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Partis et fondations politiques, des acteurs incontournables

Traduit par Isabelle Bonnefond (trad.)

p. 19-36


Texte intégral

1La discussion sur les partis en Allemagne se caractérise par une ambiguïté remarquable. Ceux-ci traversent en effet une crise1, et la fin des partis populaires, des partis d’adhérents et des partis de programmes a été annoncée à de nombreuses reprises. La désaffection vis-à-vis des partis est de plus en plus marquée. Ils occupent pourtant une place importante, tant dans les rubriques politiques des médias que dans les travaux des politologues : et si leur importance diminue sans doute, ils n’en continuent pas moins de jouer un rôle central. Il est impossible d’expliquer simplement le rôle joué par les partis en tant qu’acteurs du pouvoir. Une réponse différenciée sera donc apportée ici à deux niveaux : la position et le potentiel d’influence politique des partis seront d’abord analysés, puis sera étudié le système de partis proprement dit. Enfin, après un bref rappel historique, seront présentés les nouveaux modes de concurrence entre les partis allemands aujourd’hui.

La RFA est-elle un État de partis ?

2La question de savoir si la République fédérale d’Allemagne (RFA) est un « État de partis » se pose depuis sa naissance. Cette thèse a été formulée par Gerhard Leibholz, ancien juge de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht)2. La pièce maîtresse de son argumentation est l’idée selon laquelle la démocratie s’est transformée structurellement. Traditionnellement, les élections étaient perçues exclusivement comme un acte de transfert du pouvoir à certaines personnes pour une durée déterminée. La seule fonction du parti était d’organiser les élections et de présenter des candidats adéquats. Gerhard Leibholz, quant à lui, considère que les élections modernes sont un choix fait entre différents partis, qui sont les véritables acteurs des élections. Il considère les députés comme des mandataires liés aux partis : l’État de partis est, selon lui, une version rationnelle de la démocratie plébiscitaire. Cette théorie n’est confirmée entièrement ni par les études empiriques ni par le droit. La comparaison de la situation avec le modèle idéal d’État de partis permet toutefois des conclusions très intéressantes quant au rôle des partis en Allemagne.

La place faite aux partis par la Loi fondamentale

3L’époque de la République de Weimar (1918-1933) a été marquée par une tradition absolutiste antiparti typiquement allemande, et la Constitution de Weimar (Weimarer Reichsverfassung) de 1919 ne reconnaissait pas le rôle central joué par les partis dans les démocraties parlementaires modernes. Ainsi, l’échec de la République de Weimar et l’expérience de la terreur nazie ont profondément influencé les travaux du Conseil parlementaire constituant de 1948-1949, qui a tout fait pour empêcher un nouvel échec de la démocratie.

L’article 21 de la Loi fondamentale et la loi sur les partis

4L’article 21 de la Loi fondamentale souligne l’importance des partis pour l’ordre démocratique et précise que leur mission principale est de concourir à la formation de la volonté politique du peuple. Leur fondation est libre et leur organisation interne doit être conforme aux principes démocratiques. Ils doivent rendre compte publiquement de la provenance et de l’emploi de leurs ressources et de leurs biens. Ce même article mentionne également la possibilité d’interdire certains partis. Ces dispositions juridiques ont été concrétisées par la loi sur les partis adoptée en 1967, qui prévoit plusieurs définitions. Les partis sont des réunions de citoyens, caractérisées par une indépendance et une autonomie organisationnelle durables, et qui doivent au minimum participer aux élections au Bundestag ou aux diètes régionales (Landtage). La présentation de candidats aux élections est le principal élément qui différencie les partis des groupes d’intérêts.

5L’article 21 mentionne encore que les partis « concourent à la formation de la volonté politique du peuple » ; l’expression doit être précisée, mais elle contient un élément de réponse à la question de savoir si la République fédérale est un État de partis. Gerhard Leibholz considère qu’il s’agit là d’une reconnaissance de facto des partis comme organes de l’État, recoupant en cela les dispositions de l’article 38 de la Loi fondamentale : cet article précise en effet que les députés ne sont liés ni par des mandats ni par des instructions, et ne sont soumis qu’à leur conscience. La Cour constitutionnelle fédérale, toutefois, considère que les partis ne sont que des courroies de transmission entre l’État et la société : c’est le Bundestag qui représente le peuple ; les partis jouent quant à eux un rôle déterminant lors des élections et dans les rapports entre le Parlement et le peuple pendant la législature. Les partis sont l’interface, le trait d’union entre la sphère publique et la sphère sociale. Ils ne sont pas des organes constitutionnels, bien qu’ils assument des missions essentielles pour l’État et fassent partie intégrante de l’ordre constitutionnel.

6Les dispositions des articles 21 et 38 de la Loi fondamentale ne se recoupent donc pas ; les deux articles s’opposent, ce qui pose des problèmes à régler au cas par cas. La position de force qu’occupent les groupes parlementaires au Bundestag, conséquence logique de la fonction des partis lors des élections, est reconnue. La division du Parlement en différents groupes, où tout dépend du poids respectif de ces derniers, depuis le temps de parole jusqu’à la désignation des membres des commissions parlementaires, est reconnue par la Loi fondamentale. Ceci vaut également pour la discipline de groupe lors des votes, qui assure le bon fonctionnement du Bundestag. Les partis ont une liberté d’action et ont donc le droit de prendre des sanctions contre des députés rétifs, par exemple en les reléguant à des places où ils ont moins de chances d’être élus sur les listes lors des prochaines consultations électorales. En revanche, le groupe parlementaire n’a pas le droit d’imposer des amendes à un député ni de l’obliger à se démettre s’il ne respecte pas la discipline du groupe. En outre, la liberté de conscience des députés leur permet de changer de groupe parlementaire. La liberté du mandat vaut également pour les décisions du congrès du parti : les députés ne sont nullement contraints d’adapter leur vote en fonction de celles-ci.

Le financement des partis

7Puisque les partis ont une fonction d’intermédiaire, il est logique que l’État les subventionne. S’ils étaient considérés comme des organes de l’État, comme le dit Gerhard Leibholz, ils devraient être entièrement financés par celui-ci. Or ce n’est pas le cas. Le système allemand de financement des partis est largement influencé par les jugements de la Cour constitutionnelle fédérale, fidèles depuis des décennies à quelques objectifs : la garantie du bon fonctionnement du système, de l’égalité des chances, de l’indépendance par rapport à l’État et de la transparence financière des partis figurent parmi ses missions principales. Le régime actuel de financement des partis ne s’est développé que progressivement et est régi, essentiellement, par la loi sur les partis révisée et entrée en vigueur en 19943. Parmi ses principales dispositions, on peut mentionner la mise en place d’un plafond indexé sur l’inflation (qui s’élève actuellement à environ 135 millions d’euros par an) et le calcul du montant des subventions sur la base du nombre d’électeurs et du volume des dons faits à chaque parti.

8Le financement public des partis est un problème parmi les plus délicats. L’affaire des dons au parti de l’ancien chancelier Helmut Kohl, la Christlich Demokratische Union Deutschlands (CDU), a ébranlé la RFA de 1999 à 2001. Helmut Kohl avait accepté des dons avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les partis, sans que ceux-ci soient mentionnés dans le rapport sur les comptes de la CDU. Il a refusé jusqu’à présent de citer les noms des donateurs. D’autres « caisses noires » ont été découvertes dans les associations régionales de ce parti. Cette affaire de financement, qui a provoqué une crise existentielle dans les rangs de la CDU, a débouché sur la nomination d’une commission d’experts, qui a rendu son rapport final au président de la République fédérale en mai 2004. Bien que ce rapport se félicite des mesures prises en 2002 pour améliorer la transparence du financement des partis (l’interdiction des dons en espèces, par exemple), il critique les procédures comptables encore employées par les partis allemands.

9Le financement public des fondations proches des partis soulève également des problèmes, dans la mesure où il s’agit d’un financement dissimulé de missions incombant normalement aux partis. Le Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD) a fait preuve à cet égard d’une grande opacité : ce parti est devenu une gigantesque entreprise de médias grâce à son groupe de presse, mais sans que ceci n’apparaisse jamais dans ses comptes. Néanmoins, malgré toutes ces difficultés, la théorie de Leibholz n’a pas été confirmée par le financement public des partis. Les subventions publiques représentent environ 60 % des recettes des partis, sachant qu’il faut prendre en compte le fait que le montant des subventions publiques dépend des résultats des partis aux élections et de leur ancrage dans la société.

La possibilité d’interdire des partis

10L’article 21 alinéa 2 de la Loi fondamentale prévoit l’interdiction des « partis qui, d’après leurs buts ou d’après le comportement de leurs adhérents, tendent à porter atteinte à l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou à le renverser, ou à mettre en péril l’existence de la République fédérale d’Allemagne ». La Loi fondamentale reconnaît de cette façon l’importance particulière des partis pour l’ordre démocratique, qui ne peuvent être interdits par la Cour constitutionnelle fédérale qu’à la demande du Bundestag, du Bundesrat et du gouvernement fédéral (c’est ce que l’on appelle le Parteienprivileg, c’est-à-dire l’immunité accordée à un parti et à ses adhérents tant qu’ils n’ont pas été déclarés inconstitutionnels). Grâce à ce système, les partis établis ne peuvent pas empêcher à eux seuls l’émergence de nouveaux partis dans lesquels ils verraient des concurrents. Les associations ou groupements poursuivant des objectifs contraires à la Constitution sont en revanche interdits en raison de leur nature. Depuis la création de la RFA, deux partis ont ainsi été interdits : le Sozialistische Reichspartei (SRP, extrême droite) en 1952 et le Kommunistische Partei Deutschlands (KPD) en 1956. En revanche, la demande d’interdiction visant le Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD, extrême droite), en 2001, a été rejetée deux ans plus tard.

11L'usage de ce droit d’interdire des partis pour assurer la défense de la démocratie est controversé. Compte tenu de la stabilité de la démocratie allemande, on peut en effet s’interroger sur l’opportunité d’ouvrir une procédure contre des partis certes ennemis de la Constitution, mais qui ont des résultats médiocres aux élections. Cela peut leur faire de la publicité. Ces doutes sont d’autant plus justifiés que la demande d’interdiction peut être rejetée, comme cela été le cas pour le NPD. En outre, les militants de ces partis ne vont pas devenir démocrates du jour au lendemain pour la seule raison que leur parti a été interdit. On constate en fait que les organisations qui prennent la suite des partis interdits dissimulent leurs activités, ce qui les rend difficilement contrôlables. Il semble donc que la lutte politique contre les partis extrémistes soit plus efficace que l’interdiction pure et simple. Globalement, les dispositions sur l’interdiction des partis font nettement ressortir la place privilégiée des partis politiques.

Les fonctions des partis et les symptômes de crise de la démocratie de partis

12La thèse d’un État de partis et les symptômes des crises de la démocratie de partis doivent être mieux analysés pour étudier les fonctions de ces derniers. Le débat sur les missions qu’ils doivent remplir est vif4. J’évoquerai ici quatre de ces fonctions.

Le recrutement du personnel politique

13Le recrutement du personnel politique est sans aucun doute la première mission des partis dans le système allemand. Dans ce domaine, ils y exercent de facto un monopole. Ceci ne concerne pas seulement les personnages de premier plan (tous les présidents, chanceliers et ministres-présidents des Länder ont fait carrière dans un parti). Le passage par tous les niveaux du parti est presque toujours une condition nécessaire pour devenir ministre ou député à tous les échelons politiques. Il est rare de rencontrer des politiques qui n’ont pas suivi cette voie ou qui ne sont pas membres d’un parti, et la plupart d’entre eux rencontrent généralement de grandes difficultés pour s’établir dans la vie politique. On en veut pour preuve l’exemple de l’entrepreneur Jost Stollmann, que l’on avait présenté pendant la campagne électorale de 1998 comme le futur ministre de l’Économie de Gerhard Schröder, et qui a été rejeté après quelques apparitions malheureuses dans les médias. Son successeur, Werner Müller, qui n’appartenait pas non plus à un parti, n’a pas davantage réussi à s’imposer ; il a été remplacé en 2002 par Wolfgang Clement, ancien ministre-président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

14Les politiques doivent donc faire carrière au sein d’un parti. En outre, les partis allemands exercent une influence considérable sur les nominations dans l’administration et dans les médias du service public. Bien qu’il soit malaisé d’appréhender de manière globale la pénétration de la fonction publique par les partis, il est évident que ceux-ci jouent un rôle dans la désignation des hauts fonctionnaires, des magistrats, des responsables des autorités, des directeurs d’hôpitaux et des établissements scolaires. Les partis sont représentés dans les conseils de surveillance des médias du service public, ce qui leur confère le droit institutionnalisé de peser sur le choix des journalistes. Lorsqu’un parti est très longtemps aux affaires, on voit facilement comment il tisse sa « toile du pouvoir5 ».

15Malgré le rôle dominant des partis dans le recrutement du personnel politique, l’une de leurs principales faiblesses est devenue manifeste : ils sont confrontés à une baisse massive de leurs adhérents. Depuis la réunification, le SPD a perdu plus de 25 % de ses adhérents et la CDU plus de 20 %. Alors que les deux grands partis allemands comptaient, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, véritable âge d’or, presque 1 million d’adhérents pour le premier et 800 000 pour le second, ils n’en comptent plus que 600 000 dans l’Allemagne élargie, et la tendance est toujours à la baisse. Les adhésions aux partis sont en chute libre dans les nouveaux Länder : depuis 1990, le SPD a perdu presque 60 % de ses adhérents et le Freie Demokratische Partei (FDP, libéral) environ 80 %. Font exception la Christlich Soziale Union (CSU, socialchrétien) en Bavière, dont le nombre de membres est stable depuis de nombreuses années, ainsi que le Bündnis 90/Die Grünen (B90/Grüne, écologiste), dont le nombre d’adhérents a toutefois chuté depuis qu’il est entré au gouvernement en 1998. En outre, les membres des partis sont généralement vieillissants. Seuls 4 à 6 % des adhérents ont moins de 30 ans. Enfin, les adhérents qui sont restés dans les partis sont sans activité : ils ne sont que 10 à 25 % à se déclarer actifs. Le reste est composé de militants occasionnels ou inactifs.

16Il en ressort que l’Allemagne présente les caractéristiques marquées d’un État de partis sur le plan du recrutement du personnel politique. Malgré la chute du nombre d’adhérents, dont nous avons déjà parlé, il demeure le domaine réservé des partis. Reste à voir si le choix de Horst Köhler, qui n’était pas membre d’un parti politique et qui a été élu en mai 2004 au poste de président de la République fédérale, est annonciateur de la fin d’un monopole en matière de recrutement politique et si ce phénomène touche aussi les désignations aux plus hautes fonctions politiques. L’élection à la présidence de la République a souvent eu un « caractère sismographique » (Arnulf Baring) dans l’histoire de l’Allemagne.

La conceptualisation de la politique

17La rédaction des programmes, qui ont un impact extérieur extrêmement limité, est l’une des missions centrales des partis politiques. Mais le pourcentage de citoyens, voire d’adhérents de partis, qui lisent effectivement les programmes est très faible : les médias ne leur accordent que peu d’importance et ils jouent un rôle mineur dans la concurrence que se font aujourd’hui les partis : en réalité, c’est la fusion symbiotique entre les thèmes et l’image des politiques qui est la condition essentielle pour gagner les élections ; l’enjeu, pour les partis, est de montrer de manière théorique qu’ils ont la plus grande compétence pour résoudre les problèmes. On constate cependant que la confiance des électeurs dans la capacité des partis à résoudre les problèmes s’amenuise rapidement.

18Il semble également que les partis ne soient plus capables de définir de véritables orientations politiques6. Le développement des partis populistes et la tendance au centrisme politique rendent leurs messages de plus en plus ressemblants. Paradoxalement, la concurrence ne cesse de s’intensifier, alors que les différences de fond s’estompent. Les grands partis s’adressent tous aux mêmes électeurs potentiels mais ne développent plus de projets à long terme, car ce qui les intéresse est d’accéder au pouvoir à court terme. L’essentiel pour eux est de mieux gérer, non de développer le meilleur projet politique. On ne s’étonnera donc pas que le travail des partis sur leurs programmes soit aujourd’hui rentré dans l’ombre, comme le montre l’exemple du SPD. Bien que ce parti ait rompu radicalement avec ses valeurs traditionnelles en adoptant le programme intitulé « Agenda 2010 » du chancelier Schröder, la discussion en son sein sur la réorientation de la social-démocratie est enlisée depuis des années.

19Il semblerait ainsi que les partis n’arrivent plus à définir de grandes orientations. Le déséquilibre entre obsession et oubli du pouvoir, décrit par Richard von Weizsäcker, apparaît très nettement lorsque l’on analyse le rôle joué par les partis dans les désignations aux fonctions politiques d’une part et dans la définition de leurs objectifs d’autre part.

L’influence des partis sur la formation de la volonté du peuple

20La Loi fondamentale stipule que la participation des partis à la formation de la volonté du peuple est une de leurs missions essentielles. La thèse d’un État de partis de Gerhard Leibholz voudrait que les partis soient les seuls à exercer une influence déterminante. Or la réalité est plus nuancée. Les partis jouent certes un rôle important dans la formation de l’opinion des citoyens, mais ils le font aux côtés d’autres acteurs politiques de poids. Les médias, notamment, ainsi que les personnalités occupant des fonctions politiques, de même que les groupes d’intérêts et les instituts de sondages, jouent également un rôle. Certains de ces acteurs peuvent aussi se réclamer d’une autre politique, comme le mouvement Attac par exemple.

21Les partis ne monopolisent donc pas le processus de formation de l’opinion. L’identification à un parti continue certes de jouer un rôle de premier plan dans le choix des électeurs, mais beaucoup prétendent que les partis sont « guidés de l’extérieur » et soulignent les rapports qu’ils entretiennent avec les groupes d’intérêts, les médias et les instituts de sondages. Il est fréquent de dire aujourd’hui que les partis sont « pilotés » par la télévision, le journal Bild et les sondages d’opinion. Les partis ne sont plus seuls à décider du choix de leurs dirigeants politiques : la façon dont un politique « passe » dans les médias et le prestige dont il est crédité par les sondages auprès de l’opinion publique sont des facteurs déterminants. On l’a très bien vu lors de l’élection d’Angela Merkel à la présidence de la CDU en 2000, qui a été favorisée par la bienveillance des médias. Un an et demi après, les sondeurs d’opinion ont contribué à arrêter le choix du candidat de la CDU/CSU pour le poste de chancelier : ils prévoyaient qu’Edmund Stoiber (CSU) avait de meilleures chances de l’emporter contre Gerhard Schröder lors des élections au Parlement de 2002.

22La relation tripartite entre partis, médias et électeurs est cependant plus complexe. Les partis ne sont ni entièrement menés ni complètement meneurs. Mais il convient de relativiser leur prééminence, car ils ont d’autant plus de mal à peser sur la formation de la volonté politique que leur réputation a beaucoup souffert. Les électeurs manifestent leur lassitude à leur égard et leur désintérêt politique, et ils protestent : les partis ont du mal à se faire accepter. Les scandales politiques rendent plus profonde la distance prise par les citoyens. On peut donc se demander dans quelle mesure les partis peuvent encore assumer leurs fonctions de légitimation de l’action politique et de relais des intérêts de la société dans les décisions prises par l’État. La concurrence politique continue de concerner au premier chef les partis, et les électeurs ne votent pas pour un député mais pour un parti et ses têtes de liste. Pourtant, l’État de partis s’est là aussi affaibli.

L’influence des partis sur le Parlement et le gouvernement

23On a déjà mentionné le fait que les partis ont une situation de quasi-monopole pour la désignation aux postes gouvernementaux et au Parlement. D’autres paramètres interviennent néanmoins dans la définition du contenu de la politique. Le poids de la bureaucratie ministérielle, l’influence des groupes d’intérêts et des médias sur la formulation de la politique ne doivent pas être sous-estimés. Les projets de lois, qui sont préparés dans leur grande majorité par des fonctionnaires du gouvernement, sont négociés au stade du projet par la bureaucratie ministérielle avec les milieux concernés, ce qui rend plus difficile des modifications a posteriori. Le style de gouvernement de Gerhard Schröder, qui consiste à créer des commissions où siègent des personnalités pour traiter des questions politiques conflictuelles, va dans ce sens. Les décisions des congrès des partis n’ont que peu d’influence sur la politique au quotidien.

24À cet égard, les membres du gouvernement ou des groupes parlementaires jouent un rôle plus important que les organisations des partis. Il faut toutefois souligner que toute séparation entre détenteurs de fonctions politiques et partis serait artificielle, dans la mesure où les membres du gouvernement et les députés du Bundestag occupent souvent des fonctions importantes au sein de leur parti, et que les partis et les détenteurs de postes dans l’appareil d’État se concertent étroitement. Les permanents des partis participent ainsi tout naturellement aux négociations entre partis de gouvernement, qui servent à coordonner la politique gouvernementale. Ce mécanisme de navette fonctionne aussi dans les partis d’opposition, principalement entre les réunions du comité directeur et celles du bureau.

Le système de partis de la République fédérale – stabilité et changement

25Le système de partis de la République de Weimar était marqué par le démantèlement du centre politique et par un très fort éparpillement. Son évolution dans la République fédérale n’en est que plus étonnante. Le « miracle des partis », caractérisé par un processus de concentration, une tendance au centrisme et une forte dynamique d’intégration, ainsi que par la volonté affichée des partis d’assumer des responsabilités gouvernementales, a grandement contribué à la stabilité du système politique allemand après 19457.

1945-1989 : concentration, système des « deux partis et demi », fragmentation

1945-1961 : formation et concentration

26Le système de partis en Allemagne est né dans des conditions particulières, celles de l’occupation alliée. De nombreuses initiatives ont alors vu le jour, visant à maintenir ou à fonder de nouveaux partis, tant dans la zone occidentale que dans la zone soviétique. Un parti ne pouvait être fondé que si les Alliés accordaient une licence. La continuité était à l’ordre du jour pour les partis de gauche : le SPD et le KPD se situaient dans le droit fil de la tradition de la République de Weimar. Deux partis furent fondés dans le camp conservateur, la CDU et la CSU, deux mouvements interconfessionnels, ce qui était nouveau dans l’histoire des partis politiques allemands. Le FDP regroupait les libéraux, très fragmentés avant la guerre et dont les rangs avaient été décimés.

27La situation a évolué de façon particulière dès 1945 dans la zone d’occupation soviétique – préférence accordée au KPD, regroupement des partis en un « front unitaire antifasciste », fusion forcée du KPD et du SPD qui formèrent la SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands) en avril 1946 –, tandis qu’un système de partis libres se mettait en place dans les zones d’occupation occidentales. Après la fin de la politique d’octroi de licences par les Alliés, les résultats des premières élections au Bundestag et des élections aux Landtage en 1950-1951 firent craindre, en raison de fortes tendances à l’éparpillement, un retour à la situation qui prévalait sous la République de Weimar, et ce, d’autant plus que la coalition gouvernementale du chancelier Adenauer ne disposait que d’une très faible majorité au Bundestag. Un phénomène de concentration s’amorça toutefois dès la première législature, qui dura jusqu’en 1961 (le premier Bundestag comptait dix partis, le deuxième sept en 1953-1957, le troisième quatre pour la période 1957-1961). Cette évolution s’explique par nombre de facteurs :

  • l’un des principaux est le « miracle économique » des années 1950, avec l’intégration réussie des réfugiés, la modernisation et la sécularisation croissantes de la société et la dédramatisation des particularismes régionaux, qui ont estompé les lignes de fracture sociale. Cette situation a entraîné une marginalisation des partis nés de ces clivages, parmi lesquels le BHE (Block der Heimatvertriebenen und Entrechteten, dit « Bloc des réfugiés »), le BP (Bayernpartei) et le DP (Deutsche Partei). Les tentatives de créer d’autres partis ont échoué ;

  • la bipolarisation de la vie politique autour de la CDU/CSU et du SPD a offert aux électeurs des choix démocratiques clairs. Les deux partis ont démontré au fil des ans leur forte capacité d’intégration. L’Union (la CDU), qui se voulait dès le départ un parti populaire, a su s’attirer de très nombreux électeurs grâce à la réussite de son action gouvernementale. Elle a même obtenu en 1957 la majorité absolue des voix (1949 : 31 %, 1957 : 50,2 %), événement resté unique dans les annales du Bundestag. Ce faisant, l’Union a également absorbé le potentiel électoral de nombreux partis plus petits. Le SPD, quant à lui, ne s’est transformé en parti populaire que vers la fin des années 1950, le symbole de cette transformation étant le programme de Godesberg, adopté en 1959. Ce changement de programme et de style lui ont valu de gagner beaucoup de nouveaux électeurs ;

  • on citera enfin la réforme du système électoral. En 1949, le seuil de 5 % n’était appliqué qu’au niveau des Länder ; en 1953, il fut étendu à l’ensemble du territoire allemand. Les partis durent dorénavant obtenir plus de 5 % des voix sur tout le pays pour être représentés au Parlement, ce qui s’avéra un obstacle infranchissable pour de nombreux petits partis.

1961-1983 : le système des « deux partis et demi »

28Il n’est finalement resté que trois partis constamment représentés au Bundestag : la CDU/CSU, composée de deux partis qui s’étaient regroupés pour former un groupe parlementaire au niveau fédéral et s’étaient partagé le territoire électoral (la CSU en Bavière et la CDU dans les autres Länder) pour éviter de se faire concurrence ; le SPD, deuxième parti populaire ; enfin le petit FDP. Plusieurs spécificités caractérisent cette phase :

  • la concentration maximale des partis : les trois partis représentés au Bundestag ont recueilli de 95 à 99 % des voix entre 1961 et 1983. En interagissant, ils ont créé un système fermé. La concurrence entre partis vise nettement le centre politique, là où se trouve le principal réservoir d’électeurs. La participation électorale était à cette époque supérieure à 90 %, ce qui permet de conclure à une très forte légitimité du système des partis ;

  • la « majorité structurelle » de l’Union : à cette époque, comme à celles qui l’ont précédée et suivie, l’Union était de loin le parti le plus puissant. La seule exception furent les élections au Bundestag de 1972. Dans les années 1970, l’Union a été très proche de la majorité absolue. Théoriquement, cela lui conférait un avantage pour la formation d’un gouvernement ;

  • une capacité globale – quoique variable – des partis à former des coalitions. L’ère chrétienne-libérale jusqu’en 1966, la grande coalition de 1966 à 1969 et la coalition sociale-libérale de 1969 à 1982 ont incarné toutes les variantes possibles en matière de coalition politique. Toutefois, la constellation du système à deux partis et demi a entraîné une asymétrie, car un parti n’est jamais arrivé à lui seul à obtenir la majorité absolue : de 1949 à 1966, l’asymétrie a joué en faveur de l’Union, dans la mesure où le FDP était son partenaire de coalition naturel. De 1969 à 1982, l’architecture du système de partis a favorisé le SPD, car il a pu former une coalition avec le FDP ;

  • la position-clé occupée par le FDP, qui a joué le rôle du fléau de la balance. Selon le choix de partenaire de coalition qui était fait, le pouvoir de gouverner revenait soit à l’Union, soit au SPD. Le FDP s’est aussi posé comme « correctif libéral », relativisant ainsi le changement de politique après un changement de gouvernement.

1983-1989 : naissance du système des groupes de partis

29La stabilité du système des partis contraste avec les bouleversements politico-culturels intervenus depuis la fin des années 1960. Un changement de valeurs s’est opéré, les valeurs de devoir et d’obéissance étant remplacées par celles d’autodétermination. La diffusion de la culture et la popularisation de la télévision ont transformé la politique en profondeur. Les mouvements estudiantins de gauche et la « révolution de 1968 » sont venus se greffer sur ce phénomène. Malgré l’échec des projets socio-révolutionnaires, ces différentes évolutions ont entraîné une démocratisation, une libéralisation et un pluralisme des styles de vie qui ont durablement transformé l’Allemagne.

30Les « nouveaux mouvements sociaux » ont marqué les milieux allemands qui se réclament d’une autre politique. Les initiatives locales de citoyens, les mouvements antinucléaires, pacifistes et féministes sont les quatre piliers du parti des Verts (Die Grünen), devenu parti fédéral en 1980. Les Verts se posaient en contre-exemple des partis établis (« parti antipartis »). Leur programme politique prônait le pacifisme, la démocratie de base et l’écologie radicale. La réaction mitigée et hésitante du SPD au défi de la « nouvelle gauche » n’a pas permis une intégration suffisante. Cette évolution a eu pour conséquence l’entrée des Verts au Parlement lors des élections anticipées au Bundestag en 1983.

31Le système des deux partis et demi a volé en éclats à gauche avec l’arrivée des Verts. Un système de deux groupes de partis s’est établi au fil du temps (CDU/CSU et FDP d’un côté, SPD et Verts de l’autre). Les partis d’extrême droite n’ont jamais réussi à rentrer au Bundestag (le NPD échouant de justesse en 1969). Les nouveaux partis, tels que Die Republikaner et le DVU (Deutsche Volksunion) enregistrent des succès à l’échelle régionale depuis les années 1980. Les partis d’extrême droite ont connu leur apogée en 1989, lorsque Die Republikaner a obtenu 7,1 % des voix dans toute l’Allemagne lors des élections européennes. C’est ainsi que s’est exprimée la désaffection à l’égard des partis et de la politique dans les années 1980.

La concurrence entre partis et la fluctuation de l’électorat depuis 1990

La réunification allemande et le processus d’unification

32Depuis la réunification allemande, la situation des partis n’a, dans un premier temps, pas beaucoup évolué. À la suite de l’érosion rapide du régime de la SED en République démocratique allemande (RDA), de nombreux mouvements de citoyens et de nouveaux partis ont vu le jour. Le système des blocs a disparu, créant les conditions nécessaires à la fusion globale intervenue en 1990. Malgré ses premières réticences, la CDU de l’Ouest a fusionné avec celle de l’Est et avec le Demokratischer Aufbruch (DA), mouvement de citoyens sans lourd passé. La CSU a échoué dans sa tentative de fusionner avec la Deutsche Soziale Union (DSU) pour se poser en parti politique autonome. Le FDP a fusionné avec le Bund Freier Demokraten (BFD), composé de l’ancien LDPD (Liberal-Demokratische Partei Deutschlands) et d’autres courants libéraux. Le SPD a fusionné avec le nouveau Sozialdemokratische Partei (SDP). Seuls les Verts ont décidé, dans un premier temps, de demeurer à l’ouest de l’Allemagne. Ce n’est qu’en 1993 qu’ils se sont rapprochés de Bündnis 90, né des mouvements de citoyens en RDA, pour former le parti qui porte depuis le nom de B90/Grüne. Un seul acteur réellement nouveau a émergé : le PDS (Partei des Demokratischen Sozialismus), organisation qui a succédé à la SED, tribune politique8.

Les transformations structurelles intervenues depuis 1990

33Il est rapidement apparu que des bouleversements étaient en train de s’opérer derrière les apparences : les élections de 1990 ont certes confirmé l’unification des partis, mais les consultations électorales suivantes ont vu apparaître de nouveaux modèles. Il existait et il existe encore deux systèmes de partis dans l’Allemagne réunifiée : d’une part, le système bien connu des quatre partis d’Allemagne de l’Ouest, composé de la CDU/CSU, du SPD, du FDP et de B90/Grüne, et un système à trois partis en Allemagne de l’Est avec deux partis populaires, la CDU et le SPD, de taille plus modeste qu’à l’Ouest, et un parti de taille moyenne, le PDS, mélange de parti régional, de parti d’extrême gauche et de parti de protestation. B90/Grüne et le FDP se sont retrouvés marginalisés dans les nouveaux Länder. Ces deux systèmes de partis sont complétés par le système à cinq partis présent dans toute l’Allemagne, en tout cas jusqu’aux élections au Bundestag de 2002. Le PDS n’a cependant pas réussi à franchir le seuil des 5 % de voix en 2002 et est déchiré depuis par des luttes internes entre courants. Surtout, il ne bénéficie plus de l’attention des médias, ce qui rend très improbable son retour au Bundestag.

34Le fonctionnement du système de partis n’est pas la seule chose qui ait changé depuis 1990. Les transformations en profondeur concernent de toute évidence l’intensité de la concurrence entre les partis. Le comportement des électeurs a également changé : le vote et l’abstention sont des options considérées comme aussi valables l’une que l’autre, alors qu’autrefois, la culture politique de la République fédérale était pénétrée de l’idée que voter est un devoir. Aujourd’hui, cette attitude a pratiquement disparu, et la participation aux élections dépend fortement de la capacité de mobilisation des partis pendant la campagne électorale.

35Les réservoirs d’électeurs fidèles aux partis diminuent et le nombre d’électeurs passant d’un parti à l’autre augmente. Le système de partis est ainsi devenu plus volatile. Après la phase de stabilité relative observée dans les années 1970 et 1980, les électeurs sont de plus en plus changeants depuis les années 1990, ce que chaque élection vient confirmer. La différence entre l’Ouest et l’Est était autrefois marquée : le changement du poids respectif des partis a toujours été important dans les nouveaux Länder. En revanche, la volatilité dans les anciens Länder a progressé de façon plus lente mais constante. Les élections régionales de 2003 en Hesse et en Basse-Saxe ont montré que cette volatilité avait atteint à l’Ouest les niveaux de l’Est.

36Cette augmentation de la volatilité s’observe également au niveau fédéral et se traduit par la baisse du pourcentage d’électeurs qui votent deux fois pour un même parti. Ceci a plusieurs conséquences : premièrement, la CDU/CSU a perdu sa position de « majorité structurelle ». Contrairement à la thèse souvent défendue par le gouvernement Schröder, il n’en a pas résulté pour autant de majorité politico-culturelle rouge-verte, comme l’ont montré les résultats des élections au Bundestag en 2002, remportées de justesse par le gouvernement, ainsi que les élections dans les Länder. Deuxièmement, on peut supposer que les changements de gouvernement provoqués par les élections, comme cela s’est produit pour la première fois en 1998 (les changements de gouvernements intervenus jusqu’à cette date avaient été provoqués exclusivement par un changement de partenaire de coalition) vont devenir monnaie courante dans la politique allemande. Les partis sont jugés par les électeurs et suscitent tantôt l’enthousiasme quand ils gagnent, tantôt la déception quand ils perdent. Les Allemands ne sont toutefois pas des électeurs qui changent d’avis à chaque élection : même lors du changement de gouvernement intervenu en 1998, 75 % ont voté pour le même parti que quatre années plus tôt. Si les électeurs passant d’un parti à l’autre sont aussi nombreux, c’est parce que leur vote peut décider du résultat des élections.

37Ces modifications, peu évidentes à première vue, ne concernent pas uniquement la demande politique. Un changement considérable est intervenu sur le plan de l’offre. Au niveau des partis, le système des deux groupes, établi lors de la formation de la coalition gouvernementale rouge-verte en 1998, se retrouve de nouveau au bord de l’éclatement. Les deux camps se sont encore affrontés lors de l’élection à la présidence de la République en mai 2004, et Gerhard Schröder a annoncé en 2003 qu’il mènerait la campagne électorale de 2006 avec son ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier, Joschka Fischer, membre du B90/Grüne, perpétuant ainsi le modèle politique qui prévalait jusque-là. On observe toutefois des tentatives de s’affranchir des camps politiques : Guido Westerwelle, président du FDP, s’efforce de profiler plus clairement les libéraux comme petit parti d’opposition en maintenant une certaine « équidistance » entre l’Union et le SPD. En 2002, le FDP n’a pas voulu se prononcer en faveur d’une coalition avec l’Union. Par ailleurs, des alliances entre l’Union et B90/Grüne ont été conclues au niveau communal, et il semble que des coalitions noires-rouges soient envisageables à l’avenir au niveau des Länder. Le PDS étant un partenaire de coalition potentiel pour le SPD dans les nouveaux Länder, il existe un nombre assez important de variantes de coalitions. Le SPD dispose arithmétiquement d’un avantage stratégique : il peut former une coalition avec tous les partis, tandis que l’Union n’a (pour l’instant) que le FDP.

La situation actuelle

38Gerhard Schröder a entamé des changements programmatiques profonds au sein du SPD avec son programme de réformes économiques, sociales et financières, sans y préparer le parti ni organiser un dialogue global. Le style de Schröder a donné l’impression que le SPD est un parti déchiré et sans projet. À cela s’ajoute le fait que les citoyens jugent les réformes injustes. Des erreurs grossières, comme celle commise lors du lancement du péage autoroutier, troublent l’image globale du gouvernement. Ceci explique que le SPD essuie une défaite électorale après l’autre et qu’il n’ait jamais été aussi bas dans les sondages. La « sonnette d’alarme », unique dans l’histoire du parti, que le chancelier a tirée au début de l’année 2004, lorsqu’il a abandonné la présidence du parti pour la confier à Franz Müntefering, président du groupe parlementaire du SPD, n’a pas encore réellement porté ses fruits.

39On constate avec étonnement que le petit partenaire de coalition du SPD profite de ses difficultés. Aucune des réformes contestées n’entrant dans le champ de compétences du B90/Grüne et n’étant identifiée à aucun homme politique issu de ses rangs en particulier, le parti des Verts a réussi à se stabiliser après les déchirements internes à propos des questions concernant la sécurité (approbation de la participation de la Bundeswehr à des opérations à l’étranger, comme au Kosovo, en Macédoine et en Afghanistan). Qui plus est, lors des élections au Bundestag de 2002 et des élections régionales en 2003-2004, les Verts ont même conforté leur position. Leur dirigeant incontesté est Joschka Fischer. Le B90/Grüne a défini pour la première fois une stratégie claire de personnalisation pendant la campagne électorale pour le Bundestag en 2002. Leur ancien concept de parti antipartis a ainsi été définitivement enterré. Les Verts sont aujourd’hui un parti comme les autres9.

40L’histoire de la CDU/CSU après Helmut Kohl est celle d’un parti sans chef. À la suite du scandale du financement de la CDU, la balance a d’abord commencé à pencher du côté du petit parti frère, la CSU, implanté uniquement en Bavière. Son président Edmund Stoiber, ministre-président bavarois, est devenu le porteur des espoirs de toute l’Union. Sa candidature au poste de chancelier a toutefois échoué de justesse en 2002. Il était le deuxième candidat de la CSU après Franz-Joseph Strauss, en 1980. La présidente de la CDU, Angela Merkel, a ensuite réussi à consolider sa position. C’est surtout en remportant la lutte pour la présidence du groupe parlementaire CDU/CSU qu’elle s’est assuré un avantage déterminant. Elle est aujourd’hui la favorite parmi les candidats de l’Union à la chancellerie fédérale. Sur le plan des programmes, la concurrence entre les deux partis de l’Union se joue sur la réforme de la fiscalité et de l’État social. Alors que la CDU défend un changement radical de système, la CSU tente de se poser en « parti des petites gens » qui préserve l’« équilibre social10 ». Malgré ces luttes internes, la CDU/CSU remporte actuellement presque toutes les élections régionales, et les sondages la créditent de presque 50 % des intentions de vote.

41Le FDP, quant à lui, lutte pour rester présent dans l’affrontement entre les deux grands partis. Sa position est mauvaise : avant les élections au Bundestag, il avait mis au point une stratégie « ludique » qui s’adressait surtout aux jeunes, mais qui a considérablement nui à son image. Son « Projekt 18 », dont l’objectif était de remporter 18 % des voix lors des élections nationales, et la candidature de Guido Westerwelle à la chancellerie paraissent peu crédibles, voire ridicules, après les 7,4 % de voix obtenus lors des élections au Bundestag. Pour couronner le tout, les propos antisémites tenus par Jürgen W. Möllemann, personnalité en vue du parti, l’ont ébranlé jusque dans ses fondements. Le FDP a eu du mal à se sortir de cette triple catastrophe. Ses résultats aux élections régionales s’en sont ressentis ; le parti libéral, qui avait obtenu plus de 5 % des voix en Hesse et en Basse-Saxe au printemps 2003, a nettement buté sur l’obstacle des 5 % en Bavière (septembre 2003) et à Hambourg (mars 2004).

Les perspectives de la démocratie de partis

42Le rôle des partis comme facteurs de pouvoir est donc ambigu à double titre : il ressort nettement qu’ils ont une position dominante dans le système politique. La République fédérale n’est certes pas un État de partis, mais elle en présente des traits saillants. Les partis n’ont pas que des privilèges juridiques mais ils remplissent un rôle essentiel. Leur monopole en matière de recrutement politique et leur influence sur la formation d’une volonté politique, ainsi que sur le Parlement et sur le gouvernement ne doivent pas être sous-estimés. Cela dit, les déficits apparaissent aussi clairement : les médias ont de plus en plus de poids dans le choix du personnel politique, et les partis sont confrontés à la concurrence de nouvelles offres. En outre, compte tenu de la crise d’acceptation des partis allemands, leur légitimité décroît. Pour finir, ils rencontrent de grandes difficultés pour retenir leurs adhérents, bien que tous les partis importants veuillent rester des partis d’adhérents. Les concepts analysés par les chercheurs de « parti de groupe parlementaire », de « parti des médias », de « parti cadre » ou de « parti d’électeurs professionnels » ne sont pas très appréciés des directions des partis.

43Ces dernières années n’ont pas été marquées uniquement par une désaffection vis-à-vis des partis, mais également par leurs réformes. Plusieurs tendances parfois contradictoires se dessinent : on peut les résumer par les termes de « professionnalisation » et de « modernisation des instruments de communication ». Ces deux tendances débouchent sur un renforcement de la capacité médiatique des partis. Il convient cependant de prendre en compte les tendances de la participation politique. L’intérêt des citoyens pour la politique semble ponctuel et dépend de la situation, du contexte, des événements et de l’implication personnelle de l’électeur. Face à cette situation, la CDU, le SPD et le FDP ont commencé à réorganiser leurs structures pour les rendre plus souples. La CSU ne s’y est pas encore risquée, tandis que B90/Grüne, qui pratique traditionnellement la démocratie de base et connaît déjà ces formes de participation, a ouvert le débat sur la réforme sur des prémisses entièrement différentes. Les Verts veulent améliorer l’efficacité de leurs structures en alignant leur système de prise de décisions sur celui des partis établis. Les référendums auprès de leurs adhérents organisés par les autres partis, et la possibilité donnée à des non-membres de participer, n’ont pas changé leur organisation. On comprend mieux pourquoi ils n’arrivent pas à atteindre ce qui est leur objectif, à savoir leur transformation en forums de participation politique plus attrayants11.

44La situation du système de partis est également ambiguë : ce système bien établi a de toute évidence joué un rôle de premier plan dans l’évolution de la République fédérale. Le pouvoir d’intégration des partis qui siègent au Bundestag reste très fort. Ils ont amplement contribué à la stabilité de la situation politique et à l’efficacité du système, ce qui n’allait pas de soi après l’expérience de la République de Weimar. Pourtant, des symptômes de crise sont apparus : lors des élections au Bundestag de 2002, les deux grands partis sont passés pour la première fois sous la barre des 40 %, ce qui est un avertissement. Ces partis n’arrivent apparemment plus à attirer les électeurs. Les bons résultats dont les sondages créditent la CDU/CSU face à un SPD en crise ne valent pas adhésion large à leur programme et à leurs dirigeants. Le nouveau recul de la participation aux élections depuis 2002 indique au contraire que les sympathisants frustrés du SPD n’ont pas voté conservateur : ils se sont abstenus. Tout n’est donc pas joué pour les élections au Bundestag de 2006. En 2002 par exemple, nombre de personnes croyaient à une victoire d’Edmund Stoiber et sous-estimaient les talents de Gerhard Schröder pour la mise en scène.

45Le plus gros problème reste toutefois que les citoyens ont l’impression que les partis n’ont pas de projet et sont incapables de résoudre les problèmes, ce qui affaiblit de plus en plus leur légitimité. Les théoriciens de la démocratie qui privilégient l’angle économique objecteront peut-être que, tant que les partis réussissent à former des gouvernements stables et des oppositions efficaces, ils préserveront leurs principales fonctions. Une démocratie de partis vit toutefois de l’acceptation et de la participation des citoyens.

Notes de bas de page

1 Voir à ce sujet A. Kiessling, Politische Kultur und Parteien im vereinten Deutschland. Determinanten der Entwicklung des Parteiensystems, Munich, Schriftenreihe der Forschungsgruppe Deutschland, vol. 11, 1999 ; M. Glaab (dir.), Impulse für eine neue Parteiendemokratie. Analysen zur Krise und Reform, Munich, Schriftenreihe der Forschungsgruppe Deutschland, vol. 15, 2003.

2 G. Leibholz, Strukturprobleme der modernen Demokratie, Karlsruhe, C.F. Müller, 1958.

3 K.-H. Nassmacher, « Parteienfinanzierung in Deutschland », in O. W. Gabriel et al. (dir.), Parteiendemokratie in Deutschland, Bonn, Westdeustscher Verlag, 2001, 2e éd., p. 159-178.

4 U. von Alemann, Das Parteiensystem der Bundesrepublik Deutschland, Bonn, Leske + Budrich, 2001, p. 209-217.

5 Par exemple pour la CSU en Bavière, voir A. Kiessling, Die CSU. Machterhalt und Machterneuerung, Wiesbaden, Westdeutscher Verlag, 2004.

6 M. Fröhlich, « Der irritierte Kompass: Gesellschaftlicher Wandel und die Orientierungsfunktion politischer Parteien », in M. Glaab (dir.), op. cit. [1], p. 169-183.

7 Sur l’évolution du système des partis en Allemagne, voir notamment T. Poguntke, « Das Parteiensystem der Bundesrepublik Deutschland: von Krise zur Krise? », in T. Ellwein et E. Holtmann (dir.), 50 Jahre Bundesrepublik Deutschland. Rahmenbedingungen – Entwicklungen – Perspektiven, 1999, Opladen, Westdeutscher Verlag für Sozialwissenschaften, p. 429-439 (cahier spécial n° 30 du Politische Vierteljahresschrift).

8 Sur la question du processus d’unification des partis, voir W. Jäger, Die Überwindung der Teilung. Der innenpolitische Prozess der Vereinigung 1989/90, Geschichte der deutschen Einheit, vol. 3, Stuttgart, Deutscher Verlag/Anstalt, 1998, p. 197-297.

9 J. Raschke, Die Zukunft der Grünen. So kann man nicht regieren, Francfort, Campus, 2001.

10 M. Deiss, Die Führungsfrage. CDU und CSU im innerparteilichen Machtkampf, Munich, Schriftenreihe der Forschungsgruppe Deutschland, vol. 14, 2003.

11 À propos des réformes des partis, voir A. Kiessling, « Politische Kultur und Parteien in Deutschland. Sind die Parteien reformierbar? », Aus Politik und Zeitgeschichte, B10, 2001, p. 29-37.

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