1Longtemps dominé par la sidérurgie1, le Valenciennois connaît une grave crise socio-économique et culturelle depuis le démantèlement de cette industrie (à partir du milieu des années 1970), suivi, quelques années plus tard, par de nombreux licenciements dans les domaines de la construction ferroviaire et de l’automobile.

2Sur le plan politique, cet arrondissement appartient à un espace (Douaisis-Valenciennois) dominé très tôt par le PCF. Dès 1936, les 5 députés qui représentent les circonscriptions de cette zone sont d’obédience communiste. A la veille des élections législatives de 1997, le Valenciennois se caractérise toujours par un fort ancrage communiste qui se concrétise notamment par la persistance d’un important réseau d’élus communistes. A la suite du scrutin de 1993, le Parti communiste y détient 2 circonscriptions sur 3, 4 cantons sur 8 et plus de 20 municipalités. Quatre ans plus tard, le Parti communiste présente le même bilan.

3La comparaison des résultats des législatives de 1997 avec les résultats des législatives de 1993 révèle un maintien de l’assise législative communiste tant au niveau des sièges que des voix. L’élargissement de la perspective à la période 1978-1997 nous donne une autre vision de l’évolution électorale de ce parti dans le Valenciennois. Dans la succession des différents rendez-vous législatifs, les élections de 1993 et 1997 représentent pour le PCF ses plus bas niveaux électoraux depuis 1978 (à mode de scrutin identique). En terme d’élus communistes, l’évolution électorale sur ces dix-neuf années se traduit par la perte de 1 député sur 3, 3 conseillers généraux sur 7 et 9 maires sur 30. L’arrivée de Robert Hue à la tête du Parti communiste, personnalité souhaitant incarner un certain renouveau de son parti2 et dotée d’une cote de popularité importante3, n’a donc pas réussi à inverser la tendance4.

4 Le regard différent que nous offrent ces deux perspectives temporelles montre tout l’intérêt qu’il y a pour le chercheur d’appréhender la réalité électorale à partir d’approches différentes du temps. L’unique comparaison des résultats d’une élection donnée à la précédente tend à fausser le regard, en mettant au premier plan le conjoncturel aux dépens du structurel. Au contraire, dès que l’on quitte le court terme pour embrasser le moyen et le long terme, l’accent mis sur les circonstances du temps présent cède le pas aux phénomènes de structure.

5En effet, les résultats du PCF lors des législatives de mai-juin 1997 confirment sur la période 1978-1997 un phénomène de déclin5 (I), qu’il apparaît fécond d’interroger sur le moyen et le long terme, afin de mettre en évidence ses ressorts fondamentaux (II).

I – Une stabilité conjoncturelle inscrite dans un déclin structurel

6La résistance apparente de l’assise législative communiste, qui ressort d’une comparaison des élections législatives de 1997 par rapport à celles de 1993, s’inscrit en réalité dans un lent processus de déclin dès lors que l’on procède à l’analyse sur une période plus longue, en l’occurrence en remontant jusqu’en 1978. La période 1993-1997 ne se présente plus alors que comme un simple palier, inscrit dans une pente descendante continue.

1993-1997 : une apparente résistance sur le court terme

7L’examen des résultats6 communistes, au premier tour des élections législatives de 1997 dans l’arrondissement de Valenciennes (pris en son entier) indique un maintien de l’assise communiste à son niveau de 1993. On peut d’ailleurs faire la même constatation en ce qui concerne les scores du PCF dans le département du Nord et dans l’ensemble de la France métropolitaine.

Tableau 1 Le communisme législatif dans l’arrondissement de Valenciennes, dans le Nord et la France entre 1993 et 1997 (% calculés par rapport aux suffrages exprimés)

8En 1997, le PCF continue toujours d’enregistrer des résultats élevés dans le Valenciennois, comparés à ceux réalisés dans le Nord et en France7. On remarquera néanmoins, qu’en tendance, l’arrondissement du Valenciennois ne se singularise pas, par rapport au département du Nord, par une plus forte résistance du PCF entre les législatives de 1993 et 19978, et que le PCF aurait même une propension à y résister moins bien que dans la France métropolitaine (indice 103 contre 108 en France).

9La stabilisation des résultats du PCF, entre 1993 et 1997 au niveau de l’arrondissement du Valenciennois, se présente, a priori, comme une tendance relativement appréciable, telle que l’examen des évolutions électorales dans chacune des circonscriptions de l’arrondissement semble l’indiquer.

Tableau 2 Le communisme législatif dans les circonscriptions du Valenciennois entre 1993-1997 (% calculés par rapport aux suffrages exprimés)

10Sur les trois circonscriptions de l’arrondissement de Valenciennes une seule se caractérise par une progression (20^e circonscription). Avec une augmentation du score communiste de plus de cinq points de pourcentages exprimés pour atteindre 41,1 % (indice d’évolution 97/93 s’élevant à 116), la 20^e circonscription se démarque des deux autres circonscriptions du Valenciennois, dans lesquelles on observe un tassement des résultats du PCF (indice d’évolution 97/93 de 94 (19^e circonscription) et de 97 (21^e). Ce tassement dans la 19^e circonscription doit être relié au fait que le député-sortant, René Carpentier9, ne se représentait pas (pour cause de maladie puis de décès) et au caractère récent de l’implantation10 du nouveau candidat communiste à la députation, Patrick Leroy. Dans la 21^e circonscription, le quasi-maintien du score du candidat communiste, Fabien Thiémé, entre 1993 et 1997 (22,5 % des exprimés en 1997 contre 23,1 % en 1993) doit être rapproché de la perte, en 1993, du mandat de député de Fabien Thiémé11 au profit du divers droite Jean-Louis Borloo. On notera en outre que ces résultats se manifestent dans un contexte d’inflation de l’offre électorale (10 candidats dans les 19^e et 21^e circonscriptions et 9 dans la 20^e contre respectivement 6, 8 et 8 en 1993). Des raisons d’ordre conjoncturel ont favorisé cette stabilisation globale des résultats communistes.

11En 1993, l’effondrement du PS dans le département du Nord, non compensé par un renouveau électoral communiste, avait favorisé une forte poussée de la droite modérée12, dont avait bénéficié Jean-Louis Borloo, le candidat victorieux du député communiste sortant de la 21^e circonscription.

12En 1997, le reflux national de la droite modérée se trouve localement accentué en raison de sa division. Dans deux circonscriptions sur trois (les 20^e et 21^e circonscriptions) la droite modérée présente trois candidats. Le candidat UDF-RPR (ou soutenu par l’UDF-RPR) voit son score chuter de 12,1 points dans la 20^e circonscription (avec 13,6 %) et de près de 15 points dans la 21^e circonscription (avec 34,3 %). Alors que dans la 19^e circonscription, où la droite modérée ne présentait que deux candidats, le score du représentant de l’UDF-RPR ne recule que d’un peu plus de 5 points (avec 14,9 %).

13Dans la 20^e circonscription, les luttes intestines au sein du propre camp13 du candidat UDF-RPR, Alexis Massart, ont contribué à ce résultat. Ces particularités expliquent l’absence de candidat de la droite modérée au second tour. Elles ont aussi favorisé le candidat communiste sortant, Alain Bocquet, qui réussit la performance d’arriver en tête, au premier tour, dans la commune de Wallers (avec 36,3 % des suffrages exprimés), commune dont le maire de droite n’est autre que Claude Larcanché ancien candidat de la droite en 199314. De la même façon à Hergnies, où le candidat UDF-RPR, Alexis Massart, est adjoint au maire, Alain Bocquet arrive en tête avec 28,4 %.

14Les scores du député sortant de la 21^e circonscription, Jean-Louis Borloo, au premier comme au second tour, montrent que ce candidat ne domine plus aussi aisément toute la circonscription15. Il doit en effet, avant tout, sa victoire aux résultats qu’il réalise dans la commune dont il est le maire (Valenciennes) et dans la commune de sa suppléante (Saint-Saulve), où il obtient respectivement 66,6 % et 65 % des suffrages exprimés au second tour. A l’inverse, dans le canton de Condé-sur-Escaut, où se trouve notamment la municipalité communiste de Vieux-Condé, Jean-Louis Borloo n’arrive en tête que dans la commune de Saint-Aybert, alors qu’en 1993 il en était ainsi dans 4 communes sur 5. Le score réalisé au second tour, dans cette circonscription, par le candidat communiste Fabien Thiémé (47,3 % des suffrages exprimés), en progression de 5 points au regard du total gauche du premier tour, montre qu’en cette terre le PCF reste une force importante. La première place obtenue par Fabien Thiémé à Marly au premier tour, devant le propre maire de la commune, représente un autre motif de satisfaction pour celui qui est aussi conseiller municipal de Marly16.

15En ce qui concerne le Parti socialiste, la progression départementale (+ 5 points) se trouve accrue dans deux circonscriptions sur trois : + 6,2 points dans la 19^e circonscription et + 7,2 points dans la 21^e circonscription, contre + 3 points dans la 20^e circonscription. Cette progression de la gauche non communiste conforte l’assise des candidats communistes au second tour, lesquels avaient vu, en 1993, leur « réserve » en voix de gauche diminuer considérablement. Par exemple, Fabien Thiémé accroît son score, entre le second tour de 1993 et celui de 1997, de plus de 10 points, et Alain Bocquet voit le sien augmenter de près de 13 points, pour atteindre un peu plus de 69 % des suffrages exprimés.

16Le maintien des résultats du PCF sur le court terme confirme néanmoins, sur le moyen terme, le processus de déclin dans lequel il se trouve engagé.

1978-1997 : un processus de déclin confirmé sur le moyen terme

17La perspective que nous offre l’analyse des résultats électoraux du PCF sur dix-neuf années d’élections met en évidence certains traits spécifiques du communisme électoral, qui font nettement ressortir le phénomène de déclin que connaît le PCF depuis le début des années 80.

18Comme nous avons déjà pu l’établir17 les législatives de 1978, dans le département du Nord, représentent les élections d’apogée pour le Parti communiste. La prise en compte de la période 1978-1997 nous permet donc d’appréhender le processus de déclin électoral du PCF dès son point de départ.

Graphique Le communisme législatif dans l’arrondissement de Valenciennes, dans le département du Nord et en France entre 1978 et 1997 (% calculés par rapport aux suffrages exprimés)

19L’indice d’évolution, résultant de la confrontation des résultats du PCF lors des législatives de 1997 et de 1978, indique, quel que soit l’espace d’analyse pris en compte, une même tendance au déclin. L’accentuation du recul au fur et à mesure que l’on passe du niveau local (Valenciennois, indice 74) au niveau national (indice 48) n’infirme pas cette première constatation. Néanmoins, l’étude que l’on peut faire des mouvements dans le temps des trois espaces que sont la France, le département et l’arrondissement met en évidence certaines particularités de l’évolution du communisme valenciennois.

20Au niveau national comme départemental la période 1986-1997 correspond à une phase de stabilité des résultats après le reflux de la période 1978-1986, comme si le PCF semblait avoir atteint un niveau de score en deçà duquel il apparaît difficile de descendre. Il en est différemment dans l’arrondissement de Valenciennes où le communisme législatif connaît une évolution plus saccadée. Au sein de cette évolution, 1997 n’appartient à la phase la plus basse du communisme Valenciennois, avec 1993, qu’au regard des élections législatives se déroulant au mode de scrutin majoritaire, soit à l’exclusion des élections législatives de 198618.

21En tendance, 1997 représente une aggravation du phénomène de déclin du communisme valenciennois. En effet, la plus forte progression constatée dans le Valenciennois entre 1986 et 1988 (indice 147) par rapport à ce qui se passe en France (indice 116) a succédé, entre 1988 et 1993, à une évolution sensiblement égale (indice 79 dans le Valenciennois, contre 81 en France) puis à une évolution inférieure (indice 103 contre 108). En 1997, il faut descendre au niveau territorial de la circonscription législative (la 20^e) pour trouver une progression, entre 1993 et 1997, qui manifeste une réelle meilleure résistance par rapport à la moyenne nationale. Cette progression est telle, dans cette circonscription, que le PCF y recouvre, en 1997, le score qu’il réalisait en 1988 (41,1 % en 1997 contre 41,3 % en 1988).

22Selon cette perspective d’analyse, le maintien du niveau électoral communiste, dans le Valenciennois et dans le Nord, qui ressort des résultats des élections de mai-juin 1997, constitue bien une confirmation du processus de déclin qui s’est accentué en 1993 dans le Valenciennois19 de même qu’en France20. Les résultats des élections législatives sur la période 1993-1997 représentent donc un nouveau palier dans le « chemin de croix » du PCF.

23Cette continuité dans le déclin, au-delà des situations conjoncturelles, nous conduit à nous interroger sur les ressorts de ce déclin du PCF dans une terre d’ancienne implantation communiste.

II – Les ressorts du déclin du communisme valenciennois

24La concomitance de la progression électorale du FN et du reflux communiste a favorisé l’idée, chez un certain nombre d’auteurs, de l’existence de vases communicants entre les deux phénomènes. L’analyse électorale de cette terre communiste qu’est le Valenciennois infirme cette thèse. Le lent déclin que connaît le communisme valenciennois semble reposer en réalité sur l’ancienneté d’une implantation, qui trouve son fondement dans l’immersion du communisme électoral local au sein d’un monde ouvrier marqué avant tout par la vieille industrie, et qui, aujourd’hui, se délite peu à peu.

Progression FN et déclin communiste : une relation non avérée

25L’observation simultanée de la montée en puissance du Front national et du reflux communiste a nourri l’hypothèse d’un transfert massif et direct de l’électorat communiste vers l’électorat frontiste. Cette hypothèse de travail s’appuie sur l’existence d’un certain nombre d’éléments communs aux deux formations. Ainsi Jérôme Jaffré a t-il souligné, à propos de la fonction tribunitienne du Parti communiste, l’existence d’un phénomène de substitution fonctionnelle au profit du Front national21. Plus récemment, le recrutement plus populaire du vote frontiste rapproche encore un peu plus ces deux formations22. Il n’en reste pas moins vrai que, comme le met en exergue, avec raison, Henri Rey23, de nombreux traits différencient fortement ces deux partis24.

26En réalité, nombre d’études ont mis en évidence l’absence d’un véritable transfert massif et direct des électeurs communistes au profit du FN. L’analyse des résultats du Front national lors des élections législatives de 1997, dans un arrondissement marqué par l’ancrage historique du PCF, vient confirmer cette absence de relation directe, significative et systématique entre le déclin communiste et la progression frontiste.

Tableau 3 Les résultats du FN dans le Valenciennois et dans le Nord entre les législatives de 1986 et de 1997 (au 1^er tour, % calculés par rapport aux suffrages exprimés)

27Si l’on considère l’analyse des résultats au niveau de l’arrondissement, on constate que, de 1988 à 1997, dans l’arrondissement du Valenciennois (comme dans le département du Nord) le Front national n’a cessé de voir ses scores progresser25 lors des élections législatives, parallèlement au reflux communiste. Dans le Valenciennois, la progression du FN a été telle, entre 1986 et 1997, que l’écart entre les résultats du FN dans le Valenciennois et ceux dans le département du Nord est passé de – 1,2 à + 0,3 points, pour atteindre respectivement 17,9 % et 17,6 % des suffrages exprimés. Au vu de ces premiers éléments on peut déjà formuler les remarques suivantes. Certes, en tendance, cette plus grande progression frontiste dans le Valenciennois (indice d’évolution 183 contre 154 dans le Nord) semble a priori devoir confirmer les tenants d’une relation entre la plus forte progression du FN et le reflux communiste.

28Mais si l’on appréhende maintenant les données, non plus en tendance mais en niveau, on constate que de 1986 à 1993, dans cette zone d’implantation communiste, les résultats du FN se situent à un niveau inférieur de près d’un point par rapport à la moyenne départementale, la différence positive en 1997 (+ 0,3) n’étant pas significative.

29La plus forte progression du FN depuis dix ans, que nous révèle la comparaison des résultats au niveau de la circonscription avec la moyenne départementale, ne signifie pas pour autant que cette progression est le résultat du déclin communiste.

Tableau 4 Le frontisme législatif dans les trois circonscriptions du Valenciennois entre 1988 26 et 1997 (1^er tour, % calculés par rapport aux suffrages exprimés)

30Le calcul de l’indice d’évolution des scores frontistes pour la période 1988-1997 indique, dans l’ensemble des trois circonscriptions du Valenciennois, une progression du FN supérieure à la moyenne départementale (indice 166 à 180 dans le Valenciennois contre 159 dans le Nord). En 1997, cette plus forte progression dans le Valenciennois se concrétise dans la 20^e circonscription par un score du FN supérieur de + 2,6 points à la moyenne départementale, alors qu’en 1988, l’écart à la moyenne n’était que de + 0,1 point. Cette forte progression du FN dans la 20^e circonscription a été confirmée, en 1997, par la présence, pour la première fois dans l’histoire du Valenciennois, d’un candidat frontiste, au second tour, qui a réussi, en outre, la performance d’atteindre les 30,7 % des suffrages exprimés, soit une progression de plus de 10 points par rapport à son score du premier tour.

31Cependant, cette évolution ne confirme pas pour autant l’existence d’un lien de cause à effet direct entre déclin communiste et progression frontiste. En effet, cette persistance de la progression du vote FN ne peut être directement corrélée à l’importance de l’assise communiste. Si tel était le cas, c’est dans la 19^e circonscription, qui concentre le plus grand nombre de municipalités communistes, que le FN devrait atteindre ses meilleurs résultats de l’arrondissement. Or, le FN n’atteint dans cette circonscription, en 1997, qu’un niveau de score sensiblement égal à la moyenne départementale et se situe, en tendance, sur la période 1993-1997, au même niveau d’indice d’évolution que celui du département (indice 114), après, il est vrai, une plus forte progression du FN entre 1988 et 1993 (indice 155 dans le 19^e, contre 139 dans le département). En outre, la 21^e circonscription, communiste de 1962 à 1993, a toujours donné au Front national des niveaux de résultats inférieurs à la moyenne départementale (– 1,7 points en 1997).

32Si nous élargissons un instant notre espace d’analyse à la 16^e circonscription du Douaisis, qui représente une autre zone de particulière concentration communiste (le député communiste sortant Georges Hage y réalise au premier tour 37,7 % des suffrages exprimés), l’absence de relation systématique entre le vote communiste et le vote FN apparaît de manière très claire. Dans cette circonscription, non seulement le Front national réalise en 1997 (comme lors des législatives passées) un score moins élevé qu’au niveau départemental (13,2 % des suffrages exprimés contre 17,6 %), mais, de plus, il voit son score se maintenir par rapport à celui de 199327 (– 0,3 points), alors qu’au même moment ses scores progressent en moyenne de plus de 2 points dans l’ensemble du département du Nord. Le cas de la 16^e circonscription est d’autant plus significatif qu’il n’existe au total que 4 circonscriptions sur 24, dans le département du Nord, où le FN ne progresse pas (2^e, 4^e, 10^e et 16^e circonscriptions).

33L’analyse des résultats au niveau communal confirme, dans le Valenciennois, cette absence de relation entre ancrage communiste et plus forte progression frontiste. Si l’on retrouve des niveaux de score élevés du FN dans des municipalités communistes telles Denain, avec 21,1 % (+ 3,2 points par rapport à 1993), ou Douchy, avec 23,5 % (+ 3,2 points), il en va différemment à Petite-Forêt, où le FN atteint 17,3 % et plus encore à Raismes, où il ne dépasse pas les 14,8 %. Les plus fortes progressions se localisent dans des communes d’obédience de droite. Le Front national semble devoir une part notable de sa progression à la division et au reflux national de la droite modérée. Ainsi, à Wallers, dans la 20^e circonscription, le FN voit son score du premier tour passer de 10 %, en 1993, à 20,7 %, en 1997, tandis que dans le même temps les candidats de la droite modérée perdent plus de 27 points. Dans la commune rurale de Millonfosse (où Claude Larcanché devançait le candidat communiste dès le premier tour de 1993) le FN double presque son score de 1993, en atteignant 21,8 % des exprimés, tandis que les candidats de la droite modérée perdent dans le même temps 8,5 points. En outre, Bousignies (UDF) est la seule commune rurale où le Front national arrive en tête au 1^er tour, avec 31,5 % (+ 7,6 points) tandis que la droite modérée chute de 12 points. Dans cette 20^e circonscription, le second tour des élections semble confirmer le premier. En effet, si la candidate frontiste réunit en moyenne plus de 30 % des suffrages exprimés dans cette circonscription, ce sont les communes rurales qui donnent ses meilleurs scores à la représentante du Front national. Ainsi en est-il des communes d’obédience de droite que sont Bousignies, où le FN atteint 57,4 % des suffrages exprimés, Lecelles, où il réalise 41 %, ou encore Sars-et-Rosières, où il atteint 47,3 %. De manière plus globale, entre 1993 et 1997, la progression du PCF et celle du FN sont parallèles (et même plus élevée dans le cas des communistes) au sein de l’ensemble de la 20^e circonscription (respectivement + 5,6 points de suffrages exprimés et + 4,6 points).

34Ainsi, la progression du FN n’est pas en relation directe avec le déclin électoral communiste. L’exemple de la 20^e circonscription montre qu’il faut se méfier des fausses évidences : ce n’est pas parce que le FN progresse dans des zones d’influence communiste que cette progression résulte d’un recul des scores communistes. De manière plus fondamentale, ce n’est pas parce que le PCF est historiquement fort dans telle zone que le FN y progressera davantage. La raison de cette progression du FN est moins à trouver dans l’identité politique de la zone étudiée que dans sa dimension socio-économique et culturelle : le Parti communiste est en effet influent dans des zones particulièrement touchées par la crise du fait de sa structure socio-économique ancienne, ici la vieille industrie (mine, sidérurgie-métallurgie).

35L’avancée géographique que connaît cette formation politique, du bassin de la Sambre (à l’européenne de 1984) au Valenciennois (à partir des législatives de 1993), indique la constance de la poussée frontiste contre laquelle le PCF forme un rempart de moins en moins efficace. Les très fortes progressions du FN, en 1997, au sein des circonscriptions à forte implantation communiste que sont les 11^e et 14^e circonscriptions du Pas-de-Calais, soulignent d’ailleurs le caractère fragile du rempart communiste28, qui arrive de plus en plus difficilement à lutter contre la désagrégation des réseaux de sociabilité locaux. Comme le notent Pascal Perrineau et Nonna Mayer, L’anomie urbaine et ses effets politiques sont ici et là enrayés par des pouvoirs locaux bien enracinés, présents sur le terrain de l’action sociale et culturelle des communautés étrangères 29. L’orthodoxie affichée des communistes du Pas-de-Calais30 ne semble plus capable d’assurer la pérennité de l’assise communiste, malgré la forte homogénéité du monde minier. La résistance qu’offrent la 16^e circonscription et un certain nombre de municipalités communistes du Valenciennois à la progression du FN va-t-elle se pérenniser ou va-t-elle connaître la même trajectoire déclinante ? L’enfermement sociétal qu’entraîne ce qu’on peut appeler l’ancrage culturel communiste risque de s’avérer défavorable au PCF.

36En effet, bien plus que l’hypothétique transfert massif du vote PC vers le vote FN, le lent déclin que connaît le PCF dans le Valenciennois semble trouver sa source dans l’immersion originelle du PCF dans le monde ouvrier de la vieille industrie.

L’érosion d’un ancrage communiste ancien

37L’ancienneté de l’implantation communiste en cet arrondissement du Valenciennois explique l’importance du domaine municipal communiste d’aujourd’hui et la profondeur de l’ancrage communiste, que l’on peut qualifier « d’anthropologique ». Ces deux dimensions ont pour particularité de constituer une force, mais aussi une faiblesse.

Un « domaine municipal » communiste en rétraction

38En cet arrondissement du Valenciennois, nous nous trouvons au sein d’une zone où le PCF a de très fortes racines, ce dont témoignent l’importance, la densité et l’ancienneté du « domaine municipal ». La situation de la 19^e circonscription représente, à cet égard, une bonne illustration. Avec quinze municipalités communistes, dont la plupart sont ce qu’on appelle communément des « bastions communistes », mais que nous préférons personnellement désigner par la notion de territoires de domination communistes 31, cette 19^e circonscription (avec la 16^e circonscription du Douaisis) représente la zone de plus forte concentration communiste du département du Nord. En 1997, plus de 69 % des électeurs inscrits de cette 19^e circonscription vivent dans une commune d’obédience communiste. Dans le canton de Denain ce pourcentage s’élève même jusqu’à 86 % des électeurs inscrits. Le maintien de cet important « domaine municipal » se fonde sur l’ancienneté de l’implantation du PCF. Sur les 21 municipalités de l’arrondissement qui demeurent communistes en 1997, 14 d’entre elles, soit 67 %, sont communistes depuis au moins 1945. Cette proportion s’élève à 80 %, soit 12 municipalités sur 15, dans la 19^e circonscription.

39Ces caractéristiques expliquent que l’influence du domaine municipal constitue d’abord une force pour le PCF. Ainsi, dans certaines communes, le candidat communiste peut atteindre et même dépasser les 40 %, voire les 50 %, des suffrages exprimés au premier tour, et ce malgré l’existence de 10 candidats. C’est par exemple le cas à Escaudain (avec 39,9 %), à Avesnes-le-Sec (avec 48,7 %) ou encore à Rœulx (où le PC atteint son record de la circonscription avec 53,6 %). Ce dernier score s’explique aussi par la stratégie notabiliaire32 du Parti communiste, selon laquelle le PCF privilégie de plus en plus le choix d’un maire communiste pour ses candidatures à la députation, afin de bénéficier de l’influence qu’exerce la forte implantation de ses élus locaux et ainsi de maximiser ses chances de victoire.

40Depuis 1988, le PCF tend à présenter de plus en plus systématiquement des suppléants et des candidats à la députation détenant un mandat de maire ou tout au moins de conseiller municipal. En 1997, les trois candidats suppléants communistes sont maires33. Parmi les candidats à la députation on trouve un maire, le député sortant Alain Bocquet (maire de Saint-Amand depuis les élections municipales de 1995), un maire-adjoint, Patrick Leroy (candidat potentiel à la succession du maire de Denain, âgé, en 1997, de 75 ans) et un conseiller municipal, Fabien Thiémé à Marly (candidat malheureux aux élections municipales de 1995). L’exemple de Saint-Amand, dans la 20^e circonscription, montre tout le profit que peut tirer le Parti communiste de cette stratégie. Dans cette ville, le PCF passe de 32,8 % des suffrages exprimés, au premier tour des législatives de 1993, à plus de 48 %, en 1997, soit un gain de 15,5 points en quatre ans. Au second tour le PCF y gagne aussi près de 13 points (près de 70 % contre 51,3 %). Ces scores sont à rapprocher de la progression communiste dans la 20^e circonscription, entre 1993 et 1997.

41Cependant, cette force que représente l’importance du « domaine municipal » communiste porte en elle même sa propre faiblesse. Certes, l’importance de plus en plus grande des maires communistes ne se traduit pas actuellement dans le Valenciennois, et contrairement à ce qui se passe dans d’autres régions34 de France, par des phénomènes de dissidence de maires. Mais, il n’en reste pas moins que les pertes de municipalités communistes depuis 1983 et la stratégie gérontocratique de l’appareil du PCF35, tendant à maintenir le plus longtemps possible en place leurs élus, fragilisent le Parti communiste.

Tableau 5 L’évolution du nombre de municipalités communistes dans le Valenciennois 1977-1995

42De 1977 à 1995, et à l’instar de ce qui se passe en France36, le nombre de municipalités communistes dans le Valenciennois n’a cessé de diminuer pour atteindre le chiffre de 21, soit une perte de 30 % du « domaine municipal ». Si pendant cette période le PCF a gagné 2 nouvelles municipalités (Saint-Amand et Bouchain, en 1995), il n’a jusqu’à présent réussi à regagner aucune des municipalités perdues depuis 1983.

43L’importance que recèle pour le Parti communiste la détention de mandats électifs a pour conséquence la volonté de la fédération communiste du Nord de chercher à maintenir le plus longtemps possible ses élus en place, et parfois le choix de candidats âgés mais à la notoriété bien assise, ceci au risque de fragiliser l’assise du PCF en cas de décès de ses élus. Dans cette perspective, le reflux que connaît le PCF dans la 19^e circonscription ne s’explique pas uniquement par des raisons proprement conjoncturelles, comme pourrait nous le faire penser une approche sur le court terme, mais doit être interprété sous l’angle de la stratégie gérontocratique communiste. De 1988 à 1997, le PCF a perdu près de 16 points de suffrages exprimés, pour atteindre 33,2 %, en 1997. Les décès successifs de Gustave Ansart en 199037, (député depuis 1973), et plus récemment de René Carpentier en juin 199738 soulignent le danger d’une stratégie reposant avant tout sur les élus. Le rajeunissement contraint que représente la candidature à la députation, à l’âge de 47 ans, de Patrick Leroy, ne doit pas nous faire oublier la septième candidature de Georges Hage, à 76 ans, dans la circonscription limitrophe du Douaisis (la 16^e circonscription). Cette importance du nombre d’élus âgés trouve une partie de son explication dans le fondement anthropologique de la présence communiste.

La crise d’un communisme au fondement anthropologique

44L’ancienneté d’une implantation communiste particulièrement dense, dans une zone marquée par la vieille industrie et par la domination du monde ouvrier, explique dans une large mesure, la pérennisation de l’influence communiste, lors des élections législatives de 1997, dans d’anciens territoires de domination communiste. Ainsi en est-il de Bruay-sur-Escaut, Fresnes-sur-Escaut et Bruille-Saint-Amand, où le PCF a perdu la municipalité au plus tôt en 1989, mais où il réussit à dépasser les 40 % des suffrages exprimés dès le premier tour.

45Il en va de même de certaines municipalités socialistes, qui votent traditionnellement communiste lors des législatives, telles Anzin et Beuvrages dans la 20^e circonscription, où le candidat communiste se trouve en tête, loin devant le candidat socialiste avec respectivement 32,8 % et 39,6 % en faveur du PCF, contre moins de 23,5 % et 21,1 % pour le PS.

46Pour autant, les résultats du PCF dans certaines communes d’obédience communiste ou anciennement d’obédience communiste indiquent, derrière le maintien global des scores des législatives de 1993, la permanence du phénomène de déclin électoral. Ainsi en est-il d’Aulnoy-les-Valenciennes (– 6,7 points) et d’Onnaing (– 8,2 points), dont le maire est toujours communiste, ou encore d’Haspres (– 8,9 points), dont la municipalité a été perdue par le Parti communiste en 1983, mais qui a toujours donné le meilleur de ses scores au PCF à chacune des élections législatives jusqu’en 1997 inclus. Dans ces trois cas, l’évolution profite au Parti socialiste qui voit ses scores progresser de + 7,1 points (Haspres) à + 12 points (Aulnoy-les-Valenciennes). Dans cette dernière commune le PS double quasiment son score de 1993 pour se trouver à moins de 2,5 points du PCF (26,2 % au profit du PS contre 28,6 % au PC).

47Nous dressons l’hypothèse selon laquelle l’hémorragie continue, que connaît le PCF depuis de nombreuses années, ne résulte pas en tant que telle de son ancrage ouvrier, comme on a trop souvent tendance à le dire, mais plus précisément de ce que son assise repose sur un certain type de monde ouvrier, marqué avant tout par la vieille industrie (complexe sidérurgico-métallurgique et certaines poches minières)39. L’existence de mono-industries locales, la forte homogénéité du monde ouvrier étaient telles, dans cette zone, que cette activité industrielle a représenté longtemps le seul horizon mental des populations concernées. Cet enfermement perdure au sein même des nouvelles générations40. Il est tel, que le destin de la vieille industrie paraît lié aux autres dimensions des territoires de domination communiste (dimension sociale, politique, culturelle) par une communauté d’appartenance que rien ne semble pouvoir séparer. Cette particularité explique aussi dans une large mesure le maintien d’un nombre important de maires âgés, qui appartenaient dans leur grande majorité au monde de la sidérurgie-métallurgie ou encore de la mine.

48Ce reflux prononcé du dispositif communiste semble confirmer l’hypothèse d’Yves Lequin41, selon laquelle la tradition politique et culturelle reposant sur des groupes sociaux nés de l’industrialisation porterait en elle-même sa propre finitude, en raison de la propre volatilité de ces groupes sociaux. Figeant la société ouvrière et se figeant lui-même dans une posture ouvriériste relevant de la société industrielle du début du siècle, le communisme électoral s’y trouve proprement enfermé. Ce qui fondait la domination du PCF devient, ainsi, sa faiblesse.

49Les poussées successives du Front national en ces terres communistes, hier encore rétives à son avancée, constituent un autre indicateur de la profonde crise qui les secoue. Après l’ébranlement qu’a connu le Parti communiste aux législatives de 1993, les législatives de 1997 marquent, ainsi, un retour du PCF « à la somnolence » (selon l’expression du démographe Hervé Le Bras42, et confirment, ce faisant, le processus de déclin du communisme électoral.

*

50Les élections qui se déroulent dans le temps ne correspondent pas à une simple juxtaposition d’événements plus ou moins indépendants. Elles se rapportent, au contraire, à une histoire plus ou moins lointaine, plus ou moins complexe qui intègre dans le temps les différents types d’élection. Elles forment une continuité, qu’il est nécessaire de prendre en compte si l’on veut appréhender le phénomène électoral dans sa complexité.

51L’étude que nous avons menée à propos des élections législatives de 1997, dans cette terre historique du communisme qu’est le Valenciennois, l’illustre parfaitement. La seule prise en compte de la courte durée, exprimée par la période 1993-1997, occulte la trajectoire déclinante du communisme électoral qui relie les résultats électoraux des législatives de 1978 à 1997. Cette perspective de la moyenne durée, bien que nécessaire, n’est pas pour autant suffisante. Elle requiert, pour tenter de comprendre les ressorts de ce processus, de considérer le temps long du culturel. C’est à partir du triptyque « courte, moyenne et longue durée », cher à Fernand Braudel, dans le cadre d’une approche au niveau local, que le politiste pourra tenter d’appréhender toute l’épaisseur de la réalité électorale.