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Les Maires

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Christian Le Bart

Deuxième partie. La vocation de maire

Chapitre 1. Les élections municipales

Texte intégral

1Le scrutin municipal remplit au moins deux fonctions : d’abord, il sert à la désignation des représentants de la commune qui siégeront au sein du conseil municipal ; ensuite, il permet l’activation des symboliques de rassemblement sans lesquelles le territoire et l’identité qui font la commune manqueraient de consistance. Le maire tire un grand bénéfice de ces deux registres de fonctionnalité : du premier, il retire, en tant qu’élu au sein du conseil, la légitimité politique du suffrage universel (indirect) ; du second, cette autre forme de légitimité qu’est la possibilité d’incarner un territoire et de parler en son nom. C’est dire à quel point l’élection est l’événement rituel fondateur du rôle de maire. Ce rituel n’est pas dépourvu d’ambiguïté : il régule en un très œcuménique discours de rassemblement les rivalités que dans le même temps il exacerbe, par exemple du fait d’un mode de scrutin qui dramatise la compétition en facilitant les affrontements bipolaires. Mais cette ambiguïté est celle du rôle de maire, à la fois tête de liste et totem territorial, leader politique et représentant de tous.

§ 1. Les modes de scrutin

2Sans revenir sur la pratique longtemps dominante du maire nommé par l’exécutif (parfois au sein d’un conseil municipal élu, parfois en dehors), il faut insister sur les fréquents changements du mode de scrutin municipal, en particulier dans les communes urbaines (Martin, 2001). Ces changements, opérés au moyen de réformes législatives, obéissent toujours à des considérations de politique nationale. Ainsi les gaullistes utiliseront-ils cet outil pour contrarier les alliances Troisième Force entre socialistes et centristes. De telles alliances, facilitées par le scrutin proportionnel, les isolaient au niveau local. D’où le choix du scrutin majoritaire précipitant au contraire les affrontements bipolarisés.

  • 3 Le mandat est de six ans depuis 1929. Il avait auparavant oscillé entre deux et dix ans. Le passage (...)

3Les conseils municipaux sont élus pour six ans3 à l’échelle de la commune, exception faite des très grandes villes (Paris, Lyon, Marseille) qui procèdent à des élections par arrondissement. Le nombre des conseillers municipaux oscille entre 9 et 69, selon celui des habitants. Il convient, pour bien comprendre les conditions de désignation des maires, de distinguer entre communes rurales et communes urbaines. Sociologie et droit positif nous y invitent, ce dernier distinguant aujourd’hui entre communes de plus de 3 500 habitants et communes de moins de 3 500 habitants.

4Dans les communes de moins de 3 500 habitants, les électeurs peuvent panacher : si un nom figurant sur une liste ne leur convient pas, ils ont la possibilité de le barrer. Ils peuvent même, dans les petites communes (moins de 2 500 habitants), voter pour un non-candidat, les listes pouvant ne pas être complètes. Les résultats sont donc comptabilisés par candidat, et non par liste. Ceux qui ont obtenu au premier tour la majorité absolue des suffrages exprimés (représentant au moins un quart des inscrits) sont élus. Si besoin est, c’est-à-dire s’il reste des sièges à pourvoir, un second tour est organisé pour lequel la majorité relative suffit.

5Ce système rend le jeu électoral relativement imprévisible : un non-candidat peut être élu (dans les plus petites communes), surtout un candidat tête de liste peut voir son leadership contesté par un mieux-élu. Les électeurs, en ce sens, peuvent chahuter l’offre politique. Le vote sur les personnes révèle à l’occasion des surprises, non pas en fonction des rivalités partisanes (les élections municipales sont peu politisées dans ce contexte), mais du fait de considérations personnelles. Car le vote est alors affaire d’interconnaissance : à travers le panachage, le citoyen arbitre entre des candidatures individualisables, surtout s’il n’y a qu’une liste. S’il est le mieux élu, le maire sortant se sentira légitimé à postuler un nouveau mandat. S’il est doublé, voire personnellement sanctionné, sa réélection peut se révéler plus délicate que prévu.

6Rien de tel en milieu urbain (plus de 3 500 habitants) : les listes (nécessairement complètes) sont à prendre ou à laisser. Le panachage est interdit. Une liste triomphe dès le premier tour si elle obtient la majorité absolue des suffrages exprimés (et un quart des inscrits), sinon on procède à un second tour, pour lequel les listes ayant obtenues plus de 10 % des voix peuvent se maintenir. Les listes ayant obtenu entre 5 et 10 % des voix peuvent fusionner avec les précédentes. Dans tous les cas, la répartition des sièges se fait de la façon suivante : la majorité absolue des sièges à pourvoir est d’abord attribuée à la liste qui arrive en tête (même si elle n’a obtenu qu’une majorité relative de voix, par exemple au terme d’une triangulaire) ; les autres sièges sont ensuite répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des voix (liste gagnante comprise), conformément à la logique de la représentation proportionnelle selon la plus forte moyenne.

7Un tel mode de scrutin produit plusieurs conséquences. D’abord, il confère au maire une majorité confortable. Dans un conseil de 25 personnes, une liste obtenant juste la moitié des voix recueille 13 (majorité absolue) + 6 (50 % des 12 sièges restant à pourvoir), soit 19 sièges. Si cette liste arrive en tête en n’ayant obtenu qu’un tiers des voix (majorité très relative donc), elle recueillera tout de même 13 + 4 soit 17 sièges. Les conséquences en terme de pouvoir municipal sont évidentes. Le maire a les coudées franches, son leadership n’est pas à la merci d’une défection individuelle. En ce sens, ce scrutin cumule efficacement les avantages de la logique majoritaire (majorité confortable) et ceux de la logique proportionnelle (possibilité pour l’opposition, voire les oppositions, d’être représentées). Et le maire urbain, à la différence de son homologue rural, n’a pas à craindre d’être moins bien élu qu’un de ses colistiers : le panachage est interdit. Le vote sur liste bloqué a aussi pour effet de centrer l’élection sur les seules têtes de listes. L’élection s’apparente alors à une compétition personnalisée entre leaders. Dans l’esprit des électeurs, l’élection du maire en conseil municipal est une formalité (ce qu’elle n’est pas forcément en milieu rural) : tout se passe ici comme si les citoyens élisaient directement leur maire. Autorité de la tête de liste sur sa liste, autorité du maire sur son conseil : le mode de scrutin jette d’entrée de jeu les bases du présidentialisme municipal.

8À Paris, Lyon et Marseille, ce présidentialisme n’est pas mécaniquement inscrit dans la loi électorale. Le maire cohabite avec des maires d’arrondissements élus selon la procédure précédente. Un tiers des conseillers d’arrondissement sont délégués au conseil municipal. Les conseils d’arrondissements sont donc mixtes : ils regroupent de simples conseillers d’arrondissement et des conseillers municipaux qui siègent également au conseil de Paris (ou au conseil municipal de Lyon et de Marseille). Le nombre d’élus de chaque arrondissement au Conseil est proportionnel à la population : par exemple le XVIe arrondissement de Paris a droit à 13 conseillers, quand le Ier n’en a que 3. En théorie, le maire d’une de ces trois villes n’est donc pas assuré d’une aussi confortable majorité que ses homologues. Le conseil qu’il préside peut être très équilibré, pour peu que droite et gauche se soient réparti équitablement les succès par arrondissements. Ce n’est jamais arrivé : à Paris par exemple, les préférences ont toujours été tranchées. Gaston Defferre, cependant, a pu en 1983 garder la mairie de Marseille alors que ses listes, majoritaires en sièges, avaient été minoritaires en voix.

9Le mode de scrutin majoritaire favorise les regroupements au plus tard entre les deux tours. Il avait cours sous la troisième république qui toutefois autorisait la pratique du panachage des listes. Reconduit en 1945, il fut ensuite abandonné au profit du scrutin proportionnel, réclamé par les communistes et le MRP, dans les communes de plus de 9 000 habitants. En vigueur de 1947 à 1959, celui-ci incitait au contraire chaque formation à présenter une liste autonome. Les regroupements se faisaient après l’élection, en conseil municipal, pour désigner le maire. Il y fallait souvent plusieurs tours de scrutin, les communistes, pourtant très présents au sein des conseils, faisant souvent les frais d’alliances de type troisième force (MRP, socialistes, radicaux, indépendants…). À Nantes (municipalité Morice), à Rennes (municipalité Fréville), des municipalités centristes se constituent associant la SFIO. Nouveau changement en 1959 : la proportionnelle n’est maintenue que pour les douze villes de plus de 120 000 habitants. En deçà, c’est le scrutin majoritaire de liste à deux tours avec possibilité de panachage et de fusion entre les deux tours. Les électeurs sont désormais en mesure de contrôler les alliances, celles-ci se font entre les deux tours. Le gouvernement Pompidou modifie à nouveau la règle du jeu en 1964, en supprimant la proportionnelle et en décrétant un nouveau seuil de 30 000 habitants. Au-delà, scrutin majoritaire à deux tours avec listes bloquées, sans panachage ni fusion. Le second tour n’est ouvert qu’aux listes ayant obtenu 10 % des suffrages exprimés au premier (ce seuil passera à 12,5 % pour l’élection de 1977). En deçà de ce nouveau seuil, le panachage demeure possible. Ce système sera maintenu jusqu’à la loi du 19 novembre 1982 qui fixe les actuelles règles du jeu. Celle-ci innove, on l’a dit, sur un point essentiel : l’opposition a désormais sa place au sein du conseil municipal. Elle y est certes minoritaire, mais elle peut s’exprimer, questionner, proposer.

  • 4 On évoquera plus loin la question de la parité hommes-femmes.

10La législation sur les élections municipales s’est sensiblement enrichie ces dernières années4. Le corps électoral, suite au Traité de Maastricht (1992) a été modifié, il intègre désormais les résidents étrangers membres de l’Union européenne. Cette modification, outre sa valeur symbolique, a parfois des effets significatifs, par exemple dans certaines communes frontalières où les résidents étrangers constituent un groupe important. Ces derniers peuvent bien sûr être candidats, mais ils ne peuvent devenir ni maire ni adjoint. Ce serait reconnaître à des non-nationaux le droit de participer à la désignation des sénateurs, ce à quoi le Législateur se refuse. Plus de 200 conseillers municipaux étrangers ont été élus en 2001 : principalement des Portugais (83), des Italiens (28), des Espagnols (23), des Belges (21), des Allemands (17), des Anglais (16)… Quant au vote des étrangers extérieurs à l’Union européenne, il fait partie des propositions régulièrement avancées par la gauche et tout aussi régulièrement reportées à plus tard.

§ 2. Les candidatures

11Le statut de tête de liste ne s’improvise pas : il suppose un capital social accumulé très en amont de l’élection. Pour celui qui le possède, et que le rôle tente, l’élection ne s’apparente pas pour autant à la seule confirmation d’une position sociale élevée. Même en milieu rural, le champ politique impose sa relative autonomie, il oblige ceux qui veulent acquérir une position politiquement dominante à se plier aux règles singulières du jeu politique. L’euphémisation des ambitions politiques peut conduire les intéressés à insister sur les amicales pressions qu’ils ont subies avant de se lancer dans l’aventure. Cette vision de la vocation politique ne remet toutefois pas en cause l’obligation dans laquelle ils se trouvent d’adopter, une fois prise la décision de se porter candidat, une posture singulière de prétendant au rôle. Il faut « faire campagne », ce qui suppose par exemple d’accomplir un certain nombre de choix : quel type de rapport faut-il nouer avec les partis politiques ? Quel type d’identité personnelle faut-il donner à voir ? À qui faut-il faire appel pour constituer une liste ? Quels enjeux faut-il mobiliser ?

1. L’investiture partisane

  • 5 « Le maire entre disciplines et libertés », Politix, 1994. Le même auteur insiste sur l’affinité en (...)

12Il est impossible ici de généraliser hâtivement : entre les communes rurales, où les partis politiques sont absents et l’argumentation partisane interdite, et les grandes villes, où les formations politiques nationales tendent à monopoliser l’offre politique, toutes les nuances peuvent s’observer. On a là un premier critère permettant d’évaluer la politisation des élections municipales. Les comparaisons avec les IIIe et IVe Républiques autorisent ce verdict énoncé par Daniel Gaxie : « Les candidats qui se présentent en dehors des formations politiques existantes, souvent sans étiquette ou avec une étiquette locale, sont nettement moins nombreux que par le passé. Des différences importantes subsistent selon la taille de la commune, mais le seuil démographique à partir duquel les candidats sont présentés ou soutenus par des partis implantés sur l’ensemble du territoire ne cesse de s’abaisser »5.

  • 6 Guionnet (C.), « La politique autrement : entre récurrences et réinvention : l’épisode municipal de (...)

13La politisation partisane est incontestablement plus avérée en milieu urbain. Ce qui ne signifie pas que l’offre politique y soit monopolisée par les formations politiques. Si la compétition se joue, de fait, entre listes labellisées par référence aux grands partis politiques, il ne faut oublier ni les petites formations, ni les partis régionaux, ni surtout les listes non partisanes. Le supposé désamour des Français à l’égard des partis a pu susciter, en 2001, des listes explicitement non partisanes, en référence soit à des intérêts strictement locaux, soit à une autre façon de faire de la politique. On pense aux listes « Motivé-e-s » de Toulouse et Rennes6. La première, animée par le groupe musical Zebda, parvint à jouer les trouble-fête et à entamer sérieusement l’emprise des formations politiques (12 % des voix). Recul conjoncturel ou remise en cause fondamentale de la partisanisation des élections locales ? Et que dire de la liste « Paris-plaisir » présentée dans le cinquième arrondissement, emmenée par une joyeuse équipe de stripteaseuses ? En courte période, la tendance est à l’augmentation du nombre de listes dans les communes urbaines : 3 930 dans les 927 villes de plus de 9 000 habitants, soit 550 de plus qu’en 1995 (Raséra, 2002). Ce qui démontre que si les formations politiques nationales monopolisent l’accès à la fonction de maire, elles sont loin de monopoliser l’offre électorale.

14Il faut sur le terrain de la politisation, ou, plus précisément ici, de la partisanisation, éviter les caricatures croisées : le maire rural peut avoir une identité partisane forte, et connue de tous du fait de ses choix personnels (profession, engagements autres, par exemple syndical, choix d’une école privée ou publique, militantisme en faveur de la chasse…). On pense aux militants CPNT souvent élus en milieu rural sur des listes d’intérêt général, sans référence explicite donc à cette formation politique. Même chose pour certains militants régionalistes ou écologistes. À l’inverse, la politisation des élections en milieu urbain ne doit pas masquer les tentatives effectuées par les candidats pour ouvrir les listes à la société civile, pour construire un programme attrape-tout, bref pour faire oublier un positionnement politique brutal. Ceci dit, même dans ce cas, l’investiture partisane est une ressource très convoitée. Elle permet de gagner presque immédiatement la confiance d’une partie de l’électorat, l’électorat captif qui se détermine principalement sur la base de l’étiquette politique. Cet accès à l’électorat captif est particulièrement précieux pour les candidats dépourvus de notoriété personnelle. C’est par exemple sur cette base qu’en 1977 de jeunes leaders socialistes, bien introduits au sein de l’appareil mais dépourvus de notoriété à l’échelle globale de la cité, ont pu profiter d’un contexte d’élection intermédiaire pour conquérir des villes comme Rennes, Nantes, Angers, Saint-Herblain… Le parti politique joue alors, localement, un rôle considérable : c’est lui qui accorde cette ressource symbolique fondamentale qu’est le label partisan. Est à cet égard exemplaire le succès rennais d’Edmond Hervé parvenant en 1977 à s’imposer comme tête de liste PS-PSU-MRG-UDB sur la seule base de son capital partisan, et ce aux dépens d’un notable (Michel Phlipponneau) autrement connu localement, ancien du CELIB (Comité d’Études et de Liaison des Intérêts Bretons). Déjouant tous les pronostics fondés sur une vision étroite de la notabilité personnelle, le « petit assistant » parvient à s’imposer au « grand universitaire » (Vion, 1995).

  • 7 Garraud (P.), « Les contraintes partisanes dans le métier d’élu local », Politix, 1994.

15L’obtention de l’investiture constitue souvent la première (et non la moindre) des étapes qui conduit à la mairie. Mais l’investiture est disputée chèrement. Tout est affaire de ressources, les stratégies sont souvent complexes, les alliances florentines, entre milieu partisan local et centre parisien. Localement, le territoire communal s’inscrit dans un espace partisan régional qui s’apparente à une configuration spécifique du fait du rapport de force entre sections, fédération, maires urbains, parlementaires, etc.7 L’exemple de la gauche marseillaise en 2001 est révélateur : la compétition pour le leadership y fut rude, qui opposa un ancien adjoint de Gaston Defferre (René Olméta) et deux députés socialistes des Bouches-du-Rhône (Marius Masse et Sylvie Andrieux-Bacquet). Elle fut arbitrée par les poids lourds du PS local : ancienne tête de liste de 1995, responsables de la fédération départementale, président et vice-président du conseil général, président du conseil régional...

  • 8 Garraud (P.), ibid.

16Il peut aussi exister des tensions entre responsables locaux et responsables nationaux. C’est ainsi qu’une personnalité localement en position de force, contrôlant sa fédération, peut se voir contester si le centre a prévu de favoriser le parachutage d’une personnalité extérieure au territoire. Les conflits entre locaux et parachutés, entre fédérations locales et directions centrales, font parfois le bonheur du camp adverse : c’est ainsi que Catherine Lalumière échoue à conquérir Talence en 1989 en partie du fait de l’opposition des socialistes locaux qui menacent jusqu’au dernier moment de faire une liste concurrente8. Six ans plus tard, cas de figure inverse, Alain Juppé s’impose sans difficulté à Bordeaux. Sa stature de ministre l’autorise même à une désinvolte déclaration de candidature que le RPR ratifiera immédiatement. Jacques Valade, dauphin longtemps pressenti de Jacques Chaban-Delmas, doit renoncer à être candidat (Restier-Melleray, 2002).

17Si les logiques d’appareil pèsent lourd (de plus en plus lourd sans doute en longue période) dans la désignation des têtes de listes, il ne faut donc pas non plus exagérer la souveraineté ou l’autonomie décisionnelle des centres partisans. Les responsables des partis politiques se contentent souvent d’entériner les rapports de force intra-partisans locaux. Ils ne prennent le risque de les bousculer franchement que dans deux cas : pour faire place à un parachuté, ou bien lorsque le choix local leur semble suicidaire, par exemple du fait de la faible notoriété du candidat retenu localement. Mais même ces situations tendent à devenir de plus en plus rares. Le centre est désarmé pour imposer sa ligne : les exclus menaceront de faire liste dissidente, sachant très bien qu’en cas de victoire le parti devra les réintégrer. À Caen en 2001, la direction du PS doit s’incliner devant le vote des militants qui désignent Louis Mexandeau pourtant habitué des défaites. Le Bureau National impose une alliance artificielle qui précipitera la défaite.

18La remise en cause des choix locaux par le centre est de plus en plus difficile. Les arbitrages centraux sont taxés d’opacité, tandis que les choix locaux, parfois fondés sur le vote des militants (PS, Verts), ont pour eux la légitimité aujourd’hui prêtée aux décisions décentralisées. En 2001, le PS a systématiquement demandé aux militants d’arbitrer entre les candidats à la tête de liste (la participation électorale aurait été, selon les chiffres publiés dans la presse, de 62 %). Ces scrutins furent sans surprise pour les maires sortants, sauf exception (Jean Auroux à Roanne). Le centre s’est parfois efforcé d’infléchir les choix des militants en commanditant des enquêtes d’opinion, il a imposé un calendrier et des procédures, il a exigé que soient respectés les accords « offrant » quelques tête de liste à d’autres formations politiques de la majorité plurielle, il a fait le ménage dans les fichiers parfois suspects des fédérations d’adhérents, il a à l’occasion (comme à Marseille) réuni les adversaires pour forcer le consensus, mais ces stratégies ne sont pertinentes qu’à défaut de leadership local manifeste. Même le Premier ministre Lionel Jospin a finalement cédé devant le désir de certains de ses ministres de se présenter aux municipales. La Convention Nationale du PS, réunie dix mois avant l’échéance, ratifie sauf exception les choix des militants pour les communes de plus de 20 000 habitants. Une commission du contentieux se penche sur les cas les plus difficiles.

19Chez les verts le pouvoir des militants est encore plus décisif : un poids lourd peut ainsi se voir préférer un quasi inconnu, tel Denis Baupin doublé par Yves Cantassot à Paris. Les règlements de compte entre courants pèsent parfois plus lourd que les argumentaires municipaux. À Roubaix, de même, Guy Hasccoët, pourtant secrétaire d’État et ancien député du Nord, s’incline devant Slimane Tir.

20La capacité des appareils politiques centraux à contrôler les offres politiques n’obéit certes pas aux mêmes logiques d’un parti à l’autre. La démocratisation du choix partisan est très variable. Denis Lacorne (1980), étudiant les élections de 1971 et 1977, notait cette différence au sein de la gauche : le parti socialiste privilégiait les procédures de désignation décentralisées (le vote au niveau des sections est soumis à l’approbation de la fédération concernée, puis des instances centrales) ; en revanche, le PC, s’il encourage les discussions locales, prive de fait les cellules de base du pouvoir décisionnel, pouvoir aux mains du comité fédéral puis du comité central. L’extrême-droite, quant à elle, ignore la démocratie interne : la distribution de l’investiture y participe de l’extrême centralisation du pouvoir. La droite libérale hésite à emprunter la voie de la décentralisation, même si le temps est là aussi révolu des investitures décrétées : la commission RPR qui a arbitré entre les diverses candidatures à la candidature pour la mairie de Paris est révélatrice d’une évolution significative.

2. Le poids des sortants

21Les marges de manœuvre des partis politiques, décentralisés ou non, sont de toute façon réduites par l’emprise des maires sortants. Dans le contexte actuel de crise des idéologies et des partis politiques, un maire sortant pourra (à l’image de Jean Tibéri à Paris) renoncer à l’investiture partisane pour peu qu’il ait le sentiment que sa notoriété personnelle l’autorise à s’en passer. Les sortants qui ont, au fil des mandats successifs, construit des réseaux, des clientèles, une image, finissent par oublier que leur premier succès aurait été inconcevable sans l’investiture d’une formation politique. L’étiquette partisane n’est plus indispensable une fois franchi le cap de la première élection, à l’extrême elle encombre car elle contredit la symbolique de rassemblement. Michel Noir à Lyon, Alain Carrignon à Grenoble ont ainsi été tentés d’exister sans le RPR. Lorsqu’elle est trop marquée, l’étiquette perd même toute valeur : Robert Jarry (Le Mans) et Gaston Viens (Orly) renoncent à l’investiture communiste en 1989 après plusieurs mandats, certains maires élus en 1995 grâce à l’étiquette FN espèrent une fois élus exister sans. D’autres, particulièrement au sein d’une droite dont les partis sont peu structurés localement, choisissent carrément de passer d’une écurie à une autre, profitant d’un label plus porteur, ne comptant fondamentalement que sur leurs ressources personnelles locales. Ceci dit, un maire de grande ville peut-il aujourd’hui afficher à l’égard des partis politiques la désinvolture d’un Louis Pradel à Lyon jadis ?

22Sauf exception, les partis politiques sont obligés de s’incliner face au capital acquis par les sortants. L’exemple des dernières municipales démontre que le choix d’une tête de liste ne fait qu’exceptionnellement problème dans l’hypothèse d’un maire sortant n’ayant pas renoncé à envisager un nouveau mandat (Alain Juppé à Bordeaux, Jean-Claude Gaudin à Marseille, Georges Frêche à Montpellier, Edmond Hervé à Rennes…). Il faut que le sortant ait vraiment démérité pour que le parti lui oppose un challenger. On pense bien sûr au cas parisien : le passif accumulé par Jean Tibéri se manifestant clairement dans les sondages, le RPR, par l’intermédiaire d’une commission d’investiture à la légitimité contestée, choisit un autre candidat (Philippe Seguin). Le comité politique du mouvement gaulliste ratifiera ce choix, les autres prétendants (Édouard Balladur et Françoise de Panafieu) ayant jeté l’éponge entre temps. Le sortant écarté (et même exclu) maintenant sa candidature, c’est la gauche qui profita de cette division.

23Autre sortant contesté, mais là encore dans une configuration singulière : Catherine Trautmann à Strasbourg. Autant son premier mandat s’était bien passé, autant le second fut marqué par la mésentente avec son premier adjoint à qui elle avait confié la mairie pour cause de promotion au ministère de la Culture en juin 1997. Elle ne parviendra pas à empêcher une liste socialiste dissidente qui précipitera sa défaite. On pense encore au cas d’Aubervilliers, dont le sortant PC Jack Ralite est contesté par Jean-Jacques Karman fils du maire précédent, par ailleurs conseiller général. Le parti menace d’exclure le dissident, qui maintient malgré tout sa candidature.

24Les problèmes d’investiture sont plus fréquents lorsque le sortant ne se représente pas. Plusieurs prétendants à la succession peuvent alors se disputer l’héritage : en 2001, celui de Raymond Barre à Lyon, de Dominique Baudis à Toulouse, de Pierre Mauroy à Lille, celui de Jean Falala à Reims, de Robert Poujade à Dijon. Lorsque le sortant anticipe son départ, comme à Lille où Martine Aubry occupait déjà les fonctions de premier adjoint, la transmission se fait sans problème. Elle peut même se faire à l’abri du suffrage universel, si le sortant démissionne en cours de mandat au profit de son dauphin. Philippe Garraud (1989) parle de cooptation. Sinon, comme à Lyon, les querelles peuvent conduire à la défaite. La droite, éclatée entre formations différentes, n’est pas parvenue à réguler la compétition pour le leadership. Celui-ci est disputé entre le président UDF du conseil général (Michel Mercier), le député Henry Chabert (RPR), Christian Philip (ex-premier adjoint, UDF), Jean-Michel Dubernard (ex-adjoint RPR), sans compter Charles Million venu jouer les trouble-fête.

25Pour les opposants au maire sortant, la tête de liste est également l’objet de convoitises. Surtout si la mairie paraît gagnable. Ainsi à Toulouse le retrait de Dominique Baudis en 2001, auquel il faut ajouter quelques sondages encourageants, a-t-il pu aiguiser les appétits à gauche : les militants ont tranché en faveur de François Simon. À droite, les leaders potentiels ne font pas arbitrer leurs différends par les militants, ils sont donc condamnés à trouver d’autres modes de régulation. À Strasbourg le RPR Robert Grossmann, conseiller d’opposition sortant, accepte de céder la tête de liste à Fabienne Keller, UDF, vice-présidente du conseil général et du conseil régional.

26Chaque prétendant à la tête de liste mobilise des ressources. Le profil de leader de l’opposition sortante procure certains avantages (notoriété, connaissance des dossiers…), mais les organisations partisanes peuvent s’interroger sur la capacité des perdants à renverser la donne électorale. Le leadership socialiste à Lyon a un temps été disputé au futur vainqueur Gérard Collomb, leader sortant de l’opposition, par Jean-Jack Queyranne, élu dans une commune voisine (Bron) et secrétaire d’État aux DOM-TOM. De même à Paris, les 3 500 militants socialistes ont arbitré la compétition entre un parachuté à forte notoriété nationale (Jack Lang) et un candidat implanté localement mais alors jugé moins médiatique (Bertrand Delanöé). Parfois, comme à Dijon, le challenger plusieurs fois défait (François Rebsamen) parvient malgré tout à s’imposer comme candidat… et à conquérir la mairie. Il arrive aussi que le candidat malheureux parvienne à obtenir une nouvelle investiture de son camp… pour le conduire à nouveau à la défaite (Louis Mexandeau à Caen).

3. Notables à droite contre militants à gauche ?

27Le clivage droite-gauche renvoie, en schématisant évidemment, à deux types de cursus politiques (Garraud, 1989) : à gauche (PS et PC), le militantisme est le moyen le plus classique pour figurer en bonne place sur une liste. Selon ce cursus, la position sociale occupée compte peu, moins en tous cas que la position au sein de l’organisation partisane : c’est dire qu’il est ouvert aussi aux faibles détenteurs de ressources sociales individuelles. Le militantisme, dans certains cas, compense carrément l’absence de notoriété locale. Beaucoup de maires communistes sont par exemple d’anciens secrétaires fédéraux ou de section. À droite, les partis politiques éprouvent davantage de difficultés à contrôler les candidatures. Celles-ci émanent moins de militants sortis du lot que de notables ayant acquis une notoriété locale en dehors du champ politique et cherchant à transformer cette notoriété en capital électoral. L’investiture est certes recherchée, mais elle n’est qu’une ressource parmi d’autre. Parfois, il s’agit simplement d’occuper le terrain et d’ainsi se prémunir contre une éventuelle autre candidature. On troquera alors sans dommage une étiquette partisane contre une autre, au gré des recompositions du champ politique national : MRP, RPF, indépendants, UDF, UMP... Ou bien, comme Michel Durafour à St-Étienne, on se contentera d’un positionnement à droite sans se réclamer d’aucun parti politique précis.

28Est-ce à dire que les partis politiques libéraux et conservateurs sont enfermés dans un rôle passif face aux notabilités déjà acquises ? Certes non. Si les candidatures n’émanent pas forcément de leur rang, ils savent jouer du rapport de force avec le candidat potentiel qui certes existe sans eux, mais qui aussi a besoin d’eux. L’investiture et plus généralement le soutien de l’appareil partisan (local et national) s’échangent contre des concessions faites par le candidat (contenu du programme, composition de la liste…). Le candidat peut alors espérer bénéficier des soutiens financiers et humains octroyés par le parti.

  • 9 Knapp (A.) et Le Galès (P.), « Le RPR et ses élus locaux », in Fontaine (J.) et Le Bart (C.) (dir.) (...)

29Le clivage droite-gauche ne doit donc pas être exagéré : la gauche a aussi ses notables richement pourvus en ressources individuelles, à commencer par les sortants, les cumulants, souvent en situation d’exister par eux-mêmes. Les formations politiques sont loin d’y être en position de force. Certains maires PC, on l’a dit, ont ainsi pu être tentés, une fois implantés, de jouer une partition plus solitaire. L’époque est révolue d’un PC exigeant de ses élus locaux, comme par exemple à St-Denis, qu’ils remettent aux instances locales du parti une lettre de démission non datée. La capacité des maires à exister contre leur parti d’origine était alors réduite à très peu de chose… Réciproquement, la droite a aussi ses militants : le RPR en particulier a tenté, dans les années quatre-vingt, d’imposer une génération de jeunes militants et à travers elle une nouvelle filière d’accès à la carrière politique. Progressivement cependant, la formation gaulliste, initialement dépourvue de maires, s’est notabilisée, au point de concéder aujourd’hui une place importante aux maires de grandes villes9.

30La gauche a ses notables, la droite ses militants : la tendance est dans une certaine mesure à l’homogénéisation des filières d’accès au pouvoir municipal en milieu urbain (Garraud, 1988).

4. La question des alliances

  • 10 Voir la façon dont Jacques Chirac maire de Paris a pu imposer à la droite non gaulliste parisienne (...)

31Les alliances électorales se composent au gré des conjonctures et des familles politiques. L’actuel mode de scrutin favorise les regroupements : le seuil de 5 % exigé pour bénéficier d’élus (et pour se faire rembourser les frais de campagne) décourage les initiatives totalement marginales, et encourage les petites formations, par exemple à l’extrême-gauche LO et la LCR, à faire liste commune. La logique majoritaire du scrutin joue dans le même sens : les perdants savent qu’ils n’ont pas grand chose à attendre de l’après-élection, même d’un vainqueur n’ayant triomphé qu’à la majorité relative. D’où les alliances pré-électorales puis les regroupements entre les deux tours. Lorsqu’elles sont conformes à la structuration bipolaire de la vie politique française, faisant ainsi écho aux alliances nationales, elles deviennent routinières (ainsi entre le RPR, l’UDF et les autres formations de droite classique10, ou entre le PS, le PC, et les radicaux de gauche). Mais la bipolarisation imposée par la Cinquième République n’a pas immédiatement produit ses effets : jusqu’en 1971, et parfois même 1977, les alliances centristes de type Troisième Force ont pu perdurer.

32Les alliances sont à présent consacrées nationalement par des réunions au sommet entre responsables partisans, qui se répartissent les têtes de liste dans les villes (commission Juppé-Gaudin à droite en 1989). On s’échange des villes, des présidences de structures intercommunales, des postes de premier adjoint, une concession faite ici appelle une concession symétrique ailleurs. Le PS, en 2001, s’est ainsi efforcé de donner consistance municipale à la majorité dite « plurielle » : mais si la négociation s’est bien passée, à quelques accrocs près, avec l’allié communiste traditionnel, elle a tourné court avec les Verts, dont la structure décentralisée se prête mal aux arbitrages au sommet. C’est au niveau local, au cas-par-cas donc, que les alliances se sont finalement décidées entre ces deux formations. À droite, UDF, RPR et DL ont tenté de se mettre d’accord le plus souvent possible, à défaut le premier tour a tenu lieu de primaires.

33Les regroupements entre les deux tours sont souvent bricolés dans l’urgence par les protagonistes locaux, sous le regard attentif des appareils. En 2001, les socialistes parisiens ont ainsi pu passer alliance avec les Verts et faire finalement liste commune pour le second tour, ce dont la droite, écartelée entre listes Tibéri et listes Seguin, se révélait incapable. Malgré les pressions en faveur d’une fusion des listes, ou, à défaut, d’un désistement de la liste la moins bien placée, la droite se condamnera dans plusieurs arrondissements à des triangulaires suicidaires, le tout dans une ambiance détestable qui précipitera son échec. Même configuration à Lyon suite au bon score des listes Millon. Dans certains arrondissements les listes fusionnent, dans certains autres la liste la moins bien placée se retire, mais des cas demeurent de triangulaires qui favoriseront la gauche. Échec aussi de Catherine Trautmann ne parvenant pas à empêcher son ancien adjoint Claude Petitdemange de maintenir sa liste dissidente, tandis que son homologue toulousain parvient, lui (mais ça ne suffira pas) à arracher un accord aux leaders de la liste « Motivé-e-s ». À Lille, Martine Aubry assure sa victoire en intégrant les Verts entre les deux tours (ils avaient fait 15 % au premier), non sans leur avoir promis quatre postes d’adjoints et six représentants à la communauté urbaine. Des concessions sont aussi faites au niveau programmatique.

34Qu’elles se fassent entre les deux tours ou bien en amont, les alliances permettent d’observer le rapport de force entre centre et périphérie des organisations politiques. Les arbitrages des commissions inter-partisanes sont parfois contestés localement : en 2001 les socialistes du Havre, ex-bastion communiste, se rebellent contre le « diktat des états-majors parisiens » attribuant la tête de liste à un communiste. Ils prendront les risques d’une liste dissidente.

35Lorsque la structure des alliances n’est pas stabilisée au sommet, soit parce que le mode de scrutin proportionnel n’incite pas aux regroupements (1947-1959), soit parce que les partis hostiles à ces alliances se mettent à peser lourd, la logique bipolaire est déjouée. Les Verts et le FN ont longtemps cherché à perturber les alliances bipolaires avec des succès divers. Ainsi en 1989, les configurations de second tour étaient moins souvent des duels droite-gauche qu’en 1977 ou en 1983, écologistes et Front National imposant des triangulaires, voire des quadrangulaires. Les premiers ont fini par se ranger sous la bannière de la gauche plurielle, et ont accepté la logique de la négociation : négociation au sommet afin d’obtenir quelques têtes de listes, négociation locale en amont du premier tour, ou encore bricolée entre les deux tours... Quant à l’extrême-droite, sa marginalité l’a longtemps écartée des mandats municipaux. Seule son implantation très localisée (en région Provence-Alpes-Côte d’Azur) lui a permis en 1995 de conquérir, à la faveur de triangulaires, plusieurs mairies significatives, et ce sans alliances avec la droite classique.

36On tient là un nouvel indice de la nationalisation de la vie politique locale : lorsque les alliances locales suivent strictement les consignes du centre, au point de se reproduire d’un site à l’autre, le verdict de nationalisation est fondé. Lorsque au contraire elles se construisent au gré des rapports de force locaux, selon l’histoire locale, la relation personnalisée entre candidats, la spécificité des enjeux, ce verdict tombe à plat. Comparant 1971 et 1977, Denis Lacorne observe, à gauche, des comportements différents : dans le premier cas, le mot d’ordre d’union de la gauche ne s’impose que mollement. L’interdiction de passer alliance avec les centristes, les gaullistes et les indépendants souffre de nombreuses exceptions. Héritage oblige, des « personnalités locales » sont tolérées sur les listes, « démocrates sincères » dira-t-on, pour masquer l’entorse à la règle. Les fédérations PS sont de fait autonomes, les rivalités entre courants paralysent le centre. La ligne se durcit en 1977, la dénonciation des alliances type « Troisième force » devient plus systématique (Lacorne, 1980).

5. La constitution des listes

37La principale tâche des candidats à la mairie est de constituer une liste. Contre une lecture strictement juridique qui voudrait que les conseillers élus choisissent un maire parmi eux, l’analyse sociologique impose en effet ce constat d’évidence : les candidats à la fonction de maire s’efforcent de forger la liste dont ils prendront la tête. C’est même une dimension centrale de leur leadership : d’entrée de jeu est posée l’asymétrie de la relation entre le candidat à la mairie et ceux qu’il a choisis, sélectionnés, ou qu’il est parvenu à mobiliser. Dans les communes de plus de 3 500 habitants, la liste doit être complète : il n’est pas toujours facile de trouver des volontaires en nombre suffisant. Les partis politiques constituent des viviers dans lesquels il est possible de puiser, d’où l’intérêt de bénéficier d’une investiture. Du côté des citoyens sollicités, les bonnes raisons ne manquent pas de ne pas être candidat : absence de temps libre, sentiment d’incompétence, méconnaissance des affaires locales, obligation professionnelle de neutralité, etc. S’il s’agit en particulier de constituer une liste contre le maire sortant, beaucoup d’électeurs craignent d’assumer un positionnement qui s’apparenterait, dans le contexte de consensus local, à un acte de rébellion : fuite de la clientèle professionnelle pour un commerçant, représailles municipales pour un président d’association… Significativement les formations d’extrême-droite, FN et MNR, ont éprouvé des difficultés en 2001 pour boucler des listes complètes : elles ont dû renoncer dans beaucoup de villes (sur 400 villes visées, le FN a finalement présenté seulement un peu plus de 200 listes).

  • 11 Le patronat au pouvoir à Halluin jusqu’à la première guerre mondiale fait ainsi figurer quelques ou (...)

38L’exercice de constitution des listes est d’autant moins facile que celles-ci ne peuvent être forgées sans vigilance. Il importe d’abord que ces listes, conformément à la logique attrape-tout du suffrage universel, reflète la diversité sociologique de l’électorat. Toutes les minorités, tous les profils doivent s’y retrouver : handicapés, immigrés, étudiants, femmes au foyer, ouvriers11… Cette logique des quotas implicites trouve cependant vite ses limites : elle ne concerne en fait que les groupes identifiables sur la base de critères objectivables à travers les quelques indices que les documents électoraux donnent à voir (nom, âge, sexe, profession). Les groupes invisibles selon ces critères sont peu sollicités (homosexuels, nouveaux résidents…) sauf à faire l’hypothèse (parfois pertinente, en particulier dans les petites villes) que les candidats sont aussi connus par ailleurs des électeurs, bien au-delà de ce que les documents électoraux diront d’eux. En tous cas, les têtes de liste doivent veiller au respect des grands équilibres entre sous-populations : salariés et indépendants, jeunes et moins jeunes, centre et périphéries, et bien sûr hommes et femmes. Ce dernier équilibre n’est plus laissé à l’appréciation des entrepreneurs politiques et des électeurs : le droit impose désormais la parité (loi du 6 juin 2000) dans les communes de plus de 3 500 habitants. Celle-ci est évaluée par grappe de six candidats : le principe de stricte alternance n’a pas été retenu, mais au moins évite-t-on de la sorte que les femmes soient condamnées aux positions non éligibles, aux fins de listes.

39Il ne faut toutefois pas exagérer le poids de cette contrainte de représentativité, qui trouve sa limite dans l’obligation faite aux candidats à la mairie de composer avec la traditionnelle distribution sociale des préférences politiques. On trouve toujours plus de fonctionnaires à gauche, de salariés du secteur privé à droite, etc. (Gaxie, Lehingue, 1984). Le souci défensif de n’oublier personne, d’éviter les listes trop exclusivement typées, n’exclut pas des positionnements significatifs et engagés : liste de rajeunissement ou d’ouverture, liste de gauche comptant nombre d’enseignants et de salariés du public, ou au contraire liste de droite accueillant principalement des indépendants… La composition d’une liste vaut message politique, par exemple le degré de renouvellement pour un maire sortant. En annonçant comme mot d’ordre « féminisation, rajeunissement, unité », en accordant au moins dans un premier temps une bonne place à Roxane Decorte (29 ans), Philippe Seguin affiche à Paris la philosophie qui sera la sienne de systématiser la rupture avec les sortants tibéristes. On pense également au choix explicite de fermer l’accès à la candidature à tous les « mis en examen » (en 2001 à Paris, Philippe Seguin s’oppose ainsi à Jacques Toubon, tout comme son adversaire Bertrand Delanoë à Jean-Marie Le Guen) ; ou au contraire de mettre en avant certaines minorités, immigrés, homosexuel (le)s, femmes avant la loi imposant la parité…

40La représentativité, au demeurant, n’est souvent qu’apparente. Les artifices de présentation de soi permettent de donner à voir telle identité plutôt que telle autre : une liste de militants peut ne pas apparaître telle, si les militants en question sont désignés par leur profession ; une même position professionnelle peut être définie de plusieurs façons, etc.

41La logique de plate représentativité est encore battue en brèche par le souci stratégique de privilégier les personnes les plus connues, les plus appréciées, susceptible d’attirer des réseaux d’électeurs quantitativement significatifs. Ainsi certaines personnalités se voient-elles démarcher par plusieurs têtes de liste. Au total, les individus à fort capital social et à forte implication locale ont plus de chance de se retrouver sur une liste que les « simples » citoyens. La distribution sociale du sentiment de compétence, de l’envie d’être candidat, creusent encore ce décalage entre classes sociales, d’autant plus visible que la taille de la commune augmente. À titre d’illustration, en 1977 à Paris, les listes Chirac comme les listes d’Ornano font une place centrale aux notables et aux professions à forte « respectabilité » (Haegel, 1994). Ce qui n’exclut pas une logique de « dosage » au profit de groupes spécifiques (communauté juive, anciens combattants…). Le souci de privilégier les « personnalités » aux dépens d’une stricte représentativité sociologique peut conduire certains candidats à faire appel à des gens connus pour des raisons parfois très éloignées de l’engagement politique : artistes de variété, sportifs, journalistes…

  • 12 Pour 1965, M.-F. Souchon (1968) note que la liste unique d’intérêt communal est la norme dans presq (...)

42Dans les petites communes, ni l’apolitisme de façade, ni la fréquente réduction de l’offre électorale à une seule liste12 n’excluent les négociations, les tractations et les conflits pour savoir qui sera candidat (Bages et alii, 1976). Le maire sortant est maître du jeu dans la mesure où c’est lui qui « parle » en premier, soit pour annoncer sa candidature, soit pour désigner un dauphin, soit pour se retirer complètement (Faure, 1992). S’il est candidat, il cherche souvent à constituer une liste représentative de la diversité locale, ce qui l’amène paradoxalement à se tourner vers les gens les plus éloignées (socialement, professionnellement, politiquement, générationnellement, familialement) de ce que lui représente. La menace d’une liste alternative peut le motiver en ce sens. Si la sienne est trop fermée, elle risque d’alimenter une contre-mobilisation du côté de ceux qui se sentent exclus : jeunes agriculteurs contre anciens, commerçants du centre-bourg contre agriculteurs, etc. Ainsi a-t-on souvent vu, dans les communes périurbaines, le pouvoir municipal basculer des agriculteurs traditionnellement hégémoniques vers les jeunes générations « rurbaines » porteuses d’aspirations différentes.

§ 3. Enjeux municipaux

  • 13 Ainsi le quotidien Libération développe-t-il, sous le titre « Paris en bataille », une série de rep (...)

43De quoi discute-t-on lors des campagnes municipales ? La construction des enjeux, que l’on peut par exemple étudier à partir d’une quantification thématique des contenus des tracts (Gaxie, Lehingue, 1984), est un processus complexe qui fait intervenir de multiples acteurs, et qu’aucun d’entre eux ne peut prétendre maîtriser complètement. Les politiques ne sont pas ici en position de monopole. La presse nationale peut par exemple proposer des éclairages monographiques et diagnostiquer points forts et faiblesses dans telle ville13. Même si elle ne se livre guère au journaliste d’investigation, la presse locale peut de son côté interpeller les candidats sur les problèmes qui lui paraissent importants. Elle n’hésite plus à commanditer des sondages d’opinion pour tester la sensibilité de « l’opinion publique locale » aux « problèmes » locaux. Ou à donner la parole à des citoyens qui exprimeront leurs « attentes ». La presse locale ne jouit cependant pas ici de la liberté de son homologue parisienne. Comme le dit un localier de Sud-Ouest à propos des journalistes de Libération : « ils descendent ici, ils peuvent tout dire et s’en aller, nous on ne peut pas » (Restier-Melleray, 2002, p. 230). Parmi les pratiques aujourd’hui banales de la PQR, la juxtaposition des répon-ses des candidats à une même question. Associations et mouvements sociaux peuvent faire de même, et par exemple s’engager à communiquer les réponses (ou les non-réponses) à ceux au nom de qui ils interpellent les candidats. À Bordeaux en 1995, des SDF s’installent devant la mairie, tandis que les milieux économiques prennent l’initiative d’une lettre ouverte appelant au « renouveau ». Partout les associations interrogent les candidats : que ferez-vous, si vous êtes élu, pour les handicapés ? pour les chasseurs ? etc. Pour peu que des conflits sociaux éclatent à l’approche des élections, le maire sortant est obligé, s’il est impliqué dans le dossier, d’en gérer la politisation : ainsi lors de la grève des traminots à Rouen en 2001. Fermeture d’une usine, d’un service hospitalier, projet d’équipement jugé indésirable (centre d’enfouissement de déchets dangereux, construction d’une prison…), la période électorale est propice aux mobilisations locales politisées.

  • 14 Contre-exemple parisien : Philippe Seguin « chiffre » le budget du candidat Delanoë, en déduit une (...)

44Il reste que, pour l’essentiel, ce sont les maires sortants qui disposent, ici encore, de meilleures cartes. On a déjà dit à quel point ils pouvaient peser sur l’agenda municipal. C’est toujours vrai en période électorale. Leur libre accès à l’espace public local, le contrôle de l’information locale et de l’agenda décisionnel, ou tout simplement la connaissance des dossiers, les mettent en position dominante pour dire les enjeux de l’élection, pour afficher des choix à venir, pour construire les problèmes à régler, éventuellement pour laisser dans l’ombre des situations plus difficiles. Afficher un bilan, poser des priorités, sont autant de moyens de peser sur l’agenda municipal et de l’imposer à autrui. Il n’est pas sûr que les opposants soient toujours en mesure de déjouer cette imposition : leur quête des problèmes tus par les sortants (déficit d’image, fiscalité locale, insuffisance des crèches municipales, statistiques de petite délinquance ou de fermetures de commerces…) est souvent difficile, faute de moyens14. D’où la tentation pour les adversaires du maire sortant de faire flèche de tout bois : les chiffres du recensement révèlent un vieillissement de la population, un magazine a mal classé la ville dans tel palmarès, la Chambre Régionale des Comptes signale un endettement excessif… Les Verts parisiens profitent par exemple des mauvaises performances du premier club de football de la capitale (le PSG) pour remettre en cause les subventions municipales. Une fois construit, l’enjeu s’impose à tous : les candidats seront tous amenés à prendre position sur ce dossier. Mais ce qui est possible dans le contexte atypique de la capitale ne l’est pas forcément ailleurs : l’information manque, les contre-pouvoirs sont marginalisés, etc.

45Se pose aussi la question de l’autonomie ou au contraire de l’interdépendance des enjeux municipaux. Il arrive qu’une élection se joue sur un dossier (et un seul) étroitement localisé : intercommunalité en milieu rural, projet urbain contesté… Il suffit par exemple que le maire sortant de Redon, le libéral Alain Madelin, déclare que face aux inondations dont la ville est fréquemment victime, « il n’y a rien à faire », pour que les sinistrés mettent cette catastrophe « naturelle » à son passif, ce qui contribua à en faire l’enjeu central de l’élection. Les agendas politiques et médiatiques nationaux peuvent à l’inverse peser et s’imposer localement : petite délinquance, pistes cyclables, « problèmes posés par l’immigration », sont des enjeux construits depuis le centre, par les formations politiques pour l’essentiel, et qui seront repris localement par des candidats soucieux de jouer de l’air du temps pour les décliner en les adaptant à la réalité locale. Ainsi la droite strasbourgeoise tente-t-elle en 2001 de faire peser sur la municipalité sortante une responsabilité spécifique en matière de délinquance. Jouant du fait que cette délinquance, si elle est objectivement de même ordre qu’ailleurs, est ici particulièrement « spectaculaire » (véhicules incendiés), l’opposition impose la contre-image de « capitale européenne de la violence ».

46La médiatisation nationale des élections municipales contribue également à décloisonner les enjeux d’une ville à l’autre : ainsi le quotidien Le Monde montre-t-il (10-3-2001) que la question de la construction de mosquées se pose en des termes à peu près identiques à Roubaix, Marseille, Toulouse… De même les partis politiques d’opposition chercheront-ils à jouer de l’impopularité du gouvernement pour mobiliser, sur une base politique, autour d’enjeux transversaux. En 1977 la gauche impose dans tous les scrutins municipaux les mots d’ordre de démocratie locale, de soutien à la culture et aux associations. Cette nationalisation conjoncturelle des enjeux n’écrase pas les débats locaux : ainsi à Nantes, la gauche emporte certes la mairie à la faveur de la vague rose nationale, mais aussi en se positionnant sur les enjeux locaux (par exemple le débat : périphérique ou pénétrante ?) (Petaux, 1982). Au total, les enjeux localisés ne sont donc que partiellement « locaux ». Les candidats puisent localement dans une offre politique qu’ils adaptent au contexte et à la situation locale. Si ce travail d’appropriation localisé donne à chaque configuration sa singularité, il est évident que les mêmes enjeux se retrouvent d’une commune à l’autre.

47Au moins les enjeux sont-ils, s’agissant de ce scrutin, clairement territorialisés à l’échelle de la commune. Sauf à Paris-Lyon-Marseille, le territoire électoral est identique à celui de la collectivité qu’il s’agira d’administrer (ce n’est le cas ni pour les cantonales, ni pour les régionales jusqu’en 1998). Dans les trois plus grandes villes de France, le problème se pose cependant : l’enjeu est-il l’avenir de Paris ou celui de tel arrondissement dans Paris ? Concrètement les candidats s’efforcent de faire tenir les deux territoires en une même offre électorale, déclinant le programme global en offre pertinente à l’échelle de l’arrondissement.

48Il resterait à étudier la distribution politique des enjeux. Ici encore, la réalité est nuancée : les thèmes évoqués naissent historiquement dans un lieu précis de l’espace politique, mais leur montée en puissance a pour conséquence une relative dépolitisation (Gaxie, Lehingue, 1984). L’extrême-droite a la première parlé immigration et petite délinquance, les Verts environnement, espace verts, pistes cyclables et qualité de la vie, la droite se centre plus souvent sur la fiscalité locale et les aides aux entreprises, la gauche parle vie associative, démocratie locale et politiques culturelles. Il n’empêche que tous ces thèmes ont circulé, transgressant parfois spectaculairement les frontières initiales : les maires socialistes s’intéressent à la sécurité, les gaullistes à la démocratie locale, l’environnement et la culture ont presque perdu toute connotation partisane… L’offre municipale n’a plus la dimension politisée qu’elle revêtait en 1977 et 1983. Le référentiel « proximité » disqualifie les projets idéologiques plaqués. Les candidats n’hésitent plus à dire, comme Alain Juppé à Bordeaux, qu’ils abordent le mandat sans projet clé en main. Ils préfèrent mettre en scène une posture d’écoute visant à faire remonter, par exemple au moyen d’enquêtes, les attentes locales (Restier-Melleray, 2002).

  • 15 En 1977, par exemple, 74 % des personnes interrogées jugeaient ces élections « très importantes » o (...)

49Selon un mécanisme désormais bien connu en science politique, la période électorale est malgré tout toujours propice à l’inflation de l’offre électorale (Gaxie, Lehingue, 1984). Sortants et challengers rivalisent de propositions pour résoudre les problèmes locaux, propositions qui sont autant de façons de se démarquer des concurrents en répondant aux supposées attentes d’une improbable « opinion publique ». Le volontarisme politique est sans doute moins effronté aujourd’hui qu’en 1977, quand la gauche proposait franchement de « changer la ville », mais l’idéologie à présent dominante du « terrain » alimente la croyance pérenne en l’efficacité des dispositifs dits « de proximité ». Il en résulte, dans tous les cas, la conviction partagée que les élections municipales ont beaucoup d’importance pour l’avenir de la commune, conviction attestée par les sondages d’opinion15 et les chiffres de la participation électorale. La construction des enjeux municipaux (Gaxie, Lehingue, 1984) suppose à la fois, on l’a dit, l’objectivation des données sociales (chiffres de la délinquance, des créations d’emploi, de l’endettement…), leur dramatisation (ces situations objectivées font problème), et leur politisation (au sens où la responsabilité des élus locaux est engagée). Le maire est alors perçu comme celui qui peut agir localement, bien au-delà de ses strictes compétences juridiques. Responsable de toutes les carences pour les opposants, le sortant ne peut rompre avec cette logique d’imputation au politique. Il l’instrumentalise au contraire en mettant à son crédit tous les événements favorables, quelle qu’ait été sa contribution effective à ces situations (Le Bart, 1992). Il en résulte, en particulier chez les électeurs les moins à même de décrypter la gouvernance locale (schématiquement, les moins diplômés) une impression globale de toute-puissance municipale. Cette impression n’est pas sans lien avec la culture de remise de soi dont Pierre Bourdieu nous dit qu’elle caractérise les plus démunis culturellement : on s’en remet à monsieur le maire pour tout. Le champ du politiquement pensable ou, ici, du politiquement offrable, dépasse de très loin les zones de compétence offertes ou même tolérées par le droit, il dépasse même le champ pourtant diversifié des actions publiques locales. Ses frontières, dont l’étude serait à mener en fonction des publics, reculent sensiblement en période électorale.

§ 4. Faire campagne

50La politisation des élections municipales se marque également dans l’obligation de « faire campagne ». Le temps est révolu des candidatures qui, simplement du fait de la position sociale de ceux dont elles émanaient, pouvaient se satisfaire de connivences implicites. En 1848, l’« état social » du candidat parle à sa place, la campagne se limite à peu de choses (Guionnet, 1992). Cette réduction à l’implicite peut encore prévaloir en milieu rural, lorsque la personnalité du candidat vaut programme. Le mot programme est alors inapproprié : le débat public est réduit, la campagne est brève, « la succession est un sujet tabou » (Faure, 1992).

51Dans tous les autres cas, il faut aller au-devant des électeurs, organiser des réunions publiques, travailler avec la presse, rédiger des documents électoraux, penser un programme. Sur le long terme, les façons de faire campagne ont évolué. Deux tendances sont repérables, qui jouent en sens inverses. La première, déjà évoquée, est la politisation de l’offre électorale : elle culmine en sa forme bipolaire en 1977, 1983 et 1989. Ainsi voit-on alors systématiquement les candidats des partis nationaux se positionner par référence au champ politique central, auquel ils empruntent un langage, des mots d’ordre, des éléments de programme. La seconde tendance, plus récente on l’a dit, est la montée en puissance du référentiel « terrain ». Le discours des candidats doit aujourd’hui moins s’appréhender dans les catégories de l’entendement politique ordinaire (droite-gauche) que faire sens localement, par référence aux réalités locales (le dossier « gare »). Ces deux logiques ne sont toutefois pas exclusives l’une de l’autre. Une fois l’investiture partisane obtenue, les candidats se lancent à l’assaut du terrain non pas pour faire oublier leur étiquette mais pour la décliner au gré de réalités localisées. Le souci de proximité oriente le positionnement politique selon une direction « attrape-tout » : toutes les demandes sociales sont entendues, tous les quartiers visités, toutes les questions prises au sérieux. Plus fondamentalement, la mise en scène de la proximité à l’occasion de la campagne s’analyse comme une anticipation du travail de construction identitaire du territoire communal auquel le maire sera contraint. L’exposé d’un projet pour la commune doit se conjuguer à la célébration identitaire. Le suivi ethnographique d’une campagne électorale permet d’apercevoir, via les rituels que sont les rencontres, les réunions, cette dimension symbolique centrale (Pourchet, 1991). Les candidats ne reculent devant rien pour mettre en scène l’intimité et l’affectivité de leur relation au territoire : lieu de naissance, lieu de vie, terre des ancêtres, à chaque fois le candidat s’invente des racines qu’il exhibe comme autant de titres « authentiques » attestant son attachement au territoire. Accent régional, amitiés locales, souvenirs d’enfance, connaissance avérée de la commune, se trouvent enrôlés au service d’une présentation de soi démonstrative. La dimension horizontale de cette présentation de soi fondée sur l’intégration au territoire se double cependant d’une dimension verticale plus élitiste et moins strictement territorialisée : enfant du pays sachant parler aux gens ordinaires, le candidat mobilise aussi des ressources distinctives (diplôme, expérience professionnelle, réseaux de décideurs internes ou extérieures, maîtrise des savoirs académiques).

  • 16 Président du Conseil Général du Lot, Maurice Faure a été successivement maire de Prayssac (1953-196 (...)

52Les candidats sont (à tort ou à raison) convaincus qu’une élection municipale se gagne par la présence physique sur le terrain. Plus que jamais, le parachuté est la figure honteuse à qui il manque l’essentiel, l’ancrage territorial. Le passage d’une commune à l’autre est certes possible, tels celui de Philippe Douste-Blazy quittant Lourdes pour Toulouse, ou de Jean-Marc Ayrault quittant Saint-Herblain pour Nantes. Mais il suppose, aujourd’hui plus qu’hier, un travail de terrain visant à démontrer un ancrage territorial authentique. Les exemples précédents montrent au demeurant que cette mobilité géographique est réduite16, ce que confirment les contre-exemples de Jack Lang ou de Philippe Seguin, échouant l’un et l’autre à quitter leur ville de province pour Paris. La double défaite du premier (à Paris puis à Blois) démontre l’acuité contemporaine de l’exigence d’inscription territoriale, celle-ci devant être sincère et exclusive.

53La victoire d’Alain Juppé à Bordeaux en 1995 n’invalide pas cette hypothèse du rendement décroissant des ressources externes. D’abord parce qu’il a su jouer la carte de la proximité, rappelant par exemple ses racines landaises. Ministre des Affaires Étrangères, il sut s’aménager quelques déplacements stratégiques à Bordeaux, que la presse locale relayait avantageusement. Malgré tout, ce succès se situe à contre-courant de la tendance au discrédit qui frappe aujourd’hui le parachutage. Il n’est pas interdit d’évoquer le précédent « Chaban » pour expliquer la fortune d’une stratégie fondée sur la mise en scène dramatisée d’un candidat absent, se faisant désirer par les élites économiques, supposé pouvoir apporter beaucoup par son « envergure », et extérieur aux rivalités locales (Restier-Melleray, 2002). Plus souvent, la notoriété nationale tend à perdre toute valeur, quand elle n’est pas contre-productive. Le profil de dauphin résiste mieux que celui de parachuté.

  • 17 Cf. les enquêtes d’opinion publiées dans Libération en 2001 qui montrent que les électeurs des gran (...)
  • 18 Certains ministres ont tout de même conservé leur mairie : Marylise Lebranchu à Morlaix (mais elle (...)

54C’est aussi la figure du cumulant (un pied dans la commune, un pied à Paris) qui a perdu de sa superbe. Le chantage aux ressources externes (à Paris, je me bats efficacement pour ma ville grâce à ma position de parlementaire, de ministre…) n’est plus accepté par les électeurs dans le contexte de décentralisation. Ces derniers exigent de plus en plus souvent un maire « à plein temps », dépourvu de mandat autre que celui-là17. L’insuccès de plusieurs ministres du gouvernement Jospin en 2001 semble accréditer cette thèse (Élisabeth Guigou à Avignon, Jean-Claude Gayssot à Béziers)18.

55Les ressources locales tendent-elles à éclipser les ressources centrales ? Faut-il aller jusqu’à diagnostiquer l’inversion de la tendance lourde à la politisation ? Si en 2001 la présence de Lionel Jospin dans les meetings a été souhaitée par beaucoup de candidats socialistes (et celle de Bernadette Chirac par ceux du RPR), il est notoire à l’inverse que souvent le parrainage par une personnalité politique « nationale » a pu être jugé encombrant, voire carrément contre-productif. La valorisation des ressources strictement locales, et l’indifférence aux ressources centrales (investiture, notoriété et responsabilités nationales…) est encore attestée par le destin contrasté des sortants mis en cause dans des « affaires », comme si ce qui se passait au centre avait cessé de peser localement. Les verdicts judiciaires ont de fait parfois été fatals (Tibéri en 2001, effondrement de l’UDF en 1995 dans le Var), mais d’étranges contre-exemples montrent qu’une bonne implantation locale permet d’annuler les déboires judiciaires : Mellick est réélu à Béthune en 2002, Balkany à Levallois-Perret en 2001 puis en 2002.

  • 19 Lefèbvre (R.), « Campagnes électorales et interactions face-à-face. Une approche ethnographique des (...)

56La « proximité » est construite au moyen de techniques de campagne classiques : réunions électorales, porte-à-porte, distribution de tracts en ville, sur les marchés, chez les commerçants…19 (Lefebvre, 2002). Dans les grandes villes, elles n’ont de chance d’être électoralement efficaces que si ce travail de terrain est médiatisé. Les grands meetings permettent, au même titre que les « comités de soutien », de mettre en scène l’appui de « personnalités » extérieures au monde politique : milieux du cinéma, de la chanson, de la littérature, de la mode, du sport, sont sollicités de plus en plus souvent. En 2001, Bertrand Delanoë mobilise Cabu, Juliette Gréco, ou Bruno Masure, auxquels Jean Tibéri oppose Jean Dessailly ou Jean Dutourd. Le premier s’offre le Zénith le temps d’un meeting imposant qui voit intervenir acteurs politiques et « personnalités ». Mailings, affichage, sondages d’opinion, les technologies du marketing politique pénètrent progressivement la vie politique municipale, faisant intervenir des professionnels extérieurs au territoire local. Les télévisions (locales, régionales, ou même nationales) organisent des débats calqués sur les duels présidentiels : celui entre Delanoë et Seguin a eu en 2001 une audience nationale. Une certaine standardisation résulte de cette médiatisation imprégnée de marketing, dont témoigne par exemple la généralisation de l’usage des sondages d’opinion : on teste la popularité d’une personnalité, la saillance d’un enjeu, la pertinence d’une proposition, la consistance d’un profil, les contours d’un électorat… Alerté par exemple par des sondages pessimistes, Philippe Seguin corrige sa stratégie, et prend à vingt jours du scrutin la tête de liste dans le XVIIIe arrondissement, de crainte de ne même pas être élu au conseil de Paris. De même les candidats ont-ils de plus en plus recours à de très médiatiques enquêtes interrogeant les électeurs sur leurs « attentes ». Il s’agit moins, on s’en doute, de faire remonter des propositions (irréalistes) ou même des problèmes (déjà connus) que de théâtraliser la bonne volonté démocratique du candidat (Restier-Melleray, 2002).

  • 20 Cf. à Paris la réaction du candidat Vert et du maire sortant lors du duel Delanoë-Seguin.

57L’importance accrue conférée aux sondages, et plus généralement la médiatisation des élections municipales s’analyse aussi comme consécration des journalistes. En sélectionnant par exemple pour une confrontation télévisée deux candidats parisiens seulement, ils distribuent sélectivement le label de favori20. En commanditant et en commentant des sondages d’opinion, ils formulent des pronostics qui les placent en position de surplomb par rapport à l’événement. Surtout lorsqu’ils évaluent, comme à Bordeaux en 1995, les chances des candidats avant-même que ceux-ci ne se déclarent. Sud-Ouest put ainsi conforter l’éligibilité d’Alain Juppé en pronostiquant sa victoire cinq mois avant sa candidature officielle (Restier-Melleray, 2002). Les journalistes se posent en experts de la chose électorale, qu’ils mettent en récit en empruntant au registre dramaturgique : unité de temps, de lieu, d’action, suspense, clôture de l’événement sur lui-même. Ils distillent des informations sur les coulisses (tractations, alliances, stratégies), ils se posent tantôt en commentateurs désabusés d’une « course de chevaux », tantôt en défenseurs de la démocratie, oscillant entre ce que C. Restier-Melleray appelle joliment la « pacotille florentine » et l’organisation de débats (virtuels) sur les principaux enjeux de campagne. Le chercheur ne doit donc pas se laisser abuser par la cons-truction médiatique de la « campagne électorale » comme événement total mettant en interaction des candidats et des électeurs. Ce serait oublier qu’en amont il existe une pré-campagne discrète, à laquelle le public n’est pas convié, et qui a pour enjeu la conquête, parfois sur plusieurs années, du statut d’éligible investi (Restier-Melleray, 2002). Opaque, réduite souvent aux jeux d’appareils, cette pré-campagne est pourtant décisive, quoi qu’en disent ex post les intéressés qui préfèrent la minimiser.

  • 21 « L’homme politique en campagne », Politix, 1994.

58La standardisation des techniques de marketing, qu’il est trop facile d’illustrer à partir du seul cas parisien, ne doit toutefois pas être caricaturée. D’abord parce que les candidats eux-mêmes accordent à ces techniques une efficacité très variable, qui plus est dans un contexte où la limitation des dépenses de campagne oblige à revenir au porte-à-porte. En outre, les tactiques électorales demeurent différenciées car elles sont largement liées au type de ressources possédées par chaque candidat. Frédéric Sawicki en fait la démonstration en étudiant Dunkerque en 1989 : d’un côté un maire sortant jouant de sa notoriété locale, des réseaux clientélistes (associations, personnel municipal…), de l’autre un Ministre PS vice-président du conseil régional cherchant à incarner le dynamisme et la compétence. Se pliant à l’injonction de proximité, ce dernier peut rappeler ses racines flamandes ou participer au carnaval : ces présentations de soi stratégiques ne corrigent pas l’image originelle21.

59La compétition électorale est, sauf dans les grandes villes, inégale entre sortants disposant de ressources organisationnelles importantes et challengers largement démunis. Les premiers disposent d’un accès facilité aux médias (municipaux ou non), ils peuvent déployer leur activité décisionnelle dans une perspective électoraliste, par exemple en multipliant avant l’élection les inaugurations, les subventions, ou en réactivant les liens clientélaires. Ils jouent de la personnalisation du pouvoir local, personnalisation dont l’opposition tente également de tirer parti en concentrant ses critiques sur la personne du maire qu’elle cherche à disqualifier. Les arguments ad hominem prennent souvent le relais des débats sur l’avenir de la commune : incompétence, extériorité par rapport à la commune, malhonnêteté, sectarisme, aveuglement idéologique, manque d’envergure…, les registres de la disqualification varient d’un site à l’autre.

60Les campagnes coûtent cher et les récentes affaires de corruption ont incité le Législateur à en faire surveiller rigoureusement le financement (loi du 15 janvier 1990, loi du 19 janvier 1995). Seuls les partis politiques et les particuliers peuvent désormais financer une campagne municipale, la contribution des autres personnes morales est interdite (entreprise, association…). Les dons des particuliers sont plafonnés. Dans les communes de moins de 9 000 habitants, la liberté demeure. Au-delà, le candidat doit désigner un mandataire financier, et ses dépenses sont plafonnées (par exemple à 8 francs par habitant pour le second tour d’une élection municipale dans une commune de 50 000 habitants, soit 400 000 francs). Les candidats ayant obtenu 5 % des voix peuvent se faire rembourser une partie des frais de campagne.

61Reste à savoir comment les électeurs accueillent les efforts déployés pour les séduire. Consciente des risques de généralisation hâtive, Christiane Restier-Melleray propose de parler de « réception distanciée » : ni passivité, ni passion donc. Les citoyens suivent la campagne, mais avec distance : ils mobilisent des grilles de lecture parfois inspirées de la sociologie électorale, ils décodent des stratégies, sans donc être dupes des techniques de communication. Puis ils vont voter.

§ 5. La participation électorale

62« Comment un pouvoir aussi faible peut-il susciter autant d’intérêt ? » demandait abruptement Jeanne Becquart-Leclercq en 1976. Le paradoxe concernait principalement (et concerne encore) les petites communes. C’est là que les maires semblent les plus démunis, c’est là que la participation électorale est la plus forte. Ce paradoxe est simple à comprendre, si on accepte de reconnaître que le vote n’est pas seulement l’expression d’une préférence référée à des intérêts individuels ou sectoriels qui se reconnaîtraient plus ou moins dans l’offre électorale, mais qu’il est aussi le signe d’une appartenance à un territoire. On comprend alors pourquoi l’élection municipale attire, en particulier en milieu rural : elle exprime l’attachement à la commune, le vote vaut stratégie identitaire. Même en cas de liste unique, la participation demeure forte (Becquart-Leclercq, 1976).

63Les données sur la participation aux élections municipales sont connues et se résument en deux constats. D’une part les électeurs pris globalement se déplacent volontiers pour ce scrutin, le plus « populaire » après les élections présidentielle et législatives.

64La participation moyenne depuis 1945 (75.1 %) est supérieure à celle observée pour les élections cantonales (62 %), régionales (68 %) et européennes (54 %). Elle n’est inférieure qu’au chiffre de la participation aux premiers tours des élections présidentielles (81 %) et législatives (77 %).

  • 22 Les cantonales attirent en milieu rural, là où le canton « existe », mais pas en milieu urbain. La (...)

65Le second constat nuance le premier : le haut niveau de participation masque en effet de telles disparités qu’on peut légitimement s’interroger sur le sens de l’indicateur précédent. La participation est inversement proportionnelle à la taille de la commune. En 1965 par exemple, la moyenne de 78.2 additionne une participation forte dans les communes de moins de 30 000 habitants (81.8) et plus faible dans les villes de plus de 30 000 habitants (70.0). En 1995, la participation moyenne de 69.4 % oscille entre 79 % (en deçà de 3 500 habitants) et 58 % (au-delà de 30 000). Tout semble indiquer une corrélation étroite entre consistance du territoire de l’élection et participation électorale : là où l’échelon communal « parle », on vote ; là où il apparaît abstrait, artificiel, lointain (grandes villes, villes nouvelles, villes-dortoirs…), l’abstention augmente. Ce modèle permet d’expliquer les contrastes de la participation d’une commune à l’autre, d’une élection à l’autre22, il permet aussi, à l’échelle d’une ville, de comparer entre groupes sociaux. On observera que ce sont les groupes les mieux intégrés localement qui votent le plus : anciens résidents, propriétaires (plus que locataires), résidents travaillant sur place, utilisateurs des équipements locaux (écoles, commerces, équipements sportifs ou culturels…), acteurs localement engagés dans des associations, lecteurs de la presse locale, etc. L’attachement au territoire, qu’il soit mesuré objectivement par les pratiques ou subjectivement par les opinions, n’est pas forcément en lien direct avec la position sociale (capital économique et culturel) : il n’y a par conséquent pas de lien univoque et systématique entre participation aux élections municipales et classe sociale. Sauf lorsque la position dominée se conjugue à une faible intégration territoriale, ainsi dans les cités des quartiers populaires de grandes villes où la participation électorale dépasse parfois à peine 50 %.

66Dans une étude portant sur les villes françaises de plus de 20 000 habitants, Vincent Hoffmann-Martinot (1992) passe en revue différentes variables permettant d’expliquer le niveau d’abstention. Les communes-centres et les communes isolées, dont la structure démographique est stable, dont les frontières sont plus nettes, participent davantage que les communes situées à la périphérie des agglomérations. Ce résultat confirme que l’ancienneté de résidence, à laquelle est lié le sentiment d’appartenance à la commune, influence la propension à voter. Dans le même sens, l’auteur note que le vote ouvrier augmente avec la proportion d’ouvriers : plus les ouvriers sont nombreux, plus ils connaissent une intégration urbaine élevée. Le raisonnement ne vaut pas pour les populations d’origine immigrée, peu intégrées quel que soit leur poids objectif, et donc peu participationnistes. On peut enfin noter que la participation est forte là où le clientélisme est prépondérant. Ceci confirme le modèle précédent : le clientélisme, par la relation qu’il établit entre l’électeur et l’élu, est intégrateur.

67D’autres corrélations débordent cependant cette seule variable intégration, liées par exemple à la structure de l’offre électorale : lorsqu’une ville est détenue depuis longtemps par une même majorité, la participation diminue. Les mécanismes structurels ne sont donc pas imperméables à des variations conjoncturelles. Ce scrutin, comme les autres, a connu depuis quelques années un déclin notable de la participation électorale. Ensuite, la politisation d’une élection municipale, parce qu’elle en dramatise les enjeux (à la fois locaux et nationaux), suscite une forte participation. En 1977 et en 1983, les électeurs avaient le sentiment qu’ils pouvaient par leur vote sanctionner le gouvernement. Les élections dites intermédiaires (cf. infra) se caractérisent par une forte participation.

§ 6. Nationalisation et politisation des élections municipales

  • 23 Exemple d’affiche électorale émanant de la droite amiénoise en 1983 : « Ils cassent la France, sauv (...)

68Les élections municipales sont-elles politisées ? La question est posée à chaque scrutin. Elle est chargée de confusion pour plusieurs raisons. D’abord parce que les acteurs politiques formulent en la manière des verdicts péremptoires et discutables, verdicts moins fondés sur l’analyse scientifique que sur leur intérêt politique immédiat : un Premier ministre dont le parti a perdu plusieurs villes sera prompt à rappeler que l’élection est locale, et qu’il n’a pas de raison de se sentir visé par l’expression des électeurs. Un candidat appartenant à une formation politique conjoncturellement impopulaire (par exemple parce qu’elle est au pouvoir) peut chercher à dépolitiser le scrutin, en insistant sur les enjeux locaux, tandis que ses adversaires souligneront le lien entre ce candidat et le gouvernement23. À l’inverse, évidemment, un Premier ministre confronté à de bons résultats municipaux y verra la sanction positive de sa politique.

  • 24 Jean Monnier s’alliant à Angers avec les centristes après avoir rompu avec les communistes fait fig (...)

69D’autre part, et au-delà de ces lectures stratégiques, il existe un certain flou conceptuel autour des notions de politisation et de nationalisation de la vie politique. Que signifie « politique » ? Si l’on se réfère à la présence des partis politiques, des investitures et des étiquettes partisanes, mieux vaut utiliser le néologisme de partisanisation de la vie politique locale. Le mot n’est pas élégant, mais il renvoie au moins à un jeu précis de critères empiriquement mobilisables. Mais peut-on aller plus loin que le simple repérage des étiquettes politiques ? Le terme de nationalisation est alors moins malheureux que celui de politisation. Il se réfère à des données objectives, ainsi le fait que les élections municipales se déroulent partout en France le même jour (Martin, 2001). Ce choix n’est pas sans orienter la représentation que tous les acteurs politiques (candidats, électeurs, commentateurs) se feront d’élections municipales ainsi agrégées par la coïncidence dans le temps. La nationalisation est aussi celle des alliances partisanes et des enjeux. De ce point de vue, il y a clairement nationalisation accrue entre la période 1959-1971 et la période 1977-2001. La première est marquée par des alliances locales centristes pouvant inclure la gauche non communiste, alliances largement en décalage avec une vie politique centrale déjà bipolarisée. La seconde période voit au contraire, union de la gauche oblige, la vie politique locale se désingulariser pour épouser plus étroitement la configuration bipolaire centrale24. Cette nationalisation des alliances induit celle des enjeux électoraux : on parle partout démocratie locale et vie associative à gauche en 1977, on puise dans le même référentiel néo-libéral à droite en 1983 (privatisation, réduction des impôts locaux). La nationalisation est aussi celle des techniques qui standardisent le métier de candidat. L’unification en la matière est attestée par l’usage croissant des outils de marketing politique (sondage, mailings, campagnes d’affiches…), dont le coût élevé n’est pas sans jouer sur la dépendance (financière) à l’égard des organisations politiques.

  • 25 Sondage Louis Harris de mai 1995 : à la question « quel est l’élément principal qui détermine votre (...)

70Le terme de nationalisation renvoie encore (et peut-être surtout) à une variable essentielle quoique plus difficile à mesurer : l’intentionnalité de l’électeur. Celui-ci a-t-il souhaité, par son comportement lors d’un scrutin municipal, exprimer un point de vue qui dépasse ce strict cadre ? Avait-il en tête d’autres enjeux ? Use-t-il de grilles de lecture empruntées, comme le clivage droite-gauche, au champ politique central ? Des enquêtes sont régulièrement menées sur cette question. Mais quel sens donner par exemple aux préférences affichées par une majorité d’électeurs pour des variables supposées moins « politiques » que l’étiquette partisane, comme la personnalité du candidat, son programme, sa disponibilité, le bilan du maire sortant, etc. ?25 Ces variables « non partisanes » peuvent se révéler, à l’examen, éminemment politiques : l’évaluation des personnalités se fait souvent sur la base de schèmes de perception très politiques (chef d’entreprise à l’air compétent et dynamique, médecin de famille digne de confiance, enseignant intègre et dévoué, agriculteur simple et travailleur…). De même les programmes supposés ancrés dans la réalité « locale ». Ces remarques suggèrent que la politisation des élections locales (si l’on tient au mot) s’opère en partie à l’insu des électeurs, à travers la diffusion de cultures politiques intériorisées.

  • 26 Parodi (J.-L.) et Duhamel (O.), art. cit.

71Le concept d’élection intermédiaire (Parodi, 1983 ; Martin, 2001) propose une modélisation plus rigoureuse de la nationalisation et de la politisation des scrutins locaux : idéal-typiquement, l’élection municipale sera dite intermédiaire si elle est l’occasion pour les citoyens de sanctionner (en général négativement) l’autorité centrale (le gouvernement). Exemples classiques : en 1977, le pouvoir giscardien paie l’impopularité du gouvernement Barre, la gauche conquiert un nombre important de grandes villes. En 1983, la déception que suscite l’expérience socialiste provoque un mouvement dans l’autre sens. À chaque fois, l’élection municipale contredit l’élection centrale précédente et annonce l’alternance. Le gouvernement reçoit un « avertissement ». Les enquêtes d’opinion confirment la singularité de ces scrutins intermédiaires : 62 % des électeurs interrogées en janvier 1977 estimaient que l’élection municipale à venir serait, dans leur commune, « politique » ; 19 % seulement étaient du même avis quelques semaines avant le scrutin précédent (novembre 1971) (51 % en 1983, 35 % en 1989). Même différence significative entre 1977 et 1971 quand on demande aux électeurs s’ils tiendront personnellement compte, dans leur choix, de l’attitude des candidats à l’égard du président de la république en exercice (44 contre 33 % de réponses affirmatives). Et ce sont bien sûr les mécontents, les opposants au niveau national, qui contribuent le plus directement à cette politisation de l’élection municipale. Attention toutefois à ne pas caricaturer la politisation des scrutins intermédiaires : même en 1977 il ne faut pas perdre de vue que cette politisation ne vaut que dans le contexte urbain : si 74 % des électeurs des villes de plus de 100 000 habitants estiment que l’élection sera dans leur commune « politique », ceux des communes rurales sont partagés (41 % oui, 41 % non)26.

72On devine les conditions qui favorisent une configuration de type « élection intermédiaire ». Il faut d’abord que l’offre électorale municipale soit homologue à celle qui prévaut centralement : ce qui suppose un jeu d’étiquettes politiques superposable à la bipolarisation du centre (pas d’élection intermédiaire au village donc). C’est seulement lorsque le marché politique local reproduit en plus petit le marché politique central que l’on peut parler d’élection intermédiaire. Cette condition se réalise sous la cinquième République : la bipolarisation se généralise, ce qui conforte la thèse d’une nationalisation de la vie politique locale. Les marchés politiques périphériques s’alignent sur le marché central, les alliances sont les mêmes, les instances locales des partis politiques sont dépendantes des instances centrales, les formations régionales pèsent peu, les entreprises politiques individuelles se raréfient et s’alignent.

73Il faut ensuite, pour parler d’élection intermédiaire, un calendrier et une conjoncture spécifiques. Cette variable est plus aléatoire que la précédente, elle trouble la vision linéaire d’une politisation continûment croissante des élections municipales. Si le scrutin municipal suit de peu une élection centrale (comme en 1995), les électeurs se concentreront sur les enjeux locaux. Si, comme en 2001, les élections centrales datent de plusieurs années (législatives de 1997) mais que le gouvernement n’est pas l’objet d’un rejet spécifique, le scrutin peut également perdre sa dimension intermédiaire. En revanche, lorsque les conditions précédentes sont réunies, il n’est pas absurde de faire une lecture globalisée des résultats. Les élections intermédiaires se caractérisent par une participation plus forte, les enjeux nationaux se superposant aux enjeux locaux. Elles s’interprètent comme avertissement envoyé par « l’électorat » au gouvernement.

  • 27 Ceci dit : lorsque le scrutin est « très » intermédiaire, la prime au sortant joue moins, ce que me (...)
  • 28 Quantin (P.), « Des maires plus populaires que leur parti », in : Les élites politiques locales, 19 (...)

74Pour pertinent qu’il soit en certaines circonstances, le modèle des élections intermédiaires ne peut toutefois prétendre épuiser l’analyse du vote municipal. Même en conjoncture « intermédiaire », même en ville, les variables locales jouent. L’expression « prime au sortant » permet par exemple de désigner les situations dans lesquelles un maire peut se faire réélire y compris dans un contexte défavorable à sa famille politique27. Elle est malheureusement souvent mobilisée de façon mécanique pour rendre compte de réélections ainsi soustraites à l’analyse. Il conviendrait en réalité de voir ce qu’elle masque : le clientélisme, la médiatisation personnalisante du pouvoir municipal, l’efficacité du discours d’auto-imputation… La « prime » n’existe pas comme réserve de voix mécaniquement acquise, elle résulte de la conjonction de ressources différenciées que les sortants sauront plus ou moins mobiliser. Cette « prime » n’est évidemment pas quantifiable in abstracto. Tout au plus peut-on noter qu’elle s’observe plus facilement en fin de premier mandat qu’ensuite (Martin, 1996). Ou bien constater qu’elle « pèse » finalement moins lourd que l’étiquette politique28. Le fait est néanmoins avéré : la réélection est plus aisée que l’élection. Philippe Garraud évalue à 9 ans (soit un mandat-et-demi) la longévité moyenne des maires urbains. Et le taux de renouvellement parmi cette population n’a jamais dépassé 40 % (chiffre de 1977). Les données équivalentes manquent sur les plus petites communes, mais nul doute que la prime au sortant y pèse plus fortement encore. Les 82 maires constituant l’échantillon de Jeanne Becquart-Leclercq avaient par exemple en moyenne 13 ans d’ancienneté dans ce rôle au moment de l’enquête.

  • 29 Lehingue (P.), « Les mécanismes de production des verdicts électoraux », in Sawicki (F.) (dir.), à (...)

75La conjoncture d’élection intermédiaire, sans être exceptionnelle, ne constitue donc pas la norme. Rassembler les résultats des 36 000 scrutins locaux en une seule lecture ne peut s’effectuer sans d’infinies précautions : c’est pourtant cette lecture, et elle seule, qu’accréditent les acteurs politiques centraux lorsqu’ils s’acharnent à donner une interprétation globalisante des élections municipales. A fortiori lorsque le scrutin n’a rien d’intermédiaire, cette globalisation devient pur artefact. Résultats électoraux additionnés, synthèse résumant les grandes tendances, cartographie nationale, leçons à tirer pour le gouvernement… la traduction dans le langage du centre de résultats éparpillés s’apparente à une trahison. Au niveau central, journalistes et responsables politiques sont complices d’une telle alchimie pour le moins discutable29. L’analyse des scrutins municipaux pris un à un, au fil de l’histoire politique, est de ce point de vue une démarche risquée : elle permet certes de resituer chaque élection dans son contexte politique national (Martin, 2001), elle risque en même temps de tenir pour acquis dans la réalité ce qui est construit par l’analyste.

76La nationalisation de la vie politique locale s’apparente finalement à un processus complexe repérable à plusieurs niveaux :

    • 30 Kukawka (P.), « Les partis politiques français et la structuration du pouvoir local », in Mabileau (...)

    C’est d’abord la question des étiquettes partisanes : existent-elles ? Si oui, les entreprises politiques mobilisées sont-elles nationales ? Quid par exemple des formations politiques régionales, voire régionalistes ? des candidatures individuelles ?30. Et que dire lorsque des labels partisans impeccablement nationaux, comme en Corse, masquent en réalité des attachements clientélaires très localisés, et fort peu idéologiques ?

  • On n’oubliera pas non plus d’étudier la façon dont se constituent les alliances entre formation politiques : Qui est à même de les imposer ? Y a-t-il des accords nationaux ? Les alliances, lorsqu’elles sont de la responsabilité des acteurs locaux, diffèrent-elles d’un site à l’autre ? Obéissent-elles au contraire partout au même modèle (par exemple bipolarisé) ?

  • C’est aussi la question des filières d’accès à l’investiture : que pèsent, respectivement, les ressources localisées (notoriété locale) et les ressources nationales (position au sein de l’appareil partisan ou d’État, notoriété médiatique, etc.) ? Les ressources locales pertinentes sont-elles les mêmes partout ?

  • C’est encore la question des enjeux constituant l’agenda électoral : sont-ils locaux ? Sont-ils la reprise localisée d’un agenda en réalité national ? Sont-ils codés dans le langage standardisé de « la politique » ? Les recettes d’action (programmes) sont-elles aussi standardisées ?

  • C’est également la question du comportement électoral. Les motivations des électeurs, difficiles à repérer, s’inscrivent-elles dans la logique des élections intermédiaires ? L’objectif de l’électeur est-il d’envoyer un message en direction des gouvernants centraux ?

  • Il faut encore évoquer la construction sociale des résultats. Qui est en mesure d’imposer une lecture nationale de l’élection (au singulier), et de faire exister l’électorat (encore au singulier) ? Qui au contraire est à même de résister à cet enrôlement globalisant ?

77Mentionnons enfin cette donnée institutionnelle fondamentale : le scrutin est organisé nationalement. La législation qui le régit et le calendrier en sont nationaux.

78Ainsi définie, la nationalisation des élections municipales est un fait avéré en milieu urbain. Une élection municipale à Paris est forcément un élément structurant de la vie politique française. Au-delà de ce cas limite, il est acquis que les maires urbains sans étiquette sont aujourd’hui rarissimes. La cinquième République a incontestablement accéléré ce mouvement. Dans son travail sur Nantes, Jean Petaux (1982) a montré tout ce qui pouvait séparer la municipalité Morice (1965-1977) de la municipalité Chenard (étudiée sur la période 1977-1982). Le premier, notable radical, construit une liste très ouverte politiquement, de la SFIO aux Indépendants, avec comme seul dénominateur commun l’hostilité à l’État gaulliste et aux communistes. Partisans et adversaires de l’école privée peuvent par exemple s’y côtoyer. Après 1977, la bipolarisation impose sa logique : la municipalité Chenard marque clairement son ancrage à gauche, quitte à remettre en cause le consensus scolaire auquel s’était obligée l’équipe précédente. La vie municipale se politise, se « partisanise », elle s’inscrit dans une logique plus nationale. L’évolution est, en moyenne période, indéniable.

  • 31 Guionnet, 1997, p. 146 ; et aussi Guionnet 1996 et 1998.
  • 32 Lagroye (J.), « De “l’objet local” à l’horizon local des pratiques », in Mabileau (A.) (dir.), 1993

79Faut-il, pour conclure, ériger politisation et nationalisation en lois d’une histoire municipale ainsi devenue linéaire et continue ? Cette hypothèse, forte, repose d’abord sur une vision dépolitisée des élections municipales antérieures. Or, ici encore, la réalité est irréductible à un verdict simpliste. Pour se contenter d’un contre-exemple, le vote aux élections municipales sous la Monarchie de juillet pouvait déjà s’analyser chez certains électeurs comme « un coup de pied à Louis-Philippe »31. Certes, dans ce contexte, les relations interindividuelles sont primordiales, certes il n’y a pas de véritable programme électoral, certes l’électeur est pris dans une logique communautaire holiste éloignée de l’individualisme démocratique : il n’empêche que l’autonomisation du champ politique comme registre d’activité séparé s’esquisse. Et Christine Guionnet de remettre en discussion la vision dépolitisée des élections locales au 19e, dont on avait pu croire un peu vite qu’elles se réduisaient à l’expression mécanique d’une dépendance structurelle. La soumission économique, psychologique même, dont bénéficient propriétaires terriens et bourgeois n’est pas telle qu’ils puissent espérer être élus sans faire campagne. Eux aussi, déjà, doivent en passer par « la politique ». Même incertitude quant à la supposée dépolitisation des municipales au début du 20e siècle : la moindre présence (avérée) des étiquettes politiques suffit-elle à conclure à la dépolitisation ? La position sociale (professionnelle, religieuse, mondaine…) du candidat ne valait-elle pas, autant que l’étiquette partisane aujourd’hui, ancrage politique ?32

80Il n’est pas certain, en sens inverse, que le verdict de politisation soit toujours fondé pour décrire les élections municipales récentes. Depuis 1977 et 1983, plusieurs indices autorisent même à formuler le diagnostic inverse : déclin des programmes partisans au profit d’une rhétorique de terrain dépolitisé, prise de distance des candidats par rapport aux organisations partisanes, localisation des enjeux… On hésite à conclure sur la nature de ces indices : modifications de surface ne venant que superficiellement bouleverser une évolution que l’on doit continuer à penser comme linéaire ? Ou bien amorce d’une dépolitisation qui oblige à envisager des cycles de politisation, plus ou moins imprévisibles et plus ou moins conjoncturels ?

 

81Même incertitude quant à la politisation des élections en milieu rural. La tentation est forte de conclure hâtivement, ici encore, à une dépolitisation sans nuance et sans histoire. Comme le remarque Jean-Yves Nevers (1992), l’absence des partis politiques ne signifie pourtant nullement absence de conflictualité ni même absence de compétitivité. Certes les marchés politiques en milieu rural sont incontestablement moins dépendants du marché central. Selon cet auteur, sur un échantillon de 280 communes du sud-ouest, de 50 à 2000 habitants (1971, 1977 et 1983), on peut parler de politisation pour environ un quart des communes, si toutefois on accepte comme critère le point de vue exprimé par le maire interrogé après le scrutin. Là encore, les indices existent qui laissent penser que les choses évoluent dans le sens d’un relatif déclin de cette autonomie : d’un scrutin à l’autre, le nombre de listes tend à s’accroître, particulièrement quand la population augmente. Mais faut-il parler de politisation progressive ou de politisation cyclique ? À Guerlesquin (Finistère), Patrick Le Guirriec (1989) recense des conjonctures favorables à la politisation. Des étiquettes partisanes sont mobilisées épisodiquement : en 1905, à la Libération… C’est après la guerre que l’identité de « socialiste » est pour la première fois revendiquée. Mais lorsque le maire et le curé s’affrontent à la fin du siècle précédent pour savoir à qui revient le droit de commander la sonnerie des cloches, que conclure quant à la politisation ? Il y a une politisation au village qu’Edgar Morin avait repéré dans le contexte il est vrai particulier de Plozevet, où s’affrontaient rouges et blancs. L’apolitisme de façade, observé lors des élections municipales rurales (Kesselman, 1972), aurait alors pour fonction de conjurer une politisation effective mais contraire à l’idéologie communale. Conclure à l’apolitisme serait donc une erreur équivalant à confondre l’apparence et la réalité profonde, l’absence des partis politique et l’absence des logiques et des cultures politiques. Il y a partisanisation croissante de la vie politique locale, il y a sans doute unification progressive du champ politique par intégration progressive des marchés « périphériques », mais il n’est pas certain qu’on puisse abruptement conclure à la politisation croissante.

Notes

3 Le mandat est de six ans depuis 1929. Il avait auparavant oscillé entre deux et dix ans. Le passage de quatre ans (1884) à six ans (1929) s’analyse en terme de professionnalisation des élus. Ceux-ci souhaitent alors se protéger de l’instabilité électorale et s’adapter à la temporalité de l’action publique « moderne ». Voir : Marrel (G.) et Payre (R.), « Le temps des maires : l’allongement du mandat en 1929 », Politix, 2001.

4 On évoquera plus loin la question de la parité hommes-femmes.

5 « Le maire entre disciplines et libertés », Politix, 1994. Le même auteur insiste sur l’affinité entre le nouveau mode de scrutin municipal en milieu urbain et cette présence accrue des partis politiques. Il existe désormais au sein des conseils municipaux une majorité et une opposition « politiques ». L’affrontement partisan (souvent bipolaire) n’est pas artificiellement greffé sur la vie locale, il structure durablement les débats municipaux.

6 Guionnet (C.), « La politique autrement : entre récurrences et réinvention : l’épisode municipal de mars 2001 ». À Paraître in : Sawicki (F.), (dir.).

7 Garraud (P.), « Les contraintes partisanes dans le métier d’élu local », Politix, 1994.

8 Garraud (P.), ibid.

9 Knapp (A.) et Le Galès (P.), « Le RPR et ses élus locaux », in Fontaine (J.) et Le Bart (C.) (dir.), 1994.

10 Voir la façon dont Jacques Chirac maire de Paris a pu imposer à la droite non gaulliste parisienne un ralliement pour lui décisif, y compris avant 1981, c’est-à-dire à l’époque où le leader du RPR s’opposait au parti présidentiel (l’UDF). Voir Haegel, 1994.

11 Le patronat au pouvoir à Halluin jusqu’à la première guerre mondiale fait ainsi figurer quelques ouvriers sur sa liste, pour réduire le fossé qui sépare le conseil municipal de la population (Hastings, 1991).

12 Pour 1965, M.-F. Souchon (1968) note que la liste unique d’intérêt communal est la norme dans presque tous les villages, de même l’élection du maire à l’unanimité.

13 Ainsi le quotidien Libération développe-t-il, sous le titre « Paris en bataille », une série de reportages et d’analyses sur les enjeux de la compétition parisienne (culture, transports, propreté des trottoirs et de la Seine…). Le même journal propose plusieurs suppléments consacrés aux grandes villes françaises, avec à chaque fois un sondage d’opinion auprès des habitants les interrogeant sur « les dossiers prioritaires » auxquels sera confronté le futur maire. Certains enjeux circulent d’une ville à l’autre, mais se hiérarchisent différemment (la sécurité prime à Lille, Marseille, Strasbourg, la pollution à Paris, les transports à Bordeaux), d’autres sont spécifiques (maintien du Parlement européen à Strasbourg).

14 Contre-exemple parisien : Philippe Seguin « chiffre » le budget du candidat Delanoë, en déduit une augmentation de la pression fiscale, etc.

15 En 1977, par exemple, 74 % des personnes interrogées jugeaient ces élections « très importantes » ou « assez importantes » pour l’avenir de la commune (4 % de sans opinion) (Parodi (J.-L.) et Duhamel (O.), art. cit.).

16 Président du Conseil Général du Lot, Maurice Faure a été successivement maire de Prayssac (1953-1965) puis de Cahors (1965-1990) (Montané, 2001).

17 Cf. les enquêtes d’opinion publiées dans Libération en 2001 qui montrent que les électeurs des grandes villes préfèrent massivement (entre les deux-tiers et les trois quarts) un maire seulement maire à un maire « occupant parallèlement des responsabilités nationales importantes ».

18 Certains ministres ont tout de même conservé leur mairie : Marylise Lebranchu à Morlaix (mais elle avait annoncé qu’elle ne briguerait pas le poste de maire), Louis Besson, Michel Sapin… Il est abusif, selon P. Sadran, de parler pour 2001 de vote anti-cumul (« La démocratie locale », in Les collectivités locales en France, 2002).

19 Lefèbvre (R.), « Campagnes électorales et interactions face-à-face. Une approche ethnographique des porte-à-porte de Martine Aubry à Lille ». À Paraître in : Sawicki (F.) (dir).

20 Cf. à Paris la réaction du candidat Vert et du maire sortant lors du duel Delanoë-Seguin.

21 « L’homme politique en campagne », Politix, 1994.

22 Les cantonales attirent en milieu rural, là où le canton « existe », mais pas en milieu urbain. La déconnexion entre territoire d’élection et territoire de gestion (canton-département, département-région) ne favorise pas non plus la participation électorale.

23 Exemple d’affiche électorale émanant de la droite amiénoise en 1983 : « Ils cassent la France, sauvons Amiens » (Gaxie, Lehingue, 1984).

24 Jean Monnier s’alliant à Angers avec les centristes après avoir rompu avec les communistes fait figure d’exception.

25 Sondage Louis Harris de mai 1995 : à la question « quel est l’élément principal qui détermine votre choix d’un maire ? », 55 % des personnes interrogées répondent par référence au programme, 36 % à la personnalité du candidat, et 8 % seulement invoquent l’étiquette.

26 Parodi (J.-L.) et Duhamel (O.), art. cit.

27 Ceci dit : lorsque le scrutin est « très » intermédiaire, la prime au sortant joue moins, ce que mesure le taux de renouvellement des maires, par exemple plus élevé qu’à l’accoutumé en 1977.

28 Quantin (P.), « Des maires plus populaires que leur parti », in : Les élites politiques locales, 1988.

29 Lehingue (P.), « Les mécanismes de production des verdicts électoraux », in Sawicki (F.) (dir.), à paraître.

30 Kukawka (P.), « Les partis politiques français et la structuration du pouvoir local », in Mabileau (A.) (dir.), 1983.

31 Guionnet, 1997, p. 146 ; et aussi Guionnet 1996 et 1998.

32 Lagroye (J.), « De “l’objet local” à l’horizon local des pratiques », in Mabileau (A.) (dir.), 1993.

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