1 Le film narratif raconte une histoire dont les événements sont organisés, sélectionnés par un récit/narrateur impliquant des personnages (humains ou anthropomorphisés) plongés dans un univers fictionnel où se mélangent référents naturels et concrets (un monde vraisemblable et habitable pour éviter tout déphasage « fictionnalisant » au spectateur) et des figurations et/ou narrations spéciales, alternatives (extraordinaires, surnaturelles, magiques, etc.) qui viennent garantir, authentifier l’univers fictif sélectionné (et conserver une impression de réalité forte chez le spectateur afin qu’il puisse vibrer au rythme des événements).
2 Le terme « encyclopédie » est ici emprunté aux travaux théoriques développés par Umberto Eco dans Lector in fabula (1985) et Les Limites de l’interprétation (1990).
3 Roger Caillois, Le mythe et l’homme, Paris, Gallimard (Folio essais), 1972 (1938), p. 23-28.
4 Johan Huizinga, Homo Ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, Paris, Gallimard, 1988 (1951) ; Roger Caillois, Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard (Folio/Essais), 1991 (1958).
5 Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1992 (1969) ; Jean-Paul Valabrega, Les mythes conteurs de l’inconscient, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2012.
6 Ruth Amossy, « La notion de stéréotype dans la réflexion contemporaine », Littérature, no 73, 1989, Mutations d’images, p. 29-46 ; « Stéréotype et valeur mythique : des aventures d’une métamorphoses », Études littéraires, vol. 17, no 1, 1984, p. 161-180.
7 La nostalgie, ce désir du retour d’un idéal perdu, nie le réel au profit d’une utopie pleine de promesse mais souvent illusoire car peu productive et donc déceptive. Tous les mythes du retour, dont l’Odyssée d’Ulysse reste le modèle occidental, résistent à l’hétérogénéité temporelle du réel au profit de l’horizon infini.
8 Si l’ironie renverse les valeurs transcendantes et immuables, son égocentrisme moralisateur est propice au cynisme (mépris des idéaux illusoires), voire au nihilisme (fin de tous les idéaux illusoires).
9 Dans ce monodualisme affectif ambiant, à forte valeur idéologique (religieuse et néo-libérale), le film narratif contemporain opte, certainement à raison (le box-office mondial étant un excellent baromètre des modes du moment), pour : structurellement, le régime diurne (et nocturne) de l’imaginaire (exclure ou atténuer les visages du temps), l’individuation (développement de l’ego), le parcours initiatique ternaire (les rites de séparation, d’initiation et de renaissance) et mélioratif (une quête de sens, de savoir, d’illumination, de purification, etc.), à savoir une vision gnostique, standardisée et positiviste, de l’héroïsme, comme mode d’être supérieur ; culturellement, l’esthétisation machinique (technologique) et la marchandisation (médiatique) du corps athlétique et performant réalisant et confirmant une construction normative basée sur le « scientisme » (mythe du progrès) et les dérives subjectivistes d’un trop-plein de souci de soi (individualisme privé, formel et narcissique, voire cosmétique), propre à une immortalisation du vivant.
10 L’ontologie contextualisée correspond aux propriétés entendues et attendues de l’objet dans un contexte socio-culturel et théorique donné.
11 L’imaginaire héroïque est une rêverie constante, séculaire et universelle de l’homme qui se médiatise dans différents types de récit, et dont les archétypes héroïques – leurs actualisations s’adaptant en fonction des époques, des modes, des mœurs et des supports (médiatiques, artistiques, politiques), ne proviennent, ni n’invitent à la même rêverie (excellence, volonté, repos, aérienne, sacrificielle, etc.). Le héros n’étant qu’une figure abstraite à laquelle on confère une idée et une forme communes à partir d’une multitude d’anciens héros (légendaires, morts, vivants, etc.), issus d’un panthéon provenant lui aussi d’un tas de cultures et de supports hétérogènes (iconographique, littéraire), et à laquelle on se rattache pour distinguer, pour comparer, pour évaluer, le niveau d’héroïcité des derniers « arrivants » dans l’imaginaire foisonnant que génère l’héroïsme. Cette abstraction, cette polysémie, autour du concept de « héros » favorise l’approfondissement de ces archétypes héroïques qui, par leurs formes stables, identifiables et communes à toutes les cultures, dressent trois paradigmes théoriques (guerrier, martyr et fondateur) qui servent de matrice pour interpréter, à un temps donné, la médiatisation héroïque.
12 Étiquette générique et pragmatique extrêmement englobante et malléable tant elle évoque approximativement un passé antiquisant fantasmé via des périodes historiques floues (civilisation gréco-romaine, le sword and sanfal film pour les anglo-saxons), ou des contextes cinématographiques larges (les péplums italiens fantaisistes et les epic film hollywoodiens du muet et des années 1950-60), voire des codes sémantiques intertextuels (héros populiste, frère ennemi, etc.) et stylistiques (spectacularisation de paysages insulaires et de ruines exotiques, de batailles ou de courses de char par l’intermédiaire d’avancées technologiques dont le genre fut souvent le terrain d’expérimentation).
13 Roger Odin, « la question du public. Approche sémio-pragmatique », Réseaux, 2000, vol. 18, no 99, p. 49-72 ; « Le spectateur de cinéma : approche sémio-pragmatique », Communication, Information Médias Théories, vol. 13, no 2, automne 1992, Spectateurs, p. 38-58.
14 Voir surtout ses débuts singuliers avec Alien (1979) et Blade Runner (1982), deux films cultes aux nombreuses exégèses, qui ont permis à Scott d’obtenir l’étiquette d’auteur à succès.
15 Voir surtout sa « courte » période allemande avec Le Bateau (1981), mais, tradition européenne oblige, Petersen avait étudié Homère durant ses études en langues anciennes le rendant de facto plus « légitime » pour l’adaptation cinématographique.
16 Voir surtout sa période « contestataire », voire « pamphlétaire », avec Salvador (1986), Platoon (1986), Wall Street (1987), Né un 4 juillet (1989), JFK (1991), ainsi que ses scénarios (Midnight Express, Scarface, L’Année du dragon) aux lectures tendancielles, doubles et souvent contradictoires.
17 À 35 ans, Russell Crowe, néo-zélandais de naissance, n’a pas encore le statut de star hollywoodienne avant le triomphe mondial de Gladiator (Mel Gibson avait été d’abord approché pour le rôle), mais gagne vite en visibilité et en légitimité à Hollywood vers la fin des années 1990 avec L.A. Confidential (1997) et surtout Révélations (1999), dont sa performance lui vaut une première nomination à l’Oscar.
18 À 40 ans, Brad Pitt est déjà une star(lette) après une décennie 90’s marquée par une « sex-symbolisation » de son corps (Thelma et Louise, Et au milieu coule une rivière, Entretien avec un vampire, Légendes d’automne, Seven, Sept ans au Tibet, Rencontre avec Joe Black, Fight Club, Ocean’s Eleven) et une sur-médiatisation de ses conquêtes amoureuses (Gwyneth Paltrow, Jennifer Aniston) avant de basculer – Troie ayant visiblement servi d’électrochoc (il dénigre dorénavant le film publiquement) – dans une « seconde » carrière, bien plus légitimante (avec des auteurs récompensés) pour la cinéphilie traditionnelle (Babel, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, Burn After Reading, Inglourious Basterds, The Tree of Life, Le Stratège, Once Upon a Time… in Hollywood, Ad Astra, etc.).
19 À 28 ans, Colin Farrell est une étoile montante à Hollywood, suite à plusieurs seconds rôles remarqués (Minority Report, Mission Évasion, Daredevil, La Recrue, S.W.A.T.), mais, excepté le thriller conceptuel et ludique Phone Game (2003), aucun leading-role de l’ampleur et de l’exigence de ce qui l’attend avec Alexandre et avec Oliver Stone (l’échec du film demeurera longtemps traumatisant pour l’acteur).
20 Dans Troie et Alexandre, le récit est pris en charge par un narrateur homodiégétique, Ulysse et Ptolémée (ce dernier usant volontairement du flash-back, à plusieurs reprises, pour conter la légende d’Alexandre), ce qui oriente davantage la fiction vers le conte et la légende (augmentant ainsi son mode « fabulisant »), mais qui s’efface, se naturalise très rapidement, dans un récit vectoriel à narrateur omniscient.
21 « If you find yourself alone, riding in greenfields with the sun on your face, do not be troubled. For you are in Elysium, and you’re already dead. Brothers, what we do in fife echoes in eternity » (traduction : « Si vous vous retrouvez tout seul, chevauchant dans de verts pâturages avec le soleil sur le visage, n’en soyez pas troublés, car vous êtes aux champs d’Elyseum, et vous êtes déjà morts. Frères, ce que l’on fait dans sa vie, résonne dans l’éternité »).
22 Il s’agit d’une forme de survivance de la norme (déconstruite) des hard-bodies de la fin des années 1980 (Kurt Russell, Harrison Ford, Bruce Willis, Kevin Costner, Mel Gibson), contre éventuellement la nouvelle norme métro-sexuelle des années 1990 (Richard Gere, Patrick Swayze, Keanu Reeves, Brad Pitt, Tom Cruise, Leonardo DiCaprio, Will Smith).
23 Maximus conserve cette « pureté » irradiante et incandescente, y compris durant sa descente aux Enfers, où il ne s’apitoie jamais sur son sort, ni ne succombe aux avances du monde pervers (ne change/joue pas le « rôle » qu’on attend de lui), à l’instar des avances de la sœur de Commode, aux demandes de spectacle de son maître pour obtenir sa liberté, etc.
24 Cela n’est pas le cas de l’Hector de l’Iliade (voir le livre XXII).
25 L’exemple de la mort d’Achille est significatif de ce processus rationalisant où le héros, après avoir subi une salve de flèches dans le torse, finit logiquement par s’effondrer, finalement vulnérable, tout en parvenant à enlever toutes ses flèches, sauf une : celle du tendon. Le reste appartient à la légende.
26 Le dernier chant de l’Iliade se termine sur les larmes d’Achille et de Priam pleurant leurs pertes respectives.
27 « If they ever tell my story let them say I walk with giants. Men rise and fall like the winter wheat but these names never die. Let them say I lived in the time of Hector tamer of horses. Let them say I lived in the time of Achilles. » (traduction : « Si ils racontent un jour mon histoire, laissez-les dire que j’ai marché aux côtés de géants. Les hommes se lèvent et tombent comme le blé d’hiver, mais leurs noms ne meurent jamais. Laissez-les dire que j’ai vécu à l’époque d’Hector, dresseur de chevaux. Laissez-les dire que j’ai vécu à l’époque d’Achille »).
28 La désillusion rationnelle de l’idéal guerrier existe mais se situe dans le chant XI de l’Odyssée quand Ulysse rencontre Achille dans le royaume des morts, le lecteur découvrant son amertume et ses regrets vis-à-vis de la vie terrestre.
29 La nostalgie, qui favorise, qui désire même, le retour (à un idéal perdu quel qu’il soit), possède un rapport unidimensionnel au réel, celui de le nier au profit de cet idéal passé (et d’autres formes illusoires). La perte y est par conséquent connue (comme ersatz d’absolu) et incite, par le travail de la nostalgie, à reconquérir, à rechercher, à réinstaurer ce fameux idéal. La nostalgie est ainsi utopique, car pleine de promesse et de désirs inassouvis, mais également illusoire, car rarement productive et souvent déceptive.
30 C’est le philosophe Vladimir Jankélévitch qui, dans L’Irréversible et la nostalgie (1974), fait sortir Ulysse du rêve, en écrivant un vingt-cinquième chant où le héros homérique, une fois réinstallé sur le trône d’Ithaque, se prend la temporalité tragique du réel en pleine face. Le retour de l’exilé n’y est plus consolatoire, ni compensatoire, mais seulement amertume, entre silence lucide et déploration mélancolique. La nostalgie n’y est qu’une douleur imaginaire (un mal, un manque ou un besoin… du pays), d’où sa nécessité, sa causalité même, de demeurer un horizon infini pour maintenir l’homme dans un rêve.
31 Le film de superhéros s’est offert paradoxalement (contre sa propre temporalité feuilletonesque) quelques excursions mélancoliques dans les dénouements de The Dark Knight (2008) et de Logan (2017), deux succès populaires et critiques, preuve que la variation contre cette norme de la réconciliation-unification des contraires et de l’hétérogène peut encore plaire au public contemporain.