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Nouveaux élus, nouvelles élites ?

p. 51-72


Texte intégral

1La recherche en science politique ne cesse de constater, année après année, la persistance d’un important décalage sociologique entre les citoyens et leurs représentants. En théorie, dans tout régime démocratique, chaque citoyen a une chance égale d’entrer dans la carrière politique, quels que soient son sexe, son âge, sa profession, son niveau d’études, son origine ethnique, etc. Dans les faits, on sait qu’il n’en est rien. L’appartenance aux catégories dominantes est un facteur déterminant de la participation aux élites politiques, alors que ceux qui occupent des rôles subordonnés au sein de la société, ou qui font partie de groupes minoritaires, tendent à être évincés des postes de responsabilité politique. On peut ainsi, en simplifiant quelque peu, dresser une sorte de « portrait-robot » (ou d’idéal-type) du professionnel de la politique : c’est un homme, d’âge mûr, appartenant à la bourgeoisie moyenne ou élevée1.

2Les travaux qui dressent périodiquement ce constat soulignent également qu’il ne vaut pas à l’identique pour toutes les strates du personnel politique. Les attributs sociaux jouent de façon moins décisive pour des postes moins élevés dans la hiérarchie politique, moins dotés en ressources de pouvoir – conseillers municipaux ou maires de petites communes, parlementaires européens... Par ailleurs, le mode de scrutin n’est pas sans influence sur la sélection sociale des élites politiques. Le scrutin uninominal, surtout lorsque le cumul des mandats est « autorisé, donc conseillé »2, favorise les notables déjà bien implantés localement, auxquels les militants et les états-majors font plus confiance en raison de leur notoriété, de l’étendue de leur réseau relationnel, de leur expérience des campagnes électorales... A l’inverse, la représentation proportionnelle tend à atténuer les effets de cette logique circulaire, car elle permet à chaque formation politique de placer sur sa liste, en situation éligible, des personnes qui n’ont pas encore « fait leurs preuves », extérieures au « sérail », ou qui tranchent avec le profil caractéristique du professionnel de la politique, et à qui elle ne prendrait peut-être pas, autrement, le risque d’attribuer une investiture3.

3On fait ici l’hypothèse que les conseils régionaux permettent la promotion d’élus dont le profil est sensiblement différent de celui du personnel politique « classique ». Le conseil régional est une institution récente, élue au suffrage universel depuis 1986 seulement. De ce fait, il souffre d’un déficit de notoriété et de « visibilité », lequel atteint également les élus régionaux. Comme le déplore par exemple Dominique Dord (UDF-DL, Rhône-Alpes), un conseiller régional est « un peu de partout, alors que le conseiller général ou le maire est de quelque part, adossés à un territoire ». A l’opposé de ces mandats « enracinés », qui offrent une forte implantation locale dans un véritable fief, et donc une importante reconnaissance de la part de la population concernée, le mandat de conseiller régional est « mal connu et reconnu », l’identification des élus, de l’équipe dirigeante et même du président de région étant souvent assez faible4. Du coup, les notables les plus puissants et les mieux implantés tendent parfois à manifester un intérêt assez marginal pour le conseil régional, soit qu’ils ne cherchent pas à y pénétrer, soit qu’ils en démissionnent lorsqu’ils se retrouvent en situation de cumul des mandats5. En revanche, le conseil régional est en quelque sorte un « bâton de maréchal » pour des petits notables locaux, qui y cherchent le couronnement de leur carrière. Mais il représente aussi et surtout un excellent « tremplin » pour des candidats moins bien pourvus de ressources politiques, comme les femmes ou les jeunes, et qui peuvent éventuellement espérer qu’une implantation régionale leur permettra d’atteindre ensuite des postes de responsabilité plus prestigieux6. Dès lors, il n’est guère surprenant de constater que les conseillers régionaux présentent certains traits originaux par rapport aux élus des institutions plus anciennes, plus prestigieuses et plus enracinées. A l’issue d’une enquête par questionnaire auprès d’un tiers des conseillers régionaux (616 exactement), complétée par les statistiques du ministère de l’Intérieur, Elisabeth Dupoirier constate en 1993 que le profil de ces élus se démarque de façon assez sensible de celui des notables classiques, à tel point qu’on peut parler d’une « nouvelle génération politique » ou de « nouvelles élites politiques ».

4L’objectif est ici de vérifier ce constat dans le Nord/Pas-de-Calais. Le profil des candidats et des élus aux élections régionales de 1998 se distingue-t-il vraiment de celui des parlementaires ou des conseillers généraux ? Si oui, cette spécificité est-elle en train de s’atténuer par rapport à 1992 ? Y a-t-il sur ce point des écarts significatifs entre les sensibilités politiques ? La situation est-elle identique dans les deux départements nordistes ? On essaiera d’apporter une réponse à ces quelques interrogations en se penchant plus particulièrement sur trois indicateurs : le sexe, l’âge et la profession des candidats et des élus.

I – Une féminisation relative et inégale

5On sait que l’un des facteurs d’exclusion de la vie politique les plus déterminants est le sexe. Au niveau national, en dépit d’évolutions récentes, notables mais encore limitées, les femmes sont très sous-représentées parmi les parlementaires, les dirigeants des organisations partisanes et le personnel gouvernemental. Il en va de même au sein des conseils généraux. Mais au niveau de l’institution régionale, on constate bien une féminisation sensible par rapport au reste du personnel politique.

6Ceci vaut déjà au niveau des candidatures. Lors de ces élections régionales de 1998 dans le Nord/Pas-de-Calais, 44,4 % des candidats sont des femmes. C’est nettement plus que le pourcentage observé le même jour lors des élections cantonales, dans le Nord (17 %) comme dans le Pas-de-Calais (15,9 %), et nettement plus aussi que lors des élections législatives de 1997 (23 %). A s’en tenir aux seules élections régionales, la région Nord/Pas-de-Calais se situe même bien au-dessus de la moyenne nationale, que le ministère de l’Intérieur évalue à 36,9 %.

7Il faut cependant tenir compte de la présence de deux listes de femmes, qui ont présenté au total 113 candidates. Il s’agit là en effet d’une particularité régionale, car sur l’ensemble de la France métropolitaine, on n’a dénombré que 13 listes de femmes, pour un total de 394 candidates. Si on recalcule le pourcentage de femmes candidates en ne comptabilisant que les listes mixtes, la spécificité du Nord/Pas-de-Calais s’estompe un peu : le pourcentage de femmes n’est plus alors que de 37,5 %, et l’écart entre le Nord/Pas-de-Calais et le reste du pays n’est que 2,2 points (au lieu de 7,5 points si on tient compte des listes de femmes). Il n’en demeure pas moins que les élections régionales ont suscité davantage de vocations parmi les femmes dans la région nordiste que dans le reste de la France – plus d’ailleurs dans le Nord (46,3 %) que dans le Pas-de-Calais (41,2 %).

8On observe par ailleurs une progression importante du pourcentage de candidates par rapport à 1992. L’évolution est surtout spectaculaire dans le Pas-de-Calais, qui a rattrapé une partie de son retard sur le Nord : entre 1992 et 1998, le pourcentage de candidates y est passé de 16,8 % à 41,2 % (alors que dans le même temps, il n’avait grimpé dans le Nord que de 25,8 % à 46,3 %). Certes, si l’on tient là aussi compte de la présence nouvelle de deux listes de femmes en 1998, l’évolution est un peu moins sensible (+15 points sur l’ensemble des deux départements). Il reste qu’en l’espace de six ans, on a assisté à une indéniable féminisation des candidatures. Ceci s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement d’ordre national, puisque sur l’ensemble des départements métropolitains, le pourcentage de candidates aux élections régionales est passé de 22,5 % en 1986 à 27 % en 1992, puis à 36,9 % en 1998. Il est quand même intéressant de relever que le Nord/Pas-de-Calais, qui se situait légèrement en dessous de la moyenne nationale en 1992 en ce qui concerne la féminisation des candidatures, est maintenant un peu au-dessus.

9Si l’on s’intéresse maintenant aux élu(e)s, il se confirme que les élections régionales sont plus favorables aux femmes que les élections législatives. Parmi les 113 conseillers régionaux du Nord/Pas-de-Calais élus en 1998, le pourcentage de femmes atteint 34,7 %, soit plus du triple de celui calculé à l’issue des élections législatives de 1997 – des élections qui avaient pourtant incité à parler d’une « percée relative » des femmes7. Il est aussi bien supérieur à celui relevé en 1998 pour les conseils généraux du Nord (7,3 %) et du Pas-de-Calais (15,8 %).

10Comme pour les candidates, le pourcentage d’élues est en très forte augmentation depuis 1992, puisqu’il passe dans la région de 14,2 % à 34,7 %, soit une hausse de plus de 20 points8. Une telle évolution va dans le même sens que celle observée au niveau national pour d’autres types d’élections, mais elle prend ici une ampleur plus grande encore : entre 1993 et 1997, le pourcentage de femmes députées n’est passé que de 6 % à 10,9 %, ce qui représente un gain de seulement 4,9 points.

11Il faut noter ici encore que c’est dans le Pas-de-Calais que l’évolution est la plus marquante. Si ce département n’avait envoyé en 1992 que 3 femmes sur 41 au conseil régional (7,3 %), il en envoie cette fois 12 (29,3 %), comblant en partie son retard. En comparaison, la progression du Nord est plus modeste : il passe de 13 femmes élues en 1992 (18,1 %) à 25 en 1998 (34,7 %).

12Pour rendre compte de cette évolution très nette, on peut reprendre les explications évoquées au niveau national9. La hausse et l’allongement de la scolarisation des femmes, ainsi que leur entrée massive sur le marché du travail, font qu’elles sont de plus en plus nombreuses à considérer que la sous-représentation féminine dans l’univers politique n’est pas légitime. Les prises de position en faveur de la parité hommes-femmes se multiplient et ont réussi à inscrire cet enjeu sur l’agenda politique (cf. le discours de politique générale de Lionel Jospin le 19 juin 1997). Dans le même temps, des sondages ont généralisé l’idée que les Français seraient, dans leur majorité, favorables à la parité. Les formations politiques sont ainsi soumises à diverses pressions qui les incitent à accueillir davantage de femmes parmi leurs instances dirigeantes et leurs élus. Par ailleurs, elles ont pour la plupart tiré la leçon des bons résultats des candidates socialistes lors des élections législatives de 1997. Tous ces motifs font que la « féminisation de la vie politique » est devenue un argument électoral et que les partis hésitent moins à présenter des candidates dans des circonscriptions « gagnables », ou en position éligible sur leurs listes à la proportionnelle. Après que le PS ait présenté 27,8 % de femmes lors des élections législatives de 1997, l’UDF et le RPR en ont désigné une trentaine comme têtes de listes aux élections régionales de mars 1998, avec notamment Colette Codaccioni dans le Nord. On peut enfin penser que la « féminisation » a été, plus encore dans le Nord/Pas-de-Calais que dans le reste de la France, l’un des enjeux saillants de ces élections, du fait de la présence pendant 6 ans de Marie-Christine Blandin à la présidence du conseil régional : alors que les Verts tentaient de tirer les fruits de cette « originalité », leurs concurrents étaient fortement incités à augmenter leur « quota » de femmes afin de ne pas paraître trop à la traîne...

13Quoi qu’il en soit, il est clair que pour les femmes, l’accès au conseil régional du Nord/Pas-de-Calais est beaucoup plus ouvert que celui à l’Assemblée nationale ou au conseil général. Mais il faut quand même ajouter qu’il existe des différences très nettes selon les étiquettes partisanes10.

14Premier constat : lors de ces régionales de 1998, les écologistes ont été les plus favorables à la promotion politique des femmes. Celles-ci représentent ainsi 49,6 % des candidats chez les Verts (qui ont adopté dans les deux départements le principe d’une liste avec « un homme, une femme », et qui ont désigné une tête de liste de chaque sexe), et 50 % sur la liste de Génération Ecologie conduite dans le Nord par Bruno Bonduelle. C’est aussi chez les Verts que le pourcentage d’élues au conseil régional est le plus important (44,4 %, soit 4 sur 9). Les efforts des écologistes pour soutenir la participation des femmes à la vie politique semblent donc, au niveau régional, suivis d’effets.

15Deuxième constat : le pourcentage de femmes, parmi les candidats et les élus, est nettement plus élevé à gauche qu’à droite, et il tend même à diminuer progressivement à mesure que l’on passe de la gauche à la droite. Cela se vérifie tout d’abord au niveau des candidatures. Si l’on compte 41,6 % de femmes sur les deux listes de Lutte ouvrière, et 40,3 % au total sur les trois listes de gauche (listes Delebarre, Huguet et Auchedé), ce pourcentage n’est que de 33,6 % pour les quatre listes de la droite parlementaire (listes Borloo, Codaccioni, Desrousseaux et Vasseur), et seulement de 26,5 % pour celles du Front national. A droite, l’écart est fort mince entre les listes de l’Equipe Vasseur (34,5 % de candidates) et celles de L’Equipe Borloo (32,7 %), mais à gauche on note d’importantes disparités. Dans le Nord, la liste de la « gauche rassemblée » comprend 47,2 % de femmes : sans doute s’agit-il pour Michel Delebarre, candidat à la présidence du conseil régional, d’empêcher Marie-Christine Blandin de jouer sur le thème de la « féminisation de la vie politique ». Par contre, dans le Pas-de-Calais, la liste du PS et celle du PCF-MDC ne comptent que 34,1 % de femmes chacune, soit un pourcentage qui dépasse à peine celui des deux listes de droite dans ce département.

16Au niveau des élus, on retrouve sensiblement le même tableau. Derrière les Verts, c’est Lutte ouvrière qui envoie le plus de femmes au conseil régional (42,9 %), suivie par la gauche socialiste et communiste (38,1 %), par la droite classique (28,1 %) et enfin par le Front national (22,2 %). Les listes de l’Equipe Vasseur et celles de l’Equipe Borloo ne se singularisent pas plus ici que pour les candidatures. A gauche, par contre, la liste Delebarre confirme sa forte féminisation en envoyant 44 % de femmes au conseil régional, ce qui la place nettement devant ses homologues du Pas-de-Calais.

17Ces constats sont largement congruents avec les observations faites par Janine Mossuz-Lavau à propos des élections législatives de mai 1997. Lors de ces élections en effet, c’est à l’ extrême-gauche que l’on constate le plus fort contingent de femmes parmi les candidats (32,3 %), et ce pourcentage est nettement plus élevé à gauche qu’à droite (26,8 % pour le PC, 27,8 % le PS, 7,7 % pour l’UDF, 8,9 % pour le RPR, et 12,1 % pour le FN). Quant aux députées élues à l’issue de ce scrutin, elles sont elles aussi plus nombreuses à gauche (13,2 % au PC et 17,1 % au PS) qu’à droite (6,4 % à l’UDF et 3,6 % au RPR). La tendance repérée lors de ces élections régionales de 1998 dans le Nord/Pas-de-Calais confirme donc une caractéristique classique de la vie politique française, à savoir la plus forte prédominance masculine à droite. Les partis conservateurs ont plus de réticence, ou plus de difficulté, à propulser des femmes vers des mandats politiques, ce qui se manifeste de deux façons : elles sont moins souvent investies que les hommes, celles qui sont investies se voient attribuer moins souvent que les hommes des places éligibles ou des circonscriptions gagnables.

18Cette dernière remarque nous amène à prendre la mesure d’un constat qui, là encore, n’a rien de nouveau : le pourcentage de femmes élues au conseil régional du Nord/Pas-de-Calais est très sensiblement inférieur au pourcentage de candidates (32,7 %, contre 44,4 %). Cela signifie que prises dans leur ensemble, les femmes ont été placées par les états-majors de campagne plus souvent en position non éligible qu’en position éligible. Mais est-ce là une caractéristique générale, ou ce constat s’applique-t-il à certaines listes plutôt qu’à d’autres ? Pour le savoir il suffit de calculer, pour chaque liste, le ratio entre le pourcentage d’élues et le pourcentage de candidates. On retrouve alors une fois de plus, bien que de façon un peu moins flagrante, le constat selon lequel la gauche est une terre plus favorable à la participation politique des femmes. En effet, ce ratio atteint un maximum de 1,03 à Lutte ouvrière (ce qui signifie que les listes d’extrême-gauche comptent, proportionnellement, plus de femmes parmi leurs élus que parmi leurs candidats). Il descend ensuite à 0,95 pour les trois listes de gauche, à 0,90 pour les deux listes des Verts, puis à 0,85 pour les quatre listes de la droite classique, et enfin à 0,84 pour les deux du FN. La pratique qui consiste à réserver en priorité les places éligibles aux hommes, et à refouler les femmes vers les positions plus lointaines de la liste, paraît ainsi un peu plus fréquente à droite qu’à gauche11.

19Au total, il se confirme que les élections régionales permettent aux femmes d’intervenir de façon plus massive, et avec davantage de chances de succès, dans la compétition politique. Elles sont bien plus nombreuses à se présenter que lors des élections législatives et cantonales (et ce dans tous les partis), et plus nombreuses aussi à être élues. Qui plus est, la tendance par rapport aux élections régionales de 1992 est à une forte féminisation, là aussi dans toutes les formations politiques. Enfin, le Nord/Pas-de-Calais se distingue du reste de la France, en ce sens que ces évolutions y semblent légèrement plus marquées.

II – Un rajeunissement ?

20S’il est un univers à prédominance masculine, le monde politique se caractérise aussi par une forte sur-représentation des personnes « d’âge mûr ». D’un côté, les « jeunes » tendent à être écartés en raison de leur inexpérience, laquelle est souvent assimilée à un manque de compétence. Sauf à entrer en dissidence, ils ne peuvent accéder à des mandats prestigieux et richement dotés en ressources de pouvoir que s’ils ont fait leurs preuves au sein de leur parti – sans parler du fait que les principaux notables tendent à se réserver les circonscriptions les plus sûres, et que les sortants sont toujours difficiles à évincer –. Quant aux personnes âgées, les état-majors partisans et les militants se méfient de l’image d’archaïsme qu’elles peuvent renvoyer auprès des électeurs.

21On peut néanmoins faire l’hypothèse que ces tendances sont un peu moins marquées au conseil régional qu’au niveau national ou que dans une institution fortement notabilisée comme le conseil général. D’abord, parce que la conjoncture semble être plutôt à la valorisation du « rajeunissement » ou du « renouvellement », à en croire en tous cas les discours récurrents des états-majors des grandes formations politiques12. En outre, le scrutin proportionnel rend, aux yeux des états-majors partisans, moins aigu le souci de se replier sur des notables expérimentés, bien implantés, qui ont capitalisé de nombreuses ressources politiques, et peut les amener à promouvoir en position éligible quelques jeunes espoirs, peut-être pas encore assez rodés pour faire campagne électorale sur leur nom propre, mais qui pourront profiter de ce mandat local pour faire l’apprentissage de la politique, et qui sont des « produits d’appel » intéressants sur le plan électoral. Par ailleurs, étant donné qu’il s’agit d’une institution récente, souffrant d’un « déficit de visibilité » et encore délaissée par les principaux notables, il est peut-être plus facile pour de jeunes impétrants de partir à l’assaut du conseil régional, ou pour des personnes âgées de conserver leur place de candidat ou leur siège. Or, ces hypothèses ne sont que partiellement confirmées. La spécificité de l’institution régionale par rapport à l’Assemblée nationale ou au conseil général existe aussi en ce qui concerne l’âge, mais elle est bien moins évidente que lorsqu’on étudie la place des femmes.

22L’âge moyen des 1017 candidats de la région Nord/Pas-de-Calais est de 44,4 ans (43,4 ans dans le Nord et 46,1 dans le Pas-de-Calais). Cet âge moyen est donc légèrement inférieur à celui que l’on constate généralement lors des élections législatives (46 ans en 1978, 48 ans en 1981 puis en 1993). Il est aussi nettement inférieur à celui des candidats aux élections cantonales qui se déroulent le même jour, ceci valant autant pour le Nord (47,8 ans) que pour le Pas-de-Calais (50 ans).

23Les candidats aux élections régionales de 1998 dans le Nord/Pas-de-Calais semblent ainsi se caractériser par une relative jeunesse, au regard de ceux qui concourent lors des élections législatives ou cantonales. Mais outre que l’écart est somme toute assez mince (quelques années), deux raisons incitent à relativiser la portée de ce constat. Tout d’abord, cette situation est due en partie à la présence dans le Nord d’une liste inhabituellement jeune (32,3 ans de moyenne d’âge), conduite par Abdel Rokia. Si on ne la prend pas en compte, on obtient une moyenne d’âge à peine inférieure à celle calculée pour les candidats aux élections législatives de 1993. En second lieu, l’âge moyen des candidats à ces élections régionales varie de façon assez sensible selon les listes. Plus que l’étiquette politique ou le positionnement sur l’axe droite-gauche, c’est ici le degré d’institutionnalisation ou de « notabilisation » qui semble être la variable la plus déterminante.

24Quelles sont, en effet, les listes qui présentent les moyennes d’âge les plus basses ? Il s’agit d’abord de celles qui clament haut et fort leur volonté de se situer à l’écart du jeu partisan, lequel est ici associé à l’absence de renouvellement du personnel politique. C’est le cas, on l’a vu, de la liste Rokia, qui se veut « sans étiquette politique ». Toutes les autres listes qui se caractérisent par leur jeunesse émanent de formations politiques « marginales » : c’est le cas des écologistes (42,1 ans pour les Verts et 41,8 ans pour Génération Ecologie), et de Lutte ouvrière (42,1 ans). Quant aux formations politiques tradi-tionnelles, elles ne se défont guère de leur tendance à privilégier le critère de la maturité dans le choix de leurs candidats, même pour les élections régionales. La moyenne d’âge est en effet de 45,7 ans sur les listes de la droite classique (avec une pointe à 48,8 ans pour la liste Vasseur dans le Pas-de-Calais), et de 48,1 ans pour les listes de gauche (avec un maximum de 50,1 pour la liste Huguet dans le Pas-de-Calais). Au total, les listes émanant de formations politiques « classiques » sont donc un peu plus âgées que celles qui sont présentées par des formations politiques « marginales », ou qui se veulent en dehors du jeu partisan13.

25Mais ces moyennes peuvent elles aussi être trompeuses, comme le montre la répartition des candidats à l’Intérieur de quelques grandes catégories d’âge. Tout d’abord, la part des jeunes de moins de 35 ans parmi les 1017 candidats à ces élections régionales dans le Nord/Pas-de-Calais est près de deux fois supérieure à celle constatée lors des élections législatives de 1993 (21 %, contre 11 %). Ceci est certes dû en grande partie à la liste Rokia (qui comprend 68,1 % de jeunes candidats), mais pas uniquement : pour les seuls partis de gouvernement (PC, PS, MDC, RPR et UDF), le pourcentage de moins de 35 ans est encore de 15 %. Les élections régionales représentent donc bien une scène électorale sur laquelle les individus encore peu expérimentés ont de meilleures chances de se montrer que lors des élections législatives, y compris au sein des formations politiques dites « traditionnelles ».

26En second lieu, les listes dont les moyennes d’âge sont les plus basses ne sont pas forcément celles qui accordent le plus facilement leur confiance aux candidats les plus jeunes. Certes, la part des moins de 35 ans est nettement plus importante chez les Verts ou à Lutte ouvrière (16,8 % dans les deux cas), que sur les listes de gauche (8,4 %, et seulement 4,9 % sur la liste Huguet dans le Pas-de-Calais)... mais il y en a tout autant sur les listes de l’équipe Vasseur (16,8 %), et même davantage sur celles de l’équipe Borloo (19,5 %). En fait, les Verts et Lutte ouvrière se caractérisent par une forte prédominance des candidats de 35 à 49 ans (respectivement 69,9 % et 67,2 %). Si les moyennes d’âge de leurs listes sont basses, c’est surtout parce qu’ils présentent très peu de candidats âgés de 55 ans ou plus (8 % et 8,8 %), soit beaucoup moins que ne le font la droite classique (20,8 % au total, et une pointe à 31,8 % sur la liste Vasseur dans le Pas-de-Calais), la gauche gouvernementale (21,4 %), les femmes (23 %), et surtout le FN (32,7 %).

27Quant aux listes de gauche, ce sont elles qui sélectionnent le plus des candidats dans la force de l’âge, à l’instar de ce que font habituellement les formations politiques classiques au niveau national. Lors des élections législatives de 1993 par exemple, la part des 45-54 ans était en moyenne de 35 % : lors des régionales de 1998, elle atteint 51,2 % sur l’ensemble des listes de gauche, et même 63,4 % sur la liste Huguet dans le Pas-de-Calais.

28De leur côté, les listes de la droite classique élargissent la palette : elles se situent à peu près dans la moyenne pour la part de personnes relativement âgées, mais elles abritent davantage de jeunes de moins de 35 ans que les autres listes (19,5 %, contre 11 % en moyenne), et ce au détriment de la catégorie intermédiaire des 35-54 ans. C’est la percée des jeunes qui est ici la plus notable : lors des législatives de 1993, les moins de 44 ans ne représentaient que 22 % des candidats UDF-RPR mais, en mars 1998, ils comptent pour 42,4 % des candidats de la droite classique aux élections régionales.

29Enfin, le profil du FN est ici très singulier : il compte peu de candidats d’âge moyen (23,9 % de 45-54 ans, soit le plus faible pourcentage), mais il se caractérise à la fois par le plus gros pourcentage de personnes âgées de 65 ans et plus (15 %, contre 4,7 % pour l’ensemble des 18 listes), et par un fort contingent de jeunes candidats de moins de 35 ans (18,6 %, et même 20,8 % dans le Nord).

30Derrière les moyennes, au fond assez proches, se cachent donc des structures très distinctes. Les Verts et Lutte ouvrière se caractérisent par la domination de candidats dont l’âge oscille autour de la quarantaine, avec peu de candidats très jeunes ou très âgés ; les critères de sélection des listes de gauche se rapprochent plus de ceux qui conduisent, au niveau national, à une sur-représentation des individus d’âge mûr au sein des élites politiques ; la droite classique fait de même, mais elle intègre davantage de personnes âgées et surtout de jeunes candidats, ce qui tire la moyenne d’âge vers le bas ; enfin, les listes du FN tranchent avec celles des partis de gouvernement, car elles comptent à la fois plus de jeunes et de vieux candidats, et beaucoup moins de candidats d’âge mûr. C’est donc pour le parti d’extrême-droite que l’hypothèse selon laquelle les élections régionales permettent l’entrée sur la scène politique de gens moins dotés en ressources de pouvoir (trop jeunes, ou trop vieux...), paraît la plus valable.

31Mais ce constat, dressé à propos des candidats, vaut-il également pour les élus ? La moyenne d’âge des 113 conseillers régionaux élus en mars 1998 dans le Nord/Pas-de-Calais est de 48,7 ans. Ils sont donc plus jeunes que les députés élus en 1993 (52 ans), et que les conseillers généraux élus en mars 1998 (51,6 ans dans le Nord, 50 ans dans le Pas-de-Calais). Si l’on répartit les conseillers régionaux en 6 classes d’âge, on constate là aussi une répartition assez distincte de celle observée au niveau national. Dans l’Assemblée nationale élue en 1993, ce sont les 45-54 ans qui constituent les plus gros bataillons, avec 43 % des députés. Ce trait se retrouve, plus nettement encore, au conseil régional du Nord/Pas-de-Calais, puisque cette tranche d’âge rassemble 47,8 % des élus. Mais à côté de cette prédominance des personnes « dans la force de l’âge », on note une présence plus affirmée des jeunes de moins de 35 ans (7,1 % contre 2 %), et une sous-représentation plus flagrante encore des personnes âgées de plus de 65 ans (5,3 %, contre 13 %). Le résultat de ces élections régionales semble donc bien être l’installation au conseil régional du Nord/Pas-de-Calais d’un personnel politique un peu plus jeune que ne le sont les élites politiques « traditionnelles ».

32Néanmoins, de même que les femmes sont moins nombreuses à se présenter lors des élections régionales qu’à y obtenir un siège, les élus sont plus âgés que les candidats, de 4,3 ans en moyenne. Plusieurs raisons permettent de l’expliquer. Tout d’abord, on l’a vu, les listes les plus jeunes sont souvent celles qui comptent peu d’élus, ceci étant particulièrement le cas pour la liste Rokia dans le Nord, mais aussi pour celles de Lutte ouvrière et des Verts. Mais à l’Intérieur même des listes qui ont réussi à obtenir des sièges, les jeunes ont plutôt été moins nombreux en position éligible que dans le reste de la liste. Si on calcule pour chaque liste le ratio entre l’âge moyen des élus et l’âge moyen des candidats, on constate en effet que ce ratio est supérieur à 1 dans tous les cas (sauf un) : il atteint 1,03 pour les Verts, puis 1,06 pour les diverses listes de gauche (avec un pic à 1,16 pour la liste PC-MDC dans le Pas-de-Calais), 1,07 pour Lutte ouvrière, 1,09 pour les listes de la droite classique, et 1,09 pour les chasseurs. Toutes ces listes manifestent une tendance à repousser leurs jeunes candidats au-delà des places qui se sont finalement avérées éligibles : lorsque, par exemple, des étudiants sont présents pour attester l’ouverture à la jeunesse, ils ne font que de la figuration (ainsi, le seul étudiant présent sur la liste Vasseur dans le Pas-de-Calais est en dernière position). On retrouve donc ici un phénomène analogue à celui observé pour les femmes. Cependant une formation politique se distingue : il s’agit du FN, dont le ratio âge des élus / âge des candidats est le seul à être inférieur à 1 (0,94). Si le parti d’extrême-droite a présenté la liste la plus âgée, ses élus figurent parmi les plus jeunes, ce qui témoigne d’un vigoureux effort de rajeunissement des cadres.

33Au total, la moyenne d’âge des élus varie sensiblement selon l’étiquette politique. On peut schématiquement opposer deux blocs. D’un côté, les formations politiques institutionnalisées, notabilisées, qui participent alternativement à la conduite du pays, envoient au conseil régional des élus qui tournent en moyenne autour de la cinquantaine (49,9 ans pour les élus de la droite classique, et 50,8 ans pour ceux du PS, du PC et du MDC). De l’autre côté, les formations politiques plus marginales font élire des conseillers régionaux nettement plus jeunes (43,3 ans pour les Verts, 45 ans pour Lutte ouvrière, et 45,2 ans pour le FN, qui fait notamment élire dans le Pas-de-Calais une tête de liste de 34 ans et un cinquième de liste de 25 ans).

34En définitive, la spécificité des élections régionales par rapport aux élections législatives et cantonales paraît moins forte pour l’âge qu’elle ne l’est pour le sexe. Certes, le conseil régional est bien pour certains jeunes ambitieux un « tremplin », une première étape sur la route pouvant ensuite mener à des mandats plus prestigieux, que l’on ne peut guère espérer conquérir avant d’avoir amassé l’expérience et les ressources de pouvoir que procurent des mandats locaux... comme un siège de conseiller régional. C’est le cas notamment au sein de la droite classique, et plus encore du FN. Pour autant, la concurrence des notables locaux « dans la force de l’âge » (sans parler de celle des députés battus aux législatives précédentes, sensible notamment sur les listes de l’Equipe Vasseur) font que pour les jeunes, la voie d’accès au conseil régional n’est en rien un boulevard. A l’intérieur des principales formations politiques en tous cas, la politique demeure, au niveau régional presque autant qu’au niveau national, une affaire de gens « mûrs », surtout lorsqu’on étudie les élus.

III – Une diversification sociale avortée

35Outre la prédominance des hommes et des personnes d’âge mûr, l’un des principaux traits caractéristiques des élites politiques est la forte surreprésentation des catégories sociales favorisées. Lors des législatives de 1993 par exemple, 4 % seulement des candidats sont agriculteurs, 4 % sont ouvriers et 8 % sont employés. Parmi les députés élus, l’exclusion des catégories populaires est encore plus nette : on ne compte en effet que 0,5 % d’ouvriers, 2 % d’employés et 2 % d’agriculteurs. A l’inverse, l’accès au Parlement est beaucoup plus aisé pour les cadres supérieurs, les professions libérales et les enseignants, qui représentent à eux seuls 60 % des députés élus en 1993 (une assemblée il est vrai très ancrée à droite).

36En va-t-il de même au niveau régional ? Il faut d’emblée signaler que la réponse à cette question ne peut être que prudente, car l’analyse de la variable socio-professionnelle est ici très malaisée. On sait que les états-majors de campagne ont tendance à « maquiller » la profession de certains de leurs candidats. C’est ainsi qu’un permanent peut être présenté comme un « commercial », pour peu qu’il ait suivi une formation en école de commerce, même s’il n’a jamais réellement exercé cette profession. De même, une femme au foyer peut être estampillée par une liste de gauche « responsable d’association », alors qu’à droite, et plus encore au FN, le statut de mère de famille est plus valorisé. Les stratégies de présentation de soi des différentes listes sont ici difficiles à décrypter, d’autant qu’elles sont variables. En outre, il existe très souvent des ambiguïtés et des imprécisions : « enseignant » peut vouloir dire instituteur, PEGC, agrégé de lettres ou maître de conférences, « retraité » ne précise pas la nature du travail exercé antérieurement, et « fonctionnaire » ne renseigne pas de façon définitive sur la nature de l’emploi occupé (cadre, employé de bureau ?). Il faut en prendre son parti et savoir qu’en dépit de multiples relances, qui permettent de compléter et de préciser l’information souvent laconique fournie par les bulletins de vote, le corpus est ici incomplet. Afin de ne pas l’amaigrir encore, on a choisi de reverser, à chaque fois que cela était possible, les retraités dans la catégorie sociale qui était la leur lorsqu’ils ont atteint l’âge de la retraite. L’opération a paru d’autant moins injustifiée que la catégorie « retraités » est de toute façon un fourre-tout sans grande cohérence ; un individu prend-il congé de sa classe en même temps qu’il quitte son travail ?

37Ces réserves étant posées, l’analyse de la composition socio-professionnelle des listes semble indiquer que ce qui se déroule au niveau de l’institution régionale n’est guère original par rapport à ce qui se passe au niveau des élites politiques nationales. Lors des élections régionales de 1998 dans le Nord/Pas-de-Calais, en effet, la répartition sociale des candidats est très proche de celle constatée lors des législatives de 1993 : ils sont aussi peu nombreux parmi les agriculteurs (1,8 %, contre 2 %), les ouvriers (7,2 %, contre 4 %) et les indépendants (7,9 %, contre 10 %), et ils sont tout autant sur-représentés parmi les professions intellectuelles supérieures (38,6 %, contre 36 %). Comme on le voit, les écarts sont bien minces.

38Le profil sociologique des conseillers régionaux élus en 1998 dans le Nord/Pas-de-Calais ne marque pas non plus une rupture très nette par rapport au profil classique du personnel politique. Par rapport aux députés élus en 1993, ils comptent un peu moins d’indépendants (7,1 % au lieu de 11 %) et beaucoup moins de professions libérales (5,3 % au lieu de 20 %) ; à l’inverse, on y trouve plus d’employés et de membres des professions intermédiaires (14,2 % au lieu de 8 %), et surtout beaucoup plus d’enseignants et de chercheurs (31,8 % au lieu de 18 %). Mais au total, la sur-représentation des professions intellectuelles supérieures n’est pas remise en cause : le nouveau conseil régional du Nord/Pas-de-Calais en compte 63,6 % (contre 60 % au sein de l’Assemblée nationale de 1993).

39La répartition socioprofessionnelle par étiquette politique n’est pas non plus particulièrement originale par rapport à celle que l’on constate classiquement au niveau national. Lors de ces élections régionales, les listes du PS, du PC et du MDC se distinguent par un contingent de membres des couches moyennes salariées un peu plus important (21,4 %, contre 18,1 % pour la droite classique), et surtout par une présence très marquée des enseignants (36,4 %, avec une pointe à 41,5 % dans le Pas-de-Calais). Par contre, on ne peut pas dire que la gauche profite de ces élections régionales pour mettre en avant des ouvriers : ils ne représentent en effet que 5,8 % de ses candidats (et 6,9 % sur la liste Auchedé dans le Pas-de-Calais, alors que le PC en avait encore présenté 13 % lors des élections législatives de 1993). Les listes des Verts ressemblent comme des soeurs jumelles à celles du reste de la « gauche plurielle » : c’est à peine si l’on constate que la présence des ouvriers est encore plus clairsemée, et que celle des agriculteurs l’est un peu moins, mais les écarts sont ici presque dérisoires. La seule spécificité des candidats écologistes est en fait leur proximité importante avec le secteur social, puisque 12,4 % y travaillent (animateurs, formateurs, assistantes sociales). Si la lutte a été chaude entre Marie-Christine Blandin et Michel Delebarre, force est donc de reconnaître que le profil socioprofessionnel de leurs troupes est presque identique14.

40Quant aux listes de la droite classique, elles occupent le créneau strictement inverse : elles présentent un peu plus d’agriculteurs (2,7 % contre 0,6 % sur les 3 listes du PS et du PC), et surtout beaucoup plus de professions libérales (10,6 %, contre 1,9 %) et d’indépendants (15 %, contre 1,3 %). On retrouve donc au niveau régional le contraste classique entre les élites des grandes formations de gauche et de droite : elles ne privilégient pas les mêmes fractions des couches favorisées, celles de droite appartenant plutôt aux franges les mieux dotées en pouvoir socio-économique, et celles de gauche plutôt aux franges « intellectuelles » (Ysmal, 1991).

41Pour trouver un peu d’originalité par rapport à la composition socioprofessionnelle classique des élites politiques, il faut, comme d’ailleurs au niveau national, se tourner vers des formations plus marginales, ou moins notabilisées. Les listes de Lutte ouvrière, par exemple, accordent une place très conséquente aux ouvriers (28,3 % des candidats), alors que ceux-ci sont très rares à gauche (5,8 %), et sont même carrément absents des listes de droite. Lutte ouvrière complète ses listes avec les couches moyennes salariées et avec les enseignants, mais elle n’abrite ni membre des professions libérales, ni indépendant. Quant à la liste « Génération 2001 » d’Abdel Rokia, elle accueille du fait de sa jeunesse une proportion importante d’employés (41,7 % – serveurs, secrétaires, vendeurs – ), d’étudiants (11 %) et de chômeurs (13,9 %), tandis que les professions intellectuelles supérieures sont inhabituellement rares (15,3 %). Les listes de femmes accordent une place supérieure à la moyenne aux personnes au foyer (15,9 %) et aux retraitées (7,1 %), au détriment là encore des professions intellectuelles supérieures. Quant aux chasseurs, ils délaissent eux aussi les professions libérales, les enseignants et les cadres supérieurs (21,9 % en tout), et puisent volontiers dans le vivier des personnes au foyer (7,3 %) et surtout dans celui des indépendants (22 %), qui correspondent mieux à leur clientèle électorale. Enfin, les listes du FN se caractérisent par une faible présence des professions intellectuelles supérieures, surtout en ce qui concerne les enseignants (3,6 % contre 18,5 % en moyenne). Par contre, les candidats du parti d’extrême-droite appartiennent plus souvent aux couches moyennes salariées (35,4 % contre 27,1 %) et aux milieux populaires (13,3 % contre 7,2 % sont ouvriers). L’élargissement du recrutement du FN vaut donc sur le plan de l’âge, mais aussi en ce qui concerne le statut socioprofessionnel de ses candidats.

42On constate donc que le clivage majeur passe ici encore entre les listes des grandes formations politiques classiques, notabilisées, institutionnalisées, et les formations politiques marginales, parce que plus récentes, durablement écartées du pouvoir, ou délibérément à l’écart du jeu partisan. Du côté des premières, la sélection des candidats se fait selon des critères socioprofessionnels traditionnels, avec une forte sur-représentation des professions intellectuelles supérieures. La seule nuance (elle aussi classique) est liée au fait que la gauche tend à privilégier les enseignants, la droite ayant pour sa part une préférence pour les cadres du privé et pour les professions libérales. Quant aux autres listes, elles présentent des équilibres socioprofessionnels plus originaux (sans d’ailleurs se ressembler en rien).

43Les effectifs sont trop peu nombreux pour que les pourcentages au niveau des élus soient tout à fait fiables. Il convient quand même de faire remarquer que les tendances signalées ci-dessus ne sont pas remises en cause, au contraire. Les conseillers régionaux de gauche comme de droite proviennent dans leur grande majorité des professions intellectuelles supérieures (respectivement 75,7 % et 60 %). La prédominance de ces dernières est donc encore plus flagrante. Comme pour les candidats, les deux camps se distinguent cependant par un recrutement qui, à gauche, est plus axé sur les enseignants (53,7 %, contre 22,9 % à droite), alors que les élus de droite accueillent dans leurs rangs davantage de professions libérales et d’indépendants (11,4 % dans les deux cas, contre 0 % à gauche). Quant au FN, sa spécificité est tout aussi marquée au niveau des élus qu’au niveau des candidats : parmi ses conseillers régionaux figurent, en effet, bien moins de professions intellectuelles supérieures (33,3 %, dont aucun enseignant), alors que la place des indépendants et surtout des employés y est supérieure à la moyenne (22,2 % dans les deux cas).

44Au total, les élections régionales n’entraînent pas de rupture réellement marquante par rapport aux élections législatives ou cantonales, en ce qui concerne le profil socioprofessionnel des candidats et des élus. Si évolution il y a, elle est marginale, et elle ne conduit pas à affirmer que l’institution régionale permet l’émergence et la promotion d’un personnel politique de type nouveau, au rebours de ce que l’on a pu constater pour l’âge et surtout pour le sexe. Au fond, les rares différences entre le profil socioprofessionnel des conseillers régionaux élus dans le Nord/Pas-de-Calais en 1998 et celui des députés élus en 1993 s’expliquent par l’évolution du contexte politique. Si les professions libérales sont moins représentées au niveau régional qu’au niveau national, au profit des enseignants, c’est en grande partie parce que l’Assemblée nationale élue en 1993 était très largement dominée par des formations de droite, alors que le nouveau conseil régional nordiste est à peu près équilibré sur le plan politique. On trouve d’ailleurs une confirmation de cette analyse dans le fait que le profil des conseillers régionaux élus en 1992 dans l’ensemble de la France est extrêmement proche de celui des députés élus en 1993, alors qu’il se démarque du nouveau conseil régional du Nord/Pas-de-Calais pour à peu près les mêmes raisons. Si la composition socioprofessionnelle de ce dernier présente des traits propres, ce n’est donc pas dû à la spécificité de l’institution régionale : simplement, on est passé d’une situation où la gauche était en lambeaux (1992 et 1993), à une situation où elle s’est refait une santé (1998), ce qui fait que ses critères de sélection des élites politiques, plus favorables aux salariés et notamment aux enseignants, prennent davantage d’importance...

45Au terme de notre étude, il semble difficile de souscrire tout à fait à la vision selon laquelle le conseil régional permet de faire entrer dans la carrière politique de « nouvelles élites ». Certes, les candidats aux élections régionales dans le Nord/Pas-de-Calais présentent un visage un peu différent des députés, des conseillers généraux (sans même parler des sénateurs), et ceci vaut aussi, à un degré moindre, pour les élus. Mais si la spécificité de l’institution régionale est forte en ce qui concerne la proportion de femmes, elle est déjà moins nette lorsqu’on analyse l’âge, et elle est presque dérisoire au niveau de l’appartenance socioprofessionnelle15.

46Une analyse plus qualitative, qui prendrait pour objet les parcours biographiques des élus et s’intéresserait à leurs motivations, aux réseaux dont ils disposent, mettrait peut-être davantage en évidence la spécificité des élites régionales, mais celle-ci est loin d’apparaître de façon évidente sur le seul plan quantitatif.

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Bibliographie

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Boy D., Roche A., « La sélection des candidats écologistes », Le vote sanction, Les élections législatives des 21 et 28 mars 1993, Presses de la FNSP, 1993, pp. 55-64.

Martin P., « La désignation des candidats socialistes : plus de continuité que de changement »», dans Le vote sanction, Les élections législatives des 21 et 28 mars 1993, Presses de la FNSP, 1993, pp. 43-54.

10.3917/scpo.ysmal.1993.01.0043 :

Mossuz-Lavau J., « La percée des femmes aux élections législatives de 1997 », Revue française de science politique, 1997, n° 3-4, juin-août, pp. 454-461.

Ysmal C., « Les élites politiques », Les notices – Institutions et vie politique, La Documentation Française, Notice n° 15, 1991, pp. 87-90.

Notes de bas de page

1 Ysmal C., « Les élites politiques », Les notices – Institutions et vie politique, La Documentation Française, Notice n° 15, 1991, pp. 87-90.

2 Martin P., « La désignation des candidats socialistes : plus de continuité que de changement »», dans Le vote sanction, Les élections législatives des 21 et 28 mars 1993, Presses de la FNSP, 1993, pp. 43-54.

3 Pour illustration, le pourcentage de femmes candidates aux élections législatives est passé brutalement, entre 1981 et l’installation de la proportionnelle en 1986, de 11,9 % à 24,7 %, puis il est retombé à 11,6 % en 1988, après que le scrutin uninominal ait été rétabli Cf. Mossuz-Lavau J., « La percée des femmes aux élections législatives de 1997 », Revue française de science politique, 1997, n° 3-4, juin-août, pp. 454-461.

4 Cité par Gérard Courtois dans Le Monde, 10 mars 1998, p. 6.

5 Dans une telle circonstance, la grande majorité des conseillers régionaux abandonne le conseil régional pour conserver un mandat de maire et un mandat de parlementaire national..

6 Cf. Gérard Courtois in Le Monde, 10 mars 1998, p. 6.

7 Mossuz-Lavau J., op.cit.

8 En 1992, 255 femmes avaient été élues lors des élections régionales dans les départements métropolitains, ce qui représentait à l’époque 14 % de l’ensemble des conseillers régionaux. Avec 14,2 %, le Nord / Pas-de-Calais se situait donc exactement dans la moyenne nationale. Les données pour 1998 ne sont pas encore disponibles.

9 Mossuz-Lavau, op. cit.

10 En ce qui concerne Lutte ouvrière, les Verts, les Femmes, l’Equipe Vasseur et l’Equipe Borloo, qui étaient présents dans les deux départements, les calculs ont été effectués sur une base de 113 candidats et élus. Pour les autres listes, qui n’étaient présentes que dans le Nord (liste Delebarre, liste Bonduelle, liste Rokia) ou dans le Pas-de-Calais (liste CPNT, liste PS, liste PC-MDC), ils ont été effectués sur une base de 72 ou de 41. Ceci vaut pour l’ensemble de ce texte.

11 A un niveau plus fin, on constate néanmoins que le plus faible ratio pourcentage d’élues/pourcentage de candidates est celui de la liste PCF-MDC dans le Pas-de-Calais (0,59). Il semble donc qu’à gauche ce soit surtout le PS, dans le Pas-de-Calais (0,98) mais aussi dans le Nord sous la houlette de Michel Delebarre (0,93), qui ait pris la mesure de l’intérêt, sur le plan électoral, de faire remonter des femmes en position éligible...

12 En tous cas, les équipes de campagne qui ont officié lors des élections régionales de 1998 semblent avoir intégré cette dimension. A chaque fois que j’ai pu confronter la moyenne d’âge d’une liste, calculée objectivement, avec celle indiquée « de mémoire » par un candidat ou un permanent ayant participé à la campagne, la première s’est révélée plus élevée (1 an de plus pour la liste Codaccioni, 7 ans de plus pour la liste Rokia, et même 13 ans de plus pour celle de Génération Ecologie !). Faut-il y voir simplement le fait du « hasard » ?

13 Encore qu’il ne s’agisse pas là d’une règle générale : en dépit de l’atypisme de leur discours ou de leur marginalité, les listes de femmes et la liste des chasseurs se situent au même niveau que les « partis de gouvernement » (respectivement 45,8 ans et 45,7 de moyenne d’âge), et c’est même au Front National que les candidats sont les plus âgés (48,3 ans en moyenne).

14 Par contre, la liste de Génération Ecologie, conduite dans le Nord par Bruno Bonduelle ne ressemble en rien à celle des Verts. On y compte une faible proportion d’enseignants (4,2 %). Ils sont remplacés par davantage d’ouvriers (8,3 %), d’employés (33,3 %) et surtout d’indépendants (11 %). On trouve aussi sur cette liste une proportion plus forte de femmes au foyer et de retraités, ayant d’ailleurs souvent un lien familial avec d’autres candidats – signe de la difficulté de Génération Ecologie à recruter 72 candidats –.

15 D’autres indicateurs pourraient encore renforcer ce constat. Par exemple, les citoyens d’origine maghrébine représentent 5,7 % de l’ensemble des candidats. Mais ils sont pour la grande majorité d’entre eux concentrés sur la liste d’Abdel Rokia, qui en abrite 56,9 %. Pour le reste, ils sont 11 % à Génération Ecologie (dont trois membres de la même famille), 5,3 % chez les Verts (dont une assistante maternelle, un animateur, un responsable de formation, une directrice d’équipement, un cadre associatif et un universitaire), 2,7 % à Lutte ouvrière... mais on n’en trouve ni sur les listes de la droite classique, ni sur celles du PC et du PS ! Même si l’un de ces candidats originaires du Maghreb, sixième sur la liste des Verts dans le Nord, est finalement élu conseiller régional, il n’y a pas non plus là de quoi conclure que les élections régionales entraînent un bouleversement radical du profil sociologique des élites politiques...

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