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La reconnaissance à l’épreuve

 | 
Jean-Paul Payet
, 
Alain Battegay

Chapitre V. La reconnaissance partagée : épreuves d’altérité

De ville en cité : la (re) connaissance de la vulnérabilité

Pedro Garcia-Sanchez

Texte intégral

  • 1 Confortée historiquement par la colonisation des Amériques, la perspective euro-centriste occupe un (...)

1On sait à quel point la production de savoirs urbains a souvent opéré par rapprochement avec un idéal-type plutôt normatif de la ville1. La réflexion sur la reconnaissance semblerait privilégier également les approches marquées par la construction de l’injonction. On pourrait s’interroger avec Axel Honneth (2000) sur les conditions pour que les capacités des gens soient reconnues par l’autrui généralisé. Mais il me semble aussi important de ne pas faire l’impasse sur ce qui, par sa nature labile, pose souvent problème dans les qualifications de leurs engagements. Car une opacité sociologiquement et anthropologiquement insoutenable est entretenue lorsqu’on continue à penser l’autre détaché de son environnement et des épreuves propres à son altérité – et en particulier de celles qui le font apparaître d’ordinaire démuni de préséances et de majuscule.

Quelle (re) connaissance face aux conflits d’urbanité ?

2De ville en cité, l’intérêt pour la vie sociale et politique des espaces-temps métropolitains qui affrontent des difficultés considérables dans la gestion des inégalités me conduit à interroger les liens entre cognition et reconnaissance. Il faut donc identifier de quelle reconnaissance il s’agit. D’abord, en quoi la focalisation problématique sur le va-et-vient entre ville et cité anime l’enquête concernant les registres socio-spatiaux et sociopolitiques ainsi que leurs modes de coordination ? Les conflits d’urbanité qui définissent les qualités civiles, civiques et écologiques des épreuves du vivre-ensemble apparaissent alors comme les leviers de cette enquête. Ensuite, comment l’identification de la vulnérabilité dans tous ses états au cours de ces conflits permet de proposer un référentiel sociologique aux « politiques de la reconnaissance » (cf. la contribution de Samuel Bordreuil dans cet ouvrage) ? Par ce déplacement d’attention qui relativise la centralité des identités en tant qu’objet, l’invitation est faite au déploiement d’une anthropologie des liens. Finalement, comment penser la diversité interprétative de la reconnaissance au regard de la construction d’une connaissance et, de ce fait, d’une façon d’investir sa place dans les « villes-monde » ?

3L’enjeu scientifique est double. Primo, pas de reconnaissance sans cognition. Cette opération structure les interprétations par des procédés qui donnent aux acteurs un sens de l’organisation sociale se modifiant par étapes et permettant d’assigner une signification à un environnement d’objets (Cicourel, 1979). Puis, il est ainsi restitué aux sens sociaux (Conein, 2005) l’aptitude à créer ce « plus de société » dont il est question pour subvenir aux besoins de l’échange sociable depuis Simmel. Secundo, pas de cognition de la reconnaissance sans suivre les méandres singuliers explorés par la sociologie morale. L’introduction au numéro thématique de la revue du MAUSS posait déjà cette question : « Comment situer la reconnaissance par rapport à l’estime, à l’admiration, à l’envie, à la gratitude… » (Caillé, 2004) ? L’enquête sur les moyens plus ou moins mis à l’œuvre pour s’acheminer vers une « société décente » (Margalit, 1999) est d’une importance heuristique dans les contextes marqués par des processus de polarisation qui nuisent au pluralisme démocratique. Car ces contextes demeurent le plus souvent problématiques malgré les équipements civiques et leurs injonctions, comme le cas de Caracas le montre. D’où mon intérêt de reconnaître l’ordre public par son armature écologique plutôt que par son ancrage dans une autorité dont on a souvent du mal à discerner entre son caractère prétorien, policier ou politique.

Caracas : le cheminement d’une grammaire de la guerre

4La ville est au centre de tensions engendrées par les « cultures de carrefour » (Battegay, 2000) qui façonnent les enjeux sociaux-spatiaux contemporains. La cité incarne la ville en tant que « personne morale » (Le Petit Robert) par les plans d’aménagement autant que par d’autres impératifs d’ordre. L’enracinement et la mobilité définissent les règles de composition de l’urbanisation (Remy et Voyé, 1981), tout autant que la tension entre les qualités « communautaires » et « publiques » d’une société. C’est pourtant l’investissement sociopolitique qui rend ces qualités complémentaires ou antinomiques. Ville et cité profitent ou sont piégées par les contradictions d’un monde où coexistent la civilisation en réseaux et la territorialisation à outrance des appartenances, des conforts citadins et des conflits collectifs.

5Caracas est un bon exemple de la contemporanéité de ce tiraillement : tantôt elle se substitue à la Nation du XIXe siècle en tant que « scène du culte à la culture » (Delgado, 1999) avec ses empreintes métisses, tantôt elle devient le spectre d’un archipel d’enclaves. Cette ville n’a pas eu à vivre en état de guerre depuis la fin du XIXe siècle lorsque les derniers caudillos régionaux ont été soumis par le centralisme dictatorial qui formalisera la République. Cependant, une partie significative des conflits d’urbanité qui y ont lieu depuis un quart de siècle sont perçus, reconnus, qualifiés et traités comme si c’était le cas.

  • 2 Pour comprendre les enjeux catégoriels du terme « grammaire » en sciences sociales voir Boltanski (...)
  • 3 Selon l’Annuaire de mortalité du Ministère de la Santé et du Développement Social du Venezuela, 72  (...)

6Cela dit, on peut comprendre en quoi une grammaire de la guerre a pu faire son chemin pour devenir l’écran fragile des affrontements propres à une société qui a du mal à faire cohabiter ses communautés2. Les morts violentes (en particulier dans les quartiers pauvres) se comptent par milliers chaque année3. Cela n’est pas sans effet sur la relativisation morale et pratique dont sont l’objet d’autres formes de fragilisation de la personne et du lien : l’insulte, l’agression délinquante ou politique, la séquestration... La militarisation de la fonction publique et la montée en puissance du modèle « urgentiste » se renforcent comme piliers de la gouvernementalité. Le traitement en ennemis des adversaires ou de ceux qui ne sont pas perçus comme semblables devient monnaie courante. La menace, le soupçon et la sociabilité de surveillance se normalisent parmi les dispositifs ordinaires de régulation du lien civil, social et politique (Garcia Sanchez, 2006a).

7Un événement est central pour comprendre l’éclatement urbain de cette dérive et son inscription durable dans la cité : les émeutes d’El Caracazo de 1989. Les disputes entre passagers et chauffeurs à propos de l’augmentation du prix du transport en commun transforment une implosion d’origine socio-économique en explosion collective. La mobilité urbaine en tant que vecteur d’une vulnérabilité socio-spatiale fondamentale s’annonce déjà comme un facteur de définition (pour la ville) négligé (par la cité). Les présupposés sociétaux qui donnent une consistance ordinaire à l’ordre public disparaissent pour quelques jours entre la « justice populaire » des saccages et le délire d’appropriation des pillages. L’incertain traduit comme dangereux s’inscrit désormais dans cette ville qui voit ainsi son horizon de cité se défaire entre la normalisation de l’urgence comme politique (via l’état de siège et le couvre-feu) et la versatilité des forces de l’ordre au regard de la chose publique, de la propriété privée et de la dignité humaine. Dans la comptabilité de morts (qui varient entre une centaine et plus du millier), le hiatus entre les visions officielle et officieuse (des associations civiques) s’instaure comme norme sociétale, puis restera comme source cognitive de la polarisation actuelle.

8Mais c’est dans l’après-Caracazo que l’étalement à compte-gouttes d’un magma insécuritaire mettra le citadin à l’épreuve du soubresaut permanent. Des phénomènes ponctuels et différenciés finissent par constituer des séries ou des ensembles plus ou moins diffus. La dynamique « sensibilisation spectaculaire - désensibilisation spectrale » qui s’empare de la publicisation des problèmes de violence confortera la place des citadins tantôt comme victimes ou spectateurs de la déréliction, tantôt comme « guerriers contre la vermine ». El Caracazo non seulement montre les limites ordinaires des normes et des institutions politiques, mais il se constitue lui-même en « phénomène normatif » (Gibbs, 1989). Le darwinisme urbain qui s’étale dès les années quatre-vingt-dix trouve dans El Caracazo sa fondation non parce que ses bases historiques y auraient été engendrées, mais parce qu’elles peuvent se montrer désormais sans ménagement sensible, civil et civique. Cette évidence - imminence de la vulnérabilité généralisée s’est progressivement étalée dans sa vie publique, imprégnant significativement ses régimes de justification et d’altérité, ainsi que ses ressources de contiguïté et d’échange.

Les épreuves de la juste mesure dans une cité sur commande

9Le processus décrit n’a pas lieu sous une dictature, ni dans une économie précaire, ni encore dans un contexte où l’ingénierie sociopolitique néglige la reconnaissance d’une majorité sociale appauvrie et des minorités culturelles ou ethniques. La continuité du système démocratique depuis 1958 est un acquis historique de presque un demi siècle dont très peu des pays de l’Amérique Latine peuvent se réclamer. Le rôle stratégique du pétrole dans la géopolitique actuelle de l’énergie permet à l’État vénézuélien de compter sur des revenus sans précédent. Le raz de marée de l’arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir présidentiel en 1998 et sa maîtrise des dispositifs gouvernementaux, représentatifs, judiciaires et électoraux ont permis d’installer une dynamique politique durable. Cette dynamique légitime une emprise d’identification idéologique-émotionnelle, civico-militaire, populaire-populiste et communautaire-communautariste sur le domaine public. Par un autoritarisme plus ou moins diffus qui arrive cependant à tenir dans les limites des formalités démocratiques, une cité sur commande déploie son ambition, ses réussites et sa puissance troublante (Garcia Sanchez, 2006b).

10La transformation institutionnelle par laquelle s’accomplit cette emprise est multiple : nouvelle constitution nationale et reformulation d’une majorité des lois ; refondation de domaines de l’action publique ; centralisation de sources financières ; changement du nom et des emblèmes de la République ; substitution des élites ; mise en valeur juxtaposée des langages et des stéréotypes de la culture populaire et militaire ; redéfinition de modèles éducatifs et historiques sur la base du parallélisme épique entre Simón Bolívar et Chavez ; encouragement d’un nouveau partage identitaire binaire : « chavistes » et « émaciés », « nationalistes » et « pro-impérialistes »...

  • 4 Le Ministre de la santé et du développement social justifie publiquement en février 2004 le licenci (...)

11Cette dynamique mobilise des éléments qui peuvent être rapprochés du travail d’emprise identitaire relevant des sphères sur lesquelles Honneth (2000) fonde la reconnaissance normative : l’amour qui conduirait à la confiance en soi, le droit qui donnerait accès au respect et la solidarité qui habiliterait son estime. Néanmoins, le panorama proposé par les statistiques sociales et sécuritaires et la montée en généralité de la « vulnérabilisation » du lien civil tirent la sonnette d’alarme quant à la traduction ordinaire des nouveaux partages qui inspirent la cité caraquéenne. Cette dernière cultive une logique de table rase et d’imposition révolutionnaire dont l’ampleur érosive au regard de l’autre - qui ne se manifeste pas comme autrui - est redoutable. Les traductions institutionnelles qui, de ville en cité, glorifient « les pauvres » comme le moteur du « socialisme du XXIe siècle » et supportent « la participation populaire des communautés organisées » partent souvent d’un principe : traiter les enjeux sociaux avec des filtres politiques basés sur la bonne et vieille discrimination identitaire4. La construction du politique est certes enrichie par la participation d’une partie de la population appartenant aux couches populaires… à condition de devenir fidèle clientèle. L’instabilité sociale qu’El Caracazo révèle dès la fin des années quatre-vingt va se renforcer alors avec sa politisation exacerbée dès la fin des années quatre-vingt-dix.

  • 5 La création des pouvoirs « moral » et « électoral » et leurs diverses figures (le Défenseur du Peup (...)

12Cette sémantique s’étale dans la vie publique en évoquant d’une part la peur, la crise et l’urgence et, d’autre part, la révolution, la rédemption populaire et la participation communautaire. Elle traduit certes les dérives inhérentes à toute polarisation. Mais cela indique également les leurres d’une dynamique qui fait de la reconnaissance une question d’injonctions fondées sur des identités. Or, c’est plutôt au niveau de figures de la médiation que les problèmes les plus graves (mais aussi les solutions) se posent dans un contexte polarisé. Ces figures de la médiation prennent des formes identitaires (policier, procureur, ombudsman…), mais aussi interactionnelles (intégration des interventions critiques dans les comptes-rendus de débats, équité dans l’attribution de rôles dans les commissions, prise en compte de propositions des minorités dans les décisions…). L’ampleur du malaise sociétal est alors mise en évidence, car c’est justement au moment où l’État vénézuélien a multiplié l’institutionnalisation de figures identitaires de la médiation que les difficultés à « se reconnaître du même monde » s’avèrent insurmontables à défaut du concours d’un tiers étranger5.

13Qu’il s’agisse de la justice, des médias, de l’urbanisation ou des institutions électorales, c’est dans la refondation et la réparation du lien entre les communautés différentes que les enjeux citadins et citoyens se posent. La reconnaissance peut alors se mesurer à l’aune d’une estime, d’un respect et d’une confiance dont les « dernières instances » ne sont pas à chercher dans les appartenances, le droit ou le recours à l’autorité, mais dans l’acquiescement de l’autre et l’encadrement coproduit qui suppose une telle réciprocité. On comprend alors l’importance des outils cognitifs, communicationnels et politiques permettant d’équiper la juste mesure face aux épreuves civiles et civiques du vivre ensemble.

De l’anthropologie de la ville à la sociologie morale : la vulnérabilité dépliée

14Si, dans ce parcours de ville en cité, il n’y a pas que l’urbain pour définir les modes de coordination entre les enjeux socio-spatiaux et socio-politiques, force est de constater que la ville ne devient cité qu’à condition de (re) connaître les paramètres de la condition vulnérable. Une telle reconnaissance peut servir non seulement à dresser un portrait critique mais aussi à identifier les répertoires d’action. Ce faisant, la société du risque à laquelle fait face le monde contemporain peut être rendue intelligible non seulement à travers les phénomènes qui convoquent la perspective de l’exception (catastrophes naturelles et/ou humanitaires, révolutions, états de siège…), mais aussi de son « opérativité discrète » (Roux, 2006) et de sa vulnérabilité dépliée.

15Vulnérabilité identitaire d’abord, car derrière un visage, un nom ou un corps non seulement comptent les enjeux de l’autonomie et de l’appartenance, mais aussi les épreuves situationnelles de consistance et de cohérence sociale auxquelles ces enjeux sont soumis. Vulnérabilité socio-spatiale ensuite, car les qualités d’un contexte donné ne sont jamais étrangères à la façon dont on conçoit les échelles et les articulations entre territorialisation et passage. Qu’une frontière donnée devienne seuil dépend autant de l’ouverture de limites que de l’hospitalité face au tout-venant. L’échelonnement visible et lisible entre les domaines public, communautaire ou privé d’ingérence devient ainsi un levier pour que la porosité ambiante de nos sociétés plurielles soit perçue comme ressource plutôt que comme contrainte. Vulnérabilité institutionnelle également, car lorsque les espaces et les interactions sont soumis davantage aux contingences propres à leur caractère d’ouverture et à leur degré élevé de publicité, les logiques institutionnelles prenant parti dans leur gestion s’empiètent fréquemment. Vulnérabilité des engagements enfin, car si les accords négociés incarnent les issues envisageables des conflits, c’est bien parce que les tensions accompagnent l’action et que les tiraillements gouvernent les volontés. C’est le terrain des interactions, avec ses arrangements circonstanciés et avec les aléas d’une réciprocité, qui peut prétendre au rassemblement et non à la ressemblance.

16L’objectif sociologique de la reconnaissance est-il de faire que le lien puisse surmonter à tout prix sa vulnérabilité en ayant recours aux grammaires normatives du bien commun ? Ne faudrait-il d’abord prendre au sérieux la réciprocité émergente de l’intermittence et de la faillibilité relationnelle sur laquelle s’assoient la ville et la cité tel qu’Isaac Joseph avait pu le suggérer (1998) ? Cette perspective permet de montrer les leurres d’un modèle qui nie le principe d’autonomie des citadins en faisant « comme si » leur vulnérabilité nécessitait toujours une asymétrie de rapport pour être prise en charge. A Caracas, la paix civile, en tant que ciment de la cité, ne cesse pas d’en faire les frais.

17On comprend alors l’intérêt d’explorer davantage les interfaces entre l’anthropologie de la ville et la sociologie morale. La démarche, ancrée dans une restitution pragmatiste des singularités, mène l’enquête sur les procédures ordinaires de mise en commun de l’action au lieu de se cantonner dans le dilemme relativisme - objectivisme. Cela ouvre des perspectives quant à l’importance de la reconnaissance d’une cognition distribuée pour réaliser que la vulnérabilité dans nos sociétés contemporaines ne se trouve pas là où les « bonnes consciences » insurrectionnelles, compassionnelles, alarmistes ou conventionnelles le voudraient.

Bibliographie

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Caillé, A. (2004). Présentation. Revue du Mauss : De la reconnaissance. Don, identité et estime de soi, 23, 5-28.

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Conein, B. (2005). Les sens sociaux. Trois essais de sociologie cognitive. Paris : Economica.

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Webber, M. (1996). L’urbain sans lieu ni bornes. La Tour d’Aigues : L’Aube.

Weber, M. (1992). La ville. Paris : Aubier.

Notes

1 Confortée historiquement par la colonisation des Amériques, la perspective euro-centriste occupe une place déterminante parmi ces modèles dans le monde occidental. La substantivation suggérée par le titre du livre de Weber « La Ville » (1992) contribue par ailleurs à la confusion concernant le dessin de l’idéal-type comme outil de méthode avec son usage téléologique. La ville nord-américaine, dont le modèle a été rendu célèbre par les différentes « Ecoles de Chicago » (en socio-anthropologie, en architecture-urbanisme ou en économie), représente une modernité « Middle East » qui a recouvert les vestiges des établissements indiens et de la ville coloniale dans le Nouveau Monde. La ville des architectes et des urbanistes certes, mais aussi des « informalités » des migrants et des inégalités produites par le déploiement technique qui accompagne l’accroissement des mobilités s’est développée dans un XXe siècle où l’urbain a proliféré « sans lieu ni bornes » (Webber, 1996).

2 Pour comprendre les enjeux catégoriels du terme « grammaire » en sciences sociales voir Boltanski & Thévenot (1991) ; Lemieux (2006). Mon emploi est indicatif d’une forme d’intelligibilité qui met en avant, dans une démarche déductive, la cohérence formelle et sémantique des situations. L’identification d’une « grammaire de la guerre » sert à comprendre comment les acteurs tournent les situations à leur avantage et tentent de configurer un ordre plus général (interprétatif ou politique). Cela n’empêche d’interpeller sa pertinence pour analyser les différends propres aux conflits d’urbanité au regard des procédures et des engagements divers par lesquels ces conflits se déroulent. Cette grammaire a alors tendance à suivre une logique rigide, binaire et concurrentielle (ami-ennemi, gagnant-perdant…) qui réduit la complexité temporelle, sémantique et pragmatique des interactions.

3 Selon l’Annuaire de mortalité du Ministère de la Santé et du Développement Social du Venezuela, 72 439 morts violentes ont eu lieu entre 1999 et 2004, dont près de la moitié dans la région métropolitaine de Caracas et trente-neuf pour cent parmi les jeunes entre quinze et vingt-quatre ans. Dans les classements du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) pour les années 2000, Caracas est parmi les trois principales villes présentant le plus de risques de mort par assassinat en Amérique Latine.

4 Le Ministre de la santé et du développement social justifie publiquement en février 2004 le licenciement massif des fonctionnaires publics ayant signé la pétition de referendum révocatoire car « il s’agit d’un acte conspirateur et terroriste ». Depuis, les signataires de cette pétition sont exclus de l’embauche et de l’obtention des crédits publics. La liste de pétitionnaires circule sous la forme d’un cd-rom commercialisé par les vendeurs à la sauvette. Certains cas sont l’objet d’une procédure à la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme.

5 La création des pouvoirs « moral » et « électoral » et leurs diverses figures (le Défenseur du Peuple, le Contrôleur de la République…), la duplication des juges du Tribunal Suprême de Justice ou le devenir constitutionnel d’une « démocratie participative » n’amoindrissent en rien paradoxalement la nécessité incontournable d’avoir recours aux institutions internationales (Union Européenne, Amnistie Internationale…) pour que la production d’information et l’arbitrage des différends soient crédibles et acceptables pour l’ensemble des acteurs.

Auteur

Sociologue, GSPM/IMM, IPRAUS/UMR « AUS », Université Paris X-Nanterre

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