1 Bien entendu la non-affiliation initiale de ces « intervenants sans coloration partisane » peut progressivement s’éroder. Soit de leur propre fait, s’ils associent leur nom à une entreprise partisane – Thomas Piketty participant à la rédaction du programme économique de Ségolène Royal en 2007 – soit du fait du travail de réassignation à un camp politique ou un parti que peuvent conduire tous ceux qu’irritent ou gênent les interventions partisanes déniées de ces experts « neutres », de ces éditorialistes « au-dessus de la mêlée » ou de ces témoins « issus de la société civile », etc. Il est alors possible de décrire la « carrière de neutralité » des intervenants non partisans (généralement toujours dans le sens d’une dégradation progressive de leur « neutralité » initiale), conditionnant leurs capacités d’énonciation dans le débat public et leur participation aux jeux d’invitation sur les plateaux. Pour une analyse de la dégradation de l’éligibilité médiatique d’une association de la « société civile » en fonction de la politisation de son image voir Juhem, 1999.

2 Sur les relations entre des institutions politiques et les carrières qu’elles définissent et requièrent, voir, pour le cas des institutions communautaires, Georgakakis, 2002.

3 Sur la force propre des dispositifs associant le « public » et le « privé », voir France et Vauchez, 2017.

4 Sur le rôle des collaborateurs dans la fabrication de l’image publique de leurs élus, voir Virginie Anquetin, 2012.

5 Sur l’évolution des modes de narration journalistique du travail parlementaire, voir Kaciaf, 2013.

6 L’identification du nombre des agents travaillant pour la présidence de la République est rendue difficile par le nombre des agents détachés des ministères, dont la comptabilisation est floue.

7 Voir le rapport « L’accès des associations aux médias audiovisuels », Rapport au Premier ministre (demandé en décembre 2009 par François Fillon) élaboré par la commission de réflexion sur l’accès des associations aux médias audiovisuels. Adopté par le Conseil supérieur de l’audiovisuel le 4 janvier 2011.

8 Notre analyse du débat public n’implique donc nullement que toute régulation sectorielle devient nécessairement un problème public débouchant sur un jeu d’opposition entre les représentants des parties prenantes, ni que l’intervention de porte-paroles représente la seule façon pour un groupe de défendre ses intérêts (Robert, 2021). Dans certains secteurs comparativement privilégiés par les arbitrages intersectoriels (l’agriculture, le nucléaire, l’automobile, l’aéronautique, les industries de défense, la santé, etc.), les tensions internes du secteur peuvent déboucher sur des transactions formelles ou collusives tant que les protagonistes ont conscience que le maintien de leurs subventions et de leurs avantages relatifs passe par une certaine discrétion permettant de soustraire les accords de cogestion sectoriels à l’attention des journalistes. Cependant, la disparition de certains enjeux ou intérêts du débat public est toujours le résultat d’une absence de travail politique de publicisation. Que les subventions issues de la Politique agricole commune se tarissent, que les chefs de service soient écartés de la cogestion de l’Hôpital, que la baisse des dépenses militaires ne permette plus de maintenir les effectifs des entreprises de défense, alors les acteurs lésés tendront à réinvestir le débat public.

9 Plus de 50 millions pour BFMTV, 30 millions d’euros chacune pour LCI et Cnews et, pour France Info qui utilise des moyens existants de France télévision et Radio France, 15 millions d’euros supplémentaires.

10 Pour une description des difficultés à négocier du gouvernement alors même qu’est assuré le lien entre mouvement organisé et désignation de porte-paroles, voir William, Reno et Alvarez, 2012.

11 Les camps politiques de la gauche et de la droite ont pourtant une longue tradition des polémiques sur la gestion de la « question des banlieues » opposant le « laxisme » au « sécuritaire » et la « politique de la ville » à la priorité accordée à la réduction de la délinquance. Les critiques des élus de gauche ont été concentrées, en 2005, sur N. Sarkozy, « pompier-pyromane » des banlieues.

12 Discours de N. Sarkozy à l’Assemblée nationale le 15 novembre 2005.

13 Benjamin Griveaux, interview matinale de RTL, 5 décembre 2018. La publication, le 8 octobre 2020, par France Stratégie d’un rapport cherchant à dresser un bilan de la réforme de l’ISF relancera en partie le débat.

14 En janvier 2019, un sondage de l’IFOP pour le Journal du Dimanche indique que la proportion des répondants favorables au rétablissement de l’ISF dans sa forme initiale dépasse les 75 % dont 61 % parmi les répondants se déclarant « proches » de la République en Marche : « Sondage. 77 % des Français favorables au rétablissement de l’ISF », Journal du Dimanche, 6 janvier 2019.

15 Les études sur la réception des « informations » par le public (Goulet, 2010 ; Masclet, 2018 ; Le Grignou, 2003) soulignent l’attention très oblique qui leur est accordée et l’interprétation pas toujours « compétente » qui en est faite. Confrontés à des audiences segmentées et aux compétences inégales des auditeurs, les intervenants du débat public sont conduits à des pratiques de répétition inlassable de leurs messages et à des stratégies visant à saturer temporairement l’espace public de leurs discours en considérant qu’il s’agit de la moins mauvaise stratégie à leur disposition. Implicitement, la logique pratique des porte-paroles semble être que les effets des différents discours concurrents sur le public sont directement proportionnels à leur niveau de présence dans le débat. Seules exceptions, les gouvernements en fin de cycle ou les partis stigmatisés – ceux à qui les commentateurs réservent les jugements les plus défavorables et les désignations les plus péjoratives – « les extrêmes », « les populistes » – pour lesquels les interventions dans le débat seront dotées d’un rendement bien plus faible.

16 Sur les usages des « épreuves sociales », voir Boltanski, 1990, p. 96-109.

17 Voir, par exemple, l’analyse de l’interview d’Éric Coquerel par Nathalie Saint-Cricq, Carine Béquard et Françoise Fressoz : Florent Michaud, « L’art de saboter une interview politique », Acrimed, 11 juin 2017.

18 Voir Harvey, 2014.

19 La paupérisation des rédactions à la suite de l’accroissement du nombre de chaînes et de la baisse des audiences relatives qui en a découlé a encore accru l’intérêt de la production de contenus par le recours à des experts extérieurs : le coût de la production d’une minute d’émission est abaissé si des spécialistes gratuits sont substitués à des rubricards d’autant moins productifs qu’ils seront plus spécialisés.

20 BFM Business constitue peut-être le média qui se rapproche le plus de cette posture puisque le public potentiel et les annonceurs ciblés autorisent une ligne éditoriale plus nettement favorable au monde des affaires et à ses porte-paroles.

21 Sur le cas des popularités individuelles mesurées par les « baromètres », voir Juhem, 2017.