le « parisien Léon Daudet ».

    21J.A. Brunel salue aussi l’importance prise par la section de Nice, sous la direction de Georges Sauvan, propriétaire terrien, de l’avocat Prosper Capdevielle avec l’appui du comte d’Estienne d’Orves. Il y voit le signe que « le règne du métèque doré n’est déjà plus la seule particularité de la côte d’Azur ». Dans cette « terre de mission » qu’est encore le Var, la section de Toulon va naître en janvier 1923 sous l’impulsion de personnalités venues de l’extérieur : le rentier stéphanois Antoine Richard et le capitaine de frégate en retraite Félix Ollivier, originaire de Tournay (Charente) mais marié depuis 1898 à une Toulonnaise. Ce dernier a ses entrées au cercle naval et dispose d’assez nombreuses sympathies dans cette marine nationale qui reste pour bon nombre d’officiers « La Royale ». Simultanément quelques ligueurs se regroupent à Draguignan, Brignoles et Hyères autour de trois propriétaires terriens : le baron de Rasque de Laval, le colonel des Portes de la Fosse et le comte de David-Beauregard.

    22Vers la même époque Jean de Saporta, dont la famille a de fortes attaches à Aix et à Saint-Zacharie, non loin de Roquevaire, réussit à partir du château du Rousset qu’il possède près de Gréoux-les-Bains à « implanter quelques graines dans le sol rocailleux des Basses-Alpes ». Dans cette phase d’expansion, les élections de mai 1924 marquées par la victoire du Cartel des gauches sont plutôt un facteur favorable dans la mesure où elles ne peuvent que décevoir tous ceux qui pensaient avoir trouvé en 1919 une « bonne République conservatrice ».

    23Pour mieux faire entendre la voix du « salut national », la section phocéenne décide de lancer en octobre 1924 un bulletin mensuel intitulé l’Ordre marseillais : paraissant sur quatre pages il a pour gérant Dromard et pour rédacteur l’infatigable Henri Lavalade, « cheminot catholique descendu d’Avignon » ; il tire à un millier d’exemplaires et vit en faisant appel aux souscripteurs volontaires et aux annonceurs amis. Un an plus tard, élargissant son champ d’action en même temps que son format, il devient l’Ordre provençal. Cette modification se produit cinq mois après le congrès régional d’Aix, tenu le 14 juin 1925, où avait été adopté le principe de la « Fédération provençale ». Le 22 août, profitant du séjour estival de Maurras à Martigues, on en pose les « premiers jalons » tels qu’ils apparaissent dans l’organigramme consacré à la Xe zone.

    24Au total, au début de 1927, on compte vingt-deux sections dont trois au moins, celles d’Avignon, de Toulon et de Nice, dépassaient la centaine d’adhérents et une, celle de Marseille, atteignait les 600 cotisants. En novembre 1927 parlant devant le quatorzième congrès du mouvement, Bernard de Vesins pouvait affirmer qu’elle constituait le plus fort groupement régional d’Action Française. Pourtant cette constatation arrivait au moment où, depuis plus d’un an, le « néo-royalisme » connaissait une crise grave et douloureuse provoquée par une force que l’agnostique Maurras considérait comme un des piliers de notre civilisation, l’Eglise catholique et romaine.

    Après la condamnation

    25Le 27 avril 1926, le bulletin diocésain de Bordeaux publie la lettre du cardinal Andrieu attaquant vivement la pensée de Maurras3. Cette lettre rencontre d’abord très peu d’écho dans la presse locale. Le 3 octobre 1926, l’Echo de Notre-Dame de la Garde, organe officiel du diocèse de Marseille, publie sans aucun commentaire la lettre de soutien de Pie XI, puis le 19 décembre un document romain sur l’Action française. Dans l’archidiocèse d’Aix, La Semaine Religieuse publie le 7 octobre, sous la signature de Mgr Rivière-qui n’a jamais caché ses sympathies pour le mouvement-, une mise au point qui s’efforce de limiter à des aspects purement philosophiques la condamnation. L’allocution pontificale du 20 décembre 1926 suivie le 29 décembre de la mise à l’Index des livres de Maurras et du journal lui-même ne pouvaient plus guère laisser de doute sur l’attitude du Vatican. Cette fois, alors que l’archevêque d’Aix comme l’évêque coadjuteur d’Avignon restent silencieux, Mgr Champavier, évêque de Marseille, prend nettement position le 16 janvier 1927 :

    « Le Saint-Père a parlé. Il nous l’a dit, il a parlé pour remplir un grave devoir de sa lourde charge. Il ne nous reste qu’à obéir…. fût-ce même au prix de vrais sacrifices… »

    26La réponse vient dans les premiers jours de février sous la forme d’une adresse aux dirigeants de la Ligue signée par le commandant Dromard, le vice-président Régis d’Oléon, maire de Rognonas, le secrétaire Henri Lavalade et plusieurs responsables de sections. Ils s’affirment « profondément respectueux de l’autorité souveraine du Saint-Père dans le domaine de la foi et de la morale » mais se déclarent « fermement résolus à poursuivre leur action politique jusqu’à l’établissement du Roi très Chrétien sur le trône de ses pères » et désireux « d’user de leur juste liberté en suivant les chefs en qui ils ont confiance et qui, loin d’avoir démérité ont su rendre à l’Eglise et à la patrie des services éclatants ».

    27Il est vrai que pendant cette année 1927 les effets des décisions romaines sont assez difficiles à appréhender. Les rassemblements royalistes sont aussi fréquents et attirent autant de monde qu’avant. Le 29 mai, dans cette commune de Barbentane où l’Echo Paroissial continue à ignorer les censures ecclésiastiques, ils sont au moins 7 000, selon la police, ou près de 20 000 selon Le Petit Marseillais (républicain modéré !) venus acclamer Léon Daudet. L’envoyé spécial est frappé par la jeunesse de beaucoup de participants et par le nombre élevé de femmes pour une réunion politique.

    28Apparemment le noyau militant est peu touché et semble même se renforcer. En novembre 1927, le commandant Dromard annonce 283 adhésions nouvelles contre une vingtaine de départs. Un an plus tard, en novembre 1928, il annonce pour l’année écoulée 18 démissions contre 138 adhésions et se félicite de la solidité des groupes de commissaires dont trois au moins sont en nette progression : celui de Marseille que dirige Léon Noetinger, celui de Toulon avec le commandant Ollivier et celui de Nice avec Joseph Darnand. Même dans le milieu des dames et des jeunes filles royalistes où l’influence de l’Eglise est plus sensible, les adhésions l’emportent sur les démissions. Il est vrai que le clergé local, soit par sympathie comme chez les Prémontrés de Saint-Michel-de-Frigolet ou les Dominicains du couvent de Sainte-Maxime, soit par simple esprit de charité, hésita à appliquer trop strictement l’exclusion des sacrements préconisée par Rome. Toutefois on relève quelques faits significatifs : l’absence d’ecclésiastiques aux réunions du mouvement ; les Camelots du Roi n’encadrent plus les réunions de la Fédération nationale catholique ; plusieurs responsables des groupements catholiques démissionnent.

    29D’une façon plus générale, c’est tout un environnement favorable dans le milieu catholique qui s’effrite peu à peu, le plus inquiétant se situant au niveau des écoles « libres » que fréquentaient beaucoup d’enfants de ligueurs.

    30Malgré tout dans les dernières années de la IIIe République, le mouvement – peut-être plus nationaliste que royaliste pour certains adhérents – reste encore très vivace. En 1931, la Fédération revendique cinquante sections, dont 22 dans les Bouches-du-Rhône ; en 1934, les chiffres avancés sont respectivement de 75 et de 32. C’est l’époque des grands rassemblements de Roquemartine dans les bois du marquis de Bonnecorse, où le régisseur Gaston Clavel réunit 10 000 partisans en août 1934 et où le pasteur de Lourmarin qui signe Noël Vesper et fait partie de l’« Association Sully » qui regroupe quelques protestants sympathisants peut écrire : « Je vois là des gens comme ceux que rassemblent les kermesses protestantes dans nos paroisses ou mieux les assemblées du Musée du Désert. Un élément populaire et rural dominant, des petits bourgeois, des figures d’intellectuels et d’artistes, peu de gens de châteaux, beaucoup de gens de mas… Sont-ils tous royalistes ?… Il y a surtout une dévotion autour du maître de l’Action française. Cette foule est une Eglise ou une famille… »

    31C’est encore le moment où, en janvier 1935, plusieurs centaines de fidèles vont acclamer, dans la propriété du comte et de la comtesse d’Estienne d’Orves, cette Isabelle, duchesse de Guise, dont ils sentent bien qu’elle les porte plus dans son cœur que son hésitant époux et son trop « habile » fils, Henri. Il y a là aussi le fils de ceux qui reçoivent, Honoré, officier de Marine. Quant au service d’ordre, il n’est plus assuré par Joseph Darnand, qui vient de prendre ses distances par rapport à un mouvement qu’à l’exemple de quelques autres il juge désormais trop « mou » ou pas assez « actif ». A sa place, le nouveau chef des commissaires est un certain Maurice Juif !

    32D’Estienne d’Orves, Darnand, deux noms qui vont symboliser, pendant la guerre, les chemins divergents de nombre de militants accordant priorité à un nationalisme particulièrement hostile aux « brumes germaniques » chez les uns, hostilité dominante à la « gueuse » et « tentation fasciste » chez les autres. A eux seuls, ces deux noms et ces deux histoires mériteraient de plus amples développements.

    Notes de bas de page

    1 Lettre adressée à M. Olive, directeur de La Gazette du Midi, retrouvée dans les archives de la famille Foresta.

    2 Cf. le Blocus de Saint Michel de Frigolet, Avignon, imprimerie Lagrange, 1881.

    3 Cf. article dans Etudes maurrassiennes, No 5, 1986.

    Auteur

    • Gérard Gaudin

      Gérard Gaudin, agrégé de l’université et docteur ès lettres, est l’auteur d’une thèse : Le royalisme dans les Bouches-du-Rhône de 1876 à 1927. De la fidélité à l’idéologie. Contribution à l’étude des Blancs du Midi, Université d’Aix-Marseille I, 1978.

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    2 Cf. le Blocus de Saint Michel de Frigolet, Avignon, imprimerie Lagrange, 1881.

    3 Cf. article dans Etudes maurrassiennes, No 5, 1986.

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    • Audigier, François. (2018) Les Prétoriens du Général. DOI: 10.4000/books.pur.168098
    • Legge, Elizabeth. (2016) A Companion to Dada and Surrealism. DOI: 10.1002/9781118476215.ch5
    • (2021) 1870-1914. DOI: 10.3917/gall.ducle.2021.01.0974
    • Dard, Olivier. (2019) Reactionary Nationalists, Fascists and Dictatorships in the Twentieth Century. DOI: 10.1007/978-3-030-22411-0_2
    • (2010) Comptes rendus. Histoire, économie & société, 29e année. DOI: 10.3917/hes.102.0129
    • Bernard, Mathias. (2012) Des années 1930 aux années 1980 : invariants et mutations du populisme à la française. Cités, 49. DOI: 10.3917/cite.049.0119
    • (2010) Relire le XIXe siècle politique. Cahiers Jaurès, N° 198. DOI: 10.3917/cj.198.0131
    • Michel, Florian. (2012) Jacques Maritain jaurésien ? Une jeunesse entre révolution et socialisme démocratique. Cahiers Jaurès, N° 204. DOI: 10.3917/cj.204.0017
    • CAMPBELL, CAROLINE. (2018) Gender and Politics in Interwar and Vichy France. Contemporary European History, 27. DOI: 10.1017/S0960777317000108

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    • Dard, Olivier. (2019) Reactionary Nationalists, Fascists and Dictatorships in the Twentieth Century. DOI: 10.1007/978-3-030-22411-0_2

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