Le « nous » mis en abyme

Jean-Michel Rey

doi:10.4000/books.septentrion.132485

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Le « nous » mis en abyme

Jean-Michel Rey

p. 253-262

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On n’en finirait pas d’énumérer les configurations textuelles (littéraires, poétiques, philosophiques, théoriques de toutes sortes) qui cherchent à concilier le désir vivace, impérissable de l’unité et le sentiment, qu’on dirait ineffaçable, inoubliable, irrépressible quoi qu’il en soit, du pluriel1.

1On connaît les formules variées que Nietzsche fabrique pour préciser ce que représente ou ce que pourrait devenir à ses yeux un « nous ». Je rappelle quelques-uns des nombreux qualificatifs qui apparaissent à ce propos, avant tout dans Le Gai Savoir : nous autres sans dieu, anti-métaphysiciens, incompréhensibles, immoralistes, artistes, nouveaux, sans nom, difficiles à comprendre, sans patrie, découvreurs d’énigmes, nous les antipodes, nous qui sommes sans crainte… Bon nombre de ces façons de dire mettent en œuvre les principales figures de la négation, d’autres plus affirmatives font signe vers un futur purement hypothétique. Le « nous » apparaît le plus souvent sous le signe du

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1 Bruno Clément, La Voix verticale, Paris, Belin, « L’extrême contemporain », 2012, p. 28.

2 Pour reprendre un terme de Nietzsche qui joue sur le double sens.

3 Comme en écho, Valéry écrit ceci : « Cogito/ Il faut confesser, Monsieur/ des Cartes, que dire : Je suis/ c’est ne dire absolument rien », Cahiers, t. xix, 1936-1937, Paris, CNRS, 1957-1961, p. 375. Le moi comme fiction est un motif qu’on trouve d’abord dans l’empirisme anglais, chez Hume tout particulièrement.

4 Friedrich Nietzsche, Éléments pour la généalogie de la morale, trad. de l’allemand et éd. par Patrick Wotling, Paris, Librairie générale française, « Le livre de poche », 2000, p. 157.

5 Valéry a été très attentif à la forme qui est comme appelée par certains verbes, et en organise l’emploi, le « Je Me ». Très nombreux développements à ce propos. Les conséquences qu’il en tire avec précision ne sont sans doute pas applicables comme telles au pluriel « nous nous ». Il resterait à s’enquérir de la raison de cette différence foncière.

6 Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, automne 1887, 9 [144], trad. de l’allemand par Julien Hervier, Œuvres philosophiques complètes, t. 12, Paris, Gallimard, 1979.

7 Valéry évoque notamment à son propos son impossible réglage et la nécessité de ses opérations, son inflation continuelle et sa puissance. Une sorte d’instabilité structurelle qui indique la nécessité même d’une stabilité. J’y reviendrai ailleurs.

8 Il y a une différence considérable entre la charge millénaire de l’« encore » et ce que pourrait être la recherche d’une légèreté dans la perspective du « pas-encore ». Il faudrait préciser pour ce dernier le sens et la portée de la négation qui l’affecte. Est-il besoin de rappeler ici le titre d’un livre de Samuel Beckett, Pour finir encore et autres foirades (Paris, Minuit, 1976) ? Et de dire que le jeu sur les pronoms personnels est une dimension majeure de son œuvre ?

9 Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, § 301, trad. de l’allemand par Pierre Klossowski, Œuvres philosophiques complètes, t. 5, éd. par Giorgio Colli & Mazzino Montinari, Paris, Gallimard, 1967.

10 C’est le titre de cet aphorisme (« L’insensé », Le Gai savoir, § 125, op. cit.). Il n’est évidemment pas possible ici d’entreprendre une lecture d’ensemble de cet aphorisme d’une très grande richesse. On pourrait par exemple l’effectuer en prenant pour point de départ le jeu particulièrement subtil des pronoms personnels, en vue de saisir ce qui se noue dans cette interaction. C’est l’occasion de rappeler, sans pouvoir s’y attarder, un autre aphorisme connu du Crépuscule des idoles qui convoque également le « nous » dans une optique autre en apparence : « J’ai bien peur que nous ne nous débarrassions pas de Dieu parce que nous croyons encore à la grammaire… » (« La “raison” en philosophie », §5, Crépuscule des idoles, in Friedrich Nietzsche, Le Cas Wagner, Crépuscule des idoles, éd. et trad. de l’allemand par Éric Blondel & Patrick Wotling, Paris, Flammarion, « GF », 2005, p. 141).

11 À égalité, si l’on peut dire.

12 Ce qui a pour effet de compliquer la lecture et de solliciter plus encore l’interprétation.

13 Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, § 343, op. cit.

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Référence numérique du chapitre

Rey, J.-M. (2022). Le « nous » mis en abyme. In F. de Chalonge & F. Noudelmann (éds.), Figure, pensée, voix (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.132705

Rey, Jean-Michel. « Le “nous” mis en abyme ». In Figure, pensée, voix, édité par Florence de Chalonge et François Noudelmann. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2022. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.132705.

Rey, Jean-Michel. « Le “nous” mis en abyme ». Figure, pensée, voix, édité par Florence de Chalonge et François Noudelmann, Presses universitaires du Septentrion, 2022, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.132705.

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Chalonge, F. de, & Noudelmann, F. (éds.). (2022). Figure, pensée, voix (1‑). Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.132485

Chalonge, Florence de, et François Noudelmann, éd. Figure, pensée, voix. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2022. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.132485.

Chalonge, Florence de, et François Noudelmann, éditeurs. Figure, pensée, voix. Presses universitaires du Septentrion, 2022, https://doi.org/10.4000/books.septentrion.132485.

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