Chapitre III. 900-1350 : les grands progrès
p. 39-64
Texte intégral
1La brillante époque carolingienne se clôt par une double coupure, historique et historiographique.
2La première résulta des invasions normandes. La mode est, depuis 1965, de dire que celles-ci furent bénignes, voire bénéfiques1. Les Normands auraient été de « bons sauvages ». Leurs ravages auraient été exagérés par les clercs, qui auraient fait un drame national de leurs petits malheurs, car les riches Eglises auraient été les principales victimes de ces raids ; d’ailleurs les clercs auraient décrit des « barbares de bibliothèque » à l’aide de formules livresques sans valeur historique ; selon d’autres auteurs il n’y a aucune preuve que la population ait diminué du fait de ces invasions.
3Ces arguments méritent une brève, mais radicale, critique. D’abord les moines et les clercs survécurent assez bien au cataclysme, par la fuite ; ce qui ruina les grandes Eglises du Nord, ce fut, vers l’an 900, la main-mise des comtes de Flandre. Formules livresques ? On a déjà dit cela d’Eginhard et de la Vita Karoli, avant de constater que cet auteur n’avait pas recopié la Vie des douze Césars et qu’il avait seulement emprunté à Suétone quelques formules adéquates. De même des clercs du IXe siècle : il faut croire ces témoins oculaires quand ils disent que les Normands tuent tout, même les bêtes, « jusqu’à l’extinction », et que le pays est « dépeuplé par la famine et par la fuite ». Pour la région du Nord, l’invasion de 879 fut une épouvantable catastrophe : si les Normands l’abandonnèrent en 885, c’est qu’elle était exsangue. La population diminua si bien que, des 46 localités données à Saint-Bertin par Goibert et Gundbert en 826-867, 26 ne se retrouvent plus après 8792. Il s’agissait là de petits domaines assez fragiles, mais les belles villae ne résistèrent pas mieux : des douze que possédaient Evrard de Frioul et Gisèle dans la région de Lille en 8683, trois ont disparu, ne laissant au mieux qu’un toponyme au milieu des champs : villages désertés. Et il en était ainsi partout en France.
4Aucun historien sérieux ne conteste ce fait, mais certains refusent d’en faire peser la responsabilité sur les barbares des années 850-950. Sans doute pensent-ils à l’incastellamento de l’an Mil. L’historien du Latium, P. Toubert, a en effet observé que l’habitat, qui était dispersé avant cette date, s’était alors resserré en gros villages perchés et fortifiés, les castelli. D’où l’hypothèse qu’il en avait été de même en France. Et R. Fossier d’affirmer, sans en fournir la moindre preuve, que l’habitat rural, qui avait été jusque là, non seulement dispersé, mais flottant, mobile et nomade, comme celui du paléolithique, se concentra vers l’an Mil sous la contrainte des seigneurs : « enchâtelle – ment », « encellulement, au sens carcéral du terme » (sic). Bref, il n’y avait même pas de villages carolingiens, rien que des cabanes éphémères et de petits groupes humains errant de terroir en terroir en emportant avec eux, comme un panneau indicateur, leur toponyme. Ces thèses étranges, qui ne résistent pas à l’étude des documents, ont été anéanties par les archéologues. Certains d’entre eux fouillent des villages qui sont restés stables, avec leur église et leur cimetière, pendant de longs siècles de part et d’autre de l’an Mil. D’autres établissent que les châteaux furent postérieurs aux villages et le plus souvent érigés à l’écart des habitats antérieurs. Il fut rare que le château attirât des maisons ; même alors le vieux village subsista, avec église et cimetière. Tout compte fait, mieux vaut attribuer aux Normands la disparition de tant de lieux habités ; non seulement à la destruction, mais à l’effondrement démographique : il n’y eut personne pour reconstruire les villages brûlés.
5Après le monde plein ce fut, en effet, le monde vide. Le système domanial fut frappé à mort : « le serf obtient sa liberté... plus de maison régie avec fermeté par un maître vivant », écrivit un témoin oculaire. Quand les réfugiés revinrent au pays après la tourmente, ils étaient si peu nombreux qu’on n’osa les soumettre aux lourdes charges de jadis ; les corvées, par exemple, disparurent presque totalement4.
6Faute de reconnaître cette brutale récession les historiens s’empêtrent dans des querelles sans issue : par exemple l’historien des années 1000-1300, pour sauver son « grand essor », est forcé de réduire à presque rien les performances carolingiennes, tandis que l’historien du haut Moyen Age propose une croissance qui ne laisse plus de place à des progrès ultérieurs. C’est cocasse ! La vérité, c’est que la période centrale du Moyen Age ne fut d’abord qu’une récupération après la catastrophe normande.
7La coupure historique fut longue. On ne retrouve de documents chiffrés qu’avec le petit polyptyque de Marchiennes vers 1120, puis avec les terriers en 1250, et surtout avec les comptes, dès 1285.
8Le monde qui émerge alors de la nuit n’a plus grand chose de commun avec le haut Moyen Age : c’est le Moyen Age central, période marqués par des progrès décisifs dans trois domaines, d’abord la croissance des surfaces exploitées de façon intensive, ensuite celle de la productivité, c’est-à-dire des rendements, enfin celle des échanges.
I – Les « grands défrichements »
9Les essarts sont d’autant plus mal connus qu’ils furent le plus souvent le fait des paysans, que ceux-ci aient poussé leur charrue un peu plus loin chaque année, ou mis le feu à un roncier, voire attaqué l’arbre « par le fer et le feu, à la sueur de leur visage »5. En général, ces entreprises n’ont laissé aucune trace, ni un texte, ni un toponyme. Elles ont dû commencer très tôt, dès que la population a recommencé à proliférer. Comme l’avait bien vu Marc Bloch, si on n’en a guère de traces écrites, ce n’est pas seulement parce qu’aux Xe et XIe siècles on n’écrivait guère, c’est qu’on se contenta d’abord de récupérer les terres abandonnées après les ravages des païens6. On n’attaqua vraiment l’arbre qu’après 1075, si du moins on en croit les sources cléricales, qui se multiplient alors. Mais les initiatives des gens d’Eglise ne représentent certainement qu’une fort petite proportion de l’essartage : 1 % peut-être.
10Une approche globale est cependant possible. On a vu qu’avant l’an Mil les forêts, les landes et les marais occupaient sans doute 60 % du sol dans les bons pays, 70 ou 80 % ailleurs et plus encore dans la plaine maritime. Or on admet que vers 1300, le paysage était à peu près celui de 1800 : le XVIIIe siècle avait, certes, un peu défriché, mais, d’un autre côté, la nature avait repris du terrain à la culture pendant le Moyen Age tardif. Admettons donc les chiffres fournis par les préfets de Napoléon7. Au total, dans la région du Nord, eaux, forêts et terres stériles occupaient 14,88 % du sol. Donc les friches avaient été réduites des trois quarts, voire des quatre cinquièmes ; les terres cultivées avaient été multipliées par deux ou trois.
11Les résultats sont visibles. L’Arrouaise, vieille forêt frontière qui avait séparé les Attrébates et les Nerviens des Ambiens et des Viromandues, a disparu, sauf dans la Somme, retard picard classique. Celle qui séparait Attrébates et Morins n’a même pas laissé de nom. Toutes deux, d’ailleurs, reposaient sur de bons limons. En revanche l’auréole des sables landéniens qui ceinture la cuvette de la Pévèle porte encore aujourd’hui de grands bois, de Phalempin à Marchiennes et à la Vicoigne (forêts de Raismes, Saint-Amand, Wallers) : sols répulsifs. De belles forêts domaniales subsistent près d’Hesdin et de Guînes (forêts du même nom) et autour de Saint-Omer (forêts de Beaulo/Eperlecques, de Tournehem, de Ruhout/Clairmarais) ; y ajouter, dans la plaine de la Lys, qui avait été totalement boisée, la forêt de Nieppe. Ces grands bois ont été sauvés parce qu’ils servaient aux chasses des comtes et des grands seigneurs et parce que la valeur marchande du bois était devenue supérieure aux redevances qu’eussent payées les défricheurs. Tout le reste a disparu. Or un phénomène aussi considérable a laissé fort peu de traces.
12La toponymie est décevante car les essarts se sont rarement traduits par la création de nouveaux habitats. La plupart des villages, les neuf dixièmes dit l’historien du diocèse d’Arras, B. Delmaire, sont antérieurs à l’an Mil. Dans le Pas-de-Calais la commune moyenne fait 8,8 km2 ; les anciennes communautés rurales, qui étaient plus nombreuses, n’en faisaient sans doute pas plus que 6,3, soit un rayon de 1400 m. Au début on cultiva le quart des terres, soit un rayon de 700 m ; quand on cultiva tout, il fut inutile de créer de nouveaux habitats : les chevaux pouvaient bien faire 1400 m.
13On peut aussi traquer les mentions de sarts dans les cartulaires. L’historien de la Picardie n’a trouvé, pour deux millions d’hectares, que 707 essarts, dont une vingtaine pour le diocèse d’Arras8. Pour ce petit diocèse (282 100 ha) on en a trouvé 69 en dépouillant les chartriers9. C’est déjà mieux, mais c’est encore peu. Il est vrai que les archives d’Arras ont brûlé en 1915.
14Ne pourrait-on pas utiliser le terrage, en quoi beaucoup voient « la redevance du défricheur » ? Ce serait une pêche miraculeuse, car cette redevance fut très répandue, surtout en Artois et en Cambrésis. Malheureusement elle fut aussi le loyer normal des hôtes qu’on installait sur les réserves loties par les seigneurs : elle était perçue tam de nova quant de veteri terra, aussi bien de la vieille terre que de la nouvelle10.
15Il en va de même pour les dîmes novales, à taux réduits, qui étaient consenties aux terroirs neufs, mais seulement pour quelques années. Si on trouve, beaucoup plus tard, des dîmes à 2 ou 3 %, c’est une anomalie : ces terres auraient dû payer 9 ou 10 %, comme tout le monde. D’ailleurs le cas se présente rarement.
16Les grands survols étant décevants, il faut aller sur le terrain, étudier des cas d’espèces.
17Pour l’Artois, une polémique opposa jadis deux érudits, l’un qui, ayant trouvé dans le Dictionnaire topographique du Pas-de-Calais 341 toponymes évoquant l’arbre ou le défrichement, a conclu que le pays était couvert de bois à 80 % et qu’en particulier le Temois (région d’Hesdin et de Saint-Pol) était le royaume de l’arbre, « un vrai maquis », l’autre qui a vu dans cette petite région un vieux pays précocement humanisé11. De fait Lambert d’Ardres, qui écrivait vers 1200, a, parlant de l’an Mil, opposé le pays de Guînes et d’Ardres, sylvestre, inculte et presque vide, pays d’élevage, aux riches campagnes céréalières du pays de Saint-Pol12 et la comparaison de deux chartes, l’une de 1122-1127 pour l’abbaye d’Andres, près de Guînes, l’autre de 1119- 1127 pour l’abbaye d’Auchy, près de Saint-Pol13, montre bien l’opposition entre ces deux pays, l’un neuf, l’autre vieux.
18Cependant nos deux érudits ont raison. Le Ternois était sans doute un vieux pays, cependant on y défrichait très activement au XIIe siècle. Le premier cartulaire de Saint-Georges d’Hesdin (1093-1186) cite 28 fois l’abattage (extruncatio) ou le dessouchage (extirpatio)14. Le second cartulaire de Saint-Georges15 contient un terrier des environs de 1250, malheureusement mutilé, où l’on trouve, dans six villages, 15 sarts dûment mesurés et faisant de 6,06 à 51,03 % des terres arables, sans compter ceux qui ne sont cités que comme confronts. Ces sarts étaient parfois francs de dîme ; parfois ils ne devaient qu’une gerbe sur 32. On est donc tenté de leur ajouter huit autres terres qui en devaient aussi peu, sises dans trois autres villages et faisant de 5,02 à 44,09 % des terres arables et, a fortiori, les neuf terres de Hautmaisnil qui ne devaient qu’une gerbe du cent et qui faisaient 65,50 % des labours. Il ne fait donc pas de doute que dans ce « vieux pays » on a énormément défriché. Pour aller plus loin il faudrait étudier la micro-toponymie, le cadastre, les anciennes lisières forestières, les pollens fossiles... En attendant on peut généraliser l’exemple du Ternois : même dans les riches pays limoneux on a dû défricher les trois quarts des friches et le défrichement atteignit rapidement ses limites.
19En effet, l’essartage s’est arrêté assez tôt. Certains ont prétendu qu’on défrichait encore en Artois en 131616. C’est une erreur : il ne s’agissait que du lotissement d’une réserve17. Pour l’instant le dernier essart connu figure dans le terrier de Prémy (1268) : à Reumont, près du Cateau-Cambrésis, « 37 mencaudées au sart d’Espinoit ke nous fesismes sarter »18. En Artois, la fin des essarts se situe vers 1170. C’est vers 1170-1180 que les actes de Saint-Georges envisagent le cas où le bois donné aux moines ne serait pas abattu mais conservé et où le donateur, frustré dans ses espérances de terrage, devrait être récompensé ailleurs19. Manifestement il était alors plus avantageux d’exploiter un bois que de le détruire pour produire des grains. Le bois devenait précieux, c’est-à-dire rare. En 1170, le comte de Flandre donna une terre au prieuré d’Hesdin pour que celui-ci renonçât à son droit de prendre du mairien (bois d’œuvre) et de la laigne (bois de chauffage) dans les bois d’Hesdin20. On ne détruisait plus les bois, on les protégeait. C’est d’ailleurs au même moment, 1170-1180, que, dans les patrimoines ecclésiastiques du diocèse d’Arras, les achats l’emportèrent sur les dons21. Tant qu’ils avaient défriché, les nobles avaient été généreux : ils avaient eu la terre facile. Quand ils ne firent plus de terres neuves, ils vendirent.
20Les résultats de cette frénésie destructrice furent doubles. D’une part, comme la population continuait de croître, il fallut, faute de nouvelles terres, accroître les rendements : la culture devint plus intensive. D’autre part on vit naître une véritable sylviculture commerciale.
21Pendant le haut Moyen Age il y avait eu des forêts, c’est-à-dire des espaces plus ou moins boisés mis hors de (foris) l’usage commun et réservés aux chasses du roi, lequel, tout au plus, concédait aux Eglises, à d’autres aussi sans doute, d’y envoyer à la glandée un nombre déterminé de porcs. Les particuliers n’avaient que des bois (silva, nemus, boscus). L’usage en était souvent commun à tous les habitants du lieu (silva communis), ce qui dût assez souvent entraîner une dégradation du couvert forestier : les « forêts » qu’attaquèrent les essarteurs devaient souvent être abîmées. Qu’on imagine seulement le nombre d’arbres que réclama la construction des maisons des nouveaux ménages et celle des donjons, des châteaux. Bien souvent les grands et beaux arbres durent disparaître et il ne resta que des taillis et des arbres mal venus.
22Après 1170 on voit des seigneurs cantonner un bois, c’est-à-dire le partager avec la communauté paysanne ; ainsi, rare exemple, à Acquin près de Saint-Omer, vers 1163-117722. Souvent les bois seigneuriaux furent mis en défens : les droits d’usage furent limités ou supprimés. Dans le bois de Beuvry, près de Béthune, et vers Frévent, il fut même interdit de couper l’herbe avec une faucille ; on ne pouvait qu’en arracher à la main23. Quand un bois avait été coupé a blanche taille (à blanc estoc) les bestiaux n’y étaient pas admis avant plusieurs années, les moutons en particulier, qui étaient friands des jeunes pousses24.
23Désormais les bois furent exploités rationnellement. D’abord ils furent mesurés, à la verge près. On en a des exemples dès 1170-118025, alors que dans la France du XVIIIe siècle on estimait la surface des bois d’après leur périmètre26. Les bois du Nord furent quadrillés de chemins d’exploitation. On en a des mentions dès 1 16527. Quand Thierry d’Hireçon eut reçu de la comtesse d’Artois cinq mesures à couper chaque année dans le bois de Wasselau, près d’Aire, il commença par faire ouvrir des laies28.
24Le plus souvent Me Thierry exploitait lui-même ses bois. Quant aux comtes d’Artois, ils vendaient chaque année des coupes à de gros marchands. Les forestiers marquaient les étalons, c’est-à-dire les spécimens les mieux venus, qui étaient conservés ou vendus à part. Donc les peuplements s’homogénéisèrent : on ne gardait que les espèces nobles, orme, hêtre, chêne surtout. C’est sans doute pourquoi, dans l’iconographie tardive, le colombage des maisons rurales est toujours constitué de poutres bien droites. On dut donc faire dès la fin du XIIe siècle une exploitation en taillis sous futaie, laquelle ne fut généralisée en France que par la grande ordonnance de 1669. On exploitait aussi certains bois en gaulis29, car on avait besoin de beaucoup de perches pour les sois (barrières), ce qui donne à penser que les champs avaient besoin d’être protégés contre le dégât des bêtes. Il y avait encore des bosquets de bois blanc, surtout des aunois et, le long des fossés et des ruisseaux, des halos (saules) qui étaient d’un très bon rapport.
25Les comptes de Thierry d’Hireçon permettent d’apercevoir la production forestière. On leur a préféré des documents plus tardifs, mais plus précis.
26En 1389, T Office du Vin de la cathédrale de Cambrai rasa son bois de Briseux, soit 4,4 ha. La recette, 155,65 livres, comporta la vente de 23 cents de laigne (29,55 %), de 8 900 fagots (37,17 %), de 5,5 cents de laigne de branke (5,30 %), de 185 étalons (16,38 %) et de 360 hardées d’écorces (11,60 %). Les coûts montèrent à 89,03 livres, sans compter le transport, car tout avait été vendu sur place, mais en comptant 20 livres données au sergent des bois pour avoir reçu, vendu et livré aux marchands ledit bois, et 10,52 livres pour les bois emblés, c’est-à-dire volés30.
27On sait aussi comment l’hôpital Saint-Sauveur de Lille exploitait ses bois, par exemple vers 1349-138131. Il entretenait les carrières (chemins). Tous les ans le bosquillon ouvrait, par centaines, par milliers, les plantes que l’on replantait dans le nouvel taillich ; comme c’étaient des boutures, il devait s’agir de bois blancs. Ces bois étaient exploités en taillis sous futaie ou en gaulis. En 1359 on parle d’un taillis de sept ans ; les plantes ayant bien trois ans de croissance, cela fait dix ans, comme de nos jours. On épargnait quelques étalons, qui seraient utilisés ou vendus plus tard. Presque tous les ans le bosquillon ouvrait de la laigne, de la raime, du faissiel, des houriaux, des waules, des pierces, des godins, des lattes, du pel, du haisin. Les pieux, les perches et les gaules servaient à faire des clôtures ou des échalas (estakes de vignes). Les godins étaient destinés aux cuveliers, les lattes aux plakeurs de torchis ; le reste devait être brûlé. Ces bois étaient d’un excellent rapport : le cent de raime coûtait 21 deniers à bosquiller et se vendait 300 deniers ; pour le cent de perches les chiffres étaient de 8 et 100. Et les frais généraux étaient minimes.
28Cependant Saint-Sauveur ne rasait son bois que pressé par l’urgence financière, comme en 1381. Le plus souvent il vendait peu ; la production ne servait qu’à la consommation. Comment donc faisaient ceux qui n’avaient pas de bois ? Certains ont supposé qu’ils brûlaient des chaumes. C’est peu probable, car on voit mal ces feux de paille durer des heures sous les marmites. D’ailleurs les chaumes n’étaient pas communs : chacun avait les siens, et les petits paysans pas beaucoup. Pour faire bouillir leur pot les mères de famille devaient acheter des fagots aux bosquillons dont les charrettes traversaient les villages32, ou plus simplement, utiliser les fagots provenant de la taille de leurs haies. De nos jours la taille annuelle d’une haie d’une centaine de mètres en fournit par camions entiers. Jadis les courtils étaient très vastes et les haies très épaisses : deux pieds et demi, avec des frênes33. Ils pouvaient aussi ramasser le bois mort ou sec dans les forêts du seigneur, si du moins celui-ci le tolérait. En 1315 la comtesse d’Artois s’en réserva le profit. Du 1er mai au 2 août 1315, en 14 semaines, on vendit le bos ses (bois sec) de la forêt d’Hesdin. Chaque semaine de 8 à 10 ouvriers furent payés à 9 d le jour, voire 8 ou 6, pour ramasser le bois mort. D’autres furent payés à la tâche. Coût total 31,78 livres. 79 acheteurs payèrent 97,44 livres et 3 autres 6,12. Le bénéfice fut donc de 71,77 livres34.
29Restent les basses terres alluviales.
30Certaines vallées, comme celles de la Canche et de l’Authie, qui sont encore aujourd’hui fort marécageuses, furent rebelles à toute domestication sans doute parce qu’elles sont en permanence inondées par les grosses sources nées des plateaux crayeux ? Donc ici peu de défrichements.
31D’autres marais furent protégés par leur statut de communal. « Souventes fois povres gens se amasent entour les mares », disent les Enquêtes Fiscales du XVe siècle35. Ils « se vivaient d’une vaquette, d’un pourchel ou deux ». Ou bien ils y nourrissaient des « chevaus de petite extimacion », de méchantes rosses tout au plus bonnes à cartonner, c’est-à-dire à tirer la charrette. Un mémoire du XVIIIe siècle dit que « les habitants des villages qui ont des marais sont fainéans et négligent l’agriculture... Personne ne veut labourer la terre et les fermiers sont obligés d’appeler des étrangers pour le labourage et la moisson ; ces fainéants vivent de leur vache et de leur bêche, c’est-à-dire en faisant des tourbes qu’ils vendent pour fournir au reste de leur subsistance »36. Quand, vers la fin du XVIIIe siècle, on partagea les communaux, les nouveaux propriétaires s’empressèrent de défoncer ces belles prairies pour en extraire de la tourbe, à la grande indignation des préfets de Napoléon37.
32Pour les grandes plaines alluviales, la conquête s’en fit sans plan d’ensemble, à l’initiative des uns et des autres, sans qu’on puisse donner de dates. Vers l’an Mil, la plaine de la Lys était un saltus vide entre le bas pays aux toponymes germaniques et le haut pays aux toponymes romans ; il fut colonisé de 1000 à 1300 et tous ses villages portent des noms romans. Quant à la large vallée de la basse Scarpe, entre Douai et Mortagne, elle fut occupée de bonne heure, témoins ses toponymes. Certains historiens se sont étonnés d’y trouver tant d’abbayes mérovingiennes, vu l’état marécageux du pays. Mais celui-ci ne fut inondé qu’à partir du moment. 950 sans doute, où le comte de Flandre détourna vers Douai les eaux de la Haute Scarpe qui, jusque là, se déversaient dans la Sensée. Le cultivateur eut donc ici une attitude moins offensive que défensive. De nos jours certaines parcelles, impossibles à drainer, retournent à la friche. On accuse les affaissements miniers, mais le mal est plus ancien : à l’époque des Enquêtes Fiscales les villageois se plaignaient déjà des inondations38. Tout cela est bien mal connu.
33En revanche on a pu écrire l’histoire du marais de Saint-Omer, c’est-à-dire de la cuvette du moyen Aa39. Vers 850 Saint-Bertin y avait déjà quelques manses. Le haut marais, correspondant au cône de déjection du Haut Aa dut être conquis lentement par les brouckeres (maraîchers) qui approfondirent les chenaux et déversèrent la terre, par navees entières, sur leurs terres maresques, d’où un puzzle anarchique de parcelles irriguées par un extraordinaire lacis de vaerts (chenaux). Sur la rive nord du marais on trouve surtout des tourbières, citées dès le XIIIe siècle, sur la rive sud des viviers. Le centre de la cuvette fut donné aux bourgeois de Saint-Omer en 1070, comme une pâture commune. L’histoire se précipita après 1165, date à laquelle la ville canalisa la « rivière d’Aa ». Pendant cinquante ans ce fut la curée : jeunes Eglises dynamiques, cisterciennes et autres, seigneurs grands et petits, paysans, chacun voulut s’y tailler une terre. Dès 1175 le comte dut interdire, sous des peines terribles, que nul ne s’appropriât une parcelle des pâtures communes des bourgeois. Fin des défrichements.
34On connaît fort bien aussi la conquête de la plaine maritime40. Après la deuxième transgression dunkerquienne (vers 400) la régression de la mer avait permis à l’homme d’occuper peu à peu les terres les moins basses, quitte à n’y faire qu’un peu d’élevage ; ainsi à l’époque carolingienne. Puis des inondations sont signalées vers 944, en 1014, en 1041. C’est ce qu’on appelle pompeusement la transgression D III A. Face à la menace des eaux l’homme éleva des mardycks (digues de mer, fossatum maris), l’un à l’ouest de l’Aa, du côté de Calais (qui n’existait pas encore), l’autre à l’est, protégeant la châtellenie de Bergues, qui était déjà parfaitement organisée, avec ses paroisses et ses dîmages. Partout il y eut des digues, des écluses de mer, des watergangs et, pour entretenir le tout, des wateringues dirigées par des watergraves. Le défrichement fut donc précoce. Vers 1165 Saint-Omer canalisa la « rivière de Gravelines » (bas Aa), ce qui permit de mettre hors d’eau très rapidement la châtellenie de Bourbourg : fin des défrichements vers 1175.
35Tout cela réduisit drastiquement les communaux. Vers 1650-1800 seules 326 des 795 communautés artésiennes en avaient encore ; le total avoisinait 10 000 ha ; c’étaient des marais à plus de 80 % et on les trouvait surtout dans les bailliages d’Aire et Saint-Omer41. Dans la Flandre Wallonne, lors de l’Enquête Fiscale de 1549, sur 163 communautés rurales, seules 37 avaient « une communauté », c’est-à-dire des communaux ; c’étaient les villages riverains de la Haute Deûle, de la Naviette, de la Marque, de la Lys ou de la Scarpe : ici aussi les « communes », c’étaient des marais. A Wavrin on venait d’en vendre 10 ou 12 bonniers42. De telles aliénations avaient commencé très tôt : en 1220 les bourgeois d’Hesdin avaient acheté, pour 1 000 livres et un péage, le vaste marais du comte, pour en faire des prés individuels payant 2 sous de l’arpent43.
36Tout compte fait, les basses terres furent largement défrichées. Vers 1800 les eaux, étangs et marais faisaient seulement 1,71 % de la surface du Nord (surtout dans l’arrondissement de Dunkerque : plaine maritime) et 4,45 % de celle du Pas-de-Calais (surtout dans les arrondissements de Saint-Omer et de Boulogne : les marais de Calais et de Saint-Omer).
37Les défrichements s’arrêtèrent presque partout vers 1175. Le relais fut pris par le progrès technique.
II – Les progrès agricoles
38Les défrichements, progrès extensif, furent donc poussés aussi loin que possible. Les progrès intensifs aussi : vers 1300 la productivité était déjà celle de 1800, pour le moins. Le premier progrès avait été, on l’a vu, dès l’an Mil, l’adoption du cheval de labour.
39Vers 900 le Norvégien Ottar attelait un cheval à sa charrue. Selon certains auteurs le cheval de trait serait un cadeau des Vikings44. Merci, ô bons barbares ! Selon d’autres auteurs le cheval de trait n’était pas inconnu chez les Trévires des IIe et IIIe siècles45. Mais à l’époque carolingienne on ne voit que des bœufs. Le cheval de trait n’apparaît que vers 1000-1050, témoins quatre textes d’autant plus insignes que les chartes de cette époque sont rarissimes.
40En l’an Mil la charte d’avouerie de Cavron organisa la fourniture par les paysans de l’abbaye de Saint-Saulve de Montreuil, de chevaux et d’avoine pour l’ost du comte d’Hesdin en faveur de qui était instituée l’avouerie. R. Fossier a voulu y voir un faux de 1150 pour quatre raisons à vrai dire peu convaincantes. Primo parce que la charte cite les trois labours annuels ; or on a vu que ceux-ci étaient la règle à l’époque carolingienne. Secundo parce que les corvées sont réduites à trois par an : rien de moins étonnant, on l’a dit. Tertio parce que chevaux et avoine sont impossibles à cette date ; c’est justement ce qu’il faudrait prouver. Quarto parce qu’un comte d’Hesdin est impossible en l’an Mil ; mais tous ceux qui connaissent un peu l’histoire de la Flandre savent bien que c’est vers cette date que sont apparues, dans le sud du comté, les grandes principautés autonomes. Qui plus est, le nom du comte, Alolfus, est un brevet d’authenticité : il est évidemment le petit-fils d’Adalolf qui fut comte de Boulonnais et de Ternois de 918 à 933, et à qui succédèrent ses deux fils en 962. Cet Alolfus était complètement oublié en 1150 ; un faussaire n’eût pu l’inventer. Formellement cette charte est peu satisfaisante, mais pour le fond elle est parfaite. D’ailleurs vers 1150 il y avait longtemps qu’on ne créait plus d’avoueries46.
41Le gavène d’Arras, prestation d’avoine due au comte de Flandre par les sujets de l’abbaye de Saint-Vaast, fut institué vers 1000-1050. Son règlement modula la redevance : deux mencauds par courtil, quatre pour la terre à un jumentum, huit pour la demie charrue et un muid (seize mencauds) pour la charrue, qui devait donc faire quatre chevaux47.
42Le texte de 1038 qui institua l’avouerie de Marchiennes autorisa la réquisition, en cas d’« ost royal », de 8 chevaux (palefridi) par district (potestas), à charge pour l’avoué de les faire ferrer et de les restituer48.
43En 1051 une charte de Saint-Bertin concernant le domaine d’Heuchin, entre Saint-Pol et Thérouanne, cite les charrues et les palefrois49.
44En 1120 les trois coutures de la réserve de Marchiennes à Abscon étaient exploitées par des charrues à trois chevaux, mais les hôtes de l’abbaye à Haisnes et Auchy, près de La Bassée, faisaient leurs corvées avec des chevaux et des bœufs (Jumenta et boves). C’est la dernière mention connue des bœufs de labour50. Il paraît donc que tout le monde n’a pas, le même jour, remplacé les bœufs par des roncins. Le mot révolution serait excessif.
45D’autre part ces premiers chevaux n’étaient pas forcément bien puissants : on a vu qu’on en mettait trois ou quatre à la charrue. Vers 1216-1238 on trouve des corvées rachetées par 3 ou 6 sous pour un cheval, par 12 ou 24 pour une charrue, qui devait donc être attelée de quatre chevaux. Après 1300 on trouve plus souvent des charrues attelées de deux chevaux. La race avait dû s’améliorer.
46Aux XIVe et XVe siècles les exploitants du haut pays achetaient souvent leurs bêtes dans les foires de la Flandre Maritime, laquelle, disait-on vers 1800, produisait « des bêtes colossales »51. Celles-ci étaient hors de prix. En 1355, 1361 et 1366 l’hôpital Saint-Sauveur de Lille acheta à Ypres et Thourout des juments valant 25, 35,8 et 46,2 livres soit, dans la bonne monnaie douzième, celle de saint Louis disait-on, 11,17, 15,34 et 16,21 livres. Vers la même époque on a les estimations des chevaux présents dans les commanderies de l’ordre de l’Hôpital. On a deux valeurs pour des juments avec harnas, 5 et 6 francs. Six autres valeurs concernent des chevaux ; quatre, qui sont élevées (de 11 à 8,5 francs) doivent concerner des bêtes avec harnois ; les deux autres (3,58 et 3 francs) concernent des bêtes nues. C’est ce prix plancher qu’il faut retenir : à la fin du XIVe siècle, dans le bassin parisien, un bon cheval de labour ne valait que 3 ou 4 francs, c’est-à-dire 3 ou 4 livres tournois au pied 24, soit 1,5 ou 2 livres de la bonne monnaie douzième52. Il n’est évidemment pas équitable de comparer le prix d’achat d’une bête jeune et forte à celui d’une vieille rosse plus ou moins usée par le travail, mais la différence des prix est telle qu’on peut négliger celle des qualités. A Saint-Sauveur les vieux chevaux étaient revendus à moitié prix : ils étaient encore très chers. Les acquéreurs étaient souvent des cartons (charretiers). Vers 1499-1505 les Enquêtes Fiscales de la Flandre Wallonne distinguent bien « les grands chevaux nourris de blé » et les « petits chevaux de petite extimacion allans journelment au marés » et tout juste bons à « cartonner », c’est-à-dire à tirer la charrette.
47La prétendue révolution du cheval s’est donc étendue sur plusieurs siècles. Ses conséquences n’en furent pas moins immenses.
48D’abord le cheval n’est pas un herbivore. S’il a besoin de foin ou d’autres fourrages, il mange principalement, surtout quand il travaille, de l’avoine. On le verra, les comptes des XIVe et XVe siècles permettent de calculer une ration moyenne de 15 litres (6,75 kg) par jour. C’était encore la ration en 1800 dans la moitié septentrionale du département du Nord53. L’avoine a donc pris la place de l’orge dans la seconde sole, à cause des besoins des laboureurs plus que de ceux des guerriers. Surtout, l’herbe étant devenue inutile, on a pu défricher les pâtures voire, à la limite, supprimer la jachère longue, c’est-à-dire cultiver la troisième sole. On n’avait plus besoin des mauvaises herbes ; autant semer des vesces.
49Les vesces sont des légumineuses. Elles présentent deux avantages. D’une part, elles sont un excellent fourrage qui était consommé en vert54, ce qui fait qu’elles n’apparaissent pas toujours dans les comptes de l’août, ou en warats secs, comme le foin. Par la suite on les mélangea avec de l’avoine, du seigle, des lentilles, des fèves, des pois, d’où des fourrages appelés bisaille, brègerie, dravière, hivernage, ce qui permit de réserver le foin aux vaches. D’autre part, loin d’épuiser le sol, les vesces l’enrichissent : elles fixent directement l’azote atmosphérique et leurs longues racines ramènent à la surface les nitrates entraînés par l’infiltration. Une partie de cet azote était ingérée par les ruminants et ne revenait à la terre que sous forme de bouses ; le reste était enfoui par les labours : quand on retournait un champ de vesces, c’était de l’azote qu’on enfouissait55.
50La vesce était sans doute connue de longue date, comme la plante sauvage qu’elle est encore aujourd’hui. C’est sans preuve qu’on l’a dite cultivée à Saint-Amand vers 820. De même les autres textes carolingiens l’ignorent. Sa diffusion semble dater de 1150 environ. En 1158 une notice de Saint-Georges d’Hesdin, qui parle de terres devant le terrage, « de quelles semences qu’elles soient semées »56, pourrait y faire allusion. A Saint-Omer, si les tarifs du tonlieu, hérités du IXe siècle, n’en parlent pas, le tarif du fouich, taxe instituée pour l’entretien de la Grande Rivière et sans doute contemporaine de cette canalisation, donc de 1165, note les vesces parmi les huit espèces de grains taxés aux cent rasières (133 hl)57. En 1187 on trouve en Cambrésis le viciatium ou vechac, la paille de vesces battues58. Puis partout ailleurs, du moins dans le Nord.
51C’était une culture de plein champ, comme le prouvent des chartes de 1216-123859. Sur la troisième sole ? Parfois. Le compte du sous-prévôt de Saint-Omer pour 1277-1278 cite, pour les soyestés (societates, métairies) de Serques 1050 gerbes, sans doute moitié blé et moitié avoine, et 500 huaras de vesces, donc trois quantités égales, et, pour la dîme de Saint-Martin, 2 500 gerbes de blé, des mars en quantité non précisée et 2 900 gerbes de vesce, encore trois chiffres égaux60. A l’août 1324 la dîme de Festubert, près de Béthune, rapporta 500 gerbes de blé, 380 gerbes d’avoine et 366 warats de vesces, brégeries, orges et fèves61. En 1273 la dîme d’Humbercamps et de Bailleulmont, près d’Arras, donna 63 gerbes de blé, 60 gerbes d’avoine et 100 warats de vesce62. Ou bien on était passé à l’assolement quadriennal, ou bien, chose infiniment plus probable, la troisième sole était refroissiée. On n’a aucune preuve de l’assolement quadriennal et beaucoup de preuves du refroissich. Donc nul doute.
52Le progrès dut être surtout le fait des petits exploitants car les grands propriétaires ecclésiastiques furent longtemps réticents. Vers 1250 l’abbaye d’Anchin interdisait le plus souvent à ses censiers de refroissier63. En 1258 celle de Saint-Pierre de Gand ne permettait à son fermier d’Ennetières-en-Weppes, près de Lille, que de refroissier la moitié de ses jachères64. Les bourgeois étaient plus novateurs. Dans les baux audomarois de 1324-1344, le refroissich n’est jamais interdit ; il est imposé deux fois sur trois65.
53Bref, on était passé du couple bovins-jachère au couple cheval-vesces. Ainsi fut, 600 ans avant les turnips anglais, brisé le cercle vicieux de l’agriculture traditionnelle.
54Enfin le cheval travaille plus longtemps dans la journée et va plus vite que le bœuf. Si le champ n’est pas trop loin de la ferme, ce qui était le cas dans ces villages minuscules du Nord, et si la terre n’est pas trop forte, le cheval peut labourer jusqu’à un hectare par jour66. Par conséquent l’agriculteur aurait pu exploiter deux ou trois fois plus de terre. Or ce n’est pas ce qu’il fit : aux XIIIe-XVe siècles la charruée faisait 30 hectares, comme au IXe siècle, mais on avait multiplié les labours par trois.
55En l’an X dans le département du Nord, les blés étaient préparés par deux ou trois labours, l’un juste après la moisson de la troisième sole, l’autre en vendémiaire (septembre-octobre), plus un troisième si le temps s’y prêtait. Si les blés étaient précédés par une jachère on faisait six labours si possible ou au moins quatre, le premier avant l’hiver, au binot, le second après les semailles de mars, à l’araire ou au brabant, le troisième en thermidor (juillet-août) de même, mais moins profond, le quatrième à la fin de fructidor (vers le 20 septembre), aussi profond que possible ; pour les mars, on donnait deux ou trois labours, deux si possible avant l’hiver, un après. Dans le sud du département (Cambrésis, Avesnois) il n’y avait que trois labours avant les blés, le renguillage au binot après la récolte, un autre en prairial (mai-juin) avec le harna (charrue roide), le dernier au début de fructidor (fin d’août) avec le binot ou la charrue ; pour les mars un seul labour après l’hiver ; mais dans ces deux cas beaucoup de « coups de herse ». Inutile de dire que les rendements s’en ressentaient67.
56Pour le Pas-de-Calais on trouve assez régulièrement cinq labours avant les blés et trois avant les mars. Vers 1850 la tradition imposait cinq labours et autant de hersages, le premier avant l’hiver, au binot, le second en mai, à l’araire ou à la charrue, le troisième, dit retaillage, en juin avec la charrue, le quatrième ou relevage en août avec le binot, le dernier, ou retraite, après les semailles68. C’était aussi ce que l’on faisait en 1814, du moins dans l’ouest du département, de Saint-Omer à Hesdin69.
57On retrouve ces mêmes labours dans l’ancien Artois. Vers 1500-1550 les terres de Bucquoy, à l’ouest de Bapaume, recevaient cinq labours, binoter (sans doute avant l’hiver) et gaquerer (sans doute en mai), puis rabattre de l’erche, puis retailler après la Saint-Jean, drescher ou relever en août, semer et couvrir70. Au XIVe siècle les bans d’Aire prévoyaient cinq raies et autant de hersages : bauqueter avant Noël, gasquerer dedens le mois de mai, biner dedens nostre Dame mi aoust, lever dedens la Sainte Crois et semer (couvrir) ; pour les mars on exigeait trois roies, une à l’arelle et deux au binot71. En 1433, quand les chanoines de Notre-Dame de Cambrai affermèrent leurs terres de Morchies, près de Bapaume, ils exigèrent que les blés fussent ahanés de cinq roies et les mars de deux ; le fermier trouva les jachères binotées et gasquerées72. En 1381 quand les moines d’Anchin affermèrent leurs terres de Bellavesnes, à Lattre-Saint-Quentin, à l’ouest d’Arras, soit 183,89 ha, les blés étaient déjà ahanés de trois, quatre ou cinq roies, voire « de toutes roies »73. D’après un bail de 1346 les terres de Blendecques, au sud de Saint-Omer, devaient recevoir cinq labours avant les blés et sans doute deux avant les mars74. Vers 1300 les chanoines de Saint-Omer disaient que, quand la terre était au blé, les soiestiers (métayers) devaient lui donner trois façons, ghaskerer, biner et semer, mais qu’ils en faisaient beaucoup plus « à cause de leur évident profit »75. De fait, au IXe siècle on ne faisait que deux labours, l’un à la Nativité Saint-Jean, 24 juin76, l’autre après l’août. Ici on en avait ajouté trois ou quatre autres ; Ainsi le paysan passait-il sa vie au cul de ses chevaux mais, inlassablement travaillées, ses terres étaient propres, sans parler des sarclages et échardonnages manuels.
58On trouve même, dans les comptes des années 1285-1320, des champs entiers « fouis » à la bêche. Ce devait être la règle pour les innombrables petits exploitants sans charrue ni chevaux. « Médiocre palliatif », a dit un agriculteur en chambre. Grossier contresens, car le bêchage était, au contraire, la perfection même : c’était un labour profond. Un homme pouvait défoncer deux ares par jour avec un louchet de 12 ou 14 pouces, tandis que la charrue n’ouvrait la terre qu’à une profondeur de 4 pouces parfois 6, 8, rarement 1077. C’était donc un jardinage à la chinoise. Aussi les agronomes et les administrateurs des années 1800 le préconisaient-ils avec conviction.
59Pour le Moyen Age tardif on ne trouve plus guère le bêchage que pour « labourer des bouts de champs que le fer de la charrue ne peut pas atteindre »78. Le ruyotage est plus souvent cité. Il consistait à « pratiquer de dix pieds en dix pieds des fossés... de la profondeur d’un pied sur autant de largeur... La terre retirée (était) jetée des deux côtés à un pied au moins de distance de ces fossés. Les deux côtés en (étaient) ensuite rabattus avec la charrue, de manière qu’il ne reste plus qu’une petite rigole pour l’écoulement des eaux » : puis on hersait et on semait. Pour les terres très humides qui devaient être semées en mars le ruyotage se faisait avant l’hiver afin de faciliter l’écoulement des eaux79. La technique était déjà connue des Gallo-Romains ; on l’a aussi observée dans la province de Groninge80.
60Si la terre était ainsi travaillée, il ne devait plus y pousser grand chose. Comment, dès lors, nourrir les bêtes, sinon à l’étable et au pré, ou sur les chaumes entre la fin de l’août et les labours d’automne ? Vers 1800, on disait qu’une mesure de terre (0,3546 ha) était fumée en quinze jours par un troupeau de cent moutons et que ce parcage ou champiage durait de la Décolace (29 août) à la fin de Brumaire (21 novembre)81.
61A part cela les amendements et les fumures sont très mal connus. Comme ils étaient faits par l’exploitant lui-même, on en trouve peu de traces dans les comptes, ni recette, ni dépense en général.
62La marne était fort utile dans les régions argileuses du bas pays, qui devaient la faire venir à grands frais du haut pays calcaire82. Ici le cultivateur en trouvait sous ses pieds, soit dans sa terre même, soit dans les carrières publiques. La toponymie fournit un certain nombre de marlières et la coutume d’Artois imposait de restouper (reboucher) les puits à marne ; on devait donc en creuser de nouveaux quand on marnait, c’est-à-dire, paraît-il, tous les dix ans. Les fermiers avaient droit à une indemnité de marnage. Celle-ci figure très souvent dans les engagères de Saint-Georges d’Hesdin, au XIIe siècle ; elle était alors de deux ou trois sous par journal.
63Pour les fumiers l’essentiel consistait dans les liens, c’est-à-dire le produit des étables. Pour la France, on dit qu’ils étaient maigres parce qu’on n’y mettait pas de litière, parce qu’on n’avait guère de paille, parce qu’on coupait les épis très haut, à la faucille. Ce n’était pas le cas par ici : les blés étaient souvent moissonnés à la pike ou au picquet qui étaient des faux à manche court coupant les tiges au ras du sol ; le reste était fauché après sciage à la faucille ; les mars étaient fauchés. Les pailles faisaient plus de 10 % du produit brut d’une dîme : 12,43 % à Festubert, près de Béthune en 132483, 9,66 à Lesquin, près de Lille, en 135284 et 10,35 % à Zudausques, près de Saint-Omer, en 139985.
64Les baux du XIIIe siècle imposaient aux fermiers de « tourner en fiens » toutes les pailles, sans rien vendre, et de mettre tous les fiens sur les terres de la cense, sans rien laisser86 : les ecclésiastiques craignaient toujours d’être « truandés ». Les laïques étaient plus innocents : ils demandaient en général que la terre fût fumée à pleine fumure une fois en 9 ou 12 ans ou deux fois à demie fumure87. Les baux audomarois du XIVe siècle imposent aux fermiers de fumer « comme font les voisins ». Un bail d’Ennetières-en-Weppes du 25 juillet 1499 reprend une formule sans doute figée : « fumer a coustume de pays »88, indication des plus intéressantes. D’ailleurs le fermier, qui gardait souvent ses terres pendant plusieurs baux, avait intérêt à bien les fumer.
65Certains propriétaires se réservaient le droit de contrôler la fumure : ils voulaient voir89 ; sans doute le fermier devait-il les avertir pour qu’ils pussent compter les fiens. Au XIVe siècle les baux cambrésiens, dont on reparlera, fixaient un nombre précis de bariliées, de benelées ou de barochées de fiens à déverser sur les terres baillées à cense et le registre de leurs baux contient le compte des tombereaux successivement déposés par le fermier.
66Le mot benel ou beneau est encore commun à Roubaix où il subsiste au moins un agriculteur. Le mot baroch ou barou était bien vivant au XIXe siècle90. L’exploitant normal avait une charrette à ridelles pour transporter des gerbes ou des sacs et un benel pour les transports en vrac. On en a une représentation dans les Albums de Croÿ91. C’était une caisse montée sur deux roues et attelée d’un cheval, du moins à vide, de deux ou trois peut-être à pleine charge. Les textes cambrésiens du XIVe siècle établissent que le baril, le benel et la carete avaient la même capacité de port92. Or il est sûr que la charrette portait normalement une tonne de blé ou un tonneau de vin, donc 1 000 kg, du moins quand elle roulait sur un chemin empierré. Sur le sol meuble des champs, le chiffre tombait à 800 kg, à moins qu’on attendît le gel pour charrier les fiens93.
67Il y avait bien d’autres engrais. Les auteurs des années 1767-1805 en ont fait des énumérations lyriques94 : rien n’était perdu, tout était rendu à la Mère Nature. Les déchets organiques devaient finir sur le tas de fumier, mais on n’oubliait pas de curer les fossés. Surtout on utilisait à plein les détritus urbains, savoir les boues des rues, les ordures et surtout les vidanges des latrines car, n’en déplaise aux narines délicates de certains agriculteurs en chambre, cette « courte graisse » aux puissants remugles était le plus précieux des engrais.
68Il faut savoir en effet que les villes du Nord n’étaient point « ordes et punaises » comme les villes françaises où les ordures se jetaient dans les rues, où le trop plein des aisements, quand il y en avait, s’écoulait dans les ruisseaux, mais « très propres et très plaisantes ». Elles organisaient avec le plus grand soin la collecte des ordures, qu’elles vendaient ou qu’elles faisaient « espardre » sur les champs de leurs bourgeois ou sur celles qu’ils avaient affermées à six ans95. En 1289, quand Saint-Bertin accensa sa cour de Wizemes, à 5 km au sud de Saint-Omer, elle interdit au censier de sous-accenser les terres, sinon à six ans, « pour les amender », c’est-à-dire, évidemment, à un bourgeois96. Quant aux latrines, elles ne pouvaient déverser leurs effluents dans les rues ou les rivières ; de même pour les autres tiens ou ordures97. La vidange des « privées » devait donc se faire par les paysans voisins. A Lille, en 1800, en 1914 encore, ceux-ci venaient, avec leurs tinettes, acheter ces excréments ; c’était le profit des domestiques. Des tonneaux de courte graisse circulaient sur la Deûle, de Douai à Deulémont98.
69Par conséquent, les rendements étaient superbes. On en trouvera beaucoup ci-dessous. A Saint-Sauveur de Lille, qui était loin d’être une exploitation de pointe, on obtint 21,61 hl/ha avant dîme, sans faiblir de 1285 à 1541, avec une ratio de 21,19.
70Quoiqu’il soit comparable à celui qu’on obtenait vers 1800 dans le département du Nord, avec les mêmes techniques99, ce rendement de 21,61 hl/ha n’a pas eu l’heur de plaire à tout le monde. L’une a dit qu’il était peu représentatif, car localisé dans la proche banlieue de Lille et favorisé par l’épandage des résidus urbains. Mais la ferme de Saint-Sauveur à Annappes était à 8 km de Lille ! C’est assez loin ! On voit mal au XVe siècle une ville de 15 000 habitants fertiliser 20 000 hectares. D’ailleurs on a trouvé partout de très beaux rendements. Un autre a dit que, miracle curieux, les 66 rendements de Saint-Sauveur étaient tous ceux de bonnes années. C’est un effet de la jalousie : sur les quatorze premiers chiffres (1285-1355) il y a 7 récoltes moyennes, 4 médiocres (moins de 85 % de la moyenne) et 3 bonnes (plus de 115 %), répartition toute classique. Un cher collègue a même insinué que j’étais le premier à ne pas croire à mes chiffres. C’est une imposture. Encore heureux que personne n’ait mis en doute les équivalences métriques que j’ai établies pour les mesures anciennes ! Cela viendra peut-être.
71Il faut du reste se préparer à rencontrer des moyennes plus étonnantes, car Saint-Sauveur n’était rien moins qu’une ferme modèle. Pour le Béthunois des années 1297-1343 treize chiffres de provenance diverse permettent de calculer, pour le blé, un rendement moyen de 31,38 hl/ha. A Gouy-sous-Bellonne, au sud de Douai, la part de dîme du curé fut estimée en 1263 sur le pied de 37 hl/ha, valeur moyenne100.
72On peut trouver plus encore. A Saint-Sauveur en 1463 une terre de 14 cents (1,24 ha) rapporta 65,88 rasières de blé, soit 42,57 hl/ha, et une autre de 13 cents (1,15 ha) rendit 57,75 rasières, soit 40,19 hl/ha101. Ces chiffres extrêmes n’ont aucune valeur statistique, mais ils rehaussent d’une touche plus vive les moyennes de 20 ou 30 hl/ha rencontrées plus haut. Le plus notable, c’est qu’il s’agissait ici de gerbes soiches c’est-à-dire sciées à la faucille. Pour les gerbes piquetées, c’est-à-dire moissonnées au piquet, le rendement fut en 1463 de 32,74 en moyenne. Donc les rendements de Saint-Sauveur auraient pu être plus forts, d’un quart peut-être, si toutes les terres avaient été moissonnées à la faucille, mais comme cette technique coûtait environ deux fois plus cher, on la réservait en général aux cas désespérés, par exemple aux champs « fort chus et tout versés ».
73Ces chiffres étonnants appellent des comparaisons dans le temps et dans l’espace. Pour ce qui est du temps, suffise de dire que vers 1800 le blé rendait en moyenne 21,75 hl/ha dans l’arrondissement de Lille, autant qu’à Saint-Sauveur au Moyen Age, et 16 hl/ha dans l’arrondissement de Cambrai, à peu près autant qu’à la fin du Moyen Age. Pour le Pas-de-Calais on trouve en 1816 21 hl/ha pour l’arrondissement de Saint-Omer et 18 pour celui de Béthune. Ce dernier chiffre est bien moins élevé que celui des années 1300-1350. On comprend mal comment certains ont pu parler, à propos du Béthunois de l’époque moderne, du « long cheminement du progrès agricole »102. Ce serait plutôt une marche arrière !
74La comparaison avec les provinces voisines est aussi instructive.
75Malgré la valeur de ses limons, la Picardie était aussi triste au XIIIe siècle qu’à l’époque d’Arthur Young. Le cheval de labour n’y était apparu qu’après 1150 ; le blé y rendait de 5,5 à 8 hl/ha103. Ce n’était sans doute pas assez pour nourrir 100 habitants au km2. Il faut peut-être supposer des rendements plus élevés que ceux qui ont été calculés sur des bases très fragiles ou bien penser que la population picarde a été surestimée. En tout cas cette désolante médiocrité a poussé l’historien picard à annexer à sa province l’Artois, ses vesces, ses rendements, ses beffrois, ses poètes, sous le prétexte que tout ça, c’est des limons. D’où sans doute l’affirmation stupéfiante que le rendement à la semence y passa de 4 en 1100 à 6 en 1150, 8 en 1225, 10 en 1250 et 12 ou 15 en 1300104. On attend les preuves avec beaucoup d’impatience.
76Quelques rares documents montrent qu’en France la grande culture pouvait être moins médiocre qu’en Picardie. Au nord de Paris la grange cistercienne de Vaulerent fut affermée en 1315 pour le prix de 15 hl à l’hectare, pour les terres emblavées bien sûr, ce qui, même en supposant, dans ce monde surpeuplé, un taux de fermage de 75 % du produit net, comme on en rencontre alors dans le Nord, suggère un rendement de 20 hl/ha105. En 1416, quand un fragment de cette grange, la ferme de Guépelle, fut affermé, le preneur dut s’engager à faire six roies, quatre avant le blé, deux avant les mars ; mais il n’avait que deux chevaux pour 54 ha et le loyer était bien faible, 40 livres tournois106. A l’époque moderne chez les gros laboureurs de l’Ile-de-France le blé rendait moins de 20 hl/ha107. On ne donne pas la moyenne départementale.
77Pour la Flandre Flamingante on a vu ci-dessus que les rendements à la surface et à la semence y étaient médiocres, au sens étymologique du terme. Récemment un jeune historien, sans contester ces chiffres, a prétendu que l’agriculture flamingante avait été la première du monde au Moyen Age du fait qu’en 1315 un paysan de Saint-Pierrebroucq, près de Bourbourg, avait consacré aux pois et aux fèves 45 % de ses terres108. Ce cas isolé ne semble pas suffisant pour fonder cette prétention : ce stakhanoviste du petit pois est seul pour toutes les Flandres flamingantes des XIVe, XVe et XVIe siècles. Testis unus, testis nullus : on exige des moyennes, on attend des rendements. D’ailleurs, à y regarder de plus près, il apparaît que le progrès était moins flamboyant. Les confiscations opérées en 1315 sur les léliards (francophiles) de la châtellenie de Bourbourg109 montrent que, mise à part la grange cistercienne de l’Enna, 37 propriétaires avaient 493,25 mesures (sans doute 217,23 ha) dont 87 en blé, 164,5 en avoine, 50 en ront grain (fèves et pois), 51 en vesce et 140,25 en jachère ou en herbe. On peut imaginer un assolement triennal avec un tiers de terres en blé et en pois, un tiers en avoine, un tiers en jachère, en herbe ou en vesces. Seules neuf propriétés comportaient des vesces. C’était un début, mais bien timide. D’ailleurs rien de semblable ailleurs ni plus tard. Le progrès fut bien circonscrit dans l’espace et dans le temps. Ici, comme souvent ailleurs, le progrès ne survécut pas à la récession du milieu du siècle110.
78S’il en était ainsi certains seront peut-être tentés de marginaliser la région du Nord comme une exception dérangeante. Ce serait trop commode. Ce serait surtout ignorer que vers 1300 on faisait comme elle dans le sud-est de l’Angleterre111 et en Rhénanie112.
79Il y avait d’ailleurs plus brillant que la culture des champs, celle des courtils, qui est si mal connue.
80D’abord les courtils étaient nombreux : en principe un par famille. Etant donnée la croissance démographique il avait fallu en créer beaucoup. On peut même trouver des courtils divisés en deux ou trois ou accueillant des sous-locataires (sourhostes ou subhospites)113. Mais on en avait aussi taillé dans la terra forinseca, c’est-à-dire aux dépens de la terre des cans114. Souvent ces nouveaux courtils continuèrent à payer les grosses dîmes, car les décimateurs n’entendaient rien perdre115. Mais on payait en général les menues dîmes, celles des courtils et des étables, aux curés, lesquels n’ont pas laissé de comptes.
81De plus ces courtils étaient très vastes. A Beuvry, près de Béthune, en 1296, le courtil moyen faisait 0,80 ha et, tous ensemble, ils couvraient au moins 16,75 % du terroir116. Pour la Flandre Wallonne l’Enquête Fiscale de 1449 donne la surface de quelques « lieux » ; la moyenne est de 1,17 ha parce que, la récession démographique aidant, beaucoup de gens avaient plusieurs lieux, mais la médiane est de 0,67 ha117. Dans l’enquête de 1549, la moyenne (surface totale des jardins divisée par le nombre de feux) est de 0,54 ha ; le chiffre est sûrement inférieur à la réalité, vu que certains courtils abritaient plusieurs foyers et, même, qu’il y avait dans certains villages des quartiers appelés « le bourg » où les maisons n’avaient point de jardin, comme en ville ; au total les jardins faisaient 12, 11 % de la surface de la châtellenie de Lille118. Il faut donc imaginer ces campagnes telles que les ont dépeintes, vers 1600, les Albums de Croÿ : de vastes openfields constellés de grosses nébuleuses vertes, les villages enfouis dans l’épaisse verdure de leurs hayes.
82Les courtils produisaient tout ce qui apparaît plus ou moins bien au niveau de la consommation, mais si rarement à celui de la production, par exemple dans les comptes des dîmes : des herbes et des racines, bien sûr, mais surtout des cultures exigeantes, riches, à hauts rendements. D’abord les rons grains, fèves et pois, qui tenaient une si grande place dans la diète du commun, et les navettes, qui fournissaient l’huile du carême : un ménage de cinq personnes devait en cultiver quelque 175 m2119, guère plus car on n’en exportait pas encore. Il y avait aussi les plantes textiles, le lin et le chanvre, qui venaient si bien sur les sols humides et gras des vallées et des marais et qu’on a rencontrées dès le IXe siècle, et surtout, étant donné le développement de la draperie, des plantes tinctoriales120.
83La gaude (réséda luteola) ne s’est pas trouvée, jusqu’à présent, à la production, mais elle figure dans les bans d’Aire, Arras, Béthune et Douai de 1250 à 1358, car on faisait tout de même des draps jaunes, verts et oranges. Vue la vogue des tissus rouges, la garance (rubia tinctorum) était plus répandue ; on possède même le compte, tardif (vers 1397-1398), d’un molin a waranche, celui de Cantigneul en Cambrésis121. Mais la culture la plus répandue semble avoir été celle de la guède (isatis tinctoria). Les bans des villes flamandes la font venir de la région d’Hénin-Liétard, Lens et Lille ; les chirographes yprois de 1249-1291 citent des marchands d’Arras et de Béthune, de Lille, Annoeulin et Seclin122. Mais la production s’étendait jusqu’à l’extrême sud de l’Artois : en 1328 il y avait à Bonnières un molin a wede123. Vers 1150 les tarifs du tonlieu de Saint-Omer taxaient par chars entiers les trois grandes plantes tinctoriales124.
84La culture des courtils était donc une polyculture intensive et commerciale. C’est là toute la définition de la fameuse agriculture flamande. Celle-ci n’est rien d’autre que la culture des courtils étendue aux pleins champs.
III – Le commerce
85Il est d’usage de dire que le troisième grand progrès de l’agriculture fut l’ouverture au commerce. Cela prête à discussion pour la France, où la tendance des historiens actuels serait plutôt de dire que les villes furent ravitaillées, du moins en grains, par les prélèvements obligatoires, la dîme et la rente seigneuriale. Pour le Nord cela n’en souffre aucune.
86On a vu, vers 850, les traces les plus anciennes de l’économie d’échanges, de l’économie du marché, de l’économie monétaire. Ce n’étaient que des débuts parce que l’auto-consommation devait être plus importante que les échanges, parce que les redevances étaient surtout en nature, parce que les marchés étaient peu nombreux et les marchands, sans doute, de même. Par la suite, ces progrès se confirmèrent.
87L’équipement commercial comprit d’abord des marchés et des foires, de quoi on se sait presque rien. En 1814 l’ancien Artois comptait 26 places ayant des foires annuelles, semestrielles ou trimestrielles. C’étaient en général des villes. Celles-ci avaient aussi un marché hebdomadaire ou bi-hebdomadaire. Tout cela devait être fort ancien : le Grand Marché ou Marché aux Grains se trouvait en général au cœur de la ville, donc aux origines de sa croissance. On peut calculer que chacune de ces places desservait en moyenne 212 km2, donc avait un rayon d’action de 8,23 km. C’était bien suffisant pour toucher le dernier des paysans. L’adoption précoce du cheval de trait dut augmenter le rayon d’action des villes et réduire le besoin de marchés. Certains seigneurs tentèrent sans doute de créer des marchés villageois, mais on n’en trouve guère de traces dans les textes. On sait seulement qu’à la fin du Moyen Age, les villes s’opposèrent vigoureusement à la création de marchés concurrents ; les six foires de 1814 qui ne se tenaient pas dans des villes sont sans doute tardives.
88Des routes et des chemins, on ne sait à peu près rien avant longtemps. Or ils étaient essentiels : avant la loi de 1836 un cheval avait beaucoup de peine à voiturer 3 hl de blé (225 kg) ; après cette loi, quand les chemins eurent été macadamisés (empierrés), la même bête traîna sans fatigue de 13,33 à 15 hl (de 1 000 à 1 125 kg)125. Donc, si la charrette médiévale pouvait porter une tonne, ce qui est avéré, c’est que les chemins étaient empierrés : c’étaient des pires, tels que plus tard les montreraient les Albums de Croÿ. A part cette présomption solide, on n’a que des textes tardifs126.
89L ‘empierrement, qui était facile dans le haut pays crayeux, ne l’était pas dans le bas pays argileux. Ici les routes devaient être pavées avec des grès importés de l’Artois. C’est vers 1300 au plus tard qu’Ypres pava les chemins de Warneton et de Comines, qui menaient à la Lys, c’est-à-dire aux blés artésiens127 et certains ont affirmé qu’il en allait de même pour la route Lille-Bruges. Dans ce cas, il faudrait admettre que ces pavés étaient fragiles, comme il appert par le lamentable « ost boueux » de Bondues, en 1315 : l’ost royal s’était ébranlé sous des pluies diluviennes ; tout alla à peu près bien tant que l’on roula sur la craie, c’est-à-dire jusqu’à Lille ; ensuite on pénétra dans le Ferrain argileux et l’ost s’embourba, les chevaux jusqu’au poitrail, les charrettes jusqu’au plateau. D’où l’importance de la voie d’eau dans le bas pays flamand.
90Les véhicules sont un peu mieux connus. Le char, qui portait deux tonnes et quelquefois beaucoup plus, s’il faut en croire les Intendants et les Préfets, semble avoir été relativement rare, peut-être parce que, faute d’avant-train mobile, il avait du mal à tourner. Comme on le verra, cet avant-train mobile n’est pas cité avant 1460, ce qui ne veut pas dire qu’il est apparu alors. Peut-être de tels chars sont-ils reconnaissables, dans l’iconographie, à ce que les deux roues antérieurs sont plus petites, comme c’est souvent le cas dès la fin du Moyen Age. La charrette comprenait un plateau ou une caisse et une paire de roues, souvent en pièces détachées dans les inventaires. Les essieux, dont certains auteurs ont mis en doute l’existence, sont attestés dès 1302128. Comme on le verra plus à plein par la suite, les jantes étaient embattues, c’est-à-dire armées de bendes de fer maintenues par les clous a bende, de grands clous à grosses têtes tels que les montre, vers 1338, le psautier Lutrell129. Vers 1271 on fabriquait des charrettes légères à roues fines, qui mordaient dans le revêtement des voies et la ville de Saint-Omer dut interdire aux fèvres de ferrer « rouwe de caretes fors a deux marteaus »130.
91Les rivières et les canaux furent l’objet de travaux considérables dès 1100 au moins puis, sur une très grande échelle, après 1165131. Ils étaient d’une importance vitale pour l’exportation vers le bas pays des surplus du haut pays, des grains en particulier, qui étaient des pondéraux.
92Le progrès de l’économie d’échanges s’accompagna de celui de l’économie monétaire. Très tôt les redevances en nature commuées en argent. Vers 1120 l’abbaye de Marchiennes ne percevait pour ainsi dire que des redevances en deniers132. Il subsista, ici ou là, des redevances en grains ou en chapons, mais les comptes montrent que celles-ci étaient payées en argent d’après les cours officiels relevés sur le marché par les échevins.
93Les gros exploitants commercialisaient d’énormes quantités de grain. En 1320-1321 le marchand de Thierry d’Hireçon vendit à Saint-Omer, Aire et Douai, 3 288 hl de ses blés ; d’autres furent exportés par Le Crotoy133. A la mort de Me Thierry on vida ses greniers de bonnières de 8 700 hl de blé134. Le petit cultivateur exploitant 3 ha, dont un en blé, pouvait récolter jusqu’à 30 hl de blé dont 3 pour la dîme, 2 pour la semence et 13,75 pour sa famille ; il lui restait à vendre 11,25 hl, de quoi charger une charrette.
94Il est difficile d’être plus précis, faute de documents, mais il est évident que vers 1300 fonctionnait parfaitement l’économie de marché. En 1320, vue la mévente des blés, Thierry d’Hireçon confia à son marchand le soin de vendre ses blés ; les comptes de ces ventes montrent que le prix de l’hectolitre était à peu près le même à Saint-Omer, Aire, Béthune et Douai135 : le marché était bien unifié. Quand on a des séries de prix, c’est-à-dire à partir de la fin du XIVe siècle, on voit que le prix du blé variait en même temps et de la même façon sur tous les marchés de production, Saint-Omer, Lille, Douai, Cambrai, ou de consommation, Bergues, Ypres, Bruges, Gand. Depuis quand ? Impossible de le dire pour l’instant, mais il est sûr qu’on n’en était pas encore là en Normandie par exemple vers 1500.
95Bref, l’agriculture du Nord était une polyculture intensive, commerciale et spéculative. C’était aussi une agriculture capitaliste136.
Notes de bas de page
1 L. Musset. Le second assaut contre l’Europe chrétienne (VIIe-XIe siècles), Paris, 1965 et, surtout. A. Dhaenens, Les invasions normandes, une catastrophe ?, Paris. 1970.
2 B. Guérard, Cartulaire de l’abbaye de Saint-Bertin, Paris, 1841, pp. 79 et 156.
3 I. de Coussemaker, Cartulaire de l’abbaye de Cysoing. Lille, 1886, n° I à 5.
4 G.-W. Coopland, « The abbey of St Bertin and its neighbourhood 900-1350 », dans P. Vinogradoff. Oxford studies in social and legal history, t. 4. Oxford. 1914.
5 B. Delmaire. L’histoire-polyptyque de l’abbaye de Marchiennes (1116-1121), Louvain-la-Neuve. 1985, § 27.
6 M. Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris. 1952, pp. 4-5.
7 Chr. Dieudonné. Statistique du département du Nord, Lille, an X, t. 1, p. 32. Annuaire statistique du département du Pas-de-Calais pour l’an 1814, Arras, 1814, pp. 6-7.
8 R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie, Louvain-Paris, 1968, carte pp. 314-315.
9 B. Delmaire, Le diocèse d’Arras de 1093 au milieu du XIVe siècle, Arras, 1994. p. 22.
10 Th. de Hemptine et A. Verhulst, De oorkonden der graven van Vlaanderen (juli 1128-septemher 1191), t. 2, Uitgave. vol. 1. Regering van Diederik van de Liras (juli 1128-17 januari 1168), Bruxelles, 1988, n° 82, 85, 106, 163.
11 P. Feuchère, « Le défrichement des forêts en Artois du IXe au XIIIe siècle », Bulletin de la Société des Antiquaires de la Morinie, t. 18, 1952, pp. 33-48. J. Martel, « Le défrichement en Artois du XIe au XIIIe siècle », ibid., t. 18, 1956, pp. 510-512.
12 Lambert d’Ardres, Chronique de Guînes et d’Ardres, éd. Godefroy-Ménilglaise, Paris, 1855, chap. 7, 13, 15. 100.
13 F. Vercauteren, Actes des comtes de Flandre, 1071-1128, Bruxelles, 1938, n° 122 et 124.
14 R. Fossier, Cartulaire-Chronique du prieuré Saint-Georges d’Hesdin, Paris, 1988.
15 A.D. Nord. 1H 1758.
16 G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, Paris, 1962, t. 1, p. 168.
17 G. Espinas, Recueil de documents relatifs à l’histoire du droit municipal en France des origines à la Révolution. Artois, t. 3, Lille, 1943, n° 862.
18 A.D. Nord, 50H 17.
19 R. Fossier, Cartulaire-chronique..., n" 410. 424. 443.
20 D.-J. Godefroy, Inventaire chronologique et analytique des archives de la Chambre des Comptes de Lille, Lille, 1865, n° 98, p. 45.
21 B. Delmaire, Le diocèse d’Arras..., p. 153.
22 D. Haigneré et O. Bled, Les chartes de Saint-Bertin, 4 vol., Saint-Omer, 1896-1899, n° 253 (parfois interprété, à tort, comme un défrichement).
23 G. Espinas. Recueil..., t. 2. p. 251, n° 362 (vers 1266). R. Fossier, Chartes de coutumes en Picardie. Paris. n° 91. (1218-1219).
24 R. Fossier, ibid.. n° 51 (1201), 85 (1217), 97 (1219), 146 (1243).
25 R. Fossier, Carlulaire-chronique, n° 348. 404. 443.
26 A. Corvol. « La métrologie forestière », dans B. Garnier, J.-C. Hocquet et D. Woronoff. Introduction à la métrologie historique, Paris, 1989. pp. 289-330.
27 R. Fossier. Cartulaire-chronique. n° 16.
28 A.D. Pas-de-Calais. A 834.3 (1311).
29 Il, ici., A 838.5 (1313).
30 A.D. Nord. 4G 7465 bis.
31 Archives Hospitalières de Lille. VI E7 16, E8 I à 9. E 9 1 à 8. E 10 I à 4, E 11 1.
32 M. Sommé. « La forêt de Nieppe et son exploitation au XVe siècle ». Hommes et terres du Nord, 1986, pp. 177-181 et « Règlements, délits et organisation des ventes dans la forêt de Nieppe (début XIVe-début XVIe siècles) », Revue du Nord, t. 72, 1990, pp. 511-528.
33 Chr. Dieudonné, Statistique..., t. 1. p. 258.
34 A.D. Pas-de-Calais, A 341.3.
35 A. Derville, Enquêtes Fiscales de la Flandre Wallonne 1449-1549, t. 2, Lille, 1989, p. 91. 108. A.D. Nord. B 3761 f° 16 (1498).
36 Inventaire sommaire des Archives Départementales antérieures à 1790. Pas-de-Calais, série C. Arras, 1882. n° 756.
37 Chr. Dieudonné. Statistique.... t. I. p. 183.
38 A. Derville. Enquêtes Fiscales..., t. l.pp. 183, 188, 189. 193. 194 ; t. 2, pp. 78, 80, 131, 135, 136, 138, 140.
39 A. Derville. « Le marais de Saint-Omer ». Revue du Nord. t. 62, 1980, pp. 73-95.
40 A. Dcrville, « La première révolution des transports continentaux, c. 1000- c. 1300 », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 85, 1978, pp. 181-205, puis « Les origines de Gravelines et de Calais », Revue du Nord, t. 66, 1984, pp. 1051-1069, puis « La maîtrise des eaux dans les Pays-Bas français avant Louis XIV », Pays-Bas français/De franse Nederlanden. 1988, pp. 105- 124, puis « Rivières et canaux du Nord/Pas-de-Calais aux époques médiévale et moderne », Revue du Nord, t. 72. 1990, pp. 45-61.
41 Etude inédite de J.M. Sallman citée par D. Rosselle, Les lents cheminements du progrès agricole, 4 vol. multigraphiés, Lille. 1984, p. 175.
42 A.D. Nord, B 3763.
43 R. Fossier, Chartes de coutumes..., n° 100.
44 R. Grand et R. Delatouche. L’agriculture au Moyen Age, de la fin de l’empire romain au XVIe siècle. Paris, 1950. p. 447.
45 G. Rapsaet, « La faiblesse de l’attelage antique : la fin d’un mythe ? », Antiquité classique, t. 48, 1979, pp. 171-176.
46 R. Fossier, Chartes de coutumes.... n" 10.
47 E. Van Drivai, Cartulaire de l’abbaye de Saint-Vaast d’Arras, Arras, 1875, p. 45.
48 E. Le Glay, « Mémoire sur les archives de l’abbaye de Marchiennes », Mémoires de la Société d’Agriculture, des Sciences et des Arts de Douai, 1852-1853, pp. 127-194 (voir pp. 148- 151).
49 D. Haigneré et O. Bled, Les chartes de Saint-Bertin..., n" 73.
50 B. Delmaire, L’histoire-polyptyque..., § 31 et 43.
51 Chr. Dieudonné. Statistique..., t. 1, p. 465.
52 Ph. Contamine, « Le cheval dans l’économie rurale d’après les archives de l’ordre de l’Hôpital (France du Nord. XIVe siècle) ». Campagnes médiévales. L’homme et son espace. Etudes... R. Fossier, Paris. 1995, pp. 177-187.
53 Chr. Dieudonné, Statistique..., t. 1. p. 584.
54 A.M. Saint-Omer, Registres au renouvellement de la loi 2, f° 5 : wardeurs de vende veche. A.D. Pas-de-Calais A 868.2 (Avesnes 1327) : terrage de verde veche.
55 G.-P.-H. Chorley, « The agricultural révolution in Northen Europe, 1750-1880 : nitrogen, legumes and crop productivity », The Economie History Review, t. 34, 1981. pp. 71-93.
56 R. Fossier, Cartulaire-chmnique..., n° 262.
57 A. Giry, Histoire de la ville de Saint-Omer et de ses institutions, Paris, 1877. p. 548.
58 J.-F Niermeyer, Mediae latinitatis lexicon minus, sub verbo.
59 R. Fossier, Chartes de coutumes..., n° 84, 97, 134.
60 A.M. Saint-Omer, 2G 54, f° 56 sq.
61 A.D. Pas-de-Calais. A 481.1.
62 B. Delmaire. Diocèse d’Arras..., p. 125, n. 66.
63 B. Delmaire. « Un recueil inédit de baux à ferme de l’abbaye d’Anchin du milieu du XIIIe siècle », Revue du Nord. t. 72. 1990, pp. 443-469 (sur vingt baux 12 interdictions de refroissier et 2 de desroyer, c’est-à-dire de modifier l’assolement).
64 A. Van Lokeren, Chartes et documents de l’abbaye de Saint-Pierre au Mont Blandin, n° 678.
65 A. Derville, « La réduction des jachères au Moyen Age dans la Flandre Wallonne », Bien Dire et Bien Aprandre, n° 1, 1978, pp. 1-11.
66 Chr. Dieudonné, Statistique..., p. 363. Confirmé par une enquête auprès de vieux agriculteurs.
67 Chr. Dieudonné, Statistique, t. 1, pp. 359-362.
68 R. Hubscher, L’agriculture et la société rurale clans le Pas-de-Calais du milieu du XIXe siècle à 1914, 2 vol., Arras, 1979 et 1980. voir p. 62.
69 Annuaire... du Pas-de-Calais, pp. 456-473.
70 M.-E. Lafaille, Famille et patrimoine au XVIe siècle. L’avocat arrageois Robert Bertoul et sa femme, 1504-1553, mémoire de maîtrise de Lille-3, 1978, p. 106.
71 P. Bertin. Aire-sur-la-Lys des origines au XVIe siècle. Arras, 1947. pp. 287-288.
72 A.D. Nord. 4G 2440.
73 A.D. Nord. 1H 619.
74 A.M. Saint-Omer, 2G 349, f° 242.
75 A.M. Saint-Omer. 2G 2308.
76 Et non à la Décolace (29 août) ; cf. A.D. Nord 50H 17 : à Prémy la corvée de jachère se devait à la mi-mai.
77 Chr. Dieudonné. Statistique..., t. 1, pp. 353-362.
78 Id., ihid.. t. 1, p. 353.
79 Id., ibid., t. 1, p. 354.
80 P. Léman, dans Centenaire de l’abbé Cochet 1975, 1978, p. 325-340. A. Verhulst, Le paysage rural, Turnhout, 1995. p. 44.
81 Chr. Dieudonné, Statistique.... t. 1. p. 475. G. Lefebvre. Les paysans du Nord, Lille, 1924. p. 205.
82 Chr. Dieudonné, Statistique..., t. 1, p. 414.
83 A.D. Pas-de-Calais, A 481.1.
84 A.D. Nord, 16G 1873.
85 A.M. Saint-Omer, 2G 3143 (pièce XXIV L4) : pourcentage théorique, car on n’avait vendu que 61,16 % des pailles.
86 B. Delmaire, « Un bail à cense de 1219 en français : Ecourt-Saint-Quentin ». Linguistique picarde, 1980. pp. 19-24 ; du même « Recueil inédit... ».
87 A.D. Nord. B 13598.
88 A.M. Lille. 15618.
89 A.M. Douai. FF 665, n° 6267 (août 1287).
90 G.-A.-J. Hecart, Dictionnaire rouchi-français, 3e éd., Lille. 1834 : Ch. Deulin, Contes du roi Gambrinus, éd. de 1935. Lille, p. 36.
91 T. 13, planche 190 (Rouvroy).
92 A.D. Nord. 4G 4561 et 4574.
93 François de Neufchâteau dans Olivier de Serres. Théâtre d’agriculture et mesnage des champs. 1804. p. 189. Chr. Dieudonné. Statistique, t. I. pp. 571 et 606.
94 J.-L. Rose, Le bon fermier ou ami des laboureurs. 1767, A.D. Nord, M 641 (mémoire de Montlinot, 1776). Chr. Dieudonné, Statistique, t. I, pp. 392-423 et 570-575.
95 A. Giry, Saint-Omer..., registre aux bans, §221 et 458.
96 D. Haigneré et O. Bled. Les chartes.... n° 1289.
97 A. Giry, Saint-Omer..., registre aux bans, § 136-139. 158. 207. 224, 250, 259, 274, 300, 318, 335. 340, 351, 352, 357. 366, 369, 393, 481. 538. 561 ; de même au XVe siècle.
98 Chr. Dieudonné, Statistique, t. 1, p. 403.
99 LL. ihid.. t. 1. pp. 374. 389. 391.
100 B. Delmaire, Diocèse d’Arras..., p. 150. n. 76.
101 Arch. Hosp. Lille. VIE 14.1.
102 D. Rosselle, Lents cheminements...
103 R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie, Paris-Louvain. 1968, pp. 377-381 et 409.
104 R. Fossier, « Le Moyen Age en Picardie » dans E. Magnou-Nortier, Pouvoirs et libertés un temps des premiers capétiens. Paris, 1992, p. 323 sq.
105 Ch. Higounet, La grange de Vaulerent. Paris, 1965. p. 52.
106 J.-M. Moriceau, « Fermage et métayage (XIIe-XIXe siècle) » Histoire et sociétés rurales, t. 1, 1994, p. 159.
107 Id.. ibid., n° 2, 1994, p. 223.
108 E. Thoen. « Technique agricole, cultures nouvelles et économie rurale en Flandre au bas Moyen Age ». Flaran 12. Plantes et cultures nouvelles en Europe occidentale au moyen âge et à l’époque moderne. 1992. pp. 51-67, et « Le démarrage économique de la Flandre au Moyen Age : le rôle des campagnes et des structures politiques (XIe-XIIIe siècles) ». dans A. Verhulst et Y. Morimoto, Economie rurale et économie urbaine au Moyen Age. Gent-Fukuola. 1994, pp. 165-184.
109 A.D. Nord. B 6949.
110 A. Verhulst, Précis d’histoire rurale de la Belgique, Bruxelles, 1990, p. 64. J.-M. Mertens, De laatmiddeleeuwse landbouweconomie in enkele gemeenten van het Brugse Vrije, 1970.
111 P.-F. Brandon, « Cereal Yields on the Sussex Estâtes of Battle Abbey », The Economie History Review, t. 25, 1972, pp. 403-420. B.-M.-S. Campbell, « Agricultural progress in médiéval England. Some evidence from eastern Norfolk », ibid., t. 36, 1983. pp. 26-41.
112 Fr. Irsigler, « Intensiv Wirt.schaft, Sonderkulturen und Gartenbau als Elément der Kulturlandschaftgestaltung in den Rheinlanden (13-16 Jahrhundert) », Agicoltura e trasformazione dell’ ambiente, secoli XIII-XVIII, Prato 11, 1984, pp. 719-747.
113 R. Fossier, Chartes de coutumes..., n° 34. 51,97, 132-135, 162 etc. A. Derville, « Les paysans du Nord : habitat, habitation, société », dans Villages et villageois au Moyen Age, Paris, 1992, pp. 81-1001.
114 R. Fossier, Chartes de coutumes..., n° 53, 81.
115 B. Del maire, Le diocèse d’Arras..., p. 125. R. Fossier, Cartulaire-chronique, p. 12. A.D. Nord 4G 2682 et 2824. 6G 306. 308 et 435. 7G 1190. 1234. 1357, 1645 etc.
116 A. Derville. Histoire de Béthune et de Beuvry, 1985, p. 60. d’après A.D. Nord B 13589.
117 A. Derville, Enquêtes fiscales de la Flandre Wallonne 1449-1549, t. 1, Lille, 1983.
118 A.D. Nord, B 3763.
119 A. Derville. « Les oléagineux dans le Nord avant 1800 », congrès de Forcalquier, 1994, à paraître.
120 G. De Poerck, La draperie médiévale en Flandre et en Artois. Technique et terminologie, 3 vol., Brugge, 1951, voir t. 1. pp. 150-198 et t. 2, pp. 219-220. A. Derville, « Moulins, cultures industrielles et marchands dans les campagnes artésiennes et flamandes », Revue du Nord. t. 72, 1990, pp. 575-592.
121 A.D. Nord. 4G 5037 et 5038.
122 C. Wyffels. Analyses de reconnaissances de dettes passées devant les échevins d’Ypres 1249-1291. Bruxelles, 1991.
123 A.D. Pas-de-Calais. A 858. 3 et 867.3.
124 A. Giry, Saint-Omer.... P.J. 95. 96 et 97. § 157-163.
125 J.-M. Moriceau, « Apprendre la terre », Histoire et sociétés rurales, n° 3, 1995, pp. 303-334.
126 A. Derville, « La première révolution... ».
127 J.-M. Duvosquel, « Tonlieux et winages à Comines au Moyen Age », dans Villes et campagnes au Moyen Age. Mélanges G. Despy, Liège, 1991. pp. 323-333 et « Le chemin d’Ypres à Comines au début du XIVe siècle ou l’accès des Yprois à la Lys ». Revue du Nord, t. 76, 1994, pp. 255-273.
128 A. Derville, « Seigneur Jean Florent de la Porte, mayeur de Saint-Omer et ses exploitations rurales », Revue du Nord, t. 64, 1982, pp. 683-705, voir les § 72 et 105.
129 Miniature reproduite par J.F. Fino, Forteresses de la France médiévale. Paris, 1970, p. 116.
130 A. Giry, Saint-Omer.... bans n° 326.
131 Voir ci-dessus n° 40.
132 B. Delmaire, Histoire-polyptyque.... pp. 48-49.
133 A.D. Pas-de-Calais, A. 849.6.
134 Ibid.. A 519.
135 Ibid., A 849.6.
136 A. Derville. « L’agriculture flamande », Histoire et sociétés rurales. n° 4, 1995, pp. 47-68.
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