1La faculté, brisée dans sa croissance par la première guerre mondiale, retrouve de 1919 à 1939, un dynamisme certain. En 1939 cependant, l’Histoire semble bégayer et jouer une mauvaise tragédie pour le plus grand malheur des spectateurs, impuissants à maîtriser les forces du Destin. Vingt ans après les joies de la Libération, les lillois connaissent de nouveau les angoisses de la guerre puis l’occupation ennemie. Pour la faculté commence alors un second et long voyage au bout de la nuit, un long combat pour la survie au cœur de la zone interdite.

La faculté dans la guerre : septembre 1939-juin 1940

2Lorsque le premier septembre 1939, les troupes allemandes envahissent la Pologne, l’engrenage fatal se met en branle. Le 3 septembre, à 12h30, l’ambassadeur de France à Berlin fait savoir au ministre des Affaires Etrangères du Reich que la France assurera ses obligations envers la Pologne ce même jour à 1 7 heures. La France entre ainsi dans la deuxième guerre mondiale et mobilise ses troupes.

A. – La mobilisation et ses effets

3Ce nouvel état de guerre entraîne immédiatement le retour tragique de la mobilisation qui, commencée en août, se généralise en septembre. Elle touche très vite le monde universitaire, juste avant la rentrée prévue des facultés. Notre université a vécu pendant l’année scolaire 1939-1940, une des périodes les plus difficiles, je dirais même des plus tragiques de son histoire. Elle a été frappée durement dans son personnel et ses étudiants par la guerre et la mobilisation1. Les facultés ouvrent leurs portes en octobre 1939 mais connaissent une situation particulièrement pénible. A la faculté de Droit, le corps professoral est réduit à 5 unités sur 15. La faculté de Médecine et de Pharmacie garde 13 enseignants sur 49 et celle des Sciences 20 sur 27. La faculté des Lettres, quant à elle, conserve 7 enseignants sur 18. Pour la rentrée universitaire de novembre 1939, on fait donc appel, comme pendant la première guerre mondiale, à des personnalités extérieures tout en supprimant les enseignements spécialisés. Dès le 23 août, le doyen était rappelé par le ministère à son poste et en même temps, la plupart de nos collègues étaient mobilisés2. Les professeurs Gastinel, Gouhier, Jasinski, Las-Vergnas, Le-Breton et Tapié doivent ainsi quitter la faculté tout comme les maîtres de conférences Jankélévitch, Moret et Gaillard. J.-B. Mahn, chargé du remplacement d’Edouard Perroy, est également appelé sous les drapeaux. Ce sont ainsi onze enseignants sur dix-huit qui doivent quitter la faculté, en cet été 1939. Au niveau étudiant, la mobilisation est également très importante. Associée à l’état de guerre, à la difficulté des communications et au repli d’un certain nombre de familles vers d’autres parties de la France, la mobilisation réduit fortement les effectifs. Les quatre facultés d’Etat comptent alors 1.689 étudiants contre 3.440 en 1938-1939.

4La faculté des Lettres est donc fortement touchée par la mobilisation et ses réactions spontanées. 61 % du personnel enseignant et 54,5 % du public étudiant de l’institution sont absents pour la rentrée de novembre 1939. Dès que l’horizon diplomatique s’est assombri et surtout à partir de la déclaration de guerre... un nombre considérable d’étudiants a abandonné la région du Nord spécialement menacée pour gagner les facultés de l’ouest et du sud-ouest ou n’a pas pris d’inscriptions parce que mobilisé3. L’assemblée de la faculté, dans sa séance4 du 28 septembre 1939, fait le point de la mobilisation chez les enseignants puis déclare qu’en ce qui concerne l’université de Lille, aucune évacuation n’est prévue pour le moment et que la faculté devra fonctionner avec des moyens réduits, en attendant les décisions prises par le ministre. Les épreuves du baccalauréat sont maintenues au 02 octobre. Afin d’éviter aux candidats des déplacements difficiles, il a été décidé de créer treize centres d’examen. Chaque centre sera présidé par un professeur de la faculté des Lettres ou des Sciences. La drôle de guerre entraîne donc une non moins drôle d’année universitaire 1939-1940 dans des facultés vidées de leurs enseignants et d’une partie de leurs étudiants.

B – L’échec de l’exode universitaire

5Le 10 mai 1940, les allemands attaquent en Hollande et en Belgique. Les armées franco-anglaises se portent à leur rencontre. Mais l’Etat Major allemand a choisi de porter son effort décisif à travers les Ardennes, en direction de la Meuse. Dès le 13 mai, les allemands sont à Sedan et Givet. La Blitzkrieg surprend les autorités militaires et politiques françaises. Les divisions blindées allemandes s’engouffrent dans la brèche et le 20 mai, la Somme est atteinte. Le 19 mai, Paul Reynaud essaye de former un nouveau gouvernement et y fait entrer le maréchal Pétain. Le 5 juin, la Wehrmacht poursuit son offensive vers le Sud. Le 7 juin, le front français est percé sur la Somme ; le 10 juin, il l’est sur l’Aisne. Le 9 juin, les allemands sont à Rouen. Paris, déclarée ville ouverte, tombe sans combat le 14 juin 1940. Tout vole en éclats sous le choc de l’invasion. Les populations hollandaises et belges affluent vers le Nord ; les nordistes eux-mêmes commencent à fuir devant l’avancée ennemie. C’est le début de l’exode de mai-juin 1940 avec son cortège de misères. A partir du 10 mai 1940, les flots de réfugiés se mettent en branle. On fuit devant l’avancée ennemie ; on fuit loin des zones bombardées. La situation est alors très confuse et les flots de mai deviennent un raz de marée en juin5. A Lille, la ville a pourtant essayé de s’organiser pour résister. Le 3 septembre 1939, elle est divisée en secteurs et la population se met à creuser des tranchées et des abris. Les 11, 12 et 13 septembre, les enfants de l’assistance publique, les malades des hôpitaux et les vieillards des hospices sont évacués vers d’autres localités de la région. De septembre à décembre 1939, on évacue également les chefs-d’œuvre du palais des Beaux-Arts vers Trévarez (Ille et Vilaine) ainsi que les manuscrits les plus précieux de la bibliothèque universitaire et des archives départementales (vers Rennes). Un télégramme du début novembre 1939 annonce6 que trois wagons sont arrivés avec les ouvrages de la bibliothèque. Le 18 mai 1940, une pluie de bombes tombe sur Lille. Le 26 mai, de nouveaux bombardements ont lieu sur les quartiers de Fives et de la gare Saint-Sauveur, sur le boulevard des écoles. Le 27 mai, Lille est encerclée. Un nouveau siège de la ville commence, et le 31 mai, le Général Molinié accepte le cessez-le-feu. Lille est de nouveau allemande.

6La faculté vit difficilement cette période. D’octobre 1939 à mai 1940, la vie universitaire continue avec des effectifs réduits. Les événements de la fin du printemps viennent cependant modifier radicalement cette réalité. Avec l’offensive allemande du 10 mai 1940, l’inquiétude gagne la métropole. Dès le 15 mai, les auditoires s’éclaircissent et les alertes se succèdent7 sans discontinuer, rendant l’enseignement impossible. Le samedi 1 8 mai, les cours sont suspendus par décision du recteur. En accord avec les doyens, il est décidé de transporter les facultés au Touquet-Paris Plage. Les facultés se transportent au Touquet-Paris Plage. Tout le personnel est invité à gagner le Touquet… à l’exception des concierges qui se dirigeront directement sur Rennes en cas d’évacuation de la région8. Le doyen Audra et René Hubert font le chemin à bicyclette ; le professeur Guerlin de Guer en automobile. Léon Mis part le lendemain et ne peut dépasser Montreuil-sur-mer. Plusieurs étudiants arrivent les 19 et 20 mai. Le 20 mai, la situation paraissant de plus en plus menaçante, le commandant d’armes du Touquet demande aux doyens d’essayer de franchir la Somme pour se replier plus au sud. Le même jour, la T.S.F annonce que les affectés spéciaux et les mobilisables doivent gagner le sud de la Somme. Cet ordre s’applique au doyen Audra (affecté spécial) et au professeur Humbert (momentanément réformé). Ils tentent tous deux de passer le pont de Noyelles et la Somme, mais en vain. Jean Humbert retourne aussitôt au Touquet alors qu’Emile Audra reste à Rue9 quelques jours dans l’espoir que la région soit dégagée. Il regagne ensuite le Touquet et l’on organise, dès lors, quelques cours et des sessions d’examens. Tous les personnels présents sur le littoral ont le souci de maintenir officiellement l’université en vie. La municipalité réquisitionne l’Hôtel Balmoral pour y loger une cinquantaine d’étudiants dont la plupart sont sans abri. Des cours s’organisent et se succèdent sans interruption de 9 heures à 12 heures et de 14 à 17 heures dans le hall de l’hôtel. Pour les Lettres, les cours sont donnés par les professeurs Audra, Guerlin de Guer et Humbert. Les professeurs logent à l’hôtel Britannia, lui aussi réquisitionné. L’autorité allemande avait reconnu libéralement notre effort et admis officiellement cette situation qui, par entente, devait se prolonger jusqu’aux premiers jours de juillet où l’université aurait ensuite regagné Lille10 Mais les événements modifient brutalement l’exécution de ce programme : le vendredi 21 juin, paraît un ordre de la Kommandantur enjoignant tous ceux qui ne sont pas domiciliés au Touquet de quitter la ville dans les trois jours. Le dimanche 23 juin, le retour est organisé sur Lille. Le 24 juin au matin, pour la reprise des cours à Lille, sont présents à la faculté, le doyen Audra, les professeurs Humbert. Mis et Guerlin de Guer. Le préfet du Nord avait d’ailleurs anticipé la demande allemande en exigeant le retour à Lille des facultés par son arrêté du 19 juin 1940 : J’attends donc de vous que vous regagniez Lille dans les plus brefs délais... pour affirmer dignement... la vitalité et la force d’âme de la Nation11. Une session de licence commence le 8 juillet. Sur 175 inscrits, 90 furent admissibles et 69 admis... A cette date, messieurs Audra et Humbert s’éloignèrent de Lille pour retrouver leurs familles dont ils étaient sans nouvelles depuis deux mois12. Léon Mis assure l’intérim du décanat pendant cette période difficile. Grâce à lui. grâce au courage et à l’activité de la secrétaire de la faculté, les locaux ne sont pas occupés par l’armée allemande qui se contente de s’emparer de quelques cartes de l’institut de géographie. Le 2 septembre 1940, une session extraordinaire de licence est ouverte pour les étudiants restés dans la région : 47 inscrits se présentent pour 15 reçus. Le 4 novembre, une deuxième session normale est ouverte. Les professeurs Dion et Herman sont alors rentrés.

7La faculté des Lettres et toute l’université connaissent ainsi deux périodes bien distinctes entre septembre 1939 et juillet 1940. Jusqu’en mai 1940, les facultés, même diminuées par la mobilisation générale et les départs volontaires loin de la frontière, continuent de travailler à Lille avec des effectifs réduits. Avec l’offensive allemande de mai 1940, les choses s’accélèrent. L’exode universitaire s’organise mais la ville de repli choisie est le Touquet. Devant la rapidité de l’avancée allemande, un second repli est tenté vers Rennes, lieu officiel d’évacuation fixé avant guerre. Mais il est déjà trop tard et les facultés tombent sous le joug allemand. Quatre nouvelles années d’occupation commencent alors pour elles. Cette tentative d’exode vers le Touquet est significative des illusions françaises. Vers le 15- 16 mai 1940, on croit encore à une amélioration de la situation militaire et un déménagement de quelques kilomètres apparaît suffisant pour se mettre à l’abri de l’assaillant. La guerre imaginée obéit aux schémas des combats de 1914-1918 où l’usure et le statisme l’emportaient sur le mouvement. Lorsque les autorités saisissent enfin l’ampleur du désastre, il est déjà trop tard et la Somme est devenue infranchissable. Seuls deux camions ont pu passer le 18 mai, l’un contenant les titres et valeurs de l’université, l’autre le stock de radium et le matériel scientifique des hôpitaux. L’exode universitaire est donc raté et en juillet 1940, la faculté se retrouve dans une ville une nouvelle fois occupée par les allemands.

C. – Lille et la faculté en zone interdite

8Peu à peu, la réalité de l’étrange défaite13 s’impose. Le gouvernement Paul Reynaud quitte Paris le 11 juin. Le 14 au soir, devant l’avancée ennemie, le gouvernement s’est réfugié à Bordeaux et les hommes politiques s’y divisent sur les solutions à prendre. Le 16 au soir. P. Reynaud donne sa démission au président Lebrun qui appelle, à 23 heures, le maréchal Pétain pour former le nouveau gouvernement. Le 1 7 juin, le nouveau président du conseil prend contact avec l’ennemi et lance son appel aux français, leur annonçant qu’il fait don de sa personne à la France et qu’il faut cesser le combat14. Les discussions s’engagent à Compiègne et le 22 juin 1940, l’armistice est signé à Rethondes. Les membres du parlement français, dispersés par la débâcle, sont convoqués à Vichy. Réunis le 10 juillet, ils votent les pleins pouvoirs15 au Maréchal Pétain pour établir une nouvelle Constitution et diriger le pays. La guerre est finie pour la France alors que commence l’expérience de la Révolution Nationale.

9Pour les lillois, la présence allemande est tout de suite très lourde et le gouvernement du Maréchal très lointain. Les stigmates de la guerre réapparaissent avec en particulier l’isolement et le rattachement au Commandement Militaire de Bruxelles. Après la signature de l’armistice, les nordistes se retrouvent coupés du reste de la France tronçonnée en zones. Une ligne de démarcation sépare la zone occupée de la zone libre. A l’intérieur de la zone occupée, les allemands isolent d’emblée une zone interdite, au nord de la Somme et de l’Aisne. Les départements du Nord et du Pas-de-Calais sont placés sous le commandement des autorités d’occupation de Bruxelles et non de Paris. L’ensemble situé au Nord-Est de l’Aisne, de la Meuse et de la Saône forme une zone réservée. Le 15 septembre 1940, les allemands suppriment la douane française à la frontière belge. Les départements du Nord et du Pas-de-Calais, jugés très importants pour le contrôle du détroit, sont sous haute surveillance. Dans la zone occupée, l’administration française est obligée de se mettre au service de l’occupant, en vertu de l’article 3 de la convention d’armistice. Le gouvernement de Vichy a un délégué permanent, chargé de le représenter auprès des autorités allemandes : le général De Laurencie jusqu’en décembre 1940 puis Fernand de Brinon. La législation de Vichy s’applique en zone occupée mais à condition d’être autorisée par les allemands. Une importante armée contrôle le territoire qui est dirigé par le Milität Befehlshaber in Frankreich (le commandement de l’administration militaire allemand en France) qui siège à Paris, à l’hôtel Majestic. Pour le Nord, une nouvelle fois éprouvé, les souvenirs des horreurs de 1914- 1918 sont fondamentaux. Le rattachement à une administration militaire allemande, celle de Bruxelles, fait planer la menace d’une annexion au Reich. Ces craintes et ces souvenirs expliquent, en partie, l’importance de l’anglophilie et des mouvements de résistance. Dans la zone interdite, l’Oberfeldkommandantur de Lille exerce le pouvoir exécutif au nom du gouverneur militaire de Bruxelles et interdit ou autorise la législation française16. Dès lors, le contrôle allemand17… s’exerce partout où sévit l’occupation. Il s’exerce même sur Vichy qui l’accepte puisqu’il admet que ses décisions ne paraissent au J.O. qu’après accord allemand. Le régime d’occupation dans le Nord connaît cependant une certaine évolution. Etienne Dejonghe distingue18 en effet plusieurs périodes. De juin 1940 à juin 1941, l’Oberfeldkommandantur 670 de Lille essaye d’isoler le Nord. Durant cette période, il n’y a qu’un seul voyage officiel dans le Nord, celui du préfet chargé de mission, Ingrand. De juin 1941 à avril 1942, les allemands s’adaptent avec réticence aux réalités. La population des deux départements est profondément hostile au rattachement et manifeste de plus en plus ouvertement son opposition à l’Allemagne. Continuer un tel système reviendrait à jeter la population dans les bras de la résistance. La guerre s’allonge suite à la difficile campagne de Russie. Il faut de plus en plus d’hommes et de matériels. Il vaut mieux, dès lors, élargir les rapports avec le gouvernement de Vichy qui cherche à collaborer. A partir de mai 1941, les secrétaires d’Etat et les ministres du Maréchal entreprennent19 de multiples voyages dans la région. En avril 1942, le retour de Laval entraîne une nouvelle étape de normalisation des rapports. Il obtient la suppression des dernières entraves à l’action gouvernementale dans le Nord Pas-de-Calais qui réintègre pleinement le giron administratif français, ce qui permet à la propagande vichyssoise d’activer son action dans la région. L’invasion de la zone libre par les allemands en novembre 1942 vient simplifier les divisions administratives, en généralisant les exigences et les ingérences allemandes sur tout le territoire. Le Nord Pas-de-Calais vit donc jusqu’en 1941 au moins, dans la hantise de l’annexion, coupé du reste de la France. Ce qu’il faut surtout noter20 c’est l’extrême dureté du régime d’occupation dans le Nord. Les facultés lilloises se retrouvent ainsi isolées du reste de la France et du Ministère, tout du moins jusqu’en mai 1941. Elles vivent en autarcie au milieu d’une zone interdite. Cette réalité est fondamentale pour bien saisir la vie universitaire lilloise de ces années noires.

10Le contrôle allemand est partout présent dans la vie quotidienne des lillois et les réquisitions de locaux sont la première forme d’ingérence ennemie qui n’épargne pas l’université. Dès le 11 juin 1940, l’inspecteur d’Académie signale21 qu’il est primordial d’obtenir la sauvegarde des bâtiments universitaires. Le 4 juin cependant, les gardiens n’ont pas pu s’opposer à une visite de quelques militaires qui ont emporté divers ouvrages. Le 12 juin, l’inspecteur d’académie adresse un rapport22 au préfet où il rend compte de sa visite dans les divers services de l’université. L’Hôtel et les services de la rue Saint-Jacques (le rectorat) sont occupés depuis le début de la guerre. Ils ont été évacués le 9 juin mais les locaux sont salis et beaucoup de choses ont disparu. La maison des étudiantes est d’abord occupée par des évacués qui l’ont en partie pillée et souillée d’ordures puis par les allemands. La maison des étudiants, elle aussi, est occupée par des évacués. La faculté de Médecine a été occupée par les allemands jusqu’au 5 juin. Les grandes portes d’entrée ont été enfoncées et la plupart des portes des laboratoires ont été forcées. Les armoires ont été visitées et vidées en partie de leur contenu. Tout le bâtiment est dans un état de désordre et de saleté repoussant. Il traîne partout des détritus, des bouteilles vides... Partout règne une odeur de décomposition23. A la faculté des Sciences, la situation est la même et les locaux ont été occupés jusqu’au 5 juin. Les salles ont été pillées et les bureaux des professeurs ont servi de lieux d’aisance. Quant à la faculté des Lettres, les locaux n’ont reçu aucune visite étrangère. Le 27 mai 1940, deux pavés ont été projetés par une bombe : l”un est tombé dans la cour de la faculté de Droit ; l’autre a crevé la toiture de la faculté et le plafond de la salle Angellier. Mais, dans l’ensemble, les locaux littéraires ont peu souffert. L’inspecteur d’académie rédige un autre rapport24 sur la situation de l’enseignement dans la région en octobre-novembre 1940, répondant ainsi à une demande de l’OFK 670. En temps normal, il y a 140 professeurs de l’enseignement supérieur dans les deux départements mais ils ne sont plus que 42. La suite du rapport précise que nombre de locaux scolaires sont réquisitionnés, en particulier de nombreuses écoles primaires et l’Institut Industriel du Nord. Le lycée Faidherbe quant à lui25 est partiellement occupé Une formation sanitaire automobile utilise quelques salles du rez-de-chaussée et les bureaux administratifs. Une autre formation occupe les bâtiments de la rue des Arts et un corps de douaniers allemands s’est installé dans les dortoirs utilisant les réfectoires. Une partie du lycée des jeunes filles de Douai, l’institut Denis Diderot mais aussi divers bâtiments de l’Université Catholique sont partiellement occupés.

11Les entraves à la circulation sont aussi très nombreuses. La zone interdite, jusqu’à la fin de l’année 1941 tout du moins, demeure une zone close d’où on ne peut entrer ou sortir sans l’autorisation expresse des autorités allemandes. Nombre de familles sont ainsi séparées. Des professeurs ne peuvent rentrer dans le Nord. La circulation, à l’intérieur de la zone, est strictement contrôlée par un système exigeant de laissez-passer. L’utilisation des voitures devient d’ailleurs chose quasi impossible car l’essence fait défaut. Nombre de voitures sont également réquisitionnées. Divers règlements et notes de l’O.F.K 670 essayent de réduire encore le parc automobile à son profit. Les voitures, fonctionnant au gazogène, deviennent dès lors un luxe26. Les pneus, les chambres à air sont réquisitionnés. La transformation des voitures de tourisme pour marcher au gaz a dû être interdite... Les matières premières nécessaires à la transformation des voitures sont très rares et doivent être utilisées là où le rendement utile est le plus grand27.

12Les réquisitions en tout genre viennent très vite s’ajouter aux réquisitions de locaux. Les agriculteurs nordistes voient une grande partie de leurs récoltes réquisitionnées pour nourrir les troupes d’occupation et les autorités allemandes organisent le pillage des richesses du Nord. Dans une zone coupée du reste de la France, le ravitaillement devient la préoccupation essentielle. Les produits frais, la viande, le beurre, le sucre deviennent extrêmement rares et hors de prix en ville. Un rapport de juillet 1941 signale28 au préfet que la situation n’a pas varié en ce qui concerne la viande qui fait encore largement défaut... Après la viande dont la pénurie est constante depuis plusieurs mois, les pommes de terre n’ont pas permis de faire face aux besoins réels de la consommation. Le rapport29 de novembre 1941 signale que l’approvisionnement de 50 kilogrammes de pommes de terre par consommateur n’a pu être maintenu à tous les titulaires de cartes de ravitaillement. Le commerce des denrées alimentaires devient alors un enjeu fondamental qui est particulièrement surveillé par les autorités. L’office départemental du ravitaillement veille et essaye d’éviter les trop fortes hausses des prix. Dans les champs, la maraude se multiplie et l’O.F.K 670, dans une lettre du 29 juillet 1942, demande l’organisation de gardes paysannes30 pour protéger les récoltes. L’examen des procès-verbaux des réunions de la Régie Municipale de Lille montre31 les problèmes quotidiens de la municipalité face au ravitaillement. Un comité lillois du ravitaillement est organisé par le chanoine Léon Detrez pour essayer de limiter les abus et le marché noir. La guerre se traduit cependant très rapidement par le retour du rationnement et des pénuries. Un système de cartes de ravitaillement et de tickets réapparaît. D’abord utilisé pour quelques produits, le rationnement se généralise peu à peu et finit par toucher tous les produits de base : le charbon, le pain, la viande, le sucre, le savon, les pommes de terre... La pénurie entraîne une hausse des prix et le marché noir. L’O.F.K 670 signale32 d’ailleurs au préfet, le 7 novembre 1941 que les dénonciations pour des contraventions concernant le ravitaillement deviennent trop rares. Cette diminution ne provient pas d’une diminution des délits mais d’un manque de vigilance de la police française.

13Un système d’otages est mis en place par les allemands, comme en 1914-1918. Le 15 juin 1940, l’O.F.K 670 choisit vingt grands otages, garants du calme de la population. Rapidement, ils multiplient les emprisonnements préventifs destinés à terroriser la population. Pour chaque acte de résistance, on fusille des innocents ou des prisonniers de droit commun. Tout retard dans l’exécution d’un ordre est sanctionné immédiatement par une amende, une prise d’otages ou des interdictions diverses33. Dans la nuit du 25 au 26 août 1941 par exemple, deux officiers sont assassinés dans une rue de Lille. Le préfet en appelle à la population et annonce que les allemands ont pris des mesures immédiates. Les otages arrêtés seront responsables de la vie des soldats allemands. Le gouvernement est résolu à mettre un terme à l’action nocive d’éléments qui. clandestinement, et sous le couvert de patriotisme, ne tendent qu’à créer le désordre et à multiplier les difficultés de l’heure34. En 1942, dans la nuit du 20 au 21 avril 1942, un soldat allemand est abattu rue du pont de Comines. Les allemands35 exécutent immédiatement plusieurs otages et déclarent que d’autres seront fusillés si les vrais coupables ne sont pas découverts. Le préfet Carles lance un nouvel appel aux nordistes pour qu’ils aident la police, au nom du devoir civique. Il promet également une récompense de 100.000 francs en précisant que tout l’anonymat nécessaire sera respecté.

14Très vite, les allemands ne se contentent pas de brimer la population nordiste mais désirent l’utiliser. Ils exigent une participation active à l’économie de guerre. Le Nord Pas-de-Calais fut la seule région occupée de l’Europe du Nord-Ouest à subir de juin 1940 à mai 1941, les rigueurs de la déportation du travail36. La Ruhr a besoin de mineurs et les dignitaires nazis viennent se servir dans le bassin minier où un Reichkohlenkommissär est chargé de la besogne. Fin 1941, on peut recenser près de 12.000 mineurs originaires du Nord dans les mines allemandes dont beaucoup de polonais. Tous les autres secteurs économiques sont également mis à contribution. On commence par faire appel au volontariat mais les inscriptions sont rares et les allemands multiplient les pressions surtout sur les jeunes et les chômeurs. On a ensuite recours à la force. Tous les moyens sont bons et des rafles sont organisées à la sortie des cinémas ou dans les gares. Une opération de police est ainsi organisée le 26 janvier 1943, de 16 heures à 16 heures 15, rue de Béthune : 120 gardiens de la paix bloquent les issues et font la fouille des passants. 600 personnes sont ainsi contrôlées37 mais, ce jour-là, toutes sont relâchées. A partir de mars 1942, devant les difficultés allemandes sur le front russe, les exigences en matière de main-d’œuvre se font plus fortes. L’occupant multiplie ses offices de recrutement volontaire avec l’accord et la participation de l’Etat Français. En mai 1942, Fritz Sauckel exige l’envoi en Allemagne de 250.000 travailleurs français. Laval ressort de ses cartons son projet de relève et négocie avec le négrier de l’Europe. Le 16 juin 1942, l’accord est signé. Un prisonnier rentrera en France à chaque fois que trois ouvriers spécialisés iront travailler en Allemagne. Mais les volontaires sont très rares et les allemands sont de plus en plus exigeants. Le 4 septembre 1942, l’Etat Français adopte une loi d’utilisation et d’orientation de la main-d’œuvre pour tous les français de 18 à 50 ans et les françaises de 21 à 35 ans. Le recensement des travailleurs par catégories d’emplois et par situations familiales commence. On ne précise pas si ce travail doit se faire hors de France : les français sont assujettis à effectuer tous travaux que le gouvernement jugera utiles dans l’intérêt supérieur du pays. Les exigences nazies se font de plus en plus pressantes38 et le 15 décembre 1942, Hitler ordonne le prélèvement de 300.000 hommes allemands pour les verser dans l’armée. En janvier 1943, Sauckel exige de nouveau 250.000 travailleurs. Une fois encore, Laval négocie et croit habile de répondre aux ordres allemands par des propositions françaises. La loi du 16 février 1943 instaure un Service du Travail Obligatoire qui astreint tous les français à un travail obligatoire de deux ans, pour tous les jeunes en âge d’effectuer le service militaire. Les jeunes des classes 40, 41 et 42 puis 39/4, 43 et 44 seront ainsi requis après avoir passé une visite médicale. Les étudiants pourront bénéficier de sursis temporaires. Peu à peu cependant, les dérogations sont reniées. Nous étudierons plus loin les implications du S.T.O sur la vie universitaire. Force est cependant de constater ici que les allemands, avec la collaboration expresse de Vichy, mettent au point un système particulièrement coercitif de prélèvement de la main-d’œuvre. Le Nord Pas-de-Calais, strictement contrôlé par les allemands, devient dès lors une cible de choix dans cette chasse à l’ouvrier. Les habitants font cependant tout ce qu’ils peuvent pour échapper au départ en Allemagne. Le commissaire général à la main-d’œuvre, Weinmann, écrit aux maires le premier septembre 1943 pour se plaindre de la résistance des autorités locales qui mettent beaucoup de lenteur à recenser les jeunes39. Les autorités allemandes, relayées par les autorités vichyssoises, intensifient pourtant la propagande en diffusant de petites brochures40 qui incitent au départ. L’O.F.K 670 écrit au préfet le 17 mai 1943 et lui signale qu’il n’y a pas d’opposition à la diffusion dans la région de l’affiche41 Ils donnent leur sang ! Donnez votre travail ! L’O.F.K 670 envoie de nouveau un courrier42 au préfet le 23 décembre 1943 pour signaler qu’il devait être mis à la disposition de l’O.T au cours du mois de février 1943.. 3.600 ouvriers. Ont été recensés à l’office du travail, 1.785 ouvriers. Ce résultat est tout à fait insuffisant. Comme par le passé déjà, la grande majorité des ouvriers désignés par l’O.T ne se sont pas présentés... le travail des maires a été fait tout à fait médiocrement. Le commissaire de police écrit le 6 mai 1943 au préfet : j’ai l’honneur de vous faire connaître qu’il a été permis de constater que la population du Nord se dérobe de plus en plus aux obligations du recrutement de la main-d’œuvre... De nombreux ouvriers convoqués ne répondent pas à l’invitation... le lundi 3 mai, 602 ouvriers étaient convoqués ; 165 se sont présentés ; 122 ont été renvoyés chez eux pour inaptitude physique43. Les sollicitations et exigences allemandes sont cependant constantes.

15C’est dans ce cadre très strict, en pleine zone interdite, dans une région où, jusqu’en 1941 pour le moins, les relations avec le reste de la France sont quasi inexistantes, qu’il nous faut observer la faculté dans sa vie quotidienne au cœur des années noires.

Une faculté dans les années noires

16Dans une ville de nouveau occupée par l’ennemi, une vie universitaire minimale réussit malgré tout à s’organiser, au milieu des pires difficultés quotidiennes, prouvant par là même la persistance de la culture française.

A. – Les ingérences allemandes et vichyssoises dans la vie universitaire

17La jeunesse française devient très vite un enjeu pour les autorités d’occupation comme pour les représentants de l’Etat Français. Les premières exigent le calme d’une classe d’âge réputée chahuteuse alors que les seconds espèrent trouver dans la jeunesse un point d’appui pour leur propagande et un soutien pour les combats de la Révolution Nationale. Pour les deux de toute façon, la jeunesse est à surveiller de près. Curieusement, les autorités allemandes paraissent souvent moins regardantes que les hommes de Vichy. Les allemands exigent la tranquillité et l’absence de toute participation à des actions de résistance. Lorsque cette ligne de conduite est respectée, les institutions universitaires sont, dans l’ensemble, laissées tranquilles. Certes les allemands ont réquisitionné nombre de locaux, nous l’avons vu, mais les ingérences allemandes dans la vie interne des facultés sont très rares. Comme tous les habitants de la zone interdite, les universitaires sont soumis au régime d’occupation pour leur ravitaillement, leur circulation mais il ne s’agit là que d’interventions extérieures au monde de l’enseignement supérieur. C’est le sort commun des habitants d’une région occupée. Les allemands ont des préoccupations bien trop lourdes aux niveaux militaire, économique et politique pour se soucier, dans le Nord, d’une grande politique culturelle qui pourrait menacer les facultés. Nous pouvons cependant noter quelques ingérences dont les réquisitions de locaux ne sont que le premier signe.

18Les allemands interviennent, dès le début de l’occupation pour interdire un certain nombre de livres. Le bibliothécaire en chef écrit44 au recteur : le 26 août à 16 heures, j’ai été convoqué chez le Sonderführer... Deux fonctionnaires nazis m’ont reçu, fort courtoisement d’ailleurs et m’ont communiqué une ordonnance du gouverneur de Belgique et du Nord de la France relative aux librairies et bibliothèques. Ce texte interdit la mise en vente et le prêt ou la communication de tout ouvrage antiallemand. Sont dès lors considérés comme anti-allemands, les livres injurieux à l’égard de la Nation ou de l’Etat allemands, les livres ironiques à l’égard du national-socialisme, mais aussi les livres dont les auteurs ont été expulsés ou condamnés par le régime nazi. Les ouvrages mis à l’index doivent être enfermés dans une salle spéciale. Diverses notes du Ministre de l’Education Nationale interdisent ensuite, en accord avec les allemands, toute une série de manuels scolaires45. Abel Bonnard écrit aux recteurs, le 26 octobre 1943 pour exiger l’application des listes de livres interdits, en particulier les livres d’histoire-géographie qui contiennent souvent des passages injurieux sur l’Allemagne46. Diverses listes sont ainsi réalisées et le nombre des ouvrages censurés va croissant au cours de la guerre. La liste Otto I, de septembre-octobre 1940, dresse un premier bilan des livres interdits : Léon Daudet, Léon Blum, Charles de Gaulle, Heinrich Heine, Stephan Sweig, Engels, Thomas Mann, Albert Einstein sont inscrits sur cette liste avec bien d’autres encore, la liste comptant onze pages47. Une deuxième liste Otto, datée du 8 juillet 1942, élargit encore la censure48. Il y a désormais 27 pages qui condamnent les ennemis de l’Allemagne et les Judische Autoren (les auteurs juifs). A la différence de la Belgique, il ne semble pas que les autorités d’occupation aient eu le désir de s’introduire plus avant dans le monde universitaire lillois pour en changer les enseignants ou en modifier les contenus. L’Université Catholique de Louvain, l’Université Libre de Bruxelles doivent accepter l’intégration dans leur personnel de professeurs « flamands » et de professeurs « hôtes » (Gastprofessoren) allemands ainsi que l’application stricte de mesures antijuives. L’Université Libre de Bruxelles est particulièrement visée. De nombreux professeurs sont destitués. A la fin de l’année 1941, les choses se gâtent, les allemands imposant désormais leurs propres candidats aux enseignements. Les autorités administratives de la faculté et les enseignants décident alors de suspendre les cours49, le 24 novembre 1941.

19Dès qu’il y a un doute sur l’attitude d’un universitaire, dès que les allemands soupçonnent une activité opposée à leur présence, les personnes concernées sont immédiatement arrêtées. Le commissaire de police précise50 par exemple, le 3 avril 1943 que les allemands qui avaient arrêté le professeur Leclercq, doyen de la faculté de Médecine et sa fille, viennent de les relâcher. Le rapport du 24 juillet 1943 signale51 neuf arrestations pour la semaine écoulée dont trois étudiants et un professeur d’école normale à la retraite pour propagande gaulliste. Plusieurs dizaines d’étudiants et d’étudiantes sont ainsi arrêtés pour les motifs les plus divers : insultes aux soldats, tapage nocturne, diffusion de tracts, lacération d’affiches officielles. Les registres des personnes arrêtées par les autorités allemandes à Lille52 sont conservés aux archives municipales. Plusieurs étudiants y figurent pour les délits les plus divers qui vont de la participation à une imprimerie clandestine, de la détention d’armes jusqu’à l’écoute des radios interdites ou le non-respect du couvre-feu. Le fichier des arrestations pour l’Académie de Lille, aux archives nationales53 signale quant à lui, 133 arrestations, 38 libérations, 2 départs en Allemagne, 4 déportations en France et 3 condamnations à mort dans le monde enseignant de l’académie de Lille de 1940 à 1944. On y apprend que le concierge du lycée Fénelon a été suspendu de ses fonctions pour avoir permis la circulation de brochures interdites. Le secrétaire de la faculté des Lettres a également été arrêté par la Gestapo le 5 août 1942 et incarcéré à Loos. Les exigences allemandes en matière de main-d’œuvre finissent également par toucher le monde étudiant, avec la collaboration des autorités de l’Etat Français qui essayent constamment de sauvegarder l’illusion de leur souveraineté en ce domaine. Après l’échec de la Relève, le gouvernement de Vichy instaure, nous l’avons vu, le Service du Travail Obligatoire. Initialement, il est prévu que les étudiants accomplissent le service à partir du premier septembre 1943. La première année, ils seraient mis au service de la Nation. La deuxième année, ils pourraient en principe reprendre leurs études. En fait, les exigences allemandes se font de plus en plus lourdes et l’application de la loi sur le S.T.O donne peu de résultats. Les réfractaires sont nombreux et l’on modifie donc la loi, le 31 mai 1943, afin d’en réduire54 les sursis. Le stage dans les chantiers de jeunesse est défalqué non plus sur la première année de S.T.O mais sur la seconde, ce qui rend immédiatement disponibles les étudiants pour le départ vers l’Allemagne. Les exemptions de la classe 42 sont supprimées. Abel Bonnard soutient l’entreprise et accepte peu à peu l’élimination des dérogations. Dès lors, la résistance s’organise55 dans les facultés. Des doyens de facultés inscrivent les étudiants sous de faux noms, acceptent des papiers non en règle. A Lille, la réquisition des étudiants est une triste réalité mais on réagit vite. Un bon nombre d’étudiants ont été requis pour le S.T.O ou ont dû s’éloigner de la faculté pour s’y dérober de telle sorte que leurs études ont subi des interruptions plus ou moins longues56. Le doyen de la faculté des Sciences, dans son rapport général sur l’année scolaire 1943-1944, insiste57 sur les effets du S.T.O. Notre jeunesse fit front au recrutement pour le travail forcé en Allemagne qui atteignait plus d’un tiers de notre effectif masculin. Alors qu’en 1942-1943, quelques dizaines d’étudiants furent déportés... en 1943-1944, la presque totalité, (à part quelques unités saisies par les rafles) préféra faire le sacrifice de s’embaucher au fond de la mine ou dans les autres industries régionales, plutôt que de tomber aux mains de l’ennemi. D’autres, totalement réfractaires, disparurent de nos registres d’inscriptions. Le doyen insiste ensuite sur la collaboration entre les enseignants et les ingénieurs des mines. Des cours clandestins sont organisés ; on n’inscrit pas tout le monde sur les registres pour permettre la participation aux cours d’étudiants recherchés ou en dehors des règlements. Les autorités de Vichy ne ménagent pourtant pas leur peine pour retrouver les réfractaires, les recensements et les contrôles d’identité se multipliant. En fait, tout un système complexe se met en place où les étudiants d’abord assez épargnés, subissent ensuite peu à peu le sort commun. Le secrétaire général à la main-d’œuvre58 écrit aux préfets de région, le 4 février 1944 : j’ai décidé qu’étant donné les besoins actuels de main-d’œuvre, les mesures de sursis qui avaient été prises... ne peuvent être maintenues pour les étudiants. Très vite, les nouvelles venant d’Allemagne montrent des étudiants qui ne sont en rien des affectés spéciaux mais qui sont au contraire mélangés aux ouvriers des usines. Les étudiants travaillant en Allemagne manifestent une certaine mauvaise humeur contre leur maintien en Allemagne après leur première année de travail, la promesse n’a pas été tenue59. André Meyer, chargé de mission au Ministère de l’Education Nationale, rédige, le 12 novembre 1943, un rapport sur les conditions de vie et le moral des requis en Allemagne. Il a pu voir 1.200 étudiants environ soit 1/5 du total français. D’une manière générale, je puis dire que la situation des étudiants français en Allemagne n’est pas brillante. Ils travaillent pour la plupart dans des usines, à des tâches pénibles60. Le 20 avril 1944, le Ministre écrit aux recteurs une nouvelle circulaire où il rappelle les nécessités du S.T.O et exige des services universitaires qu’ils vérifient bien la situation de chaque étudiant avant de l’inscrire. Tout fonctionnaire qui aurait manqué à faire respecter cette obligation sera immédiatement relevé de ses fonctions61. Le monde universitaire courbe l’échine, se tait et protège du mieux qu’il peut ses étudiants. Nos étudiants étaient menacés par le STO, ce qui signifiait pour eux, le départ en Allemagne. Heureusement, ils y ont échappé presque tous... il nous est impossible de dire dans quelle proportion, l’enquête que nous avons voulu faire auprès des parents s’étant heurtée à une réticence bien compréhensible. Plusieurs, à notre connaissance ont été réfractaires mais ont pu continuer à suivre les cours... il se peut que la crainte de voir leur nom porté à la connaissance du service du travail obligatoire en ait empêché beaucoup de s’inscrire ou de s’immatriculer62.

20A côté des ingérences allemandes, il faut également tenir compte des ingérences du régime de Vichy. Si les relations avec la zone interdite sont presque inexistantes jusqu’en mai 1941, elles se développent ensuite rapidement. Dans l’archéologie de la débâcle, les dignitaires du nouveau régime accordent une large part de responsabilité aux instituteurs et professeurs, agents du socialisme et du pacifisme. Dès lors, une réforme profonde de l’enseignement s’impose qui doit commencer par la révocation des « traîtres ». C’est surtout dans l’enseignement primaire que les sanctions sont nombreuses. De multiples enquêtes permettent au gouvernement de révoquer63 un certain nombre de maîtres jugés inaptes ou dangereux. Les préfets reçoivent des circulaires64 les incitant à contrôler le loyalisme des instituteurs. Une lettre65 du préfet Carles du 25 novembre 1941, notée confidentielle, précise qu’il faut procéder à une nouvelle enquête extrêmement serrée sur l’activité et l’état d’esprit du corps de l’enseignement primaire qui continue souvent son action partisane. En ce qui concerne l’enseignement supérieur, Vichy semble se montrer un peu moins regardant sauf peut-être sous le ministère de Jérôme Carcopino66 qui s’intéresse beaucoup aux facultés des Lettres. Diverses mesures tendent à alléger les programmes et les examens, en tenant compte des difficultés de vie de l’époque. Le ministre Bonnard demande plusieurs fois aux examinateurs de rassurer et d’encourager les candidats en faisant preuve d’indulgence. On tente également de limiter l’accès à l’enseignement supérieur en créant un éphémère examen d’entrée dans les facultés. Pour les lillois cependant, les volontés réformatrices du régime de Vichy apparaissent bien lointaines67.

21La faculté lilloise subit malgré tout quelques ingérences vichyssoises très nettes. Le 15 mars 1943, un arrêté68 du Ministre annonce que le professeur Saurat, mis à la disposition du ministre, est révoqué de ses fonctions pour activités antinationales. L’arrêté est signé A. Bonnard et F. Préchac, directeur de l’enseignement supérieur, ancien collègue lillois du professeur Saurat. Le 24 juin 1943, A. Bonnard adresse un blâme69 au doyen Emile Audra qui n’a pas tenu compte des conseils du Ministère dans l’organisation des sessions d’examen. De nombreuses plaintes m’ont été adressées au sujet du passage de Quintilien qui a été donné en version latine à certains candidats du baccalauréat dans l’académie de Lille. Il ressort en effet, de la vérification qui a suivi ces réclamations, que ce texte est si hérissé de difficultés qu’on ne saurait concevoir comment il a pu être choisi... Je me vois donc dans l’obligation d’agir à votre égard... et je vous adresse un blâme pour ne pas vous être acquitté avec assez de scrupule d’une fonction délicate en tout temps... J’avais écrit une circulaire où je recommandais et définissais l’esprit d’indulgence qui doit cette année régner dans les examens. Il semble que vous n’ayez pas connu cette circulaire ou que vous avez cru bon de ne pas en tenir compte. Le STO vient également modifier, nous l’avons vu, le précaire équilibre lillois et témoigner d’une ingérence vichyssoise en même temps qu’allemande dans les affaires universitaires. Les lois de ségrégation raciale touchent également le monde universitaire et là encore, la responsabilité du régime de Vichy est entière, qui devance souvent les exigences allemandes. Les francs-maçons, les communistes puis surtout les juifs sont déclarés indignes d’entrer dans le monde de l’enseignement. C’est d’ailleurs Vichy lui-même qui insiste sur la nécessité d’une épuration de l’enseignement. Par la loi du 17 juillet 1940 sur l’épuration de la fonction publique, Le régime de Vichy permet aux autorités compétentes de relever de ses fonctions et d’exclure toute personne jugée soupçonnable. Le 3 octobre 1940, Vichy rédige un premier statut des juifs. Les juifs étrangers sont internés dans des camps et leur recensement devient systématique. La loi du 2 juin 1941 fixe ensuite un second statut des juifs en élargissant le champ d’application des mesures d’exclusion70. L’enseignement est donc interdit aux juifs avec l’accord de J. Carcopino. C’est lui qui propose à Pétain, un numerus clausus pour les étudiants juifs71^. Le 21 juin 1941 en effet, un numerus clausus est décidé qui fixe à 3 % le nombre maximum d’étudiants juifs dans les facultés. Dans l’ensemble cependant, les universitaires semblent avoir souvent boudé la mesure. Une commission, chargée d’examiner les demandes d’inscription (article 3 de la loi du 21 juin 1941) doit être créée dans chaque université mais dans l’ensemble, le corps enseignant n’attache qu’une importance relative aux mesures qui frappèrent les juifs dans l’université72. Certains membres de l’université sont cependant touchés par les mesures d’exclusion : Marc Bloch, par exemple, est exclu de la fonction publique dans un premier temps ; relevé de sa déchéance pour services rendus à la Nation, l’éminent historien, ancien combattant de la première guerre mondiale et volontaire pour combattre en 1939, enseigne ensuite à Clermont-Ferrand puis à Montpellier avant d’entrer dans la résistance ; arrêté par la Gestapo le 8 mars 1944, il est fusillé le 16 juin 1944. Raymond Aron, Louis Halphen, Jules Isaac, souffrent également73 de ces mesures. Georges Abraham Ascoli, ancien enseignant de la faculté, est arrêté puis déporté en camp dé concentration où il décède. La faculté lilloise voit aussi Vladimir Jankélévitch, professeur de philosophie morale, être révoqué de ses fonctions pour ses origines juives. Sous une fausse identité, il enseigne ensuite à l’université de Toulouse puis entre dans la résistance active. Quelques étudiants lillois ont également de sérieux problèmes avec les administrations allemandes ou françaises. Les registres des arrestations74 opérées par les allemands à Lille signalent par exemple l’arrestation de l’étudiant X., jeune homme de race juive, vivant en marge des réglementations. Tel autre étudiant est arrêté75, le 8 août 1942 pour ne pas avoir l’insigne juif sur son manteau. Le commissaire de police, dans son rapport du 17 juillet 1943 sur la semaine écoulée, signale76 14 arrestations par les allemands dont 4 concernant des personnes juives qui étaient en situation illégale en France. Une étudiante en particulier a été arrêtée parce que de race juive et en situation illégale en France. Lille semble d’ailleurs connaître une législation anti-juive importante. Le maire est obligé de faire signaler77 les habitations et maisons de commerce juives. L’ordonnance du 14 novembre 1941 concernant les juifs de Lille déclare78 qu’il est formellement interdit aux juifs de fréquenter les hôtels, restaurants, estaminets, bars et cafés… de pénétrer dans les espaces publics de Lille, notamment la citadelle, les jardins... de se servir des bancs dans les rues et les places publiques. Le commissaire de police confirme79 au préfet, le 4 février 1942 que les hôtels, restaurants et cafés ont tous signalé de façon apparente sur leur vitrine ou à la porte de leur établissement, un écriteau interdisant l’accès aux juifs. Le Réveil du Nord du 8 juin 1942 signale qu’il est un coin de Lille relativement calme et tranquille.… Il est dommage que le pittoresque de ce coin soit compromis par la promiscuité, vraiment peu intéressante de la synagogue qui arbore encore à l’heure actuelle les signes distinctifs de la religion juive... Dimanche, de jeunes gens, animés des meilleures intentions, trouvant les figures géométriques par trop ostentatoires, décidèrent de manifester leur désapprobation et le peu de sympathie pour les « youpins », en y jetant quelques pavés80. Le journaliste déplore ensuite que les quatre jeunes gens aient été conduits au poste par la police, justifiant leur geste par les effigies juives qui s’étalent de manière indécente. Le recteur Duez est saisi81 de l’affaire. Il écrit au maire82 le 11 juin 1942 en insistant sur le fait que l’étudiant arrêté rue Angellier ne fréquente pas les facultés de l’Etat. L’événement est cependant significatif d’un antisémitisme latent qui existe dans certaines fractions de la population.

22L’ingérence de Vichy dans l’enseignement supérieur lillois est aussi parfois plus indirecte. Dès 1940, le régime du Maréchal essaye d’implanter en zone occupée ses mouvements de jeunesse, mais les allemands s’y opposent longtemps, tout du moins en zone interdite. L’O.F.K 670 signale83 au préfet, le 15 novembre 1940 que dans les départements du Nord et du Pas-de-calais, l’homologation des organes français de la jeunesse suivants est refusée. Suivent les noms de diverses organisations de jeunesse telles que les Compagnons de France, les Chantiers de Jeunesse. Diverses lettres montrent pourtant les efforts des autorités vichyssoises pour créer dans le Nord des mouvements de jeunesse ou tout du moins des camps de jeunes.

23Les voyages officiels des représentants de l’Etat Français peuvent également apparaître, parfois, comme des ingérences dans le domaine local. Abel Bonnard vient le 13 juillet 1942 à Lille et participe à la remise des prix du lycée Faidherbe. Les invités sont très nombreux. Il y a là les doyens des facultés, le recteur Duez. Le doyen de la faculté des Lettres, E. Audra est absent et se fait remplacer par le professeur Le Breton. Mais on sent dans les réponses à l’invitation une certaine réticence à participer à une cérémonie dirigée par les autorités de Vichy et beaucoup d’invités trouvent un prétexte pour décliner l’invitation. Un autre voyage d’A. Bonnard dans le Nord, prévu pour les 5 et 6 février 1944, est ajourné84. Le programme était cette fois plus strictement universitaire puisque le ministre devait rencontrer les personnels des divers degrés d’enseignement mais aussi les étudiants. Le secrétaire général à la jeunesse, Lamirand, prévoit lui aussi une visite à Lille, les 20-23 janvier 1942. Au programme, on trouve l’atelier d’apprentissage de Lille-Fives, les facultés de l’Etat où il doit réunir les étudiants et les professeurs. Il doit également visiter les facultés catholiques, le lycée Faidherbe et faire un discours à la maison des étudiants. Une note du préfet, datée du 15 janvier 1942, annonce85 cependant qu’il se voit dans l’obligation de reporter son voyage. Le 29 janvier 1944, c’est Philippe Henriot, secrétaire d’Etat à l’information et à la propagande, qui vient à Lille. Il est reçu à l’Hôtel de ville à 15 heures. Toute l’administration, toutes les notabilités régionales sont convoquées. Henriot prend la parole86 dans le grand hall et explique la politique du gouvernement. Une nouvelle fois, les réponses sont très nombreuses qui déclinent l’invitation pour raison de santé ou incompatibilité d’emploi du temps.

24Les années 1940-1944 sont donc des années délicates pour l’institution universitaire lilloise. La faculté doit faire face à une double ingérence extérieure qui menace son activité. La première ingérence est allemande. Les réquisitions de locaux touchent l’université mais pas la faculté des Lettres. L’interdiction de certains ouvrages et l’arrestation d’étudiants ou d’enseignants sont également des signes de cette intervention. Il faut cependant noter la faiblesse de l’intervention allemande au niveau de la vie universitaire en elle-même ; l’occupant semble se désintéresser de la vie universitaire à condition que celle-ci ne s’engage pas dans une quelconque critique de leur présence. Ses exigences en matière de main-d’œuvre finissent cependant par mettre en danger la faculté. A l’ingérence allemande, il faut ajouter celle du gouvernement de Vichy, même si l’enseignement supérieur n’est pas la cible privilégiée de l’Etat Français qui s’intéresse surtout à l’école du plus grand nombre, à l’école primaire. Dans le Nord, zone interdite, les volontés réformatrices de Vichy restent d’ailleurs longtemps lettre morte. Ce n’est pas avant le milieu de l’année 1941 que les liens se multiplient entre la région et Vichy, les allemands gardant constamment le pouvoir suprême de décision. Les ingérences vichyssoises prennent alors plusieurs formes. Le S.T.O peut être considéré comme l’une d’entre elles tout comme la révocation du professeur Saurat ou le blâme du doyen Audra. Les mesures de ségrégation raciale touchent également la faculté mais il semble bien que leur portée pratique ait été la plus atténuée possible du fait de la volonté des autorités universitaires locales. En fin de compte, l’impression dominante est celle d’un poids certain de la guerre et de ses réalités sur le monde universitaire. La faculté des Lettres semble beaucoup plus marquée par les réquisitions, le rationnement, les entraves à la libre circulation ou la déportation de main-d’œuvre que par des mesures spécifiquement universitaires.

B – La vie universitaire au quotidien

25Plus marquée par les aléas de la guerre et de l’occupation, communs à tous les lillois, que par une intervention directe liée à une politique culturelle et universitaire spécifique, la faculté tente néanmoins d’organiser une vie universitaire minimale.

26Au niveau des enseignants, on se souvient que la mobilisation avait entraîné le départ de très nombreux professeurs. La tentative d’exode universitaire au Touquet, puis l’essai de repli sur Rennes, vite impossible, accélèrent ensuite la confusion. A la rentrée de novembre 1940, l’éparpillement est alors total. Certains enseignants sont prisonniers. D’autres sont revenus à Lille alors que certains sont encore en poste dans des établissements de la zone occupée n’arrivant pas à obtenir l’autorisation de revenir en zone interdite. D’autres enfin sont en zone libre et enseignent dans divers établissements.

27En Octobre 1939, la faculté reprend ses activités dans des conditions difficiles avec sept enseignants présents87 sur les dix-huit de 1939. Les absents sont mobilisés ou évacués et il faut avoir recours, comme pour le premier conflit mondial, à des personnes extérieures pour assurer l’enseignement. Les professeurs Las Vergnas, Gastinel, Gouhier, Jasinski, Le Breton, Tapié sont mobilisés ainsi que les maîtres de conférences Jankélévitch, Moret et Gaillard. J.-B. Mahn, chargé du remplacement temporaire d’E. Perroy est également mobilisé, ce qui nous donne 11 mobilisés au total. Les 26 et 28 septembre 1939, l’assemblée décide de ne préparer que les diplômes de base à savoir la licence et les concours féminins. On supprime les matières spécifiques comme l’histoire de l’art, les sciences de l’éducation. Les collègues présents acceptent d’élargir leur enseignement. Léon Mis, assisté de M. Herman, assure tout l’enseignement de l’allemand. Le doyen Audra, assisté de sa femme et de Mademoiselle Borel (lycée Fénelon) assurent l’enseignement de l’anglais. Le recteur Hardy, avant son départ, remplace M. Dion en géographie. M. Adam (lycée Faidherbe) et M. Le Roy (lycée de Laval) remplacent les titulaires de lettres et de philosophie. L’archiviste paléographe des archives départementales du Nord, Pierre Piétresson de Saint Aubin, se voit confier l’histoire du Moyen-Age. Cette organisation de guerre fonctionne sans encombre pendant tout l’hiver et les premières semaines du printemps88.

28L’offensive allemande du 10 mai 1940 fait voler en éclats ce fragile équilibre. Le jeudi 16 mai, après les cours, les professeurs habitant Paris (Cordier, Henne, Préchac) décident de retourner chez eux pour le congé de fin de semaine, pensant revenir la semaine suivante. Leur retour sera impossible. Le samedi 18, la faculté reçoit l’ordre de se transporter au Touquet, nous l’avons vu, avant que les universitaires ne reçoivent l’ordre de rentrer sur Lille le 23 juin. Il y a alors, fidèles au poste dans Lille allemande, le doyen Audra, les professeurs Humbert, Mis et Guerlin de Guer. Dans les premiers jours de juillet, les professeurs Dion, Herman et Adam les rejoignent. Pour la fin de l’année scolaire 1939-1940, ils sont ainsi sept à être de retour à la faculté dont six titulaires d’avant-guerre.

29Durant l’année 1940-1941, la faculté se sépare de deux de ses membres. Le professeur Guerlin de Guer, admis à la retraite à partir du 26 juin 1939, avait continué son enseignement mais il décide, en novembre 1940, d’arrêter définitivement. Le professeur Léon Mis part également à la retraite en février 1941. Les professeurs Gastinel, Las Vergnas et Moret sont prisonniers en Allemagne. Vladimir Jankélévitch est blessé et se repose dans le Sud de la France. Pour la plupart, nos collègues, démobilisés, ont été retenus au sud de la Somme par une ligne frontière qui coupe en deux l’académie de Lille89. Les différentes demandes de laissez-passer ont été refusées par les autorités allemandes et les enseignants travaillent dans divers établissements de la zone occupée ou de la zone libre. Le Breton est à l’université de Toulouse ; Gaillard est à l’université de Grenoble ; Braure et Gouhier enseignent à l’université de Bordeaux ; Jasinski enseigne à Sèvres et à Saint-Cloud. Préchac est à Sèvres puis à Versailles. Edouard Perroy, après son congé maladie, enseigne à Fontenay. Vladimir Jankélévitch, remis de ses blessures mais révoqué, enseigne sous une autre identité à l’université de Toulouse. Cordier et Henne se consacrent à leurs recherches personnelles tout en enseignant dans des lycées parisiens. V.-L. Tapie est chargé par le ministère des affaires étrangères d’une ambassade au Brésil. Le professeur Saurat est à la disposition du ministre jusqu’à sa révocation en mars 1943. Ainsi, à la rentrée de novembre 1940, quatre maîtres seulement du cadre régulier (Audra, Humbert, Dion, Herman) sont présents à Lille. Les deux retraités, Guerlin de Guer et Mis acceptent alors de reprendre du service90. Pour le reste, il faut faire appel aux bonnes volontés. Le professeur De Saint-Léger reprend lui aussi son enseignement en histoire moderne et contemporaine après quelques années de retraite, aidé par un professeur de lycée, M. Lecompt. Piétresson de Saint-Aubin continue à enseigner l’histoire du Moyen-Age. M. Faivre, proviseur du lycée Faidherbe, prend l’enseignement du latin avec un autre professeur agrégé du même lycée, M. Noblanc. Mlle Siauve (lycée Fénelon) enseigne la philosophie ; Mlle Borel (lycée Fénelon) seconde le doyen Audra en anglais. M. Adam (Faidherbe) représente à lui seul toutes les lettres ; M. Humbert, malade, est remplacé temporairement par M. Bouchez (lycée de Valenciennes). On utilise donc la même technique que pendant la première guerre mondiale en recrutant dans les deux lycées lillois, en rappelant les retraités et en élargissant l’enseignement aux femmes.

30Pour l’année 1941-1942, on assiste à un retour certain à la normale. Nos collègues, éloignés de Lille, n’ont obtenu que très tardivement les sauf-conduits sollicités... Cependant, l’interruption du contrôle de la circulation à la frontière de la zone interdite a permis au plus grand nombre de revenir à la faculté... au mois de janvier 194291. En philosophie, Mademoiselle Siauve est seule jusqu’en avril 1941 puis M. Grenier arrive en remplacement de V. Jankélévitch. Le professeur Gouhier est suppléé par M. Patronnier de Gandillac. En français, le professeur Gastinel rentré de captivité reprend ses cours en novembre, secondé par le professeur Adam. Le professeur Jasinski revient en janvier puis est muté à la Sorbonne en avril. Il est remplacé par Maurice Bardèche. René Louis qui arrive à Lille en décembre 1941, remplace Guerlin de Guer en grammaire et philologie françaises. En latin, M. Noblanc continue son enseignement jusqu’en janvier 1942 puis le professeur Cordier rejoint la faculté. En grec, M. Humbert, nommé inspecteur d’Académie, est remplacé temporairement par un enseignant du lycée Faidherbe jusqu’à l’arrivée de M. Soury en mai. En histoire ancienne, M. Henne reprend son enseignement en janvier 1942 et en histoire contemporaine, A de Saint-Léger continue à assurer les cours jusqu’en février 1943 date à laquelle arrive L. Jacob en remplacement de M Braure nommé à Bordeaux. En histoire de l’art, René Louis assure l’intérim jusqu’au retour du professeur Gaillard en mars 1942. En géographie, le professeur Dion assure son enseignement depuis octobre 1940. En allemand, M. Mis est parti à la retraite et c’est un professeur du lycée de Tourcoing qui le remplace, aidé par le professeur Herman. Le titulaire, M. Susini, arrive en avril 1942. En anglais, Mademoiselle Borel quitte la faculté et le doyen Audra se retrouve seul car M. De Las Vergnas est prisonnier et M. Le Breton ne revient de zone libre qu’en mai 1942. M. Herman, quant à lui, a repris son enseignement des langues slaves dès novembre 1940. Les titulaires rentrent donc les uns après les autres durant cette année universitaire 1941-1942. Pour la session d’examens de juin-juillet 1942, ils sont de nouveau dix-neuf titulaires alors qu’ils n’étaient plus que quatre en novembre 1940. La France n’est plus alors officiellement en guerre et les communications sont de nouveau possibles entre les diverses zones qui découpent le territoire national.

31En 1942-1943, les choses se maintiennent mais le doyen Audra se plaint92 de la perte de collègues précieux qui n’ont pas été remplacés immédiatement. Un professeur est-il nommé à Paris, il doit nous quitter aussitôt. dans les huit jours avant même qu’il ait pu finir le cours commencé.... A la faculté de province d’attendre que le vide soit comblé. Le professeur Le Breton quitte la faculté en novembre 1942 pour la Sorbonne mais son remplaçant n’arrive que le 15 février 1943 avant d’être nommé recteur en juillet. Edouard Perroy est suppléé par Mademoiselle Foreville car il enseigne à la Sorbonne. Léon Préchac est nommé directeur de l’enseignement supérieur par les autorités de Vichy et quitte la faculté le 11 février 1942. Son remplaçant, M Perret, arrive le 16 mars 194293.

32Pour l’année universitaire 1943-1944, il y a peu de modifications. Le premier octobre 1943, le professeur Gastinel décède. Rentré de captivité, il revient d’Allemagne très fatigué et malade mais reprend immédiatement sa tâche d’enseignement. En anglais, la faculté avait demandé la nomination de M. Simon comme maître de conférences. Né en 1906, boursier de licence, licencié de la faculté des Lettres de Lille en 1928, il passe son D.E. S en 1929 et obtient l’agrégation en 1930 puis soutient sa thèse sur Herman Melville. Enseignant à Marseille puis à Paris, il est ensuite chargé d’enseignement à la Sorbonne. Le ministre ne tient pas cependant pas compte de la volonté de la faculté et nomme M. Simon à Lyon. C’est le professeur Catel qui est nommé à Lille94. Le Professeur Las Vergnas est remplacé par un prisonnier rapatrié qui enseigne en même temps au lycée Pasteur.

33Pour l’année 1944-1945, la faculté retrouve une ville libre95 Le 7 novembre 1944, la rentrée solennelle des facultés est la première depuis quatre ans qui ait lieu dans une France libérée. Le professeur Cordier décède le 11 avril 1945. Professeur de langue et littérature latines, il était très fatigué mais n’avait pas voulu interrompre son activité96. Le doyen Audra quitte également la faculté pour la direction de l’Institut Français de Londres alors que M. Simon est nommé à Lille après son court séjour lyonnais. Roger Dion part pour la Sorbonne et Maurice Bardèche quitte également la faculté. Il est remplacé provisoirement par Guyen, maître de conférences de langue et littérature modernes françaises. E. Perroy quitte la faculté pour diriger la Commission d’Histoire de l’Occupation et de la Libération de la France et c’est de nouveau Melle Foreville qui le remplace. Le professeur Jankélévitch réintègre ses fonctions par un arrêté ministériel du 29 mai 1945 puis est nommé professeur titulaire de philosophie morale et des sciences de l’éducation à compter de mars 1942.

34L’évolution du monde enseignant connaît ainsi de 1939 à 1945, trois périodes majeures, liées à l’histoire militaire et politique de la région. De novembre 1939 à janvier 1942, la faculté vit d’expédients et de suppléances, la mobilisation, l’exode puis le découpage de la France en zones multiples étant des aléas qui gênent considérablement la vie universitaire. Beaucoup d’enseignants se retrouvent à l’extérieur de la zone interdite et ne peuvent y rentrer. Les autorités allemandes refusent en effet toutes les demandes de laissez-passer. A partir de janvier 1942 environ, la coupure n’est pas nette, les choses rentrent peu à peu dans l’ordre avec le retour des enseignants dispersés dans la zone occupée et la zone libre. La restauration des communications avec le reste de la France permet une reprise des mutations et des nominations. L’année 1944-1945 voit ensuite le monde enseignant connaître d’importants changements, les départs et les arrivées étant nombreux après la Libération.

35Les effectifs étudiants obéissent, dans l’ensemble, aux mêmes évolutions. En synthétisant les données fournies par le doyen, nous obtenons le tableau suivant :

Les effectifs des facultés d’Etat de 1938 à 1945

36Cinq phases peuvent être dégagées d’après ces chiffres.

37De 1939 à juin 1940, la faculté des Lettres, tout comme ses consœurs, connaît une chute brutale de ses effectifs. Le nombre des étudiants passe en effet de 1.003 à 547, soit 455 unités de moins. La mobilisation générale, les déménagements et l’exode ont disséminé la population étudiante. Le nombre total des étudiants lillois pour les quatre facultés passe ainsi de 2.882 à 1.689 étudiants. Frappée déjà durement dans son personnel et ses étudiants par la guerre et la mobilisation, elle a eu à subir les épreuves douloureuses du repliement et de l’invasion97. L’année 1940-1941 connaît un léger redressement. Les effectifs de la faculté passent de 547 à 613 unités. Le nombre total des étudiants des facultés passe de 1.689 à 2.409. Mais la reprise reste limitée. La zone interdite est toujours coupée du reste de la France et les laissez-passer sont refusés. Certains de nos étudiants sont prisonniers... D’autres, très nombreux, chassés par l’invasion sont allés peupler les autres universités98. Les années 1941-1942 et 1942-1943 marquent, par contre, un net essor des effectifs. On s’habitue à l’état d’occupation et les relations avec le reste de la France sont redevenues possibles. L’année 1941- 1942 a vu la faculté reprendre enfin une vie presque normale99. Le nombre des étudiants de la faculté passe en effet de 613 en 1940-1941 à 1.008 en 1941-1942 et à 1.339 en 1942-1943, chiffre jamais atteint depuis l’installation lilloise en 1887. L’année universitaire 1943-1944 connaît cependant un net retour en arrière et les effectifs étudiants baissent de nouveau. La faculté ne compte plus que 1.021 étudiants soit 318 de moins que l’année précédente. Cette année qui devait être celle de la libération s’est ouverte sous de sombres auspices. Nos étudiants étaient menacés par le S.T.O... Heureusement ils y ont échappé presque tous100. Il faut également tenir compte de la difficulté des communications et des bombardements alliés qui ont beaucoup ralenti l’activité. L’année 1944-1945 marque un certain retour à la normale avec une nouvelle hausse des effectifs. La faculté libérée reçoit 1.177 étudiants soit 156 de plus que l’année précédente. Mais la reprise est encore modérée dans un pays exsangue.

38L’évolution des effectifs étudiants obéit ainsi aux grands événements militaires et politiques que connaît la région du Nord, autour de cinq phases bien distinctes. Il faut cependant noter que c’est pendant l’occupation allemande, en pleine deuxième guerre mondiale, que la faculté atteint le plus haut chiffre d’inscrits de son histoire avec 1.339 étudiants (1942-1943). Le meilleur chiffre de l’entre-deux-guerres n’était que de 1.013 en 1933-1934. Une vie universitaire s’est donc bien maintenue durant l’occupation allemande. Au niveau des effectifs tout du moins, la faculté garde un dynamisme certain.

39La faculté garde constamment le souci de préparer ses étudiants aux examens et concours. De fait, elle continue sa mission avec sérieux et vigueur. Les rapports annuels du doyen Audra permettent de faire le bilan des diplômes et concours préparés dans ces années noires. La faculté continue à être le pivot des examens du baccalauréat es Lettres. De 1939-1940 à 1944-1945, elle examine 34.026 candidats et déclare admis 16.286 personnes (47,86 %). Les deux premières années sont les plus délicates puis les effectifs augmentent régulièrement. En 1939-1940, malgré la mobilisation générale et l’état de guerre, la date du baccalauréat est maintenue au 2 octobre 1939. Pour éviter aux candidats de trop longs déplacements, on crée 13 centres d’examen, chaque centre étant dirigé par un professeur du supérieur. Durant l’année scolaire, de nombreuses sessions d’examen sont organisées pour les candidats qui n’ont pu se rendre à temps aux écrits ou qui sont appelés au service militaire. Il y a ainsi 7 sessions en 1939-1940 (octobre, novembre, avril, mai, juin, septembre et octobre). La session de juin 1940 se fait dans des conditions très difficiles, avec des épreuves simplifiées (une seule épreuve écrite). En 1940-1941, 1941-1942 et 1942-1943, les sessions reprennent leur rythme normal et le nombre des candidats augmente régulièrement. Elles sont de nouveau perturbées avec les événements liés à la libération du territoire.

40La licence demeure également une des préoccupations essentielles de la faculté. En 1939-1940, face à la mobilisation, les sessions se multiplient également. Elles ont lieu en octobre 1939, mars, juillet, septembre, novembre et décembre 1940. Les années suivantes, les sessions reprennent normalement jusqu’en 1944. Durant la deuxième guerre mondiale, de novembre 1939 à juin 1945, la faculté délivre 2.634 certificats d’études supérieures pour 7.389 candidats examinés (35,64 % de reçus). C’est ainsi 422 licences complètes (le diplôme) qui sont délivrées. L’année de la drôle de guerre, de la mobilisation et de l’exode marque l’étiage logique de cette évolution. Le tableau suivant permet de visualiser l’essentiel. Les deux premières colonnes font le total des examinés puis des admis aux divers certificats alors que la dernière colonne comptabilise les licences complètes délivrées.

La licence à la faculté de 1939 à 1945

41La faculté réussit également à faire soutenir 127 D.E.S dans les diverses matières de son enseignement. La première année de guerre n’entre pas dans ce décompte car les événements militaires empêchent sa préparation. Les thèses de doctorat d’Etat et d’université demeurent, quant à elles, des diplômes extrêmement rares. On essaye d’achever un travail commencé avant la guerre mais on n’entreprend pas de nouveaux travaux. S’adressant à des étudiants plus âgés, ce niveau d’études intéresse le plus souvent des salariés. Dans ces années noires, on préfère assurer sa vie quotidienne plutôt que de se lancer dans une recherche longue dont on ne peut deviner l’issue.

Le D.E.S et le DOCTORAT à la faculté de 1939 à 1945 (travaux soutenus)

42La préparation des diverses agrégations continue également mais avec des effectifs moindres ; 26 candidats réussissent néanmoins à obtenir le titre d’agrégé dans ces années de guerre : 4 en grammaire, 2 en philosophie, 6 en allemand, 8 en anglais, 1 en histoire, 2 en Lettres et 3 pour les agrégations des jeunes filles. La mobilisation de septembre 1939 entraîne la suppression du concours pour les hommes par arrêté du 20 décembre 1939. Les concours de l’année 1940 sont donc réservées aux femmes101. Prévu pour le début de juin 1940, le concours réservé aux femmes est ajourné le 25 mai à la suite de l’invasion allemande. Il n’a réellement lieu qu’en septembre 1940. Pour les lilloises, le passage de l’agrégation devient très délicat, dans une France découpée en zones. En 1941 et 1942, les oraux sont délocalisés. Pour la zone Nord, l’oral se passe à Paris. Dans la zone sud, tous les chefs-lieux d’académie sont mis à contribution. Les choses rentrent ensuite dans l’ordre mais le concours de 1944 est à nouveau perturbé. Il n’a lieu qu’en décembre 1944 pour les femmes et en avril 1945 pour les hommes. Les catégories de candidats sont alors très variées. Les prisonniers de guerre qui viennent d’être libérés sont interrogés sur les programmes de 1939, les autres candidats sur les programmes de 1944 ou de 1945. Trois séries de sujets sont donc nécessaires. L’année 1945 est la plus lourde102 de toute l’histoire de l’agrégation. Les sessions sont multiples et s’étendent pratiquement sur toute l’année. Pour stabiliser peu à peu la situation, l’arrêté du 11 décembre 1945 décide de nommer agrégés certains candidats admissibles aux concours d’avant-guerre qui ont été dans l’impossibilité de se présenter par la suite. En 1946, 1947 et 1948, deux sessions sont encore organisées : une normale et une spéciale. Au delà de cette complexité, il faut cependant noter que les modalités du concours restent semblables à l’avant-guerre même si les programmes sont parfois allégés. Un changement est tout de même à remarquer : après un long combat des géographes, ces derniers obtiennent, par l’arrêté du 28 septembre 1943 et le décret d’application du 6 octobre, la scission de l’agrégation d’histoire-géographie en deux concours distincts103.

43Les certificats d’aptitude à l’enseignement sont toujours préparés mais le public est beaucoup plus restreint. La grande nouveauté, à ce niveau, est l’apparition d’un concours, créé par le gouvernement de Vichy : le C.A.E. C ou Certificat d’Aptitude à l’Enseignement dans les Collèges. Cette création est à mettre en relation avec la politique de réforme de J. Carcopino qui, en la matière, fait preuve de pragmatisme. Par la loi du 15 août 1941, il transforme en effet les Ecoles Primaires Supérieures (E.P. S) en collèges modernes. Le C.A.E.C est créé le 28 décembre 1941 et cette création est l’une des rares à survivre à la Libération et à la volonté de gommer, dans les moindres détails, l’œuvre du régime de Vichy. En avril 1950, le C.A.E.C se transforme ensuite en CAPES. Le petit monde de la faculté prépare, bien sûr, ce nouveau concours. Pour l’année 1941-1942, 6 personnes sont admises : 2 en histoire-géographie, 2 en anglais et 2 en allemand. En 1942-1943, le C.A.E.C se banalise mais ils ne sont que 5 à l’obtenir (2 en lettres classiques, 1 en histoire-géographie et 1 en anglais). De 1939 à 1945, ils sont finalement 33 à obtenir l’ancien certificat d’aptitude ou le nouveau C.A.E.C.

44La faculté des Lettres de Lille continue donc à enseigner à un public étudiant nombreux. Même dérangée dans ses habitudes par l’occupation, elle poursuit sa tâche d’enseignement. Elle s’occupe du baccalauréat, délivre, de 1939 à 1945, 2.634 certificats d’études supérieures, attribue 422 licences complètes, valide 127 D.E.S et 4 thèses ; 26 candidats sortant de ses rangs obtiennent l’agrégation. Suivant l’évolution législative en vigueur, elle commence même à préparer au C.A.E.C. Il y a donc, au niveau des examens et des concours, une continuité certaine avec la vie universitaire d’avant la défaite.

45Au niveau des cours, des méthodes pédagogiques et des emplois du temps, les choses changent selon les périodes. L’épisode de la drôle de guerre apparaît fort délicat, les enseignants étant, pour la plupart mobilisés ou évacués. L’exode universitaire et son échec en mai-juin 1940 marque une période très difficile. Quelques cours sont donnés ; des sessions d’examen sont organisées dans les hôtels du Touquet. On manque de tout et l’on vit d’expédients. A partir de 1941, les choses se stabilisent cependant. Les lacunes dans le personnel, liées au retour tardif des titulaires ou aux mutations, entraînent néanmoins une vie universitaire chaotique. Les enseignements trop spécialisés sont supprimés. Un même professeur prend souvent un vaste champ disciplinaire. L’histoire ancienne par exemple n’existe plus à la faculté jusqu’au retour de M. Henne, en janvier 1942. L’italien disparaît également tout comme une grande partie des options qui faisaient la richesse de l’enseignement. L’étude de la langue et de la littérature anglaises continue à exister malgré la présence allemande et l’opposition vichyssoise à l’Angleterre, ennemie en lutte contre l’Allemagne. Les livrets étudiants de cette période ne sont en rien modifiés (lorsqu’ils sont imprimés...) par une quelconque intervention allemande ou vichyssoise. Ils continuent de présenter les diverses formations, les programmes et les conditions d’inscriptions qui restent identiques. Le livret présente également, pour chaque examen ou concours préparé, le contenu précis des épreuves104. Le régime de Vichy ne crée pas à Lille de nouveaux certificats de licence et ne semble pas vouloir s’immiscer dans la vie quotidienne de la faculté. On retrouve, en examinant les programmes, les mêmes questions et les mêmes auteurs, grands classiques de la culture humaniste traditionnelle. Tout juste peut-on noter une réaffirmation des grands textes anciens et des grands moralisateurs de l’Antiquité. En histoire-géographie, les questions abordées insistent peut-être davantage sur le phénomène monarchique que sur la démocratie. En histoire ancienne par exemple, pour l’année 1942-1943, les étudiants travaillent en licence sur les institutions politiques dans l’ancien Orient (Royaumes de Pergame...). Le texte précise bien que les cités grecques sont exclues du programme. Mais les changements sont minimes dans le contenu des questions abordées. Il semble bien que chaque enseignant soit resté libre d’étudier, dans le respect des programmes officiels, chaque question à sa manière, sans avoir à rendre de comptes à quiconque ni avoir à supporter la présence dans ses cours d’observateurs-rapporteurs.

46Les emplois du temps, les méthodes pédagogiques restent sensiblement les mêmes mais il faut tenir compte des conditions de guerre, des pénuries et du rationnement. On apprend à travailler avec peu de moyens et le cours oral renforce sa domination. La faculté manque de papier et de charbon. L’électricité est souvent coupée et les alertes interrompent les cours. Les programmes restent dans l’ensemble, semblables à ceux de la période précédente, même s’ils sont souvent allégés. Le secrétaire d’Etat à l’Education nationale signale par exemple au doyen qu’au certificat d’études grecques, le Banquet de Platon me paraît un ouvrage un peu long et dont certaines parties, telles que les discours de Pausanias et d’Eryximaque, présentent des difficultés bien sérieuses pour les candidats de la licence105. Il écrit au recteur, le 11 septembre 1941 et lui demande plus de modération. Il propose ensuite un découpage par paragraphes et ordonne de procéder à des réductions. Il y a bien liberté mais elle reste tout de même très surveillée.

47La vie universitaire lilloise semble finalement être moins régentée que la vie culturelle des français de l’époque. La France sous Vichy connaît en effet un renforcement considérable de l’intervention de l’Etat dans le domaine des affaires culturelles106. Divers comités d’organisation régissent les industries du cinéma ou les métiers du spectacle. La presse et la radio sont sous influence. A Paris, il y a de multiples interventions pour imposer un enseignement d’ethnologie raciale ou d’histoire du judaïsme mais rien de tel ne se produit à la faculté lilloise. On est certainement trop près du front et de l’Angleterrre et la région du Nord concentre des intérêts économiques trop vitaux pour que l’occupant s’intéresse de près à son enseignement. L’étude attentive des travaux et écrits des professeurs de la faculté107 montre une baisse des productions mais on ne remarque aucun alignement sur les thèmes à la mode dans l’idéologie de la Révolution Nationale. Chaque enseignant continue ses recherches dans son domaine propre. Tout juste peut-on noter une affirmation des études d’histoire et de géographie régionales mais il ne faut pas cependant en conclure à une influence directe de Vichy. L’histoire régionale était déjà fortement développée dans l’entre-deux-guerres autour du professeur Saint-Léger. Il n’y a donc que très peu d’ingérences directes des autorités vichyssoises ou allemandes dans le détail des cours et des méthodes utilisées. Il faut pourtant noter ici, une création du gouvernement de Vichy qui touche encore très peu la faculté : la création des postes d’assistants. On se souvient que l’augmentation des effectifs étudiants dans l’entre-deux-guerres avait nécessité l’apparition de travaux pratiques confiés à des chargés de T.D. C’est dans les facultés de Médecine qu’était apparu ensuite tout un personnel de préparateurs qui en 1925 avaient pris le titre d’assistant108. C’est le gouvernement de Vichy qui introduit dans les facultés des Lettres cette nouvelle catégorie de personnel en 1942. Il s’agit le plus souvent d’agrégés de l’enseignement secondaire, détachés et qui sont chargés de la direction des T.P et de la correction des copies. A titre exceptionnel, ils peuvent diriger des explications de textes, déclare le décret du 13 mai 1942. A Lille, les assistants arrivent en petit nombre. L’annuaire109 de l’année 1942-43 en annonce deux, un en grec et un en français.

48Les changements sont donc mineurs dans les structures universitaires, par rapport à la période d’avant-guerre et la continuité est de rigueur. Au niveau des conditions de vie par contre, les choses sont bien différentes. Si les enseignants peuvent, par leur salaire et leur notabilité, s’en sortir sans trop de problèmes, les étudiants connaissent souvent une situation matérielle précaire. Tous les rassemblements publics sont interdits et la vie étudiante sombre dans la grisaille. C’en est fini des monômes et des chahuts. Les français se recroquevillent comme dans une coquille110. Bien plus, il est devenu primordial de se montrer discret, voire de ne plus se montrer pour éviter les réquisitions de main-d’œuvre. Une vie austère faite de méfiance et de suspicion angoissées pèse sur le quartier latin d’habitude si animé. Très vite, la faculté essaye d’organiser un service social d’entraide et distribue livres et vêtements aux étudiants dispersés dans les armées. Un questionnaire est envoyé en novembre-décembre 1939 aux étudiants inscrits l’année précédente leur demandant d’indiquer leur adresse militaire et leur offrant des colis. 160 répondirent à cette circulaire, beaucoup pour envoyer leur obole en faveur de leurs camarades peu fortunés... 125 demandèrent des vêtements et surtout des livres... Notre œuvre d’entraide a expédié 25 colis de linge et 162 de livres. Les ressources proviennent de souscriptions diverses111. A Lille, la vie étudiante devient difficile. Le logement coûte cher et les allemands ont réquisitionné bon nombre de bâtiments. Les résidences universitaires ne peuvent suffire d’autant que celle des filles est elle-même réquisitionnée. La circulation devient très problématique et les moindres déplacements sont contrôlés. Les déplacements en train sont devenus très risqués du fait des sabotages, des bombardements ou des rafles à la sortie des gares. L’alimentation fait défaut, même si les lillois ne connaissent pas les misères du premier conflit mondial. L’adjoint au maire de Lille écrit au recteur, le 29 mai 1941 : mon cher ami. Il est une amélioration que nous pourrions rapidement apporter, celle qui consiste à préparer dans une cuisine populaire à déterminer, un nombre de rations de soupe plus important que celui que nous préparons actuellement, de manière à permettre de transporter dans le local de la rue de Valmy, chaque jour, vers 11 heures ou 11 heures 30, un nombre de rations égal à l’effectif des étudiants qui prennent leur repas le midi et le soir112. Le rationnement et la raréfaction des produits alimentaires de base pèsent fortement sur les étudiants qui, sans grandes ressources, ne peuvent avoir recours au marché parallèle. Un comité des œuvres sociales en faveur des étudiants est créé dès le début de la guerre qui gère cinq services différents : la médecine préventive et le contrôle médical des étudiants, l’association sportive, le restaurant universitaire, le bureau universitaire de statistiques et la cité universitaire. Un secrétariat existe de façon permanente au rectorat qui peut aider les étudiants dans le besoin par des avances sur les bourses, des prêts d’honneur ou des réductions sur les tickets de restaurant. Le service de médecine a contrôlé en 1943-1944, 3.238 étudiants et étudiantes ; 111 sont porteurs de lésions tuberculeuses et 19 cas sont atteints d’autres troubles pulmonaires ; 513 souffrent d’affections cardiovasculaires diverses ; 252 cas souffrent de troubles de la vue. Sur le total, 2.373 sujets sont déclarés aptes aux sports. Par contre 474 sont jugés inaptes et 333 sont à ménager. On sait que le régime de Vichy voulait promouvoir le sport scolaire et universitaire mais la situation matérielle et physique de la jeunesse empêche bien souvent la concrétisation de ces prétentions. Il est possible également que les services médicaux aient accentué les malheurs sanitaires des étudiants pour éviter une éventuelle embauche forcée. Pour ce qui est du logement, le rapport précise que la maison des jeunes filles est totalement aux mains des allemands. Celle des étudiants est occupée également en partie, les allemands n’y laissant qu’une centaine de chambres. A partir de mai 1944, le bâtiment est d’ailleurs évacué à cause des bombardements aériens. Le restaurant universitaire, rue de Valmy, a servi 74.674 repas en 1943-1944, soit 340 repas par jour en moyenne. Les étudiants peuvent y manger à peu de frais et sans attendre trop longtemps (11 francs). Ce sont là des facilités bien appréciables en ces temps où le problème du ravitaillement est si complexe113. Le secrétariat permanent a reçu 398 visites d’étudiants. Il a réparti 8.000 tickets de réduction au restaurant et a trouvé près de 150 logements en ville ; 10.000 francs ont également été répartis en secours d’urgence à des étudiants en détresse.

49Une vie universitaire continue donc à la faculté. Les effectifs enseignants, très minces au départ, connaissent après 1942 un retour à la normale. Les effectifs étudiants, quant à eux, après une chute brutale, connaissent un essor important. La faculté atteint, en 1942-1943 le chiffre maximum d’étudiants de toute la période avec 1.339 inscrits. Les divers examens et concours continuent à être préparés de la même manière. La vie étudiante doit certes se conformer aux exigences des autorités ennemies. La circulation y est étroitement surveillée ; nombre de bâtiments sont occupés ; le ravitaillement devient un souci permanent. Mais ni les autorités allemandes ni le régime de Vichy ne semblent vouloir régenter et intervenir de façon directe et constante dans la vie quotidienne de la faculté. Les Allemands se contentent d’exiger le calme avant d’espérer trouver dans la population étudiante, un vivier pour les réquisitions de main-d’œuvre. Les ingérences vichyssoises sont plus tardives (après 1941) mais plus nombreuses. Leur portée pratique reste cependant limitée. Les facultés lilloises sont lointaines pour l’Etat Français qui, de plus, doit constamment veiller à ne pas trop bousculer les autorités allemandes qui gardent une main de fer sur la région. le doyen reçoit un blâme pour ne pas avoir respecté les consignes du Ministère ; un enseignant est révoqué ; des étudiants sont arrêtés pour être juifs, réfractaires ou opposants au régime. Mais il n’y a pas d’intervention constante dans les affaires de l’enseignement supérieur lillois qui, dans l’ensemble, continue son existence traditionnelle. La faculté, à la différence du premier conflit mondial, ne semble plus en guerre. Elle apparaît comme un corps sous surveillance mais qui, à l’intérieur de ses structures, continue à vivre sa vie particulière. Il n’y a donc pas de Révolution Nationale digne de ce nom ni de Kulturkampf à la faculté des Lettres de Lille entre 1939 à 1945.

C. – Attentisme, collaboration et résistance à la faculté

50L’institution continue à travailler sous le joug allemand et il est par conséquent fondamental de saisir l’attitude des étudiants et des enseignants face à l’occupant et aux autorités vichyssoises. La majorité du public de la faculté se borne-t-elle a travailler dans le silence, en attendant des jours meilleurs ? Comment se positionne le monde universitaire littéraire face à Vichy et à la Révolution Nationale ou face aux exigences nazies ? L’étude des volumineuses archives départementales du Nord concernant la deuxième guerre mondiale, l’examen de sources annexes, tendent à montrer trois éléments essentiels. L’immense majorité des universitaires joue la carte de l’attente et de la survie de l’institution en respectant la neutralité exigée. Cette réserve n’empêche pas un regard critique sur l’évolution de la France contemporaine ni une résistance passive aux exigences allemandes. Quelques éléments isolés, très peu nombreux, semblent ensuite jouer la carte de la collaboration avec l’Etat Français mais très rarement avec les allemands. La plupart paraît cependant se méfier très fortement des projets et des réalisations du régime de Vichy. Le respect lié à la personne du Maréchal, dans les premières années, ne permet pas de conclure, pour le plus grand nombre, à un soutien à la politique de l’Etat Français. La résistance active reste, elle aussi, très minoritaire. Il faut ici rappeler que la région est sous étroite surveillance et que toute action collective de la faculté aurait entraîné immédiatement de terribles sanctions. Etienne Dejonghe note dans ses diverses études114 la lourdeur de la présence allemande dans le Nord et la précocité du refus de l’armistice. La zone réservée se caractérise par sa condamnation précoce de l’armistice. Ce rejet instinctif s’enracinait dans les souvenirs de la grande guerre. L’armistice est très vite jugé comme une erreur, d’autant que l’on vit dans un climat de guerre continuelle, du fait de la proximité de l’Angleterre. Très vite, la haine de l’occupant s’exprime et a pour corollaire une anglophilie importante. Les nordistes ont souvent le sentiment d’avoir été abandonnés par Vichy. Lycéens, collégiens et étudiants ne sont d’ailleurs pas les derniers à se conformer aux instructions de Londres, exaspérant par là même l’occupant.

51Au niveau universitaire, la position officielle est celle de l’attentisme et du travail en dehors de toute considération politique. L’attentisme de la majorité, jusqu’au bout, semble nettement teinté, et sans doute dès le début, de fronde intellectuelle, conformément aux traditions des universités... Les collaborateurs affichés sont isolés... l’entrée définitive en clandestinité n’est au bout du chemin que pour un petit nombre115. Pascal Ory semble voir juste lorsqu’il parle d’un repli des consciences, d’un grand renfermement de l’universitaire qu’il soit enseignant ou étudiant sur sa conscience personnelle. Cet individualisme, ce repli sur soi, s’il entraîne une faible participation à la résistance active, a également pour conséquence un faible engagement politique aux côtés de la France de Vichy et des partis collaborateurs.

52La collaboration et la faculté. La collaboration avec les autorités allemandes ou vichyssoises apparaît extrêmement limitée dans le monde universitaire lillois. La secousse tellurique116 de 1940 traumatise la majorité des français qui voient pendant un certain temps, le retour du Maréchal Pétain comme un gage d’avenir et de confiance. Mais très vite, surtout dans le Nord, coupé du reste de la France, le régime de Vichy se dissocie de la personne du Maréchal avant que ce dernier lui-même ne voit son image se dégrader au gré des progrès de la collaboration. Le préfet Carles cherche bien des relais dans sa politique de collaboration mais il ne trouve personne dans le milieu universitaire lillois qui réponde pleinement à ses appels. Il existe certes une collaboration obligée entre les universitaires et les autorités allemandes ou vichyssoises. Tout déplacement hors de la ville exige une autorisation. Le recteur Duez, les doyens mais aussi les enseignants sont amenés à rencontrer assez souvent des dignitaires allemands ou des représentants de l’Etat Français pour rendre compte de leurs activités. La faculté ne peut donc ignorer Vichy et ses textes mais il s’agit là d’une collaboration administrative inévitable dans une zone où tout est étroitement surveillé. Il n’y a pas pour autant volonté de soutenir la politique entreprise par le gouvernement. Les visites de personnalités vichyssoises qui se multiplient après 1941, obligent les autorités universitaires à un semblant de collaboration. Le recteur Duez doit recevoir Abel Bonnard en juillet 1943 pour la remise des prix du lycée Faidherbe ; le doyen Audra, quant à lui, se fait remplacer par le professeur Le Breton qui est bien obligé d’y aller. Il n’y a pas cependant de « chantre » de la collaboration à la faculté et la nomination à la direction de l’enseignement supérieur de Léon Préchac, en février 1942, reste délicate à interpréter. Nommé par le régime de Vichy, à un poste très important, Préchac est certes un allié fidèle des idées de la Révolution Nationale. Désormais grand administrateur, c’est lui qui signe l’arrêté du 15 mars 1943 révoquant son ancien collègue lillois, le professeur Saurat. Doit-on pour autant en conclure à son adhésion à la politique de collaboration avec l’Allemagne ?

53Les divers organes de la collaboration arrivent dans le Nord avec retard. Une circulaire117 du 6 août 1941 annonce que l’autorité allemande vient de donner son agrément à l’entrée en activité sur le territoire du département du Nord du Rassemblement National Populaire (R.N. P). En fait, le parti de Déat et Deloncle est autorisé par l’O.F.K à développer sa propagande à Lille118 depuis le 12 juillet 1941. L’activité du RNP, réduite à de rares distributions de tracts ou à des voies de fait sur les organes israélites, rencontre l’indifférence et plus souvent encore l’hostilité de la population119. Le premier novembre 1941, à deux heures du matin, la vitrine du parti. Rue Faidherbe, est brisée par une brique lancée par des inconnus. Le 27 octobre 1941, Marcel Bucard ouvre à Lille un bureau du Parti Franciste. Le Parti Populaire Français obtient lui le droit de reprendre son activité en décembre 1941, mais son activisme ne se développe réellement qu’à partir du printemps 1942. Le 12 avril 1942, Doriot vient à Lille120 prendre la parole devant un peu plus de 1.500 personnes. La Milice, créée par Vichy le 30 janvier 1943, n’est autorisée dans la zone nord qu’à la fin janvier 1944. Elle doit attendre le 19 mars pour obtenir le feu vert de Bruxelles. Marc Sueur signale121 la présence d’une trentaine de très jeunes gens, surtout à Lille, mais la Milice rencontre l’hostilité virulente de la population nordiste et de nombreux hauts fonctionnaires inquiets du ton cassant qu’elle emploie et des pouvoirs qu’elle s’attribue. Les mouvements collaborateurs existent donc bien à Lille mais ne réussissent à obtenir qu’une influence minime, même s’ils ont parfois un certain succès122 chez les jeunes. L’agglomération lilloise, haut lieu de la collaboration politique dans le département, connaît une population étudiante et lycéenne importante et les partis n’ont pas manqué de prospecter ce milieu... R.N.P et P.P.F comptent ainsi plus de 3,5 % d’étudiants alors que la proportion dépasse 11 % au francisme123. L’étude de Marc Sueur précise ensuite les origines socio-professionnelles des membres des mouvements collaborateurs dans le Nord. 11 signale 42 étudiants (au sens large) pour l’ensemble des mouvements du département qui regroupent 857 personnes, soit 4,9 % du total : 12 sont affiliés au R.N.P (3,5 %), 8 au P.P.F (3,70 %) et 13 au parti franciste (11,4 %). En fait, c’est surtout dans les milieux populaires urbains, parmi les petits fonctionnaires, les commerçants et les salariés que ces mouvements recrutent. La classe moyenne urbaine joue un rôle fondamental dans ces mouvements collaborateurs. En fin de compte, les groupes collaborateurs du Nord semblent particulièrement instables et leur propagande paraît souvent vouée à l’échec dans l’opinion. Au sein même des mouvements, les rivalités de personnes sont multiples. La métropole lilloise apparaît cependant comme un pôle de force dans cette faiblesse. Les actions de propagande, relayées par la Propaganda-Staffel s’en prennent surtout au bolchevisme et à ses alliés anglais et américains. Une petite brochure de quinze pages124 présente, en 1944, le soldat de la Libération comme un criminel de droit commun, fourrier de l’invasion communiste. Une lettre du commissaire central de police au préfet, datée du 18 janvier 1944, signale qu’un film est projeté en ce moment dans diverses salles de la ville. Il a pour titre Résistance et son but est de mettre en garde la jeunesse125 contre la séduction de la vie terroriste. Il dépeint l’odyssée de deux jeunes gens qui prennent le maquis pour se soustraire au S.T.O. Embrigadés, ils pillent une ferme puis doivent saboter une voie ferrée. Effrayés par les conséquences de leur acte, ils s’enfuient et se livrent à la gendarmerie qui arrive trop tard pour éviter le déraillement. Le rapport note que le film a eu un effet indéniable sur le public. En juillet 1942, Lille accueille l’exposition anti-bolchévique, juste après Paris. Elle dure jusqu’au 13 septembre et le prix d’entrée est fixé à 2 Francs par personne, le ticket donnant droit à un spectacle documentaire cinématographique. Un camion126 parcourt les communes du département du Nord pour faire connaître l’exposition. Le vernissage a lieu le 11 juillet sous la présidence de Paul Chack. Le Grand Echo du Nord, sous la botte allemande, insiste127 fortement sur le succès de la première journée. Le même journal signale le 23 juillet que l’exposition connaît une affluence considérable. Abel Bonnard en personne vient visiter l’exposition avant de présider la distribution des prix du lycée Faidherbe. Les semaines suivantes, le Grand Echo consacre presque journalièrement un long article à l’exposition pour dépeindre les horreurs de l’enfer soviétique. Annoncée à grand renfort de publicité, l’exposition sur le bolchevisme et l’Europe semble avoir rencontré tout d’abord un certain succès de curiosité mais l’intérêt s’estompe vite. Dès la fin juillet, l’affluence dépasse rarement une centaine de personnes par jour128 et les étudiants lillois ne semblent pas avoir apprécié plus particulièrement cette exposition. La salle des fêtes de l’université, installée à la faculté des Lettres, se voit également dans l’obligation d’accueillir un certain nombre de conférences collaborationnistes. Le 14 juin 1942, le Ministère de l’Information et de la Propagande y organise129 une réunion. Le préfet Carles en est le président d’honneur et l’on compte près de 600 personnes dont une centaine de femmes. Le service d’ordre est assuré par les militants du P.P.F et du francisme. Le thème abordé ce jour-là est celui de l’agression anglaise contre Madagascar et la défense de l’Empire français. Le but évident est de montrer comment les anglais profitent de la guerre pour confisquer l’empire. Le 6 août 1942, une nouvelle réunion est organisée qui traite des syndicats et du communisme. Il n’y a plus qu’une cinquantaine130 d’auditeurs. Les membres du corps enseignant de la faculté ne sont pas là, le rapport aurait été trop content de signaler leur présence. Le 14 août 1942, un nouveau rapport signale une réunion où l’on traite de l’Espagne et des mérites du général Franco. Le 5 novembre, le Grand Echo du Nord annonce que Georges Claude a fait un exposé à Lille, salle de l’université, sur la nécessaire réconciliation franco-allemande, en appelant à la collaboration des peuples. Le préfet Carles est bien là mais le recteur Duez se fait remplacer131 et il n’est pas mentionné la présence d’universitaires. Ceux-ci semblent donc bouder les réunions organisées dans leurs propres locaux par l’élite collaboratrice.

54Les mouvements collaborateurs existent bien à Lille et dans le Nord mais leur implantation est tardive et leur écho reste extrêmement limité. Etant donné la variété des opinions et des positions dans le public étudiant, il a sans doute existé quelques étudiants de la faculté qui ont adhéré, en pensée ou même par l’action, à tel ou tel mouvement collaborateur. Mais il ne peut s’agir là que d’éléments isolés, extrêmement minoritaires. Chez les enseignants, les contacts avec les autorités allemandes et vichyssoises sont plus nombreux, par la force des choses. Mais il n’y a pas d’entrée en collaboration. De la présence à une réception officielle, on ne peut tirer une conclusion hâtive sur l’adhésion des universitaires lillois à telle ou telle idée. De toute façon, les enseignants et les étudiants de la faculté semblent surtout briller par leur absence dans toutes les manifestations de la vie collaboratrice lilloise.

55La résistance à la faculté. La résistance à l’occupant puis au régime de Vichy est, par contre, beaucoup plus d’actualité. Certes, il s’agit le plus souvent d’une fronde intellectuelle, d’une résistance indirecte et les engagements dans le combat réel contre l’occupant sont très rares. Mais, dès 1940, il semble bien que la population nordiste, et le monde universitaire en particulier, rejettent l’idée d’une nouvelle domination allemande et d’une quelconque collaboration avec lui. En fait, l’opposition aux allemands, renforcée par le souvenir de l’occupation précédente, est quasi immédiate. La haine du « boche » est tenace et l’anglophilie reste forte, liée au souvenir des combats communs de la grande guerre. Le fait d’être une région frontière, menacée d’intégration dans le Reich, renforce encore l’opposition. Si l’entrée en résistance est rare, le mépris pour les occupants et les collaborateurs est quasi général. Dès lors, on multiplie les actions d’opposition, les diffusions d’imprimés, en prenant bien soin de s’arrêter avant toute possibilité de sanctions graves. L’étude des multiples dossiers des archives départementales laisse l’impression d’une perpétuelle lutte entre les autorités allemandes et les lillois qui multiplient les actes de refus. L’ambassadeur de France, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, signale, dans une circulaire132 sur la dissidence du 5 mai 1941, l’importance de la propagande gaulliste et condamne les intellectuels, les professeurs surtout qui stimulent cette propagande. Certes, il n’y a pas. à Lille, de grande manifestation collective d’opposition à la présence allemande. La ville ne connaît pas sa manifestation133 du 11 novembre 1940. On se souvient en effet qu’à Paris, les étudiants avaient participé le 11 novembre 1940, à une grande manifestation patriotique. L’activité des étudiants gaullistes et communistes du quartier latin avait d’ailleurs contribué à façonner un état d’esprit favorable134 à la manifestation. A Lille, rien de tel ne se produit mais la résistance apparaît plus diffuse, plus individuelle et plus constante. Dans la région, l’influence gaulliste apparaît active mais elle largement dépassée par l’influence et le combat communistes. Ce combat est du reste enclenché par les militants avant l’agression allemande contre l’U.R.S.S en juin 1941. Le pacte de non-agression d’août 1939 avait souvent jeté le trouble chez les militants nordistes135. Pour les autorités du parti communiste en effet, la guerre, jusqu’en juin 1941, n’est pas la leur et n’est qu’un conflit entre puissances capitalistes pour affaiblir l’U.R.S.S. Un tract136 d’avril 1941 appelle par exemple les travailleurs à célébrer le premier mai 1941 et note les buts anti-ouvriers et anti-soviétiques de cette guerre impérialiste. Mais pour nombre de militants, la lutte contre l’occupant devient vite une priorité, beaucoup n’hésitant pas à condamner la direction du parti. Dès l’invasion de l’U.R.S. S, la direction du P. C.F change totalement d’attitude et entre dans la guerre pour la liberté de l’U.R.S.S et la libération de la France. C’est désormais137 la guerre des peuples contre la barbarie fasciste.

56A Lille, les facultés et les écoles apparaissent souvent comme des lieux d’opposition aux allemands et à Vichy. Le maire de Lille138 écrit aux doyens, le 18 octobre 1940, pour leur signaler qu’il a reçu des observations très sévères des autorités allemandes au sujet d’inscriptions offensantes, dessinées sur les murs des facultés. Le doyen Audra répond le 21 octobre et l’informe qu’il a déjà mis en garde139 les étudiants contre de semblables pratiques. Une véritable bataille de l’écrit commence qui ne s’achève qu’avec la Libération. Chaque jour, les rapports de police signalent de nouvelles inscriptions dans les toilettes publiques, sur les murs des maisons, qui en appellent à la lutte ou calomnient les allemands et leurs valets vichyssois. Le rapport140 du 12 juin 1941 nous apprend par exemple que des tracts ont été diffusés à Fives, émanant de la Relève, organe de l’Union des Etudiants et Lycéens Communistes. Le 24 avril 1941, le recteur Duez écrit au maire pour lui demander de désigner deux gendarmes afin que ceux-ci surveillent la faculté des Lettres qui est constamment l’objet de graffiti gaullistes et communistes141. Les inscriptions à la chaux, le collage de petits papillons se multiplient contre les allemands, les traîtres de Vichy et leur régime pourri. Le préfet indique que des enseignants sont certainement les initiateurs142 de telles campagnes de tracts. Les Vive Churchill ! Ecoutez Londres ! Vive de Gaulle ! se multiplient sur les murs de la métropole alors que les affiches officielles sont lacérées. On s’en prend également à Hitler, Attila du XX^e siècle, chien enragé143. Les manifestations publiques et les rassemblements de foule étant interdits, les commémorations des grands événements nationaux se font de façon détournée. Divers tracts appellent ainsi à la mobilisation le dimanche 20 septembre 1942, pour célébrer le 1 50^e anniversaire de la bataille de Valmy. Les habitants doivent se rassembler et porter les couleurs nationales. La fête de Jeanne d’Arc, la commémoration du 11 novembre, du 14 juillet deviennent des journées sous haute surveillance policière. Une lettre du commissaire de police, datée du 6 mai 1942, signale que la statue de Jeanne d’Arc est surveillée jour et nuit144. On veut éviter le renouvellement des actions ponctuelles de l’année précédente. De nombreuses personnes avaient en effet défilé devant la statue mais par groupe de deux ou trois145, en levant deux doigts en l’air pour faire un V. Les papillons se multiplient, diffusés en grande partie par les jeunes.

La bataille de l’écrit sur les murs lillois pendant la seconde guerre mondiale

57L’opposition des jeunes prend également bien d’autres formes. Le 28 janvier 1942 au soir, un groupe sortant de la maison des étudiants se livre, aux environs de la place de la République, à un tapage nocturne. Le recteur Duez intervient et doit condamner les auteurs de cet acte qui mettent en péril les intérêts de l’université146 Le 1 8 juin 1943, un incident se produit devant la faculté des Lettres147, entre des étudiants (Studenten) et une unité allemande : à 7h30, rue Angellier, 540 jeunes gens de 17 à 20 ans, se trouvent réunis devant la faculté pour y passer la première partie du baccalauréat ; ils stationnent devant l’édifice, sur le trottoir et sur une partie de la chaussée ; une patrouille allemande d’une cinquantaine de soldats, marchant au pas, arrive ; le commandant crie quelques ordres puis les soldats prennent leur fusil par le canon et frappent le groupe, faisant rentrer les élèves dans la salle, en les poursuivant à coups de crosse ; 36 élèves sont ainsi blessés. La version allemande des faits est claire. Les « étudiants » ont bien entendu l’ordre du chef de dégager la rue mais n’ont pas voulu bouger. Le chef de l’administration militaire, Höfenmayer, indique que des incidents analogues ont déjà eu lieu plusieurs fois148 avec des étudiants. En cas de renouvellement de pareils incidents, l’université devra compter sur des mesures très sévères. Le préfet Carles rend compte aussi vite de ce grave incident à l’ambassadeur de France pour les territoires occupés149. Les autorités semblent donc avoir fort à faire avec la jeunesse du Nord. Le préfet signe, le 28 mars 1941, un arrêté sur la surveillance de la jeunesse150 où il condamne les campagnes de propagande ennemie qui troublent l’esprit des jeunes. L’O.F.K 670 écrit à ce sujet au préfet, le 28 mars 1941 : les effets de la propagande ennemie se font de plus en plus sentir ces derniers temps... la distribution de tracts... les maisons ont été barbouillées systématiquement d’inscriptions anti-allemandes. Le port d’images anti-allemandes... a été remarqué… dans la plupart des cas, des jeunes participent au barbouillage des maisons151. Pour le 28 mars 1941, la brigade constituée pour l’enlèvement des inscriptions sur les murs des habitations de Lille signale152 avoir effacé 5.500 V, 300 croix de Lorraine, 14 « Vive de Gaulle », 4 « A bas les allemands » et un « Vive Churchill ». Un rapport du commissaire de police daté du 8 mars 1941, précise que chaque mercredi et samedi, le quartier des facultés est soumis à une surveillance particulière de la police153. Il s’agit surtout d’éviter que les étudiants ne continuent à renverser les poubelles sur la chaussée avant le passage des patrouilles allemandes. Le 28 mai 1941, vers 12h30, un incident éclate154 aux bains lillois. Un étudiant, en plongeant, a touché assez brusquement un officier allemand qui nageait dans la piscine. L’officier a déclaré que c’était la deuxième fois que le fait se produisait. Ces différents exemples témoignent d’une première forme d’opposition aux consignes allemandes ou vichyssoises mais ce n’est là que le premier degré de l’engagement dans la résistance.

58Le monde universitaire s’engage aussi plus avant dans la résistance, en utilisant des formes et des méthodes variées. Le simple fait de lutter constamment pour la survie de l’université peut apparaître comme un signe de résistance et de confiance en l’avenir. Dans la drôle de guerre, face à la débâcle, le monde universitaire fait preuve de courage. Il se replie sur le Touquet mais continue son enseignement dans le hall des hôtels. Il n’hésite pas, après la défaite, à retourner dans une métropole occupée pour continuer sa mission. Au milieu de toutes ces vicissitudes... elle a été sauvée par sa volonté farouche de durer à tout prix, dans sa claire conscience que c’était là un devoir impérieux, devoir envers le pays, devoir envers cette région du Nord où elle est en quelque sorte, la gardienne des valeurs intellectuelles et morales155. Mettre la clef sous la porte et abandonner la région du Nord seraient un aveu d’impuissance et une trahison envers la région. Après la Libération, le recteur Duez, dans son allocution156 de rentrée du 7 novembre 1944, décrit bien l’état d’esprit ambiant au sein des facultés : réinstallées à Lille, dès la fin du mois de juin 1940, les facultés... ont formé le carré pour repousser les attaques contre la culture française... Elles sont systématiquement demeurées sourdes aux diverses demandes, propositions et suggestions émanant de l’occupant en vue d’une infiltration de la pensée et des méthodes germaniques... l’attitude de notre corps professoral a été si ferme et si digne que l’ennemi... a finalement renoncé à la poursuite de ses tentatives. Les facultés continuent ainsi leur travail traditionnel, niant par là même toute prétention allemande à diriger les esprits. C’est là une première forme de résistance.

59Les dossiers des archives départementales du Nord et des archives municipales de Lille contiennent de nombreux procès-verbaux des commissaires de police qui indiquent, semaine après semaine, les arrestations très nombreuses opérées par les allemands. Si les ouvriers (métallurgie, mines, textile, chemin de fer) et les instituteurs semblent être à la pointe du combat, il n’en demeure pas moins que des étudiants ont également des ennuis avec la justice d’occupation. Leur poids relatif dans ces arrestations est en fait à mettre en relation avec leur faible importance dans la population totale de la région. Le 8 mai 1941, le commissaire de Tourcoing annonce157 au préfet que quinze personnes ont été arrêtées et incarcérées à Loos pour propagande gaulliste dont deux étudiants. Un autre rapport du 17 juillet 1943 note quatorze arrestations dont un étudiant et une étudiante158 parce que de race juive et en situation illégale en France. Le rapport du 24 juillet 1943 indique neuf arrestations dont un professeur d’Ecole Normale et trois étudiants159 pour propagande gaulliste. Celui du 24 décembre 1943 relate dix arrestations dont celles de deux étudiants impliqués dans une affaire d’émission radiophonique clandestine160.

60Avec le développement des sabotages en 1942-1943, les allemands multiplient les arrestations. Les listes des personnes arrêtées par les allemands à Lille (conservées aux archives municipales) sont composées de deux registres161 et contiennent quelques fiches sur des étudiants. Mademoiselle X, née en 1926, est arrêtée le 27 septembre 1943 à son domicile, possédant le matériel d’une imprimerie clandestine ; tel autre étudiant a chanté l’Internationale dans les rues ou lacéré des affiches officielles ; telle autre étudiante est arrêtée le 10 décembre 1943 pour émission radiophonique clandestine. Le fichier central des arrestations du Ministère de l’Education Nationale162 comptabilise, pour l’académie de Lille, 133 arrestations. Les instituteurs et institutrices représentent environ 90 de ces arrestations (67,6 %). Les étudiants arrêtés (avec les élèves du secondaire) sont une petite dizaine. Le concierge du lycée Fénelon est aussi suspendu de ses fonctions pour avoir permis la circulation de brochures interdites. Telle étudiante d’agrégation d’histoire est arrêtée le 2 avril 1943 : elle aurait essayé de monter l’évasion de son mari, prisonnier de guerre. Des enseignants de l’université connaissent également l’arrestation et parfois la captivité. Le professeur Guy Debeyre (droit) est ainsi prisonnier à l’offlag XIII-A Interlager A-n° 926. Sa famille, ses collègues réclament très vite163 son retour auprès des autorités d’occupation. Le docteur Henri Paucot (médecine) qui ne cachait pas son hostilité aux occupants et facilitait le passage de jeunes gens en zone libre, est arrêté par les allemands le 26 juin 1941 puis condamné le 3 octobre 1941 par le tribunal militaire allemand à trois ans de prison. Le préfet Carles intervient ainsi que le recteur auprès de l’ambassadeur de France pour les territoires occupés. Un rapport de police signale164 que le professeur compte de nombreux amis dans le monde israélite et qu’il avait été remarqué en 1941, à l’occasion de la manifestation qui s’était déroulée à Lille devant la statue de J. d’Arc. Une note du 18 décembre 1942 affirme qu’il serait enfin rentré chez lui.

61L’influence du monde universitaire lillois dans les réseaux résistants est cependant extrêmement délicate à saisir. Clandestins par obligation et par définition, ces mouvements ont laissé peu de traces. On peut cependant affirmer qu’il y a bien des étudiants et des enseignants qui s’engagent activement dans la résistance, mêmes s’ils demeurent une infime minorité. Le Front de la Jeunesse Patriotique (F.J. P) d’obédience communiste, le Mouvement Jeune Résistance recrutent en zone occupée mais restent des mouvements limités dans la région. Si l’entrée en résistance relève d’un choix, cette décision n’a concerné pendant la dernière guerre qu’une minorité165. Le Groupe d’Autodéfense de l’Union des Etudiants Patriotes, le Front National Etudiant ont du mal à recruter dans le Nord, dans une zone interdite, extrêmement contrôlée par les allemands. Le Front National Universitaire qui s’organise, dès 1941, à la Sorbonne puis essaime dans toute la France, rédige de nombreux journaux dont l’Université Libre166. Le numéro du premier mai 1944 (n° 94) signale que la Gestapo vient d’assassiner une jeune femme, professeur au collège de Douai, ancienne élève de la faculté des Lettres167 de Lille qui avait refusé de donner des renseignements sur son mari passé dans le maquis. Elle serait décédée après cinq jours de tortures. Les réseaux de résistance, implantés dans le Nord, recrutent certes des étudiants ou des enseignants mais ils n’en constituent pas l’ossature. Le Réseau Garrow qui organise la fuite de pilotes anglais abattus au dessus du Nord est peu ouvert au monde universitaire. Le réseau Farmer, plus spécialement orienté dans le renseignement et le sabotage, organisé par Michel Trotobas, qui arrive à Lille en décembre 1942, compte 1.200 membres environ168 en novembre 1943 dont quelques étudiants. Mais le recrutement se fait surtout dans le monde du travail, des cheminots, des fonctionnaires des P.T. T, des métallurgistes et de la petite industrie. L’examen des verdicts et jugements de la section spéciale de la cour d’appel de Douai, qui se réunit pour la première fois le 11 septembre 1941, est également significatif. Elle connaît en tout 149 audiences dont la dernière, le 24 août 1944 : 1.966 personnes169 comparaissent devant elle ; 725 sont acquittées ou relaxées et 1.241 condamnées dont 32 aux travaux forcés et 12 à la peine de mort par contumace ; 5 sont exécutées. La répartition par professions donne une très nette domination des mineurs de fond (46,9 %) et des autres ouvriers (10,12 %). Sur le total des 1.966 arrêtés, ils ne sont que 9 à être répertoriés comme étudiants, soit 0,45 % du total. Les motifs sont très variés mais l’agitation, la propagande et l’action communiste représentent 75,9 % du total des arrestations. Des enseignants et des étudiants s’engagent donc bien dans le combat contre l’occupant mais ils sont peu nombreux.

62Le groupe « ID » du réseau WO-capitaine Michel, recrute sur Lille. Louis Huyghe est étudiant en Médecine à Lille durant la guerre. Il a 20 ans en 1943. Ancien scout, il s’engage dans la résistance. En octobre 1943, il est contacté au restaurant universitaire de la rue de Valmy par un jeune résistant déjà membre du réseau. Louis Huyghe monte alors son propre réseau « ID » qui se divise lui-même en six groupes dont un groupe étudiant170 (IDB). A la faculté des Lettres, quelques professeurs et étudiants s’engagent aussi dans le combat. Vladimir Jankélévitch, professeur de philosophie morale, est mobilisé en 1939 puis blessé en juin 1940. Diverses lettres demandent ensuite au doyen Audra un rapport171 sur le professeur Jankélévitch. Très vite, la faculté demande le retour de l’enseignant et le préfet du Nord écrit au doyen le 30 novembre 1940, pour lui annoncer qu’il va faire son possible pour obtenir le retour du professeur qui, remis de ses blessures, a été affecté à titre provisoire à la faculté des lettres de Toulouse. Hospitalisé à Marmande, c’est là qu’il y apprend qu’il est révoqué de l’université par les lois d’exception qui frappent les fils d’étrangers n’ayant pas la nationalité française à titre originaire (origine juive). A Toulouse, sous une fausse identité, il aide une organisation étudiante clandestine qui s’efforce de soutenir les réfractaires au S.T.O en les faisant passer en Afrique du Nord via l’Espagne et Gibraltar. En 1943, il fait partie des réseaux clandestins Ajax et Les étoiles. A Toulouse, V. Jankélévitch, qui est en contact avec différents mouvements de résistance, fréquente les librairies où circulent les brochures éditées clandestinement172. Invité en 1941 par la Rockfeller Foundation à venir enseigner aux Etats-Unis, il refuse et choisit de rester en France pour lutter contre l’occupant. A Toulouse, il constitue un petit noyau d’intellectuels résistants avec Jean Cassou, Clara Malraux, Jean-Pierre Vernant, Edgar Morin.

63Le doyen, dans son rapport sur l’activité de la faculté pendant l’année 1944-1945, en même temps qu’il célèbre la victoire alliée, signale que le professeur Edouard Perroy a quitté la faculté, en février, pour aller diriger la Commission d’Histoire de l’Occupation et de la Libération de la France. Il note173 également que le professeur Perroy a joué un rôle important dans la résistance. Sous le pseudonyme de « Besson », il a dirigé divers réseaux clandestins dans le Forez. Le rapport du doyen de la faculté des Sciences, pour l’année 1943-1944, signale l’importance de la résistance passive mais insiste également sur la résistance active. Lors de la libération de Lille, en septembre 1944, beaucoup de jeunes ont pris les armes. Deux professeurs de la faculté de Médecine ont d’ailleurs joué un rôle de médecins de la résistance. Certains de nos étudiants (4 pour la faculté des Lettres) ont été arrêtés sous l’inculpation d’espionnage et sont internés en Allemagne174 Mais c’est surtout face au S.T.O que le monde universitaire se positionne nettement dans la résistance. Les étudiants de l’université de Paris et des grandes écoles175 rédigent une lettre ouverte au Maréchal et déclarent que le silence dans lequel ils se terrent depuis deux ans ne signifie pas une acceptation des événements dont ils sont les spectateurs attristés. Ils se disent indignés par la déportation brutale de milliers de travailleurs. Une à une se sont effeuillées les illusions des plus candides d’entre nous... De concession en concession, nous avons vu la France, liée de plus en plus à son vainqueur. Haïssant le mensonge de la Collaboration, les étudiants parisiens déclarent refuser de façon énergique le S.T.O. Tous ceux qui en ont les moyens doivent échapper à l’enrôlement dans la machine de guerre allemande. Cette lettre de protestation parisienne a des échos à Lille. Un rapport du commissaire de police176 au préfet, daté du 12 mars 1943, indique en effet une reprise de la propagande gaulliste et communiste. De nombreuses personnes de l’arrondissement de Lille ont reçu par la poste, sous enveloppe, la lettre des étudiants parisiens. Les lillois ont donc connaissance de l’action de résistance parisienne et la crise du S.T.O joue un grand rôle dans l’entrée en dissidence de nombre de jeunes gens, désormais placés devant un dilemme délicat : partir en Allemagne ou devenir réfractaire. Le S.T.O a déclenché une crise de conscience grave dans la jeunesse177. Le 15 mars 1943, le cardinal Liénart organise une grande veillée de prière à Saint-Martin de Roubaix, devant de nombreux jeunes. Ses déclarations, simplifiées et habilement exploitées par la Propagandastaffel sont reprises dans la presse sous le titre178 : acceptons le S.T. O, il est lâche de se dérober. Le cardinal conteste l’interprétation de ses propos et, le 21 mars, devant 7.000 jeunes rassemblés en l’église Saint-Maurice, il corrige, protestant contre l’usage qui a été fait de ses paroles : Je ne suis à la remorque d’aucune propagande je ne dis pas que ce soit un devoir de conscience d’accepter le S.T. O… on peut donc s’y dérober sans pécher179. Très vite, le monde universitaire lillois s’organise180 pour détourner la loi. Quant aux étudiants, les deux universités refusent d’entrer en rapports directs avec les services du travail obligatoire et de livrer leurs listes. De nombreux coups de téléphone furent échangés, les visites se multiplièrent. Aux enquêteurs, on répondit qu’un tel travaillait dans les mines, un autre dans une usine, un autre à la moisson. Les bureaux du service du STO finirent par se lasser de cette petite guerre. La Direction Régionale à la Main-d’Œuvre écrit au préfet, le 19 juillet 1944 pour lui signaler que le bureau lillois a été l’objet d’un attentat terroriste, le 18 juillet vers 19h30 : quatre individus, après avoir sonné à la porte, 85 rue royale, se sont introduits de force et ont ligoté les deux concierges ; une vingtaine de personnes sont alors entrées et ont allumé l’incendie ; les salles du rez-de-chaussée contenant les fichiers du recensement des entreprises, les salles du premier contenant les fichiers du recensement des classes 1939/4-1940-1941-1942 et le fichier spécial étudiants ont brûlé181. Le doyen Audra, en 1943-1944, signale182 que la lutte contre le S.T.O a mobilisé les enseignants et que presque tous les étudiants ont réussi à y échapper. Le recteur Duez, dans son allocution183 du 7 novembre 1944 insiste lui aussi sur la résistance universitaire et remercie les étudiants pour leur sagesse : ils ont tout de suite compris qu’il convenait dans l’intérêt de la continuité de la vie universitaire et scientifique françaises, d’éviter les manifestations stériles et irréfléchies... Par divers procédés, ils ont su résister à l’application de l’odieuse loi sur le STO… les formes les plus ingénieuses de camouflage ont été mises en application par eux et beaucoup n’ont pas hésité à disparaître… et à mener souvent la vie précaire des gens traqués par une police impitoyable. Le doyen de la faculté des Sciences, chargé de faire le bilan184 de l’année 1943-1944 évoque lui aussi le tournant du S.T.O qui devait toucher près d’un tiers des effectifs étudiants masculins de l’université. Certes, en 1943, quelques étudiants ont été déportés à cause de l’effet de surprise mais ensuite, la presque totalité des étudiants préféra se faire embaucher dans les mines, les usines régionales ou l’agriculture plutôt que de tomber aux mains de l’ennemi. D’autres ont totalement disparu. Ainsi purent s’organiser, pour eux, des mesures leur permettant de garder le contact avec l’Alma Mater, grâce à l’aide très efficace que nous apportèrent les ingénieurs des mines et les chefs d’industries qui les embauchèrent. Des exercices scolaires spéciaux furent institués pour eux et nos professeurs n’y ménagèrent pas leur dévouement. On alla même plus loin et certains étudiants réfractaires... non portés sur les listes, continuèrent à fréquenter les laboratoires et subirent clandestinement les examens185. Il semble donc bien que l’université lilloise fasse bloc pour éviter le départ de ses étudiants vers l’Allemagne. Dans l’entrée en dissidence, et parfois en résistance, le choc du S.T.O semble avoir joué, pour les étudiants tout du moins, un rôle fort important.

64Une dernière forme de résistance peut être décelée. De nombreux étudiants et enseignants se retrouvent en effet prisonniers dans les Oflags et Stalags186. Divers documents montrent que, dans ces camps, se créent de petites universités de captivité où étudiants et enseignants continuent à apprendre, tout en maintenant le moral des troupes. Le professeur Moret, de la faculté des Lettres lilloise, est ainsi l’un des animateurs spirituels de l’Oflag VIII-H. Le recteur Duez célèbre187, dans son allocution, l’œuvre magnifique réalisée dans les camps de prisonniers par l’Université captive qui a su. au milieu des pires difficultés, donner à des milliers d’exilés, le puissant réconfort moral de la culture française. Le professeur Moret, dans son discours de rentrée188 de novembre 1944, tire les leçons de l’université captive, merveilleux exemple de courage : Je garde l’émouvant souvenir de ces premières conférences où, dans une pièce exiguë et misérable, sans livres, sans papier, sans un meuble, sans autres documents que nos souvenirs, nous parlions debout à un auditoire debout, composé de centaines d’étudiants... graves, attentifs, muets. Dans son Oflag, près de vingt-quatre enseignants donnent des cours et font des conférences. Une université est ainsi créée avec trois facultés : Droit, Lettres et Sciences. Une bibliothèque est organisée avec des ouvrages envoyés par la France ou donnés par les familles des enseignants eux-mêmes. Une troupe de théâtre monte des spectacles et un orchestre anime les soirées d’hiver. Certes, cette université captive ne rend pas la vie idyllique mais elle entretient la flamme de l’espérance.

65Dans l’ensemble, le petit monde de la faculté des Lettres de Lille n’est pas entré en masse dans la résistance active au régime de Vichy et à la domination allemande. La germanophobie est cependant une constante. Une guerre perpétuelle contre les consignes allemandes ou les désirs de l’Etat français se joue, chaque jour, à coups de papillons imprimés, d’inscriptions sur les murs ou de sous-entendus dans les cours. La Collaboration, quant à elle, peut attirer quelques cas isolés mais son influence reste très faible. Entre Résistance et Collaboration, la faculté semble avoir choisi la voie d’un attentisme critique qui se transforme en une réelle fronde intellectuelle. Enseignants et étudiants gardent constamment le désir de sauvegarder la Culture Française. Face au S.T. O, les facultés résistent et organisent toute une série de filières qui permettent aux étudiants d’échapper au départ vers l’Allemagne. Pour la majorité, l’attentisme ne signifie pas un repli frileux sur soi et la perte de son âme. Dès que l’occasion se présente, étudiants et enseignants prennent le contre-pied des instructions allemandes ou vichyssoises. La résistance passive est une constante de ces années noires. Par une fronde de tous les instants, discrète mais têtue, ils refusent la compromission. Quand sonne l’heure de la Libération, les universitaires lillois n’ont donc pas à rougir de leurs années d’occupation allemande189.

La faculté des lettres à la libération

66A partir de la fin 1943, les lillois espèrent de plus en plus un débarquement allié mais ils en redoutent, en même temps, les conséquences militaires. Les plus folles rumeurs circulent dans la population qui, bien souvent, se transforment en déception.

A – La libération de Lille et la faculté

67Dès le début de l’année 1944, les nordistes s’attendent à une opération militaire de grande envergure que tous imaginent sur le littoral du Pas-de-Calais. Les bombardements alliés contre les voies ferrées, les gares et les usines se multiplient à partir de 1943. Les 15 et 16 mai 1943, le faubourg des postes est bombardé. En juillet et en août, c’est le tour du quartier de la gare Lille-Délivrance. Le 9 avril 1944, un terrible bombardement touche de nouveau le quartier de la gare : 2.200 bombes sont lancées et 3.500 maisons sont rasées. Il y a de nombreux morts et 400 blessés. Les 10 et 11 mai, de nouveaux bombardements touchent les quartiers d’Hellemmes et de Fives. Les 12-13-14 et 15 juin, les bombardements se multiplient190. Face à la multiplication de ces actions, les nordistes courbent le dos. Si certains utilisent ces événements pour dénoncer la barbarie anglo-saxonne, la plupart se résignent et espèrent une libération rapide. L’opinion publique s’attend cette année à subir de terribles épreuves. Elle commence à redouter un débarquement des forces anglo-saxonnes… il y aura une recrudescence de misères, provoquées par les dévastations de la guerre191. Le rapport sur la semaine du 10 au 16 janvier 1944 signale que les inquiétudes causées par la crainte d’un proche débarquement ne s’apaisent pas. L’opinion publique est troublée192 par la multiplication des attentats et des sabotages. On ne sait plus à quel saint se vouer... Le gouvernement est détesté. Les rapports de police du mois de mars montre une population déçue. Beaucoup s’attendaient à un débarquement dans les premiers jours du mois. Le massacre d’Ascq, le premier avril 1944, renforce encore plus la détermination des nordistes à lutter contre l’occupant. La population toute entière est littéralement saisie d’épouvante devant un tel carnage193. Avec le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie, la population se remet à espérer et apparaît soulagée. L’attentat et la mort de Philippe Henriot, ministre de l’information, entraîne194 dans la population une joie que l’on ne cherche pas à dissimuler. Le 20 août, les allemands brûlent une partie des archives de l’O.F.K puis évacuent le théâtre. Le 31 août, ils font sauter les dépôts de munitions et les aérodromes. Les mouvements de la résistance nordiste, fédérés au sein du Comité Départemental de Libération passent à l’action Le 31 août, ils reçoivent l’ordre d’insurrection donné par les autorités de la résistance. Les premier et deux septembre, la citadelle de Lille est prise par un peloton de F.F.I ; 400 allemands sont prisonniers. Les F.F.I interviennent ensuite dans le centre de Lille et s’emparent de l’Hôtel de Ville puis de la préfecture. Les combats durent les 1, 2 et 3 septembre mais le plus gros des troupes allemandes a déjà quitté la ville. Le 3 septembre à 17 heures, les derniers coups de feu sont échangés. Le nouveau préfet, Roger Verlomme, est nommé par la France Libre, le 2 septembre, suivi par le Commissaire de la République, Louis Closon. Le 3 septembre, les lillois font un accueil triomphal aux soldats alliés qui entrent dans la ville. Les combats de libération ont coûté la vie à une cinquantaine de lillois. Le 30 septembre, Lille fait un accueil délirant au chef du gouvernement provisoire, petit lillois de Paris. Dès juillet 1944 le nouveau préfet du Nord, R. Verlomme, avait installé sa nouvelle équipe clandestine. L’organisation d’un véritable pouvoir souterrain avant la Libération permet de coordonner les actions de lutte et d’éviter les débordements de haine. Avec la Libération se pose aussitôt le problème de l’épuration. Autorités de la France libre et résistants sont d’accord pour reconnaître la nécessité d’une justice sévère contre les collaborateurs. Mais le G.P.R.F veut surtout éviter les exécutions sommaires et les règlements de compte qui feraient sombrer la France dans l’anarchie. Le 25 septembre 1944, la Cour de Justice de Douai entre en fonction mais, devant l’afflux de dossiers, on crée des sous-sections à Lille, Valenciennes et Arras. Pour le seul département du Nord, 4.000 personnes sont sanctionnées. Plus de 700 se voient infliger une dégradation nationale. Un millier d’acquittement sont prononcés. 307 jugements décident la peine de mort mais 228 le sont par contumace. 38 exécutions sont réalisées195. L’examen de ces verdicts nous donne, à l’aval de la période, la preuve du faible degré de collaboration de l’université du Nord car il n’y a pas un universitaire lillois qui ait à se justifier devant la cour.

68Le monde universitaire lillois apparaît, en tant que collectivité, très peu impliqué dans la libération de la ville. Depuis juillet 1944, les facultés sont fermées pour les vacances scolaires et elles ne doivent reprendre leurs activités qu’en novembre. Les événements de la Libération se déroulent donc durant des mois de vacances. Cette constatation faite, il est certain que des étudiants participent, au sein des organes de résistance, ou plus spontanément aux combats de la libération. Le doyen Audra, dans son rapport196 sur l’année 1943-1944, signale qu’aucun enseignant n’a été touché dans sa chair par ces combats. Une étudiante a été tuée à Boulogne par une décharge de mitrailleuse allemande. Le recteur Duez, dans son allocution de novembre 1944 rend hommage au courage des étudiants qui, de 1940 à 1944, ont continué de travailler dans le calme. Il célèbre également ceux qui eurent le courage d’entrer en résistance. Lorsque le jour J s’est levé, un grand nombre de nos étudiants, dont certains faisaient partie depuis un certain temps déjà des groupes de résistance, ont trouvé le moyen de dépenser enfin une ardeur contenue, en participant activement, les armes à la main à la libération du territoire... lors de ces inoubliables journées de septembre197. Des étudiants de la faculté des Lettres ont participé eux aussi aux combats de septembre, même s’ils sont minoritaires parmi les combattants. Une étudiante est d’ailleurs tuée boulevard Montebello, dans les combats de rues.

69Après plus de quatre années d’occupation allemande et bien des souffrances, la faculté des Lettres de Lille peut enfin, en novembre 1944, respirer l’air enivrant de la liberté retrouvée.

B. – Le bilan de la seconde guerre mondiale à la faculté

70Le départ des allemands et la libération du Nord Pas-de-Calais, après les explosions de joie des premiers jours, laissent une population désemparée. Il faut évaluer les destructions et compter ses disparus. La ville de Lille a subi d’importants bombardements et beaucoup de choses sont à reconstruire. Les facultés lilloises ont souffert de la guerre. Leurs bâtiments ont été occupés et dégradés par les armées d’occupation. L’institut de géologie de Lille, occupé depuis 1940, est rendu à l’université en octobre 1942 mais l’occupant a prélevé beaucoup de choses dans les précieuses collections. Situés trop près d’objectifs militaires (les gares), les bâtiments universitaires ont également beaucoup souffert des bombardements de 1943-1944. L’observatoire, l’institut de mécanique des fluides, l’institut de médecine légale et sociale, l’institut de stomatologie, la cité universitaire ont été touchés par les bombes. Dans l’institut d’électromécanique et celui de géologie, les allemands se sont livrés à des pillages. Ils ont emporté du matériel scientifique. En mai 1942, des géologues allemands sont venus à l’institut de géologie et ont emporté à Berlin les très riches archives, une partie de la bibliothèque et les cartes géologiques. La faculté des Lettres, épargnée par la réquisition de ses bâtiments, semble cependant avoir échappé à toute destruction significative. Notre faculté n’a cependant subi aucun dommage sauf ses communications téléphoniques. Assez curieusement d’ailleurs, alors que l’on est en pleine guerre, le problème du fronton de la faculté réapparaît. On se souvient qu’au-dessus de la porte d’entrée, rue Angellier, les architectes, en 1887-1894, avaient prévu de réaliser un fronton sculpté. Les blocs de pierre étaient cependant restés bruts, faute de moyens, chacun semblant se résigner à cet inachèvement. Le directeur de l’enseignement supérieur écrit198 au secrétaire général des Beaux-Arts le 2 septembre 1942 pour lui signaler l’inachèvement du fronton. Ce dernier, constitué en grosses pierres de taille n’a jamais été sculpté et les projets de 1910 sont restés lettre morte. Ce fronton forme une masse importante qui présente maintenant des dangers pour la sécurité publique car des éléments de pierre se désagrègent par suite d’infiltration et de stagnation des eaux. Le directeur continue sa lettre en reprenant le raisonnement du recteur Duez qui avait affirmé que ces travaux n’étaient en rien des travaux d’entretien mais bien un achèvement des travaux commencés en 1887. La charge en revient donc à la ville. Le conseil municipal de Lille, dans sa séance du 21 décembre 1943 délibère donc et décide l’installation d’un échafaudage pour faire les travaux de première urgence. Régulièrement, jusqu’à la Libération, ce problème du fronton réapparaît. Trois sculpteurs sont finalement contactés199 en février 1944. Le projet retenu est celui de Robert Coin, second grand prix de Rome. Au centre de la composition, une femme debout représente l’Université ; d’un côté, sur un socle, se trouve Athéna et de l’autre, les armes de la ville ; à gauche, un groupe représente la jeunesse attirée par l’Université ; à droite, on trouve un groupe de savants. Aux extrémités, on peut découvrir deux personnages mi-allongés, Calliope, muse de l’Eloquence et Clio, muse de l’Histoire. Les travaux, commencés en 1944, ne devaient s’achever qu’en juin 1946. Le bilan matériel est ainsi plutôt favorable pour la faculté des lettres de Lille qui n’a pas connu d’occupation, ni de pillage délibéré de ses collections.

71Au niveau humain, les conséquences des quatre années d’occupation sont beaucoup moins lourdes qu’après le premier conflit mondial. Ce bilan est assez délicat à réaliser, la guerre « officielle » ayant duré très peu de temps, entre mai et juin 1940. Des soldats sont morts lors de l’offensive allemande de mai-juin. D’autres sont morts dans les camps de prisonniers. Des civils ont été exécutés par les allemands au cours de l’occupation et d’autres sont décédés alors qu’ils étaient requis ou déportés en Allemagne. Certains sont également tombés lors des combats de la Libération.

72Il est relativement difficile de dresser une statistique précise des victimes de la deuxième guerre mondiale au sein des facultés : les chiffres varient selon la définition prise en référence pour qualifier l’étudiant (en cours d’études en 1938-1939 ou inscrits pendant la guerre ?) et selon la définition que l’on prend des pertes de guerre. Le second conflit mondial ne connaît pas l’hécatombe du premier. Les pertes de guerre françaises sont estimées200 à 316.000 morts et les pertes civiles à 264.000, soit environ 600.000 morts au total contre 1.450.000 en 1914-1918. Pour la faculté des Lettres de Lille, le bilan est beaucoup moins lourd que pour la première guerre mondiale. La faculté a été endeuillée par la mort d’un de ses maîtres en exercice, Monsieur Gastinel, professeur de langue et littérature françaises.... une dure captivité en Allemagne avait ébranlé sa santé. Libéré, il s’était remis à la tâche avec courage mais il devait succomber201… le premier octobre 1943. Fils de G. Gastinel, inspecteur général de l’instruction publique, neveu de C. Bouglé, directeur de l’Ecole Normale Supérieure, il était né en 1898. Ancien de l’E.N. S, agrégé de Lettres, il avait en 1933, soutenu sa thèse sur Alfred de Musset et le romantisme. Prisonnier en juin 1940, il avait organisé une université de camps à l’oflag XIII puis XII. Il y révéla un talent de parole d’une qualité rare, une clarté et une justesse d’expression rares202. Avec la Libération, la faculté apprend un second décès. Le professeur Jean Berthold Mahn, chargé en 1939 des cours d’histoire du Moyen-Age203, en remplacement d’Edouard Perroy, est glorieusement tombé sur le front d’Italie. Mobilisé en 1939 comme sous-lieutenant, il n’avait pas hésité, après l’armistice, à reprendre les armes. La guerre accélère également l’agonie d’anciens professeurs qui se sont usés à la tâche : A de Saint Léger décède en octobre 1944, lui qui, retraité, s’était mis courageusement à la disposition de la faculté ; le professeur Cordier, enseignant la langue et la littérature latines, décède en avril 1945. Malade, il n’avait pas voulu interrompre ses activités et, chaque semaine, il venait faire ses cours depuis Paris, malgré le froid et les difficultés de circulation. Pour ce qui est des étudiants, les données sont beaucoup moins précises. Le doyen Audra, en 1943-1944, signale la déportation de quatre étudiants en Allemagne. Lors des combats liés à la Libération, plusieurs jeunes sont également tués mais il est délicat de savoir s’ils étaient régulièrement inscrits en faculté. Lors des journées de septembre, à Lille, une étudiante est tuée boulevard Montebello ; une autre, agrégative, est mitraillée à Boulogne-sur-mer. Le bilan des pertes étudiantes est cependant loin d’atteindre l’horreur des années 1914-1918.

73Lorsque l’on passe au bilan moral de ces années noires, une constante s’impose. La faculté, et le monde universitaire lillois en général, ne sont pas un pôle d’aimantation de la résistance active à l’occupant. Enseignants et étudiants, pour la plupart, continuent à travailler en respectant les consignes de non-intervention dans la vie politique. Il existe bien, cependant, pour une infime minorité, un engagement dans la résistance à l’occupant et à Vichy. Mais si cet engagement dans le combat clandestin est très minoritaire, l’engagement dans la collaboration avec l’Allemagne et le régime de Vichy est quant à lui, pratiquement inexistant. Entre collaboration et résistance, la faculté a choisi la voie de l’attentisme et de la fronde intellectuelle. Il ne faut pas pour autant en conclure à la lâcheté d’un monde qui se serait retiré sur son Olympe pour mieux éviter le bruit et la fureur des Hommes. Constamment, cet attentisme se teinte d’activisme antiallemand. Les étudiants sont souvent impliqués dans la diffusion des papillons qui fustigent l’occupant et Vichy. Les campagnes de graffiti sont actives dans le quartier latin. Face au S.T. O, étudiants et enseignants réagissent en patriotes, empêchant nombre de départs vers l’Allemagne. La faculté des Lettres ne semble donc pas s’être sali l’âme dans un jeu de liaisons dangereuses avec l’occupant. Quand vient l’heure tant attendue de la Libération, la faculté n’a donc pas à rougir de son passé proche et les règlements de compte de l’épuration ne la touchent pas, bien que l’épuration intellectuelle ait été bien plus dure que l’épuration économique ou administrative204.

C. – Les bases d’une nouvelle reconstruction : 1944-1946

74La libération de Lille ne marque pas la fin de la deuxième guerre mondiale qui continue jusqu’au 8 mai 1945 pour l’Europe. L’année universitaire qui s’ouvre le 7 novembre 1944, dans l’allégresse de la récente Libération, est une année de transition où nombre d’étudiants sont encore absents. Le départ de l’envahisseur ne mettait pas fin à la guerre qui continuait sur notre sol... L’université retrouvait la plupart de ses professeurs et une bonne partie de ses étudiants. Mais ils ne revenaient que lentement des camps de prisonniers, des camps de concentration, et pas tous... D’autres de leurs camarades partaient aux armées205. A Lille même, la vie reste très difficile et la fin de l’occupation n’entraîne pas un relâchement des restrictions ni une diminution des prix. Une économie de pénurie règne sur le pays jusqu’en 1947 environ. Si l’indice 100 est fixé en 1944 pour les prix de détail206, il passe à 2.173 en janvier 1945 et à 3.450 en novembre 1945. Le logement est devenu un problème très délicat dans une ville en partie détruite, où la vie est chère. Le bilan des destructions est très lourd. Les réseaux ferrés et routiers sont à reconstruire presque totalement. Beaucoup d’usines sont détruites et le chômage est élevé. Tous ces facteurs ralentissent donc le retour à la normale dans les facultés.

75Dans l’institution littéraire et pour le monde universitaire en général, le retour à la normale passe par une réparation des dommages de guerre. Les choses traînent en fait de nouveau jusqu’en 1948-1949. Il faut cependant se souvenir que la faculté des Lettres, cette fois-ci, a subi de faibles dommages. C’est surtout le manque d’entretien et la vieillesse des bâtiments qui causent des problèmes. Le conseil municipal, dans sa séance du 2 septembre 1946, note que les installations sanitaires de la faculté sont pratiquement inutilisables par suite du gel des tuyaux d’eau et des appareils de chasse situés en dehors des bâtiments principaux207. Un crédit de 370.000 francs est voté pour cloisonner et isoler les installations tout en rénovant les appareils défectueux. En 1948, c’est la maison des étudiants qui réclame des soins urgents. La façade et l’intérieur ont été abîmés par la guerre, en particulier par l’hébergement de réfugiés. Le conseil municipal, dans sa séance du 27 juillet 1949, signale que les murs de la façade, recouverts de plâtre, sont en mauvais état208. Des morceaux se détachent qui menacent les passants. Des travaux sont donc nécessaires qui commencent en 1950. Mais dans l’ensemble, les reconstructions sont peu nombreuses et l’on se contente souvent de nettoyer et de réaménager quelques points de détails. Les bâtiments déjà vieillissants continuent leur existence sur le même mode de fonctionnement qu’autrefois.

76De son côté, le monde enseignant reprend ses habitudes du temps de paix. L’assemblée de la faculté, dans sa séance209 du 17 novembre 1944, fait œuvre de circonstance, en proposant à l’unanimité que soient institués des cours de langues et civilisation françaises à l’usage des membres des armées alliées présents dans le Nord. La même assemblée propose également le rétablissement de l’enseignement de l’histoire et de la civilisation tchèques. Très vite, ce sont les problèmes des mutations et du salaire qui semblent préoccuper l’assemblée. Dans sa séance210 du 15 mars 1945, elle déclare que le moment est venu de demander la création de chaires, de maîtrises de conférences et d’heures supplémentaires. L’assemblée demande ainsi la création d’une chaire de géographie, d’une chaire de grec, d’un enseignement de langue romane et d’un enseignement de langue et littérature américaines. Les séances211 des 12 juin et 13 novembre 1945 demandent ensuite une réévaluation rapide des salaires. Le 13 novembre, elle émet une protestation contre le retard apporté à la revalorisation des traitements des enseignants du supérieur. L’affaire dure puisque le 13 juin 1946, le personnel de la faculté signe un manifeste212 en faveur de la hausse des salaires. La faculté décide de refuser les heures supplémentaires tant que le taux de celles-ci ne sera pas supérieur à celui des catégories les plus favorisées de l’enseignement secondaire... Si le reclassement de l’enseignement supérieur... n’est pas obtenu avant le 15 septembre... elle menace de s’abstenir de prendre part aux examens du baccalauréat. Le manifeste est signé : Adam, Gaillard, Henne, Herman, Heurgon, Humbert, Jacob, Moret, Simon, Patronnier de Gandillac, Perpillou, Perret, Poirier, Polin, Ricci, Ritz, Schmidt et Tapié. Le professeur Herman, dans son rapport sur la situation de l’enseignement en 1944-1945, critique enfin l’instabilité du monde professoral lillois après la Libération. Nous ne luttons pas seulement contre les difficultés matérielles... mais aussi contre un autre problème : celui de l’instabilité des professeurs. Les années d’immédiat après-guerre voient, en effet, une accélération des mouvements de personnels après plusieurs années de dirigisme vichyssois. Les professeurs partent vers d’autres universités ou se voient confier des missions extérieures. Les facultés sont dès lors obligées de faire appel à des chargés de cours ou à des suppléants nombreux. Le professeur regrette213 que Lille ait tendance à devenir, à certains moments une gare de passage et souhaite une réforme de l’enseignement qui donne aux professeurs une plus grande stabilité en attribuant aux grandes universités de province, les privilèges jusqu’alors réservés à l’université de Paris (traitements plus élevés...). Les premières années d’après-guerre sont donc délicates, dans une région exsangue où règne la pénurie et les destructions. La faculté continue cependant son existence au milieu des tensions. L’esprit de la résistance, si avide de réformes, ne semble pas souffler très fortement sur l’institution littéraire qui reste très conservatrice et désire surtout retrouver l’équilibre d’avant-guerre. A la faculté, il n’est pas question, en 1944-1946, de révolution pédagogique ou de démocratisation forcenée de la culture. On réclame seulement davantage de professeurs pour répondre à la hausse des effectifs et une rémunération plus élevée. Après deux à trois années de flottement liées à la réorganisation de la vie universitaire française et à une reprise des grands mouvements de mutation, le monde enseignant de la faculté se stabilise vers 1947-1948 : les 32 enseignants de 1939 sont désormais 38 dont 16 professeurs titulaires, 4 maîtres de conférences, 8 chargés de cours, 2 assistants et 8 personnels auxiliaires (5 lecteurs de langues vivantes et 3 chargés de T. P)214.

77Du côté étudiant, la rentrée de novembre 1944 est assez morne. La guerre n’est pas terminée et beaucoup sont encore éloignés de Lille, prisonniers ou combattants. La libération de Lille et le retour à un temps de paix permettent cependant aux étudiants de retrouver les joies du quartier latin. Après quatre années d’occupation, de restrictions et de couvre-feu, les années 1944-1945 apparaissent comme des années de liberté retrouvée. La rentrée de novembre 1945 est particulièrement joyeuse. Les monômes réapparaissent avec leur bruyant cortège et leurs chansons obscènes. Le ministre de l’Education Nationale reçoit d’ailleurs une lettre anonyme215 qui dénonce l’accueil réservé aux jeunes étudiants qui sont entrés cette année dans les facultés lilloises. Elle affirme que l’on déshabille de force les jeunes hommes et les jeunes filles et qu’on les expose devant des centaines d’étudiants. Des jeunes hommes ont même défilé nus sur une estrade devant un public féminin ravi. Il s’étonne de l’évolution des universités et du laisser-aller général du ministère. Le recteur Duez est d’ailleurs obligé de répondre216 au ministre, le 29 novembre 1945. Certes des incidents regrettables ont éclaté au cercle des étudiants, rue de Valmy, mais leur proportion est loin d’atteindre l’ampleur indiquée par la lettre. Le recteur a immédiatement obtenu du comité des étudiants l’arrêt de telles pratiques. Après quatre années de censure et d’interdits, les étudiants, dans leur volonté de fêter la liberté retrouvée, avaient, peut-être, dépassé certaines limites.

78En 1945-1946, les étudiants inscrits à la faculté sont au nombre de 1.333. On a donc presque rattrapé le niveau maximum atteint en 1942- 1943 avec 1.339 inscrits. En 1947-1948, les étudiants sont 1.542 mais les effectifs stagnent ensuite. En 1950-1951, elle ne compte encore que 1.277 étudiants inscrits. C’est après 1955 que les effectifs étudiants217 commencent à augmenter fortement pour faire entrer la faculté dans une autre époque : celle d’une université de masse.

79Partie à la recherche du temps perdu, après la déflagration du premier conflit mondial, la faculté connaît, de 1919 à 1939, un nouvel essor alors que les menaces guerrières assombrissent l’horizon international. L’entrée dans la tourmente de la deuxième guerre mondiale signifie pour elle la fin des illusions. En 1945, cinquante-huit ans après sa naissance lilloise, la faculté entre dans l’âge adulte avec, gravé dans sa mémoire, le souvenir ineffaçable de deux guerres et deux occupations.