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La fin du cumul ?

p. 73-84


Texte intégral

1Le cumul des mandats est devenu, au fil des années, une question importante de l’agenda politique. L’extension de cette pratique1 a conduit au vote, le 30 décembre 1985, de deux lois limitant à deux le nombre de mandats électoraux ou de fonctions pouvant être exercées par un même individu2. Mais la plupart des commentateurs ont considéré qu’il s’agissait d’une avancée trop timide, les mandats de conseillers municipaux, les fonctions de maire de communes de moins de 20 000 habitants et d’adjoint d’une commune de moins de 100 000 habitants, ainsi que celles de président d’une communauté urbaine ou d’un district urbain, n’étant pas pris en compte. En 1986, Jean-Claude Masclet concluait son commentaire ainsi : « Si l’on s’en tient au seul texte de la loi, on peut constater cependant que les changements seront très modestes et l’ouverture de la vie politique fort limitée, car elle (la loi) ne met fin qu’aux abus les plus manifestes. Elle peut même, en légalisant un certain niveau de cumul qui était une simple pratique jusqu’alors, en faire une norme officielle de la vie publique française »3. Cette observation a été confirmée dans les faits. Dans une étude parue en 1991, Albert Mabileau (1991) souligne que « jusqu’à la fin 1989, 298 mandats ont été remis dans le circuit ». Ce qui, précise-t-il, ne touche que 3,4 % des 8 677 mandats potentiellement concernés par la réforme4. Plus encore, en ce qui concerne le cumul des mandats (au sens large) détenus par les députés, Yves Mény (1992) constate que « jamais depuis 1985 le cumul de deux mandats n’a été aussi systématique et, paradoxe, il a doublé depuis 1956 »5. Lors des élections législatives de 1988, comme de celles de 1993, plus de 90 % des députés se trouvent en situation de cumul6. En 1997, la pratique du cumul reste du même ordre7.

2Cette situation a conduit le Premier ministre, Lionel Jospin, à proposer de limiter de manière beaucoup plus draconienne le cumul des mandats. Il s’agit, tout d’abord, d’interdire le cumul entre des fonctions ministérielles et des fonctions exécutives locales (maire, président de conseil général, président de conseil régional)8. Le projet du Premier ministre vise également à interdire le cumul entre un mandat parlementaire (européen ou national) et des fonctions exécutives locales. Il s’agit enfin de prohiber le cumul entre, d’une part, un mandat parlementaire national et un mandat parlementaire européen, et, d’autre part, entre la fonction de président du conseil général, de président du conseil régional ou de maire. Au terme de la réforme, tout mandat ou toute fonction municipale serait comptabilisée, quel que soit par ailleurs le nombre d’habitants de la commune.

Tableau 1. La limitation du cumul des mandats au regard de la législation actuelle et des trois projets de loi initiaux de Lionel Jospin

Lois de 1985 Apports du projet Jospin
Limitation du cumul 2 mandats 2 mandats
Cumuls interdits – Cumul des mandats de député et de sénateur (art. L.O. 137 du code électoral).
 – Incompatibilité entre fonction du président du Conseil général et président du Conseil régional (art. L. 4133-3 ss art. L 221).
– Ministre/chef de l’exécutif local (projet de loi constitutionnel).
 – Parlementaire/chef de l’exécutif local (projet de loi organique).
 – Parlementaire national/parlementaire européen (projet de loi ordinaire).
 – Président du C.G. ou du
C.R../maire (projet de loi ordinaire).
Mandats électifs non pris en compte – Maire d’une commune – de 20 000 habitants.
 – Adjoint au maire commune – de 100 000 habitants.
 – Conseiller municipal.
 – Présidence structures intercommunales
– Présidence structures intercommunales9.

3L’importance de cette question a favorisé la parution de nombreux articles ou entretiens. La plupart du temps, les auteurs considèrent la pratique du cumul en prenant en référence la situation à l’issue des élections. Dans cette étude, s’appuyant sur les élections régionales de 1998 dans le département du Nord, nous considérerons le cumul des mandats en prenant en référence les mandats électoraux et les fonctions électives provenant du suffrage universel direct. Autrement dit, le mandat de conseiller municipal, et les fonctions de maire et d’adjoint au maire, seront pris en compte, quel que soit par ailleurs le nombre d’habitants au sein des communes considérées. En outre, nous ne considérerons que le cumul horizontal, c’est à dire la détention par les candidats de mandats électoraux (ou de fonctions électives) autres que celui de conseiller régional. La question du cumul vertical (renouvellement du mandat précédemment détenu) ne sera pas abordée.

4Au regard de la question du cumul des mandats, les élections régionales de 1988 présentent plusieurs spécificités. Tout d’abord, elles se caractérisent par la moindre place accordée aux notables dans le choix des candidats. Il est en effet convenu de considérer10 que la représentation proportionnelle, qui est le mode de scrutin utilisé pour les élections régionales, favorise le poids des appareils partisans, tandis que le scrutin majoritaire à deux tours donne une large place, pour la sélection des candidats, au poids des élus sortants et plus généralement aux notables. Les élections régionales offrent donc une occasion de renouvellement des élus. Ensuite, on sait ainsi que ce scrutin est moins apprécié par les notables que les autres : d’une part, les élus abandonnent plus facilement le mandat de conseiller régional quand ils se trouvent en situation de cumul prohibé11 ; d’autre part, les élections régionales de 198612,comme celles de 199213, ont mis en évidence la moindre propension des notables à présenter leur candidature.

5L’analyse du scrutin de 1998 oblige à émettre un jugement plus nuancé. Surtout, il révèle un certain nombre de différences entre les petits et les grands partis, entre les non-éligibles et les éligibles, entre le Nord et le Pas-de-Calais.

I – Les grands partis cumulent plus que les petits partis

6La possibilité de cumuler implique, au préalable, la capacité à détenir des mandats. La comparaison des listes présentées par les « grands » et les « petits » partis14 souligne le fossé existant entre les deux types de formation. Ainsi, la proportion des candidats sans mandat peut atteindre 100 % pour les listes de « Lutte Ouvrière », Génération Ecologie dans le Nord ou CNPT dans le Pas-de-Calais. Elle varie entre 10 et 20 % pour les listes « Femmes » et celles présentées par les Verts. En revanche les grands partis, font la part belle aux candidats qui détiennent déjà un mandat politique (tableau 2).

7L’étude du type de mandat détenu par les candidats des petits partis confirme ce clivage purement quantitatif. Au sein des petites formations, on ne recense que des conseillers municipaux ou des adjoints au maire, à quatre exceptions près15. Au contraire, figurent sur les listes des grandes formations des parlementaires, des conseillers généraux et, surtout, des maires en proportion importante. Ainsi trouve-t-on, au sein de la liste Borloo, cinq députés, un sénateur, trois conseillers généraux et douze maires ; au sein de la liste Delebarre, on dénombre trois députés, un sénateur et quatorze maires ; au sein de la liste Codaccioni, un sénateur, deux conseillers généraux et sept maires.

8Mais l’absence d’élus sur les listes des petites formations semble moins provenir d’une difficulté à trouver des candidats qui disposent déjà d’un ancrage territorial que d’une réelle volonté politique de limiter les cumuls. C’est vrai pour les listes novices, telles les listes « Femmes » ou celle que Bruno Bonduelle a présentée avec le concours de Génération Ecologie, mais aussi pour celles qui, bien que régulièrement présentes, atteignent difficilement les 5 % des suffrages exprimés, susceptibles de leur offrir des élus (Lutte ouvrière).

9Le cas des Verts et du Front National est un peu différent. Dans le Nord, le FN n’hésite pas à solliciter ses élus : sa liste comporte un député européen (Carl Lang) et vingt-neuf conseillers municipaux. Mais la comparaison des candidatures aux élections régionales et aux cantonales met surtout en évidence le caractère quasi systématique de la double candidature. Sur quarante et un candidats FN aux élections cantonales, trente et un (soit 76 %) font aussi partie de la liste régionale du FN16. Ces pratiques témoignent peut-être de la difficulté qu’éprouve le FN à trouver des candidats crédibles ; mais elles mettent surtout en évidence un « cumul de candidatures », qui puise probablement sa source dans des raisons d’ordre interne. A moins qu’il ne s’agisse pour le FN d’une tactique pour faire progressivement connaître ses candidats, quel que soit le scrutin. Si le cumul des mandats n’est pas plus fréquent au Front National, c’est tout simplement parce que cette formation ne dispose pas encore d’un nombre important d’élus. Transposé aux autres formations politiques, ce constat permet de rappeler une évidence : le cumul des mandats n’est possible que s’il y a cumul des candidatures. Puisqu’on ne saurait sérieusement invoquer une pénurie de candidats dans les formations politiques traditionnelles, cela conduit nécessairement à s’interroger sur le fonctionnement des appareils partisans, et sur les processus de désignation des candidats.

10Les Verts sont a priori dans une situation différente. Dans le Nord, le seul député et le seul maire figurant sur la liste sont relégués en position non éligible (respectivement à la 72e et 46e place17). Marie-Christine Blandin fait partie des personnalités politiques qui ont mis en avant ce mot d’ordre anti-cumul18. Elle précisait dans sa profession de foi : « Depuis 1992, je préside le conseil régional Nord/Pas-de-calais à temps plein. Et sans cumuler d’autre mandat ». Pour autant, les victoires électorales s’annonçant, les Verts ne sont-ils pas eux aussi menacés, à terme, par la spirale du cumul des mandats ? L’exemple de Dominique Voynet montre que les Verts savent aussi utiliser un mandat ou une fonction (ici ministérielle) pour favoriser une victoire électorale (le gain du canton de Dole-Nord-est, dans le Jura, en 1998). Le non-cumul est davantage l’apanage des plus faibles que l’expression d’une véritable volonté politique. Et, quand cette volonté existe, elle reste toujours potentiellement à la merci des impératifs de l’efficacité. Comme l’indique Gérard Le Gall (1997), à propos de l’important pourcentage de députés socialistes ne disposant que d’un seul mandat, « ce sont pour beaucoup d’entre eux des femmes et des nouveaux élus qui dans le futur, en l’absence d’une loi, pourraient eux aussi être aspirés par la spirale infernale du cumul des mandats »19.

11Quelles que soient la taille de la formation politique étudiée et sa couleur politique, force est de constater, avec Guy Carcassone20, le caractère politiquement obligatoire du cumul des mandats (quand il est possible) aussi longtemps qu’il n’est pas juridiquement interdit.

Tableau 2. Les listes régionales et le cumul des mandats

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II – Les éligibles cumulent plus que les non-éligibles

12L’importance des pratiques de cumul au sein des grands partis, comparée à celle des petits, s’accompagne d’une augmentation des candidats cumulants, au fur et à mesure que l’on se rapproche de la tête de liste. Une analyse plus fine montre, néanmoins, que certains éligibles préfèrent taire l’existence de certains de leurs mandats.

Les têtes de liste ou la nécessité d’une « locomotive politique »

13Parmi les éligibles, il faut tout d’abord distinguer les « présidentiables » des « simples éligibles » (les douze premiers candidats de la liste). Ces présidentiables, qui ont pour nom Michel Delebarre, Jean-Louis Borloo et Philippe Vasseur, sont tous députés-maires, dont deux d’une commune de plus de 20 000 habitants (Dunkerque pour le premier, Valenciennes pour le second). Dès l’origine, leur situation les expose à devoir choisir, en cas de victoire, entre l’un des trois mandats qu’ils sont susceptibles de détenir21.

14Par contre, en ce qui concerne les têtes de liste des autres grands partis, une différence très nette de pratique apparaît. Le Parti socialiste utilise à plein le cadre départemental de l’élection, en se rangeant, dans le Pas-de-Calais, derrière le président du conseil général, Roland Huguet (également sénateur). Mais ni Colette Codaccioni, tête de la liste RPR dans le Nord, ni Rémy Auchedé, tête de la liste communiste dans le Pas-de-Calais ne détiennent de mandats importants. Colette Codaccioni et Rémy Auchedé ne détiennent plus aujourd’hui que des mandats locaux22.

15Pour la tête de liste, le discours relatif à la limitation du cumul des mandats n’a pas de prise ; ce qui compte, avant tout, c’est d’avoir une « locomotive politique ».

Les éligibles ou la concentration du cumul

16L’analyse des listes des grandes formations met en évidence une augmentation significative du cumul des mandats chez les candidats situés en haut de liste. Les places d’éligibles sont presque exclusivement destinées à des candidats détenant au moins un autre mandat. Quand on ne prend en compte que les six premiers de la liste, le cumul est quasi systématique. Il reste très important si l’on prend en compte les 12 premiers de la liste (tableau 3). Toutefois, rares sont les candidats qui détiennent plus d’un autre mandat. Ils ne sont que onze dans ce cas, dont cinq têtes de liste (Jean-Louis Borloo, Colette Codaccioni, Michel Delebarre, Roland Huguet, Philippe Vasseur). Seuls quatre d’entre eux sont concernés par les lois de décembre 1985. Il s’agit de Michel Delebarre, Jean-Louis Borloo, Roland Huguet et de Jacques Donnay, président du conseil général sortant et député européen23, qui figurait en quatrième position sur la liste Borloo. Les sept autres détiennent un mandat municipal non visé par la loi de 1985 (conseiller municipal, adjoint au maire d’une commune de moins de 100.000 habitants, maire d’une commune de moins de 20.000 habitants).

Tableau 3. Le cumul des mandats selon la position occupée sur la liste

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17En ce qui concerne la proportion des sans-mandats, deux remarques peuvent être faites (tableau 4). En premier lieu, les deux listes socialistes, ainsi que celle conduite par J.– L. Borloo, se caractérisent par une moindre proportion de sans-mandats : 25 % pour la liste Huguet, 28 % pour celle conduite par Michel Delebarre et 26 % pour la liste Borloo, contre 39 % pour les listes de Philippe Vasseur et de Colette Codaccioni. En second lieu, et de manière symétrique à ce que nous avons pu constater à l’égard des cumulants, leur proportion diminue au fur et à mesure que l’on se rapproche de la tête de liste, pour être nulle dans 5 cas sur 6, au sein des premiers éligibles (les six premiers candidats de liste).

Tableau 4. Proportion de candidats sans mandat selon la position occupéee sur la liste

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Des mandats moins légitimes que d’autres

18En contrepoint, on peut souligner le fait que des éligibles « oublient » de mentionner certains de leurs mandats politiques. En effet, la détention d’un mandat peut porter en elle-même le souvenir de la défaite politique. A cet égard, il est intéressant de constater que Colette Codaccioni et Françoise Hostalier se sont abstenues de mentionner leur mandat municipal et leur titre d’ancienne députée, évitant de rappeler aux électeurs leurs défaites de 1995 et de 1997.

19La détention d’un mandat exprime aussi une inscription territoriale. Cette inscription constitue d’autant plus une ressource électorale qu’elle s’étend dans la durée. D’où le qualificatif de « fief » que l’on confère à la circonscription territoriale détenue pendant plusieurs décennies par le même élu24. L’importance du référent territorial est tel que la plupart des grands partis prennent soin de préciser le caractère géographiquement représentatif des candidats de leur liste, quand bien même le mode de scrutin proportionnel enlève toute dimension territoriale aux élections régionales25. Le cas de Roland Huguet, tête de liste du Parti socialiste dans le Pas-de-Calais, est un bon exemple. Pour rassembler le maximum de suffrages, il n’est ainsi indiqué, sous le nom de Roland Huguet, que sa fonction de président du conseil général du Pas-de-Calais. Son mandat de sénateur (à caractère national), au contraire, n’est pas mentionné, comme si une telle indication pouvait nuire à l’intéressé et donc à la liste socialiste. Le cas de la première secrétaire fédérale du Parti communiste du Nord, Annick Matighello, est de nature différente. L’omission, par l’intéressée, de son mandat de conseillère municipale de Lille doit être rapprochée de sa volonté de changer de terrain d’implantation. Jusqu’en 1995, Annick Matighello se présentait aux élections municipales de Lille. Elle décide en 1997 de s’implanter dans une des zones de force du Parti communiste, le bassin de la Sambre. Elle se présente alors dans la 23e circonscription du Nord puis, lors des cantonales de 1998, dans le canton de Maubeuge-sud. Dans ce contexte, préciser la détention de son mandat lillois risquait de jeter le trouble sur sa nouvelle stratégie territoriale. Le cas de Philippe Vasseur est encore différent, puisqu’il tait l’ensemble de ses mandats. Seul son nom (en caractère gras et en plus gros caractère que les autres candidats) est mentionné sur la liste. Le fait de ne pas faire apparaître ses mandats peut d’abord s’expliquer par la volonté du candidat de ne pas réduire sa dimension territoriale au département du Pas-de-Calais. La profession de foi de la liste Codaccioni, qui réunit cette dernière et Philippe Vasseur, s’intitule « l’Equipe Vasseur ». Indiquer les mandats détenus, dans le Pas-de-Calais, par Philippe Vasseur, comportait le risque de s’enfermer dans son département d’élection, alors que sa campagne électorale tendait à mettre en avant la dimension régionale du scrutin. Mais ce n’est pas la seule explication. La lecture de la profession de foi de la liste conduite par Colette Codaccioni met en évidence ses qualités personnelles morales et intellectuelles : « Une équipe rassemblée et unie autour de Philippe Vasseur homme intègre, compétent, sérieux, ouvert, qui est le meilleur candidat à la présidence du conseil régional ». Contrairement à la profession de foi de Michel Delebarre, le discours évacue toute référence à la politique, aux partis. C’est au contraire la personnalité du chef de file qui est mise en avant, comme si le mandat, incarnation du monde politique, était vécu sur le mode négatif.

III – Le Pas-de-Calais cumule plus que le Nord

20La comparaison entre les deux listes officielles de la droite modérée dans la région Nord-Pas-de-Calais, met en relief des différences importantes selon le département.

21Tout d’abord, la liste Codaccioni se distingue de la liste Vasseur par la faible importance du nombre de candidats détenant deux mandats. Si la part des sans-mandats est sensiblement la même au regard de l’ensemble des deux listes (un peu moins de 40 %), la proportion des candidats de la liste détenant deux mandats est de 3 % pour la liste Codaccioni, contre 12 % pour la liste Vasseur. Ces différences se confirment quand on se concentre sur les douze premiers de liste. Les candidats cumulants deux mandats sont plus nombreux dans la liste Vasseur (33 %) que dans la liste Codaccioni (17 %).

22Ces écarts sont confirmés quand on examine la qualité des cumulants éligibles. Ainsi, tandis que la liste Codaccioni ne compte qu’un seul élu détenteur d’un mandat national, la liste Vasseur en comporte deux. Au sein des candidats cumulant deux mandats locaux, les quatre candidats de la liste Vasseur dans ce cas sont maire et conseiller général, alors qu’il n’existe aucun maire détenant un autre mandat local dans la liste Codaccioni. Le poids des maires, parmi les candidats ne détenant qu’un mandat, est aussi plus important dans la liste Vasseur (25 % dans les douze premiers de la liste) que dans la liste Codaccioni (17 % dans les douze premiers).

23Ces fortes différences semblent trouver leurs sources dans la présence, dans le Nord, d’une seconde liste de la droite modérée marquée par l’importance de ses notables, au côté de la liste Codaccioni. Les notables provenant du RPR, qui ont préféré se trouver au sein de la liste Borloo, et l’absence de personnalités de l’UDF, semblent avoir favorisé ce phénomène. Les déconvenues aux élections municipales de 1995 et, plus encore aux législatives de 1997 qui n’ont permis qu’à trois députés de droite de conserver leur mandat dans le Nord, n’ont fait que réduire encore la population de candidats mieux dotés en mandats.

24On retrouve également une différence de pratiques entre les listes communistes du Nord et du Pas-de-Calais. Depuis les législatives de 1988, le Parti communiste français tend à utiliser de plus en plus systématiquement ses maires, en les présentant comme candidats à la députation et à la suppléance26. Lors des élections régionales de 1998, on observe cette même pratique dans le Pas-de-Calais. En effet, la Fédération communiste de ce département privilégie les maires, au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie de la liste régionale. Leur proportion passe de 50 %, au sein des douze premiers de liste, à 67 %, au sein des six premiers. Il en va tout à fait différemment dans le département du Nord, où, sur les vingt-quatre candidats communistes de la liste de la Gauche rassemblée, on ne trouve que cinq maires, le premier d’entre eux ne se situant qu’à la dix-huitième place de la liste. Contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, cette disparité de pratique ne provient pas de l’absence de liste communiste, dans le Nord. L’étude de la liste présentée par le Parti communiste en 1992 débouche sur un constat identique. Il existe bien une différence de stratégie entre les deux fédérations communistes. Celle du Nord tend à profiter du mode de scrutin proportionnel pour mettre le pied à l’étrier à de jeunes candidats, appelés à jouer un rôle plus important dans un proche avenir27. Au contraire, le conservatisme idéologique de la Fédération communiste du Pas-de-Calais semble aller de pair avec une stratégie, qui vise avant tout à contenir l’hémorragie électorale du parti en plaçant ses maires aux premiers rangs de la liste.

25Ainsi, les états-majors politiques sont souvent les premiers à solliciter leurs élus. La recherche de l’efficacité électorale l’emporte alors sur la volonté (plus ou moins ferme) de lutter contre le cumul des mandats. Le scrutin régional de 1998 en administre une nouvelle fois la preuve. Alors même que le Premier ministre avait annoncé le dépôt de trois projets de loi visant à limiter le cumul des mandats, force est de constater que les états-majors n’ont guère anticipé la réglementation à venir. En cette matière, plus qu’en tout autre, seule l’intervention du législateur est susceptible d’infléchir le cours des choses.

Notes de bas de page

1 Yves Mény note qu’alors que le cumul des mandats (au sens large) n’est que de 42 %, en 1956, « il ne cesse de croître tout au long de la Ve République pour dépasser les 70 % à partir de 1973 ». Meny Y., « Le cumul : les charmes de l’oligopole », dans La corruption de la République, Paris, Fayard, 1992, p. 70.

2 Loi organique n° 85-1405 en ce qui concerne les parlementaires et loi n° 85-1406 en ce qui concerne les députés européens et l’ensemble des élus locaux. Pour une étude de celles-ci on se référera à l’article de Jean-Claude Masclet, « Un remède homéopathique ? Les lois sur le cumul des mandats et des fonctions électifs », A.J.D.A., avril 1986, pp. 214-220.

3 Ibidem, p. 220.

4 Mabileau A., « Le cumul des mandats », Regards sur l’actualité, n° 169, mars 1991, p. 27.

5 Meny Y., « La République des fiefs », Pouvoirs, n° 60, 1992, p. 23.

6 A l’issue des élections législatives de 1988, 96 % des députés détiennent au moins un mandat local. A l’issue des élections législatives de 1993, le pourcentage s’élève à 93 %.

7 85 % de députés détiennent plus d’un mandat, au sens des lois de décembre 1985. Le Gall G., « Interview : l’ampleur du cumul des mandats », R.P.P., n° 991, novembre-décembre 1997, pp. 11-14.

8 Il faut préciser que ce pan de la réforme ne s’est pas encore concrétisé sous la forme d’un projet de loi. En effet, le 8 avril 1998, le conseil des ministres a approuvé deux projets de loi visant les deux autres types de cumul. Le projet de loi relatif à l’interdiction d’exercice de fonctions exécutives locales pour les ministres nécessitant une réforme de la constitution, le Premier ministre a préféré attendre pour le présenter.

9 Il faut noter que, contrairement à la volonté du gouvernement Jospin, les députés, dans le cadre du premier examen à l’Assemblée nationale, ont élargi la prise en compte du cumul au « président d’un établissement public de coopération intercommunale doté d’une fiscalité propre ».

10 Duverger M. et alii., « L’influence des systèmes électoraux sur la vie politique », Cahiers de la F.N.S.P., n° 16, 1950, A. Colin.

11 Mabileau A., « Le cumul des mandats », Regards sur l’actualité, n° 169, mars, 1991, pp. 27-28. Dolez M., « La loi sur le cumul des mandats 5 ans après », Le Monde, 27 mars 1991.

12 Mabileau A., « La nationalisation des candidatures par la médiation des notables », dans Perrineau P. (dir.), Régions : le baptême des urnes, Lyon, Pedone, 1987, pp. 35 et s.

13 Garraud P., « Le kaléidoscope des candidatures et des campagnes », dans Habert P., Perrineau P. et Ysmal C. (dir.), Le vote éclaté. Les élections régionales et cantonales des 22 et 29 mars 1992, Paris, Presses de la F.N.S.P., 1992, p. 40.

14 Laurent A. et Villaeba B. (dir.), Les petits partis. De la petitesse en politique, L’Harmattan, collection Logiques Politiques, 1998.

15 Il s’agit de Philippe Salomé, maire d’Anzin-St-Aubin, n° 2 de la liste proche de Jean-Louis Borloo dans le Pas-de-Calais ; de Luc Coppin, maire de Fresnes-sur-Escaut et Guy Hascoët, député du Nord, respectivement 46e et 72e de la liste des « Verts » du Nord ; de Marie-France Deleflie-Boulant, conseillère générale et maire, 41e de la liste des femmes du Pas-de-Calais.

16 Et, sur les douze premiers candidats de la liste, neuf ont été candidats aux législatives de 1997.

17 On peut en outre préciser que cette pratique de non-cumul horizontal s’accompagne d’une pratique de non-cumul vertical. Sur les six « Verts » élus lors des régionales de 1992, quatre se retrouvent, six années plus tard, sur la même liste. Mais un seul d’entre eux est placé en position éligible (Marie-Christine Blandin). Les trois autres se situent respectivement à la 15e, 46e et 72e place.

18 Ainsi, a -t-elle fait partie des premiers signataires de l’appel lancé, en avril 1997, par Le Nouvel observateur contre le cumul des mandats, Le Nouvel observateur, n° 1694, 24-30 avril 1997, p. 116.

19 Le Gall G., « Interview : L’ampleur du cumul des mandats », R.P.P., op. cit., p. 14.

20 Carcassone G., « Dix constitutionnalistes répondent à deux questions concernant le cumul des mandats », R.D.P., n° 6, décembre 1997, p. 1562.

21 Michel Delebarre, nouveau président du conseil régional, a depuis démissionné de son mandat de député.

22 Rémy AUCHEDÉ et Colette Codaccioni ont été député du Nord de 1993 à 1997. Cette dernière a aussi été l’éphémère ministre de la Solidarité entre les générations du premier gouvernement d’Alain Juppé.

23 La liste Borloo se distingue des autres listes par l’utilisation plus marquée de ses notables. Ainsi, sa profession de foi met en évidence Jacques Donnay, par l’insertion de sa photo et d’un petit texte signé de sa main.

24 Sur la notion de « fief » on pourra se reporter au premier chapitre de notre thèse : Matuszewicz R., « Le territoire de domination : recherche d’une définition », Domination politique et processus de déclin électoral du Parti communiste français. Les territoires de domination communistes du département du Nord 1978-1995, Thèse de science politique, juin 1997, pp. 41 et s.

25 Sur la logique territoriale de la sélection des candidats lors des élections régionales de 1986, voir Wallon-Leducq C.M., « Sous la proportionnelle, le territoire. La désignation des candidats socialistes au sein de la Fédération socialiste du Pas-de-Calais » dans Perrineau P. (dir.), Régions : le baptême des urnes, Lyon, Pedone, 1987, pp. 51-64.

26 Voir Courtois S., « Parti communiste : les dernières cartouches », Dossier le Figaro, élections législatives 1988, 1988, pp. 26-27. A propos du département du Nord, on pourra se référer, pour la période 1978-1995, à notre thèse : Matuszewicz R., Domination politique et processus de déclin, op. cit., pp. 401 et s. et pour les législatives de mai-juin 1997, à notre article « Arrêter le temps : la confirmation du déclin communiste dans le Valenciennois », dans Dolez B., Laurent A. et Wallon-Leducq C.M., (dir.), La revanche de la gauche. Les élections législatives de 1997 dans la région Nord/Pas-de-Calais, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1998, pp. 128-130.

27 Ainsi, Alain Berteaux, nouveau maire de Fourmies, et Patrick Leroy, élu récemment député et conseiller général, avaient été candidats aux régionales de 1992.

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