Introduction
p. 13-16
Texte intégral
1Cette étude prend pour thème les mineurs marocains dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Ce choix se justifie à partir des constatations suivantes. Les mineurs marocains font partie du dernier courant d’immigration dans les mines. Ce mouvement a succédé à toute une série d’autres courants d’immigration du Maghreb mais aussi d’Italie, de Pologne, de Yougoslavie, de Belgique, etc. Il est issu d’un système mis en place par les Houillères, pour lesquelles des recruteurs en poste dans les pays d’origine organisent l’émigration en masse d’éléments masculins.
2Ce courant est associé à la fin de l’exploitation de la houille dans le Nord-Pas-de-Calais. Aux problèmes spécifiques dus aux phénomènes migratoires s’ajoutent les problèmes techniques, économiques, humains engendrés par la reconversion des charbonnages.
3Aujourd’hui, cette communauté regroupée géographiquement est dépourvue de perspectives et se trouve dans une situation délicate en raison des difficultés économiques et des conséquences du travail dans les mines (manque de qualification, manque d’alphabétisation, problèmes de santé, situations familiales).
4Peu d’études ont été entreprises sur les réalités vécues par ces personnes déracinées... Lorsqu’on fait référence aux dialectiques vécues par ces populations immigrées, on trouve une réalité fragmentée, partielle. La mise au premier plan de l’exploitation minière à l’occasion du film Germinal, en mettant l’accent sur le XIXe siècle, n’a pas contribué à faire la lumière sur les périodes récentes. Or, cette communauté vit et peut encore fournir les éléments concrets d’une tranche d’histoire spécifique. Il s’agit donc pour une part d’un travail de conservation de la mémoire mais aussi d’un travail sur le présent. Dans ce cadre, nous envisageons de suivre le parcours de ces hommes, venus par milliers du sud marocain et de cerner les bouleversements et les mutations que ce courant migratoire a traversés. La substitution d’une immigration familiale à une immigration masculine nous conduira dans un second temps à examiner les conditions d’insertion en période de tension et de crise. Dans le bassin minier, tout l’édifice social s’est construit autour du charbon. Les pesanteurs sont encore présentes. Quels sont aujourd’hui leurs conditions de vie, leur rapport à l’école, au travail, en quoi diffèrent-ils de ceux des autres flux migratoires ? Comment se déterminent socialement et culturellement les cellules familiales marocaines ? Dans ce registre, les histoires de vie portent un éclairage sur les cheminements individuels et les choix effectués.
5Enfin, parallèlement à ces deux axes, se dessine la nécessité de combiner le versant français et le versant marocain. Cette direction de recherche œuvre à saisir la réalité marocaine et à mettre en question la fragmentation d’une communauté qui s’est partagée en deux attitudes significatives : partir pour rester, partir pour retourner. Quelle conduite tient alors une fraction marocaine retournée sur les lieux de naissance ? Que se passe-t-il au delà des frontières ? Quelles incidences a provoquées ce vaste courant migratoire sur les structures sociales, économiques et culturelles de la communauté d’origine ?
6Ces questions permettent de dégager une dynamique que l’on pourrait croire sans lien. Mais au delà de l’étude d’une communauté spécifique inscrite dans un milieu professionnel se profile l’étude d’une boucle migratoire qui suit pas à pas les différentes étapes d’un processus global.
7Ainsi, la venue des mineurs marocains doit être repensée dans le contexte national dans lequel elle s’est inscrite. Les facteurs sociaux, démographiques, politiques se combinent à des trajectoires individuelles et font de ce courant migratoire un phénomène spécifique commun, pour une part, à d’autres courants migratoires mais différent, pour une autre part, par la combinaison de ses effets conjugués. A cela s’ajoute, dans cette interrogation, le fait de replacer cette étude dans un contexte économique et industriel particulier, le bassin minier, terre de brassage et d’imbrication de cultures.
8Ainsi se révèle l’objet de l’étude : les mineurs marocains, à l’origine paysans du Sud du Maroc venus dans le Nord de la France pour travailler dans les mines de charbon : travail pénible et dangereux compensé sans doute par l’espoir de gains avantageux. Munis de contrats déterminés puis du statut des mineurs, les mineurs marocains, caractérisant à l’origine une vague d’immigration masculine et fortement rotative, sont parvenus à la transformer en émigration familiale de longue durée. Mais, il ne s’agit plus de la même situation, ni du même regard. Le rapport au travail a changé, les mineurs marocains sont partis, ou ont été obligés de se reconvertir ; parfois, ils sont à la retraite, ou touchés par le chômage et l’emploi temporaire. Les attentes se sont transformées. Les choses ne sont pas si simples : ici ou là-bas, l’avenir est incertain. Concentrée massivement à la périphérie de certaines villes, la communauté marocaine a subi des mutations. Il s’agit désormais d’une nouvelle dynamique migratoire ; les femmes et les enfants sont désormais plus nombreux à travers le regroupement familial. Et à travers eux, la sédentarisation s’est renforcée.
9Dans cette perspective se posent d’autres interrogations notamment sur l’insertion sociale et culturelle. Comment se transmettent, se perpétuent ou s’effacent les usages culturels ? Comment se sont restructurés les rôles de chacun au sein de l’organisation familiale ? Quelles sont les relations avec le pays d’origine : un lien tenu, ou à l’inverse un lien indestructible freinant l’adaptation dans le pays d’accueil ?
10Enfin, il ne faut pas omettre les incidences pour la communauté d’origine. Le mandat de l’émigré a pu pour une grande part maintenir une communauté rurale qui sans lui se serait désagrégée. Il a contribué à forger de nouvelles représentations tant au niveau du travail que des modes de vie. Il a enfin modifié les éléments du paysage.
11Ainsi, l’étude des mineurs marocains révèle des dimensions insoupçonnées. On peut dire alors que l’arbre cache la forêt et que les horizons sont lointains. Le travail qui va suivre se propose donc de rendre sensibles des choses perceptibles. Ces détails recueillis à la faveur de multiples entretiens, cette cascade d’impressions ne peuvent être pliés à une théorie. Le drame du chercheur, en la matière, est de mesurer parfois l’importance des intervalles après coup, alors qu’il n’est plus possible de relancer la parole. Aujourd’hui seulement, nous mesurons, à cet égard, ces petites occasions manquées qui renforcent les certitudes.
12Le dispositif de la recherche s’est appuyé dans un premier temps sur une recherche bibliographique menée dans différents centres : Bibliothèque Nationale, Archives des Houillères, musée de Lewarde, bibliothèques municipales, universitaires, organismes locaux et régionaux possédant des sources. Cette première étape visait à poser les bases appropriées d’une approche du milieu minier et des courants d’immigration. Elle avait pour objectif de cerner le thème d’étude en l’inscrivant dans une perspective historique et sociale. En cela, des travaux antérieurs traitant de la sociabilité en milieu minier ont pu illustrer concrètement cette première approche. La deuxième étape a consisté à effectuer de multiples entretiens ordonnés selon les critères suivants. Dans un premier temps ont été interrogés les informateurs susceptibles d’apporter leurs points de vue sur le thème de départ. En général, il s’agissait plutôt d’informateurs repérés et choisis parce qu’ils ont eu une action directe sur les thèmes traités : ingénieurs des mines, agents de maîtrise et employés chargés de la reconversion, chefs de service des mines. Ensuite, ont été interrogés des acteurs qui ont été amenés à être en relation avec les mineurs marocains, ou avec leur famille : médecins, instituteurs, assistantes sociales. Enfin, des formateurs, qui ont eu dans leur public des mineurs marocains, ont pu aussi apporter des éléments d’importance. Les interrogations n’ont pas toujours été identiques et ont varié selon les rôles et les fonctions des interlocuteurs. Elles ont donné lieu toutefois à un matériau important qui a servi de base à une compréhension plus affirmée de la complexité du sujet. Ce premier temps de la recherche s’est accompagné d’entretiens auprès des mineurs marocains eux-mêmes, notamment dans faire géographique de Sallaumines, Dechy, Oignies, Lens où ces communautés sont historiquement regroupées et particulièrement représentées. Précisons que l’accès aux informations a été facilité par les associations de mineurs marocains et des associations de jeunes.
13Ce premier moment a permis de sélectionner des pistes de recherche, de révéler des orientations nouvelles, de mettre en relief tel ou tel indice passé dans un premier temps inaperçu. C’est pourquoi, des entretiens comparatifs ont été menés à nouveau. Les personnalités ainsi sélectionnées ont été de nouveau interrogées à travers des entretiens répétés et prolongés, concernant des tranches de vie, l’ensemble de cette démarche s’accompagnant d’allers retours physiques et théoriques.
14Les représentants de la communauté marocaine, leurs enfants, les partenaires de terrain quotidiennement au contact des réalités vécues par ces ensembles de population ont été des guides indispensables mais les représentants des institutions qui travaillent sur le secteur ont été à différents stades du travail des aides appréciables facilitant les contacts et, par là même, la recherche. Qu’ils en soient tous remerciés.
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