Chapitre III. Les structures de la faculté de 1887 à 1914
p. 61-87
Texte intégral
1Cet important effort de construction n’est pas une exception et le quartier latin lillois n’est qu’une des nombreuses réalisations de la Troisième République en ce domaine. Les facultés de Grenoble, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Toulouse, Nancy et Marseille sont également dotées de nouveaux locaux. Pour l’alma mater parisienne, on construit la nouvelle Sorbonne et l’on modernise le Collège de France. Les réalisations lilloises doivent donc être intégrées dans un mouvement d’ensemble de rénovation des structures universitaires françaises. L’œuvre matérielle ne peut suffire et il faut également rénover les modes de gestion tout en adaptant l’enseignement à la science moderne. L’installation lilloise est ainsi contemporaine d’un effort gigantesque de définition des missions et des moyens de l’enseignement supérieur. Les innovations institutionnelles que les républicains introduisirent dans les facultés... remodelèrent leur fonctionnement de manière décisive, au point qu’on peut parler de la naissance d’un nouveau système d’enseignement supérieur... La fin du XIXe siècle représente donc un temps fort de l’histoire des universités françaises1. Le système mis en place ne devait d’ailleurs plus évoluer de façon significative jusqu’en mai 1968.
Les organes de direction de la faculté
2La faculté, s’installant à Lille, arrive avec ses étudiants et ses enseignants mais aussi avec son administration et ses façons de fonctionner. L’Institution connaît ainsi, comme toutes les facultés françaises, d’importantes réformes de structures dans ces années 1887-1914 comme en témoigne le travail considérable d’A. de Beauchamps qui recense en sept tomes l’ensemble de la législation touchant l’enseignement supérieur français entre 1789 et 19142. Les quatre derniers tomes couvrent la période 1884-1914 et comptent près de 3.600 pages de décrets, de lois et de circulaires. Là encore, l’impression dominante est celle d’un moment fort de l’histoire de l’université française qui est profondément rénovée. Aucun aspect n’échappe à l’œil organisateur et centralisateur parisien. Les examens sont réorganisés ; les programmes sont définis de façon précise ; les conditions d’inscription sont strictement délimitées ; les budgets sont standardisés pour mettre fin au flou d’autrefois ; les rouages administratifs sont précisément définis. Il s’agit pour le régime républicain de mettre sur pied un système efficace, moderne et facilement contrôlable.
3Les structures administratives de la faculté obéissent à un cadre législatif récent qui s’est mis en place à partir de 1885, soit deux ans seulement avant le transfert. Le décret du 28 décembre 1885 définit en effet de façon très précise les rouages essentiels des facultés pour plus de 80 ans.
A – Le conseil général des facultés
4Au sommet, venant après le recteur, représentant du ministre dans l’académie, se trouve, depuis le décret du 25 juillet 1885, un conseil général des facultés (titre I). S’y trouvent réunis, le recteur qui en est le président de droit, les doyens des facultés et deux délégués de chaque faculté élus pour trois ans par l’assemblée parmi les professeurs titulaires. Les pouvoirs de ce conseil général concernent la définition du règlement des études et la coordination de la vie universitaire au sein d’un même ressort académique. Il donne son avis sur les programmes des cours et conférences de chaque faculté, publie le tableau général des cours. Lorsqu’une chaire est vacante, il donne son avis sur le maintien ou la suppression du poste. Il délibère sur les projets de budget et sur les comptes administratifs de chaque faculté. Enfin, il propose chaque année au ministre la répartition, entre les facultés, des crédits mis à leur disposition par l’Etat pour les services communs. Ce conseil général des facultés a pour but essentiel d’être un laboratoire où les facultés apprennent à travailler en commun, préparant ainsi la création de réelles universités. La loi suit les mœurs plutôt qu’elle ne les suscite et ce serait une imprudence... que de vouloir donner prématurément une forme légale à une réalité encore lâche et indécise... On ne fit donc pas les universités mais on opéra, dans chaque centre académique, un groupement organique des facultés... On les solidarisa3. Ce n’est pas un cadre vide mais ses pouvoirs sont essentiellement consultatifs. A Lille, ce conseil général des facultés semble mener une vie calme mais bien remplie et se transforme en un lieu de concertation réelle. Il se réunit régulièrement de 1887 à 1896, date de son remplacement par le conseil d’université D’une année à l’autre, le nombre des séances varie de huit à douze4. Le recteur dirige les débats où prennent part les doyens et deux professeurs élus par faculté. En 1893, il y a par exemple douze séances mais on devine, au travers des thèmes abordés et des décisions prises que les attributions réelles du conseil restent très floues. On touche un peu à tout, on émet des avis mais on ne peut décider de grand-chose, le pouvoir étant ailleurs.
Les rouages institutionnels de la faculté

B. – Le conseil, l’assemblée et le doyen de la faculté
5L’organe décisionnel essentiel est le conseil de la faculté qui est composé des professeurs titulaires uniquement. Il délibère sur l’acceptation des dons et legs, et sur le budget de la faculté. Il donne son avis sur les déclarations de vacance de chaire et présente une double liste de candidats.
6Il décide des règlements destinés à assurer l’assiduité des étudiants et règle les conditions des examens. Il s’occupe aussi des affaires de scolarité. Un procès-verbal des délibérations doit être tenu. Le conseil de la faculté lilloise remplit scrupuleusement sa mission. Il comprend le doyen et les professeurs titulaires. Autant dire qu’il s’agit jusqu’en 1914, d’un conseil restreint de six à quinze personnes au maximum. Il se réunit de cinq à neuf fois par an comme nous le montrent les procès-verbaux des réunions5. Le conseil du 20 juin 1888 propose par exemple, la liste des cours et conférences à maintenir pour l’année universitaire 1888-1889. Chaque année, le conseil émet des vœux sur les chaires vacantes, sur les enseignements à supprimer ou à ouvrir. Il propose aussi souvent les enseignants qui sont susceptibles de réaliser ces cours. La séance du 12 février 1892 délibère ainsi du problème de la chaire de langue et littérature grecques, laissée vacante depuis le premier octobre 1891, date du départ à la retraite du professeur Courdaveaux. Le conseil émet le vœu que la chaire soit maintenue et déclarée vacante et propose M. Souriau, chargé de cours, comme candidat. C’est également le conseil de la faculté qui examine les candidatures extérieures pour toute chaire vacante. Le 7 avril 1892, le conseil étudie ainsi les candidatures à la chaire de langue et littérature grecques. Le Curriculum Vitae, les écrits de chaque postulant sont examinés avec soin puis discutés. Il y a ensuite un vote pour la présentation en première ligne. C’est M. Allègre qui obtient ce jour-là l’aval du conseil. A côté de ces tâches fondamentales, le conseil a aussi à examiner les budgets et comptes d’administration présentés par le doyen. C’est également lui qui décide des travaux à effectuer ou des attributions de prix aux étudiants les plus méritants. Le 28 juin 1894, il décide par exemple de verser trois prix de 100 francs à un boursier d’agrégation de grammaire, à un boursier d’agrégation d’anglais et à une étudiante en certificat d’aptitude d’allemand.
7L’assemblée de la faculté regroupe, quant à elle, l’ensemble du personnel enseignant de l’institution. Elle est composée des professeurs titulaires, des agrégés chargés d’un enseignement ou qui dirigent les travaux pratiques, des chargés de cours et des maîtres de conférences. Seuls les enseignants pourvus du titre de docteur peuvent voter. Les autres peuvent assister aux séances mais leur avis n’est que consultatif. L’assemblée délibère sur toutes les questions qui se rapportent à l’enseignement. On y discute des programmes, des emplois du temps, des méthodes pédagogiques et des examens. Elle étudie également toutes les questions qui lui sont soumises par le ministère ou le conseil général des facultés. Elle propose enfin une liste de deux candidats pour les fonctions de doyen. A la faculté des lettres de Lille, l’assemblée joue un rôle important et propose de nombreuses améliorations de l’enseignement, utilisant au maximum les compétences qui lui sont accordées6. Tous les aspects concrets de la vie quotidienne d’une faculté s’y retrouvent. Il y a de cinq à dix réunions par an. L’assemblée émet très souvent des vœux concernant l’organisation des examens ou des études. Dans sa séance du 19 novembre 1889, nous la voyons se pencher longuement sur le problème des études latines. L’assemblée se rallie, après bien des débats, aux propos de M. Souriau qui affirme que la dissertation latine est un exercice d’un autre âge. Certes, il faut savoir le latin mais il n’est pas nécessaire de faire des dissertations. Les études dans les facultés des lettres sont entravées par la faiblesse générale des étudiants en latin... Il faudra, ou bien renforcer les études latines dans l’enseignement secondaire ou bien prendre des mesures pour la transformation de la licence es lettres7. Il faut dire qu’à cette date la licence est encore indifférenciée et que tous les candidats doivent passer des épreuves communes éliminatoires où le latin joue un rôle essentiel. Il semble d’ailleurs que le régime de la licence es Lettres retienne très souvent l’attention de l’assemblée. Les enseignants travaillent beaucoup sur les difficultés d’intégration des ex-bacheliers, jugés souvent d’un niveau insuffisant pour réussir à l’université. L’assemblée dans sa séance du 16 février 18948 étudie très longuement les projets de réforme des épreuves de la licence. Un long rapport est présenté par Paul Dupont puis discuté. Le point essentiel concerne une nouvelle fois la dissertation latine. Un vote est organisé mais le débat n’est pas tranché. La séance du 26 novembre 1901 revient, sept ans plus tard sur le même problème d’une nécessaire réforme de la licence. L’assemblée demande aussi bien souvent la création de postes enseignants supplémentaires. En juin 1893, l’assemblée émet le vœu que soit créé à Lille un enseignement spécial de géographie pour le professeur Cons. A côté de ce rôle de proposition générale et de discussion, l’assemblée joue un rôle important de décision dans la vie universitaire quotidienne. Chaque trimestre, une séance examine, dans le détail, les résultats des examens, les notes de chaque étudiant et propose parfois, élève par élève, récompenses et sanctions. Certains obtiennent, comme dans la séance du 24 février 1892, des encouragements alors que d’autres reçoivent un avertissement pour devoir non rendu. D’autres séances répartissent les heures de surveillance des examens. C’est aussi l’assemblée qui élit ses délégués pour le conseil général des facultés. Tous les trois ans, elle participe également au choix de son doyen. La séance du 14 novembre 1892 est ainsi consacrée à ce grand moment de la vie universitaire et décide de reconduire en première ligne le doyen sortant, Léon Moy puis présente en seconde ligne9 le professeur Cons. L’assemblée n’a pas dans cette affaire une totale liberté. Elle présente ses candidats comme le fait d’ailleurs le conseil général des facultés mais c’est le ministre qui décide, respectant le plus souvent les désirs locaux.
8Le doyen de la faculté constitue le dernier rouage institutionnel mais son rôle est fondamental car il est à la fois le représentant de l’Etat dans son institution et le représentant de la faculté à l’extérieur. Il doit être un meneur d’hommes, un chef d’équipe tout en restant un enseignant. Il est nommé par le Ministère pour trois ans, parmi les professeurs titulaires, sur une double liste de deux candidats présentée, l’une par l’assemblée de la faculté, l’autre par le conseil général des facultés. Le doyen représente la faculté. Il accepte dons et legs et exerce les actions éventuelles en justice. Il est chargé de l’administration et du maintien de l’ordre, assure l’exécution des décisions du conseil et de l’assemblée et veille au respect des lois et règlements. Il dirige le service des examens et administre les biens de la faculté. Il prépare les budgets et engage les dépenses. A la faculté, cinq doyens se succèdent sans tension apparente de 1887 à 1914. Ils apparaissent bien comme des figures essentielles de l’institution, se dévouant corps et âme pour leur faculté.
9Les mécanismes institutionnels mis en place par les réformateurs républicains en 1885 fonctionnent donc sans heurt à la faculté entre 1887 et 1914. L’essentiel du pouvoir reste cependant concentré entre quelques mains. Le recteur, le doyen et les professeurs titulaires prennent l’essentiel des décisions. Il y a ainsi confiscation du pouvoir par une élite universitaire. Les enseignants non titulaires du doctorat n’ont aucun pouvoir et les étudiants n’ont droit à aucune représentation. Sauf pour le conseil général des facultés, il n’y a pas d’élection démocratique mais une présence de droit, justifiée par le grade. Les professeurs titulaires sont les officiers supérieurs de l’Institution qui contrôlent l’ensemble des rouages.
C – L’intégration dans l’université de Lille : leurre ou réalité ?
10Dans la décision de transférer les facultés, les autorités parisiennes avaient mis l’accent sur la nécessité de constituer de grands pôles universitaires regroupant les facultés d’une même académie. Il en allait de l’intérêt de la Science et du salut de la Nation. Il est vrai que la reconstruction chaotique de l’enseignement supérieur français au XIXe siècle s’est basée essentiellement sur l’entité de base qu’est la faculté sans se soucier beaucoup des liens posibles entre facultés d’un même ressort académique. Dans une même ville, nuls rapports entre les facultés des différents ordres, nulle communauté d’intérêts, nul échange... On se rencontre une fois l’an au début de l’année, à la messe du Saint-Esprit... Hors de là, chacun reste chez soi, travaille solitairement... C’est le temple de l’individualisme10. Pour pouvoir développer la recherche et concurrencer le dynamisme des universités allemandes, les réformateurs républicains oeuvrent à rapprocher les facultés avec pour objectif la création d’une réelle université, fédérant les institutions spécialisées. Mais ils agissent avec prudence pour ne pas froisser les susceptibilités et ne pas abandonner trop rapidement certaines prérogatives d’Etat. Les décrets du 25 juillet 1885 accordent la personnalité civile aux facultés et créent le conseil général des facultés, sorte de laboratoire d’apprentissage des réflexes d’une future vie commune. L’article 71 de la loi de finances du 28 avril 1893 constitue ensuite un corps des facultés dans chaque académie et crée le budget de ce corps. La méthode utilisée est donc claire. Il s’agit pour les dirigeants républicains de créer un état de fait qui permette ensuite de légiférer sans prendre de risque. Dès 1876, le ministre Waddington projette la création de quelques grandes universités mais son projet, très contesté, n’est pas soumis au Parlement. La création de vraies universités devient alors une demande lancinante des universitaires qui espèrent la naissance d’une institution dotée d’une forte autonomie. Le débat a lieu dans les facultés lilloises conscientes de leur isolement. Le recteur, le maire de Lille mais aussi de multiples notables locaux et régionaux ne cessent de réclamer, entre 1887 et 1896, la création d’une université du Nord. Le conseil général des facultés, l’assemblée et le conseil des diverses facultés font bien évidement de même. Lors de la séance solennelle de rentrée des facultés, en novembre 1891, le doyen de la faculté de Droit renouvelle le vœu déjà émis l’an dernier concernant la création d’une université à Lille11. Grâce à la générosité de la ville, la future université disposerait de crédits importants (les 20.000 francs annuels prévus par la convention de 1887). Il faut de plus, note le doyen, lutter contre les facultés catholiques, agitant l’épouvantail clérical qui avait si bien servi les intérêts lillois lors du transfert. Géry Legrand demande lui aussi à de multiples reprises la création d’une grande université du Nord. Lors de la séance du conseil municipal du 4 juillet 1890 par exemple, le maire propose que le conseil émette un vœu invitant notre municipalité à produire près du ministre, une demande tendant à ce que la ville de Lille soit comprise parmi les premières qui seront dotées d’une université12. La Société des Amis et Anciens Etudiants de l’Université de Lille, dirigée par un certain nombre de notabilités régionales ne cesse, elle aussi, de demander cette création. Dans sa réunion du 6 mars 1892, la société demande aux sénateurs et députés de la région, d’user de leur influence pour obtenir une université car la ville de Lille s’est créée des droits indiscutables à la possession d’une université13. On se souvient également que lors des fêtes inaugurales de juin 1895, le recteur puis Louis Legrand14 avaient solennellement demandé la création d’une université.
11Le Ministère préfère cependant attendre encore un peu. En 1885, dans le rapport qui accompagne le décret du 28 décembre réorganisant les structures administratives des facultés, René Goblet précise sa position. Je n’ai pas cru que le moment fût venu de réaliser une telle réforme... Une telle mesure serait, à bien des égards, prématurée. Des universités ne se feront pas sans que l’Etat se dépouille à leur profit de quelques unes de ses attributions. Doit-on courir le risque d’une entreprise sur laquelle il serait difficile de revenir en cas d’insuccès, avant qu’une expérience décisive ait prouvé que les facultés possédaient les qualités requises sans lesquelles cette vie commune... serait factice et illusoire15. Le monde universitaire doit donc, par son implication dans le conseil général des facultés, donner des gages de sa bonne foi et de sa capacité à surmonter l’isolement séculaire. Le ministère doit aussi arbitrer de multiples querelles entre les villes françaises qui possèdent des facultés, chacune demandant à devenir une université. Les groupes de pression sont légion et toute décision risque de déclencher la tempête.
12Finalement, l’Etat décide, par la loi du 10 juillet 1896, de restaurer les universités. L’ancien conseil général prend le nom de conseil d’université mais il faut attendre le décret du 21 juillet 1897 pour saisir les attributions précises du nouveau rouage institutionnel. Le titre I définit la composition du conseil qui comprend le recteur, toujours président de droit, les doyens des facultés et deux délégués de chaque faculté, élus pour trois ans par l’assemblée parmi les professeurs titulaires. On ne fait ici que reprendre la composition de l’ancien conseil général. Les universitaires n’obtiennent donc pas l’élection démocratique de leur président qui reste désigné par l’Etat (le recteur). Le titre II est plus important qui définit les attributions du conseil de l’université. Ce dernier statue et décide de l’administration des biens de l’université, de l’exercice des actions en justice, de la réglementation des cours libres, de l’organisation des cours et conférences communs à plusieurs facultés. Il doit arrêter un tableau général des cours en juillet, pour l’année universitaire suivante. Il statue sur la dispense des droits universitaires pour certains étudiants. Les décisions du conseil de l’université sont définitives si dans un délai d’un mois, elles ne sont pas annulées par arrêté du ministre. Le conseil délibère ensuite sur les acquisitions et les échanges de biens de l’université, sur l’acceptation des dons et des legs. Il délibère également sur les enseignements créés sur les fonds d’université. Il émet enfin des avis sur les budgets et comptes de l’université et des facultés et sur les transformations de chaires. L’article 14 est plus novateur puisqu’il permet aux universités de créer des diplômes particuliers dits diplômes d’université. Le titre III prévoit quant à lui le transfert de l’autorité disciplinaire du conseil général des facultés au conseil d’université. La loi du 10 juillet 1896 et ses décrets d’application ne bouleversent donc pas la réalité universitaire française. Il s’agit plutôt du couronnement d’une lente évolution vers davantage de concertation mais il n’y a pas de transfert fondamental de légitimité. On est loin des universités médiévales et de leurs franchises.
13A Lille, la nouvelle de la création des universités est bien accueillie. Le conseil général des facultés, dans sa dernière séance, le 8 juillet 1896, adresse l’expression de sa joie et de sa gratitude16. Lors des premières réunions du conseil d’université, l’ambiance apparaît cependant assez tendue. Dans la séance du 23 décembre 1896, Auguste Angellier, doyen de la faculté des Lettres, ose critiquer durement la loi, ce qui entraîne une réaction vive du recteur Margottet. L’angliciste lillois est déçu par la loi qui ne change rien. Le point d’achoppement est celui de la présidence du conseil. M. Angellier demande à soutenir l’opinion... qui tend à confier cette charge à un membre élu par le conseil lui-même... A son avis, la présence du recteur a cet inconvénient qu’elle empêche le conseil d’avoir pleinement possession de lui-même et de se sentir vraiment représenté par quelqu’un qui émane de lui... La situation idéale serait qu’une université se gérât elle-même, ayant son président élu par elle-même17. Le recteur représente une autorité extérieure et une vraie université doit disposer de son indépendance. Le recteur, peu charmé, répond point par point. L’indépendance ne peut jamais être totale et l’Etat doit conserver un droit de regard, lui qui apporte l’essentiel des crédits. En dehors des séances du conseil, le recteur est de toute façon le supérieur hiérarchique des universitaires. Il ne peut être considéré comme un préfet car c’est un ancien universitaire qui partage avec les enseignants les mêmes passions et les mêmes missions.
14Après ces débuts quelque peu tendus, le conseil de l’université semble fonctionner sans problème particulier entre 1896 et 1914. Il y a en moyenne une dizaine de réunions par an. Le conseil se réunit par exemple treize fois en 1898, quinze fois en 1899, quatorze fois en 1900 et onze fois en 1901. L’année universitaire y est présente avec ses temps forts et ses temps morts. Février, juin, juillet concentrent les réunions puis c’est le silence. De la mi-novembre à la fin décembre, les réunions se font de nouveau plus nombreuses. Les attributions diverses du conseil d’université sont habilement exploitées. Nous voyons les universitaires statuer, délibérer et émettre de multiples avis qui sont souvent écoutés. Les affaires disciplinaires occupent de temps en temps le conseil. Dans sa séance du 16 novembre 1 898, il est question des incidents survenus lors de la récente rentrée solennelle des facultés. Les étudiants en profitent pour chahuter les universitaires tout en bizutant les nouveaux étudiants, ce qui laisse une mauvaise image de l’université d’Etat, en pleine Affaire Dreyfus. Le recteur propose alors de supprimer ces séances solennelles mais le conseil refuse et reporte la décision à plus tard18. Ces attributions disciplinaires ne forment cependant pas le quotidien du conseil d’université et le plus souvent, on se contente de gérer le quotidien, en s’occupant des intérêts communs des facultés. Le conseil du 7 décembre 1901 examine par exemple la demande de la faculté des Lettres qui désire transformer le cours d’histoire locale créé en juin dernier avec les crédits propres à l’université, en une maîtrise de conférences d’histoire des provinces du Nord de la France confiée à A. de Saint-Léger. Ce dernier devra alors recevoir un traitement annuel de 3.000 francs19. Le conseil de l’université émet aussi régulièrement des avis sur les créations, les transformations ou les suppressions de chaire. Dans sa séance du 12 décembre 1900, il suit à l’unanimité le vœu de la faculté des Lettres de maintenir la chaire de langue et littérature allemandes malgré le départ du professeur Pinloche pour Paris20. De nombreuses délibérations ont pour objet la définition des cours publics, l’élaboration des affiches des horaires de cours ou la répartition des crédits gérés par l’université. Le conseil d’université doit aussi, tous les trois ans, proposer deux candidats pour les fonctions de doyen. La séance du 21 février 1900, par exemple21, montre bien les étapes et le cérémonial de cette désignation. Le conseil présente ce jour-là Ernest Langlois en première ligne et Paul Dupont en seconde ligne.
15La faculté adopte donc sans problèmes les structures administratives élaborées par les républicains. Le transfert et l’installation lilloise sont en fait contemporains de bouleversements considérables dans l’organisation interne des facultés françaises. La loi du 10 juillet 1896 qui restaure les universités ne modifie pas fondamentalement la réalité des choses mais vient plutôt clore une lente évolution vers davantage de concertation entre des facultés qui restent la vraie réalité de l’enseignement supérieur22. A Lille pour le moins, le conseil de l’université joue pleinement son rôle et semble respecté. Il permet de fréquentes rencontres entre universitaires. En 1900 par exemple23, le conseil se compose de treize personnes. On y trouve, côte à côte, le recteur Margottet, les doyens Gosselet (Sciences), Angellier (Lettres), De la Personne (Médecine) et Vallas (Droit). Il y a également deux enseignants par faculté. Cette année-là, la faculté est représentée par Emile Haumant (langue et littérature russes) et Ernest Langlois (langue et littérature picardes et wallonnes). Ces réunions mettent peu à peu en place des réflexes de concertation et de dialogue même s’il est vrai que les facultés restent les cellules essentielles de vie. Un procès-verbal de l’assemblée de la faculté, daté du 13 février 1919, en dit d’ailleurs long sur les limites réelles de la renaissance universitaire de 1896. La faculté des lettres de Lille déplore l’isolement qui est le vice fondamental de notre vie universitaire. Elle est persuadée que les divers enseignements pourraient se pénétrer davantage... La faculté accueillera avec joie toutes les tentatives ayant pour objet de resserrer, entre les professeurs de l’université, les liens corporatifs et le sentiment d’une communauté d’études et d’aspiration24. Plus de vingt ans après la restauration des universités, on ne peut faire de bilan plus mitigé. Il n’en demeure pas moins qu’entre 1880 et 1914, le monde universitaire français connaît une mue considérable. Logé dans des bâtiments neufs, doté de moyens importants, l’enseignement supérieur voit dans le même temps ses structures internes être rénovées. N’hésitant pas parfois à critiquer les limites de certaines réformes, la faculté lilloise applique sans heurt l’ensemble de la nouvelle législation.
Recteurs et doyens entre 1887 et 1914
16Si les nouveaux rouages administratifs fonctionnent sans créer de tensions vives, l’enseignement supérieur nordiste le doit, peut-être un peu, aux hommes qui la dirigent entre 1887 et 1914. Les recteurs qui se succèdent à la tête de l’académie et les doyens de la faculté des Lettres jouent en effet un rôle fondamental de coordination et d’animation de la vie universitaire. Les péripéties du transfert, les aléas des constructions, la mise en place des nouvelles structures administratives auraient pû être autant d’occasions d’ouvrir les hostilités ou d’affirmer son pouvoir particulier face aux autres institutions. Certes, il y a forcément eu des grincements de dents et des critiques mais le climat général semble avoir été celui de la confiance durable et de la discussion féconde.
A. – Les quatre recteurs lillois
17Quatre recteurs dirigent l’académie entre 1887 et 1924. Ces grands commis de l’Etat représentent le ministre dans leur académie et sont dotés de pouvoirs très larges. Ils contrôlent tous les niveaux de l’enseignement, du primaire au supérieur. Ils président le conseil d’université et se tiennent informés du travail particulier des diverses facultés. Dans un système très centralisé, le recteur est un peu « l’œil de Paris » dans l’académie. Les recteurs nordistes prennent cependant le temps de devenir des partenaires attentifs aux demandes des facultés et des défenseurs des intérêts du Nord. Courroies de transmission entre l’université et le ministère, ils soutiennent très souvent les projets des facultés, se transformant souvent en avocats du monde universitaire plus qu’en procureurs, prompts à dresser des réquisitoires élaborés dans les milieux parisiens. Ils parlent en fait plus au nom de l’université qu’au nom de l’Etat.
18Henri Couat est le recteur qui organise le transfert des facultés. Né à Toulouse en 1 846, dans une famille bourgeoise, il fait de brillantes études et passe par l’Ecole Normale Supérieure. Agrégé de lettres en 1869, il occupe divers postes d’enseignant. Professeur de rhétorique au lycée de Montauban, il se lance dans la politique après la proclamation de la République et fonde le républicain du Tarn et Garonne, journal situé sur la gauche de l’échiquier politique. Blâmé par ses supérieurs, il est mis en disponibilité. Henri Couat continue cependant sa propagande républicaine dans le Progrès libéral de Toulouse entre mars et octobre 1871. Il est alors déplacé au lycée de Tournon puis de Grenoble. En 1876, il soutient sa thèse sur Catulle puis devient chargé de cours de littérature grecque à la faculté de Bordeaux. En 1878, il obtient la chaire de littérature grecque de la faculté. Après une mission d’un an en Grèce, il est nommé, le 11 mai 1881, doyen de sa faculté. Délégué au conseil supérieur de l’Instruction Publique, membre du jury d’agrégation des lettres de 1883 à 1887, il mène en même temps une carrière politique en tant que conseiller municipal puis d’adjoint au maire de Bordeaux. En octobre 1887, il est nommé recteur de l’académie de Lille et reste trois ans dans le Nord avant d’être nommé recteur de l’académie de Bordeaux en 1890.
19Louis Bayet lui succède en 1890 et dirige l’académie jusqu’en 1896. Né à Liège en mai 1 849, dans une famille bourgeoise dont le père était avocat, il réalise de brillantes études. Reçu à l’Ecole Normale Supérieure en 1868, il s’engage lors de la guerre de 1870-1871 et obtient sa naturalisation française le 29 septembre 1871. Agrégé, il passe plusieurs années aux écoles françaises d’Athènes et de Rome. En 1 874, il est chargé d’une mission au Mont Athos en compagnie de l’abbé Duchesne où tous deux relèvent inscriptions et mosaïques. Revenu en France, il soutient en 1879 sa thèse intitulée recherches pour servir à l’histoire de la peinture et de la sculpture en Orient avant la querelle des iconoclastes. Professeur à la faculté des Lettres de Lyon, il est nommé en 1890 recteur de l’académie de Lille. II laisse dans le Nord le souvenir d’un homme de caractère, très érudit mais aussi à l’écoute du monde universitaire. En 189625, il devient directeur de l’enseignement primaire puis dirige à partir de 1902, l’enseignement supérieur succédant ainsi à louis Liard. Retraité lors de la déclaration de guerre en 1914, il s’engage comme volontaire. Après quelques opérations à Salonique, il revient en France et meurt à Toulon en septembre 1918. Grand intellectuel, républicain convaincu et patriote intransigeant, ce recteur de combat publie également des travaux nombreux dont un précis d’histoire de l’art (1886), une biographie de Giotto (1907) et un ouvrage sur l’art byzantin (1893).
20Julien Margottet lui succède en 1896 aux commandes de l’académie de Lille. Né en janvier 1848, il passe lui aussi par l’Ecole Normale Supérieure. Agrégé de Sciences, il est successivement enseignant à Grenoble puis préparateur à l’Ecole des Hautes Etudes. Chargé de cours de chimie à la faculté de Montpellier, il enseigne ensuite à Dijon où il devient titulaire de la chaire. Nommé recteur à Chambéry puis à Poitiers, il est muté en août 1896 à Lille où il fait preuve de beaucoup d’énergie. Le doyen de la faculté des Lettres le dépeint affable, accueillant, exposant les questions bien étudiées en un langage précis, simple et clair, dirigeant le débat juste ce qu’il faut pour l’empêcher de s’égarer, présidant très bien parce que son principal soin, tout en réglant les affaires, était... d’accorder les esprits26. Sa mort brutale en avril 1903 marque les esprits dans le Nord. Au retour d’un voyage en Hollande où il s’était plaint d’avoir eu froid, il est pris de malaises et décède d’un oedème de la glotte27. Ses obsèques, le 21 avril, mobilisent toutes les notabilités régionales.
21C’est Georges Lyon qui lui succède en avril 1903 et qui devait rester à la tête de l’académie de Lille jusqu’en avril 1924, soit pendant plus de vingt ans. Né à Paris en septembre 1853, dans une famille bourgeoise originaire du Vercors, il connaît une jeunesse très studieuse. Elève du lycée Louis le Grand, il est lauréat du Concours Général avec le prix d’honneur de philosophie et le premier prix de dissertation latine. En 1874, il entre à l’Ecole Normale Supérieure et en 1877 obtient la première place au concours d’agrégation de philosophie. Il enseigne deux ans au lycée de Pau puis obtient une bourse d’études. En décembre 1882, il est nommé enseignant de philosophie au lycée Henri IV de Paris. Il interrompt ensuite son enseignement de décembre 1886 à juin 1887 pour être chef de cabinet du ministre de l’Instruction Publique, M. Berthelot qui est aussi son beau-père. En 1888, il soutient sa thèse sur l’idéalisme en Angleterre au XVIIIe siècle. Maître de conférences à l’E.N.S. jusqu’en 1903, il interrompt une nouvelle fois son enseignement en 1895 pour occuper le poste de directeur du personnel et de chef de cabinet au Ministère des Affaires Etrangères. Le 30 juillet 1903, il est nommé recteur de l’académie de Lille. Il accomplit dans cette fonction une œuvre gigantesque pendant vingt et un ans, s’occupant de tous les niveaux de l’enseignement nordiste qu’il développe de façon conséquente. Il est à l’origine de la fondation de nombreux établissements secondaires et primaires, en particulier consacrés à l’enseignement des jeunes filles. Il est constamment l’interlocuteur privilégié de l’université qu’il soutient dans la plupart de ses démarches, multipliant les contacts et les combats pour obtenir crédits et postes complémentaires. Recteur bâtisseur, il fait terminer la bibliothèque universitaire, accepte les demandes des facultés concernant la modernisation de leurs instituts. Il fait don à la maison des étudiants des indemnités obtenues après la mort accidentelle de son fils dans un accident de chemin de fer. Lors de la première guerre mondiale, il reste obstinément à Lille et lutte pour maintenir une vie minimale dans les facultés. Il proteste à chaque empiétement des libertés universitaires et multiplie les démarches pour éviter les réquisitions. Inscrit sur la liste des grands otages, il doit régulièrement aller dormir à la citadelle sous surveillance militaire allemande. Après l’armistice, il se lance à corps perdu dans la reconstruction des structures d’enseignement de l’académie et prend sa retraite en juin 1924. Il décède à Paris, le 16 octobre 192928. On lui doit de nombreux articles dans la Revue de métaphysique et de morale, une étude sur la philosophie de Hobbes et un grand ouvrage sur la philosophie de l’éducation. Les archives départementales du Nord possèdent une série de petits recueils qui regroupent quelques unes de ses communications. Les écrits en latin, les considérations sur la philosophie de l’éducation, les commentaires sur le traité des sensations de Condillac ou le Léviathan y côtoient les discours de distribution des prix et les rentrées solennelles des facultés. Le philosophe érudit n’en était pas moins un homme de terrain soucieux des réalisations concrètes dans son académie.
22De 1887 à 1914, l’académie de Lille est donc dirigée par quatre recteurs efficaces et dévoués. Si aucun n’est originaire du Nord, ils savent cependant s’implanter dans la région et en comprendre l’originalité. Ce sont de grands universitaires qui connaissent le monde de l’enseignement. Ils sont tous les quatre passés par l’Ecole Normale Supérieure. Agrégés, docteurs, ce sont à la fois des enseignants et des érudits, capables de recherches originales très poussées. Trois sont des littéraires, nourris d’antiquités grecques et latines, de philosophie et de littérature classique. Julien Margottet est en effet le seul représentant de la culture scientifique dans ce long règne des littéraires. De 1887 à 1914, l’académie est dirigée pendant plus de vingt ans (soit 74 % du temps) par des hommes dont la culture et le cursus universitaire prennent leurs racines dans les Humanités Classiques. Entre les enseignants de la faculté des Lettres et le recteur, il y a donc bien plus que des relations de dépendance et de courtoisie ; tous partagent un même référent culturel, un même monde avec des expériences et des valeurs communes.
B. – Les cinq doyens de la faculté
23A ces grands prêtres de l’enseignement, à ces papes académiques de la religion d’Etat que sont les recteurs, viennent s’ajouter les figures non moins importantes des doyens, évêques en leur diocèse. C’est de l’entente entre ces grands personnages que peut apparaître un climat favorable au développement de l’université. La faculté des Lettres est successivement dirigée par cinq doyens entre 1887 et 1914 qui tous consacrent leur temps et leur énergie à leur chère institution.
24Léon Moy est le premier doyen lillois de la faculté même s’il prend ses fonctions à Douai en 1886. Né le 31 mars 1838 à Paris, il fait de brillantes études et passe lui aussi par l’Ecole Normale Supérieure qu’il intègre en 1857. Agrégé de lettres, il est d’abord chargé de cours de rhétorique au lycée de la Rochelle de 1860 à 1863. Le premier octobre 1863, il est nommé professeur de rhétorique au lycée de Douai. Après avoir soutenu ses thèses pour le doctorat es lettres en Sorbonne (Etude sur les plaidoyers d’Isée) il est nommé chargé de cours de littérature latine à la faculté des Lettres de Douai en décembre 1876. Le premier décembre 1879, il est chargé du cours de littérature française et devient professeur titulaire en janvier 1880. Elu doyen le 10 novembre 1886, il succède à Abel Desjardins et joue un rôle très actif dans le transfert des facultés. Il est ensuite réélu doyen trois fois de suite, en novembre 1889, 1892 et 1895. Spécialiste de littérature latine et française, il continue son enseignement tout en gérant la faculté dans une période riche en rebondissements de toutes sortes (le transfert, l’installation provisoire, la construction...). Fort apprécié pour son calme et son verbe, il avait le don d’enseigner29. Son enseignement fut brillant et solide, d’une clarté substantielle. Le culte des grands classiques s’unissait à une curiosité sympathique pour les tentatives les plus récentes30. Bien que parisien de naissance, il sut s’intégrer durablement dans la région. Familiarisé avec le patois local, il est très attaché au bien-être des enfants et au développement de l’école républicaine. Membre de nombreuses œuvres charitables, il est par exemple le président d’honneur de l’œuvre des cantines scolaires des quartiers Saint-Sauveur et Saint-Maurice, veillant à l’hygiène alimentaire des enfants du peuple. Ardent républicain, il est conseiller municipal de Lille quelques années et préside de mai 1888 à mai 1896, la commission de l’instruction publique dans l’équipe municipale. Bourreau de travail, il décède subitement le 24 février 1897, plongeant la faculté dans la tristesse.
25Son successeur, un peu malgré lui, est l’angliciste Auguste Angellier. Poète, critique littéraire, homme de lettres, il est aussi un remarquable professeur de littérature anglaise. Né le premier juillet 1848 à Dunkerque, il vit le décès précoce de son père (maître-plafonnier) et suit sa mère qui regagne Boulogne-sur-Mer, ville d’où elle est originaire. Elle travaille comme secrétaire dans l’entreprise de construction de ses frères. Auguste est surtout influencé par son oncle, M. Lacour. Externe au collège de Boulogne-sur-Mer jusqu’au baccalauréat, il est apprécié pour ses qualités intellectuelles et entre comme pensionnaire au lycée Louis le Grand de Paris en octobre 1866 pour préparer le concours de l’E.N.S. Mais entre l’écrit et l’oral du concours, lors de sa troisième année, un incident éclate entre le censeur et les internes. Il est considéré comme le chef du mouvement de révolte et se retrouve expulsé du lycée, rayé de la liste des candidats à Normale. Cette catastrophe familiale, tant les sacrifices financiers sont durs pour lui payer ses études parisiennes, oblige Angellier à revoir ses objectifs. On lui propose un emploi dans un petit pensionnat anglais et il part pour l’Angleterre. Pendant la guerre de 1870, il s’engage et se retrouve à Lyon puis à Bordeaux où une broncho-pneumonie met ses jours en danger. Il est à Paris lorsque la Commune éclate et vit intensément les événements. Rentré en grâce auprès de l’université, il est ensuite nommé répétiteur au lycée Descartes en 1871. Six mois après, il obtient sa licence d’anglais. En 1873, il est classé premier au concours du certificat d’aptitude à l’enseignement de l’anglais. Maître-répétiteur au lycée Descartes puis au lycée Charlemagne, il y effectue les trois ans exigés pour pouvoir s’inscrire au concours de l’agrégation. Il passe avec succès le concours en 1876 à l’âge de 28 ans. Nommé au lycée Charlemagne, il reste dans la capitale jusqu’en 1878 et fréquente le monde des artistes et des peintres. Ses goûts et sa sensibilité artistiques lui font trouver l’enseignement et le monde hiérarchique de l’Instruction Publique bien pesant. En 1878, il obtient un congé et part en Angleterre. En 1881, on lui propose un poste de maître de conférences d’anglais à la faculté des Lettres de Douai. Dès lors, il se consacre entièrement à sa tâche d’enseignant et développe considérablement, par son rayonnement, les études d’anglais à la faculté. En 1893, après quinze ans de lectures, de voyages et de méditations, il soutient sa thèse latine sur John Beats et sa thèse majeure sur Robert Burns. En deux gros volumes, il étudie l’émouvante destinée du poète écossais en même temps qu’il évoque la société écossaise du XVIIIe siècle. Cette thèse fait d’ailleurs grand bruit car il y modifie l’approche et l’étude critique d’une œuvre et d’un écrivain. S’opposant à une approche dite scientifique, il milite pour une étude esthétique, rejetant les constructions abstraites de Taine. Cette étude, étonnante par l’abondance des renseignements et la somme des connaissances qui y sont accumulées comme par l’art, on pourrait presque dire par l’amour avec lequel il l’a écrite, a révolutionné la critique... Angellier a vécu quinze ans de la vie du poète31. Nommé professeur en 1893, il préside le jury d’agrégation d’anglais de 1890 à 1904. Enseignant renommé, Angellier se voit confier la lourde tâche de doyen à la mort de Léon Moy en février 1897. Il s’acquitte de sa mission avec sérieux et compétence mais a du mal à entrer dans les habits d’un chef de faculté constamment confronté aux problèmes administratifs. En 1900, lorsque le conseil de la faculté lui propose de renouveler son décanat, il refuse, déclarant avoir besoin de temps pour vaquer à ses occupations artistiques. En 1902, il est détaché comme maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure mais tient à rester titulaire de son poste lillois, revenant dans le Nord dès 1904. Souffrant, il doit dès 1893 aller se reposer régulièrement sur les bords de la Méditerranée. Il passe les hivers dans le petit village de Lavandou ou à Bormes les Mimosa. Professeur d’anglais, il est aussi poète. En 1896, il publie A l’amie perdue qui décrit une rencontre amoureuse et son échec final en 178 sonnets. En 1903, il écrit dessin de saisons. De 1905 à 1911, A. Angellier écrit une série de recueils regroupés sous le titre Dans la lumière antique, deux livres de dialogues et deux autres d’épisodes. Son décès, le 28 février 1911 à l’âge de 63 ans devait émouvoir profondément le monde universitaire lillois32.
26Son successeur en 1900 est Ernest Langlois. Il est né en septembre 1857 à Heippes dans la Meuse. Brillant élève, il est formé par l’Ecole des Chartes et obtient le diplôme d’archiviste-paléographe en 1883. La même année, il part pour l’Ecole Française de Rome où il travaille à la publication des registres du pape Nicolas IV. Il y rédige également un catalogue des manuscrits français et provençaux des bibliothèques de Rome. En 1888, il rentre en France et devient en 1889 chargé de cours de langue et littérature picardes et wallonnes à la faculté des Lettres de Lille. Par décret du 30 novembre 1892, il est nommé professeur titulaire. Il consacre l’essentiel de sa carrière de chercheur à l’étude du célèbre Roman de la Rose et tente de démêler dans cette œuvre les emprunts faits aux divers auteurs de l’époque. Sa thèse en 1 890 porte sur les origines et les sources du Roman de la Rose. Spécialiste de philologie et de paléographie médiévale, il rédige une somme considérable sur les sources du Roman de la Rose. On lui doit de nombreux articles sur le Moyen Age, une étude sur les anciens proverbes français et sur Gui de Mori ainsi que la traduction commentée de nombreuses chansons de gestes. Elu doyen en 1900, il occupe le poste jusqu’en 1903 mais ne désire pas prolonger l’expérience, ses recherches lui demandant beaucoup de temps. Pendant la première guerre mondiale, il est un des deux titulaires à rester sur Lille et à subir l’occupation allemande jusqu’à son évacuation en 1916 pour raison de santé. Il décède le 1 5 juillet 1924 après trente-cinq ans de présence à la faculté33.
27Paul Dupont dirige ensuite l’institution de 1903 à 1906. Né à Paris en décembre 1 850, il passe par l’Ecole Normale Supérieure puis obtient l’agrégation des Lettres. Il enseigne dans divers établissements secondaires en tant que professeur de rhétorique au lycée du Mans, de Laval puis de Douai. En 1898, il soutient sa thèse en Sorbonne sur Houdan de la Motte : un poète philosophe au commencement du XVIIIe siècle. Il entre dans l’enseignement supérieur le 12 août 1880 comme maître de conférences de littérature latine à la faculté des Lettres de Douai. Il occupe ensuite la chaire de langue et littérature françaises jusqu’à sa mort le 3 janvier 1906, devenant l’un des piliers de l’enseignement des Lettres à la faculté. Avec lui disparaissait un maître à qui la gratitude de 25 générations d’étudiants était acquise pour l’enseignement solide qu’ils avaient reçu de lui, pour la probité intellectuelle dont il leur avait donné le modèle34.
28C’est Georges Lefèvre qui lui succède le 10 février 1906 et qui occupe ensuite les fonctions de doyen jusqu’au 7 février 1929 soit pendant près de vingt-trois ans. Il est donc le chef incontesté de la faculté durant un quart de siècle. Né à Laon en 1862, il passe toute sa vie dans la région du Nord. Licencié es Lettres en 1883 auprès de la faculté de Douai, il obtient l’agrégation de philosophie en 1887. Titulaire d’une licence en Droit en 1891, il soutient sa thèse en 1895 sur l’obligation morale et l’idéalisme. Enseignant au lycée de Laon, il est nommé maître de conférences de philosophie et des sciences de l’éducation à la faculté lilloise en décembre 1896. En 1898, il devient professeur titulaire et le reste jusqu’à sa mort le 7 février 1929. Professeur de philosophie mais aussi spécialiste des choses de l’éducation, il a constamment le souci de la formation des futurs maîtres de l’enseignement et fonde l’institut de pédagogie. Ses articles sont nombreux sur l’enseignement dans le Nord. Président du jury du certificat d’aptitude à l’enseignement des jeunes filles, membre du jury du concours de l’inspection du primaire, il dirige la faculté avec rigueur et bonhommie. Pendant la première guerre mondiale, il s’évade de Lille, ne supportant plus la présence allemande et vient se mettre au service de la Patrie, occupant divers postes dans l’enseignement. Rentré à Lille en 1918, son souci constant est ensuite de reconstruire l’institution et de lui redonner son dynamisme d’avant guerre35.
29On ne peut comprendre le développement de la faculté sans saisir l’importance de ces quelques fortes individualités qui savent se battre constamment pour obtenir des moyens supplémentaires en hommes, en matériels et en crédits pour leur institution. Les recteurs trouvent donc dans les cinq doyens successifs de la faculté, des relais efficaces qui sont bien plus souvent des collègues avec lesquels ils partagent nombre de valeurs et d’expériences que des subordonnés. Hommes de savoir mais aussi hommes de pouvoir, ils sont surtout des hommes d’action qui se consacrent entièrement au développement de la « grande maison ». Agrégés, docteurs, membres de l’enseignement supérieur, doyens et recteurs ont une mémoire commune. Ceci peut expliquer en partie les bons rapports qui s’établissent très vite entre les différents rouages administratifs du monde universitaire lillois. Chefs de l’ensemble des niveaux de l’enseignement nordiste, trois des quatre recteurs des années 1887-1914, sont des littéraires. En étudiant les dossiers de la faculté des Lettres et en travaillant avec le doyen, ils étaient encore un peu chez eux...
Les moyens financiers de la faculté
30Rénovée dans ses structures internes, logée dans un nouveau bâtiment, la faculté ne peut cependant se développer qu’en disposant de crédits importants. Louis Liard en 1890 n’oublie pas cet aspect des choses lorsqu’il vante les mérites de l’œuvre accomplie par la République. A tous, maîtres et étudiants, l’accroissement des budgets a permis de donner des instruments de travail36. Il est vrai que pendant une grande partie du XIXe siècle, l’enseignement supérieur vit dans un état de détresse financière. L’œuvre de réforme républicaine après 1880 se traduit donc également par une hausse conséquente des budgets consacrés à l’université. Dans le même temps, le Ministère codifie précisément les structures budgétaires des facultés et des universités, définissant dans le moindre détail les règles à suivre, fournissant même des modèles vierges de budgets et de comptes d’administration pour uniformiser les pratiques37. Le budget consacré aux facultés en France passe ainsi de 7.634.000 francs en 1875 à 23.228.000 francs en 191238. Le total des crédits ordinaires est donc multiplié par trois et la part de l’Etat dans le total reste prépondérante. En 1913, elle représente ainsi 63,9 % du total. L’installation lilloise est donc contemporaine d’un remarquable effort financier de l’Etat en vue de doter les facultés de moyens modernes de travail.
31L’étude des moyens financiers de la faculté est cependant délicate à mener. Il faut sans cesse croiser les sources et les angles d’approche. De nombreux dossiers ont été perdus alors que d’autres sont lacunaires. Le personnel est payé par le Trésor Public quand il s’agit de cours rétribués sur fonds d’Etat mais certains cours plus spécifiques sont financés par la ville ou le conseil général. Il faut donc se servir à la fois des tableaux de traitement des personnels, des budgets prévisionnels et des comptes d’administration de la faculté mais aussi des comptes de l’université qui chaque année consacre une partie de ses crédits à l’institution littéraire.
A. – Les dépenses de personnel à la faculté
32Nous étudierons plus loin le monde enseignant. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les aspects financiers du problème. Lors du transfert de 1887, quatorze enseignants sont du voyage. En 1890 comme en 1900, ils sont désormais dix-sept et en 1914, ils sont vingt-quatre à enseigner à la faculté, soit dix unités de plus en vingt-sept ans. Ce gonflement des moyens humains mis à la disposition de la faculté est directement lié à un effort financier de l’Etat qui crée des chaires et des enseignements nouveaux. D’après les tableaux récapitulatifs des dépenses de personnels de la faculté, le volume total des dépenses en personnels payés par l’Etat passe de 81.434,64 francs en 1889 à 133.399,37 francs en 191239. Comme le montant des salaires nominatifs n’augmente pas de façon significative, c’est bien qu’il y a davantage de salariés à payer. Pour l’année 1893, les dépenses de personnels de la faculté s’élèvent à 107.602 francs40. Le doyen Léon Moy a un salaire de 11.000 francs par an. Les autres enseignants gagnent ente 4.000 et 8.000 francs selon leur grade et leur ancienneté. Le secrétaire gagne 2.000 francs et le concierge 700 francs par an. En 1912, la ventilation des salaires est pratiquement identique. Le professeur Penjon (philosophie), âgé de 61 ans gagne alors 12.000 francs par an ; Ernest langlois, âgé de 55 ans a un salaire de 10.000 francs. Le professeur Benoit (histoire de l’art), âgé de 42 ans gagne 6.000 francs et le conservateur de l’institut des langues vivantes et du musée pédagogique reçoit 600 francs par an41. L’évolution des dépenses en personnel, sur fonds d’Etat montre donc un accroissement considérable des moyens mis à la disposition de la faculté. De 1889 à 1912, la masse salariale supportée par l’Etat est multipliée par 1,6. Il faut cependant compléter l’analyse par d’autres sources. Le décret du 25 juillet 1885 a accordé la personnalité civile aux facultés, ce qui les rend aptes à recevoir dons, legs et subventions. Le décret du 25 juillet 1895 fait de même pour le corps des facultés. Il est donc possible pour une faculté d’ouvrir des cours spécifiques, répondant à une nécessité locale à partir du moment où elle trouve le financement adéquat. On se souvient également que la convention du 12 mars 1887 entre G. Legrand et L. Liard stipulait que la ville de Lille verserait chaque année un subside de 20.000 francs par an à l’université pendant au moins vingt ans, à charge pour cette dernière de répartir la somme entre les diverses facultés. Dans sa séance du 2 février 1901, le conseil municipal de Lille propose par exemple, la création d’un cours d’histoire de Lille à rétribuer grâce à un prélèvement sur la subvention annuelle de 20.000 francs42. En août 1907, le même conseil évoque la possibilité de créer une chaire d’histoire de Lille. L’université tient de plus en plus à partager notre vie communale et à conquérir définitivement le droit de cité... La faculté des lettres propose la création, pendant dix ans, d’un cours public d’histoire de Lille et de sa région, moyennant une subvention de 1.500 francs par an43. La demande est acceptée sans difficulté. Le Conseil Général du Nord apporte lui aussi son soutien financier. En 1893 par exemple, la faculté obtient 2.000 francs pour le cours de langue russe, 250 francs pour des prix divers à décerner aux étudiants et 2.000 francs pour le cours de langues et littératures picarde et wallonne44. La Société des Amis et Anciens Etudiants de l’Université, des particuliers parfois, versent également des subsides qui permettent de financer des cours. Chaque année enfin, le conseil de l’université répartit ses crédits entre les différentes facultés. Pour l’année 1910 par exemple, la faculté des Lettres reçoit de l’université 2.000 francs pour le professeur de russe, 800 francs pour un garçon de salle et 800 francs pour le professeur de littérature française45.
33La faculté des lettres de Lille est ainsi au cœur d’un réseau étoffé d’aides et de soutiens qui lui permettent d’enrichir la palette des cours proposés. C’est de la variété et de l’accumulation des subsides qu’elle tire finalement sa force. La part de l’Etat n’en demeure pas moins fondamentale à ce niveau par la prise en charge de l’essentiel des salaires du personnel.
B. – L’évolution du budget de la faculté des lettres
34Il ne peut être question ici d’étudier les multiples modifications46 réalisées dans ces années 1887-1914 dans la structure des budgets, sa division en chapitres et en articles. L’Etat cherche en fait à codifier les divers documents budgétaires qui doivent être fournis par les facultés et les universités afin d’éviter l’arbitraire. En fait, c’est le décret du 22 février 1890 et sa circulaire d’accompagnement qui fixent pour longtemps les normes financières des facultés françaises. Recettes et dépenses doivent être divisées en deux chapitres, selon qu’elles sont ordinaires ou extraordinaires. Chaque chapitre se divise à son tour en de multiples articles très précis dont la circulaire dresse la présentation détaillée et fixe l’ordre d’examen47. Ce budget prévisionnel de la faculté est préparé par le doyen, voté par le conseil de faculté puis par le conseil général des facultés. Il est ensuite envoyé au Ministère en quatre exemplaires. L’exercice budgétaire fonctionne en année civile. Chaque année, avant le premier mai, le doyen doit remettre au Ministre les comptes d’administration de l’année antérieure.
35La faculté des Lettres utilise cette nouvelle législation au mieux de ses intérêts. Chaque année, nous pouvons suivre les étapes de la préparation puis du vote du budget. Fin novembre, début décembre, le doyen présente au conseil de la faculté puis au conseil de l’université, une proposition de budget pour l’année à venir où il essaye de prévoir le plus précisément possible les recettes et les dépenses de son petit monde. Une fois votée ou amendée, cette proposition prend le chemin du Ministère qui décide de son adoption, non sans faire souvent des corrections de détails qui apparaissent sur les dossiers d’archives à l’encre rouge. L’analyse d’un budget prévisionnel ordinaire permet de saisir l’essentiel. Prenons celui de l’année 1893 qui n’est en rien exceptionnel. Le doyen fait état de son projet de budget au conseil de la faculté, le 13 décembre 1892. Le conseil général des facultés donne lui aussi son aval le 14. Le Ministère arrête le budget quelques jours après48.
36Ces budgets prévisionnels témoignent une nouvelle fois de la variété des crédits et de leur importance relative. La faculté place de l’argent en banque, dispose de diverses subventions venant des villes importantes de l’académie (Amiens, Dunkerque, Valenciennes parfois...). Le Conseil Général du Nord, la Société des Amis de l’Université, le conseil municipal de Lille participent chaque année ou presque à l’effort financier qui permet à la faculté de se développer. La part de l’Etat reste cependant très forte sans compter les dépenses de personnel. En 1893, le Ministère couvre plus de 37 % des crédits particuliers de la faculté. En 1910, sa part est encore de 30 %. Pour ce qui est des dépenses, quatre postes essentiels se dégagent des divers budgets. Le traitement des enseignants qui réalisent des cours spécifiques comme ceux de russe, de langue et littérature picardes et wallonnes ou d’histoire de Lille demandent des crédits importants. Il regroupe 36,4 % des dépenses prévues en 1893. Le paiement de bourses spécifiques vient ensuite avec 20, 06 % des dépenses. L’entretien et l’enrichissement des collections (bibliothèques et instituts) apparaît comme le troisième gros poste budgétaire avec 10,9 % du total. L’éclairage et le chauffage des bâtiments représentent enfin 10,7 % des dépenses estimées.

37L’évolution des budgets prévisionnels entre 1887 et 1914 apparaît cependant assez chaotique. Les années qui suivent le transfert connaissent des budgets très élevés (50.517,50 F en 1887). Ceci est dû en grande partie aux crédits exceptionnels accordés par l’Etat et la municipalité pour installer les nouvelles facultés. En 1 892, le budget est fixé par exemple à 41.780 francs mais deux postes sont ici exceptionnels. La ville de Lille alloue une subvention de 10.000 francs et le Ministère fournit 29.380 francs pour les grosses dépenses de matériels. Les années qui suivent, une fois l’installation réalisée, connaissent des crédits beaucoup plus limités. Le minimum de la période est atteint en 1897 avec 4.625 francs de budget prévisionnel. Après 1903, les budgets connaissent ensuite une lente mais certaine remontée. On atteint ainsi 10.946 francs en 1914, signe d’un développement important de l’institution.
38Les budgets prévisionnels ne rendent cependant pas totalement compte des moyens réels dont dispose la faculté. Prévision des recettes et des dépenses pour l’année à venir, ils sont forcément mis à mal parfois par des imprévus. Les comptes d’administration qui constituent un bilan a posteriori, sont beaucoup plus fidèles à la réalité. Ils contiennent en plus des postes déjà présents dans les budgets prévisionnels, les excédents des années précédentes et les recettes ou dépenses imprévues au moment de la préparation du budget. L’examen rapide d’un compte d’administration montre l’essentiel. Les comptes d’administration de l’année 191049, réalisés en mai 1911, montrent ainsi un excédent de 7.564 francs pour la faculté. Par rapport au budget prévisionnel, les différences sont notables car ce dernier estimait les recettes et les dépenses à la somme de 9.604 francs alors qu’elles se montent en réalité à 23.397,22 francs. Ce qui explique le décalage, c’est la prise en compte des excédents de l’année précédente ainsi qu’un certain nombre de recettes imprévues lors du calcul du budget fin 1909.

39La répartition des recettes montrent trois origines fondamentales. L’Etat en 1910, sans compter le traitement des personnels qui repose essentiellement sur le Trésor Public, est à l’origine de 33, 8 % des recettes de la faculté. Il faudrait également y ajouter une partie de ce que le conseil de l’université verse à la faculté et qui a également son origine dans diverses subventions d’Etat. On comprend mieux dès lors pourquoi le Ministère tient à contrôler de façon aussi tatillonne le devenir des sommes engagées. Les excédents des exercices précédents constituent 32 % du budget réel de la faculté qui économise et place de l’argent dès qu’elle le peut. L’université de Lille attribue ensuite à la faculté 4.025 francs, ce qui représente tout de même plus de 17 % du budget de l’institution. Les autres recettes sont d’origine plus variées mais plus modestes. La part de la municipalité peut sembler moindre (2,49 %) mais il ne faut pas oublier que la ville verse annuellement une subvention de 20.000 francs à l’université, cette dernière répartissant ensuite les crédits selon ses choix. Une partie des fonds dits d’université ont donc ici leur origine dans la subvention municipale.

40Pour ce qui est des dépenses, elles se montent à 15.833,32 francs. Là encore, trois grands postes peuvent être dégagés qui concentrent l’essentiel des charges financières. Les frais d’accroissement des collections et le développement des instituts représentent 6.434,75 francs soit 40,64 % des dépenses totales. Viennent ensuite les frais de cours avec 25,24 % des dépenses. Nous retrouvons enfin le paiement des cours spécifiques qui représentent 17,1 % des dépenses. Les autres postes sont ensuite beaucoup plus faibles et plus divers. L’évolution sur vingt-sept années des comptes d’administration obéit dans l’ensemble, aux mêmes règles que celles relevées pour les budgets prévisionnels de la faculté..
41Les moyens financiers accordés à la faculté sont donc nombreux, variés et dans l’ensemble croissants. La faculté semble assez vite se créer un vaste réseau de soutien qui draine vers elle un nombre important de subventions. L’Etat, le Conseil Général, la ville de Lille mais aussi d’autres municipalités, des institutions (Chambre de Commerce, Société des Amis de l’Université) ou des particuliers font preuve de générosité régulière. Même si les aides locales sont importantes et témoignent au passage de l’enracinement de l’institution dans le tissu régional, il n’en demeure pas moins que l’effort financier réalisé par l’Etat reste fondamental. En 1910, d’après les comptes d’administration, le Ministère contribue pour 33,8 % du total des recettes de la faculté. En 1893, il représentait déjà 37,2 % des recettes du budget prévisionnel. Il faut de plus ajouter que la majeure partie de la masse salariale est supportée par le Trésor Public. En 1912 par exemple, c’est 133.399,37 francs que l’Etat verse pour le paiement des enseignants de l’institution. Le Ministère joue dès lors un rôle fondamental d’impulseur de la vie universitaire par ses décisions budgétaires. L’évolution globale des moyens dont dispose la faculté laisse apparaître trois périodes : de 1887 à 1893-1894, les crédits sont importants ; transférée, la faculté reçoit des subsides considérables qui l’aide à s’installer provisoirement ou qui financent les travaux de construction ; de 1893 à 1903 environ avec des irrégularités, les moyens sont à la baisse ; le minimum est atteint en 1897 pour le budget prévisionnel ; la faculté vit ses premières années et le temps béni de l’installation est terminé : les subventions extraordinaires s’arrêtent alors que l’institution n’est pas encore très développée ni insérée dans un réseau dense de relations ; à partir de 1903 et jusqu’en 1914, les moyens dont dispose la faculté sont de nouveau à la hausse ; la faculté a digéré son installation et se développe. La faculté des lettres n’est donc ni une poule aux œufs d’or ni un panier percé. Ses dépenses vont en augmentant au fur et à mesure que l’institution se développe et enrichit ses enseignements.
C. – Les répercussions du budget de l’université de Lille sur la faculté des lettres
42II faut enfin tenir compte, dans l’étude des moyens financiers dont dispose la faculté, des crédits qui lui sont alloués par le conseil de l’université. En 1914 par exemple, le budget prévisionnel de l’université de Lille s’élève à 248.241 francs soit 22,6 fois plus que le budget prévisionnel de la faculté des Lettres fixé à 10.946 francs. L’étude précise d’un budget universitaire doit nous permettre de mieux comprendre cette interpénétration des deux systèmes. Le budget prévisionnel de l’université de Lille pour l’année 190050 montre une nouvelle fois la variété des crédits accordées au monde universitaire. L’Etat réalise une nouvelle fois plus de 33 % des recettes. Les droits d’inscription et d’immatriculation, les droits de TP et de bibliothèque forment ensembles 98.940 francs de recettes soit 51.9 % du total. On comprend mieux pourquoi les pouvoirs publics prennent le temps de définir très précisément les divers droits d’inscription et réglementent strictement les clauses d’exemption. Il devient dès lors fondamental pour une université d’avoir des effectifs étudiants stables et si possible à la hausse, ce qui accroît certes les dépenses mais aussi les recettes. Le reste est composé de subventions locales et régionales diverses dont celle de 20.000 francs promise par la ville de Lille. Ce budget intéresse la faculté des Lettres car l’Institution reçoit par ce biais un certain nombre de crédits tout en bénéficiant de certains services communs, payés par l’université. Elle reçoit par exemple 2.800 F pour son personnel et 7.418,32 F pour accroître les collections de ses instituts. Dans la somme très importante consacrée à la bibliothèque (34.305 F), le conservateur prend chaque année le soin de réserver une part des crédits à chaque faculté. Une partie des crédits d’éclairage, de chauffage ou d’entretien des bâtiments va également à la faculté qui bénéficie également de certains services comme l’impression par l’université du livret étudiant, ancêtre du guide des études. Il ne faut donc pas négliger cet apport financier provenant de l’université. La subvention municipale est importante et l’on se souvient qu’en 1887, Louis Liard et Géry Legrand s’étaient mis d’accord pour une subvention annuelle de 20.000 francs pendant au moins vingt ans. En 1907, l’inquiétude est donc grande dans le milieu universitaire lillois car la ville n’est plus obligée de reconduire son aide. L’arrêt de cette subvention entraînerait dès lors une remise en cause de nombreux cours spécifiques et d’un certain nombre de laboratoires. Le rapport général du professeur Barrois pour l’année 1906-1907 insiste sur cet enjeu. Je croirais manquer à tous mes devoirs si je n’appelais votre attention de la manière la plus pressante sur notre situation financière actuelle, source constante de préoccupations. Alors que nous voudrions pouvoir donner à notre université du Nord tout l’essor auquel elle aspire, nous sommes contraints de végéter dans l’incertitude du lendemain51. Le discours alarmiste du rapporteur qui n’hésite pas à parler de péril, porte ses fruits puisque la municipalité décide en 1907 de reconduire la subvention pour une nouvelle durée de vingt ans.
43La faculté dispose ainsi de 1887 à 1914 de moyens divers et importants. Elle bénéficie de subventions diverses qui lui permettent de subvenir à ses besoins et de développer ses activités. L’Etat supporte la charge essentielle par le paiement du personnel et le versement de fortes subventions. Le département du Nord, la ville de Lille, le conseil de l’université mais aussi diverses associations facilitent l’essor de l’institution qui se retrouve au centre d’un vrai réseau de soutien. A ce niveau pour le moins, la faculté des Lettres n’est pas restée un kyste étranger. Elle a su trouver sur place les « sucs » nécessaires à sa croissance. Certes, les universitaires se plaignent constamment de devoir restreindre leurs projets, faute de moyens, mais il n’en demeure pas moins que l’effort financier accompli reste important. La géographie financière de la faculté est quelque part entre le pays de cocagne et le pays des vaches maigres. Transférée en 1887, logée dans une construction neuve, dotée de structures administratives rénovées et soutenue financièrement, la faculté des Lettres de Lille se doit désormais de « cultiver son jardin » et de faire germer les talents.
Quelques portraits de recteurs et de doyens


Sources : presse locale et revues spécialisées
Notes de bas de page
1 Verger J. directeur, Histoire des universités françaises, p. 323.
2 Beauchamps A. de. Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, Paris, A. Delalain, 7 tomes,
3 Liard L., Universités et Facultés, Paris, Armand Colin, 1890, p. 129.
4 ADN, VM 146170, Délibérations du conseil général des Facultés.
5 ADN, VM 146171, Registre des délibérations du conseil de la Faculté.
6 ADN, VM 146173, Délibérations de l’assemblée de la Faculté.
7 ADN, VM 146173, PV de l’assemblée du 19 novembre 1889.
8 ADN. VM 146173, PV de l’assemblée du 16 février 1894 (11 pages).
9 ADN, VM 146173, PV de l’assemblée, 14 novembre 1892.
10 Liard L., Universités et Facultés, p. 20.
11 AUL, Rapport général de novembre 1891.
12 AML, Délibérations du conseil municipal de Lille du 4 Juillet 1890.
13 ADN, 102/ J 9, Société des amis de l’université de Lille.
14 Voir l’intervention de Louis Legrand à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, Bulletin des Facultés de Lille, t. 1893 (p. 400-417) et 1894 (p. 12-24).
15 Beauchamps A de, Op. cit., t. 4. p. 203-204.
16 ADN, 2 T 637 et suivantes, Délibérations du conseil de l’université.
17 ADN, 2 T 637, Séance du conseil de l’université du 23/12/1896.
18 ADN, 2 T 637, 16 novembre 1898.
19 ADN, 2 T 637, 7 décembre 1901.
20 ADN, 2 T 637, 12 décembre 1900.
21 Idem, 21 février 1900.
22 Prost A.. Histoire de l’enseignement en France de 1800 à 1967, p. 238.
23 Annuaire statistique du département du Nord (composition annuelle du conseil de l’université).
24 ADN, VM 146173, PV de l’assemblée de la Faculté. 13 février 1919.
25 EN du 31 mai 1895 (voir aussi l’Annuaire des anciens élèves de l’ENS).
26 AUL, Annee 1902-1903.
27 EN des 19 et 22 avril 1903.
28 Sur Georges Lyon, voir : Annuaire de l’ENS, BML, Recueil publié à la mort de G. Lyon, 1929, 25 p.
29 Bulletin de l’université de Lille, année 1897, Notes sur le doyen Moy, p. 81 à 86 (voir aussi l’annuaire de l’ENS).
30 AUL, Année 1896-1897, Rapport d’A. Angellier sur Léon Moy.
31 EN du 2 mars 1911 (voir aussi les Cahiers Angellier, année 1928).
32 Sur A. Angelliek, voir : RIE. Année 1911, p. 251 à 258, LU de mars 1911 : Dossier spécial sur A. Angellier, p. 49 à 67. Collectif, Auguste angellier, Boulogne-sur-Mer, 1912, 19 p.
33 Revue de la Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 1924, p. 426 à 429.
34 AUL, Rapport sur l’année 1905-1906 (voir aussi ADN. VM 146171 ; Séance du 8 juillet 1898).
35 Cahiers Angellier, 1928-1929, p. 43 et suivantes sur G. Lefèvre.
36 Liard L., Universités et Facultés, p. 57.
37 Pour plus de détails voir Condette J.-F., La Faculté des Lettres de Lille de 1887 à 1974, t. 1. p. 156 à 181.
38 VERGER J. directeur, Histoire des universités françaises. p. 328-329.
39 ADN, 2 T 670 à 698, Budgets des Facultés et de l’université.
40 ADN, 2 T 673, Dépenses de personnels, tableau signé L. Liard, 1893.
41 ADN, 2 T 667, Enquête rectorale du 10 novembre 1912.
42 AML, Délibération du conseil municipal de Lille du 02 février 1901.
43 Idem, séance du 6 août 1907.
44 ADN, 2 T 673, Budget de la Faculté pour 1893.
45 ADN, 2 T 700, Budget de l’université, année 1910.
46 Voir Beauchamps A de, Op. cit., tomes 5, 6 et 7.
47 Idem, t. 5. Décret du 22 février 1890 et circulaire, p. 58 à 71.
48 ADN, 2 T 673, Budget de la Faculté, 1893.
49 ADN, 2 T 708, Compte d’administration de l’année 1910.
50 ADN, 2 T 700, Budget de l’université, année 1900.
51 AUL. Séance de rentrée de novembre 1907.
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