1Dans l’évocation des portraits croisés se dégagent des failles, des ruptures, des arrêts qui relativisent leur impact mais également apparaît une présence forte, inédite dans les allées du pouvoir sous la IV^e République. Il peut être intéressant de compléter cette saisie globale et simultanée par des textes et des documents qui, en faisant revivre les combats, les soucis, les joies de ces militants d’inspiration démocrate chrétienne, prouvent l’abondance de leurs activités, la réalité de leur emprise durant certaines périodes sur les données socio-économiques mais également leurs déceptions, leurs échecs. Cette approche collective permet cependant de mesurer les atouts et les handicaps, les forces et les faiblesses de ce réseau assez particulier de militants du Mouvement catholique.

Un apport limité

Leur période d’intervention est souvent brève et spécialisée

2Robert Prigent et Louis Beugniez s’effacent dès 1951 à la fin de la première législature, Jules Catoire reste présent jusqu’en 1958 mais n’a plus de fonctions officielles après 1951, seul Paul Bacon fait exception. Certes la valeur de l’homme politique ne se mesure pas à la durée d’occupation d’une responsabilité sinon Pierre Mendès France, Antoine Pinay, Jacques Chaban Delmas ou Jacques Delors ne seraient que de piètres hommes politiques, mais elle marque une limite dans les possibilités d’action, de rayonnement. L’anonymat relatif de Robert Prigent, celui encore plus marqué de Louis Beugniez s’expliquent en grande partie par ce déficit de temps. Jules Catoire ne dispose pas d’une fonction suffisamment publique pour être connu au-delà de sa région d’origine.

3Une autre limite de leur action apparaît dans le choix restreint de leur domaine d’activité. Louis Beugniez a préparé, suivi, promu un nombre conséquent de propositions ou projets de loi sur des sujets très variés mais concentrés dans un domaine précis, celui des questions familiales, sociales et professionnelles. Le colistier de Jules Catoire ne peut prendre en charge d’autres dossiers. Robert Prigent se situe lui aussi sur le même registre : la politique familiale lui doit beaucoup juste après la Libération mais en dehors de cette œuvre familiale et d’une action dans le domaine plus large de la santé publique, il se contente de quelques incursions dans le domaine maritime, par le biais de propositions de résolution sur la protection du littoral, ou des projets de loi sur la modernisation de l’armement naval1. Jules Catoire, présent à l’Assemblée notamment lors des grands débats sur les nationalisations, se montre très discret durant la première législature : peu d’interventions en qualité de député, une seule proposition de loi tendant à établir la « Charte de l’habitat ». Durant la seconde et la troisième législature, il devient plus prolixe dans l’initiative parlementaire, mais le domaine reste là encore assez circonscrit aux questions professionnelles, pour les mineurs essentiellement, aux affaires sociales et familiales. Paul Bacon en tant que ministre du Travail et de la Sécurité sociale doit d’abord remplir consciencieusement sa tâche ministérielle et ne peut se permettre de se consacrer à d’autres sujets d’investigation.

4Concentrée dans le temps et dans le domaine d’intervention, la « mission » politique de ces quatre militants républicains populaires n’a pas atteint tous les objectifs fixés. Une œuvre politique est contingente par définition, elle est toujours incomplète mais les échecs, les blocages marquent autant sinon plus que les succès. Robert Prigent avoue ne pas avoir réussi à mettre en place le vote familial qu’il a proposé avec Maurice Schumann à l’Assemblée consultative, il ne peut faire aboutir un véritable projet de salaire de la mère au foyer ni empêcher l’émiettement du grand ministère proposé par le général de Gaulle. Il ne parvient pas à mettre en échec la stratégie de la rue de Rivoli qui bloque le salaire de référence pour la fixation des allocations familiales. Il doit lutter constamment pour la revalorisation des prestations familiales qui font souvent les frais du déficit de la Sécurité sociale.

5Louis Beugniez parvient certes à protéger l’exercice du droit de grève mais doit reconnaître que les espoirs qu’il a mis dans la nouvelle législation notamment pour les nationalisations ne correspondent pas à la réalité : les divisions syndicales, le manque de responsabilité des uns et des autres orientent les Houillères nationales vers une étatisation et non une gestion tripartite autonome. Il doit aussi reconnaître la distance souvent immense qui sépare le projet tel qu’il est conçu et accepté par la Commission du travail et son application pratique. Les impératifs budgétaires ruinent les plus belles espérances et finissent par faire douter de l’intérêt et de l’efficacité du travail parlementaire. L’inflation des projets et des propositions conduit à refuser quatre textes sur cinq ; ce sont surtout les projets de loi gouvernementaux qui sont retenus dans les deux tiers des cas : les députés perdent ainsi le bénéfice de l’initiative législative, ils se contentent la plupart du temps de contrôler. Les délais impartis pour l’étude des textes deviennent ridicules à mesure que la législature avance et nuisent également à la crédibilité de la commission.

6Jules Catoire ne peut éviter la dérive des nationalisations reprises en main par l’Etat avec les décrets Mayer-Louvel en 1953. Il constate le divorce qui s’installe peu à peu entre de Gaulle et les démocrates chrétiens, entre les syndicalistes chrétiens et le M.R.P., de même qu’entre les socialistes et son parti sur la question scolaire. Il comprend mais aussi regrette la distance prise par la hiérarchie vis-à-vis de tout parti politique. Dans les négociations et les contacts avec les syndicats, il prend souvent conscience des blocages idéologiques qui interdisent à des hommes de bonne volonté de faire œuvre commune. Les innombrables réunions entre socialistes et démocrates chrétiens ne donnent pas les fruits espérés. Au contraire, le M.R.P. semble victime de cette alliance préférentielle, au point que Jules Catoire lui-même opère une révision déchirante en 1962.

7Paul Bacon n’arrive pas à résoudre la question du déficit de la Sécurité sociale alors que des solutions sont possibles à condition d’y mettre le prix et de faire preuve d’un réel courage politique. Il se heurte également à la montée du chômage par manque de qualification, aux impératifs budgétaires qui l’obligent à revoir ses objectifs de formation professionnelle et ses crédits de fonctionnement du ministère à la baisse, ce qui l’expose aux critiques de ses adversaires. Il constate l’immobilisme de certaines catégories sociales, le conservatisme de syndicats ouvriers ou patronaux qui se refusent à des réformes significatives, qui ne prennent pas leurs responsabilités d’interlocuteurs dans la négociation des conventions collectives.

Cet apport doit être partagé avec d’autres

8Les députés républicains populaires n’ont pas le monopole de cette ambition sociale et familiale. Des parlementaires comme Albert Gazier, ministre en 1955, Daniel Mayer, plusieurs fois ministre, Pierre Ségelle membre influent de la Commission du travail et également ministre pour la S.F.I.O., Ambroise Croizat, président de cette instance parlementaire en 1945, Billoux et Arthaud pour le P. C.F. ont joué un rôle déterminant. Ambroise Croizat, devenu ministre, rappelle que la réforme de la Sécurité sociale est le fruit d’un travail de longue haleine dès l’entre-deux-guerres. D’autre part, l’essentiel a été fait à la Libération : le climat d’unanimité nationale a favorisé la réalisation des grandes réformes telles que les nationalisations, la création des comités d’entreprises, l’instauration de la Sécurité sociale. Paul Bacon confirme : « Au départ, on tenait tous à la même chose, les lois sont prêtes depuis plusieurs mois, ce sont les circonstances politiques qui ont permis de faire voter telle loi par Croizat, telle autre par Mayer »2. En 1956, Albert Gazier dans le cabinet Mollet impose des mesures importantes. Les républicains populaires ont apporté leur pierre mais il n’y a pas eu, en la matière, monopole.

9Robert Prigent, Louis Beugniez, Jules Catoire, Paul Bacon enfin ne sont pas les seuls démocrates chrétiens à prendre en charge les questions familiales et sociales : Maurice Schumann occupe des fonctions ministérielles à caractère social, Henri Meck pèse dans de nombreux combats pour la défense ouvrière, dans la bataille de la sécurité sociale, dans le mode d’élection aux comités d’entreprise. Les députés, Charles Viatte, Edouard Moisan, Francine Lefebvre, Fernand Bouxom et Jules Duquesne, les anciens de la C.F.T.C., Gaston Tessier, Maurice Guérin et d’autres participent avec ferveur et conviction aux combats en faveur d’une défense de la famille et des droits sociaux. L’œuvre du M.R.P. déborde largement le domaine social et familial par l’entremise de Robert Schuman pour l’Europe, Pierre-Henri Teitgen et François de Menthon pour la Justice, Pierre Pflimlin pour l’agriculture et l’économie, Georges Bidault pour la politique générale.

10Il est cependant difficile de ne pas prendre en compte les faits, le poids des actions, des décisions prises par ces quatre militants.

Un apport décisif par l’ampleur des résultats

11Dans le domaine familial, l’étonnant baby boom qui se prolonge en France au-delà des années cinquante, contrairement à d’autres pays européens, est certes le résultat des initiatives prises avant-guerre et poursuivis par le gouvernement de Vichy mais doit incontestablement son épanouissement à la politique de l’immédiat après-guerre. Or les organismes à la base de cette action volontariste, le commissariat général à la famille, l’institut national des études démographiques, l’Union nationale des associations familiales sont mis en place ou sauvegardés par Robert Prigent. Celui-ci, figure principale de la renaissance familiale, prend en charge le grand ministère voulu par le général de Gaulle. Il veille à l’autonomie des caisses d’allocations familiales, il obtient que le paiement des prestations se fasse sur le lieu de domicile et non sur le lieu de travail. Durant ses séjours répétés au ministère de la Population, Robert Prigent lutte pour maintenir les allocations familiales à un taux convenable. Lors d’un débat sur les prestations familiales le 6 août 1946, il est soutenu dans ce combat par Henri Meck, président de la Commission du travail et de la sécurité sociale qui intervient à plusieurs reprises pour faire aboutir certains articles. Le rapporteur pour avis de la Commission famille, population et santé publique n’est autre que Fernand Bouxom totalement acquis à la cause. La promotion de la famille qui représente l’un des fleurons du bilan de la démocratie chrétienne en France doit beaucoup à la conviction et à l’ardeur de ce jeune ministre de 35 ans, issu du syndicalisme chrétien.

12La Sécurité sociale, d’autre part, est le résultat d’un désir commun des forces de la Résistance : le concepteur du projet est un conseiller d’Etat, Pierre Laroque, fonctionnaire du ministère du Travail qui devient le spécialiste du dossier dès la Libération dans le cabinet d’Alexandre Parodi. Robert Prigent et Henri Meck en tant que membres de la commission préparatoire, ainsi que Louis Beugniez et Charles Viatte se chargent de dénoncer et de combattre les dérives étatistes ou monopolistiques qu’ils dénoncent dans le projet initial. « C’est nous qui menons les batailles contre les mesures du gouvernement chaque fois qu’il retenait certaines conclusions du P. C.F. favorables à la seule C.G.T. »3. Le principe de la caisse unique et généralisée est remis en cause, les allocations familiales sont séparées, des régimes spéciaux se mettent en place. Le choix des membres des conseils d’administration des caisses se fait sur la base d’une élection à la proportionnelle et non par désignation. Louis Beugniez est chargé de présenter et de défendre le projet de loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui instaure la prévention des accidents du travail et vise à rééduquer et à reclasser socialement les victimes : l’adoption du texte se fait à l’unanimité des 445 députés. A plusieurs reprises, face aux pressions des modérés ou de la droite. Louis Beugniez est amené à redéfinir et à préserver le principe de l’exercice du droit de grève. Le statut du mineur fait l’objet d’un soin particulier de la part des députés du Pas-de-Calais. Jules Catoire rejoint Louis Beugniez dans ce combat pour se faire l’avocat de la dignité de ceux qu’il a soutenu durant l’entre-deux-guerres en tant que secrétaire fondateur du Syndicat Libre des Mineurs. L’alignement du régime des prestations sociales, le souci des retraites des mineurs sont obtenus à la suite d’interventions répétées. Louis Beugniez obtient de la part d’un gouvernement de Troisième Force le reclassement des ex-enseignants des écoles des houillères dans la fonction publique avec la prise en compte de leur ancienneté.

13La grande question professionnelle sur laquelle s’engage avec ferveur Jules Catoire est la mise en chantier des nationalisations. Il est chargé à plusieurs reprises de se faire le porte-parole du groupe M.R.P. sur cette question qui lui tient particulièrement à coeur puisqu’il fait partie, dès 1942, du comité de liaison nationale ou comité interconfédéral de la Résistance chargé de préparer les échéances sociales et les réformes de structures à venir. Le chef syndical ne se contente pas d’approuver le principe des nationalisations qui fait partie du programme de « Révolution par la Loi » du M.R.P. mais il attend puis revendique une nationalisation respectueuse des différents partenaires concernés. Devant le danger de mainmise communiste sur l’appareil de direction, il n’hésite pas à s’allier avec les autres partenaires, y compris les délégués de la direction et se voit ainsi exposé aux attaques de la C.G.T. Il insiste constamment sur le danger d’étatisation qui risque de pervertir l’esprit des nationalisations, basées selon lui sur la participation responsable des usagers. Ces réserves ne l’empêchent pas de soutenir à l’Assemblée, en mars 1946, la décision de l’extension des nationalisations à tous les combustibles.

14Paul Bacon, en tant que rapporteur, se fait le promoteur du projet de loi sur les Conventions collectives voté en décembre 1946. Devenu ministre du Travail, son « examen de passage ministériel » se joue, le 8 février 1950, sur un projet de loi qui fixe la réglementation de la gestion des conventions collectives avec l’institution d’un salaire minimum interprofessionnel garanti : il se fait dans sa fonction ministérielle l’incessant propagandiste de la réalisation de conventions collectives dans tous les secteurs de l’activité économique : « il faut que ce soit les gens eux-mêmes qui discutent, qui s’arrangent, qui prennent la décision ». Paul Bacon « incarne donc une certaine continuité de la politique sociale » selon Gérard Badou4. Les 9 années de présence, rue de Varennes entre 1950 et 1962, offrent une garantie au moins quantitative de sa marque personnelle. Le syndicalisme chrétien se retrouve avec d’autres sensibilités au pouvoir sous la IV^e République en grande partie à cause de la personnalité et de l’œuvre de Paul Bacon.

Un apport décisif dans la démarche

15Ces militants démocrates chrétiens fournissent dans la méthode autant que sur le contenu quelques innovations dans la vie politique française. Ils incarnent, avec d’autres militants, le surgissement d’une nouvelle génération issue directement d’une entrée en Résistance. Leur seule légitimité procède de ce « bon choix ». Ils n’ont jamais parcouru les allées du pouvoir avant-guerre, ils ne sont liés qu’à des organismes nettement minoritaires comme le P.D.P. qui rassemble moins de 5 % des électeurs dans le Nord, comme la C.F.T.C. qui atteint à peine le tiers des voix aux élections prud’homales, comme la J.O.C. qui fête son dixième anniversaire à la veille de la guerre en 1937 et la L.O.C. qui vient de se constituer en 1935. L’engagement rapide, clair et définitif dans le combat contre la Charte du Travail, au sein des mouvements et des réseaux, dans le cadre de l’Assemblée d’Alger pour Robert Prigent, du C.N.R. pour Paul Bacon, du C.D.L. pour Jules Catoire, du C.L.L. pour Louis Beugniez leur fournit un passeport pour les responsabilités politiques. Le M.R.P. ne fait qu’entériner une légitimité acquise au préalable dans un choix patriotique. De là découlent les forces et les faiblesses de ces trajectoires politiques. Ils sont imprégnés de l’esprit du C.N.R., savent trouver à la Libération les instants d’unanimité créatrice autour de grands projets, ils rêvent à une nouvelle donne politique dont le mot-clé serait le travaillisme. Ils ne savent pas gérer les victoires, prévenir les désastres électoraux, ils se lancent à la tâche comme ils se sont engagés dans leur apostolat jociste, lociste, syndicaliste.

16Ces militants devenus par le concours des circonstances ministres ou responsables politiques nationaux gardent le contact avec le terrain qu’ils viennent de quitter. Jules Catoire met un point d’honneur à rester dans son baraquement de fortune tant que ses concitoyens de Saint-Nicolas-les-Arras, victimes comme lui des bombardements, ne sont pas relogés définitivement. Robert Prigent et Louis Beugniez du fait de leur défaite rapide, dès 1951, se retrouvent en situation de chômage provisoire avec des charges de famille importantes puisque chacun élève une famille de quatre enfants. Paul Bacon prend soin durant ses neuf années de présence au ministère du Travail et de la Sécurité sociale de revenir à son domicile personnel chaque soir, de déjeuner dans les bistrots de Montmartre ou au restaurant de l’Assemblée pour ne pas grever le budget de son ministère. Cette simplicité de choix de vie leur vient de leur caractère personnel mais aussi de la proximité qu’ils conservent avec la base militante dont ils sont issus. Fruits des corps intermédiaires qui les ont façonnés, ils n’ont pas de plan de carrière ni le sentiment d’être redevables de leur engagement à ces organisme de formation : la Résistance les a libérés des entraves, des liens de reconnaissance tout en les préservant de la soif des honneurs.

17Ces hommes qui, à une période donnée, ont eu en main une partie du destin social, familial, professionnel de leur pays, qui ont connu des échecs, des déceptions, sont restés, après la fin de leur engagement politique, fidèles à leur manière à l’engagement initial. Jules Catoire prend en charge le groupe de spiritualité des parlementaires français et soutient la C.F.T.C. maintenue. Robert Prigent retourne à sa vocation sociale originelle avec la direction de l’U.N.I.O.P.S. puis la présidence du Secours catholique de 1977 à 1983 avant de prendre en charge l’amicale des anciens du M.R.P. Louis Beugniez reste membre actif de l’union régionale des retraités C.F.T.C. et participe à des activités paroissiales. Paul Bacon, après avoir été nommé par le B.I.T. responsable d’une école de formation professionnelle des cadres du Tiers-monde à Turin, fonde et dirige le C.E.R.C. (centre de recherche et d’étude des coûts) dès 19635. A l’heure de la retraite, il continue de répondre aux demandes d’arbitrage dans des conflits entre les cadres et leur entreprise. Chacun retrouve après l’engagement politique le terrain de son engagement antérieur : la vie politique n’est qu’un épisode temporaire, un mandat provisoire qui ne remet pas en cause leurs convictions et leur pratique ancienne.

Une marque dans l’histoire du catholicisme français

18Au travers de ces hommes dans leur grandeur et leurs limites, il est possible de constater l’avènement politique d’une première génération issue de l’action catholique. Celle-ci est très marquée par l’influence des abbés démocrates qui jouent le rôle de protecteurs et de conseillers spirituels : Mgr Hoguet pour Jules Catoire, l’abbé Ramon Guilhem pour Paul Bacon, l’abbé Dubois pour Louis Beugniez, le père Pels pour Robert Prigent. Ces jeunes souvent de milieux modestes ont connu l’adversité ou des drames personnels liés à la guerre 1914-1918 durant leur jeunesse, ils en ont gardé une volonté d’apprendre, de se former. L’action catholique spécialisée leur fournit le test indispensable de mesure de leur capacité à prendre en charge, à organiser. Ils oeuvrent pour leur mouvement qui, en retour, leur fournit des outils de formation personnelle. Paul Bacon possède une certaine originalité dans ce profil de militants très installés dans les structures ecclésiales : fils d’un artisan compagnon du Tour de France mort prématurément à Verdun en 1916, il garde de son père agnostique ce souci de la tolérance qui le porte à cultiver l’amour conjoint de la République et de l’Eglise et qui le pousse à promouvoir la déconfessionnalisation de la L.O.C. en M.P.F. Forgés par les principes de la J.O.C. qui se veut une école, un corps représentatif et un ensemble de services, ces jeunes chrétiens s’engagent dés leurs premières expériences professionnelles dans la C.F.T.C. Le lien entre l’action catholique et le syndicalisme chrétien est particulièrement fort chez les militants de la région Nord. L’engagement syndical est le prolongement professionnel d’une responsabilité militante. Il explique leur choix en faveur du maintien du « C » alors que Paul Bacon est plus détaché.

19Le syndicalisme ouvrier chrétien trouve dans l’immédiat après-guerre, grâce aux circonstances, un champ d’application d’envergure nationale : ce temps de reconstruction est propice aux audaces, ces jeunes militants se jettent dans les combats de sauvegarde d’acquis familiaux ou de développement de la participation ouvrière à la République nouvelle. Cette fécondité sur un temps limité marque l’avènement d’une génération catholique sociale plus populaire. Le temps des remises en cause arrive dès les années soixante sur le plan syndical, politique et ecclésial. Faut-il y voir le point d’orgue de l’œuvre démocrate-chrétienne en France ou le fruit du labeur d’une génération en attendant la suivante ?