Chapitre I. Des millénaires d’agriculture
p. 15-23
Texte intégral
1Comme l’a dit Claude Lévi-Strauss, « Il y a eu deux révolutions, la révolution néolithique et la révolution industrielle »1. On peut en effet, sans avoir le goût de la provocation, professer que, dans la plupart des pays européens, l’agriculture n’a guère fait de progrès techniques « de l’aube des temps historiques », on dira même, en forçant un peu, depuis les premiers agriculteurs, jusqu’à la révolution des XIXe-XXe siècles. C’était « l’agriculture traditionnelle »2, quasi immuable pendant des millénaires : les terres étaient fumées tant bien que mal, plutôt mal que bien, par la dépaissance des bêtes ; on leur donnait une ou deux façons à l’araire ou à la houe ; on y jetait un grain ; on en récoltait quatre ou cinq si la terre était bonne et le ciel clément, plus souvent deux ou trois. Pendant des millénaires presque rien n’a changé : le paysan a une histoire, l’agriculteur n’en a pas. Donc il n’y a pas d’historien car, comme a dit Marc Bloch, l’historien est celui qui se rend compte que les choses changent et qui se demande pourquoi. Si les choses ne changent pas, à quoi bon un historien ?
2Dans la douce France de 1789 le rapport à la semence (yield ratio) était en moyenne de 4,5 selon Arthur Young, de 5 sur les bonnes terres selon Quesnay, de 4,5 selon Raynal3. Dans l’arrondissement de Marseille on obtenait en 1812 de 4,5 à 5 grains pour un ; selon Olivier de Serres les bonnes terres de Provence rendaient de 5 à 6 pour un, mais dans les Alpes de la Haute Provence la ratio tombait à 4, 3, voire 2 au début du XIVe siècle4 et elle n’était que de 3 ou 4, 5 rarement, dans la Provence de la fin du Moyen Age5. Pour le Languedoc on a trouvé 2, 3, voire 46. En 1155 l’abbé de Cluny récoltait, dans ses domaines du Méconnais, de 2 à 3,33 grains de blé pour un semé ; il s’agit d’une comparaison incorrecte entre la récolte de l’année précédente et les semailles de l’année suivante, d’autant que l’août avait été médiocre, mais on n’aurait pu espérer qu’une ratio de 4,177. La ratio fut de 3,2 et 4 en 1290- 1292 dans la région de Bar-sur-Seine8 de 3,2 dans la Haute Normandie du XVIe siècle9 et, dans l’Anjou de ce temps, de 4,9 à 3,1 selon la valeur des terres10. Pour l’époque carolingienne l’importance de la population à nourrir suggère une ratio de 5 ou 7, du moins dans les régions les plus peuplées11.
3Certaines régions faisaient mieux : à Merville, dans la riche plaine de France, le rendement normal était estimé à 812 et il était de 7 dans la Beauce13. Mais il s’agissait sans doute de méteil, comme en général dans le Bassin Parisien, car, on le sait, les Parisiens mangeaient du pain bis ou noir ; or le méteil est une mixture de froment et de seigle et ce dernier rendait beaucoup plus, jusqu’à sept pour un14. A Champigny-sur-Marne Thierry d’Hireçon obtint en 1319-1321 8 pour le méteil et 4,4 pour le froment15. On peut cependant trouver, pour le seigle, des chiffres bien faibles : 8 pour le Maine de 1337, certes16, mais seulement 2,9 pour la Haute Normandie et, pour l’Anjou, 5,68 sur les bonnes terres, 3,9 pour les autres17.
4Des chiffres analogues se retrouvent en Italie et dans le Portugal. En Angleterre, sur les terres de l’évêque de Winchester, fertiles et assez bien fumées, la ratio moyenne de 1209 à 1349 fut de 3,8 à 3,9 pour le blé et plutôt moins pour les autres grains18. En Belgique la productivité du sol n’a pas augmenté de 1000 à 130019, ni d’ailleurs après : dans les polders de la région de Bruges la ratio était de 4,32 pour le blé en 1359-1390 et de 5,74 ou 7,53 pour le seigle20 ; dans la riche châtellenie de Fumes elle était vers 1550-1645, pour le blé, de 4,1 dans les polders et de 3,7 dans le Houtland21. En Genevois, de 1668 à 1754 la terre ne rapporta que trois fois la semence, du moins les bonnes années22.
5Ce ne sont là que quelques exemples destinés à sensibiliser le lecteur. On a mieux, mais plus froid : en 1963 un auteur a colligé 11 462 chiffres pour toute l’Europe, ce qui lui a permis de calculer des moyennes nationales : avant 1500, 4,7 au plus dans les îles britanniques et les Pays-Bas, 4,3 au plus en France, Espagne, Italie, 4,2 au plus avant 1700 dans l’Europe centrale et septentrionale, 4,1 au plus avant 1820 dans le monde slave23. Quoi qu’on pense des méthodes de cet auteur, pour qui la France est une et qui n’a pas hésité à calculer une moyenne avec un bon chiffre artésien et 38 mauvais chiffres provençaux, on peut lui concéder que la médiocrité fut générale avant le XIXe siècle.
6Mais le rendement à la semence n’a pas tout l’intérêt qu’on lui prête : il arrivait qu’il faiblît parce qu’on avait semé plus dense, par exemple pour étouffer les mauvaises herbes quand on n’avait pas pu bien labourer24. La production, elle, ne diminuait pas, et c’est ce qui importe, car les hommes mangent des hectolitres, non des ratios.
7Cinq pour un, cela pouvait faire, selon la densité des semailles, qu’on ignore presque toujours, au mieux 10 hl/ha. A Rothamsted, en Angleterre, on a cultivé de 1843 à 1968 le Broadbalkfield sans engrais, à l’ancienne ; le rendement du blé a été, sans faiblir, de 9 à 10,8 hl/ha, mais il s’agit d’une bonne terre, bien drainée, cultivée avec des outils modernes et semée d’excellentes semences25. On devait faire moins bien au Moyen Age. Dans les 39 domaines de l’évêque de Winchester le rendement moyen du blé fut, de 1209 à 1349, 8,62 hl/ha26. Dans la riche Picardie du XIIIe siècle les rendements du blé allaient de 5,5 à 8 hl/ha27. Pour le Franc de Bruges vers 1350-1400 on a trouvé 9 hl/ha pour le blé, 12 pour le seigle28. Ce n’était pas bien brillant.
8 Selon certains auteurs c’était bien pire encore avant l’an Mil : faute d’outils en fer on aurait travaillé la terre « avec des bâtons » et moissonné « avec des gourdins » ; les terres auraient été exploitées tous les 10, 20 ou 30 ans ; on aurait récolté, pour un grain semé de un à deux grains ; le rendement net, semence déduite, aurait donc été au mieux d’un ; vers 1300 il était de 4. Quel progrès ! Hélas ! rien de tout cela ne résiste à l’examen. Comme l’ont prouvé depuis longtemps les archéologues, le fer était fort commun à l’époque carolingienne ; les ratios de 1 ou 2 résultent de grossières erreurs d’interprétation ; et la population était si dense dans le nord de la Gaule qu’il faut froidement envisager un assolement triennal strict avec jachère réduite à un an, des ratios de 5 et des rendements de 10 hl/ha29. Après l’an Mil on ne fit pas mieux.
9Ces performances lamentables s’expliquent d’abord par l’insuffisance des fumiers. Le fumier était rare car le bétail était peu important et mal élevé, car il n’y avait guère de cultures fourragères, car tout était en blé, pour nourrir les hommes, car les rendements étaient faibles, car le fumier était insuffisant etc. : c’est un cercle vicieux. L’autre raison de la médiocrité, c’était le petit nombre des façons : mal travaillées, les terres étaient sales ; or les mauvaises herbes sont l’ennemi numéro un des rendements30.
10Donc la « révolution agricole » des XIe-XIIIe siècles est un mythe, auquel les historiens français sont les seuls à croire : après l’an Mil les progrès techniques furent insignifiants.
11Pour les historiens anglais la seule révolution agricole consista dans l’introduction par les Anglo-saxons, au VIe siècle, de la charrue lourde. L’Antiquité n’avait connu que l’araire, qui éventre le sol. C’était tout à fait adéquat sous des climats secs où prévaut l’évaporation, laquelle ramène à la surface les sels solubles assimilables par les plantes ; il se forme une croûte qu’un labour léger suffit à pulvériser. Sous les climats humides l’infiltration entraîne les éléments fertiles en profondeur et la surface se podzolise. Il faut retourner le sol ; il faut une charrue. C’est probablement à l’absence de charrues qu’il faut attribuer l’abandon dès le IIe siècle, pour cause d’épuisement, des belles villae de l’Ambianie romaine31.
12Il est donc plausible que la charrue, qui était connue des Rhètes des Alpes au IIIe siècle et des Bataves au IIe 32, fut apportée en Gaule par les envahisseurs germaniques. Sa diffusion nous échappe, faute de textes. D’ailleurs le vocabulaire est décevant : carruca signifie aussi chariot et aratrum araire aussi bien qu’arelle (charrue légère). Evidemment la roue ne prouve rien : il y avait des araires à roue et des charrues sans ; ce qui compte, c’est le versoir. Selon certains on aurait mis au point dès le XIIIe siècle la charrue tourne-oreilles qui permet à un laboureur arrivé au bout de son sillon de retourner le versoir et de repartir en sens inverse. Il semble en tout cas que la charrue puisse expliquer la supériorité du nord de la Gaule sur le midi et le basculement du centre de gravité national des rivages méditerranéens à ceux des mers du nord. La charrue rend compte de Charlemagne plus économiquement que Mahomet. On ne voit pas ce qui a poussé certains auteurs à professer que le paysan carolingien fouissait la terre avec un bâton, sinon la projection de certains films documentaires sur les Pygmées.
13Le progrès suivant consista dans l’adoption du cheval de trait. Vers 900, le Norvégien Ottar mettait un cheval à sa charrue. Le « roncin » fut peut-être un cadeau des Vikings aux Francs33, mais sa diffusion fut extrêmement lente : vers 1373 les enquêtes sur les commanderies de l’ordre de l’Hôpital montrent que le cheval de labour ne régnait que dans le centre du bassin parisien (départements de la Somme, de l’Aisne, de l’Eure-et-Loir, des Yvelines et de la Marne)34. Parfois on l’attelait avec des bœufs : vraiment pauvre bête ! De fait il y avait cheval et cheval. Ceux de la plaine de la Saône étaient « petits, sans force ni vigueur »35 ; en Anjou ils ne recevaient que six ou sept litres d’avoine par jour36 et du côté de Paris seulement 1037, contre 15 dans le Nord. Chevaux faibles car avoine insuffisante, car rendements faibles, car terres mal travaillées, car chevaux sans force : c’est un autre cercle vicieux. Mais le plus grave, c’est qu’on ne tira pas toutes les conséquences possibles de l’invention du cheval de labour.
14Par exemple le cheval travaille plus vite que le bœuf, et plus longtemps : il peut labourer jusqu’à 1 ha par jour au lieu de 0,4. On aurait donc pu multiplier les labours par trois. Ce n’est pas ce qu’on fit : on resta fidèle aux trois labours carolingiens, un sur les jachères, un avant les blés, un avant les mars. La quatrième roie fut très rare et très tardive : pour toute la Picardie on n’a trouvé qu’un propriétaire ayant payé 40 sous à son fermier pour faire quatre roies, en 127 638. Donc on préféra étendre les exploitations. La charruée du IXe siècle faisait 30 ha, au XIIIe on en trouve de 50, de 75, de 100 hectares39. Mieux aurait valu avoir deux ou trois fois plus de charrues et faire deux ou trois fois plus de labours, mais il aurait fallu avoir deux ou trois fois plus d’avoine. Pour augmenter les labours il fallait augmenter l’avoine et pour augmenter l’avoine augmenter les labours. Encore un cercle vicieux ! Economie bloquée !
15D’autre part, le cheval n’étant pas un herbivore, on aurait pu se passer des mauvaises herbes de la jachère et cultiver la troisième sole, par exemple, comme dans le Nord, avec des vesces. Ce n’est pas ce qu’on fit. Après G. Duby, beaucoup professent au contraire qu’on introduisit vers 1300 ce qu’ils appellent l’assolement, c’est-à-dire la discipline agraire. On aurait partagé tous les terroirs français en trois et remembré toutes les terres de façon que chacun eût les siennes bien réparties entre les trois soles, qu’il fît les mêmes cultures que ses voisins (contrainte de sole) et que tout le monde pût mettre ses bêtes à pâturer sur le sole qui était en jachère, les bêtes de tout le monde sur les terres de tout le monde (vaine pâture). C’est là un mythe, un de plus. Les documents des années 1300, pourtant fort nombreux, ne disent mot de ce gigantesque remembrement et les historiens se renvoient la balle : ceux qui poussent leur thèse jusque vers 1300 ne voient rien et supposent que la discipline agraire fut imposée plus tard, ceux dont la thèse commence en 1300 ne trouvent rien non plus et supposent que la discipline avait été imposée plus tôt. C’est cocasse. Le plus probable est que ces contraintes collectives existaient « de tout temps », apportées peut-être, comme l’ont proposé certains, jadis, par les envahisseurs germaniques40.
16Pourquoi la jachère ? Pour laisser reposer les terres. Parce qu’il y avait peu de fumier. Parce qu’il y avait peu de bétail. Parce qu’il n’y avait guère de cultures fourragères. Parce qu’on ne faisait que du blé. Parce que la production était réduite. Parce que la moitié ou le tiers des terres était en jachère. Cercle vicieux, un de plus.
17La jachère permettait de nourrir les bêtes, avec des mauvaises herbes, fort mal. La vaine pâture permettait de fumer les terres, fort mal également, car le fumier ne doit pas se dessécher là où la vache a semé sa bouse, mais être « élevé » et déposé au bon moment, juste avant d’être enfoui41. De plus la discipline agraire interdisait toute innovation aux agriculteurs de pointe. D’où une longue stagnation dans la routine et la médiocrité car, comme l’écrivit Montesquieu, « Les pays ne sont point cultivés en raison de leur fertilité mais en raison de leur liberté »42.
18Ce tableau affligeant provient des riches campagnes céréalières du bassin parisien. Ailleurs c’était pire. Bref, l’agriculture n’était pas intensive, mais extensive. Quand la population augmenta la solution fut d’accroître la surface cultivée : on défricha de nouvelles terres, on réduisit le temps où elles se reposaient.
19On a beaucoup défriché pendant le haut Moyen Age et les historiens anglais insistent sur ce point : selon eux l’Angleterre du XIe siècle était déjà un « vieux pays ». Pour la France on n’a que de vagues suppositions, de rares exemples et de tenaces réticences car les historiens français n’en ont que pour les « grands défrichements » des années 950-1350, lesquels sont d’ailleurs fort mal connus. Ces essarts furent d’abord le fait des laïques, des seigneurs et surtout des paysans, qui n’en ont en général laissé aucune trace écrite ; les Eglises, qui en ont laissé, ne s’y intéressèrent qu’à partir de 1075, d’où la tentation, pour certains, de dire qu’on n’a pas défriché avant cette date. La chronologie des essarts, qui est strictement locale, ne permet aucune généralisation : en Biterrois ils n’auraient débuté qu’en 1 17543, date à laquelle ils s’arrêtèrent en Artois. Ici ils avaient sans doute commencé dès le Xe siècle ; ailleurs ils ne cessèrent que vers 1350, quand la peste supprima la pression démographique.
20Les défrichements furent un investissement considérable, un des rares qu’ait connus le Moyen Age. En effet l’investissement ne consiste pas, comme on le dit trop souvent, à remplacer les tuiles envolées et les chevaux crevés (cela, c’est de l’amortissement), c’est construire une seconde grange, acheter un cheval de plus, faire un nouveau champ : l’investissement, c’est l’accroissement net des actifs productifs. Donc on a beaucoup investi de 950 à 1350. Investissement in width (extensif), non in depth (intensif), ont dit certains. C’est exact. Investissement en travail, non en argent, ont dit d’autres. Ce n’est pas exact : il a fallu au moins acheter des bêtes, des charrues, du matériel.
21Cependant les défrichements avaient une limite, qui fut parfois atteinte. D’abord la terre n’était pas en quantité illimitée. Ensuite certaines forêts étaient réservées à la chasse, plaisir sacré des rois et des nobles. Certaines terres, trop médiocres, découragèrent les défricheurs44. D’autres enfin étaient trop précieuses : vint un moment où, le bois étant devenu très rare et très cher, un hectare de forêt rapporta autant qu’un hectare de labours ; à quoi bon défricher ? Mais cette limite fut rarement atteinte. On admet en général que vers 1350 le paysage français était à peu près le même que celui de 1800. Or en 1789 Arthur Young s’indignait qu’en France les bois couvrissent 15,15 % du sol et les terres incultes 20,73 %45 : il restait beaucoup à défricher. Vers 1350, avec une densité de 40 habitants au km2, des pays comme la France et l’Angleterre n’étaient pas vraiment surpeuplés : il restait de la place pour l’expansion.
22On augmenta aussi les surfaces cultivées en réduisant la durée de la jachère. Les Romains pratiquaient l’assolement biennal avec un an de jachère ; ils n’ont cité l’assolement triennal avec des semailles de mars que comme une curiosité observée chez les Trévires : une année que les semailles de blé avaient failli, on avait semé des céréales au printemps. Il paraît donc que la Gaule romaine ignorait l’assolement triennal. Celui-ci, qui régnait dans les riches terroirs de la Gaule du nord au IXe siècle, avait dû être apporté par les Germains. Mais il était impraticable dans le midi, où la précocité de la sécheresse estivale interdit les semailles de printemps. Assolement biennal ou triennal, c’était ce qu’on pouvait faire de mieux.
23On faisait souvent beaucoup moins bien. Dans les massifs hercyniens les champs se groupaient souvent autour du village, à l’abri d’une haie ou d’un mur de pierres sèches : c’était l’inland des géographes. Dans les landes de l’outland on défrichait parfois par le feu un champ qu’on cultivait quelques années, jusqu’à l’épuisement de la terre, et qu’on rendait à la jachère pour vingt ou trente ans. Or de longues jachères ont été observées dans beaucoup de régions, non seulement la Bretagne et l’Anjou, mais aussi le Lyonnais, l’Albigeois, le Rouergue et le Languedoc46.
24La France n’était donc pas uniforme et il ne serait pas sérieux de prétendre en donner un portrait robot. Rien ne le montre mieux que les chiffres de la décime de 131147 qui permettent de calculer la richesse du clergé français en livres tournois par km2. On trouve 3,19 pour le diocèse d’Arras, 1,64 pour Amiens, 1,5 pour Rouen, 1,30 pour Chartres, 0,98 pour la basse Normandie, 0,44 pour Angers, Le Mans et Tours, 0,25 pour Bourges, 0,18 pour la Bretagne et, dans le midi, 0,53 pour la province de Narbonne et 0,28 pour le diocèse de Bordeaux. Les Artésiens n’étaient pas 18 fois plus pieux ou plus généreux que les Bretons, ils étaient seulement 18 fois plus riches ou plus nombreux, plus libres, plus ouverts au progrès.
25Progrès et libertés tels sont les caractères de cette région du Nord. Pour Arthur Young la Flandre et l’Artois étaient en 1789 « la province la mieux cultivée de l’Europe... mieux cultivée que l’Angleterre... digne de fournir un modèle même pour un agriculteur anglais ». L’agronome anglais, qui pourtant n’en démordait pas de son parti-pris pour la grande culture, a été contraint de reconnaître qu’ici la petite exploitation faisait des merveilles : « les terres, écrivit-il, sont cultivées plutôt comme des jardins que comme des fermes »48. A ces mots chacun aura reconnu la fameuse agriculture flamande, qui n’est que l’extension aux pleins champs de la culture des courtils. Quand et comment le paysan du Nord est-il arrivé à cette excellence ? C’est tout l’objet de la présente enquête.
Notes de bas de page
1 Cité par J. Jacquart dans Agricoltura e trasformazione dell ambiente. Secoh XIII-XV111, Prato. 13e semaine. 1979 (1984), p. 790.
2 R. Delatouche, « Regards sur l’agriculture aux temps carolingiens », Journal des savants. 1977, pp. 73-100.
3 A. Young, Voyages en France en 1787 et 1789. trad. H. See, Paris. 1931, pp. 580 et 602.
4 G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, Paris, 1962, pp. 186, 189.
5 P.-A. Février, « Quelques aspects de la vie agricole dans la basse Provence à la fin du Moyen Age », Bulletin Philologique et Historique, 1958 (1959), pp. 299-317.
6 M. Bourin-Deruau, Villages médiévaux du bas Languedoc. Genèse d’une sociabilité (Xe-XIVe), Paris. 1987, p. 27. E. Le Roy Ladurie, Les paysans du Languedoc, Paris. 1966, p. 221.
7 G. Duby, « Un inventaire des profits de la seigneurie clunisienne à la mort de Pierre le Vénérable » (1956). rééd. dans Hommes et structures du Moyen Age. 1973, pp. 87-101.
8 M. Belotte, La région de Bar-sur-Seine à la fin du Moyen Age, Paris, 1973, p. 40.
9 A. Plaisse, La baronnie de Neubourg, Paris, 1961, p. 168.
10 M. Le Mené, Les campagnes angevines à la fin du Moyen Age, Paris. 1982, p. 280.
11 R. Delatouche. op. cil., p. 90.
12 G. Fourquin. Les campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Age, Paris. 1964. p. 79.
13 A. Chedeville. Chartres et ses campagnes, Paris, 1973. p. 212.
14 Septempliciter en Limousin vers 1100 d’après Etienne de Muret, Liber de doctrina, éd. J. Becquet, 1968, p. 59 ; texte aimablement communiqué par H. Platelle.
15 A. D. Pas-de-Calais, A 848.1 et 2 ; chiffres fragiles reposant sur la comparaison de deux années successives, l’une pour la moisson, l’autre pour les semailles.
16 R. Delatouche. « Réflexions sur l’évolution agricole du Maine du Moyen Age au XVIIIe siècle », Comptes rendus des séances hebdomadaires de l’Académie d’Agriculture de France. t. 57, 1971, Pp. 1167-1173.
17 A. Plaisse, op. cit., p. 168. M. Le Mené. op. cit., p. 280.
18 J.-Z. Titow, Winchester Yields, Cambridge. 1972, p. 4.
19 A. Verhulst. Précis d’histoire rurale de la Belgique, Bruxelles, 1990, pp. 64-66.
20 J.-A. Mertens et A. Verhulst, « Yield ratios in Flanders in the Fourteenth Century », The Economie History Review, t. 19, 1966, pp. 175-182.
21 P. Vandewalle, « Stabilité et perfection d’un système agricole : la châtellenie de Fumes », Annales E.S.C., t. 36. 1981, pp. 382-389.
22 François de Neufchateau dans Olivier de Serres, Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Paris, 1804, p. 193.
23 B.-H. Slicher Van Bath, Yield ratios 810-1820, A.A.G. Bijdragen, 10, Wageningen, 1963, 264 p.
24 P.-F. Brandon, « Cereal Yields on the Sussex estâtes of Battle Abbey », The Economie History Review. t. 25. 1972, pp. 403-420.
25 M.-M. Postan. The médiéval economy and society. Hardmondworth, éd. de 1975, pp. 77-79.
26 J.-Z. Titow, op. cit., pp. 121-135.
27 R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie, Paris-Louvain. 1968, p. 409.
28 A. Verhulst, Précis..., p. 72.
29 A. Derville, « Dîmes, rendements du blé et révolution agricole dans le nord de la France au Moyen Age », Annales E.S.C., 1987, pp. 1411-1432.
30 W. Harwood Long, « The low yields of corn in médiéval England ». The économie History Review, t. 32, 1979, pp. 455-465.
31 R. Agache, Détection aérienne de vestiges protohistoriques, gallo-romains et médiévaux dans le bassin de la Somme et ses abords, Amiens, 1970.
32 A. Verhulst, Le paysage rural, 1955, p. 42.
33 R. Grand, « Vues sur les origines de l’attelage moderne », Comptes rendus des séances hebdomadaires de l’Académie d’Agriculture de France, 1947, pp. 703-709 et « A propos de l’Annuaire du cheval », ibid., 1954. pp. 714-716.
34 P. Contamine, « Le cheval dans l’économie rurale », Campagnes médiévales. L’homme et son espace. Etudes Robert Fossier, Paris, 1995, pp. 163-175.
35 C. Beck, « Le cheptel des exploitations paysannes dans le val de Saône aux XIVe et XVe siècles », 109e Congrès des Sociétés Savantes, 1984. t. 2, pp. 113-129.
36 M. Le Mené, op. cit., p. 333.
37 G. Fourquin, Les campagnes..., p. 77.
38 G. Duby. L’économie rurale..., pp. 192-193. R. Fossier. La terre..., p. 429 (exemple interprété à tort comme l’introduction de l’assolement quadriennal).
39 G. Fourquin. Les campagnes..., p. 77. M. Belotte, Bar-sur-Seine..., p. 40. Ch. Higounet, « Un nouveau domaine laïc du XIIIe siècle : la cense de la Potière » (1982) rééd. dans Villes, Sociétés, Economies médiévales, Bordeaux. 1992, pp. 311-320.
40 A. Derville, « L’assolement triennal dans la France du nord au Moyen Age », Revue Historique, t. 280.2, 1989, pp. 337-376 et « Verzelgung und Dreifelderwirtscharft in Nordfrankreich im Mittelalter », Economie rurale et économie urbaine au Moyen Age, 1994, pp. 127-133.
41 W.-O. Ault, Openfield farming in médiéval England, London. 1972, pp. 15-17.
42 Cité par Stendhal, L’Italie en 1818, éd. H. Martineau. Paris, 1956, p. 322.
43 M. Bourin-Deruau, Villages médiévaux..., p. 9.
44 Un bon exemple dans les montagnes du haut Beaujolais : E. Perroy, La terre et les paysans en France au XIIe et XIIIe siècles, Paris, 1973, pp. 221-247.
45 A. Young, Voyges..., p. 852.
46 M. Le Mené, Les campagnes, p. 280, sq. M.-T. Lorcin, Les campagnes de la région lyonnaise aux XIVe et XVe siècles, Paris, 1974, p. 49. Ch. Higounet, « Une carte agricole de l’Albigeois vers 1260 » (1958) rééd. dans Paysages et villages neufs du Moyen Age, Bordeaux, 1975, pp. 187-192. H. Enjalbert dans Annales du Midi, 1955, pp. 170-175. E. Le Roy Ladurie, Les paysans..., p. 76.
47 Recueil des Historiens de la France, t. 21, p. 557 sq.
48 A. Young, Voynyes..., pp. 548, 622. 1224.
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