Chapitre IV. Une marginalisation échelonnée dans le temps
p. 150-190
Texte intégral
Deux parcours politiques écourtés
Robert Prigent en 1951
1Il a choisi, dès la Libération, de s’implanter politiquement à Dunkerque : « Tu devrais te présenter dans le Nord » lui avait conseillé, à l’approche de la Libération, Jules Catoire1. Le choix paraît logique puisque Robert Prigent est inscrit au P.D.P. avant-guerre, qu’il est abonné au Petit Démocrate mais « comme simple adhérent ». Il s’est lié d’amitié avec Louis Blanckaert, professeur de droit aux Facultés catholiques de Lille, responsable des Jeunesses catholiques et, depuis 1935, secrétaire général de la Fédération P.D.P. du Nord et adjoint au maire de Wormhout. Dès la Libération, il est second de la liste M.R.P. de la circonscription lilloise conduite par Maurice Schumann.
2En effet pour permettre à Robert Prigent d’être élu, les militants des Flandres lui conseillent d’aller se porter sur la liste lilloise, Louis Blanckaert étant tête de liste de la circonscription Dunkerque-Hazebrouck. Les résultats dépassent les espérances. Sur le littoral du Nord, le MRP obtient deux élus, Louis Blanckaert décède le jour de son élection le 21 octobre 1945, il est remplacé par Maurice Ioss, le second de liste et Hector Legris. Ni l’un ni l’autre n’envisagent une carrière politique, la Fédération du Nord renvoie Robert Prigent à Dunkerque, lieu de son implantation originelle.
3En juin 1946, Robert Prigent tête de liste à Dunkerque, est réélu à la seconde Assemblée constituante et devient « le patron » des républicains populaires à Dunkerque. Certaines villes des Flandres sont alors séduites par la démocratie chrétienne qui possède des bastions à Malo-les-Bains, Dunkerque et sa banlieue alors que Grand-Fort-Philippe et Gravelines sont soumises aux influences socialisantes. Les Flandres rurales restent plus conservatrices. Très occupé par des tâches ministérielles nationales, Robert Prigent possède un bon coefficient de sympathie personnelle chez les militants car il incarne la politique familiale du parti : « au congrès, à la commission exécutive, les votes m’en apportaient la preuve ». Robert Bichet évoque « l’homme sage, réfléchi, tenant compte des réalités » qui a « une influence modératrice sur les milieux populaires »2.
4Lors des élections de 1951, Robert Prigent est victime de la perte d’influence générale du M.R.P. Battu, il siège au bureau national et à la commission exécutive, il est choisi comme chargé de mission par Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères en 1954. Marcel Ducrocq, maire de Saint-André et conseiller général M.R. P, lui propose dès 1951 un travail administratif au syndicat des teilleurs de lins pendant quatre ans. En effet le maire de Saint-André3, vice-président de la fédération M.R.P. du Nord, croix de guerre et médaille de la Résistance, fait partie avant-guerre des cadres dans les organismes professionnels de l’industrie linière où il conserve des relations. Etant à nouveau battu en 1956 par Paul Reynaud, Robert Prigent retourne à sa vocation initiale dans le domaine social : il prend la direction de l’U.N.I.O.P.S., (Union Nationale Interfédérale des Œuvres Privés Sanitaires et Sociales) pendant 20 ans. Il devient ensuite, de 1977 à 1983, président du Secours catholique où il succède à Pierre Renaudin, premier directeur de cet organisme. Il siège au Conseil économique et social, au Conseil supérieur de la mutualité dans les années soixante et préside le centre de liaison, d’études, d’information et de réflexion sur les problèmes des personnes âgées de 1970 à 1986. Il accède à la vice-présidence de la Commission supérieure des allocations familiales en 1974.
5Son jugement sur la vie et les hommes politiques français est assez critique : « je me sentais beaucoup plus à l’aise dans le milieu social car les relations humaines y sont meilleures, plus désintéressées, plus chaleureuses ». Il estime que la vie politique est « amère, pleine de fiel, de haine, de rancune. Elle n’est pas faite pour des hommes un peu sensibles ». Il fait allusion aux coups de téléphone anonymes, aux lettres, aux rumeurs. La critique n’épargne pas son propre parti : « Même dans le groupe de vos amis, aussitôt que vous montez un peu, que vous êtes chargé d’une responsabilité, vous êtes l’objet de critiques, de mises en cause de la part de votre groupe et de vos amis ». Le M.R.P. n’a jamais fait, selon lui, un véritable effort pour valoriser ses élites populaires, modestes et n’a pas « de conception globale du reclassement, même pas de mise en réserve ». Père d’une famille de quatre enfants, Robert Prigent assure la présidence de l’Amicale des anciens du M.R.P. de 1986 à 1993.
Louis Beugniez également en 1951
6Cette défaite que subit le maire de Noyelles-Godault résulte en partie d’un choix personnel : « Je préfère ne pas être réélu plutôt que d’être réélu en faisant les enterrements plutôt que la commission »4 Le système parlementaire de la IVe République s’appuie sur ces organes parlementaires dont les responsables sont de véritables permanents à l’année en dehors d’une quinzaine de jours de vacance du législatif. Les présidents de commission sont donc très pris par leurs activités. « Je travaillais jusque minuit, une heure du matin et je donnais la clé au chef des huissiers tous les soirs avec Jules Catoire ». Occupé toute la semaine au bureau de la présidence de la commission, il revient le vendredi soir dans les mines, s’occupe le samedi des problèmes fédéraux et visite les sections. La journée dominicale est remplie de visites, d’inaugurations et de fêtes associatives. Louis Beugniez consacre le lundi à la gestion de sa commune.
7Aux législatives de 1951, il est battu de 4000 voix. Une liste non apparentée et liée aux betteraviers est entrée en compétition à la dernière minute et a obtenu 12 000 voix. M. Leclercq, un responsable agricole, « patron de la betterave », lui promet lors de la législature précédente, à la suite d’un choix de vote de Louis Beugniez sur les problèmes agricoles, qu’il « va falloir payer la betterave ». Au-delà de cette raison conjoncturelle, le destin du M.R.P. dans le Pas-de-Calais est à l’image des résultats généraux. Dans la première circonscription qui rassemble la côte et les régions rurales de l’ouest du département, les républicains populaires passent de 21,6 % en novembre 1946 à 9,6 % et de 19 % à 12,4 % dans la 2e circonscription correspondant au bassin minier. Celui-ci résiste mieux à cause de la présence des militants syndicalistes alors que, dans le premier secteur, « les gens ont voté M.R.P. parce qu’il n’y avait rien d’autre, puis ils reprennent leurs habitudes. Très vite les autres partis de droite ont réapparu, j’ai compris que c’était fini car nous apparaissions comme un parti ouvriériste au départ et on ne l’est pas resté, d’ailleurs comme les autres ».
8A la suite de son échec en juin 1951, Louis Beugniez se retrouve au chômage jusqu’au 31 octobre 1951. Il a encore reçu son indemnité parlementaire de 100 000 f en juillet. Père d’une famille de 4 enfants, il rappelle que « rentré pauvre en politique, il en est sorti pauvre ». Robert Buron, secrétaire d’état aux Finances, lui propose de mettre en route le C.I.E.R.P. (Centre intersyndical de recherche et d’étude de productivité). Ce comité regroupe trois centrales syndicales importantes, C.F.T.C., F.O. et C.G.C. Il participe à différentes missions nationales au titre d’expert. Il est chargé notamment de suivre le financement par des subventions américaines de sept fonderies en France. Tenu d’être présent à Paris pendant 4 jours par semaine pour ce travail, il continue d’exercer sa fonction de maire et devient premier vice-président de l’Association des maires du Pas-de-Calais, vice-président de l’Association de défense des emplois communaux dans le bassin houiller. Ses nombreuses activités ne lui permettent pas de jouer un rôle dans la Fédération M.R.P.
9En 1952, en préparation des élections sénatoriales, la candidature de Louis Beugniez est abandonnée au profit de Georges Boulanger, jeune spécialiste des allocations familiales qui travaille à la Fédération agricole5. Celui-ci peut ainsi davantage bénéficier des voix agricoles. Louis Beugniez ne partage pas toutes les positions nationales et fédérales du M.R.P : « je ne me laissais pas facilement embrigader, je n’avais pas toujours été d’accord avec certaines compromissions pour ne pas dire collaborations du M.R.P. ». Il estime, contrairement à Jules Catoire, que le M.R.P. a eu tort de se lier avec les socialistes et il préfère des accords limités et non systématiques. « J’ai voulu faire sur le plan politique ce que l’on avait fait sur le plan syndical. J’ai toujours dit : vous avez appris aux gens à voter socialiste, ils continueront. On avait une ligne de conduite personnelle, pourquoi en changer ? ».
10La bataille électorale, menée en avril-mai 1954, éclaire ce point de vue. A la suite du décès de Camphin, député communiste, une élection législative partielle donne à Louis Beugniez l’occasion de retrouver son siège parlementaire. Lors de la campagne électorale, un tract rappelle « la grande compétence » du candidat président de la Commission du travail ainsi que ses activités parlementaires. Au premier tour, le P. C. rassemble près de 115 000 voix, la S.F.I.O. 86 000 voix. Louis Beugniez obtient 56 000 mais il peut espérer obtenir, en se maintenant, les 42 000 voix recueillis par le candidat indépendant ainsi que les 16 000 voix provenant des divers autres candidats modérés, soit 100 000 voix au total. Les analystes politiques ne s’y trompent pas : Le Monde du 4/5/54 évoque, à l’occasion de cette partielle, « le redressement du MRP ». Le Populaire, quotidien socialiste, estime que « la personnalité de M. Beugniez, militant syndicaliste chevronné n’est point étrangère au redressement opéré en particulier dans certaines communes du bassin minier ». Louis Beugniez a obtenu 30 % des voix dans le canton de Liévin, 27 % dans celui de Cambrin, 25 % à Carvin et 22,6 % à Lens.
11Un bureau fédéral se réunit, dès le 3 mai, pour décider ou non du retrait au second tour. Celui-ci est acquis par 18 voix contre 3 pour le maintien et 3 abstentions. Louis Beugniez, favorable au maintien, estime dans le débat qu’il est possible de « gagner sur le P. C. » et que si la Fédération décide de soutenir Delabre le candidat de la S.F.I.O., il y a risque de « faire le jeu du P. C. ». Quant à la question de l’union avec la S.F.I.O. sur la C.E.D., il considère que c’est « un risque à courir » et qu’« on peut le courir ». Il est désavoué dans le bureau fédéral où un militant estime ne pas aimer la S.F.I.O. « mais pour des raisons internationales » considère qu’« il faut un retrait », un autre rappelle que « le sort de la C.E.D. dépend des S.F.I.O. », un autre affirme que « nous n’avons pas de tendresse pour la S.F.I.O., mais entre deux maux, il faut choisir le moindre » et préconise alors le « retrait orienté ».
12Un militant écrit à Jules Catoire après la décision du retrait de Louis Beugniez : « je suis de plus en plus persuadé que nous avons perdu une occasion unique de reprendre le siège pour Louis. Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est l’aliénation de nos libertés. Le comité directeur du Pas-de-Calais n’est rien du tout puisque le vendredi matin je lisais déjà dans Forces Nouvelles que Beugniez se désisterait en faveur de Delabre, supersectaire anticlérical. Je regrette une fois de plus que ce soit Paris qui prenne de telles décisions ». L’argument est repris par Louis Beugniez qui rappelle que « nous sommes à la veille de Dien Bien Phu », et que les responsables départementaux reçoivent un coup de téléphone de Bidault qui demande de retirer le candidat « au nom de la raison d’Etat ». Le bureau confirme donc une décision prise à Paris : « toutes les sections sauf Noyelles et Hénin se rallient à la raison d’Etat, je n’y croyais pas. Cela m’a refroidi, moi qui était un militant de base, je n’avais pas bien compris, j’ai décroché, participant désormais aux réunions de canton sans plus ».
13En 1955, le C.I.E.R.P. charge Louis Beugniez, à la demande des syndicats de mineurs, notamment de la C.F.T.C., de préparer un rapport sur la récession minière dans l’ouest du bassin6. Ce travail aboutit à la création du C.A.D.E.R.N. (Comité d’Action pour la Défense et l’Expansion de la Région Minière) rassemblant les Houillères du bassin Nord-Pas-de-Calais, les fédérations syndicales, les collectivités territoriales. Louis Beugniez est pressenti pour devenir secrétaire général de cet organisme. Il quitte son emploi parisien et, 9 mois plus tard, le C.A.D.E.R.N. est supprimé : « l’arrêt de mort du bassin minier était déjà signé ! ». De novembre 1957 à juin 1968, Louis Beugniez est repris par les Houillères « plus ou moins responsables de l’arrêt du C.A.D.E.R.N. » ; il est employé à la société Finalens jusqu’en 1968.
Une confluence de causes
14Plusieurs raisons d’ordre général peuvent permettre de comprendre la disparition politique prématurée de telles personnalités en dehors des aléas propres aux circonstances particulières de leur implantation. Le parti dont ils sont membres connaît très rapidement un effondrement aux élections mais aussi dans les rangs des militants. Comme le fait remarquer Raymond Barillon dans une enquête du Monde le 22 mars 1963, le M.R.P. est passé de 200 000 adhérents en 1946 à 100 000 en 1950 pour ne conserver que 50 000 membres à la fin de la IVe République soit une perte de 75 % de ses militants sur le plan national. Cet affaissement se retrouve dans le Nord, département de Robert Prigent et dans le Pas-de-Calais, département de Louis Beugniez : les effectifs du Nord atteignent 25 488 adhérents en 1946, il en reste 3551 en 1950 et 2426 en 1957 soit une perte supérieure à 90 %. Dans la fédération voisine, la chute est légèrement moins prononcée : de 6266 cotisants elle passe à 1187 en 1957 soit une baisse de 80 %.
15Dans le Nord, le rayonnement des militants se circonscrit à l’agglomération lilloise, dans le Pas-de-Calais, Béthune, Lens et Arras résistent mieux que la côte. Les élections nationales situent le M.R.P. à 20,2 % en novembre 1946 alors que, dans le Nord, il atteint 21,8 % et dans le Pas-de-Calais 17,49 %. En novembre 1958, le score national est 8,1 % alors que le Nord est à 10 % et son voisin à 10,6 % : là encore une baisse nette mais moins forte que sur le plan national. Les espoirs de réélection sont plus plausibles dans la région du Nord que sur le plan national7.
16Mais le type d’évolution politique du M.R.P. durant la IVe république vient réduire l’impact du courant interne syndicaliste et ouvrier. Comme le montre Chapsal8, l’évolution politique installe le Mouvement sur l’aile droite du tripartisme, puis il devient le centre de la Troisième Force avant de devenir l’aile gauche des gouvernements de centre-droit des années cinquante. A mesure que le M.R.P. glisse vers la droite, les députés d’origine syndicaliste ont de plus en plus de difficultés à se rendre crédibles auprès de leur électorat : c’est le cas de Robert Prigent auprès des marins et des ouvriers métallurgistes du littoral, de Louis Beugniez auprès des mineurs.
17Les acquis obtenus grâce à leur action à la Libération et durant la première législature s’effacent dans le souvenir des électeurs au profit du choix de la déflation, de la rigueur monétaire, de la baisse du pouvoir d’achat, des difficultés de la Sécurité sociale, des conflits sociaux liés au mécontentement. Les récriminations de l’équipe ouvrière du Nord emmenée par Marie Van Der Elst sur la timidité sociale du Mouvement, sur ses compromissions avec la droite prouvent, si besoin est, que le M.R.P. n’est plus l’aiguillon social qu’il a choisi d’être dans le cadre d’un régime libéral, que « la Révolution par la Loi » s’est trop rapidement émoussée. Le message social incarné par les militants jocistes, syndicalistes chrétiens perd de sa crédibilité au sein même du M.R.P. dès le début des années cinquante : leur espoir d’une société plus égalitaire, mieux prise en charge, soucieuse de la dignité du travailleur s’efface devant le souci de maintenir les grands équilibres, de faire face à la double menace gaulliste et communiste.
18Les appuis de ces députés d’origine ouvrière se fragilisent lentement. Certes les militants de la centrale syndicale chrétienne se retrouvent avec les républicains populaires dans la bataille pour l’autonomie des caisses d’allocations familiales et surtout la défense de la représentation proportionnelle dans les élections des caisses de Sécurité sociale et des comités d’entreprise. Henri Meck, ancien responsable C.F.T.C., président de la Commission du travail fait le lien dans ce combat. Jules Catoire, Louis Beugniez et Robert Prigent restent en contact avec les responsables syndicalistes chrétiens comme Louis Delaby, Joseph Sauty, représentants nationaux de la Fédération syndicale chrétienne des mineurs. Mais globalement le soutien de la C.F.T.C. devient conditionnel et se vérifie de moins en moins dans le temps. Après l’interdiction du cumul syndical et politique en juin 1946 et malgré les combats communs en 1947, 1948 et 1950, la tunique démocrate chrétienne se déchire.
19En mai-juin 1953, un décret Mayer-Louvel oppose la C.F.T.C. des mineurs au gouvernement qui envisage, contrairement aux espoirs antérieurs, un contrôle plus strict de l’Etat sur le fonctionnement des Houillères ; l’opposition à la baisse des prix mais aussi des salaires, les mesures d’économie prises par Joseph Laniel dans les services publics entraînent la grogne dans les rangs syndicalistes. Une unité d’action C.F.T.C.-C.G.T. réapparaît avec des comités de grève « à direction uniquement C.G.T. avec des mots d’ordre et des slogans communistes » selon Jules Catoire9. La marche vers la déconfessionnalisation accentue l’écart entre des militants prêts à élargir l’accueil du syndicat au risque d’une perte d’identité et des anciens responsables C.F.T.C. devenus hommes politiques qui estiment qu’il ne faut pas abandonner la doctrine sociale de l’Eglise.
20Le M.R.P. a voulu apporter non seulement des idées nouvelles mais aussi une approche renouvelée de la vie politique. Comme le rappelle André Diligent : « nous voulions faire passer un souffle sur le marais, nous avions la nausée de l’ère des compromis, nous voulions aller de l’avant en affirmant notre authenticité, en criant nos exigences... Nous étions plus affamés de doctrine et d’idéal que d’honneurs »10. Cette pureté et cette ambition des responsables démocrates chrétiens les honorent sur le plan moral mais, dans les combats quotidiens, elle s’apparente à de la naïveté. Louis Beugniez, dès 1935, choisit de démissionner de son emploi des mines pour ne pas paraître « vendu aux Houillères ». Il perd une situation stable et continue de se voir reprocher sa complicité par ses adversaires. Elu député, il préfère le travail obscur mais décisif de la présidence de la Commission du travail et de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale à la pratique systématique des enterrements du samedi et des foires du dimanche. Il a certes parfaitement compris l’importance du travail législatif dans un régime parlementaire mais son électorat ne le voit guère. Certains concitoyens sont même tentés de lui reprocher son activité réformatrice souvent dangereuse pour des intérêts bien constitués comme le groupement des betteraviers.
21D’autre part, Louis Beugniez doit se résoudre à ne pas engager la bataille du second tour dans une partielle en mai 1954 au nom de la raison d’Etat, sur ordre de Georges Bidault lui-même et de Robert Lecourt, qui craignent, par cet incident, de mécontenter les socialistes soutenant les démarches de la C.E.D., ainsi que les efforts de Bidault pour trouver une solution en Indochine. Opposé à cette pratique de reddition avant le combat, Louis Beugniez doit cependant s’incliner et en conserve un goût d’autant plus amer que ce sacrifice imposé n’est aucunement compensé par des propositions de reclassement politique ou professionnel comme dans d’autres partis.
22Robert Prigent rappelle la réflexion de ses électeurs à la suite de sa défaite en 1951 : « ah ! si vous aviez fait un peu plus d’enterrements, vos 70 voix manquantes dans les 136 communes vous les auriez eues ! ». En effet, alors qu’il a obtenu 20 000 suffrages sur son nom, il doit s’effacer au profit d’André Pierrard le communiste qui recueille personnellement 50 voix de moins que lui mais qui est élu parce que sa liste en moyenne a obtenu 70 voix de plus que celle de Robert Prigent. « J’étais 6 ou 7 semaines sans rentrer chez moi, sans voir ma femme et mes enfants, dans cette vie de fou que l’on menait ». Il reconnaît lui aussi sa part d’inconscience politique : « au moment des apparentements en 1951, si je m’étais apparenté avec Marcel Darou de la S.F.I.O., j’étais élu, avec Paul Reynaud aussi, on me l’a proposé des deux côtés, par principe j’ai refusé, par pureté, je n’ai pas voulu d’apparentements ». Robert Prigent entre en vie politique comme dans un engagement de responsabilité militante. Il reconnaît que « c’est une façon maladroite de faire de la politique » et regrette l’absence dans les rangs du M.R.P. de l’époque de « radicaux chevronnés comme conseillers politiques ».
23Le désir de « marcher à l’étoile tel qu’on est avec son drapeau au vent, sans compromis : on se bat pour son idéal mais non pas pour gagner ». S’il reconnaît que cette conception « peut nourrir un idéal personnel, elle entraîne un parti à sa perte ». Ainsi dans la 1re circonscription du Nord, à Dunkerque, Robert Prigent estime qu’avec une consigne d’apparentement systématique, en 1951 et à nouveau en janvier 1956, le siège n’aurait pas été perdu. Face à cette innocence à caractère moral, « la campagne de calomnies permanentes, continues, pernicieuses » distillée par quelques partisans de Paul Reynaud ne renforce pas à ses yeux l’image de marque de son adversaire. Paul Reynaud, pour lequel il n’a « jamais eu beaucoup d’estime », n’appartient pas contrairement à Marcel Darou et André Pierrard « au même milieu »11.
24Ces deux hommes politiques ont également été victimes des incertitudes du M.R.P. sur le plan politique. André Diligent rappelle ce pari risqué ; « Nous voulions mettre un terme à cette guerre de tranchées, à ce manichéisme imbécile, qui déjà coupait la France en deux. Nous n’entendions ni lever le poing, ni le bras, mais tendre la main. Nous voulions désengluer notre pays de ses préjugés tenaces. L’ouvrier fraternisait avec le patron, le syndicaliste avec le paysan »12. L’alliance avec les socialistes est souhaitée par la majorité des responsables nationaux, par les fédérations du Nord et du Pas-de-Calais, mais, à partir de 1948, avec le décret Poinso-Chapuis puis avec la loi Barangé, le R.P.F. et les modérés profitent de la situation pour obliger le M.R.P. à se déterminer en fonction de l’option sociale ou de l’option scolaire. Certes les dirigeants tentent de prouver que la justice scolaire fait partie de la justice sociale mais le choix devient obligatoire surtout à la suite de la création en 1950 de l’Association des parlementaires pour la défense de l’enseignement libre. Malgré les efforts de Robert Lecourt soutenu par Jules Catoire, le M.R.P. doit trancher : il préfère le choix confessionnel plus garanti que les incertitudes d’une alliance avec la S.F.I.O. Le travaillisme devient, dès lors, un mirage après avoir été une idée à la mode du fait de la présence de la France libre au Royaume Uni, pays du Labour Party qui s’appuie sur la puissance des Trade-Unions.
25Après avoir espéré en vain un travaillisme de base à la Libération, certains dirigeants soucieux d’éviter le piège du recentrage pour le M.R.P. et du tête-à-tête marxiste pour la S.F.I.O. mettent au point la Troisième Force qui correspond à un travaillisme de parti, avant de se tourner en 1963 vers un travaillisme d’état-major avec l’opération Defferre. Les tentatives butent à chaque reprise sur l’enjeu scolaire qui, pour ces types d’alliance, fait office de casus belli, de prétexte à la rupture et représente un véritable nœud gordien.
26Une dernière raison générale peut s’appliquer tout particulièrement à ces deux hommes politiques très actifs de 1944 à 1951 : ils sont, comme le M.R. P, victimes de leur succès : l’objectif essentiel, celui de réintroduire les catholiques français dans la vie politique nationale est largement atteint en 1950, les deux députés nordistes y ont fortement contribué en jouant les premiers rôles. La politique sociale et familiale, les bases d’une nouvelle conception de l’organisation du monde du travail, des relations professionnelles sont solidement installées de même que le nouveau système de protection sociale : après le temps des rénovateurs, vient le temps des gestionnaires.
Un retrait plus étalé pour Jules Catoire
Un acteur de la Troisième Force
27Réélu en 1951 grâce aux 12,4 % de voix obtenues par la liste M.R.P. dans le bassin minier et la région d’Arras, Jules Catoire devient le seul élu républicain populaire du département. « Nous sommes encore quelques-uns à partager un rêve d’un certain travaillisme encore mal défini. Nous recherchons une coopération entre ceux qui sont décidés à s’entendre au service d’une grande cause »13. Ces mots prononcés par Robert Schuman lors de la remise de la Légion d’honneur à Jules Catoire à Arras le 11 décembre 1954, souligne l’idéal commun aux deux hommes mais aussi son caractère aléatoire en ce milieu des années cinquante. Jules Catoire a cru, durant les années qui suivent la Libération, en la possibilité d’une construction politique nouvelle, appuyée sur la C.F.T.C. en pleine ascension et ouverte aux socialistes humanistes. « Il y avait un appétit d’union à la base entre les militants. On aurait pu avoir une expérience française originale de travaillisme » selon Robert Prigent.
28Dès la première législature, les militants de Saint-Nicolas-les-Arras en 1948 ne s’y trompent pas quand ils le félicitent pour sa nomination comme sous-secrétaire d’Etat : « vous participez aujourd’hui à un gouvernement parce que vous avez été l’un des principaux réalisateurs de cette entente que nous appelons « Troisième Force » et qui réunit les partis du centre, entente qui a su nous préserver des politiques extrémistes ». En 1950, des responsables nationaux du M.R.P. et de la S.F.I.O. prévoient de se réunir pour « chercher des objectifs précis et frappants immédiats ». Jules Catoire se retrouve le 7 mars 1952 avec Robert Lecourt, Charles Barangé, Edouard Moisan du M.R.P. et Albert Gazier, Christian Pineau, François Tanguy-Prigent de la S.F.I.O. : tous souhaitent un projet constructif sur le plan général, au sujet des congrégations, de l’Alsace et de la Moselle et un statut des cultes. Jules Catoire fait remarquer que si la C.F.T.C. est assez réservée, les responsables de F.O. évoluent favorablement14. Le 13 de ce même mois, Jules Catoire et Robert Lecourt revoient Guy Mollet sur des problèmes généraux. « Pour le moment, c’est une équipe d’amis cherchant à bâtir pour faire triompher la réforme fiscale, celle des collectivités locales, et une réforme administrative ». Jules Catoire, chargé de faire le bilan, rappelle que « les notes ci-jointes sont le résultat du travail en commun fait par des hommes de bonne volonté venus d’horizons différents ».
29L’amitié qui les unit et le souci de l’intérêt général qui les anime, ont facilité grandement leurs travaux. L’équipe souhaite que « ces bases d’accord trouvent un écho aujourd’hui dans leur groupe respectif et demain dans les réalités ». Le 7 juillet 1952, Guy Mollet, Maurice Deixonne, Robert Lecourt et Jules Catoire se retrouvent. Celui-ci se montre favorable à la transparence : « il faut dire aux français, voilà ce que nous voulons faire ». Il formule un souhait : « si les catholiques français nous comprenaient, si nous éliminions les fous et les sectaires ». Refusant une solution « strictement parlementaire », il estime nécessaire une « compréhension plus grande des organismes syndicaux »15.
30L’espoir d’un accord général permettant une reprise de cette Troisième Force existe encore le 4 avril 1953 dans une rencontre réunissant Robert Lecourt, Jules Catoire, Pierre Cot et Guy Mollet : il est question de prévoir un plan économique « pour avant 3 ans avec des équipes 2-2 sur les points de détail et ensuite une coordination politique ». Mais la chance est passée, la loi Barangé de septembre 1951, les conflits et incertitudes sur la C.E.D., l’opposition entre Vincent Auriol et Guy Mollet, le choix de Pinay en 1952 puis de Laniel en 1953 entraînent des divergences qui s’accumulent. La rencontre suivante entre Guy Mollet et Jules Catoire date du 13 septembre 1954. Le maire d’Arras évoque « les difficultés d’aller jusqu’au bout » notamment les reproches qu’il reçoit dans le groupe socialiste « de contact avec le M.R.P., avec Pinay, avec les Américains ». Christian Pineau, ancien responsable de Libération-Nord, de retour de Milan où il a eu un contact avec le cardinal Montini le 15 septembre 1954, se montre optimiste : « ne désespérons pas de faire quelque chose en France ». Le 12 octobre suivant, un mot de Robert Lacoste conclut un étrange ballet entre les deux parties : « Guy Mollet a tout contre lui, mais c’est un malin, il vous en fera voir à tous. Il a su prendre le virage, il n’y aura pas de participation non pas que beaucoup le désirent mais personne ne voudra en prendre la responsabilité ». Deux ans plus tard, le Front républicain est constitué, les espoirs de Jules Catoire semblent s’envoler.
31L’idée n’est pas morte puisque, le mercredi 16 février 1955, Christian Pineau réfléchit à un gouvernement dans lequel, selon l’index quotidien de la presse française, sont prévus, Robert Schuman comme vice-président du Conseil, Robert Lecourt à la Défense nationale, Louvel à l’Industrie et au Commerce, Robert Lacoste aux Finances et Affaires économiques, Gaston Defferre à la France d’outre-mer16. Parmi les secrétaires d’Etat figurent Alain Poher au Budget, Alfred Coste-Floret à la Guerre, Edouard Moisan à la Marine marchande et Jules Catoire à la Santé publique. Le refus de participation des modérés, l’hostilité de Mendès France, le mécontentement du groupe des paysans aboutit à un vote négatif. Christian Pineau, compagnon de résistance de Catoire, le remercie en espérant « un jour reconstituer l’équipe fidèle ».
32Dès le mois de mai suivant, le Comité d’Etudes pour la République est fondé à l’initiative de l’ancien responsable de Libération-Nord qui, dans un article de Franc-Tireur du 25 mai, rappelle que cette initiative lui fait penser à la mise en place durant l’Occupation « d’un comité d’études économiques et syndicales qui permit de réunir des hommes appartenant à des horizons politiques différents et d’étudier avec sérieux les problèmes ». Il ajoute : « Pourquoi cacherais-je que ce souvenir m’a hanté tandis qu’avec quelques amis j’envisageais la création du comité d’études pour la République ? » Christian Pineau a contacté les membres de son cabinet ministériel auxquels viennent s’ajouter Pierre Mendès France, Alain Savary, André Philip, Georges Vedel. Des équipes sont mises en place pour étudier certains problèmes précis comme l’organisation des marchés agricoles, le pool européen des transports. Le retour des socialistes avec Guy Mollet et les événements de 1958 font échouer cette tentative d’union autour de projets à bâtir ensemble.
33Pour éviter la reconstitution du « front laïque » sur la question scolaire, véritable nœud du conflit pour les deux partenaires de la troisième force, les responsables républicains populaires souhaitent pratiquer la concertation avec les socialistes. Une commission d’étude de l’ensemble des problèmes scolaires est mise en place sous la présidence de Paul Boncour et dans laquelle Robert Lecourt, président du groupe parlementaire M.R.P., est amené à prendre place sous la pression amicale de Charles Barangé, député M.R.P. du Maine-et-Loire et Alfred Michelin17. Celui-ci est administrateur de la Bonne Presse, journaliste, syndicaliste chrétien, vice-président des Semaines sociales et très introduit dans les milieux catholiques. Les travaux de la commission commencés à l’automne 1950 ne donnent guère satisfaction aux participants qui restent figés sur leurs positions : la loi Barangé a « fini par empoisonner l’atmosphère politique » selon Mgr Elchinger18. Pour sortir de l’impasse, Robert Lecourt se propose de rencontrer Guy Mollet qu’il ne connaît pas : « Froid, rugueux, péremptoire, replié sur son parti qui l’absorbait tout entier, tel m’apparaissait alors l’homme avec qui je n’avais échangé que de brefs propos ».
34Jules Catoire, « collègue et ami du Pas-de-Calais »19, va servir de contact : « il m’engagea vivement à m’assurer auprès de Guy Mollet de l’accueil qui pourrait être fait à une recherche effectuée dans cette direction ». Jules Catoire décide aussitôt de profiter de sa prochaine rencontre au cours du trajet en chemin de fer entre Arras et Paris pour évoquer la question et proposer une rencontre. Guy Mollet accepte cette entrevue dans le cadre d’un petit restaurant du 9e arrondissement à proximité du siège du parti socialiste en compagnie de Jules Catoire. Ce premier contact est suivi d’un autre le 27 mars entre Guy Mollet, Pierre Commin son adjoint, Maurice Deixonne porte-parole des socialistes dans les questions scolaires, et Charles Barangé, Jules Catoire accompagnant Robert Lecourt. Charles Barangé évoque « le projet de mise en sommeil de la loi de septembre » (celle qui porte son nom) et Robert Lecourt parle d’une « abrogation à terme » dans le cadre d’une solution globale des relations entre l’Eglise et l’Etat. Il propose de conduire secrètement la négociation s’il dispose de l’accord de principe de consultation des évêques par le gouvernement. Le souhait de traiter l’ensemble des questions en relation avec Rome est partagé par Maurice Deixonne.
35Jules Catoire est donc l’homme de contact pour cette tentative de solution qui va s’étaler sur 6 années. Le 4 mars 1953, Guy Mollet, Pierre Commin, Jules Catoire et Robert Lecourt mettent ensemble au point la méthode de travail pour préparer un avant-projet d’accord : « négociation ardue puisqu’elle visait à dépasser plus d’un siècle de guerre scolaire. En six ans elle avait abouti à un accord sur le projet d’une convention internationale d’une quinzaine de clauses entre la France et le Saint-Siège, et à un autre accord presque complet sur les mesures législatives en 70 articles que proposerait le gouvernement et dont serait saisi le Parlement »20. Robert Lecourt signale le rôle de Mgr Villot dans cette négociation.
36Certes les délais de réflexion de la Curie romaine, les changements incessants de ministère allongent le temps de réponse aux propositions. Mais l’avènement de Guy Mollet en tant que chef du gouvernement du Front républicain réactive le projet. Robert Lecourt rédige sous le contrôle du représentant de Guy Mollet en mai 1956 le projet d’un statut scolaire nouveau. Un système souple entre l’école publique et l’école privée qui continuent d’exister instituerait pour les établissements privés volontaires un régime intermédiaire appuyé sur le principe d’une convention passée avec l’Etat qui fixerait le degré d’intégration. Ce système statutaire à base d’intégration contractuelle est repris en partie par la loi Debré et sert de base par la suite au projet Savary. Le 3 juillet 1956, René Coty est informé du projet global. La lenteur des réactions de la Curie romaine qui « épluche » chaque texte, l’insistance de Guy Mollet à hâter la décision mais surtout la montée d’une inquiétude dans les départements concordataires rendent impossible l’aboutissement à court terme.
37Le 22 mai 1957, le gouvernement Guy Mollet est renversé : le projet est repoussé à une date ultérieure durant le gouvernement Bourgès-Maunoury même si Christian Pineau reste ministre des Affaires étrangères puis sous le gouvernement Félix Gaillard : les événements du 13 mai 1958 balaient non seulement le projet mais le régime lui-même. Une solution entre les parties opposées a donc été sérieusement envisagée, le succès de cette négociation aurait ouvert des horizons politiques entièrement renouvelés pour l’avenir du M.R.P. dans ses relations avec la gauche non communiste et de ce fait avec la droite classique. Jules Catoire, l’homme de contact, en a suivi les débuts prometteurs. Il reste fidèle à la cause de l’enseignement catholique au-delà de son engagement politique puisqu’il est désigné à partir de 1960 comme membre du comité de conciliation de l’enseignement privé, organisme chargé de veiller à l’application de la loi Debré.
38Les relations qu’il entretient avec Guy Mollet, secrétaire de la S.F.I.O. surnommé « Laboule » dans le monde de la Résistance le prédisposent à ce rôle de « poisson-pilote ». Jules Catoire est d’abord pour Guy Mollet un compagnon de résistance. L’un est arrêté puis traqué en décembre 1943, l’autre en juin 1944 ; les allemands les ont ainsi pourvus d’un cachet d’authenticité résistante. A la libération dans le C.D.L., les deux hommes se retrouvent : « Guy Mollet était plus local, je suis plus départemental » confie Jules Catoire qui est alors en responsabilité politique et syndicale à Paris et dans le Pas-de-Calais. Guy Mollet cherche à s’implanter sur le plan de la mairie et dans le parti socialiste. Il prend le contrôle de la S.F.I.O., aidé de Welfel, également professeur au lycée d’Arras : « L’homme est assez renfermé, plutôt froid au premier abord mais chaleureux devant ceux qu’il respecte, la carapace n’est pas imperméable. Si nous sommes capables de lui apporter ces voix, Guy Mollet est tout heureux de les accepter. Il lui est alors plus facile de peser sur le P. C. et la C.G.T. en s’appuyant sur le M.R.P. qui lui garantit le soutien de la C.F.T.C. : la classe ouvrière c’est aussi nous », confie Jules Catoire.
39En 1958, alors que Guy Mollet est mis en difficulté par Roger Poudonson qui « ne veut plus jouer de la mandoline sous les fenêtres de la belle socialiste » comme le rappelle Georges Bidault, le député-maire d’Arras fait allusion à ce rêve travailliste : « supposons que tous les électeurs du M.R.P. soient décidés à briser l’espoir de créer un jour prochain le grand rassemblement travailliste alors que tant de leurs leaders se disaient socialistes-chrétiens... alors oui, je pourrais être éliminé de la représentation nationale ». Le candidat joue visiblement sur un registre qui correspond à une pratique déjà ancienne. En effet dans le cadre de la mise en place de cette Troisième Force, des listes M.R.P./S.F.I.O. sont élaborées aux municipales d’Arras en 1947 et 1953 ; « c’était vraiment un choix travailliste qu’a fait Jules Catoire à ce moment-là » reconnaît Roger Poudonson.
40Le 2 mai 1952, Robert Lecourt vient à Arras et demande « de ne pas perdre contact avec la S.F.I.O. car l’idée européenne ne tient qu’à un fil, celui de l’union avec la S.F.I.O. ». Il s’étonne de l’existence même d’un lien profond qui se marque par le tutoiement réciproque alors qu’ils sont « apparemment à l’antipode l’un de l’autre par leur formation, leurs convictions, leur caractère ». Cette remarque est confirmée par Guy Mollet lui-même qui, le 13 décembre 1954, dans le cadre de la remise de la Légion d’honneur à Jules Catoire laisse deviner cette admiration pour l’homme de foi : « Votre fidélité à votre foi dans l’exercice de vos fonctions publiques nous oblige à respecter des convictions que nous ne partageons pas ». L’opposition théorique est cependant fondamentale, elle se traduit par cette condamnation lors du congrès de la S.F.I.O. du 3 juillet 1955 : « les chrétiens sociaux ! D’aucuns se disent proches de nous, mais il suffit que la hiérarchie laisse poser le problème de l’école pour qu’ils s’éloignent. En fait le M.R.. P. est un parti qui ne devrait pas exister. En effet comment un patron et ses ouvriers peuvent-ils adhérer au même parti ? Je souhaite néanmoins que nous ne fassions rien qui soit de nature à décourager les ouvriers chrétiens. Ceux-ci ont leur place chez nous puisqu’ils appartiennent à la classe des travailleurs ». Si les deux dirigeants se retrouvent quelquefois à la cité Malesherbes, siège du parti socialiste, le lien s’est surtout consolidé dans le cadre de déplacements fréquents des deux hommes : « nous habitions Arras, nous faisions la route ensemble dans un compartiment réservé, tantôt par l’un ou par l’autre : quand nous étions au gouvernement, il y avait beaucoup de chaleur, de confiance, dans les conversations, devant moi ce n’était jamais un ennemi, mais un adversaire »21.
41Pratiquement « délivré » des obligations gouvernementales sous la seconde législature, le député Catoire retrouve la Commission de la production industrielle qui le désigne pour faire partie de la sous-commission chargée de suivre et d’apprécier la gestion des entreprises nationalisées et des sociétés d’économie mixte à partir de janvier 1953. L’enjeu est important, il y va de la crédibilité de ce nouveau régime économique né de la volonté du Conseil National de la Résistance. Jules Catoire trouve dans ce choix la reconnaissance de son souci de « réussir les nationalisations » en évitant la bureaucratisation, la centralisation et en promouvant le respect et la dignité de la personne humaine dans lignée de la doctrine sociale de l’Eglise.
42Ayant choisi également de participer à la Commission des affaires économiques, dont il devient le vice-président en juillet 1953, il est désigné par ses membres pour participer à la commission de coordination pour l’étude des questions relatives à la C.E.C.A. (Communauté européenne du charbon et de l’acier) dès juin 1953, renouvelé en mars 1954 et février 195622. L’identité de vue entre Robert Schuman et Jules Catoire, son ami, explique le choix d’un fidèle du « Père de l’Europe » pour veiller à la mise en place de cet organisme qui porte réellement l’Europe sur les fonds baptismaux.
43Au cours de la session de 1952 , Jules Catoire seul est amené à déposer une proposition de loi suggérée par les syndicalistes chrétiens qui veulent éviter les licenciements dans les puits. D’autres textes ont trait à l’habitat avec le droit à l’allocation logement, aux dommages de guerre : le député est très au fait de la question et peut faire état de son expérience personnelle. Une autre proposition de loi « tendant à lutter contre le chômage en interdisant le cumul d’un emploi à temps complet avec une pension lorsque celle-ci dépasse un certain montant » indique bien le souci de justice de Jules Catoire, Henri Meck, Francine Lefebvre et Fouyet coauteurs de ce texte. L’exposé des motifs fait appel à la solidarité des travailleurs, au « droit à l’emploi » rappelé dans le préambule de la constitution, et à une priorité aux plus démunis par rapport à ceux « qui ont eu la chance, leur vie durant, de travailler suffisamment pour avoir droit sur leurs vieux jours à une retraite susceptible de les faire vivre ». Jules Catoire donne l’exemple lui qui a toujours refusé de cumuler un revenu de député avec tout autre mandat sur Arras ou sur Saint-Nicolas-les-Arras.
44A la chambre des députés, Jules Catoire intervient à plusieurs reprises pour dénoncer le danger de l’étatisation des entreprises publiques par le biais de contrôles abusifs de l’administration, d’une perte d’autonomie des organismes nationalisés de fusions de sociétés nationales d’assurances23. Il est présent également dans le débat sur le projet de loi relatif à la retraite des ouvriers mineurs le 22 novembre 1955 et demande une revalorisation des pensions de réversion pour les femmes de mineurs.
45Durant la dernière législature de la IVe République, Jules Catoire reste membre des mêmes commissions et fait toujours partie de la sous-commission chargée de suivre et d’apprécier la gestion des entreprises industrielles et des sociétés d’économie mixte. En mars 1956, en compagnie de Jules Duquesne, député ouvrier du Nord, il propose l’instauration de comités économiques régionaux et revient sur l’interdiction du cumul emploiretraite en proposant d’exonérer de la surtaxe progressive les personnes âgées de 70 ans et plus qui ont des revenus modestes24.
L’échec électoral sous la Ve République
46Les événements de mai 1958 viennent renverser les données de l’enjeu électoral. Le M.R.P. sur le plan national a décidé de faire le choix de l’appel à de Gaulle plutôt que de prendre le risque d’une guerre civile. Jules Catoire, aussi méfiant devant le Général que la majorité des démocrates chrétiens, se résout à cette solution. Le Mouvement joue la carte de Gaulle avec les risques inhérents notamment sur le plan électoral. De Gaulle ne cache pas sa préférence pour le retour au scrutin uninominal d’arrondissement. Pourtant une occasion lui est offerte d’échapper à l’épreuve de ce scrutin personnel où il risque de se retrouver en concurrence avec Guy Mollet son ami et adversaire à la fois.
47En effet le 8 juin 1958, les élections sénatoriales doivent renouveler une partie des parlementaires du Palais du Luxembourg. Il choisit de laisser Georges Boulanger prendre la position d’éligible à cause de sa situation de père de famille nombreuse25. En novembre, Jules Catoire décide de tenter sa chance dans la 2e circonscription où il doit affronter un adversaire politique redoutable, le docteur Duflot, gaulliste bien implanté. Les hommes du Général semblent « protéger » Guy Mollet et compte sur un succès dans l’autre circonscription.
48Jules Catoire fait une campagne appuyée sur son bilan notamment en matière de défense de l’enseignement libre et pour gagner sur sa droite, se présente également comme l’homme de proximité avec les paysans qui « préfèrent quelqu’un qui soit près d’eux, qui les connaît, qui les a déjà servis ». Il rappelle sa conception du député qui « donne tout son cœur à son métier : ma maison est toujours ouverte ». S’affirmant comme « un homme de juste milieu », il estime que « le centre français représente la plus grande chance du pays ».
49Nord Eclair fait allusion à des bruits précis selon lesquels Jules Catoire serait appelé comme ministre du Général. « Si de Gaulle avait pu faire de Jules Catoire l’un de ses ministres, la réélection de celui-ci n’eùt probablement soulevé aucune difficulté. L’U.N.R. ne lui aurait pas opposé de candidat. Mais Jules Catoire n’est pas ministre et l’U.N.R. présente contre lui l’adversaire le plus dangereux sans doute qui soit : le docteur Duflot, dont le nom est très populaire dans toute la région ». Jules Catoire est battu, même s’il gagne 3300 voix par rapport à 1956 avec 9760 voix. Le plus bel hommage à la suite de cette défaite est rendu par Pierre Pflimlin le 22 décembre 1958 : « Ton échec est de ceux qui me peinent profondément car je sais avec quelle ferveur, quelle intelligence et quelle efficacité tu t’étais dépensé pour les populations de ton département en même temps que tu participais à l’action du Mouvement sur le plan national. Personnellement j’ai puisé bien souvent, plus souvent que tu ne l’imagines, encouragement et réconfort dans l’exemple que tu donnais et dans l’amitié que tu m’as si souvent témoignée »26.
50En 1962, Jules Catoire livre son dernier combat électoral, il s’adresse aux curés, le 10 novembre 1962 ; « Il faut qu’on finisse par comprendre que le M.R.P. qui peut être considéré comme l’équivalent français de la Démocratie Chrétienne Internationale est la seule force dont la vocation spirituelle est de rassembler et d’unir ». Le parti républicain populaire connaît en novembre 1962 une défaite sévère : Jules Catoire ne recueille que 14,8 % des voix dans la 2de circonscription. Face à la proposition d’un « plus grand M.R.P. » ou d’un recentrage, Jules Catoire est réticent. Comme le rappelle Gaston Garéneaux : « Il voulait fonder un parti démocrate chrétien en s’affichant encore plus, il n’a pas été suivi »27. La position de Jules Catoire rejoint celle de Léon Robichez, de Jules Defaux et surtout celle de Marcel Ducrocq dans le Nord « au nom d’un retour à la pureté doctrinale ». Elle ne peut s’expliquer que par la cohérence d’une attitude générale : ayant pris fait et cause pour la C.F.T.C. maintenue, il ne peut prêcher sur le plan politique l’élargissement dans le Centre Démocrate et mener en même temps le combat pour le maintien d’un syndicat chrétien.
Paul Bacon, l’incarnation de la compétence sociale du M.R.P.
Son œuvre
51Pendant 9 ans, à 12 reprises, Paul Bacon est choisi comme ministre du Travail et de la Sécurité sociale entre 1950 et 1962. Il ne s’agit plus de hasard, mais presque d’un monopole de la fonction.
52Celui-ci conserve son siège de député de la Seine en 1951 et 1956. Il occupe les fonctions de ministre du Travail et de la Sécurité sociale d’août 1951 à janvier 1952 dans le cabinet Pleven, puis de janvier à mars 52 dans le cabinet Edgar Faure, de janvier à juin 1953 dans celui de René Mayer, de juin 1953 à juin 1954 dans le cabinet Laniel, de février à décembre 1955 dans le 2e cabinet Edgar Faure. Au total, Paul Bacon n’est absent de la rue de Varennes, siège du ministère du Travail, que 18 mois sur l’ensemble des 4 années et demie de la seconde législature. De 1956 à 1958, il est choisi comme ministre du Travail par Félix Gaillard de novembre 1957 à mai 1958, par Pierre Pflimlin du 14 mai au 1er juin 1958 et continue d’exercer sa fonction dans le cabinet de Charles de Gaulle du 1er juin 1958 au 8 janvier 1959. Il reste en fonction dans le premier cabinet de Michel Debré sous la Ve République de janvier 1959 à avril 1962 alors qu’il est battu aux élections législatives. La dernière nomination de Paul Bacon à ce poste date du 15 avril 1962 dans le cabinet Pompidou : il démissionne avec les autres ministres M.R.P. le 16 mai 1962. Au total, Paul Bacon est présent durant pratiquement 9 années sur les 12 possibles à la tête du ministère du Travail et de la Sécurité sociale28.
53Paul Bacon tente, durant toute cette période, d’appliquer « la vingtaine de lignes qui ne sont pas tellement précises quand on les relit dans le programme du C.N.R. »29. Il se souvient d’une « sorte de grand monstre sacré, qui s’appelait le travaillisme, à la communiste, à la socialiste, à la M.R.P. : je me suis arrangé pour qu’au M.R.P., on n’en parle pas trop ». Sa position est simple, pratique : face à ceux qui veulent faire au travers d’une série de textes, de recherches théoriques « le travaillisme des professeurs », il oppose « le travaillisme des syndicats et des travailleurs ». Il participe à tous ces travaux avec une sorte de scepticisme : « je n’ai jamais poussé à ce qu’on arrive à des conclusions très claires d’abord parce que c’était très difficile : on nous sortait l’exemple anglais, tout cela était tiré des bouquins qui dataient d’avant-guerre ». Parmi les chauds partisans de cette conception figurent, selon Paul Bacon, André Philip, et surtout Henri de Man « que l’on n’osait pas citer et qui était le plus intéressant ». Au M.R.P., Pierre-Henri Teitgen, François de Menthon attendent ce travaillisme qui est souvent opposé au gaullisme qu’il doit remplacer. Paul Bacon constate qu’aucun de ces professeurs, juristes ne possède une longue pratique syndicale, base même du travaillisme sur le modèle anglais. « Or ni à la C.G.T., ni à la C.F.T.C., on ne mettait sur un socle le mot travaillisme ».
54Parmi les objectifs qui sont prioritaires figure l’équilibre financier de la Sécurité sociale : en 1953, le 22 juillet, il présente à la Commission du travail les 4 objectifs essentiels30 : une bonne administration des caisses, une réforme de l’assurance maladie avec la lutte contre les dépenses excessives notamment grâce à la suppression du premier acompte médical, le transfert des charges qui ne relèvent pas du régime général comme les vieux salariés agricoles, des réformes plus profondes touchant à l’hôpital et à son prix de journée.
55Dès septembre 1951, le ministère annonce un projet de réforme de la Sécurité sociale mais le gouvernement doit se contenter de gérer. Le cabinet Pleven chute sans avoir trouvé le moyen de combler le gouffre malgré les formules d’assainissement progressif de l’organisme proposées par son projet de loi relatif au redressement financier de la Sécurité sociale mis en discussion le 29 juillet 1951. Pour Paul Bacon, ce déficit doit se lire en fonction de la politique menée dès le départ qui consiste à augmenter le nombre de cotisants sans, dans le même temps, augmenter le montant des cotisations. Face à ces augmentations, Paul Bacon déplore les retards de rentrée de cotisations qui ne sauraient « combler le fameux déficit de la Sécurité sociale ». Aussi évoque-t-il la possibilité de réaliser « ce qu’on appelle également les transferts de la Sécurité sociale ».
56Il propose notamment de décharger une partie des allocations familiales du poids des prestations en faveur de la population non active qui ne paie pas de cotisations. L’Etat doit peu à peu prendre en charge un gigantesque transfert : alors que le déficit de la caisse maladie se creuse, la « trésorerie euphorique » du compte des allocations familiales, très approvisionnée mais insuffisamment débitée est victime d’une opération comptable. Le gouvernement décide d’intervenir sous forme d’avances de trésorerie pour pallier le gouffre de l’assurance maladie notamment. La technique consiste à transférer l’excédent des allocations familiales sans pour autant remettre en cause l’autonomie de cette caisse. « Pour éponger ce déficit, il fallait opérer le virement réellement, mais personne ne veut toucher aux allocations familiales, ni augmenter les cotisations » : Paul Bacon dénonce le double langage des interlocuteurs sociaux critiquant l’emprise de l’Etat mais ne voulant pas accepter des majorations impopulaires. « Les parlementaires communistes, socialistes, syndicalistes ne voulaient pas que l’Etat intervienne mais cela se faisait par nécessité ». Il y a d’abord la phase des avances de trésorerie : en mars 1951, face à l’annonce d’un déficit de 65 milliards, il rappelle que « le gouvernement connaît ses responsabilités. Il prendra les mesures qui s’imposent et je donne à l’Assemblée l’assurance que jamais on ne pourra parler ni de liquidation ni de faillite de la Sécurité sociale ».
57Le déficit selon Paul Bacon vient de « l’accroissement considérable des dépenses de prestations en nature c’est-à-dire des dépenses de soin ». Il fait remarquer que le séjour des malades dans les hôpitaux coûte 50 ou 60 fois plus qu’en 1938, que l’augmentation des dépenses de pharmacie est de l’ordre de 40 % entre 1949 et 1950 du fait de l’usage accru des antibiotiques. Il insiste également sur l’établissement d’un prix de journée à l’hôpital « sur des bases plus strictes et plus rationnelles »31.
58Les pratiques de transferts amputent le budget des allocations familiales et interdisent ainsi une réelle politique familiale telle que celle qui consiste à proposer un salaire de la femme au foyer. Ces interventions ponctuelles au détriment des caisses familiales n’arrivent pas à couvrir les augmentations de dépenses pour l’assurance maladie. « Il faut augmenter les cotisations maladies, je l’ai dit mille fois, cela n’a vraiment été pris en compte que quand de Gaulle est arrivé au pouvoir ».
59Paul Bacon dénonce également « l’idéologie qui fait que tout doit dépendre des salaires. Si l’Etat donne de l’argent, c’est l’Etat qui fait des dons, on ne veut pas de la charité de l’Etat ». Paul Bacon regrette qu’il n’y ait jamais eu de campagne pour rappeler que, puisque l’argent des allocations sert à payer les autres caisses, « il faut augmenter les allocations familiales en augmentant les impôts, c’est-à-dire faire payer par le peuple l’argent distribué aux familles : la vérité hier et aujourd’hui est toujours la même, il faut demander aux citoyens des majorations qui se montent à des milliards »32. Paul Bacon fait donc le constat, « sur un plan supérieur » dans la mesure où la Sécurité sociale opère une redistribution partielle et indirecte de la richesse, que « le partage des revenus n’est pas satisfaisant : s’il était bien fait, il y aurait égalité entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent, nous sommes loin de cette égalité par partage ».
60Paul Bacon a également travaillé à l’extension du régime des assurances sociales aux D.O.M. Fidèle à sa méthode, il cherche d’abord à mettre en place les structures indispensables avant de proposer des financements. En février 1954, il estime dangereux de pratiquer une politique systématique d’indemnité de chômage parce que « pour l’instant, il est impossible aux services du travail de contrôler dans ces départements d’outre-mer le chômage volontaire ou involontaire »33. De même que « pour venir en aide aux malades, il convient d’abord de mettre à leur disposition des médecins avant de voter pour eux des textes, de même le gouvernement a l’intention d’implanter dans ces départements des services de main-d’œuvre et des services de chômage ». Il reste que pour Paul Bacon, malgré le récurrent problème du déficit, la protection sociale a connu en un laps de temps réduit une progression spectaculaire.
61Un autre objectif majeur a toujours été le développement de la formation professionnelle pour adultes34. Celle-ci est évoquée le 30 décembre 1953 à la Commission du travail comme relevant de son ministère : « Si le ministre du Travail a un certain droit de priorité, c’est en raison du fait que, dès avant la guerre, il s’est préoccupé de la formation professionnelle des adultes, c’est aussi parce qu’il est responsable de toute la politique de la main-d’œuvre. Il convient donc de laisser la responsabilité de la F.P.A. au ministère du Travail et non pas à un seul ministre technique, fût-ce celui de la Reconstruction ». Dès le 1er août 1950, il rappelle les engagements qu’il a pris sans attendre que le budget du ministère soit voté sur la réouverture de centres à Bordeaux-Bégles, Montauban, Nice et Tours : « les autres dossiers seront réétudiés au fur et à mesure que des possibilités de financement seront dégagées par le ministère du Travail ».
62Dès mars 1951, à l’Assemblée nationale, après avoir rappelé l’intérêt social et économique de la formation professionnelle des adultes, Paul Bacon souligne que celle-ci « est un instrument essentiel d’une politique de plein emploi ». Il se fixe des objectifs précis et chiffrés dans l’industrie du bâtiment et des travaux publics, dans l’industrie des métaux, et en faveur des résidents nord-africains. « Je compte suivre de très près le fonctionnement et éventuellement la réorganisation de cette institution dont le caractère doit rester essentiellement professionnel ».
63Une question reste constamment l’objet d’un soin particulier : celle du traitement du chômage ; « la meilleure manière de lutter contre le chômage est de donner du travail à l’ensemble de la classe ouvrière »35. Le 5 juin 1950, Paul Bacon à l’Assemblée rappelle ce principe essentiel de combat contre le chômage « grâce à une sorte de prise en charge de toutes les activités qui permettront de développer l’économie et par là même de donner à tous les citoyens le travail auquel ils ont droit et qu’ils sont capables d’effectuer ». Il rappelle l’augmentation de l’indemnité qui passe de 150 f à 210 f ainsi que le plafond qui est fixé à 24 000 f. D’autre part, le gouvernement Bidault autorise l’institution de 60 nouveaux fonds de chômage. Face à l’argument de M. Patinaud, député communiste membre de la Commission du travail qui critique l’entrée d’une main-d’œuvre étrangère, Paul Bacon souligne que le gouvernement veille au principe de la compensation nationale et insiste sur le choix de travailleurs correspondant à des secteurs déficitaires : « nous avons besoin de ces travailleurs pour permettre à des travailleurs français de trouver de l’ouvrage ». Il rappelle à ce sujet la nécessité de « développer les conditions d’accueil et de stabilisation de la main-d’œuvre immigrée ». L’année suivante, dans la discussion sur le budget, Paul Bacon rappelle l’importance de la mobilité des travailleurs et insiste sur les efforts de prospection des offres d’emploi ainsi que d’une politique de compensation nationale par les services de la main-d’œuvre.
64Le souci de faire participer les syndicats aux différentes instances est également un objectif dominant du ministre. La gestion des conventions collectives avec la fixation d’un salaire minimum garanti fait partie des attributs des syndicalistes. Paul Bacon insiste sur la nécessité de la négociation à la base ; « il faut que ce soit les gens eux-mêmes qui discutent, qui s’arrangent, qui prennent la décision ». Il demande aux inspecteurs du Travail en 1953 de favoriser le développement ou la reprise des négociations dans les entreprises pour déterminer les barèmes de salaires et développer d’autres conventions collectives. Le 25 février 1952, il défend un projet de loi sur la variation du salaire minimum interprofessionnel garanti36.
65Dès le 16 mars 1951, lors d’un vaste tour d’horizon, Paul Bacon rappelle les grandes étapes de la politique relative aux problèmes du travail. « L’année 1950 comparée aux années précédentes a connu beaucoup moins de conflits du travail. C’est un fait. La loi de liberté du Il février 1950 commence à porter ses fruits, car après les efforts déployés par le Parlement, la sagesse du syndicalisme ouvrier français se manifeste. Les organisations syndicales ont enfin compris la portée et l’efficacité de cette loi. Elles s’en sont emparées et l’ont utilisée pour le bien de la classe ouvrière toute entière ». Paul Bacon évoque aussi la fixation du salaire minimum national interprofessionnel garanti par la commission supérieure des conventions collectives en août 1950. Il en profite pour informer les parlementaires de trois formes d’accords de salaires ; celui de caractère provisoire pour faire face aux nécessités immédiates, la convention collective du secteur libre qui tend à une organisation stable des conditions de travail et la convention collective susceptible d’extension. Paul Bacon se félicite du nombre de conventions signées durant l’année, des possibilités d’extension par branche à l’ensemble de la profession. L’origine chrétienne de Paul Bacon se fait sentir dans la préférence systématique qu’il donne à la promotion collective par le canal syndical plutôt qu’à la promotion individuelle.
66En octobre 1953, en réponse à une interpellation communiste à la Chambre, Paul Bacon fait remarquer à ce député qu’il a lui-même regretté l’absence des organisations patronales à la réunion de la commission supérieure des conventions collectives. Celle-ci « étant régulièrement constituée, était en état de donner au Gouvernement les avis que la loi lui fait devoir d’émettre. En conséquence, ayant recueilli très régulièrement et très objectivement les avis des membres présents de la commission, je ferai, comme la loi m’ordonne de le faire, un rapport qui sera présenté au conseil des ministres »37. En février 1954, en réponse à un député qui regrette l’absence de reconnaissance de syndicats indépendants, Paul Bacon précise qu’« aucune exclusive n’est jetée et chaque fois que la représentativité est acquise par les syndicats eux-mêmes, du seul fait de leur action, leur caractère leur est reconnu en toute objectivité, conformément à la loi par le ministère du Travail ».
67La réforme de l’entreprise avec la participation des travailleurs qui aboutit aux décrets du 20 mai et 17 septembre 1955 fait également partie des objectifs prioritaires. Dans le cabinet Edgar Faure, Paul Bacon et Pierre Pflimlin mettent au point une participation à la productivité dans le cadre du plan Marshall. Paul Bacon obtient en effet de faire participer les travailleurs sous forme d’une prime collective dans chaque entreprise volontaire. Celle-ci bénéficie d’exonérations de cotisations sociales en gage de sa bonne volonté. Les résultats sont minces38 : de 1955 à 1958, 160 entreprises seulement s’engagent dans cette voie. « Mon ordonnance apporte quelque chose de nouveau, elle n’a pas été appliquée parce qu’elle ne mettait rien de positif entre les mains de ceux qui auraient eu l’intention de l’appliquer : elle disait : voilà ce que vous pouvez faire, elle n’est pas acceptée par les patrons surtout. Il aurait fallu que le gouvernement apporte, donne de l’argent »39. Par la suite, Georges Pompidou décide d’apporter une aide de l’Etat sous forme d’avantages fiscaux : « cela a abouti ». Mais, très réaliste sur ces projets, Paul Bacon constate qu’au sujet de la participation « les ouvriers ne savent pas ce que cela veut dire, ce n’est pas encore mûr ».
68S’il doit faire avancer la législation en soumettant des projets de loi ou en examinant des propositions de résolution issues des parlementaires, un ministre doit définir, défendre et gérer un budget tout en se tenant à la disposition des parlementaires qui peuvent l’interpeller. Pour l’exercice 1952, Paul Bacon présente en novembre 1951, un projet de loi relatif au développement des crédits de fonctionnement des services civils. En octobre 1953, pour l’exercice 1954, il défend la politique sociale et économique du gouvernement Laniel et, le 17 mars 1955 dans le cabinet Edgar Faure il fait le bilan de l’indemnité de chômage, évoque la recherche d’emploi des femmes et intervient sur la caisse de retraites des mines.
69Paul Bacon est amené à présenter l’avis du gouvernement devant les initiatives des parlementaires : le 19 septembre 1951, il s’agit d’une proposition instituant l’échelle mobile des salaires, le 31 décembre de la représentation aux comités d’entreprise, le 24 mars 1955 de la suppression des abattements de zones en matière de salaires et d’allocations familiales, le 10 mai 1955 du statut des gérants de société au regard de la législation de sécurité sociale. Le 17 janvier 1958, une proposition de loi tend à accorder une rente complémentaire à des travailleurs cotisant aux assurances sociales. Le ministre répond également à des questions orales, des interpellations diverses sur des problèmes ayant trait au chômage, à la formation professionnelle pour adultes, à la main-d’œuvre immigrée. Les députés expriment à plusieurs reprises leur inquiétude sur l’arrivée de travailleurs étrangers et mettent cette situation en parallèle avec le chômage de leurs concitoyens.
70Le bilan de l’œuvre ministérielle de Paul Bacon exige d’aller jusque 1962 pour plusieurs raisons. Des mesures prises sous la Ve République ont été incontestablement préparées, mûries durant le régime précédent. D’autre part, Paul Bacon a conservé la majeure partie de son équipe de travail et poursuivi selon ses principes et en utilisant la méthode qu’il a choisie dès 1950. Il est cependant clair, comme le confirme Paul Bacon lui-même, que pour prendre des mesures à caractère autoritaire ou peu démagogique, le régime plus « musclé » de la Ve République est mieux adapté. Il reconnaît qu’avec le système des ordonnances il dispose de plus de facilités alors que, sous la IVe République, il faut « plus de diplomatie ». Paul Bacon, maintenu en fonction selon la volonté du général de Gaulle, passe en revue tous les dossiers bloqués dans les tiroirs des directions ministérielles comme le régime d’allocations de chômage, la coordination des régimes de Sécurité sociale des salariés, le remboursement aux assurés sociaux des honoraires médicaux.
71Le 2 juin 1959, il met en chantier les textes fondamentaux pour établir un nouveau régime de la Sécurité sociale et après un temps d’enquêtes, de choix d’options, les décisions sont prises dans le décret du 12 mai 1960. Quelques jours plus tard, un autre décret concerne l’assurance maladie agricole. Cette réforme administrative est centralisatrice dans la mesure où l’Etat, responsable du financement, doit renforcer le service de la gestion : « Puisqu’on laisse au gouvernement la responsabilité principale, celle du financement, il faut nécessairement que les structures fassent la place et donnent le poids suffisant aux structures gouvernementales »40.
72Michel Debré reconnaît dans ses mémoires le rôle déterminant de son ministre du Travail dans la mise au point des A.S.S.E.D.I.C. (Association pour l’Emploi dans l’Industrie et le Commerce) et de l’U.N.E.D.I.C. (Union Nationale pour l’Emploi dans l’Industrie et le Commerce) grâce à l’ordonnance du 7 janvier 1959 : « la négociation s’est achevée dans le bureau de Paul Bacon »41. Celui-ci confirme d’ailleurs que ces textes avaient été mis en chantier un an avant sous la IVe République tout comme la mise au point du projet de participation des ouvriers à l’entreprise. Cette œuvre est la poursuite de la politique élaborée avant mais avec un exécutif plus fort42. Il estime que le gouvernement peut ainsi « corriger des erreurs ou des injustices flagrantes » et rendre applicable une loi votée mais restée lettre morte. Selon lui, les textes qui viennent au grand jour sont à l’étude depuis longtemps dans les directions du ministère du Travail : « Quand on regarde les dates, on découvre, par exemple, que la première ordonnance, celle qui réglemente le contentieux de la Sécurité sociale avait été rédigée pour l’essentiel sous le ministère Gaillard ».
73Paul Bacon reprend avec M. Doublet l’étude d’un système liant les médecins à la Sécurité sociale par des conventions. Devant l’opposition des responsables syndicaux, Bacon rajoute une clause facilitant l’adhésion individuelle au tarif national publié au Journal Officiel. La Confédération Syndicale des Médecins dans un premier temps, proclame haut et fort que les médecins ne suivront pas et introduit un recours en Conseil d’Etat. Le gouvernement est assez partagé ; « certains trouvaient que Bacon allait peut-être un peu loin »43. Finalement, Michel Debré s’en remet à la décision du chef de l’Etat qui approuve le projet. Ayant convoqué les responsables, il leur confie : « votre raisonnement n’est pas solide, vous défendez l’argent, vous ne défendez pas les malades. J’approuve M. Bacon, je vais signer le projet ». Le décret du 12 mai 1960 met fin provisoirement à ce blocage financier du remboursement des honoraires
74Enfin, Paul Bacon obtient en partie satisfaction sur la formation professionnelle par la loi du 31 juillet 1959 ayant trait à la promotion sociale et celle du 28 décembre 1959 tendant à favoriser la formation économique et sociale des travailleurs appelés à exercer des responsabilités syndicales.
Les causes de sa longévité
75L’explication de la pérennité de ce ministre ne tient pas uniquement à sa fécondité, elle s’explique également par la méthode mais aussi par la personnalité du ministre. Paul Bacon s’est imposé peu à peu comme le spécialiste incontournable pour les questions relatives au ministère du Travail et de la Sécurité Sociale puisque Mendès France également le contacte dans ses démarches préparatoires. Il reconnaît cet état de fait en constatant qu’il n’a jamais posé « de problème insoluble » aux présidents du Conseil : « Ils savaient qu’avec moi, ils étaient tranquilles. Bacon, c’est l’analyse objective, il regarde les choses comme elles sont ».
76Il n’est pas aisé d’évoquer quelques traits du caractère de Paul Bacon parce que le personnage est discret par nature et par volonté, mais ce sont aussi les tempéraments qui façonnent chaque période de l’histoire d’un pays, d’un peuple.
77Le premier aspect qui s’impose est la simplicité. Issu d’un milieu modeste, il garde toute sa vie le goût de la discrétion ; « Bouxom estimait que je ne me montrais pas assez, que je ne parlais pas assez, il a vu plus tard qu’il n’est pas facile de parler de soi. [...] Et puis ce n’est pas tellement utile : les gens sont ce qu’ils sont ». Il revendique une filiation, celle de Pierre Massé qui fait partie de ces « gens qui ont besoin de travailler sans faire de bruit ! ». Celui qu’il considère comme « le véritable fondateur de l’économie d’aujourd’hui »», celui dont Jacques Delors « n’est que le petit élève », est le maître d’œuvre du Plan, « l’inventeur de la productivité en France » selon Paul Bacon.
78Un exemple atteste de cette manière d’être du ministre. Lors d’une audition à la Commission du travail le 29.11.1957, une question lui est posée sur des difficultés de paiement d’allocations familiales dans la région parisienne : « je vous avoue que je ne pensais pas que cette question me serait posée et n’étant pas universel, je n’ai rien dans mes papiers qui me permette de donner déjà cette précision »44. La simplicité va de pair avec la sobriété de l’expression. Il est intéressant de comparer la longueur des interventions de chaque ministre dans les réponses aux parlementaires sur des questions diverses : Paul Bacon est le plus concis. Cette disposition naturelle lui permet très souvent de dépassionner le débat et d’éviter les risques politiques d’une digression mal contrôlée. Léo Hamon rappelle que « dans le M.R.P., personne ne suspectait ses sympathies, tout le monde admirait sa conscience, sa continuité d’action, il s’y ajoutait l’absence de vocalises et de gesticulations, absence rare dans le monde ouvrier, et dans la vie politique en général, parfois il avait beaucoup d’autorité parce qu’il ne criait jamais, ne parlait pas beaucoup et savait toujours »45. Dans ses interventions au Journal Officiel, il cherche avant tout à être court et précis : « c’est ma manière personnelle d’être, je ne vois pas pourquoi il faut raconter des histoires à propos de choses simples ». Il part de constats évidents pour prendre une décision : « je ne peux pas donner d’allocation chômage, parce que je ne sais pas le nombre des chômeurs. Je pars des statistiques, des analystes et j’essaie alors de voir ». Dans la question du surcoût médical, il reconnaît qu’« en prenant objectivement le problème », il a attiré sur lui « toute l’animosité du corps médical ».
79Paul Bacon, devenu ministre, reste fidèle à son style de vie : « j’arrive le matin, je repars le soir, je n’ai jamais eu de table au ministère, je n’ai jamais couché au ministère, sauf pendant 15 jours pour une raison médicale ; cela a été remarqué au moins par le budget. Je n’ai jamais dépensé d’argent pour inviter qui que ce soit ». Paul Bacon estime qu’il s’agit d’une dépense inutile, il prend ses repas à l’Assemblée, « ce qui me donnait l’occasion de parler avec les parlementaires », ou « selon une vieille habitude, j’ai continué de fréquenter les bistrots parisiens, de Montparnasse ». Il y va seul ou avec quelques collaborateurs autant pour voir les gens et les entendre que pour parler éventuellement avec son équipe de direction. « Il y a des bistrots où les gens me reconnaissaient, ils le savaient tous que j’étais ministre, mais jamais ils n’en faisaient état ». Chaque soir, il revient au domicile familial à Lavarenne.
80La compétence est également une qualité que la plupart des acteurs et observateurs politiques lui concède volontiers. Léo Hamon souligne que « l’appel de Bacon par de Gaulle, la continuité de son ministère, qui chevauche deux Républiques sont l’hommage rendu à celui qui, par la compétence, le sérieux était l’homme d’Etat d’une des forces ouvrières indépendantes ». Dès sa jeunesse, Bacon est reconnu comme tel. Les collègues de travail de son usine rappellent qu’« avec Bacon, il n’est pas nécessaire d’expliquer longtemps, il comprend vite ». Autodidacte, il a toujours le goût et le souci d’apprendre, de s’enrichir des connaissances des autres et les circonstances de sa vie l’obligent à s’adapter en assumant les situations nouvelles à Pau, à Paris ensuite. Jean Raymond-Laurent évoque Paul Bacon sous les traits d’une « Institution du M.R.P. »46.
81Le même type de remarque est formulé par Michel Debré et surtout par le général de Gaulle. Paul Bacon reçoit un appel téléphonique du secrétariat du nouveau président du Conseil en juin 1958 par l’entremise de Maurice-René Simonnet47 : « – Bonjour Bacon, on me dit que vous avez réussi au ministère du Travail – Mon général, je n’ai pas ‘ réussi’ [...] J’y suis demeuré plus longtemps que d’autres ! Le ministère du Travail est un ministère difficile qu’on ne se dispute pas. Et c’est parce que personne ne m’a disputé ce ministère que j’y suis resté ». Le général lui demande de rester et Paul Bacon, après s’être inquiété du nom du ministre des Finances et de la politique algérienne du nouveau chef du gouvernement, décide de tenter l’aventure. Il est le seul ministre attaché à un poste qui reste en fonction sous le premier cabinet de Gaulle après avoir été dans celui de Pierre Pflimlin. Cette constatation permet de comprendre la réputation technique de Paul Bacon. Michel Debré le garde : « j’ai tant apprécié sa compétence et sa loyauté que je souhaite qu’il garde le ministère du Travail, à l’avance le général m’a donné son accord »48.
82La compétence de Paul Bacon se mesure dans deux exercices périlleux : le débat à la Chambre des députés et l’audition à la Commission du travail. Le 16.03.1951, le Journal Officiel des débats signale à l’issue du discours de présentation du budget : « applaudissements au centre et à gauche ». Paul Bacon est reconnu par sa majorité. Il veille à régler les éventuels litiges ou conflits avec les députés en se déplaçant souvent à la Commission du travail et en s’appuyant constamment sur les textes de loi. Le 22 juillet 1953, le ministre vient exposer en commission la situation générale de la Sécurité sociale et rappelle qu’il a reçu tout récemment des délégations conduites par des parlementaires des différents groupes des assemblées. En conclusion, il rappelle que la situation financière de la Sécurité sociale est « gravement préoccupante » et qu’il lui semble indispensable de créer de nouvelles charges pour éviter la pratique des expédients. Il annonce que ces services réfléchissent à des propositions de réformes structurelles qui nécessitent l’accord d’autres ministères notamment celui des Finances. Dans le cours de la discussion, il rappelle que « le gouvernement n’est pas au-dessus des lois ». Devant l’étonnement de certains députés après une remarque du ministre, il reprend : « ce n’est pas à moi de donner ici une leçon d’application à ceux avec qui je discute ».
83Lors des débats à l’Assemblée, le ton est quelquefois vif : Marius Patinaud, député communiste, le 20 septembre 1951, lui reproche d’œuvrer contre « la classe ouvrière ». Paul Bacon rappelle qu’il agit « comme ministre et non pas comme représentant et membre d’un parti ». A l’appui de sa remarque, il rappelle à l’intervenant qu’il a obtenu de son parti le retrait de certains amendements qu’il désapprouve : « Je vous demande de me donner acte de cette observation ». Le 13 novembre 1951, un autre député communiste, Adrien Renard à propos du budget : « nous considérons que le discussion est étouffée, c’est la politique du bâillon et l’on se demande si, au lieu d’examiner le budget du travail, il ne vaudrait pas mieux voter des crédits pour acheter des muselières à tous les parlementaires (rires). Il est évident que c’est l’instauration du fascisme dans cette Assemblée... » Paul Bacon, calmement, répond : « je ne pense pas qu’on doive aller jusqu’aux extrémités que notre collègue communiste vient de présenter à l’instant comme éventuelles. Je puis déjà lui donner une assurance ; au cours du débat, notre collègue pourra à l’occasion de l’examen de chaque chapitre poser des question et bien volontiers le ministre du Travail y répondra ».
84En lien avec ce flegme, ce sang-froid, Paul Bacon cultive le pragmatisme, le sens du concret, des réalités. Très porté sur les sciences exactes, les mathématiques, les statistiques, il se méfie des idéologies à la mode comme le travaillisme. Dans son ministère, il ne recherche pas systématiquement et avant tout des amis politiques mais des techniciens et des collaborateurs « dont je sais ce qu’ils sont personnellement [...] S’ils sont M.R.P., c’est bien, mais s’ils ne le sont pas, il n’y a pas de raison que je ne les prenne pas ». Paul Bacon fournit, parmi d’autres, l’exemple de Michel Jobert « qui est entré dans la politique chez moi : il le marque dans son curriculum vitae ».
85De même sa position devant le général de Gaulle est plutôt minoritaire chez les républicains populaires. En 1962, il est d’accord avec de Gaulle qui va « traiter avec Adenauer, sans les ministres M.R.P., pour faire progresser la construction de l’Europe de Robert Schuman ». Il rappelle qu’il est le seul au conseil national qui a voté en faveur de l’élection du président de la République au suffrage universel. « A ce moment-là, j’ai quitté le M.R.P. en tant que responsable mais non pas en tant qu’adhérent ».
86Les membres de la Commission du travail reçoivent également des leçons de réalisme : « Il ne suffit pas de mener jusqu’à la tribune de l’Assemblée des textes préparés à la Commission du travail, il faut, dans certains cas, dégager la contrepartie des augmentations de charges qui résulteront de l’adoption des textes. C’est très exactement ce que j’ai fait et que je fais encore »49. Ce parler vrai se manifeste notamment dans le contentieux qui l’oppose au corps médical dans « la guerre de la Santé ».
87Paul Bacon possède également le sens de l’organisation. A peine nommé, il vient s’installer au bureau de son ministère, et après avoir pris une feuille de papier, la plie en deux et fait deux colonnes l’une pour le ministère, rue de Varennes et l’autre pour la place Fontenoy, pour les services administratifs qui comptent 2000 personnes. « Dans la première colonne, je mets le nom de ceux qui ont été à cette place que je connais ». Après avoir dressé la liste des ministres avec qui il a déjà échangé, il se consacre à l’autre colonne et indique aussitôt Pierre Laroque « homme remarquable et pas seulement pour les questions de Sécurité sociale », Lambert, le directeur du Travail, Rozier, spécialiste de la formation professionnelle et quelques autres : à partir de cette maigre liste, en quelques minutes, il bâtit son équipe ministérielle de base.
88Après avoir perçu dans les différents rouages du ministère les forces en présence, il cherche à éviter les blocages venant des directions du ministère ou des membres du cabinet. Pour le code du Travail, Philbert suit article par article l’application de ce document juridique dans toute la France et ce même travail se fait chez Lambert, place Fontenoy : « il faut que les deux soient en harmonie. […] Le meilleur système que j’ai trouvé c’est de faire que s’entendent humainement les responsables principaux du cabinet et des directions ». Le ministre est celui qui fait le lien, le « nœud » entre ces deux courants de productions.
89Avec les parlementaires, il prend toujours bien soin de ne pas mélanger les fonctions. Il rappelle le 3 mai 1950 à la Commission du travail qu’il ne veut pas intervenir dans la discussion. Le 1er août 1950, il répond à M. Besset que « les promesses que j’avais faites devant l’Assemblée ont été tenues par le Gouvernement ou sont, en tout cas, en voie de l’être ». En réponse à Marius Patinaud le 24 mars 1955 sur les prestations familiales, il affirme que « contrairement à ce qu’affirme M Patinaud, le ministre ne s’en est pas tenu aux promesses et notre collègue ne l’ignore pas ».
90A plusieurs reprises, sur des sujets variés, Paul Bacon, en réponse à des dépôts d’amendements, des interpellations, s’engage publiquement à étudier la question, à prendre une initiative financière et obtient le retrait de l’amendement ou le renvoi de la discussion d’urgence. Il prend bien soin également de doser ses interventions de telle sorte qu’elles soient brèves, non répétitives : le contraste avec les fréquentes prises de parole en débat public de Pierre Garet, Claudius-Petit et Aujoulat est sensible. Le débat prend une allure plus policée, plus tranquille.
91En effet le sens du dialogue, de la courtoisie parlementaire caractérise Paul Bacon. Dans sa jeunesse, la pratique paternelle du compagnonnage et l’habitude de travailler dans une équipe comme dessinateur projeteur dans son usine d’ameublement lui rendent l’exercice familier. Il s’intégre également très rapidement dans des communautés ecclésiales, paroisse, A.C.J.F., ou professionnelles comme la C.F.T.C. Ces groupements, où il prend une part déterminante, lui apporte en retour la reconnaissance de ses capacités et un important réseau de relations. La J.O.C. reste la communauté la plus vivante dans son souvenir, celle où il s’est fait « des tas d’amis » à la suite « d’actions menées en commun ». Il s’efforce de rester en lien épistolaire avec ses anciens camarades et se constitue ainsi un réseau important de relations en province.
92Dans chacune de ses fonctions, il veille à « donner toujours quelque chose à faire sans le commander ». Cette capacité d’inspirer confiance s’explique vraisemblablement et paradoxalement par une certaine retenue et un réel sang-froid du personnage. A l’été 1953, il reçoit en secret, le dimanche 16 août au soir, Bouladoux, Levard pour la C.F.T.C., Bothereau qu’il connaît personnellement, Richard pour F.O. L’entrevue n’aboutit pas, elle est néanmoins significative de la disposition d’esprit des partenaires sociaux50.
93Dans le conflit avec les médecins pour le remboursement des honoraires, il confirme : « je n’ai jamais traité en terme de lutte ou de combat, contre le corps médical, contre la médecine libérale, le contrat individuel n’a pas été conçu comme une machine de guerre mais comme une incitation, un substitut ». La comparaison avec l’attitude d’Albert Gazier est révélatrice. Chez les deux grands responsables de la Sécurité sociale, le même souci de rétablir l’équilibre financier, la même constatation d’un dialogue nécessaire avec les médecins, mais Albert Gazier ne bénéficie pas de l’exécutif fort dont relève Paul Bacon en 1960 et le responsable socialiste a recours à la menace de sanctions judiciaires pour les praticiens dépassant le tarif fixé en accord avec les médecins. La réprobation générale l’oblige à renoncer en fait à son projet.
94Dans le dialogue quotidien avec les parlementaires les témoignages de ces bonnes relations se manifestent souvent. Il se voit remercier par Mazier le 5 juin 1950 « de sa réponse longue et substantielle ». Le 12 février 1954, à l’Assemblée, Robert Coutant (S.F.I.O.) s’adressant à Edgar Faure, ministre des Finances indique un peu malicieusement à propos de la fixation du nouveau S.M.I.G., que « nous avons ouï dire que la position de M. Bacon était fort éloignée de la vôtre et que son interprétation des statistiques le conduisait à des conclusions plus sociales. Non, monsieur le ministre et M. Bacon a eu raison de le dire, l’augmentation hiérarchisée de tous les salaires contractuels n’est pas automatique ». Paul Bacon répond en rappelant les directives de sa circulaire : « nous n’avons nullement suivi l’avis donné par l’Union des industries métallurgiques et minières.-Je n’en doutais pas, monsieur le ministre ». Raymond Dronne le 19 février 1954 à propos de la représentativité des syndicats indépendants conclut ainsi : « M. le ministre, nous connaissons tous ici votre loyauté et votre esprit d’équité, je suis convaincu que ce n’est pas en vain que nous y ferons appel ». (applaudissements à l’extrême droite, à droite, sur certains bancs à gauche) »
95Dans un débat à l’Assemblée, le 17 mars 1955, il n’hésite pas à rappeler le bien-fondé des revendications du ministère du Travail sur les primes et les indemnités. Léon Boutbien, à propos de la création du corps de l’inspection du travail, s’exprime ainsi : « je rends volontiers hommage aux efforts que vous faites auprès de l’administration des finances en vue d’obtenir des avantages d’ailleurs très légitimes en faveur du personnel que vous dirigez ». Dans la même séance, Robert Coutant, après avoir entendu les réponses de Paul Bacon conclut son intervention : « nous prenons acte des déclarations que vous avez bien voulu faire. Nous souhaitons que vous ne rencontriez pas trop d’obstacles sur votre route pour mettre au point un système juste et valable, nous enregistrons également votre désir d’agir après consultation des organismes syndicaux habilités et représentatifs ». Quand il arrive à ses fins, sous la IVe République c’est « en raison de ses ‘accointances nombreuses’ avec le personnel politique et syndical de l’époque ». Comme il le reconnaît lui-même, « autrefois, le ministre devait être l’homme-débat, il fallait pour être ministre, faire les couloirs de l’Assemblée ».
96Un dernier trait de caractère, la loyauté, se retrouve aux deux extrémités de sa carrière ministérielle. Lors de sa nomination, Georges Bidault qui l’a déjà apprécié dans son équipe du C.N.R., à la Libération, l’installe sans discussion possible et ne lui donne que cette consigne : « le départ des socialistes, c’est comme s’il n’existait pas, il faut le gommer, donc demain la loi doit être votée ». Par la suite Bacon reconnaît qu’il « lui a fait une très large confiance », sans jamais lui demander des précisions, sans émettre des doutes : « Bacon s’en occupe, cela suffit ». En 1962, il quitte le gouvernement avec les ministres M.R.P., alors que battu électoralement il ne doit sa nomination qu’à la volonté personnelle du général de Gaulle et peut, à juste titre, estimer ne pas être concerné par les critiques du général51.
97A ceux qui ne comprennent pas son attitude, il rappelle qu’il a participé à des travaux de Jean Monnet et Robert Schuman : « ma conception de l’Europe ne découlait pas d’une application améliorée du plan Marshall mais elle allait vers autre chose et elle rejoignait la conception autour de Schuman, la démocratie italienne, belge ». Cependant, les propos de de Gaulle ne le scandalisent pas : « je l’aurai accepté, mais ce qui me gênait c’est que les ministres M.R.P. s’en aillent et que moi je reste ; je ne pouvais pas rester même si j’étais d’accord avec de Gaulle ». Il le dit le lendemain au bureau national du Mouvement : « vous venez de tuer le M.R.P. ; vous croyez que de Gaulle aura besoin de vous, démocrates chrétiens, pour traiter avec la démocratie chrétienne d’Adenauer, mais de Gaulle va traiter avec lui ».
98Paul Bacon regrette « ce mouvement d’humeur » de ses amis qui, tel Pierre Pflimlin, croient que le Gaullisme est un mouvement passager, conjoncturel, lié à l’Algérie, « qu’il allait tomber aussi vite qu’il était monté et qu’ils allaient retrouver leurs possibilités électorales : je crois avoir eu une meilleure vue au plan électoral ». Il est le seul responsable national à avoir voté en faveur du nouveau système de vote au suffrage universel : « à ce moment-là, j’ai quitté le M.R.P. en tant que responsable mais non pas en tant que militant, adhérent ». Il reconnaît qu’il aurait pu rester ministre du Travail, « mais physiquement cela m’aurait gêné, parce que la politique pour moi, c’est la Résistance, c’est 40, 41, c’est Gortais et ceux dont je vous ai parlé, je ne suis pas chez moi quand ils ne sont pas là, alors je suis simplement parti »52. Après 9 années de présence au ministère notamment dans le contexte particulier de la IVe République, le mot « simplement » donne la dimension du personnage.
99Alors que les disparités dans la formation, le milieu d’origine, l’engagement dans la Résistance et même les prises de responsabilités au début de la IVe République ne semblent pas prendre le pas sur une communauté de destin, les aléas de la vie politique, dès le début des années cinquante, éloignent assez nettement ces syndicalistes entrés en politique et opèrent un reclassement dual : Robert Prigent et Louis Beugniez, pourtant fortement impliqués dans les responsabilités nationales sur le plan économique et social disparaissent, victimes d’une conjoncture défavorable et du système des apparentements dont ils n’ont pas suffisamment pris la mesure. Dans le même temps, Jules Catoire continue une carrière ministérielle dans l’ombre de Robert Schuman et reste mandaté par ses électeurs du Pas-de-Calais pour les représenter à l’Assemblée nationale jusqu’en 1958. Paul Bacon, le plus discret, le plus réservé des quatre militants, maintient une permanence de l’esprit républicain populaire dans le ministère du Travail et de la Sécurité sociale de 1950 à 1962 au point d’avoir pu faire surgir l’hypothèse d’un caractère monopolistique de la présence du M.R.P. dans ce cabinet ministériel durant cette période. Au-delà de l’aspect quelque peu provocateur d’une telle assertion, il reste que, dans le domaine de la famille, de la population, de la santé publique comme dans celui du travail et de la sécurité sociale, la marque démocrate chrétienne est nettement visible durant la IVe République et même dans les débuts du régime gaullien.
Notes de bas de page
1 Interview de Robert PRIGENT, op. cit.
2 R. BICHET, op. cit., p. 196.
3 A. CAUDRON, « Lille-Flandres » Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, op. cit. p. 205. Le Monde, 22.07.1995.
4 Interview de Louis BEUGNIEZ, op. cit.
5 Archives de Jules CATOIRE.
6 Revue du Nord, tome 73, n° 290-291, op. cit.
7 B. BETHOUART, Le M.R.P. dans le Nord-Pas-de-Calais, 1944-1967, Dunkerque, ed. des Beffrois, colt. « Documents », 1984, p. 44-56.
8 J. CHAPSAL et A. LANCELOT, op. cit.
9 Archives de Jules CATOIRE.
10 B. BETHOUART, op. cit.
11 Interview de Robert PRIGENT, op. cit.
12 B. BETHOUART, op. cit.
13 Archives de Jules CATOIRE.
14 Ibidem.
15 Ibidem.
16 Extrait de l’ Année Politique, archives de Jules CATOIRE.
17 R. LECOURT, Entre l’Eglise et l’Etat, concorde sans concordat, 1952-1957, Paris, Hachette, 1978, 175 p.
18 Mgr ELCHINGER, La liberté d’un évêque, Paris, Le Centurion, 1972, p. 112.
19 R. LECOURT, op. cit.
20 Ibidem.
21 Interview de Jules CATOIRE, op. cit.
22 Extraits des tables nominatives de l’Assemblée Nationale, op. cit.
23 Extraits du Journal Officiel des débats, Assemblée Nationale, op. cit.
24 Extrait des tables nominatives de l’Assemblée nationale, op. cit.
25 Interview de Bernadette CATOIRE le 15.09.1993.
26 Archives de Jules CATOIRE.
27 Interview de Gaston GARENEAUX le 27.12.1978.
28 Extrait des tables nominatives de l’Assemblée nationale, op. cit.
29 Interview de Paul BACON le 27.07.1992.
30 Extrait du Journal Officiel des Débats, Assemblée Nationale, op. cit.
31 Ibidem.
32 Interview de Paul BACON le 25.07.1992
33 Extrait du Journal Officiel des débats, Assemblée Nationale, op. cit.
34 Cf. la référence à son père, artisan compagnon.
35 Extrait du Journal Officiel des débats. Assemblée Nationale, op. cit.
36 Extrait des tables nominatives de [’Assemblée Nationale, op. cit.
37 Extrait du Journal Officiel des débats, op. cit.
38 A.-R. MICHEL, « Paul Bacon » in La politique sociale du général de Gaulle, op. cit. p. 228.
39 Interview de Paul BACON le 25.07.1992.
40 Ibidem.
41 M. DEBRE. Gouverner – Mémoires 1958-1962, Paris, ed. Albin Michel, 1988.
42 Interview de Paul BACON le 25.07.1992.
43 Ibidem.
44 Extrait du procès-verbal de la Commission du travail et de la sécurité sociale. op. cit.
45 Témoignage de Léo HAMON dans La politique sociale du général de Gaulle, op. cit.
46 R. BICHET, op. cit. p. 201.
47 Interview de Paul BACON, op. cit.
48 M. DEBRE, op. cit.
49 Extrait des procès-verbaux de la Commission du travail et de la sécurité sociale. op. cit.
50 G. ADAM, La C.F.T.C. : 1940-1958, Cahiers de la F.N.S.P. n° 134, 1964.
51 Interview de Paul BACON op. cit.
52 Ibidem.
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