1La dissolution d’avril 1997 est la première dissolution manquée de la 5^e République. Quatre ans après sa défaite de 1993, et deux ans après la victoire de Jacques Chirac, elle aura permis à la gauche de revenir au pouvoir.

2Nulle vague rose, certes, en 1997 : contrairement à 1981, le PS ne dispose pas, au soir du 2^e tour, de la majorité absolue à l’ Assemblée Nationale. Comme en 1988, les socialistes doivent compter avec leurs alliés pour disposer d’une majorité à l’Assemblée Nationale.

3Dans le département du Pas-de-Calais également, 1997 efface 1993. Pourtant, et en dépit des bouleversements électoraux, la géographie électorale du département reste étonnement stable (I). Les mouvements électoraux enregistrés au plan national sont perceptibles à l’échelle de la circonscription, même si des considérations locales sont susceptibles de les amplifier ou de les atténuer (II). Au soir du second tour, la droite, qui avait réussi à enlever sept circonscriptions il y a quatre ans, ne conserve que deux députés, tandis qu’avec douze élus, le PS réédite sa performance de 1988. Il faut pourtant se méfier des comparaisons en trompe-l’œil. En dépit des apparences, le PS n’a pas recouvré ses positions de 1988 (III) : la reconquête des sièges qu’il avait du abandonner en 1993 masque, en réalité, un recul sensible de son influence électorale (IV).

I – Un vote géographiquement structuré

4De 1993 à 1997, la physionomie électorale du Pas-de-Calais a été bouleversée. La gauche progresse fortement, les écologistes s’étiolent, la droite s’effondre et le Front national se renforce. Mais, en dépit d’importants mouvements électoraux, la géographie électorale du Pas-de-Calais évolue peu. On constate notamment que les zones de force et de faiblesse des principales forces politiques restent identiques (tableau 1).

5Avec 14,84 % des suffrages exprimés, le Parti communiste fait légèrement moins bien qu’en 1993 (16,22 %), mais il est vrai qu’il avait choisi de s’effacer devant des candidats du Mouvement des Citoyens dans deux circonscriptions du département (2^e et 8^e). Le Pas-de-Calais continue donc d’être une terre favorable au vote communiste, puisque le score du PC y dépasse de 5 points sa moyenne nationale. La géographie départementale du vote communiste ne varie guère et reste très typée : les candidats communistes dépassent les 20 % des suffrages exprimés dans les cinq circonscriptions du bassin minier (10^e à 14^e). Ils réalisent un score proche de leur moyenne départementale dans les circonscriptions portuaires de Boulogne (5^e) et Calais (7^e), ainsi que dans celle de Béthune (9^e). Enfin, l’influence du Parti communiste reste faible dans les zones rurales du département, avec des scores compris entre 6,5 et 10,5 % (1^re, 3^e, 4^e et 6^e). Ces contrastes importants se traduisent par un écart-type élevé (7,77) au regard de sa moyenne départementale (14,84 %).

6Comme il y a cinq ans, la géographie du vote UDF-RPR est rigoureusement inverse à celle du PC. Les candidats de l’ancienne majorité perdent, en moyenne, près de 5 points par rapport au précédent scrutin : sur l’ensemble du département, l’UDF et le RPR totalisent à peine 22 % des suffrages exprimés, soit 10 points de moins que leur moyenne nationale. Comme en 1993, ils réalisent leurs meilleurs scores dans la partie rurale du Pas-de-Calais (ils font plus de 30 % dans trois circonscriptions : 3^e, 4^e et 8^e). En revanche, leurs résultats sont extrêmement faibles dans le bassin minier, où ils ne dépassent jamais 16 % des suffrages exprimés. L’hétérogénéité du vote UDF-RPR se traduit également par un écart-type élevé (10,57).

7C’est dans le bassin minier, justement, que le Front National réalise ses meilleurs scores. Sur l’ensemble du département, le parti de Jean-Marie Le Pen totalise plus de 13 % des suffrages exprimés, progressant de plus de 3 % par rapport à 1993. Si le FN reste, dans le Pas-de-Calais, en deçà de ses résultats nationaux, on note toutefois que ses candidats franchissent la barre des 15 % des suffrages exprimés dans quatre circonscriptions (11^e à 14^e), arrivant même à devancer le candidat UDF-RPR à trois reprises (11^e à 13^e). Toutefois, comme en 1993, le Front National a une influence électorale relativement étale, puisqu’il obtient moins de 10 % des suffrages exprimés que dans une seule circonscription (3^e). Cela se traduit par un faible écart-type (2,86).

8Le Parti Socialiste totalise, avec le Parti Radical-Socialiste, 32,52 % des suffrages exprimés dans le Pas-de-Calais, soit une progression de près de cinq points depuis 1993. Dix de ses quatorze candidats réalisent un score compris entre 30 % et 40 %. Et, à l’exception de la circonscription de Boulogne-ville (5^e), où son candidat devait affronter Guy Lengagne (maire DVG de Boulogne), le PS fait mieux que sa moyenne nationale (25,50 %) dans l’ensemble des circonscriptions de ce département. Le caractère étal du vote socialiste se traduit, comme en 1993, par un écart-type assez faible (6 %) eu égard à l’importance de sa moyenne départementale.

9L’électorat écologiste présente également la particularité d’être géographiquement peu contrasté. Alors que les candidats écologistes, toutes tendances confondues, frôlaient les 10 % en 1993, ils ne totalisent que 5,42 % quatre ans plus tard. Leur score est partout compris entre 4 % et 7 %, à une exception près (4^e). Le vote écologiste n’a jamais été dicté par des considérations locales. La faiblesse de l’écart-type (1,14) le confirme.

II – Le premier tour : le poids du national, la part du local

10Pour donner du sens aux résultats de 1997, il est nécessaire de les resituer dans la chaîne des consultations électorales et de les comparer notamment aux résultats des élections législatives précédentes. Le tableau 2 montre ainsi que l’évolution du comportement politique des électeurs du Pas-de-Calais depuis 1993 est d’abord dictée par des considérations nationales. A l’exception du Parti communiste, qui recule de plus de 1 %, l’évolution des grandes forces politiques est, dans ce département, proche de leur évolution nationale. Encore faut-il noter que, dans les douze circonscriptions où il est présent le PCF recueille 17,25 % des suffrages exprimés, soit une légère progression par rapport à 19931.

11Mais, pour appréhender la dimension locale du scrutin, il faut aussi comparer les résultats de 1997 avec ceux du 1^er tour de la Présidentielle de 1995 : étudier le résultat des élections législatives (qui sont aussi des élections locales, en raison du mode de scrutin) à l’aune de l’élection présidentielle (qui est d’abord un scrutin national) présente l’avantage de fournir un référent unique, qui permet de distinguer, dans chaque circonscription, ce qui tient du singulier de ce qui relève d’un phénomène plus général.

Le Parti communiste

12Le tableau de l’évolution du vote communiste depuis la Présidentielle de 1995 (tableau 3) est d’une grande clarté. Il met en évidence la qualité de l’implantation communiste dans le bassin minier, puisque les cinq circonscriptions de celui-ci (10^e à 14^e) sont celles où il progresse le plus par rapport à la présidentielle de 1995. Le PC enregistre sa plus forte progression dans la seule circonscription qu’il détenait (11^e), où Rémy Auchedé fait presque 9 points de mieux que Robert Hue. On note également que les candidats communistes améliorent le score de leur secrétaire national dans les deux circonscriptions portuaires de Calais (7^e) et Boulogne-ville (5^e), ainsi que dans celle de Béthune (9^e). En revanche, ils font moins bien que lui dans les circonscriptions rurales du département (1^re, 3^e et 6^e). La carte du rebond communiste est donc la même que celle du vote communiste. La leçon à en tirer est claire : plus le PC est fort, meilleure est sa capacité de rebond.

13Mesurée cette fois à l’aune du scrutin législatif de 1993, l’évolution du vote communiste est particulièrement homogène. Le PC améliore ses positions dans huit des douze circonscriptions où il présentait un candidat. Toutefois, le rebond communiste ne dépasse jamais 4 points, y compris dans la 11^e circonscription, reconquise par Rémy Auchedé en 1993 : ce dernier ne progresse que de 1,56 % depuis 1993, où il avait déjà réalisé un score remarquable, ce qui est insuffisant pour devancer au 1^er tour le candidat socialiste, porté cette fois par la « vague rose ». Le Parti communiste est certes en recul dans quatre circonscriptions, mais son influence ne diminue de façon sensible que dans la 7^e circonscription, où Jean-Jacques Barthe, maire (PC) de Calais avait choisi, cette fois, de ne pas se présenter.

Le Parti socialiste

14Le tableau de l’évolution du vote socialiste (tableau 4) est riche d’enseignements : les circonscriptions conservées par le PS en 1993 sont celles où ses candidats enregistrent, lors des dernières législatives, la plus forte progression par rapport au score réalisé en 1995 par Lionel Jospin au 1^er tour de la Présidentielle. On note deux exceptions : la 9^e circonscription, où Bernard Seux, entré au Parlement en cours de législature, progresse moins que les autres députés sortants socialistes ; la 8^e circonscription, conquise par le RPR en 1993, où le PS gagne près de 13 points par rapport à 1995. Mais il faut souligner qu’il s’agit de l’ancienne circonscription de Roland Huguet, président du conseil général. En revanche, les candidats socialistes progressent peu dans la 11^e circonscription (détenue par le PC), dans la 14^e circonscription (conquise par Jean Urbaniak en 1993) et dans la 2^e circonscription (où se présentait un candidat MDC, qui arrive à mordre sur une frange de l’électorat socialiste). Et la candidate socialiste fait moins bien que Lionel Jospin dans la 5^e circonscription, où se présentait également Guy Lengagne. La capacité de rebond du PS est donc étroitement liée à des phénomènes notabiliaires.

15L’analyse des scores des candidats socialistes au regard des élections législatives de 1993 permet de mesurer l’impact des variations de l’offre électorale sur le comportement des électeurs. Les candidats PS étaient, en 1997, confrontés à des candidats divers gauche, ou à des dissidents, dans quatre circonscriptions. Ils devaient faire face à un représentant du Mouvement des Citoyens, soutenu par le Parti communiste, dans les 2^e et 8^e circonscriptions. Dans la seconde circonscription notamment, le duel entre Catherine Génisson (PS) et J.-M. Alexandre (MDC) s’annonçait incertain. Mais, dans l’un et l’autre cas, le candidat du MDC dut se contenter de l’électorat traditionnel du PC, sans être en mesure de mordre de façon significative sur l’électorat socialiste. Ainsi, dans la 8^e circonscription, le représentant du mouvement de Jean-Pierre Chevènement obtient 4,5 %, soit approximativement le score réalisé par le candidat communiste en 1993, tandis que Michel Lefait (PS) progresse, lui, de plus de 8 points. Dans la 2^e circonscription, le PS avait tout à craindre de la candidature de J.-M. Alexandre, maire de Souchez et ancien député européen. Mais, avec 23 % des suffrages exprimés, celui-ci n’améliore que de 6 points le score obtenu par le candidat communiste en 1993, tandis que Catherine Génisson gagne près de 4 points par rapport au score réalisé il y a quatre ans par le candidat socialiste... qui n’était autre que J.-M. Alexandre lui-même.

16Dans la 5^e circonscription (Boulogne-ville), la situation était particulièrement complexe. En 1993, Guy Lengagne, ancien ministre et ancien maire de Boulogne-sur-Mer, avait perdu la circonscription au profit de Jean-Pierre Pont (UDF). Exclu du PS, il avait néanmoins réussi à reconquérir la mairie de Boulogne à l’automne 1996, à la faveur d’une élection partielle, en devançant notamment Dominique Dupilet, qui bénéficiait pourtant de l’investiture socialiste. A l’occasion des élections législatives, Guy Lengagne était bien décidé à reconquérir son siège de député. Le PS, de son côté, avait choisi cette fois d’investir Thérèse Guilbert, adjointe au maire d’Outreau. Ce duel fratricide tourne à l’avantage de Guy Lengagne, qui devance au 1^er tour sa concurrente socialiste de 3 %. En recueillant 17,65 % des suffrages exprimés, Thérèse Guilbert abandonne plus de 11 points par rapport au score réalisé en 1993 par Guy Lengagne, qui portait à l’époque les couleurs du PS.

17Dans la 6^e circonscription (Boulogne-campagne), Dominique Dupilet a visiblement souffert de sa rivalité avec Guy Lengagne et surtout, de la candidature d’un humoriste local, François Dubout, puisqu’il ne parvient pas à améliorer son score par rapport à 1993.

18Au total, le PS progresse dans onze circonscriptions sur quatorze. Le rebond socialiste est particulièrement spectaculaire en dehors du bassin minier. Jean-Pierre Defontaine, député sortant, gagne près de 10 % (1^re). André Capet, ancien député (1993-1988) qui, cette fois, ne devait plus affronter Jean-Jacques Barthe (PC), progresse de plus de 9 % (7^e). Michel Lefait améliore son score de 1993 de plus de 8 %, dans l’ancienne circonscription du président du conseil général, Roland Huguet (8^e). Danielle Lhomme réalise une performance identique, dans la circonscription de Léonce Déprez (4^e). Mais c’est dans la 3^e circonscription que les socialistes progressent de la façon la plus spectaculaire, en gagnant plus de 12 % face à Philippe Vasseur. Le rebond socialiste est moins net dans le bassin minier. Si Jean-Claude Bois (13^e) améliore son score de près de 8 % et si Serge Janquin (10^e) progresse de près de 10 % par rapport à 1993, où il succéda à Marcel Wacheux, les gains de Marcel Cabiddu, candidat pour la première fois (11^e), et de Jean-Pierre Kucheida (12^e) sont plus faibles, tandis que ceux d’Albert Façon (14^e) sont presque nuls. Le PS recule tout de même dans trois circonscriptions : outre les 5^e et 6^e circonscriptions, son audience décroît dans l’ancien fief de Jacques Mellick (9^e).

La droite républicaine

19Par rapport au scrutin de 1993, la droite républicaine (UDF, RPR et DVD) est, partout, en repli. Son recul est relativement uniforme, puisqu’elle abandonne de 6 à 10 % dans huit circonscriptions sur quatorze (tableau 5). Son recul est un peu plus marqué dans la 1^ere et, surtout, dans la 12^e circonscription, où le FN et le PC enregistrent leur plus forte progression ; une fraction de l’électorat conservateur, peu confiant dans les chances de son champion, a sans doute été enclin à voter FN ; une autre n’a pas hésité à rallier le candidat communiste, dans le secret espoir de faire vaciller Jean-Pierre Kucheida. En fait, la droite ne limite vraiment ses pertes que dans quatre circonscriptions : à Montreuil, où Léonce Déprez, n’avait plus, comme en 1993, à affronter un candidat « chasseur » (4^e) ; à Béthune, où le retrait de Jacques Mellick offre un peu d’air au candidat UDF (9^e) ; à Nœux-les-Mines, où le candidat UDF, Dominique Josien, a conquis la mairie de Beuvry en 1995 (11^e) ; et enfin, à Hénin-Beaumont, où Jean Urbaniak, député sortant (DVD), parvient à maintenir son influence (14^e).

20Le précédent scrutin avait été marqué par l’élection de sept élus de droite, dans un département traditionnellement ancré à gauche. La question essentielle, à la veille du premier tour, consistait à savoir si les députés de droite, élus grâce au raz-de-marée de 1993, avaient réussi à s’implanter pour résister à la remontée mécanique de la gauche. La comparaison avec les résultats du 1^er tour de l’élection présidentielle fournit un bon instrument de mesure. Dans l’ensemble du département, les candidats UDF-RPR et divers droite perdent en moyenne 9,53 % par rapport aux scores cumulés de Jacques Chirac, Edouard Balladur et Philippe de Villiers d’avril 1995. Cette baisse est sensiblement supérieure à celle enregistrée au niveau national, ce qui révèle un faible ancrage de la droite parlementaire dans le département. Surtout, son effritement n’est pas uniforme. Le tableau 5 montre que les quatre circonscriptions où la droite résiste le mieux par rapport à 1995 sont des circonscriptions où elle fut victorieuse lors des précédentes élections législatives ; les cinq circonscriptions où ses pertes sont les plus importantes sont des circonscriptions où elle fut battue. Si l’on examine plus attentivement ce tableau, on peut classer les circonscriptions du Pas-de-Calais en trois catégories.

• La première catégorie regroupe les circonscriptions où la droite résiste bien, avec des pertes inférieures à 3 points par rapport au 1^er tour de la Présidentielle : il s’agit des circonscriptions de Philippe Vasseur (3^e) et Léonce Déprez (4^e), députés depuis 1986, ainsi que de celle conquise en 1993 par Jean Urbaniak (14^e).
• Dans la seconde figurent celles où la droite résiste de façon médiocre, avec des pertes comprises entre 6 et 12 points par rapport à 1995 : on y trouve quatre des cinq circonscriptions ayant basculé à droite en 1993 (8^e, 2^e, 7^e et 5^e), ainsi que deux circonscriptions de gauche (9^e et 1^re), dont l’une a changé de titulaire en cours de législature (9^e, détenue par Bernard Seux, qui a succédé à Jacques Mellick à l’occasion d’une élection partielle).
• La troisième catégorie regroupe les circonscriptions où la droite s’effondre en perdant plus de 12 points par rapport au scrutin d’avril 1995. Y figurent cinq circonscriptions traditionnellement acquises à la gauche, que la droite n’avait pas réussi à conquérir en 1993 (11^e, 10^e, 6^e, 13^e et 12^e).

21En d’autres termes, si le fait d’être ou non sortant influe directement sur la capacité du candidat de droite à résister, cela n’explique pas tout. Sa faculté à résister est aussi fonction de l’ancienneté de son implantation (ou de celle de son adversaire). Ainsi, les deux circonscriptions conquises dès 1988 (3^e et 4^e) appartiennent à la catégorie des circonscriptions où la droite résiste le mieux. Les circonscriptions conquises en 1993 figurent majoritairement dans la seconde catégorie. Les circonscriptions fortement ancrées à gauche forment l’essentiel de la troisième catégorie.

22On peut donc dire, de façon schématique, que la droite résiste correctement dans ses bastions, qu’elle résiste médiocrement dans les terres récemment conquises, et qu’elle s’effondre dans ses terres de mission2. Cette capacité différentielle à résister pèse bien évidemment sur le résultat de l’élection. C’est elle qui permet à la droite de vaincre dans la 4^e circonscription, où Léonce Déprez ne l’emporte que de 257 voix, voire, dans une moindre mesure, dans la 3^e circonscription, où Philippe Vasseur n’est élu au second tour qu’avec 53,42 % des suffrages exprimés. Toutefois, une bonne capacité à résister ne suffit pas toujours à assurer la victoire. L’état du rapport gauche/droite est souvent déterminant, comme l’illustre parfaitement le cas de la 14^e circonscription : Jean Urbaniak est le seul, parmi les députés de droite élus pour la première fois en 1993, à résister aussi bien que Philippe Vasseur ou Léonce Déprez, mais le rapport de forces est, dans sa circonscription, trop favorable à la gauche pour lui permettre de triompher à nouveau.

Le Front National

23Enfin, le Front National améliore partout ses scores de 1993. Ses progrès sont surtout sensibles dans le bassin minier, où il progresse parfois de plus de 4 % (12^e, 13^e et 14^e). En revanche, ses gains sont moins importants dans le reste du département, et notamment dans les circonscriptions détenues par la droite (il enregistre sa progression la plus faible dans la 3^e circonscription, fief de Philippe Vasseur).

24En revanche, le Front National recule de façon sensible par rapport à 1995 (– 2,23 %), alors qu’il est presque stable au niveau national. Ce recul affecte toutes les circonscriptions, sans exception. Il est relativement homogène, puisque le parti de Jean-Marie Le Pen perd partout entre 1 et 3 %, à l’exception de la 14^e circonscription où il abandonne plus de 4 %. Les élections législatives sont traditionnellement des élections difficiles pour le Front National, qui éprouve souvent des difficultés à retrouver les niveaux atteints à l’occasion de l’élection présidentielle ou des élections européennes. Or, cette fois-ci, les candidats du Front National ont réussi à rééditer la performance de Jean-Marie Le Pen au premier tour de la dernière élection présidentielle (15 %). Le Pas-de-Calais fait exception à la règle, probablement parce que la percée du Front National s’y est opérée plus lentement et plus tardivement qu’ailleurs.

III – Le second tour, confirmation du premier tour

25Contrairement à 1993, aucun candidat ne fut élu au soir du 1^er tour. Un second tour fut donc nécessaire dans les quatorze circonscriptions du département. Dans neuf cas, le second tour opposa un candidat PS (ou PRS) à un candidat UDF ou RPR (1^re à 9^e). Le candidat socialiste se retrouva seul en lice au second tour, après désistement du candidat communiste arrivé en seconde position, dans quatre circonscriptions (10^e à 13^e). Enfin, une triangulaire opposa un socialiste, un divers droite et un frontiste dans la 14^e circonscription.

26Le tableau 6 montre que les résultats du 1^er tour laissaient déjà entrevoir l’issue du 2^e tour dans les neuf circonscriptions à duel droite/gauche. La gauche n’a réussi à enlever aucune des deux circonscriptions qui semblaient promises à la droite à l’issue du 1^er tour (3^e et 4^e) ; elle l’a emporté dans toutes les circonscriptions où le 1^er tour lui avait été favorable (1^re, 2^e, 5^e à 9^e). Mesurer l’écart entre le « potentiel gauche 1^er tour » et le résultat réel de la gauche au 2^e tour permet aussi d’avoir une idée plus précise sur la façon dont les reports de voix se sont opérés par circonscription. Le « potentiel gauche » a été calculé à l’aide des matrices de reports de voix du sondage post-électoral SOFRES réalisé pour le CEVIPOF, le CIDSP et le CRAPS. Le tableau suivant se lit comme suit : sur 100 électeurs ayant voté pour un candidat d’extrême gauche au premier tour, 71 ont voté à gauche au second tour, 20 ont préféré voter à droite, et 9 se sont abstenus.

Matrice de reports du sondage post-électoral SOFRES réalisé pour le CEVIPOF, le CIDSP et le CRAPS (Libération, 3 juin 1997)

27Appliquée aux résultats du premier tour observés dans le département du Pas-de-Calais, cette matrice de reports permettait de pronostiquer a posteriori les résultats du second tour. Au-delà de l’anecdote, la comparaison de ce « pronostic » avec les résultats réels du scrutin offre la possibilité d’en savoir plus sur la façon dont les reports de voix se sont opérés circonscription par circonscription. Par hypothèse, plus le résultat réel s’éloigne du résultat attendu, plus la logique locale du report des voix s’éloigne de la logique nationale : un écart positif signifie que, localement, les reports à gauche ont été meilleurs qu’au plan national (et, qu’inversement les reports à droite ont été moins bons) ; au contraire, un écart négatif signifie que les reports à gauche se sont moins bien effectués qu’au niveau national. En fait, cet écart est inférieur à + ou – 3 % dans sept circonscriptions sur neuf. La mécanique nationale des reports de voix n’est donc véritablement perturbée que dans deux cas : dans la 5^e circonscription, où la gauche abandonne près de 6 % par rapport à son potentiel électoral du 1^er tour ; dans la 9^e circonscription, où elle gagne près de 4 %. Ainsi, dans la 5^e circonscription, Guy Lengagne est loin de récupérer l’intégralité des voix qui s’étaient portées sur la candidate socialiste au 1^er tour. Dans la 9^e circonscription, Jean-Pierre Deruelle (UDF) ne parvient pas à attirer la totalité des électeurs qui avaient voté pour Marie-France Deleflie (DVD). Mais gare aux effets en trompe-l’œil. Les primaires ne sont pas forcément un handicap. Ainsi, dans la 5^e circonscription, le total des scores recueillis par Guy Lengagne et Thérèse Guilbert dépasse de 13,44 % le résultat de Lionel Jospin au 1^er tour de la Présidentielle. Aucun candidat socialiste ne fait aussi bien dans le Pas-de-Calais (pour mémoire, les candidats socialistes améliorent en moyenne la performance de Lionel Jospin de 7,34 %). Au second tour, cependant, le candidat qui reste en lice ne parvient pas à capitaliser ce potentiel électoral. Tout se passe comme si la primaire permettait de doper temporairement les performances de la gauche, son bénéfice s’évanouissant au soir du 2^e tour. Le même raisonnement vaut pour la droite, dans la 9^e circonscription.

28Le tableau 7 met en perspective les scores du 2^e tour des législatives de 1997 avec ceux du 2^e tour de la Présidentielle de 1995. Il confirme les observations formulées au vu des résultats du 1^er tour. Les circonscriptions où la gauche progresse le plus sont les trois qu’elle avait réussi à conserver en 1993 (1^re, 9^e et 6^e). Les circonscriptions où la droite résiste le mieux sont celles qu’elle avait conquise de longue date (3^e et 4^e). Les députés de droite élus pour la première fois en 1993 perdent entre 1,7 % et 5,7 % par rapport au score de Jacques Chirac de 1995 (2^e, 5^e, 7^e et 8^e). Leurs résultats sont conformes à la moyenne d’évolution observée entre le second tour de la présidentielle et le second tour des législatives dans les circonscriptions à duel gauche/droite (– 3,6 %).

IV – En guise de conclusion : Un retour à la situation de 1988 ?

29Au soir du second tour, la physionomie politique du département du Pas-de-Calais est strictement identique à celle de 1988. Le PS compte à nouveau douze députés ; la droite n’a plus que deux élus ; le PC n’a pas de représentation parlementaire. Mieux, les circonscriptions que le PS a « laissées » à la droite sont les deux mêmes qu’il y a neuf ans (3^e et 4^e). Pourtant, la situation politique a profondément changé dans le Pas-de-Calais : pour ne donner qu’un seul chiffre, le PS, qui rassemblait près d’un électeur sur deux en 1988 (48 % des suffrages exprimés au 1^er tour), en attire moins d’un sur trois neuf ans plus tard (32,5 %). Il est vrai que, dans le même temps, le PS perdait plus de 10 points au plan national.

30Si l’on fait abstraction des variations électorales nationales, on s’aperçoit, grâce aux tableaux 8-1 à 8-4, que, entre 1988 et 1997, l’influence relative du PS s’est effritée, tandis que celle des autres grandes forces politiques demeurait stables.

31Ainsi, le PC parvient, comme en 1988, à faire 5 points de mieux dans le Pas-de-Calais qu’au plan national. La droite UDF-RPR est toujours 9 points en dessous de sa moyenne nationale. Le FN continue à faire légèrement moins bien dans le Pas-de-Calais qu’ailleurs. En fait, le PS est la seule force politique dont l’influence relative a évolué. L’écart entre sa moyenne départementale et sa moyenne nationale s’est considérablement rétréci : il était de 12 points en 1988 ; il n’est plus que de 7 points aujourd’hui. Ce déclin relatif s’est opéré au profit des « petits » candidats et des dissidents, et non des autres grandes formations politiques. Ainsi, en 1988, les petits candidats rassemblaient plus de 5 % des suffrages exprimés au plan national, alors qu’ils étaient absents du paysage politiques dans le Pas-de-Calais. Mais en 1993 et 1997, ils rassemblèrent autant de suffrages dans le Pas-de-Calais que dans le reste du pays (tableau 9). L’influence relative des autres gran-des formations politiques étant stable, ce rattrapage s’est effectué aux dépens du PS. Autrement dit, ce sont principalement les candidats socialistes qui, en 1988, profitèrent de l’étroitesse de l’offre électorale dans le Pas-de-Calais ; ce sont eux qui, en 1993 et 1997, eurent à pâtir de la multiplication des candidatures.

32Le Parti Socialiste avait probablement bénéficié, en 1988, de l’absence de candidats écologistes dans le Pas-de-Calais. Il a symétriquement souffert de leur présence en 1993 et 1997. Le tableau 10 montre toutefois que cette explication trouve rapidement ses limites : l’amplitude du recul socialiste est telle (de – 5 % à – 27 %) qu’elle ne saurait être expliquée par la généralisation des candidatures écologistes, qui ne parviennent jamais à attirer plus de 7 % des suffrages exprimés en 1997 (tableau 1).

33En fait, le recul du PS par rapport à 1988 est particulièrement élevé dans les circonscriptions où, en 1997, son candidat était concurrencé par un candidat divers gauche (2^e, 5^e, 6^e et 8^e). Mais il serait abusif, pourtant, de vouloir expliquer le déclin relatif du PS uniquement par la prolifération des petits candidats ou des candidats dissidents. Les circonscriptions où le PS recule le plus sont aussi celles où la droite classique parvient à progresser (14^e, 8^e et 9^e), où le PC se redresse sensiblement (11^e, 12^e et 9^e), où la poussée du FN est la plus sensible (11^e et 12^e). Pour le Parti Socialiste, ceci n’est pas forcément rassurant, même si ce phénomène fut insuffisant, en 1997, pour ébranler ses bastions. Une nouvelle géographie politique du Pas-de-Calais est probablement en train de se dessiner.

Tableau 1 Le premier tour des élections législatives de 1997 dans le Pas-de-Calais (en % des suffrages exprimés)

Tableau 2 Evolution des comportements électoraux dans le Pas-de-Calais de 1993 à 1997 (élections législatives 1^er tour, en % des suffrages exprimés)

Tableau 3 Evolution du vote communiste dans le Pas-de-Calais de 1995 à 1997 (1^er tour) en % des suffrages exprimés (En gras, le député sortant communiste)

Tableau 4 Evolution du vote socialiste dans le Pas-de-Calais de 1995 à 1997 (1^er tour) en % des suffrages exprimés (En gras, les députés sortants socialistes)

Tableau 5 Evolution du vote UDF-RPR et DVD dans le Pas-de-Calais de 1995 à 1997 (1^er tour) en % des suffrages exprimé (En gras, les députés sortants UDF-RPR-DVD)

Tableau 6 Evolution de la gauche législative entre le 1^er et le 2^e tour des élections législatives de 1997

Tableau 7 Evolution des comportements politiques dans le Pas-de-Calais de 1995 à 1997 (2^e tour) (en % des suffrages exprimés)

Tableau 8-1 Le score du PC aux élections législatives de 1988,1993 et 1997 en France et dans le Pas-de-Calais (en % des suffrages exprimés)

Tableau 8-2 Le score du PS aux élections législatives de 1988,1993 et 1997 en France et dans le Pas-de-Calais (en % des suffrages exprimés)

Tableau 8-3 Le score des candidats UDF-RPR aux élections législatives de 1988,1993 et 1997 en France et dans le Pas-de-Calais (en % des suffrages exprimés)

Tableau 8-4 Le score du FN aux élections législatives de 1988,1993 et 1997 en France et dans le Pas-de-Calais (en % des suffrages exprimés)

Tableau 9 Le score des grandes formations politiques aux élections législatives de 1988,1993 et 1997 en France et dans le Pas-de-Calais (en % des suffrages exprimés)

Tableau 10 Evolution des comportements électoraux dans le Pas-de-Calais de 1988 à 1997 élections législatives 1^er tour (en % des suffrages exprimés)