1 Le dispositif « Sistema nacional de orquestas juveniles e infantiles de Venezuela » (El Sistema) est une pièce fondamentale de la politique culturelle et sociale de l’État de Venezuela depuis 1975. Avec plus de 75 % des 400 000 enfants qui fréquentent ses écoles de musique issus des milieux socio-économiques défavorisés, le but principal du Sistema est la transformation sociale à travers de la musique.

2 Extrait du documentaire « Tocar y Luchar » d’Alberto Arvelo, Venezuela, 2006. Traduction de l’espagnol de Marie-Pierre Lassus et Scheherazade Zambrano.

3 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris, 1945 (rééd. coll. Tel).

4 « Ex-sister, au sens strict, c’est se tenir hors de soi, en avant de soi » (Henri Maldiney, Existence, Crise et création (ECC), éd. Encre Marine, La Versanne, 2001, p. 76) ; « Quand je dis le monde, le Y du “il y a”, ne peut pas être dans le monde ; il est l’ouvert dans l’éclaircie duquel le monde s’ouvre » (Henri Maldiney, Avènement de l’œuvre, éd. Théétète, St Maximin, 1997, p. 111).

5 Marc Richir, Le corps, Essai sur l’intériorité, éd. Hatier, Paris, 1993, page 5.

6 Nous prenons en compte dans « mouvement », les quatre composantes que Rudolf Laban propose : l’espace, le temps, le flux et le poids.

7 Julie Perrin, « Les corporéités dispersives du champ chorégraphique : Odile Duboc, Mari Donata d’Urso, Julie Nioche » dans les actes du colloque international Projections : des organes hors du corps (13-14 octobre 2006).

8 Rudolf Laban, Espace Dynamique, Nouvelles de Danse Contredanse, 2003, p. 273.

9 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, éd. Agora, Paris, 2002.

10 Gilles Deleuze et Félix Guattari, « Mille plateaux », « Année zéro – visagéité », éd. de Minuit, Paris, 1980. p. 222.

11 L’hétérogénéité telle qu’énoncée par Foucault devient ici la notion d’une diversification des contextes et des modalités d’existence : la structure complexe des corporéités. Entre cohérence et chaos, le corps est le lieu ou l’élément d’un retour à l’humain est possible : il offre un rapport direct au contact, aussi, ouvre une couche de l’existence à explorer : le corps se donne comme l’espace même de l’existence.

12 Prémisse qui est en résonance avec la citation d’Helen Mac Gehee ; « Nous devons être assez forts pour accepter d’être vulnérables ».

13 Dans une conférence de 1967 intitulée « Des espaces autres » et publiée en 1984 dans le livre Dits et écrits, Michel Foucault écrit « Il y a […] des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui ont dessiné dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies ».

14 Maurice Merleau-Ponty, op. cit., Paris : Gallimard, 1972, p. 171.

15 Dans le sens que Gilles Deleuze dit : « Créer, c’est résister », (en R comme Résistance / L’Abécédaire de Gilles Deleuze et Claire Parnet / Produit par Alain Boutang) et exprime que « (…) l’art ça consiste à libérer la vie que l’homme a emprisonnée. L’homme ne cesse pas d’emprisonner la vie. Il ne cesse pas de tuer la vie. La honte d’être un homme. L’artiste c’est celui qui libère une vie, une vie puissante, une vie plus que personnelle. Ce n’est pas sa vie. Libérer la vie, libérer la vie des prisons que l’homme… et c’est ça résister. C’est ça résister… c’est, on le voit bien avec ce que les artistes font. Je veux dire, il n’y a pas d’art qui ne soit une libération d’une puissance de vie. Il n’y a pas d’art de la mort d’abord. »

16 Michel Foucault s’est intéressé à « la manière dont la connaissance est liée aux formes institutionnelles, aux formes sociales et politiques – en somme : l’analyse des relations entre le savoir et le pouvoir ». Ces relations forment « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit ». Il appelle cet ensemble, qui prend plusieurs formes, dispositif. Un dispositif est défini par la relation ou le réseau de savoir/pouvoir dans lequel il s’inscrit. Ainsi, un dispositif répond toujours à un moment historique déterminé et « répondant à une urgence ». Il n’est, donc, jamais statique mais change et s’adapte aux nouvelles conditions et nouveaux besoins, aux effets qu’il a lui-même produits, à la corrélation des forces et éléments qui le conforment. Le dispositif produit de nouveaux savoirs, relations de pouvoir, subjectivités et objectivités. (Cf. Michel Foucault, Dits et Écrits, vol. I (1954-75), Quarto Gallimard, 1994).

17 On peut se demander si on arrive à faire de ce choix une décision, posée et réfléchie, puisque bien souvent, on croit ne pas savoir pourquoi l’on va vers cet instrument. La peur ou la commodité déterminent ce choix : on prétexte que l’on a choisi cet instrument pour ne pas être exposé, en sécurité dans le groupe, ou bien parce que c’est facile, ou parce que l’on n’est pas debout, ou pour toute autre raison. L’essentiel dans cette situation est le fait que ce soit un choix ouvert, cela offre au corps un pouvoir de décision. C’est important de signaler que dans ce premier geste, le hasard et l’accident peuvent être un moteur pour agir face à la situation.

18 Maurice Merleau-Ponty, op. cit., éd. Gallimard, 1945, p. 230.

19 Pour Hubert Godard, « C’est le geste qui fabrique le corps à chaque instant », voir son livre « À propos des théories d’analyse du mouvement », in « Marsyas » n° 16, décembre 1990, p. 19-23.

20 Arianna Sforzini, Michel Foucault : une pensée du corps, Philosophies, PUF, Paris, 2014.

21 L’Entre-Silence est un projet artistique créé après deux années d’intervention du Jeu d’Orchestre en milieu carcéral. Présenté le 19 novembre 2013, dans le cadre du colloque international « Éthique et création en milieu carcéral » à l’Université Lille 3.

22 Documenter l’intervention en prison passe par divers moyens : un travail sensible qui génère de multiples façons d’aborder le vécu. Des contraintes, telles que la complexité d’enregistrer, nous obligent à témoigner sous d’autres formes. À partir de ma première expérience d’intervention en prison, j’ai utilisé un journal de corps comme une forme visuelle d’accompagnement à la recherche. Ce besoin est né pour garder des « fragments de vie », qui ne passent pas par la voix. Ainsi, le journal de corps garde un moment spécifique, une décision de prêter attention à partir d’une certaine position qui appartient à une tension, à une présence déterminée et à une intention d’absorber l’instant. Le journal de corps du Jeu d’Orchestre m’a permis de regarder, d’observer la participation corporelle depuis une autre trace, de constituer une corpographie des interventions.

23 À ce propos, j’ai écrit le mémoire « La prisonisation : une expérience au Centre féminin de réadaptation Tepepan, à Mexico, Mexique », Université Autonome Métropolitaine, Mexico, 2004.

24 Grâce à Fanny Añaños et au partenariat entre l’Université de Grenade et l’Université Lille 3 et dans le cadre du projet le Jeu d’Orchestre je suis intervenue à la prison d’Albolote, Espagne en mai 2012 avec l’atelier « Corps à Corps ». Le récit de la dite expérience est présenté dans mon mémoire de Master 2 Études et pratiques de l’art contemporain.

25 Je préfère ici parler de corpographie en lieu de chorégraphie – ce terme se référant mieux à l’esprit du Jeu d’Orchestre, où l’élément essentiel est la musique – même s’il est évident que la création du son passe par le geste corporel, par le développement d’une posture et d’un paysage interne qui peuvent donner une certaine écriture corporelle, comme je propose dans l’article « corporéité, une position politique ». L’importance, du geste corporel dans le Jeu d’Orchestre n’a pas été travaillée dans le sens chorégraphique – cela ne minimise pas le dialogue avec le temps et l’espace – mais l’intention et le sens sont autres que dans une action chorégraphique. En somme, le corps contemporain et la notion de chorégraphie, surtout dans notre contemporanéité, prennent en compte le processus chorégraphique avec toute une autre complexité du mouvement et de ses éléments, parfois même au-delà de la danse ; mais cela nous emmènera à une autre discussion qui n’est pas l’objet de cet article.

26 Comme l’exercice de débriefer les interventions dans différentes prisons rend compte dans la partie finale : passages de témoins, de ce livre.

27 À la manière de Giorgio Agamben qui se réfère à l’obscurité pour qualifier l’être, « Être contemporain est, avant tout, une affaire de courage : parce que cela signifie être capable non seulement de fixer le regard sur l’obscurité de l’époque, mais aussi de percevoir dans cette obscurité une lumière qui, dirigée vers nous, s’éloigne infiniment. Ou encore : être ponctuels à un rendez-vous qu’on ne peut que manquer. »

28 « Une ou plusieurs personnes se livrant à la dérive renoncent, pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de se déplacer et d’agir qu’elles se connaissent généralement, aux relations, aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres, pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent. » Debord, Guy, « Théorie de la dérive », Les Lèvres nues, nº 9, décembre 1956.

29 Divers efforts de matérialiser l’expérience ont été faits à partir des questionnaires avec différentes approches disciplinaires comme celles développées par C. Cormont, F. Añaños, L. Sbattella, E. Duguet et S. Zambrano.

30 La plupart des membres de l’équipe du Jeu d’Orchestre qui intervenait en prison, sentaient une fatigue particulière, de sensations, de perceptions qui ne trouvaient pas un cadre évident. Face à des situations carcérales, il n’y a pas de corps qui ne tremble pas, ni de territoire jamais intouchable. Néanmoins, le déséquilibre nous aide à bouger. Mais ce n’est pas seulement le déséquilibre : la présence de l’autre nous aide aussi et nous accompagne dans ce trajet. Cette traversée complice a été incarnée par des binômes de travail qui se sont formés et qui ont donné des lignes de lecture de cette expérience en prison : les archives visuelles d’E. Duguet et V. Muledda, les archives sonores de C. Cormont et E. Chevalier et la création scénique de D. Salvador et de S. Zambrano.

31 Jean-Luc Godard dirait : « Une pensée qui forme des formes qui pensent. »

32 À la manière que le discutèrent Jean-Luc Nancy et Mathilde Monnier, en Allitérations. Conversations sur la danse, Gallilée, Paris, 2005, p. 9 : « L’espace de la pensée en mouvement et celui d’un mouvement de la pensée ».

33 Dans le sens que Bonnie Bainbridge Cohen à dit dans son livre, Sentir, Ressentir et Agir : « Lorsque nous touchons quelqu’un, il nous touche également. (…) L’art du toucher (…) est une exploration de la communication à travers le toucher – la transmission et l’acceptation du flux de l’énergie en nous et entre les autres et nous ». BRAINBRIDGE-COHEN, Bonnie, Sentir, ressentir et agir, L’anatomie expérimentale du Body-Mind Centering, Nouvelles de Danse, Contredanse, Bruxelles, 2002, p. 32.

34 « Je pense que c’est la relation avec l’immédiateté de l’action, l’instant unique, qui donne le sentiment de liberté humaine. Un corps lancé dans l’espace n’est pas une idée de la liberté de l’homme : c’est un corps lancé dans l’espace. Et cette action est toutes les actions, elle est la liberté de l’homme, et dans le même instant sa “non-liberté”. ». Merce Cunningham., « L’art impermanent » (article extrait de 7 Arts, 1995) in Ginot I. et Michel M. (dir.), La danse au XX^e siècle, Larousse, 2002, p. 135.

35 Alex Nagy et Alejandro Russo.

36 Deux semaines de résidence de création ont été mises en place pour consolider la recherche corporelle, socialiser les inspirations et trouver les différents paysages de mouvements pour les participants arrivants : Alice Millet, Claire Caput, Élise Westrelin, Jordan Brandin, Louise Chevallier, Lucien Fradin, Paul Carpentier, Perrine Wanegue et Adriana Gueant. Simultanément, une recherche de matériaux et de textures était développée par Manon Petit, Amandine Courtin et David Lecront pour la création scénographique et par Mélody Blocquel pour la création de costumes. Il faut souligner que les étudiants du master « arts et existence » avaient fait l’expérience d’intervenir en milieu carcéral grâce au Jeu d’Orchestre ou dans des ateliers artistiques mis en place grâce à Marc Le Piouff, enseignant dans ce master et chargé de mission culture justice à l’association Hors Cadre, et à l’association Échos.

37 La photographe Gabriela Vargas a fait des images de cette présentation, disponibles sur : http://scheherazadezambranoorozco.wordpress.com/.

38 Cette partie de l’article s’inspire du récit collectif (participants et spectateurs) grâce à la collaboration d’Alice Millet qui a recueilli les témoignages. Le compte-rendu complet est disponible sur : http://scheherazadezambranoorozco.wordpress.com/.

39 Ma fenêtre, explique l’un des participants, faisait écho à l’œuvre de Primo Levi. « Si c’est un homme » amenant un concept d’une fenêtre formée de plusieurs facettes qui reflète une réflexion sur soi, sur différentes manières de résister moralement à un enfermement carcéral. Comme une échappatoire à un enfermement moral et physique dans un cadre intime.

40 Cette chorégraphie a été interprétée à la nuit tombée, avec des masques en aluminium et des lampes torches pour créer des jeux de lumière.

41 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, éd. Gallimard, 1964, page 192.

42 Ces marches ont reflété les progrès d’un paysage des corps où ont lieu des transformations de tensions corporelles. Les danseurs se sont transformés : « Et alors là l’entrée de Paul, et le long moment où il reste debout face au public, ça m’a clouée sur place. Mais vraiment, c’est-à-dire que j’étais comme paralysée sur mon siège. Parce que je n’avais jamais vu Paul comme ça depuis que je le connais, parce qu’il avait une présence et une assurance très ancrée dans le sol, très terrienne pour une fois, alors que lui est toujours aérien ».