Les milieux médicaux et l’Action française
The Action française and the doctors
p. 113-119
Résumés
Entre les deux guerres, les rapports entre l’Action française et le corps médical sont solides et abondants, dans le domaine des idées comme dans celui de l’engagement. L’AF a su amplifier ou utiliser les préoccupations des médecins pour leur suggérer qu’elle pouvait être leur interprète le plus naturel. Pour ce faire, elle s’appuie sur une base de convictions communes (comme la valeur des traditions, le respect des hiérarchies, la distinction des élites), qu’elle adapte aux préoccupations les plus factuelles (telles que la menace financière représentée par une concurrence dont seraient responsables les médecins étrangers et juifs, favorisés par la « République folle »). Elle développe des groupes et des organes de presse destinés aux médecins et accueille ces questions professionnelles dans les colonnes de son journal. Elle séduit une partie de l’élite et constitue souvent le premier vecteur de l’entrée des étudiants en politique. Mais les points de rencontre se limitent au discours antisémite et xénophobe, les maurrassiens étant incapables de prendre en compte la réalité de l’exercice de la médecine dans toutes ses dimensions économiques et sociales. L’Action française s’en tient donc à un violent discours contestataire et à d’assez vagues propositions corporatistes. Ces idées semblent trouver leur débouché idéal dans les lois édictées par le gouvernement de Vichy sur l’exclusion des médecins étrangers et juifs et sur la création de l’Ordre des médecins. Leur échec final contribuera à rendre obsolètes les liens entre médecins français et Action française.
In the years between the two World Wars, the relations between the Action française and doctors were strong and numerous, with respect to ideas as well as militant involvement. AF managed to vocalise or use the concerns of the medical profession to suggest to them that it might be their most natural advocate. To that purpose, it built upon a basis of commonly held convictions (such as the value of traditions, respect for hierarchies, the superiority of the elite), which it adapts to more matter-of-fact concerns (such as the financial threat from the competition allegedly represented by foreign and Jewish doctors, favoured by “the Republic gone mad”). It developed groups and written media aimed at doctors and harboured such professional questions in the pages of its paper. It seduced parts of the elite and was often the gateway for students entering the political arena. But their common ground was limited to the anti-Semitic and xenophobic rhetoric, as the royalists were unable to embrace the reality of the practice of medicine in all its socioeconomic dimensions. AF kept to violent protestations and rather vague propositions of a corporatist character. These ideas seemed to find their ideal outlet in the laws passed by the Vichy government on the exclusion of foreign and Jewish doctors and on the creation of the Ordre des Médecins. Their final failure contributed to invalidate the links between the French medical profession and AF.
Texte intégral
1Contrairement à ce que suggère l’intuition, les rapports entre l’Action française et le corps médical sont, entre les deux guerres, abondants dans le domaine des idées comme dans celui de l’engagement. L’AF a cherché à initier, amplifier ou utiliser les préoccupations des médecins pour leur suggérer qu’elle pouvait être leur interprète le plus naturel.
2Pour ce faire, elle s’appuie sur une base de convictions communes telles que la valeur des traditions, le respect des hiérarchies, la distinction des élites. Mais ces idées ne sont pas tout à fait comprises de la même façon par les médecins et par les maurrassiens. Aussi l’Action française doit-elle chercher un terrain plus propice pour conquérir de larges pans du corps médical. L’occasion lui en est procurée par les obsessions des médecins, en particulier à propos de la menace financière représentée par une concurrence – malhonnête - dont seraient responsables les médecins étrangers et juifs, favorisés par l’Etat. Elle instrumentalise les revendications des médecins pour promouvoir ses thèmes corporatistes, mais aussi pour alimenter sa contestation globale du régime. Sur cette base, afin de favoriser l’engagement du plus grand nombre, elle s’efforce d’attirer à elle des professeurs de médecine et chefs de services hospitaliers prestigieux (des « patrons ») et développe des groupes et des organes de presse destinés aux médecins, en plus de la place qui leur est faite dans les colonnes de son journal. Les tentatives de mise en œuvre de ces idées sous le régime de Vichy seront évoquées en conclusion.
Des convictions communes mais décevantes pour l’Action française
3Avant la Seconde Guerre mondiale, les médecins ne sont pas des scientifiques. L’idéologie médicale présente la médecine comme un art, pratiqué par des hommes détenteurs d’une culture humaniste. Celle-ci implique une connaissance des lettres et des langues anciennes. Elle est aussi le signe de l’appartenance à une classe sociale, la bourgeoisie. Cette représentation correspond aux réalités : les médecins sont issus des baccalauréats littéraires, ils appartiennent le plus souvent à des familles de la moyenne bourgeoisie, ne serait-ce que pour des raisons financières, les études médicales étant longues et prenantes, et l’installation nécessitant un petit capital initial.
4Les médecins sont aussi dans plus de la moitié des cas fils de médecins. Ce qui pourrait n’être qu’une facilité pratique est revendiqué au sein du corps médical comme la marque d’une identité et un moyen de transmettre des attributs. De ce fait, le népotisme est assumé, ainsi que le favoritisme, c’est-à-dire le fait qu’un professeur de médecine puisse favoriser ses élèves au moment des examens et des concours. Dans le milieu médical, c’est une tradition qui est assez largement admise, voire revendiquée comme une valeur : le seul jugement pertinent est porté sur le travail en commun et non pas sur des épreuves d’un jour. On pourrait croire que l’Action française partage ce primat donné à la tradition et aux hiérarchies naturelles. Or, on sait que c’est le favoritisme qui a détourné Léon Daudet de finir sa médecine. A la suite de ses démêlés avec Charcot, il exhale précisément sa rancœur dans son livre charge, Les Morticoles (1892). Mais, par la suite, ses campagnes répétées dans L’Action française restent sans écho.
« Maintes fois depuis que mes amis et moi avons fondé à Paris un journal royaliste quotidien complètement indépendant, j’ai fait savoir aux médecins de valeur, opprimés et brimés par le haut personnel de l’École, que nous mettions l’Action française à leur disposition. Ils n’ont tenté aucune offensive de délivrance. » (Devant la douleur, éd. de 1931).
5L’indifférence des médecins aux offres de service de Daudet s’avère manifeste quand l’AF clame son indignation à l’occasion du scandale du concours de l’internat des hôpitaux de Paris, en 1932. Malgré l’ampleur des fraudes, il n’emporte pas l’adhésion sur le sujet d’une vaste réforme des concours. Or, l’AF, devant un tel attachement des médecins à leur mode de fonctionnement, peut difficilement affirmer qu’il s’agit d’une perversion due au régime républicain ou démocratique.
6Le sentiment des médecins d’appartenir à un groupe solidement constitué et à une élite s’appuie sur la réalité de leur position sociale, qui en fait des notables, parfois les plus importants dans les petites villes ou les campagnes. Le médecin est en position de prestige et de visibilité. Ce prestige se double d’une image généralement très valorisée dans la société. Ces circonstances expliquent que le médecin soit convoité par tous les mouvements politiques, et donc par l’Action française, pour son pouvoir d’influence et son éventuel rôle de propagandiste. D’où le fait que l’AF se mette à l’affût d’un terrain plus propice que celui des « valeurs » pour pouvoir se poser en interprète des médecins.
L’Action française interprète des médecins
7Depuis la fin du XIXe siècle, les médecins ont l’impression de subir des entraves qui ont des répercussions sur leur situation financière et donc sociale. Les quelques premières lois sociales (accidents du travail, victimes de guerre…) leur apparaissent comme des ingérences de l’Etat dans une pratique libre, modérée jusqu’ici par la déontologie et la philanthropie. Sur ce terrain concret, l’Action française n’a rien à proposer, du fait de l’indigence de sa réflexion économique. Par exemple elle ne se mêle guère du combat autour des Assurances sociales en 1928, si ce n’est pour s’égosiller contre la République et son nivellement par le bas. Pendant ce temps, le syndicalisme médical fait reculer les pouvoirs publics et obtient la reconnaissance de principes de la médecine libérale toujours en vigueur aujourd’hui.
8Mais, en parallèle de ce combat, l’Action française peut davantage rencontrer les médecins en adoptant une de leurs obsessions : la pléthore médicale. Quelle que soit la réalité des chiffres (en 1900, 17 000 médecins pour 38 millions de Français ; en 1928, 27 500 pour 40 millions ; en 1939, 30 000), l’impression domine au sein du corps médical que les difficultés viennent de l’élévation intempestive du nombre des médecins exerçant en France. L’offre excéderait la demande solvable de soins (il n’y a pas de sécurité sociale et les Assurances sociales, qui datent de 1929, ne couvrent qu’une partie minime des frais de santé). L’AF s’empare de ce poncif pour le transformer en discours impérialiste dont elle se fait le diffuseur le plus tenace, par l’intermédiaire de ses organes de presse, dès les années 1920.
9A cette pléthore, les médecins ne veulent pas remédier par la sélection car elle risquerait d’aller à l’encontre de la reproduction familiale. L’AF d’ailleurs les rejoint sur le terrain de la défense des « libertés universitaires ». Il convient donc de trouver une solution différente. Or, elle semble surgir à point : il y a trop d’étrangers, trop de juifs et surtout trop d’étrangers juifs, parmi les médecins exerçant en France.
10A la présence d’étrangers et d’étrangers juifs parmi les médecins, il y a trois causes : la loi de 1892 a ouvert l’exercice de la médecine en France à tout titulaire du doctorat d’Etat français, quelle que soit sa nationalité ; les besoins en médecins induits par la mobilisation pendant la Première Guerre mondiale et la volonté de rayonnement de la puissance victorieuse après l’armistice ont constitué un puissant appel d’air parmi les étudiants ; enfin, la ségrégation qui sévit dans les pays d’Europe centrale pousse de jeunes juifs à venir étudier la médecine en France puis à s’y installer, faute de pouvoir utiliser leur doctorat dans leur pays d’origine.
11Pour désigner ces étrangers indésirables, le terme de « métèques » s’impose durant les années 1920. Il apparaît dans l’Etudiant français dès 1925 pour un usage systématique autour duquel vont s’organiser les campagnes. Ce journal insiste sur les incidents xénophobes qui surviendraient dans les facultés ou les services hospitaliers.
12Les médecins, et surtout les étudiants en médecine ont défini des revendications précises pour arrêter la concurrence, qu’ils estiment déloyale, des étrangers. Ils réclament en particulier l’égalité devant le service militaire (les étrangers, qui en sont dispensés, gagnent un ou deux ans sur le moment de l’installation). Ils s’opposent aux naturalisations facilitées par la loi de 1927 : s’ils laissent passer la limite d’âge du service militaire, les étrangers peuvent ensuite se faire naturaliser sans avoir perdu de précieuses années. La presse professionnelle, avec l’appui des syndicats médicaux, publie des listes de noms de médecins et d’étudiants en médecine naturalisés, comme une forme de dénonciation. L’AF se fait fort de les relayer.
13Une loi sur l’exercice de la médecine, la loi Armbruster de 1933, s’efforce de remédier aux disparités les plus criantes. Elle limite l’exercice de la médecine aux citoyens français, mais elle n’exclut évidemment pas les naturalisés. Elle n’est pas rétroactive et prévoit de larges dérogations, eu égard aux situations acquises. Ainsi, en cristallisant la situation, elle envenime en fait le débat. Si bien qu’il faudra une deuxième loi (loi Cousin-Nast en 1936) pour essayer de calmer les esprits.
14Le mécontentement s’exacerbe et culmine lors des grèves de 1935. Le mouvement commence à faculté de médecine de Montpellier (qui compte effectivement un tiers d’étudiants étrangers), puis il est relayé à travers la France par l’Association générale des étudiants (dans l’orbite de l’Action française). L’activisme de l’AF trouve enfin un terrain incroyablement favorable pour se déployer. La réunion d’Action française du 24 janvier 1935, destinée à lancer le mouvement à Paris, se déroule « sous le signe de la France du 6 février ». De janvier à mars 1935, ce sont deux mois de manifestations et de monômes aux cris de « dehors les métèques », durant lesquels sont aussi conspués les noms des professeurs à consonance étrangère ou juive. Ces manifestations sont aujourd’hui essentiellement connues par la publication de photos du jeune François Mitterrand sous des banderoles xénophobes. Ces photos soulignent que l’agitation a largement débordé le cadre de revendications corporatistes pour répandre dans tout le milieu étudiant des thèmes nationalistes virulents.
15Il faut ajouter que, parmi les médecins, l’antisémitisme est alors banal et diffus. C’est à peine une opinion, plutôt un état d’esprit général. Il est entretenu par l’utilisation qu’en fait la presse d’extrême-droite comme exemple par excellence de « l’invasion étrangère » ou de « l’emprise juive » en France, surtout si cette presse a des racines dans l’AF (Je suis partout).
16Le responsable désigné est bien sûr l’Etat. L’AF a son slogan : « l’Etat contre le médecin », titre d’une thèse de médecine soutenue à Paris en 1928, dédicacée à Maurras, par Paul Guérin, un responsable parisien de l’AF. Devenu chroniqueur médical à Je suis partout, il se spécialisera sous l’Occupation dans la dénonciation des médecins juifs continuant à pratiquer et des confrères qui les y aident.
17La réplique proposée par l’AF réside dans le corporatisme, qui doit se traduire par la création d ‘ un Ordre des médecins qui aurait la haute main sur l’organisation, la régulation, voire la formation de la profession. Une proposition de loi est déposée en la matière par Xavier Vallat en 1923. Plus largement, ce fantasme de la pléthore et de l’invasion est instrumentalisé par l’AF pour nourrir sa contestation du régime puisqu’elles seraient dues, au mieux, à l’incompétence des pouvoirs publics, au pire à un complot contre les élites. Ce discours est martelé et décliné en direction du grand public en tant qu’exemple type, et pour conquérir les médecins. Par ce biais, l’AF semble en effet avoir trouvé la clef d’une pénétration très vaste du milieu médical.
Vecteurs de l’engagement
18Il y a évidemment des médecins élus au niveau local ou national. En 1928, par exemple, 45 médecins sont députés, la moitié étant des radicaux, des membres de la SFIO ou des républicains « quelque chose ». La proportion est la même pour les 178 médecins élus conseillers généraux. Mais parmi les élus, les médecins militants d’Action française sont peu nombreux. En un sens, l’adhésion aux idées d’AF ne les prédispose pas à ce type d’action politique.
19Au contraire, il apparaît que l’Action française est souvent le vecteur du premier engagement politique du jeune étudiant en médecine, comme dans les autres facultés d’ailleurs. Malgré la limite au militantisme mise par la surcharge des emplois du temps, les convictions semblent perdurer une fois les études finies. Aux élections étudiantes aux conseils d’Université, les associations corporatives fusionnent avec les associations de droite pour former des listes communes. Elles recueillent en moyenne 70 % des voix.
20L’engagement se fait de façon informelle ou formelle au travers de l’AF ou d’associations ou de groupes dédiés, tels les étudiants d’AF ou tout simplement le groupe médical d’AF. Les temps forts du groupe médical sont ses banquets en province (en particulier à Montpellier) et, à Paris, le banquet annuel. Celui de 1933 est présidé par Charles Maurras, sur le thème : « le corps médical français et la restauration nationale ». Cette année-là, on y compte 700 participants, pour 7 000 médecins et 5 000 étudiants en médecine en région parisienne. En 1935, ils seront 1 500. En outre, l’Action française édite de 1926 à 1933 un mensuel spécialisé, Le Médecin.
21En l’état actuel des connaissances, il est impossible de chiffrer les adhérents médecins à l’AF. Mais on peut affirmer, sans risque de se tromper, qu’elle compte, dans les années 1930 en particulier, beaucoup de sympathisants, toutes générations confondues. Ce pouvoir d’attraction est renforcé par la présence dans les comités d’honneur de ces différents groupes de prestigieux patrons qui affichent leur appartenance et qui intègrent leurs convictions politiques dans les critères de choix de leurs élèves externes ou internes ou dans la manière de commentaire sociopolitique qui accompagne la visite quotidienne du service hospitalier qui est le lieu de l’enseignement pratique (l’hôpital est alors le lieu de soin et d’accueil des indigents et il n’est pas difficile de faire retomber sur la République ou la « démocrassouille » la responsabilité de toute la misère humaine). Le professeur Tixier (père de Jean-Louis Tixier Vignancour) est célèbre pour les opinions qu’il affiche avec ostentation quand il « passe » la visite dans son service. Des professeurs de médecine et non des moindres (Victor Balthazard, titulaire de la chaire de médecine légale, ancien doyen de la faculté de médecine de Paris, Noël Fiessinger) président des thèses xénophobes ou antisémites : De l’étude et de l’exercice de la médecine en France par les étrangers (1934) ; De l’envahissement du corps médical par certains éléments nés en Pologne et Roumanie (travail fait avec le concours du syndicat des médecins de la Seine et de la Confédération des syndicats médicaux français) ou Aspect médical et social du problème des étrangers en France, toutes deux en 1939. Sous ce dernier titre, 20 % des pages sont consacrés à la pléthore médicale, avec des listes de 120 noms de médecins nés à l’étranger. « En étudiant ces divers noms à consonance bizarre, nous remarquons que nous nous trouvons en présence de gens faisant partie des minorités ethniques d’Europe centrale ou orientale ».
22Dans ce milieu où règnent le conformisme et le principe d’autorité, la captation de membres de la hiérarchie par l’AF constitue l’un des facteurs les plus puissants de propagande et de recrutement. Surtout que cet engagement n’a pas d’équivalent de l’autre côté de l’échiquier politique.
23Enfin, en dépit de la condamnation vaticane de 1926, l’adhésion peut être renforcée par l’appartenance aux très puissantes associations catholiques d’étudiants en médecine (la conférence Laennec à Paris) ou de médecins (la conférence Saint Luc, de portée nationale).
24Tous ces projets semblent trouver leur débouché idéal dans les lois édictées par le gouvernement de Vichy au début de la Révolution nationale C’est ce genre de mise en relation qui a pu faire passer Vichy pour une émanation du maurrassisme.
25Il faut remarquer en particulier l’interdiction de l’exercice aux médecins nés de père étranger (y compris nés en France ou naturalisés). Maurras, dans L’Action française du 21 août 1940, salue cette loi du 16 août comme une autre « divine surprise » : « Les médecins français seront chez eux en France. Encore une cause nationale et corporatiste pour laquelle l’Action française a combattu de longues années ». Cette loi est mise en œuvre dans un sens plus continûment antisémite que xénophobe du fait des instances spécialement créées dans le cadre d’un Ordre des médecins, institué « auprès du ministre secrétaire d’Etat à l’Intérieur » (loi du 7 octobre 1940). En outre, l’accès aux postes publics est interdit aux Juifs par le premier statut (4 octobre 1940), puis un numerus clausus est opposé aux étudiants et aux praticiens (statut du 2 juin 1941).
26Mais à regarder de près la vie des médecins sous le régime de Vichy, la réforme de l’exercice de la médecine que laissait entrevoir Vichy constitue une déception sur toute la ligne : déception financière (inquisition fiscale, tarifs d’Assurances sociales rongés par l’inflation), déception en termes d’autonomie (certificats en tous genres, coercition de l’Ordre), déception en termes de pratique quotidienne (restrictions, paperasserie, manque de médecins) et enfin déception en termes de déontologie (rôle explicite d’« auxiliaires des pouvoirs publics », obligation de dénoncer les blessés par balles, visite médicale préalable au STO). On constate d’après les résultats des élections pour les conseils de l’Ordre de 1943 (25 000 praticiens votants, ce qui constitue le plus grand scrutin en France sous l’Occupation) que les médecins ne veulent pas devenir les auxiliaires des pouvoirs publics, quels qu’ils soient. Ils le manifestent en votant non pas pour les candidats désignés par le gouvernement, mais soit pour des contestataires discrets, soit pour des membres de la hiérarchie professionnelle traditionnelle.
27Ce constat renforce l’idée que l’AF avait échoué à prendre en compte tous les aspects de la profession médicale et s’était contentée de relayer un discours xénophobe et antisémite qui correspondait parfaitement à ses propres penchants, mais ne représentait qu’une part minime de la réalité des préoccupations des médecins. C’est pourquoi ce n’est peut-être pas tant le discrédit de l’Action française après la Libération qui a rendu obsolètes les liens entre médecins et AF, que la transformation complète après guerre des conditions d’exercice et de pratique de la médecine.
Auteur
-
Bénédicte Vergez-Chaignon
Docteur en histoire et éditrice à Paris. Elle a notamment publié : Le Docteur Ménétrel (Paris, Perrin, 2001) et Vichy en prison (Paris, Gallimard, 2006).
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