L’illusion « 3D » à l’épreuve du langage cinématographique

Claude Bailblé

doi:10.4000/books.septentrion.24156

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Stéréoscopie et illusion

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Marie Auger, Artefact, mis en ligne le 27 novembre 2020. URL : https://journals.openedition.org/artefact/5207 ; DOI : https://doi.org/10.4000/artefact.5207

L’illusion « 3D » à l’épreuve du langage cinématographique

Claude Bailblé

p. 57-74

Extrait

1La vision humaine se construit sur des présupposés géométriques que l’on ne perçoit plus, tant le monde des objets s’impose à nous, avec une exactitude spatiale et une stabilité inconditionnelle. Pourtant l’image rétinienne – fondée sur la projection conique1 – n’est véritablement nette qu’au centre du champ visuel – sous cinq degrés – ce qui oblige la vue à d’incessants mouvements des yeux ou de la tête. Les glissements d’image qui en résultent sont effacés de la conscience, puisque les choses semblent rester à leur place : seul le regard paraît se déplacer d’un point à un autre de l’espace.

2La largeur du champ est donc explorée grâce aux mouvements de la tête et du cou, tandis que la profondeur des lieux est examinée par les mouvements oculaires de convergence qui règlent l’attention visuelle au plus proche comme au plus lointain. Ceci laisse entendre que la résolution musculaire (les yeux, la tête et le cou) est aussi précise que la résolution optique au centre de la rétin

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1 La projection conique, principe géométrique, transforme l’espace 3D réel en image bidimensionnelle miniature, lisible par les « pixels » rétiniens, à savoir les cônes et les bâtonnets. Ce principe sera repris par la photographie et le cinéma, avec une qualité plus grande, étendue à l’ensemble de la pellicule ou du capteur.

2 Le spectateur ne peut rattraper devant l’image projetée que ses propres mouvements : il lui est impossible de compenser ceux d’un cadrage agité ou instable, paradoxalement inscrits dans la fixité stable de l’écran.

3 La sélectivité binoculaire fut caractérisée par le physiologiste danois Peter Ludwig Panum, notamment par la découverte des aires de fusion élargies qui portent aujourd’hui son nom. En vision monoculaire, la « tranche d’espace » serait beaucoup plus étendue, limitée seulement par la profondeur de champ disponible (flou-net-flou).

4 Se reporter à James E. Cutting (Cornell University, Ithaca, New York) « How the eye measures reality and virtual reality », Behavior Research Methods, Instruments, & Computers, 1997, 29(1), p. 27-36 ainsi qu’à Rolf Henkel, « Vergence with Coherence-based Stereo », in http://axon.physik.uni-bremen.de/research/stereo/vergence/index.html.

5 Pour plus de détails sur ces deux stéréopsies, lire notamment L. Thyssen, « Binocular Vision » in Adler’s Physiology of Eye, William M. Hart Jnr. (éd.), 9^e édition, St-Louis, Mosby-Year Book, 1992, chap. 24.

6 La pyramide visuelle des peintres, bien différente de celle des stéréographes, allait de l’œil de l’artiste jusqu’au plan du tableau. Tandis que le tétraèdre de la 3D commence à quelque distance des yeux et s’achève dans les fonds du décor, encadré par les bords de l’écran.

7 La projection conique, au principe de l’image rétinienne, fait que les choses s’intermasquent les unes les autres complètement (« un train peut en cacher un autre… ») ou fragmentairement (« décale-toi un peu… »). L’interposition est alors un critère décisif des éloignements relatifs. Le découvrement ou le recouvrement des objets échelonnés dans la distance est du reste obtenu aussi par de légers glissements du point de vue : ces mouvements de la tête – ou de la caméra – lèvent toute ambiguïté sur la position des objets placés à différentes profondeurs. C’est pourquoi les travellings latéraux ou obliques ont la faveur des stéréographes, car la parallaxe de mouvement ajoute des informations essentielles sur les profondeurs relatives, par un incessant jeu de dé-re-couvrements.

8 Idem, voir L. Thyssen, op. cit.

9 On appelle ambitus de profondeur la distance qui sépare le premier plan de l’arrière-plan dans la « boîte scénique ». Un ambitus constant au long d’une séquence facilite le raccord des plans et diminue le temps de fusionnement stéréo après chaque cut. De même, le réglage des fonds de scène ou des lointains – plan après plan – sur un écart interimage constant de 6,5 cm (axes parallèles) diminue la fatigue oculaire et facilite les enchaînements.

10 Les senseurs disposés à l’intérieur des muscles de la vergence oculaire fournissent au cortex visuel un signal de rattrapage qui assure une constance de taille aux objets en approche ou en éloignement. Cette stabilisation en faveur du champ-objet a longtemps empêché de voir le système des fuyantes propres à l’image-perspective. En 3D, le rattrapage reste partiel en raison de la compression des profondeurs apparentes due au conflit d’indices entre accommodation figée sur l’écran et convergence à distance variable. Il n’y a donc pas en 3D de vrais lointains, pas plus que de vrais rapprochés.

11 La contrepartie de cette transparence est à chercher dans les précautions de la coupe qui sépare et unit les plans : raccords formels de continuité apparente, raccords d’implication (a=>b=>c), raccords discursifs, pour ne citer que ceux-là.

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Ce livre est cité par

Jacopin, Esther. (2019) « NumériScripte », ou les effets du numérique sur le métier de scripte cinéma. Mise au point. DOI: 10.4000/map.3657

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Référence numérique du chapitre

Bailblé, C. (2018). L’illusion « 3D » à l’épreuve du langage cinématographique. In M. Almiron, E. Jacopin, & G. Pisano (éds.), Stéréoscopie et illusion (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.24222

Bailblé, Claude. « L’illusion “3D” à l’épreuve du langage cinématographique ». In Stéréoscopie et illusion, édité par Miguel Almiron, Esther Jacopin, et Giusy Pisano. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2018. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.24222.

Bailblé, Claude. « L’illusion “3D” à l’épreuve du langage cinématographique ». Stéréoscopie et illusion, édité par Miguel Almiron et al., Presses universitaires du Septentrion, 2018, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.24222.

Référence numérique du livre

Almiron, M., Jacopin, E., & Pisano, G. (éds.). (2018). Stéréoscopie et illusion (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.24156

Almiron, Miguel, Esther Jacopin, et Giusy Pisano, éd. Stéréoscopie et illusion. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2018. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.24156.

Almiron, Miguel, et al., éditeurs. Stéréoscopie et illusion. Presses universitaires du Septentrion, 2018, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.24156.

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