Conclusions
p. 227-230
Texte intégral
1L’université de Douai, et singulièrement sa faculté des arts fut un bastion de la Contre-Réforme. Elle fut aussi le lieu de toutes les luttes contre le jansénisme au XVIIe comme au XVIIIe siècle. L’extraordinaire épisode de la fourberie de Douai éclaire ces luttes et en montre la profondeur comme la violence à peine contenue. Dans les populations des Pays-Bas catholiques, on désavouait largement les tendances jansénisantes de l’enseignement louvaniste. C’est pour cela que les étudiants, malgré la frontière politique, sont venus en masse jusqu’à 1755, date où, pour faire plaisir à Louvain, université dépeuplée, on leur a fait violence. Les Flamands, surtout, avaient bien du mérite à venir à Douai : la division de la province jésuite en Gallo-Belge et Flandro-Belge les excluait de l’enseignement au collège d’Anchin depuis 1612, mais ils continuaient à affluer. Certes, à Douai, ils apprenaient le français, ils bénéficiaient de la proximité de l’université, ils pouvaient aussi se prévaloir du taux de change, qui leur était favorable, et de la sécurité des lieux, plus grande qu’à Louvain, mais ils se privaient en même temps de toute espérance d’enseigner dans une université. Cependant, ils trouvaient à Douai un enseignement conforme à l’orthodoxie la plus exigeante. Les Wallons parvenaient encore à entrer dans le corps professoral mais leur influence se réduisait. Malgré tout, ils demeuraient fidèles à l’Alma Mater pour des raisons de doctrine. C’est la qualité de la catholicité douaisienne qui a fait le succès de cette université, la deuxième du royaume de France : populeuse, sinon célèbre. C’était un instrument privilégié de culture théologique, scientifique et littéraire pour nos régions.
2Rattachée à la France, l’université lui fut très largement fidèle. Les rares trahisons concernent les dupes de la fourberie de Douai, et quelques autres jansénistes qui ont cru pouvoir bénéficier de la présence des Hollandais en 1710-1712 pour retrouver honneurs et argent perdus. Il a fallu les expulser du royaume pour un moment. Les professeurs douaisiens s’intégrèrent très rapidement dans le monde politique qui s’agitait à Paris comme à Versailles. En 1755, quand Douai fut privée de ses étudiants des Pays-Bas catholiques, son réservoir de population au Pays Conquis était suffisant pour lui assurer encore un important recrutement. On déplora surtout la séparation de populations qui avaient si longtemps vécu ensemble en dépit de toutes les frontières et toutes les guerres. Et d’ailleurs, malgré les vicissitudes de l’histoire, malgré pour une part la différence des langues, l’unité de ces peuples dont la mentalité a été longuement formée à Douai ne s’est jamais démentie. L’opposition à Louvain, université souvent proche de l’hétérodoxie, fut très vive à Douai : ainsi, en 1699, on accusait Monnier, après une démarche à Paris, d’avoir demandé au roi de France la révocation des professeurs douai – siens pour leur substituer des théologiens et des philosophes de Louvain ! Un tel bobard traduit une obsession dans les mentalités collectives, peu perméables aux modifications historiques qui sont beaucoup moins bien comprises qu’aujourd’hui, même par le bas clergé.
3Douai est aussi l’université des ordres religieux : jésuites et bénédictins s’imposent de plus en plus au début du XVIIIe siècle, et la partie séculière devient vraiment minoritaire, même si les intérêts des ordres religieux sont divergents. Douai a résisté victorieusement à toutes les tentatives des prélats pour s’emparer de sa direction, et spécialement à Bossuet et à Noailles. Opposée avec vigueur au gallicanisme (on se souviendra que les professeurs de théologie furent destitués par ordre de Louvois pour avoir protesté contre les Quatre Articles en 1682), elle n’en fut pas moins un instrument fidèle du roi de France, notamment par le succès de ses études mathématiques, qui fournissaient de bons officiers. Mais en même temps, elle formait les jeunes gens des Pays-Bas espagnols, puis autrichiens. Jamais on n’a pu mettre en doute la correction, la rectitude de ces officiers civils et militaires, formés dans une université dominée par un roi étranger aux Pays-Bas catholiques, et parfois en guerre avec eux.
4L’université était proche du Parlement de Flandres, et si le procureur Ladislas de Baralle était lié aux jésuites, son successeur, Vernimmen, était janséniste. Il tenta par tous moyens d’intervenir dans la vie de l’université, y parvint parfois, obtint le soutien du pouvoir, et ainsi, en 1736, un contrôleur fiscal de toutes les fondations fut nommé. En fait, c’était devenu une nécessité parce que la justice ecclésiastique, avec son appel aux évêques, puis à Rome, était très lente, coûteuse, et dépourvue d’efficacité. D’ailleurs, les relations entre les facultés de théologie et des arts et l’évêque Guy de Sève avaient été jadis particulièrement mauvaises, et même Fénelon, ami des jésuites, avait mal soutenu la cause de l’université de Douai. Finalement, pour éviter de voir la direction de l’université dont Rome semblait se désintéresser, passer entre les mains des jansénistes soutenus par les Intendants, le Magistrat de Lille et les principaux chefs de la cour souveraine de Flandres préférèrent en 1749 placer l’université sous le contrôle du parlement de Douai, fort opposé au parti de Quesnel.
5 Quel était le rapport d’importance des facultés dans l’ Alma Mater ? Les arts constituaient la partie principale de l’antique institution. Avec la théologie, ils représentaient près de 90 % de la population scolaire. Les arts eux-mêmes comprenaient les 3/4 des étudiants. Les jésuites recueillaient environ les 2/3 des étudiants de la faculté des arts. La philosophie était étudiée en deux ans. Nous avons consulté un grand nombre de cours. Ils indiquent une évolution progressive, mais assez nette vers l’étude des sciences. La mentalité scientifique s’introduit dans les cours de logique dès 1700. On s’éloigne de plus en plus d’Aristote, les cours cessent d’être des études intemporelles, fondées sur l’exploitation unilatérale de la pensée antique, pour devenir des œuvres plus proches de l’actualité, où l’on débat des grandes questions philosophiques de l’heure. Les jésuites ont dominé la science douaisienne. Au début du XVIIe, le P. Malapert avait donné l’exemple, et le P.A. Thomas, parti pour la Chine, atteignit la célébrité. Le cours royal de mathématiques donné aux jésuites en 1704 fut un fleuron de l’université.
6Le sérieux des études était réel. Si les bénédictins de Saint-Vaast conservaient un cours de dialectique fait en un an, ce qui permettait d’écourter les études, les jésuites, par contre, parvinrent à faire interdire cette formation courte, pour garder à la préparation des étudiants tout son sérieux. Mais il y a malgré tout, dès les années 1740, un lent repli de la fréquentation des universités, et Douai n’échappe pas au mouvement. La bourgeoisie marchande, qui fournit un important contingent d’étudiants à Douai, remarque combien la formation classique des études de philosophie est impropre à leur destinée pratique ; Il semble bien que ce mouvement, déjà profond dans les collèges au niveau secondaire, se prolonge jusqu’aux études de philosophie.
7L’amour des lettres latines perdura à Douai bien plus longtemps qu’à Paris, où les premiers exercices en français apparaissent dès les années 1720, sous les auspices du P. Buffier. Dans la décennie 1750, pour la fin de l’année, les plaidoiries sont en français. Mais Douai a longtemps hésité à suivre ce chemin. On y faisait des cours de français le dimanche après-midi pour les humanistes. On insistait de plus en plus, au XVIIIe, sur la version latine. L’amour des lettres latines n’était pas synonyme de fétichisme de l’antiquité. Le grec qui n’avait pas comme le latin la fonction de maintenir l’unité de l’Europe catholique et lettrée, fut relégué dans l’ombre dès 1644. Quant au cours d’hébreu, devenu moins important depuis que la menace protestante s’éloignait, il fut franchement délaissé au collège public. De toute manière, à Douai, toutes les évolutions qui, à Paris, prennent très tôt leur cours, arrivent plus tard dans l’université de Flandre Wallonne, sont acceptées avec modération. En tous cas, Douai n’est pas seulement destinée à éduquer la bourgeoisie des ville du Nord : on y trouve énormément de bourses, de nombreux séminaires. Beaucoup de pauvres y viennent. On y prépare des prêtres issus de familles de petite condition. La faculté des arts n’a pas échappé aux pesanteurs sociologiques de son époque, mais elle a donné l’exemple de la charité, très paternelle, parfois sévère, mais réelle et abondante.
8 Rivale de Louvain, Douai recueillit souvent les étudiants qui fuyaient l’université brabançonne affaiblie par les guerres, mais surtout déchirée par les querelles, et plus tard, étroitement dominée par le pouvoir autrichien. L’université de Douai, et spécialement la faculté des arts fut une institution au service de l’orthodoxie, des lettres, de la science, qui ouvrit le monde de la culture non seulement à la bourgeoisie du Pays Conquis et des anciens Pays-Bas catholiques, mais aussi à beaucoup de jeunes pauvres venus de ces régions. Ce fut, jusqu’au bout une université très attachée au Saint-Siège. Insensible aux grandeurs du roi Soleil, aux excès centralisateurs du gouverneur autrichien Charles de Lorraine, et de son principal ministre, le comte de Neny, comme plus tard, aux fureurs de la Révolution, elle fut un exemple de fidélité.
9Saint-Ghislain, le 31 janvier 1997
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