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La faculté des lettres de Lille de 1887 à 1945

 | 
Jean-François Condette

Conclusion générale

Texte intégral

1La faculté des Lettres de Lille connaît, de 1887 à 1945, une histoire particulièrement tourmentée. Transférée de Douai à Lille après une longue « guerre » entre les deux cités, l’institution participe activement à la rénovation républicaine des structures et des missions de l’enseignement supérieur en même temps qu’elle bénéficie des aides financières et des créations de postes décidées par l’Etat. La Grande Guerre vient cependant mettre à mal la faculté qui réussit à maintenir, au milieu des difficultés et dans une région occupée par les Allemands, un mince filet de vie universitaire. Les années 1919-1939 sont ensuite des années de reconstruction où la faculté connaît un nouveau développement qui ne remet pas en cause ses structures anciennes. Souvent ambassadeurs de la paix, les universitaires assistent, impuissants, au retour des malheurs de la guerre. Dans une ville soumise aux exigences des nazis, la faculté courbe le dos et s’organise pour survivre sans se compromettre. Quand sonne enfin l’heure de la Libération tant attendue, l’institution littéraire lilloise sait, pour l’avoir vécu, qu’il faut de nouveau songer à reconstruire la « vieille maison » dans le respect des traditions. Tout au long de ces années 1887-1945, la faculté demeure un petit monde facilement identifiable. Les étudiants qui étaient 138 en 1887- 1888 sont 1.333 en 1945-1946 soit 9,6 fois plus. Même si ce gonflement des effectifs pose déjà des problèmes de locaux, il n’en demeure pas moins que nous sommes encore dans un système malthusien. Les années 1955- 1970, à ce niveau, marquent une rupture radicale dans l’histoire de la faculté. Les étudiants qui ne sont encore que 1.714 en 1955-1956 sont 2.781 en 1958-1959 et 7.859 en 1967-1968. C’est de ce gonflement sans précédent des effectifs au sein de structures inchangées, héritées de la fin du XIXe siècle, que naît l’orage de mai 1968. Les années 1887-1945 marquent bien une période spécifique dans l’histoire de l’institution qui reste à l’échelle humaine. Les enseignants qui étaient quatorze en 1887 sont vingt-quatre en 1913-1914 et trente-huit en 1945-1946. Dans ce dernier chiffre sont cependant comptés les lecteurs de langues vivantes et les chargés de travaux pratiques. Sans eux, les enseignants titulaires sont, en 1945-1946, au nombre de trente. Là encore, la faculté reste une petite cellule de vie qui n’a pas grand chose de commun avec l’institution qui, en 1967-1968, accueille 271 enseignants. Entre 1887 et 1945, la modeste augmentation du nombre des enseignants s’accompagne d’une diversification des catégories même si les professeurs titulaires restent constamment majoritaires. Tout au long de ces années, les enseignants lillois associent à leur fonction pédagogique une activité fondamentale de recherche. L’institution lilloise, par le nombre de ses publications, participe activement à l’avancée de la recherche scientifique française. Dans la stratégie des mutations, la faculté joue très vite un rôle privilégié de tremplin vers les carrières parisiennes mais garde aussi constamment un pouvoir certain de sédentarisation, nombre d’enseignants s’enracinant définitivement dans la région. Tout au long de ces années, l’institution compte entre ses murs de grandes figures de l’enseignement supérieur français. Que l’on songe seulement, à l’heure du bilan, à Auguste Angellier, Vladimir Jankélevitch, Philippe Sagnac, Alexandre de Saint Léger, Edouard Perroy, Pierre Jouguet ou Albert Demangeon. Chaque section a ainsi ses illustres ancêtres et ses figures montantes.

2Les rouages administratifs de la faculté ne connaissent pas de modifications notoires entre 1887 à 1945. Le doyen et le recteur, le conseil et l’assemblée sont les pièces maîtresses de l’institution qui, jusqu’en 1968, garde le même principe de fonctionnement sans tenir compte des bouleversements nombreux du monde universitaire français d’après 1955. Au niveau des formations proposées, nous assistons à un étoffement progressif des cours et des filières. Le cursus universitaire s’allonge et se diversifie sans révolution mais par de lentes évolutions. L’ancienne licence monolithique cède ainsi la place à une licence plus spécialisée où disparaissent peu à peu les anciennes épreuves communes avant que ne s’impose, en 1920, le système des certificats. Tout au long des années 1887-1945, la faculté garde un droit de regard sur les épreuves du baccalauréat es Lettres qu’elle organise. La licence est directement accessible au lycéen titulaire du baccalauréat jusqu’à l’apparition d’une année de propédeutique en 1948. La préparation des certificats d’aptitude à l’enseignement et des agrégations est l’une des fonctions fondamentales de la faculté qui sait cependant diversifier ses activités en multipliant les formations annexes. Le diplôme d’études supérieures, quant à lui, vient initier à la recherche une élite étudiante que l’on retrouve parfois en thèse. Même diversifiées, les formations proposées restent donc, en 1945, peu nombreuses.

3Pour ce qui est des pratiques pédagogiques et du contenu des enseignements, nous assistons là encore, à un enrichissement progressif. En 1887, les cours se limitent essentiellement à l’écoute attentive de la parole du maître. Très vite cependant, les enseignants lillois comprennent l’intérêt du travail plus personnalisé au sein des instituts spécialisés. Les cours de méthodologie et les séances de travaux pratiques se développent alors de façon conséquente. La faculté a aussi le souci d’enrichir son enseignement. L’histoire de l’art, l’épigraphie, la phonétique, la Science de l’Education mais aussi les langues et les civilisations de l’Europe Centrale sont ainsi progressivement intégrées dans les emplois du temps. Tout au long de la période étudiée, la faculté renforce sa spécialisation dans l’étude des langues vivantes, en particulier l’anglais, l’allemand et le polonais.

4Dans le tissu associatif et culturel régional, elle ne reste pas un kyste isolé. Certes, ses activités littéraires touchent très peu les milieux populaires, le monde universitaire restant, jusqu’en 1945, un monde de privilégiés fait pour des privilégiés. Toujours est-il qu’elle réussit à s’intégrer dans le tissu régional. Par ses conférences publiques, par ses fêtes, par le rôle important joué par ses enseignants dans les sociétés savantes, elle réussit à mêler universitaires et élites locales dans un même souci de défense de l’enseignement supérieur. De 1887 à 1945, les étudiants marquent de leur présence le quartier latin lillois et animent régulièrement les rues de la cité par leurs monômes et leurs chants. Ce n’est qu’après 1 950 que l’on assiste à un lent mais irrémédiable déclin de ces rites festifs. Pour la population lilloise, l’étudiant est à la fois le client potentiel que l’on loge, que l’on nourrit ou que l’on distrait mais aussi le possible fauteur de trouble qu’il faut craindre.

  • 1  Idem. p. 927-953 sur la guerre d’Algérie et la Faculté.

5Pour ce qui est de l’intervention dans l’Ici et Maintenant, dans l’arène du politique, la faculté garde une réserve certaine. En tant qu’institution, elle refuse constamment d’intervenir dans le combat politicien. Il existe cependant toujours, en son sein, des minorités politisées très actives qui tentent de la faire bouger. L’électroencéphalogramme des pulsations politiques de la faculté n’est ni plat ni uniforme. Pour la période 1887-1945, nous pouvons relever deux périodes d’accélération des engagements, suivies de moments de calme relatif. Après les péripéties liées au transfert, c’est l’Affaire Dreyfus dans sa période la plus critique (1898-1900) qui marque, pour l’ensemble de la période, l’apogée de l’engagement politique de la faculté au nom des Droits de l’Homme et de la Justice. Les années 1924-1939 connaissent quant à elles une seconde période d’agitation, plus diffuse mais aussi plus longue, de par la présence dans l’institution de minorités politisées qui interviennent dans les querelles franco-français puis dans le difficile combat pour la sauvegarde de la paix. Il faudra ensuite attendre les années 1959- 1962, et l’agitation liée à la guerre d’Algérie1, pour retrouver une pulsation politique comparable à celle de l’Affaire Dreyfus.

6Dans les tourmentes de l’histoire, la faculté prouve sa résistance et sa capacité à survivre. Par deux fois, elle survit à la guerre et à l’occupation allemande sans se compromettre. Elle garde constamment une volonté de modération et un sens du possible, se déclarant sans cesse pour le dialogue et la négociation contre la violence et les rapports de force. Si les années 1887-1914 peuvent apparaître comme particulièrement innovantes pour la faculté, les années 1914-1945 sont bien davantage marquées par les tempêtes de l’histoire qui viennent menacer la vie même de l’institution. Le souffle créateur des années 1887-1914 semble perdu et la faculté doit d’abord songer à reconstruire, le plus souvent à l’identique, dans le respect des traditions et des rites universitaires qui semblent se figer. A ce niveau, on peut alors parler de conservatisme. C’est de ce décalage entre les structures universitaires héritées du XIXe siècle, reconstruites sans grandes modifications après 1945 et la réalité du monde étudiant et enseignant des facultés d’après 1960 qu’apparaîtront et se développeront les raisons de la colère universitaire de mai 1968. Pour l’heure, en 1945 comme en 1919, la faculté des Lettres de Lille reste un petit monde fréquenté par une certaine élite culturelle de la France septentrionale et qui songe avant toute chose à retrouver son équilibre et le dynamisme d’avant la tourmente. Plus qu’à la Révolution, l’heure est à la reconstruction que l’on espère sans heurt. Le développement sans précédent des effectifs étudiants après 1955 allait cependant faire entrer la faculté dans une autre histoire, la mettant face à un nouveau défi : celui du nombre...

Notes

1  Idem. p. 927-953 sur la guerre d’Algérie et la Faculté.

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