Introduction. Les intermédiaires du droit de la propriété intellectuelle

Christian Bessy

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Introduction. Les intermédiaires du droit de la propriété intellectuelle

Christian Bessy

p. 307-314

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S’il est un domaine où le droit s’est internationalisé de manière ancienne, c’est bien le droit de la propriété intellectuelle (DPI), comme le montrent les chapitres de Jérôme Baudry et de Gabriel Galvez-Behar. Désormais d’innombrables arènes de discussion et de négociation ont émergé et dans lesquelles se jouent les cadres et les règles d’une nouvelle (auto)régulation des activités économiques au niveau international. Stéphanie Lacour et Rachel Roumet traitent ainsi dans leurs chapitres respectifs de questions liées au développement généralisé du dépôt de brevet dans la période contemporaine, avec d’une part le problème de l’extension de la brevetabilité à de nouveaux objets et, d’autre part, la spoliation des connaissances des peuples autochtones par les grandes entreprises pharmaceutiques. États, instances supranationales et firmes multinationales doivent composer avec des acteurs jusqu’alors exclus ou non prévus au programme des négociations et qui cherchent à développer des solutions alternatives à l’idéologie propriétaire. Dans ces différents processus de négociation et de mobilisation collectives, nous voudrions mettre l’accent sur le rôle des « intermédiaires du droit » dans leur capacité à créer des médiations entre les énoncés juridiques définis en toute généralité et les dispositifs de coordination créés par les acteurs dans leur domaine d’activité, mais aussi entre divers niveaux de régulation. L’accroissement des enjeux autour des procès en matière de DPI témoigne d’un surinvestissement dans les ressources juridiques, si bien qu’au lieu d’être source de sécurité, le droit en la matière, à force d’être instrumentalisé, est devenu un facteur d’incertitude.

If there is a domain where the law internationalized in an ancient manner, it is certainly intellectual property law (IPL), as Jérôme Baudry and Gabriel Galvez-Behar demonstrate in their chapters. Now innumerable discussion and negotiation platforms have emerged in which the frameworks and the rules of a new (self)regulation of economic activities at the international level play out. In their respective chapters, Stéphanie Lacour and Rachel Roumet address questions linked to the generalized development of the contemporary patent application with, on the one hand, the problem of extending patentability to new objects, and, on the other hand, the large pharmaceutical companies looting indigenous peoples’ knowledge. States, supranational bodies, and multinationals must deal with actors, who, until then, were excluded or unexpected at the negotiations and who sought to develop alternative solutions to the proprietary ideology. In these different processes of collective negotiation and mobilization, we wish to highlight the role of “intermediaries of the law” in their capacity to mediate between generalized defined legal formulations and the coordination agreements created by the actors in their field of activity, but also between diverse levels of regulation. The growth of issues around IPL trials testifies to an overinvestment in legal resources, and instead of becoming a source of security, IPL has been instrumentalized and become a factor of uncertainty.

Extrait

1S’il est un domaine où le droit s’est rapidement internationalisé, c’est bien le droit de la propriété intellectuelle (DPI). D’une part, le droit français et américain de l’époque révolutionnaire a été largement influencé par le droit britannique en matière d’invention (et si l’on remonte plus loin dans l’histoire, l’idée d’un privilège sur l’importation d’inventions étrangère s’est fortement diffusée en Europe). D’autre part, au-delà de la diffusion du modèle de l’inventeur (ou encore de l’auteur), cette internationalisation est également liée à la spécificité des œuvres de l’esprit qui présentent les caractéristiques d’un bien public pouvant circuler rapidement dans des lieux distincts de sa production originelle. Et c’est aussi parce que cette circulation rapide des connaissances peut faire l’objet d’un commerce avantageux dans différents pays que l’on a cherché à harmoniser, dès la fin du XIX^e siècle, les DPI au niveau international (Convention d’Union de Paris, en 1883,

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1 Cf. Orsi, F., Zimmermann, B., « Propriété intellectuelle et globalisation : des TRIPS au modèle open-source ». Les exemples des médicaments et des logiciels, WP 2012-16 de l’ANR Propice, 2012.

2 Cf. sur ce point, Frison-Roche, M.-A., Abello, A. (dir.), Droit et Économie de la propriété intellectuelle, Paris, LGDJ, 2005. Les auteurs mettent l’accent sur une réforme du DPI afin de mieux réguler les marchés (de plus en plus globalisés), donc de relier de manière plus solidaire DPI et droit de la concurrence, mais aussi droit de la santé et droit de l’environnement.

3 Cf. Coriat, B. (dir.), Le retour des communs. La crise de l’idéologie prioritaire, Paris, LLL, 2015.

4 Sur cette notion d’intermédiaire du droit, Bessy, C., Delpeuch, T. et Pélisse, J. (dir.), Droit et régulations des activités économiques : perspectives sociologiques et institutionnalistes, Paris, LGDJ-lextenso éd., 2011. Pour une application au droit du brevet, Bessy, C., « Organisations intermédiaires et accords de licence de technologie », Revue d’Économie Industrielle, n° 115, 3^e trim., 2006, p. 71-104.

5 Ajoutons qu’il faut attendre l’après-guerre pour que soit conçue la classification internationale des brevets à la suite de l’Arrangement de Strasbourg de 1971, administré par l’Organisation mondiale de la Propriété Intellectuelle, elle-même créée en 1967.

6 Il faudrait aussi préciser que les scientifiques sont avant tout intéressés par la reconnaissance de la paternité des idées à laquelle sont associés tous les honneurs.

7 Notons qu’il y a eu un alignement sur ce principe au niveau international, en particulier à partir de 2011 avec l’abandon du principe « first to invent » aux États-Unis.

8 L’auteur donne l’exemple de l’ouvrage de Boldrin, M. et Levine, D., Against Intellectual Monopoly, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, qui a fait l’objet de nombreux débats.

9 Cf. les travaux de Marie-Angèle Hermitte sur cette question : « Les revendications des autochtones sur leurs ressources et leurs connaissances, économie du partage ou biens souverains ? », F. Bellivier, C. Noiville (dir.), La bioéquité. Partage autour du partage du vivant, Paris, Autrement, 2009.

10 Une telle privatisation comporte des risques sociaux importants, même si la littérature actuelle démontre que cette solution est un moindre mal du fait des caractéristiques de ces industries. Sur cette question, David, P., Shurmer, M., « Formal standards-setting for global telecommunications and information services. Towards an institutional regime transformation? », Telecommunications Policy, 20(10), 1996, p. 789-815.

11 Milton L. Mueller montre l’efficacité de l’interdépendance entre des services et des infrastructures de réseau exclusifs et privés, d’un côté, et des standards (end to end protocoles, noms de domaine et adresses IP) ouverts et non propriétaires, de l’autre côté. Mueller, M. L., « Property and Commons in Internet Governance », E. Brousseau, M. Marzouki et C. Méadel (éds), Governance, Regulations and Powers on the Internet, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 39-62.

12 Cf. Lazega, E., « Réseaux et régulation : Pour un institutionnalisme néo-structural », Revue de la régulation, 19/1^er semestre/Spring, 2016.

13 Cf. Dobusch, L., Quack, S., « Framing standards, mobilizing users: Copyright versus fair use in transnational regulation », Review of International Political Economy, 1, 2012, p. 1-37.

L'échelle des régulations politiques, XVIII^e-XXI^e siècles

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Ce livre est cité par

Le Bot, Florent. (2021) Introduction. L'Homme & la Société, n° 213. DOI: 10.3917/lhs.213.0019

L'échelle des régulations politiques, XVIII^e-XXI^e siècles

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Bessy, C. (2019). Introduction. Les intermédiaires du droit de la propriété intellectuelle. In V. Albe, J. Commaille, & F. Le Bot (éds.), L’échelle des régulations politiques, XVIIIe-XXIe siècles (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.35488

Bessy, Christian. « Introduction. Les intermédiaires du droit de la propriété intellectuelle ». In L’échelle des régulations politiques, XVIIIe-XXIe siècles, édité par Virginie Albe, Jacques Commaille, et Florent Le Bot. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2019. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.35488.

Bessy, Christian. « Introduction. Les intermédiaires du droit de la propriété intellectuelle ». L’échelle des régulations politiques, XVIIIe-XXIe siècles, édité par Virginie Albe et al., Presses universitaires du Septentrion, 2019, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.35488.

Référence numérique du livre

Albe, V., Commaille, J., & Le Bot, F. (éds.). (2019). L’échelle des régulations politiques, XVIIIe-XXIe siècles (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.35308

Albe, Virginie, Jacques Commaille, et Florent Le Bot, éd. L’échelle des régulations politiques, XVIIIe-XXIe siècles. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2019. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.35308.

Albe, Virginie, et al., éditeurs. L’échelle des régulations politiques, XVIIIe-XXIe siècles. Presses universitaires du Septentrion, 2019, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.35308.

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