1Dans la région Nord/Pas-de-Calais, 1992 marque le début d’une expérience originale entre les Verts et le Parti socialiste. A cette date, suite à une élection mouvementée et inattendue, Marie-Christine Blandin, la candidate des Verts à la Présidence, est élue avec le soutien du Parti Socialiste et du Parti communiste à la tête du Conseil régional. C’est la première fois que se met en place une cogestion entre ces formations politiques. Six ans plus tard, il est temps pour chacun des partenaires d’apprécier les résultats de cette expérience, en tenant compte d’un climat national différent.

2Dans ce contexte, pour la gauche, la situation est à plusieurs titres inédite. Tout d’abord, elle est à présent « plurielle ». Les Verts sont maintenant l’une des composantes de la gauche, passant ainsi du statut d’opposant à celui de partenaire1. De son côté, le Mouvement des Citoyens peaufine son ancrage national tout en s’assurant de bonnes relations avec le Parti socialiste et le Parti communiste. Ce dernier amorce sa « mutation » et espère stabiliser ses scores électoraux. La gauche doit ainsi faire face à une recomposition de son espace et délimiter à nouveau la place accordée à chacune de ses composantes. La victoire de la gauche aux élections législatives de 1997 témoigne de l’efficacité de cette nouvelle stratégie d’alliances électorales entre l’ensemble des composantes de la gauche (Parti socialiste, Parti communiste, Parti des radicaux de gauche, Mouvement des Citoyens et Les Verts), élaborée au lendemain de l’élection présidentielle de 1995. La coalition formée autour du PS a conforté la position de la gauche dans son ensemble, mais surtout celle du PS. Elle a permis, aux législatives de 1997, de bons reports de voix des électeurs de gauche sur le candidat de la gauche le mieux placé2. Certains estiment même, qu’« avec l’aide des Verts, la gauche obtient un résultat inespéré3 ». Mais, l’ensemble des formations de gauche a bénéficié de cette stratégie aux élections législatives (notamment Les Verts, avec leur entrée historique au Parlement et au gouvernement4 ou – anticipons – aux élections régionales5).

3Ensuite, le champ des adversaires s’est élargi. En 1992, le Front national n’apparaissait pas encore comme un acteur incontournable du champ politique. En 1998, il est devenu un référent électoral de premier plan, à droite comme à gauche, tant pour définir son camp que pour y délimiter le champ de ses alliances. La droite, dans son ensemble, peine à se doter d’une stratégie efficace face à la montée de ce concurrent redoutable. Cette division de la droite, les contrecoups de la dissolution de 1997, et la bonne popularité du gouvernement de Lionel Jospin, ouvrent cette campagne sous de bons augures pour la gauche.

4Enfin, si l’on revient à un plan local, la préparation des élections régionales se déroule dans un climat politique serein pour le PS. La campagne électorale aux couleurs de la région est moins conduite sous le principe d’une reconquête que d’une continuité. Les sondages montrent que, dans cette région, la gauche n’a pas trop de soucis à se faire : elle devrait conserver une majorité au conseil régional et reconquérir celle du Conseil général du Nord. L’issue des urnes n’est donc pas la question centrale. Ce qui mobilise les appareils politiques, c’est la question du leadership à gauche : qui doit diriger la campagne et, au lendemain du scrutin, accéder à la présidence ?

5Faute d’accord national ou régional, la rivalité Blandin/Delebarre va provoquer la constitution de deux listes concurrentes. Ce n’est qu’à la lecture des résultats du scrutin que Marie-Christine Blandin renoncera à la présidence, laissant alors Michel Delebarre seul en piste.

I – Une stratégie nationale à décliner régionalement

La préparation des régionales : négociations au niveau national

6Les premières rencontres entre les forces de Gauche datent de juillet 1997. Les cinq partis sont convenus de constituer des listes communes et de ne pas réformer le mode de scrutin. L’automne 1997 a vu s’intensifier les contacts (en dehors de l’extrême gauche, notamment Lutte ouvrière)6. Assez rapidement, le principe général de maintenir la stratégie issue des législatives est retenu par les différents partenaires.

7Dès septembre 1997, le PC annonce sa volonté de parvenir à une collaboration étroite avec les autres formations et propose de constituer des listes de large rassemblement des forces de gauche et écologistes. Un débat interne dans les cellules, les sections, les fédérations, et au Comité national, est lancé en vue de constituer des listes d’union aux élections régionales. Après quatre mois, 91 fédérations sur 96 se prononcent pour le principe de listes d’union avec toutes les composantes de la gauche. Le PC affirme comme priorités de battre la droite et l’extrême droite, de travailler au rassemblement à gauche pour gagner de nouveaux conseils régionaux et généraux et enfin, d’accroître le nombre de représentants communistes dans ces instances. Dans chaque département, le PC désigne ses candidats en veillant au renouvellement et à la parité femmes-hommes.

8C’est au cours des Journées d’été de Calais, en août 1997, que les Verts élaborent leur stratégie pour les régionales. Ils rédigent un cadre programmatique pour les élections régionales, qu’ils proposent comme base de discussion à tous les partenaires de gauche. Afin de procéder avec la plus grande transparence, ils élisent une « Commission stratégie » chargée de procéder aux négociations, sous le contrôle du Collège exécutif et du Conseil national interrégional (Cnir)7. Les Cnir (4-5 octobre et 6-7 décembre 1997) ont affirmé la volonté des Verts de faire aboutir, en mars 1998, la dynamique de la majorité plurielle lancée à l’occasion des législatives de juin dernier, à condition, précisent les Verts « que le PS ne retombe pas dans ses vieux réflexes hégémoniques, et le PCF dans une logique suiviste ! ». Une motion invitait les « Secrétariats régionaux et les militants des Verts à :

• mettre au point dès maintenant leur propre programme régional de développement soutenable et réunir, autour de la conception de ce programme, des forces écologistes, régionalistes, alternatives et associatives inscrites dans le mouvement social ;

• ouvrir des négociations avec les partenaires éventuels sur le programme, la composition des listes, les éventuelles responsabilités à l’exécutif régional, les cantonales ;

• désigner (paritairement !) et sans attendre, les premiers candidats verts d’éventuelles listes autonomes, qui seront ensuite, selon les décisions finales, intégrées éventuellement dans des listes d’union »8. Avec cette motion, ils choisissent « massivement d’explorer les possibilités d’alliances pour les scrutins de mars 1998. Une dynamique d’union est en effet susceptible de permettre de faire basculer nombre de régions et de départements. Disposés à conclure des alliances pour cela, les Verts entendent être respectés par leurs partenaires et ne sauraient, en aucun cas, conclure des accords au rabais qui seraient synonymes de satellisation ». Ils revendiquent la présidence de deux régions, dont celle du Nord/Pas-de-Calais.

9Le Cnir (6 et 7 décembre 1997) précise le cadre de ces négociations. Il invite le « national », les régions et les départements « à continuer à rechercher la possibilité d’un accord correct pour les régionales ; à rechercher pour les cantonales, avec les autres composantes de la majorité plurielle, des candidatures uniques ; à se préparer à constituer des listes autonomes si la volonté hégémonique du PS, et celle suiviste du PCF, nous contraignent à être dans l’impossibilité de faire des listes communes9 ».

10Mais, le 22 décembre, le PS rend publique la liste des départements où des candidats des autres forces de gauche et écologistes devraient, selon lui, conduire des listes d’union aux élections régionales. Le PS ratifie les listes départementales de ses candidats, réservant une quinzaine de têtes de liste pour ses alliés. En précisant que « quelques discussions doivent encore être menées » avec les partenaires de la gauche plurielle. Ceux-ci n’apprécient que modérément cette initiative unilatérale : « Il doit s’agir de listes d’union et de rassemblement et non pas de listes socialistes ouvertes aux partenaires », souligne ainsi Michel Dary, pour le Parti radical socialiste, relevant que les annonces faites sont « tout à fait incomplètes » pour sa formation. Un accord a été passé, rappelle-t-il, avant même les législatives entre le PS et le PRS, prévoyant d’attribuer sept têtes de listes départementales à sa formation et « il doit être respecté ». Même tonalité au PCF où l’on souligne que « si dans l’ensemble les discussions se passent très bien, les négociations se poursuivent ». Ils insistent sur le fait que la demande d’un certain nombre de têtes de listes (neuf en l’occurrence) correspond à « la possibilité donnée aux électeurs de différentes sensibilités de se retrouver pleinement dans les listes de rassemblement de la gauche plurielle ». Pour les Verts, Jean-Luc Bennahmias (Secrétaire national) considère que « dans deux tiers des cas cela ne va pas bien ». Rappelant que sa formation demande depuis des mois des discussions « multilatérales » et juge possible la constitution des listes d’union dans au moins soixante-dix départements, il regrette que les propositions faites à son parti, pour l’instant, ne correspondent qu’à « ce qu’il peut gagner tout seul »10.

11Finalement, le 22 janvier 1998, le MDC, le PCF, le PRG, le PS et Les Verts adoptent un texte commun, fruit de nombreuses et longues négociations, fortement marqué par le contenu du premier texte que les Verts avaient, les premiers, soumis à leurs partenaires, intitulé « Pour réussir dans les régions ». L’objectif est double. Il vise tout d’abord à « poursuivre [la] démarche de rassemblement » impulsée lors des élections législatives de 1997. Ensuite, il s’agit d’aboutir à la constitution de liste commune pour les élections régionales et notamment « de parvenir au plus large rassemblement afin d’assurer l’avancée des forces sociales que nous représentons et de conquérir un maximum d’exécutifs régionaux comme points d’appui à une nouvelle politique permettant d’améliorer la vie quotidienne des Français. ».

12Sur le plan programmatique, les partis de la gauche et de l’écologie proposent, dans un document commun, un « programme d’action » qui s’articule autour de quatre grandes orientations. En premier lieu, ils entendent faire des régions « les moteurs de la mobilisation pour l’emploi et la formation ». A cet effet, ils suggèrent, d’une part, d’organiser « des assises de l’emploi avec tous les partenaires concernés, y compris les représentants de chômeurs, pour évaluer les politiques régionales antérieures et faire des propositions concrètes » ; ils proposent, d’autre part, la tenue de « conférences régionales pour de nouveaux financements en faveur de l’emploi et de la formation », réunissant tous les partenaires concernés (banques, assurances, institutions financières, entreprises, élus, citoyens, représentants). En deuxième lieu, ils souhaitent de faire des régions des « moteurs du développement durable et solidaire des territoires ». A cet égard, ils jugent notamment « urgent de reconsidérer les transferts de charges » et de « mettre en place de nouveaux systèmes de péréquation, une réforme de la fiscalité locale, et notamment de la taxe professionnelle, favorisant la création d’emplois ». Ils mettent l’accent sur l’atout que constituent « des services et entreprises publiques rénovés et démocratisés ». En troisième lieu, pour faire des régions « des moteurs de la démocratie locale et de la citoyenneté », ils souhaitent « mettre en œuvre la limitation du cumul des mandats et une amélioration du statut de l’élu ». En quatrième lieu, ils affirment leur volonté de situer les régions « au cœur d’une construction européenne réorientée en faveur de l’emploi et du progrès social ». Pour eux, « la coopération entre différentes régions de différents pays européens, ne portant pas préjudice à la souveraineté nationale, peut être bénéfique pour la mise en œuvre de projets communs de développement créateurs d’emplois ».

13Pour le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, « la logique majoritaire l’a emporté, sans que le pluriel disparaisse » (22 janvier 1998). On aboutit à un accord sur le fond, même s’il reste une certaine insatisfaction sur les places11.

14Néanmoins, au niveau de la constitution des listes ou du contenu programmatique, le texte du 22 janvier se veut un cadre, qui peut être adapté aux spécificités locales. « La configuration des listes sera différente selon les régions ou les départements, avec des accords à trois, à quatre ou à cinq », a précisé Catherine Lalumière, présidente déléguée du Parti radical de gauche, lors de la présentation de l’accord entre les formations de gauche, le 22 janvier 1998. Il se décline donc en accords d’orientation dans chaque région. La constitution de ces listes ne s’est pas passée sans heurts. Comment placer en position « éligible » des candidat(e) s de cinq formations différentes, ainsi que de « divers gauche », tout en respectant la parité femmes-hommes12 ? Si l’on examine la situation dans la région Nord/Pas-de-Calais, ces orientations prennent une couleur particulière.

Le Nord/Pas-de-Calais : zone test au niveau national ?

15Sans en exagérer l’importance, le Nord/Pas-de-Calais constitue dès l’ouverture des négociations entre le PS et les Verts, une question essentielle. Pour les Verts, la région constitue « le premier atelier de la majorité plurielle », un « véritable laboratoire de la gauche plurielle après les expériences de Lille et Dunkerque »13. L’appellation est sans doute excessive. D’abord, parce qu’il ne s’agissait pas d’une volonté politique ni d’un accord maîtrisé, comme le prouvent les conditions de l’élection de Marie-Christine Blandin au poste de Présidente. Ensuite, comme le rappellent les Verts dans le Livre Vert du Nord/Pas-de-Calais, l’accord qui a été signé ensuite n’a obtenu que le soutien du PC. Enfin, parce que d’autres composantes de la gauche sont apparues (MDC par exemple) ou que la situation de l’écologie politique s’est clarifiée14. Qu’importe. Les Verts veulent y voir un symbole de leur propre capacité tout autant qu’un témoignage de la volonté du PS à conduire un véritable partenariat avec ses alliés.

16A ce titre, la question de la présidence est très tôt, au sein des Verts, une question centrale dans les négociations avec le PS. Dominique Voynet s’est à plusieurs reprises exprimée sur son souhait de voir une répartition harmonieuse des présidences de région avec l’ensemble des partenaires de la gauche plurielle. De l’ampleur de la modification attendue de ce rapport des forces politiques à la tête des assemblées régionales dépendra la possibilité – ou non – de donner une dimension élargie à la perspective de changement ouverte par les élections législatives de juin 1997. Or, adoptant une position assez nouvelle chez eux, les Verts défendent, comme le confirme Dominique Voynet, « la tradition républicaine de reconduire les sortants »15. S’appuyant sur le bilan, qu’ils jugent bon et qu’ils estiment être jugé à l’identique par l’opinion publique, ils souhaitent voir reconduire Marie-Christine Blandin dans ses fonctions16.

17Progressivement, cette position est devenue majoritaire. Le Cnir des Verts réuni à Limoges, le 31 janvier 1998, a manifesté son souci de voir Marie-Christine Blandin rester à la tête de la Région. Le vote d’une motion indique au PS que « si le score de Marie-Christine Blandin est significativement supérieur à celui de 1992 (6,9 %), les accords passés par les Verts dans chacune des régions avec la gauche et notamment les reports de voix sur la candidature de gauche à la présidence seront soumis au maintien de Marie-Christine Blandin à la présidence du conseil régional Nord/Pas-de-Calais ». Invitée de l’émission Polémiques17, Dominique Voynet a estimé que si les Socialistes refusaient la reconduction de Marie-Christine Blandin comme candidate de la gauche à la présidence, il s’agirait d’un casus belli (sans dire si elle démissionnerait ou non de son poste ministériel dans le cas où les Socialistes décideraient d’imposer Michel Delebarre comme candidat à la présidence de cette région.. La ministre a reconnu que le refus actuel des Socialistes de reconduire Marie-Christine Blandin était « une grosse épine ». « Tout le monde s’accorde à reconnaître, a dit Dominique Voynet, qu’elle a effectué un travail formidable à la tête de la région en choisissant la réalisation du quotidien des gens plutôt que la réalisation de grandes infrastructures à inaugurer à la veille des élections ». Elle évoque l’union comme « une avancée majeure » qui a « enclenché une dynamique »18. A l’évidence, la situation dans la région occupe une dimension nationale.

18L’objectif est, au-delà de la seule présidence, de mesurer la réalité des intentions du PS, et notamment d’élargir le partage des responsabilités avec l’ensemble des partenaires de cette majorité. Les Verts défendront avec constance cette position. Le 16 mars, ils revendiquent « au moins une présidence » parmi les régions conquises par la gauche le 15 mars, tout en estimant qu’un accord pouvait être trouvé avec le socialiste Michel Delebarre dans le Nord/Pas-de-Calais. Sans brandir de menace explicite pour l’élection des présidents de région, les dirigeants Verts ont noté que les socialistes avaient besoin des votes écologistes pour le second tour des cantonales. Alain Lipietz, un des porte-parole du parti, remarque que le travail en commun n’était possible que si les Verts étaient « respectés, dans un rapport de partenariat, comme la troisième force politique de la majorité plurielle, tout près du Parti communiste, et non pas comme une roue de secours ».

19Du côté du PS, les instances nationales hésitent à intervenir. Dominique Voynet a pourtant fait appel à l’arbitrage du Premier ministre, soulignant que Lionel Jospin avait « pour mission d’assurer la cohésion de la majorité ». Mais, fait significatif, en décembre 1997, la Convention nationale du PS a entériné la composition des listes socialistes, avec comme mot d’ordre « rassemblement et union ». Elle présente, au niveau national, ses listes pour les élections régionales de 1998. Ni le Nord, ni le Pas-de-Calais ne figurent dans cette liste.

II – Gauche plurielle ou majorité plurielle ? Querelles pour une présidence unique

20Le débat n’a pas seulement une dimension nationale, car régionalement, la constitution des listes offre le reflet des arguments brandis par les chefs de file pour assurer le leadership à gauche. A l’appellation nationale de gauche plurielle, on préfère les dénominations de gauche « rassemblée » ou de « majorité » plurielle. Derrière les étiquettes, c’est en fait des stratégies différentes qui sont en œuvre.

La gauche « rassemblée » : le leadership de Michel Delebarre

21La question centrale qui se pose au PS est de savoir comment tout à la fois dresser un bilan positif de l’exécutif auquel on a participé et le critiquer pour en changer de tête ? La stratégie adoptée par le PS se décline en trois points.

1. L’expérience de la présidence verte est perçue comme une « parenthèse », et il est temps de renouer avec la continuité historique socialiste de la région ! La parenthèse peut être aussi une « glissade » : « Madame Blandin a été élue parce que les socialistes ont glissé en 1992, mais la glissade est terminée », affirme ainsi Pierre Mauroy, en septembre 1997. Mais la tradition doit être respectée : « Les socialistes ont toute légitimité pour présider cette région qui est à gauche et doit le rester »19. Comme le résume Guy Hascoët, député Vert du Nord et ancien vice-président du Conseil régional : « Merci, vous avez tenu la maison pendant six ans, mais elle nous appartient historiquement »20. La parenthèse vise à minimiser l’action des Verts, tout autant qu’elle rappelle les conditions singulières de l’élection de Marie-Christine Blandin à l’exécutif régional. « On dit laboratoire, arrêtez ! La politique de la région a été conforme aux grandes orientations arrêtées il y a quinze ans », explique Michel Delebarre21 ; « le bilan du conseil sortant est aussi notre bilan. Ne nous demandez donc pas de nous inscrire dans la rupture, d’autant que beaucoup d’actions ont été engagées avant 1992 »22. Ainsi, la réalité du pouvoir appartient incontestablement à l’encadrement bienveillant du PS. Pour Michel Delebarre : « Nous, socialistes, faisons partie de la majorité sortante. Son bilan est notre bilan, dans la loyauté parfaite, la continuité de l’action antérieure, et le respect des contraintes financières »23 ; même s’il ne manquera pas, quelquefois, de décocher quelques flèches sur la gestion écologiste24. Car enfin, il s’agit, toujours selon Michel Delebarre, de « refonder des nouvelles perspectives [...] il est temps de prendre un nouveau départ »25 .

2. Le nouveau président devra se prévaloir d’un résultat électoral montrant un réel soutien populaire. En clair, il s’agit d’affirmer la légitimité du Président par les urnes. La logique arithmétique doit prévaloir sur toute autre considération. « Il n’est pas raisonnable de confier l’avenir de cette région à un parti dont l’assise politique ne dépasse pas les 6 % des suffrages », déclare Jean Le Garrec26 . Par conséquent, le suffrage électoral guide la désignation du Président : « si nous sommes une majorité plurielle, on n’imagine pas Dominique Voynet Premier ministre du gouvernement Jospin » explique Michel Delebarre27.

3. En définitive, seul le candidat du PS peut répondre à ces conditions ! Il devient le candidat naturel à la présidence du Conseil régional.

22La constitution de la liste de rassemblement dans le Nord, impulsée par le PS, va suivre cette stratégie. Dès le mois de janvier 1997, le PS du Nord présente clairement son objectif pour les régionales : reconquérir la présidence au profit de son candidat « naturel », Michel Delebarre. Celui-ci est désigné tête de liste, après un vote des militants. En juillet 1997, il lance les premiers contacts pour réaliser un accord de principe sur la conduite à tenir pendant la campagne et pour le déroulement de la mandature, sans oublier la question de la présidence du Conseil régional. L’automne est, comme au niveau national, très animé. Puis, le 28 novembre 1997, le PS demande officiellement sa campagne28. A cette occasion, Michel Delebarre adresse un nouvel appel aux partenaires écologistes et communistes pour que la campagne régionale se place au diapason de l’actuel gouvernement. Le PS se donne jusqu’à la mi-décembre pour constituer sa liste ; elle doit répondre à différents objectifs : une liste rajeunie, paritaire entre hommes et femmes, représentative sur le plan territorial. Elle est présentée à la presse le 11 décembre 1997. Un seul point n’est pas négociable : la candidature de Michel Delebarre à la présidence du Conseil régional. Celui-ci peut se prévaloir du soutien inconditionnel de la Fédération socialiste du Nord, nouvellement dirigée par Marc Dolez. Ce dernier ne cache pas que pour lui, « il ne peut y avoir la moindre ambiguïté » ; « [Michel Delebarre] est notre candidat à la présidence du conseil régional. Je le dis avec clarté et fermeté : le débat est tranché. Nous sommes favorables à la constitution de listes plurielles mais à la condition que, dans le Nord, ce soit le candidat socialiste qui en prennent la tête »29.

23Un temps, le PC du Nord envisage de constituer sa propre liste. Pour Annick Mattighello30 , « Michel Delebarre veut retrouver la présidence de la région et Marie Christine Blandin veut la garder ». Dans cette configuration, le PC s’était senti jusqu’à présent « obligé » de présenter sa propre liste. Pour lui, « ni la question de la présidence ni les préoccupations partisanes, de places ou de postes, ne peuvent être supérieures à cet objectif ». Mais le PC se déclare préoccupé par la position ambiguë d’une partie de la droite, qui autour de Philippe Vasseur, évoque de possibles tractations avec le FN31, afin d’être en situation d’arbitrer le vote du poste de président du conseil régional. La nécessité d’une mobilisation contre l’extrême droite décide les responsables communistes à changer d’attitude. Mais on peut aussi penser que les résultats peu favorables d’un sondage réalisé pour les communistes du Nord les a incités à rejoindre le PS32 . Cette décision ne fera pas l’unanimité parmi les militants. Consultés le 8 janvier pour savoir s’il fallait s’associer à cette liste d’union, ils sont 56 % à se déclarer pour l’union, tandis que 44 % y sont hostiles33. Ce faisant, le PC renonce à présenter une liste autonome dans le Nord.

24Le PRG et le MDC du Nord adoptent assez rapidement la même attitude. Seuls les Verts restent réticents. Le 13 décembre, les communistes du Nord adressent une lettre aux autres forces de gauche et aux écologistes, afin que l’on aboutisse à une liste unitaire de l’ensemble des formations de gauche. Ils invitent les responsables à se rencontrer, pour « examiner le contenu de la politique à mener demain dans la région et le moyen d’assurer cette large majorité ». « Dans le Nord, nous ne réclamons rien, ni la tête de liste ni la présidence, mais une liste d’union. Nous n’avons aucune exigence si ce n’est le rassemblement », a résumé Alain Bocquet, président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, lors d’une conférence de presse tenue avec Annick Mattighello.

25Sur l’initiative de cette dernière, et à l’invitation de la Fédération socialiste du Nord, des représentants du MDC, du PC, du PS, du PRG et des Verts se rencontrent le 22 décembre 1997 à Lille pour préparer les élections régionales. Les représentants du MDC, du PC, du PS et du PRS ont « confirmé leur volonté de constituer une liste de la gauche plurielle, conduite par Michel Delebarre, engendrant ainsi une dynamique qui crée les conditions d’une majorité de gauche au conseil régional »34 . Leur communiqué précise que « cette volonté commune s’appuie sur un profond courant d’opinion de la population qui souhaite, pour notre région, une politique de progrès social mettant l’emploi au cœur de ses priorités ». Une volonté « renforcée devant les intentions affichées par la droite de composer avec l’extrême droite », ajoute le texte. Il précise que ces formations « continueront d’agir pour que les Verts puissent s’associer à cette démarche d’union et de rassemblement qui se développe partout dans le pays, à l’image de la majorité gouvernementale ». Mais les Verts, constatant l’impossibilité de renégocier la question du leadership, décident de mettre un terme à ces discussions. Dominique Plancke, président des Verts Nord/Pas-de-Calais, indique alors que « les Verts iront aux régionales avec leur propre liste ouverte », conduite, dans le Nord, par Marie-Christine Blandin.

26Le samedi 31 janvier à Lille, le député-maire PS35 de Dunkerque, Michel Delebarre présente sa liste de « gauche rassemblée » pour le Nord aux prochaines élections régionales. Elle comprendra finalement 40 socialistes, 24 communistes, 4 MDC, 3 RDG et 1 DVG36. Il a, à cette occasion, une nouvelle fois, laissé « la porte ouverte à une liste d’union » avec les Verts.

La « majorité plurielle » : la personnalisation de la campagne

27En défendant la candidature de Marie-Christine Blandin à la présidence, les Verts entendent s’interroger non seulement sur les rapports de forces internes à la gauche, mais aussi sur le partage des responsabilités dans l’exercice du pouvoir. Depuis 1992, leur position a bien changé. A leur Assemblée générale de Lille en 1993, ils ont abandonné le « ni-ni » et opté pour la gauche. Au niveau régional, ils incarnent la seule formation écologiste crédible37. Surtout, ils bénéficient à présent d’une expérience de gestion d’une collectivité territoriale. Pour Marie-Christine Blandin, la liste autonome se justifie essentiellement par « un bilan d’Exécutif à défendre » et la capacité à représenter une alternative suffisante à la droite38. La singularité de l’expérience légitime la revendication des Verts. Face aux résultats électoraux, mis en avant par le PS, les Verts développent un argumentaire articulé sur leur bilan. « Les Verts ont acquis, explique Dominique Plancke, une légitimité sans imposer un programme minoritaire, mais en menant à terme des projets sur une dynamique de débats publics et contradictoires »39.

28Tout d’abord, l’expérience serait une réussite. Au niveau national comme au niveau régional40 , ils estiment que le « bilan de [leurs] conseillers régionaux, [a pu] faire évoluer un certain nombre de politiques régionales » (motion votée par le Cnir le 7 décembre 1997). Au-delà des cercles écologistes, globalement, l’impression générale est que le bilan est assez positif comme en témoigne le résultat d’un sondage réalisé par l’IFOP pour le journal La voix du Nord41.

29Ensuite, la Présidente n’aurait pas démérité. Le sondage indique clairement une bonne image de la Présidente ; dans l’éventail des personnalités présentées par le sondage, elle est la seule qui ait une notoriété régionalisée, aussi forte dans le Nord que dans le Pas-de-Calais ; Marie-Christine Blandin semblerait mieux placée que son rival Michel Delebarre42. S’appuyant sur cette impression, on assiste à une forte personnalisation de la campagne autour de la présidente sortante.

30Par conséquent, les Verts estiment que le PS ne peut ignorer cette situation et maintenir ses prétentions exclusives à la présidence. La « petite maîtresse d’école », comme l’a surnommée Michel Delebarre, entend défendre son action et sa présidence43. Ils rappelleront assez régulièrement, au niveau local comme national, que l’accord avec le PS se veut global : contrat programmatique, partage « équitable des responsabilités »44 , sans être rivé aux seuls résultats électoraux. Il s’agit donc de mettre en place un véritable fonctionnement collégial, répartissant les postes de responsabilités entre les différents partenaires de la gauche. « Peu importe le résultat de la gauche dans les autres régions de France. Si la gauche en remporte dix ou quatorze, est-ce que cela change quelque chose au mérite de Marie-Christine Blandin ? »45.

31Négocier avec le PS, cela n’est donc possible, pour eux, que si le leadership de Michel Delebarre est réexaminé. Les Verts du Nord/Pas-de-Calais n’ont cessé de brandir la possibilité de constituer une liste autonome dans la région, parce que justement, « le Nord/Pas-de-Calais n’est pas la France »46 . La présidente du Conseil régional justifie cette position, à l’encontre même des principaux responsables nationaux qui penchent pour des listes d’union47. Et, même régionalement, si les discussions avec les partenaires de la gauche continuent, les Verts de la région confirment leur stratégie d’autonomie lors de leur Assemblée régionale, le 23 novembre 199748.

32Cette volonté de défendre le bilan de la Présidente et de conférer un statut particulier aux Verts de la région Nord/Pas-de-Calais ne peut qu’aboutir au refus d’accepter, comme préalable à toute discussion, le leadership de Michel Delebarre. Les Verts jugeront ce point « inacceptable » et cesseront toute discussion sur ce point avec le PS (22 décembre 1997). Dans le communiqué de presse expliquant leur position, ils précisent que pour eux, « le préalable, c’était que s’engage d’abord une discussion sur le projet ». Officiellement, du côté des Verts, l’incapacité de construire une liste commune s’explique par l’impossibilité de se mettre d’accord sur un « contrat de mandature ». Le 9 février, Marie-Christine Blandin propose aux composantes de la gauche plurielle d’élaborer un programme commun de mandature 1998-2004. Pour la présidente verte, il s’agit de « siffler la fin de la récréation et de calmer les esprits » après la guerre des petites phrases alimentée par la question de sa succession. Mais les responsables départementaux du PS et du PC, rejoints par le MDC et le PRG, annoncent le 21 février avoir refusé de rencontrer les Verts pour élaborer ce contrat. Ils rappellent dans une lettre que « [ils avaient] proposé cette démarche à l’occasion de la réunion commune le 22 décembre dernier ; vous avez pris la responsabilité de ne pas participer à la liste de la Gauche Le respect de la démocratie exige désormais d’attendre que les électeurs se soient prononcés pour arrêter, à partir de leur choix, le programme de la prochaine mandature ». Le 24 janvier, les Verts présentent leurs listes ouvertes, intitulées « Ecologie, solidarités, démocratie », avec ce slogan : « Avec Marie-Christine Blandin, allons plus loin ! »49. Dans les deux départements, les listes respectent la parité hommes-femmes et réservent des postes d’ouverture à des militants associatifs, sociaux, syndicaux et aux chômeurs, non-membres des Verts. Les Verts renoncent délibérément à placer en position éligible des élus détenant d’autres mandats électifs. La liste du Nord quant à elle est ouverte à une candidature de la Ligue communiste révolutionnaire50. Lors d’un meeting commun avec les Verts (Lille, le 11 mars 1998), Alain Krivine explique les raisons d’un tel rapprochement : « Parce que nos objectifs convergent ici : Marie-Christine Blandin s’est affichée avec éclat lors des mouvements sociaux des sans-papiers et des chômeurs, farouchement opposés aux reniements décevants de la gauche plurielle ».

Épilogue : le jugement des urnes

33Devant l’incapacité des formations de la gauche à parvenir à un accord, les responsables politiques donneront aux électeurs la responsabilité de désigner le candidat naturel à la présidence. L’attribution de la présidence résultera, pour le PS, du résultat des urnes. « Je crois qu’il faut attendre calmement le dimanche soir, que les électeurs s’expriment et donnent leur avis ; tout cela se réglera à ce moment là », déclare Pierre Mauroy51. François Hollande, secrétaire national du PS, répondant à l’intervention de Dominique Voynet à l’émission Polémiques du 1er février expliquera que « C’est Marie-Christine Blandin qui a récusé la liste commune : nous n’avons pas voulu nous partager les régions avant qu’elles n’aient été conquises. On verra bien le soir du scrutin. Mais celui qui arrivera en tête aura un large avantage pour conduire le conseil régional ». Les Verts convergent peu à peu vers cette opinion. Jean-Luc Bennahmias déclare que « Si la différence entre la liste PS-PCF et la liste des Verts est grande (moins de 10 % pour Blandin, 25-28 % pour Delebarre) nous devrons nous effacer à moins de refaire le coup de 1992, ce qui sera difficile. Si Blandin dépasse les 13 %, que Delebarre stagne à 22-24 % et qu’il y a plus de 5 régions gagnées par la gauche plurielle, notre candidate aura toute légitimité pour être reconduite comme présidente de région. Et nul ne pourra dire le contraire »52. « A 5 %, nous sommes désavoués ; à 15 % pour nous, Michel Delebarre est rejeté », estime Guy Hascoët53.

34Au soir du 15 mars, les listes Vertes obtiennent 8,76 % dans le Nord, et 7,5 % dans le Pas-de-Calais, soit neuf élus, comme en 199254. Cette nouvelle donne modifie les discours au sein de la gauche. Dès le 16 mars, des discussions se sont engagées entre les représentants de chacune des formations de la majorité plurielle pour se répartir « les dividendes de la victoire », selon la formule de François Hollande. « Nous allons engager un certain nombre de discussions avec nos partenaires pour que chacun puisse être représenté convenablement dans les présidences de régions et les bureaux de présidences de régions », a déclaré le Premier secrétaire du PS qui a précisé que « cela ne veut pas toujours dire des présidences de régions ». Le 17 mars, Marie-Christine Blandin renonce à un nouveau mandat en « échange de garanties ». Les Verts ont proposé au PS, au PC, au MDC, au PRG et à LO d’engager ensemble des discussions pour une Charte commune de région qui respecte le projet et les exigences des Verts :

1. une manière respectueuse de tous, collégiale, fidèle aux principes de proportionnalité, de parité et de reconnaissance de l’opposition, de large délégation exécutive, d’évaluation indépendante et de débat public et contradictoire ;

2. la continuité de la mutation engagée depuis 1992 ». Si « des réponses claires et des garanties suffisantes sont apportées à ces exigences », les Verts renonceraient à la présidence ⁵⁵. Le 18 mars, Michel Delebarre a déclaré qu’il officialiserait par écrit l’accord conclu avec les Verts pour la présidence du conseil régional Nord/Pas-de-Calais. Ce texte sera « le reflet du rassemblement que nous souhaitons », a-t-il dit au micro de Radio France-Fréquence Nord. L’ancien ministre socialiste a jugé que la décision de Marie-Christine Blandin « mérite le respect ». Il laisse entendre qu’il offrirait des vice-présidences aux Verts. Les discussions portent sur trois, et ce sera finalement deux, parce que Marie-Christine Blandin souhaite siéger à la commission permanente, sans être vice-présidente.

35Le 30 mars, la région se dote d’un exécutif et d’une commission permanente. Geste symbolique, Marie-Christine Blandin remet les clés de sa twingo verte de fonction à Michel Delebarre, avec un bouquet de tournesol (symbole de l’écologie politique), agrémenté de myosotis – pour ne pas oublier les bonnes résolutions prises à l’issue de cette campagne.