1Les campagnes électorales ont longuement retenu l’attention de l’analyse électorale1. Celle-ci concentre une grande part de ses préoccupations sur le déroulement de la campagne, dans les quelques mois qui précèdent la date de l’élection. Ainsi, la question du rôle de l’information des électeurs retient-elle traditionnellement l’attention2, tout comme la question de l’élaboration d’un programme3, ou bien encore, la capacité des partis à construire des « coups » envers des ennemis ou des... amis4. Mais ces analyses laissent parfois un peu dans l’ombre les temporalités qui balisent le temps de la campagne.

2La maîtrise globale du calendrier électoral est une donnée centrale dans l’organisation d’une campagne. Et la date officielle de l’ouverture de la campagne n’apparaît dans cet ensemble que comme une simple étape. L’organisation générale d’une campagne tient compte du point central, à savoir l’élection, qui souvent conditionne l’élaboration d’une planification à rebours. A partir de cette date butoir, on fixe certaines échéances qui conditionnent le déroulement prévisible du temps de la campagne et des principales étapes qui doivent l’animer. Il faut tout à la fois structurer les débats internes au mouvement (les axes programmatiques), coordonner les négociations avec les partenaires éventuels, construire sa propagande électorale, désigner ses candidats...

3Dans cette planification, l’élaboration des alliances occupe une phase importante. Entre les premiers contacts informels et la formalisation d’une stratégie gouvernementale, sans oublier le temps nécessaire pour expliquer aux électeurs et aux militants le bien-fondé d’un tel rapprochement, les partis politiques doivent pouvoir apprécier la durée nécessaire à la bonne gestation de leurs alliances. Car si l’influence du régime électoral est prépondérante5, la maîtrise de l’agenda électoral doit permettre aux partis de se donner le temps d’élaborer au mieux leurs stratégies d’alliances, de les structurer formellement (par la signature d’un accord électoral...) et de construire entre eux une synergie optimale. Pour ce faire, l’agenda institutionnel, qui fixe les règles du jeu électoral, notamment le rythme des élections, est une référence clé.

4De plus, la géographie politique des alliances est elle-aussi en partie dépendante de ce rythme électoral. La durée prévisible d’une campagne conditionne le temps accordé à cette délicate phase des négociations, notamment au regard d’une harmonisation spatiale des logiques d’accords passés nationalement.

5Or, la dissolution anticipée – le 21 avril, à 20 h – a bousculé les calendriers. Et, comme le souligne fort justement Paul Bacot, « dissoudre l’ Assemblée, c’est tenter de maîtriser le temps et l’espace politique : le temps en modifiant à son profit les conditions de la « bataille de l’agenda » ; l’espace, en tentant d’imposer ou de requalifier un clivage politique » (Le Monde, 28/04/97). C’est aussi, en prolongeant cette idée, tenter de maîtriser, ou tout au moins perturber le jeu des adversaires, en imposant son rythme dans le temps des négociations, dans l’espace des partages des hommes et des circonscriptions. C’est précisément à la rencontre de ces logiques temporelles, issues d’une juxtaposition de vue nationale et locale, que nous prêterons attention. Les partis politiques se trouvent confrontés à la nécessité de recomposer rapidement la planification de leur campagne. Aboutit-on pour autant à un bouleversement profond des stratégies ?

6En réduisant le temps de la campagne des élections législatives, prévues en 1998, la dissolution agit comme un révélateur et un catalyseur. Révélateur, en ce sens qu’elle dévoile les caractéristiques intangibles des campagnes électorales ; catalyseur, car elle oblige les formations politiques à hâter leurs démarches, en vue de rester dans les temps. Ce faisant, il semble bien que la dissolution renforce la dimension nationale des jeux d’alliances ; elle rend ainsi visible l’importance des états-majors nationaux dans leur volonté de maîtriser à la fois le temps de l’élection et les espaces de l’élection. Pour autant, cette nationalisation n’est pas le seul mécanisme en jeu. En bousculant le rythme de l’élection, la dissolution contribue à redonner une importance au local. Si l’on examine le cas du Nord/Pas-de-Calais, on constate que les orientations nationales définies précipitamment (non pas tant sur un plan programmatique que sur un plan stratégique, comme pour les investitures) doivent tout à coup se décliner rapidement au local. Et profitant de ce temps bousculé, le local réussit à se doter d’une certaine autonomie.

7Evénement soudain, la dissolution permet donc de révéler la relative permanence du temps national de cette campagne (I), tout en attirant l’attention sur le renforcement d’une nationalisation progressive des stratégies politiques des partis politiques, au détriment de l’espace local (II).

I – La continuité temporelle : l’impact relatif de la dissolution

8Entre une dissolution surprise et une campagne qui devait être « brutale », dont la principale caractéristique était sa brièveté, quel temps restait-il aux états-majors politiques nationaux pour mettre au point leur stratégie électorale, notamment en ce qui concerne les alliances ? La dissolution anticipée ne produit pas, pour les principales formations, un réel traumatisme... Elle a eu pour principale conséquence d’accélérer des processus déjà en cours, en contraignant les formations à terminer des négociations nationales largement entamées. Seule la durée amputée de la campagne a conduit les partis à catalyser des débats sur quelques thématiques. La rapide maîtrise de ces éléments montre à quel point les stratégies d’alliance ont su discipliner ces aspects matériels et politiques dans la conduite de leur campagne électorale.

Une accélération maîtrisée du rythme électoral

9Lors de l’annonce de la dissolution, les partis politiques n’avaient pas tous désigné leurs candidats. La clôture des candidatures avait lieu le 4 mai. Or, il y a plus de candidats qu’en 1993, ce qui nuance quelque peu l’hypothèse d’une certaine difficulté des partis à faire face à cette situation imprévue, et conforte l’analyse d’une « atomisation partisane » de la scène politique française...6. Cela peut en partie s’expliquer par le fait que les principales formations politiques avaient déjà mis en chantier la préparation des élections législatives de 1998.

10Si l’on examine les préparatifs politiques, on constate que la plupart avait été mis en place depuis quelques mois.

11En ce qui concerne les procédures d’investiture, les cadres généraux avaient été largement définis par le Parti socialiste (janvier 1997), les Verts (février 1997), ou bien encore les principales formations de la droite (UDF et RPR, globalement dès mars 1997), sous réserve bien sûr, de certaines modifications en fonction des accords électoraux prévisibles. Par contre, la désignation des suppléants, enjeu important dans les stratégies d’alliances, a été quelque peu occultée. La désignation du suppléant vise à renforcer l’implantation territoriale du titulaire. Son suppléant, de par son statut particulier (élu local, notable en vue...) lui assure un relais local non négligeable. Le suppléant permet aussi d’arrimer un peu plus les alliances entre les composantes ; la réciprocité et la doublette titulaire-suppléant officialise ainsi une relation officielle entre deux partis. Enfin, cette désignation permet de gérer à l’amiable des primaires potentielles, en intégrant dans la campagne du titulaire de possibles concurrents7. Cette procédure suppose donc un subtil dosage, qui vient compléter la constitution de la liste des titulaires. Or, avec ce temps écourté, les formations n’ont pas toujours eu le temps d’analyser les conséquences d’une telle désignation8.

12Par contre, des négociations en vue de modeler les grandes lignes d’alliance électorale, principalement sur la question du partage des circonscriptions, avaient été lancées, pour certains partis, depuis les mois de juillet 1996. Suite à différentes rencontres entre instances nationales (dès octobre 1996), le Conseil national inter-régional des Verts (le CNIR, sorte de parlement des Verts) adoptait en février 1997 le principe d’un accord électoral avec le PS, ratifié par l’Assemblée générale en mars. Au niveau électoral, il prévoyait une trentaine de circonscriptions réservées aux candidats Verts, et environ 70 circonscriptions où le PS souhaitait ne pas voir de candidats Verts. Afin de mener au mieux ces négociations, les Verts avaient pris soin de désigner des candidats sur l’ensemble des circonscriptions... Dans le même temps, au terme d’un accord électoral avec le PS, le 22 janvier 1997, le Parti radical socialiste (PRS) présentait une quarantaine de candidats au niveau national9. Le Mouvement des citoyens (MDC)10 et le Parti communiste avaient amorcé une discussion depuis quelques mois. Elle faisait suite à certaines positions communes sur l’Europe (le non au référendum sur le traité de Maastricht, la demande commune, en mars 1997, pour un référendum sur le passage à la monnaie unique). Le 20 avril 1997, ils concluaient un accord national portant sur 46 circonscriptions. Dans 30 circonscriptions, le candidat titulaire était présenté par le PCF ; dans 16 circonscriptions le candidat titulaire était présenté par le MDC. Cet « accord politique » avec le PC était doublé, au niveau national, d’un « accord électoral » avec le PS. Le principe commun était que le MDC ne présente pas de candidats contre les sortants du PS et du PC. A droite, dès l’annonce de la dissolution, la carte de l’union était avancée : « l’union est sans ambiguïté » (La Voix du Nord, 9/5/97), et s’oriente clairement vers le principe de la priorité au sortant.

13Les alliances sont aussi conclues pour atteindre, après l’élection, la majorité parlementaire et la majorité gouvernementale (même si les rapports entre les alliances et ces majorités sont « très complexes »…). Par exemple, l’hypothèse d’une participation du Parti communiste à un futur gouvernement de gauche a établi des rapports particuliers lors des négociations avec le PS ; implicitement, le PC reconnaissait au PS sa vocation de « parti majoritaire ». Ce faisant, la gestion des rapports avec les autres formations de la coalition ou bien encore les stratégies de désistement ne pouvaient plus ignorer cette hypothèse. D’où une déclaration d’intention commune PS/PCF, selon laquelle « est de [leur] responsabilité de tout faire pour que les forces de gauche et de progrès et les écologistes ouvrent ensemble une autre perspective »11.

14La dissolution anticipée a eu pour conséquence de transformer cette hypothèse lointaine en une ligne de conduite plus actuelle, et de ce fait, plus contraignante12.

15Si l’on examine à présent les préparatifs techniques de cette campagne, on constate que les partis ont été un peu surpris de ce nouveau délai, mais sans que cela ne remette en cause leur capacité à s’adapter. Le domaine financier illustre facilement cette idée. Les élections législatives, de par leur particularité liée au financement public13, imposent aux partis la nécessité d’une présence électorale la plus large possible. Les stratégies d’alliance avaient, dès le départ, tenu compte de cette nécessité. Il a aussi fallu dans le même temps gérer rapidement la constitution des associations de financement (les comptes de campagne ne pouvaient s’ouvrir qu’au 1^er mars 1997 en vue des élections législatives de 1998)… C’est donc en toute hâte que la plupart des mouvements vont s’empresser de doter les candidats des moyens légaux leur permettant de rassembler les fonds nécessaires à la conduite de leur campagne.

16Sur certains aspects clés (financement, stratégies générales, investitures...), les formations politiques les plus rompues aux jeux électoraux ne semblent guère avoir été profondément perturbées par ce nouveau délai ; la dissolution n’a en quelque sorte qu’accéléré des processus déjà en cours. Qu’en est-il d’un point de vue programmatique ?

Le temps suspendu des débats

17Les partis concourent à la formation des débats politiques qui animent une campagne électorale. Ils ont vocation à alimenter le débat démocratique en proposant, selon leur point de vue idéologique, des moyens différents pour régler un problème politique. Pour autant, leur autonomie dans le choix des problèmes à traiter n’est pas si entière. La dissolution va avoir, au niveau national, comme principal effet de cristalliser les débats autour d’enjeux nés dans les premiers temps de la campagne.

18La dissolution va avoir pour effet de fixer les enjeux idéologiques autour de thématiques nées dans la période préélectorale (sous le modèle de l’agenda setting 14. Si l’on examine cette campagne, on s’aperçoit que les partis politiques ont focalisé leur attention sur quelques aspects de la participation politique. Autour de l’idée selon laquelle il faudrait permettre un renouvellement du personnel politique, les questions de la parité, du cumul des mandats ou bien encore de l’âge des sortants15, vont contribuer à orienter les termes du débat, en même temps que ces questions vont avoir une influence dans les procédures d’investitures des partis politiques.

19Deux exemples paraissent significatifs. La parité homme/femme constitue le premier. Avec cette campagne, la question de la parité trouve une nouvelle vigueur16, même si certains partis l’ont inscrit depuis longtemps dans leur règle de fonctionnement17. Elle s’est imposée comme un préalable incontournable dans les procédures d’investitures de certains partis ; le PS avait nationalement décidé de présenter 30 % de femmes18 ; le Parti communiste avait affiché son souhait de voir la parité s’appliquer le plus largement possible. Plus généralement, la question de la parité a contribué à animer la campagne, et l’ensemble des partis ont du se positionner sur les conséquences de la parité en politique, et notamment le problème de la sous-représentation des femmes en politique.

20Le second exemple est celui du cumul des mandats. Lui aussi a eu un impact sur les investitures. Très consensuellement, les forces politiques ont exprimé, sous certaines réserves cependant, un avis favorable sur la limitation du cumul. Certains candidats n’ont pas hésité à faire jouer leur situation pour se faire désigner, et ensuite, à faire campagne sur ce thème19.

21Ces deux exemples entendent témoigner de l’importance pour les partis de prendre position sur ces questions particulières – dont l’importance est soudain ravivée par l’échéance électorale proche – afin de les insérer non seulement dans leurs discours, mais aussi leurs pratiques, ce qui suppose des réajustements dans la distribution des investitures ou les priorités programmatiques.

22D’une manière plus générale, dans les discussions avec les partenaires, les aspects programmatiques vont devoir tenir compte de ce calendrier réduit. De ce fait, la dissolution va en quelque sorte figer les débats autour de certains points (comme l’a clairement montré la question de l’abrogation de la loi Debré dans les négociations entre le Parti socialiste et les Verts). Des prises de positions sont aussi amplifiées par l’effet télévisuel d’une campagne nationale20 ; il convient pour les partis de montrer, rapidement et sans nuance, leur détermination à s’engager dans ces directions jugées novatrices par nombre d’électeurs (parité, non-cumul) ou bien sur certains débats (comme l’a montré la déclaration à l’emporte-pièce de Lionel Jospin sur l’abrogation de la loi Debré).

23L’impact de la dissolution semble donc à nuancer, tout au moins si l’on s’en tient à une approche essentiellement nationale du déroulement des préparatifs de la campagne.

II – Une géographie locale contrastée

24L’analyse locale de l’impact de la dissolution nuance l’impression de nationalisation des stratégies électorales des partis. Au regard de l’exemple de la région Nord/Pas-de-Calais21, deux phénomènes peuvent illustrer cette impression. Tout d’abord, l’image d’une campagne maîtrisée par les partis ne doit pas masquer les différences entre les formations. Si les plus structurées au niveau national, bénéficiant de leur ancienneté ou d’une relative expérience, ont montré leur capacité d’adaptation, il n’en est pas de même pour les formations politiques dont l’enracinement local est assez récent. En outre, l’impression que les processus électoraux (investitures, thématiques...) sont à l’identique sur tout le territoire national est à relativiser aux regards des situations locales, comme le montre le cas du Nord/Pas-de-Calais. On constate cependant à quel point la brièveté de la campagne n’a pas pleinement permis au local de profiter de son autonomie.

Une inégale capacité partisane à gérer ce temps écourté

25Tenter de maîtriser son calendrier électoral, c’est pour un parti tenir compte de trois périodes distinctes, départagées par le vote. La première est la phase préparatoire à l’élection, celle qui englobe les préparatifs de la campagne, puis la campagne électorale elle-même. La deuxième est celle du temps de l’élection, qui ouvre sur la troisième. Celle-ci consiste à gérer, notamment en vue d’établir des coalitions gouvernementales, les effets des résultats électoraux. Si elle veut pouvoir dynamiser sa campagne, une formation politique doit être en mesure de gérer simultanément ces différentes périodes. Il lui faut tout à la fois assurer la gestion d’un temps immédiat et anticiper sur les résultats... Or, à ce jeu, encore compliqué par l’effet de la dissolution, les formations politiques les plus récentes et les moins encore structurées au niveau local comme au niveau national vont se trouver pénalisées.

26Certaines formations vont difficilement réussir à concilier ces périodes, notamment en ce qui concerne les phases préparatoires au premier tour (négociations en vue du partage des circonscriptions, désignation des candidats, élaboration d’un programme...) ou la gestion du second tour (désistement...).

27Tout d’abord, en vue du premier tour, certaines n’ont pas pu mener à bien leur négociation avec d’autres partenaires. En visite à Dunkerque, le responsable de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Alain Krivine, a précisé que « nous voulions discuter avec le PC, mais la dissolution nous a pris de cours en nous privant de débat » (VDN, 5/05/97). Si en mars 1997, Le Mouvement pour la France, parti en pleine phase de constitution, annonce une alliance avec le Centre national des indépendants et paysans (CNIP), il est surpris par la dissolution (qu’il critiquera avec véhémence : c’est un « déni de démocratie », La Voix du Nord, 23/04/97). Cela a contraint le MPF à accélérer ses négociations avec le CNIP. Ces deux formations présentent finalement des candidats sous l’étiquette « La Droite indépendante (LDI) ». Sous la direction départementale d’Elisabeth Bourgois (candidate MPF-LDI, 9^e du Nord, Marcq-Tourcoing), ils entendent présenter des candidats dans les 2/3 des circonscriptions, objectif partiellement réussi. De son côté, le Parti national républicain (PNR), qui souhaite constituer « à la droite de la majorité, une force capable d’être l’aiguillon d’une politique de fermeté et de liberté, fermeté contre l’immigration clandestine et l’insécurité, liberté en matière fiscale et économique » (VDN, 30/04-01/05 1997), n’a réussi à présenter que quatre candidats dans le Nord (1^re, 6^e, 7^e, 17^e).

28La nécessité de trouver rapidement des candidats (d’abord pour assurer une présence du parti, mais aussi lui assurer son financement futur...) a conduit certaines formations politiques à recruter des candidats novices, peu connus, faiblement implantés localement, et bien peu habitués aux arcanes juridiques des conditions légales d’une candidature... Pour la plupart des candidats LDI, c’est un baptême du feu (La Voix du Nord, 04/05/97)22. Cela aboutit à une couverture irrégulière du territoire, faute d’avoir pu mobiliser et former dans un si bref délai des candidats potentiels.

29De même, la brièveté de la campagne peut conduire certaines formations à figer leurs positions autour de points idéologiques jugés déterminants. Ainsi, devant l’intransigeance des responsables locaux du Mouvement des écologistes indépendants23, arc-bouté sur l’opposition radicale à l’encontre de l’accord Verts-PS (une position simi-laire à la position nationale) il n’y eu guère de solutions. Un temps, il fut envisagé un « pôle écologiste libre et constructif », entre le MEI et GE…24. Finalement, chacun défendit ses couleurs. GE, avec son programme « santé, travail et honnêteté »25, présentait 24 candidats dans la région. Il n’a pas été possible, en raison de contraintes de temps essentiellement, pour les candidats de l’ Alternative Rouge et Verte (AREV) ainsi que pour ceux de la Convention pour une alternative progressiste (CAP, animée par Ch. Fiterman) d’arriver à un accord électoral au niveau national ou local avec les Verts ou le MDC.

30Au second tour, les effets de cette impréparation se font encore plus durement ressentir... car comme le souligne J.-L. Parodi, « le second tour d’un scrutin uninominal à deux tours présente cette particularité que, pour l’essentiel, la négociation des alliances et des retraits ne peut se faire qu’entre organisations nationales structurées et à relativement forte discipline […]. Encore faut-il que les formations en question entrent dans le jeu des contraintes du second tour ». La construction préélectorale d’une campagne doit tenir compte de cet impératif majoritaire construit par le mode de scrutin. Entre les deux tours, la gestion des alliances se complique encore avec le chiffre inconnu de l’abstention ou, parfois d’une manière plus anecdotique, à cause de la faiblesse du score séparant les candidats (ainsi, dans la 15^e du Nord, Jean Delobel (PS) et Paul Blondel (Maj. Prés.) ne sont séparés que de 169 voix). Les absents au second tour peuvent eux aussi peser sur le devenir du scrutin. Ainsi, il n’a manqué que 254 voix au candidat FN dans la 19^e du Nord pour être présent, et il utilisera ce résultat pour tenter d’influencer les candidats encore en piste.

31Dans cette perspective, la question du désistement montre à quel point ces formations n’ont pas su se doter d’une campagne nationale forte, relayée avec « discipline », pour reprendre le terme de J.-L. Parodi, par les responsables locaux ou les candidats investis. Des partis plus « solides », comme le PS et le PCF, n’ont guère eu d’état d’âme : il faut se « rassembler pour gagner » tel était le mot d’ordre d’une réunion animée par B. Baudoux (PCF) et Ch. Bataille (PS)26, « afin de permettre aux socialistes de disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale » explique B. Frimat pour justifier son soutien au communiste F. Thièmé, (21^e du Nord). Même si cette politique n’équivaut pas, comme le précise Jacky Hénin (7^e du Pas-de-Calais) « à signer un blan-seing au PS »27. Ce rassemblement se construit bien évidemment autour d’un bilan très critique sur l’action du gouvernement Juppé, sur une inquiétude partagée autour du FN, et sur la nécessité de faire de l’emploi une priorité. C’est ainsi que, bien qu’en ayant obtenu plus de 12,5 % des inscrits, huit candidats ont pourtant choisi de se retirer au nom de la « discipline de gauche », comme l’indiquait un communiqué commun du PS-PCF-MDC (La Voix du Nord, 28/05/97 ; cela concerne les 2^e, 14^e, 10^e, 11^e, 12^e, 13^e du Pas-de-Calais et les 16^e et 19^e du Nord). Suivant les principes de l’accord signé avec le PS, Dominique Voynet a appelé très officiellement à se désister pour les candidats de gauche et de progrès, le cas échéant, les mieux placés au second tour (conférence de presse, 26/05/97).

32Par contre, pour certains partis, notamment les plus récents dans la région, les consignes de désistement ne sont pas très explicites, ni au niveau national et encore moins au niveau local. Ainsi, on constate l’attitude différente des candidats LDI qui soutiennent le candidat Jean-Louis Borloo (21^e du Nord). Alors qu’un candidat estime : « nous ne pouvons qu’appeler à l’abstention ou au vote nul en ce dimanche 1^er Juin »28 ; un autre précise, dans la 22^e du Nord, qu’il « n’est nullement propriétaire de ses voix, [qu’]il laisse toute latitude à celles et ceux qui lui ont fait confiance d’élire au deuxième tour la personne qui leur semblera la plus apte à les défendre ». Il est vraisemblable que ces attitudes différentes, pour ce qui concerne La Droite Indépendante, s’explique par l’incapacité de cette coalition à s’être doté, à travers une investiture rapide de ses candidats, d’une bonne discipline interne dans la gestion de ces désistements.

33D’autres partis rencontrent les mêmes difficultés. Ainsi, la déléguée régionale des Nouveaux écologistes du rassemblement nature et animaux (NERNA), Brigitte Colin (6^e du Nord) précise que les candidats ne donneront pas de consigne de vote ; même si, à titre personnel, elle appellera à voter pour le candidat RPR sortant (La Voix du Nord, 21/05/97). La plupart des candidats du NERNA n’adopteront pas une attitude aussi claire, ou bien alors leur position n’a pas été relayée par la presse... Le Parti des Travailleurs (PDT) réaffirme son opposition au traité de Maastricht, sans être plus explicite par la voix de ses candidats locaux... Bien souvent, sans qu’il y ait une réelle concertation avec le niveau national ou même régional de son parti, c’est le candidat présent au premier tour qui décide de soutenir ponctuellement tel ou tel candidat, ad nominem.

34Restent différentes candidatures, dont les positions au premier comme au second tour ne s’inscrivent pas dans des stratégies de désistement, ni de négociations. Souvent inclassables, elles témoignent de l’intérêt suscité par cette campagne. Ainsi, L’Union pour la semaine des 4 jours (US4J) présentait 8 candidats dans le Nord, un seul dans le Pas-de-Calais (environ 200 au niveau national)29. Le Parti communautaire national-européen (mouvement créé en 1984, disposant de deux conseillers à Mons, Belgique, cf. La Voix du Nord, Maubeuge, 15 mai 1997) ne présentait qu’un seul candidat et ses consignes restent perdues... Situation tout aussi ambiguë à Génération écologie. Dans la 20^e du Nord, le candidat GE appella à voter pour A. Bocquet, afin « de combattre fermement et de faire reculer le FN », tandis que B. Lalonde a apporté son soutien au candidat Jacques Vernier (17^e du Nord) entre les deux tours, insistant sur les qualités de l’homme et sa connaissance réelle en matière d’environnement. Une autre candidate GE appellera à voter pour le candidat socialiste (22^e du Nord).

35L’extrême droite eu une position nettement plus intransigeante. N’ayant bénéficié d’aucune offre d’alliance, n’en ayant sollicité aucune, le Front national présentait des candidats dans toutes les circonscriptions du Nord/Pas-de-Calais. Il a été en mesure de maintenir six candidats au second tour : trois triangulaires (10^e, 8^e, 14^e du Nord) et trois duels (12^e, 20^e et 23^e du Nord). Ailleurs, on ne peut à proprement parler de logique systématique dans les consignes de vote. Le FN aura une position dictée par des considérations avant tout localiste, résultant d’une approche très individuelle des candidats encore présents. Ainsi, il appellera à voter pour Léonce Deprez (4^e du Pas-de-Calais ; L. Deprez figurait sur la liste des candidats à soutenir qu’avait présentée J.-M. Le Pen), mais, dans la 21^e du Nord, il précise « qu’aucun des deux candidats en lice [Maj. Prés./PC] n’ayant émis le souhait d’un soutien, je [D. Slabolepszy] demande aux électeurs qui m’ont fait confiance le 25 mai d’ignorer de la même façon les deux prétendants au poste de députés »30. Plus significatif, le FN maintient ses candidats dans les circonscriptions où son score du premier tour lui permet de le faire (six dans le Nord).

36L’importance organisationnelle n’est pas ici un critère suffisant pour classer les formations ; mais cet élément, associé à l’ancienneté d’un mouvement, témoigne néanmoins qu’une formation politique minoritaire est en mesure de faire face rapidement aux exigences de cette campagne, de construire un message politique clair et de le faire appliquer localement. Ainsi, Lutte ouvrière (LO) a décidé d’aller seule à la bataille, confirmant l’opinion de son leader médiatique, Arlette Laguillier, selon laquelle aucun parti ne défend vraiment les intérêts des travailleurs. Elle « ne donnera pas de consigne de vote au second tour » mais souhaite que ses électeurs ne votent « ni à droite, ni à l’extrême droite » (Le Monde, 27/05/97). Les 26 candidats de LO (17 dans le Nord, et 9 dans le Pas-de-Calais)31 reprendront ce discours32. De même, un temps décontenancé par la dissolution, la LCR retrouvait ses marques au second tour et appelait à voter pour les candidats de la gauche. Jeune formation, le MDC a lui su tirer profit de l’expérience de ses dirigeants, notamment dans sa relation avec le PCF. Le PCF tenait à préserver certains bastions dans le Nord (comme les circonscriptions de A. Bocquet et G. Hage). Il a obtenu pour ces candidats un soutien du MDC, ainsi que dans la 23^e (Annick Mattighello) du Nord, la 12^e du Pas-de-Calais (Jacques Robitail, maire d’Avion). En échange le PCF soutenait dans la 2^e (Arras-Vitry), le président départemental du MDC, Jean-Marie Alexandre (maire de Souchez, conseiller régional, trésorier national du MDC), dont le suppléant était Martial Stienne (PC, candidat face à J.-M. Alexandre en 1993).

37Cette inégale capacité à maîtriser les règles du jeu électoral n’est pas à négliger. Car si l’on tient compte de l’éparpillement des votes entre les formations politiques (comme le constate P. Perrineau, « les quatre forces du « quadrille bipolaire » (PC, PS, UDF, RPR) ont rassemblé 66,9 % des suffrages exprimés. Elles en rassemblaient 95,1 % en 1981 […] [soit] 56,4 % des inscrits »33, de nombreuses voix se sont portées sur ces formations politiques minoritaires (sans oublier de compter les votes nuls ou blancs…). Cet éparpillement se retrouve aussi au niveau local, où il n’est pas rare qu’il compte dans le résultat final d’une élection.

L’espace local déresponsabilisé ?

38Le local, à la suite des lois de décentralisation, semblait avoir trouvé une nouvelle importance34, car sur cet espace s’agrégeraient et se développeraient de « nouveaux enjeux »35. Les notables y ont trouvé une reconnaissance36, et généralement, le personnel politique a su se redéployer dans ce nouvel espace, non sans quelques excès37. Les partis politiques semblent eux-aussi avoir bénéficié de cette vitalité, permettant ainsi aux élites politiques locales de se doter de nouveaux outils de légitimation, et pouvant ainsi peser sur la vie nationale38.

39La politique entretient donc un rapport privilégié avec l’espace39. Elle s’incarne dans des espaces locaux qui portent en eux des traditions électorales, partisanes ou encore humaines40. Elle est aussi une relation d’échanges permanents entre les porteurs d’intérêts locaux et les porteurs d’intérêts nationaux41, dans laquelle les premiers ne sont pas dépourvus de toute autonomie.

40Or, nous venons de voir comment cette dissolution anticipée renforce, par les contraintes temporelles qu’elle impose, les tendances à la nationalisation et à l’homogénéisation des procédures d’alliances. De plus, cette nationalisation de la vie politique serait renforcée par la modification des règles du financement des partis politiques42 ; l’ensemble de ces dimensions matérielles renforcerait le poids des structures nationales (dans l’information et la formation des élus sur ces règles, mais aussi, plus concrètement, dans la gestion matérielle des comptes de campagne...). On assisterait à une standardisation des mécanismes techniques de constitution d’une candidature (tout au moins pour les législatives), ou pour le dire autrement, à une « intégration croissante des marchés politiques dans le marché central »43.

41Quelle place reste-t-il alors au local ?44. Face à la brièveté de la campagne, les responsables locaux se sont-ils investis d’une plus grande capacité d’action, ou tout au moins d’appréciation dans l’application des consignes nationales ?

42La préparation de ces élections législatives montre à quel point les instances nationales sont constamment intervenues sur le local, afin d’impulser, de dynamiser puis d’accélérer les procédures. Par exemple, si l’on examine la gestion des candidatures dissidentes à droite, les dissidences sont essentiellement gérées par les instances nationales. Suite aux nouveaux statuts adoptés après l’élection de F. Léotard à la présidence de l’UDF, c’est à présent à la formation, et non à ses composantes, qu’appartient le pouvoir de sanction45. Entre mars et avril, d’ultimes négociations tentaient de régler les problèmes. Des arbitrages restaient encore à effectuer le 24 avril : dans la 2^e du Nord (T. Degraeve, candidat en 1993, contre D. Rosselle), la 12^e (Christian Hutin, maire de Saint Pol sur Mer se faisait désirer), la 15^e (la candidature de P. Blondel, maire d’Hazebrouck n’était toujours pas officialisée), 16^e (les maires de Pecquencourt et de Marchiennes sont en compétition), la 20^e (en discussion), la 22^e (le maire de Fontaine-au-Pire, Jean-Marie Lemaire continuait les discussions). Finalement, Jean-Pierre Lemai (Nord, 9^e ; ex. PPDF)46 et Patrick Vanandrewelt (Nord, 16^e) ont été exclus. Le 6 mai, le RPR a lui aussi présenté sa liste d’exclus ; dans le Nord, seul Philippe Duée (21^e) était concerné. Bien souvent, afin d’éviter des primaires, les arbitrages ont eu lieu au niveau national, afin de pouvoir jouer à ce stade sur les différentes étiquettes de la majorité47. Par exemple, dans la 20^e du Nord, Rose-Marie Caby (maire de Thun-St-Amand, secrétaire départementale adjointe du RPR) s’était déclarée candidate. Mais, afin de respecter les accords nationaux, ce sera finalement A. Massart (UDF-Parti radical) qui sera désigné candidat.

43Incontestablement, la capacité des responsables locaux à informer les niveaux nationaux de la situation concrète qu’ils vivent, permet à ces instances dirigeantes d’affiner leur analyse. Les accords passés nationalement peuvent ainsi tenir compte des spécificités locales, minutieusement détaillées. Ainsi, l’accord Verts-PS prévoyait, suite à de longues négociations, que les Verts ne présenteraient pas de candidats dans les 8^e, 9^e, 10^e et 15^e du Nord48 et que le PS soutiendrait, avec PRS, la candidature unique de G. Hascoët dans la 7^e du Nord. Et puis il y a encore plus singulier. Ainsi, un accord national est intervenu le 30 avril entre le PS, le PRS, Les Verts et le PC, sur cinq candidatures uniques dans cinq circonscriptions « à forte influence du FN » au premier tour (il était au départ question d’une cinquantaine de cas...). Dans le Nord, seule la 9^e est concernée (Tourcoing-Marcq, avec Colette Huvenne, adjointe au maire de Tourcoing), et elle est dominée par les forces gaullistes. Au soir du premier tour, seule reste en course, la candidate PRS Colette Huvenne. Ou bien encore, c’est le MDC qui ne juge pas utile d’être présent dans certaines circonscriptions de députés PS sortants, ou dans des zones de reconquêtes potentielles (1^re, B. Roman ; 13^e, M. Delebarre par exemple).

44Dans certaines circonscriptions, la gauche n’a pas réussi à surmonter ses divisions locales comme à Calais (7^e du Pas-de-Calais), Nœux les Mines (11^e du Pas-de-Calais), Hénin-Beaumont (14^e du Pas-de-Calais), où l’on assiste à de vives confrontations entre les candidats du PS et du PC. Ces divisions l’ont parfois empêchée d’assurer une présence au second tour (23^e du Nord, candidatures dissidentes du PS – Umberto Battist – soutenues par le PRS, et un temps par le PS !)49. Dans certaines circonscriptions où le PC et le MDC ont fait alliance, le PS présentait des candidats (comme dans la 2^e du Pas-de-Calais, avec la candidate Catherine Génisson). Sur le terrain nordiste, quatre candidats représentent le MDC, ce qui risquait de gêner le PS... (4^e, 14^e, 18^e, 21^e). Dans le Pas-de-Calais, il a soutenu activement la candidature de Jacky Hénin (7^e du Pas-de-Calais) et surtout celle du député sortant communiste, Rémy Auchedé (11^e du Pas-de-Calais). Lors de sa tournée dans le Pas-de-Calais, Jean-Pierre Chevènement viendra soutenir ce dernier à Carvin (il se déplacera aussi à Roubaix, Dunkerque, Saint Orner et Arras). Il a aussi présenté des candidats dans certaines circonscriptions où existait un accord entre différentes forces de gauche (7^e, accord Verts-PS, avec la candidature de C. Maes et un suppléant communiste, J.-P. Marescaux). Il a aussi soutenu des personnalités en rupture avec le PS, comme Régis Fauchois sur le littoral (ancien PS, président de « Radical » dans le Nord jusqu’en 1996), allant même jusqu’à présenter un suppléant. La volonté de présenter une gauche plurielle, mais soucieuse de se présenter ensemble face aux électeurs semble donc mieux affichée dans les médias nationaux que dans les circonscriptions elles-mêmes.

45Faut-il voir dans cette fonction de conseil, l’une des dernières fonctions essentielles des instances locales ?

46Cependant, la situation décidée nationalement n’est pas appliquée automatiquement. Si le PCF, après avoir hésité – lors de ses journées parlementaires, en septembre 1996, les communistes avaient manifesté soit la volonté de s’entendre avec le PS (pour les Refondateurs) soit une hostilité à une entente préélectorale (pour les orthodoxes)50 –, décide finalement d’adopter une stratégie commune avec le PS, au niveau régional, la situation reste plus conflictuelle. Par exemple, le communiste Claude Demoustier, un temps candidat dans la 9^e du Nord, s’est finalement retiré ; il a cependant tenu à préciser que cet accord a été conclu « sans consultation des communistes locaux »51. D’autres circonscriptions sont, elles, marquées par d’anciennes querelles, mal cicatrisées (comme dans la 14^e du Pas-de-Calais, où au soir du premier tour des législatives de 1993, le député Albert Façon (PS) devançait d’une voix Yves Coquelle, maire PC de Rouvroy ; en 1997, au premier tour, Albert Façon devance de 114 voix le même Coquelle…).

47Echappent aussi à cette nationalisation, les thèmes locaux de la campagne : il faudra aussi souvent compter sur des considérations politiques localisées : « les considérations et les perspectives locales pèsent dans cette élection aussi lourd sinon davantage que la politique nationale, envers laquelle les électeurs gardent leurs distances »52 témoigne le député UDF sortant, Jean-Pierre Pont, maire de Neufchâtel-Hardelot.

48Resterait-il au local un espace plus anecdotique, peuplé de petits picrocholes…? Des lieux restent en effet des territoires gardés par quelques personnalités aux parcours politiques atypiques, qui réduisent à peu de chose les jeux d’alliances dessinés trop grossièrement. Les stratégies partisanes doivent aussi tenir compte du poids des personnalités locales. Dans certaines circonscriptions, les négociations sont liées à la présence de candidats sortants, ou de personnalités locales incontournables (comme J. Donnay pour le RPR dans la 5^e du Nord). Pourtant, la prime au sortant n’est pas une donnée automatique (comme avec le maire de Cambrai, François-Xavier Villain ; Claude Pringalle, lui aussi RPR, lui a finalement laissé la place, acceptant même d’être son suppléant dans la 18^e). Il faut aussi tenir compte de personnalités locales estimées incontrôlables par les partis, personnalités dégagées de toute affiliation partisane, mais qui localement ont un certain poids politique (comme Joël Wilmotte, 24^e du Nord ; Guy Lengagne ; 5^e du Pas-de-Calais)53. Dans ce cadre, les stratégies d’alliances doivent composer avec ces personnalités, plus ou moins ouvertement, afin d’accroître leur chance de réussite. Ponctuellement, le PS a préféré apporter son soutien à des candidats divers gauches (comme dans la 15^e du Nord, avec Jean Delobel, qui se présente sous l’étiquette « Pour une réelle démocratie, un enjeu pour la Flandre »). Tout aussi ponctuellement, le RPR et l’UDF n’ont pas désigné de candidat contre le député sortant, indépendant, Jean Urbaniak, maire de Noyelles-Godault (14^e du Pas-de-Calais). On retrouve le même phénomène dans la 12^e du Nord, où les deux formations n’ont pas voulu gêner R. Fauchoit, le vainqueur de Michel Delebarre en 1993.

49Enfin, l’espace local reste propice à l’apparition de candidatures échappant à toute logique d’appareil. Certains candidats jouent ainsi une carte personnelle. Ainsi, Philippe Bardiaux (20^e du Nord) a reçu le soutien de Jean-Pierre Soisson (fondateur et secrétaire général du Mouvement des réformateurs, dont Ph. Bardiaux est membre du bureau politique) et de Roger Bambuck (de l’Association des démocrates, dont Ph. Bardiaux est secrétaire général) ; il se prévalait cependant d’un « soutient discret du RPR local »54 (il ne réalisera que 1,87 % des voix...). C’est encore le cas de Jean Urbaniak (14^e du Pas-de-Calais), qui ne cesse de rappeler qu’il est un « homme libre », qu’il « n’appartient à aucun parti »55. Pourtant, il bénéficie d’un soutien indirect de la part du RPR-UDF, car ces mouvements ne présentent pas de candidats sur cette circonscription. Ou encore Jean-Louis Borloo (21^e du Nord), qui se présentait sous l’étiquette Majorité-Présidentielle, et pouvait se prévaloir du soutien tacite de l’UPF. A tel point, que le candidat Philippe Duée a été exclu du RPR pour s’être présenté contre lui. C’est aussi le cas de « simples citoyens », qui se présentent pour défendre leur conception de la politique (comme Stéphan Zarembski, 19^e du Nord ; Philippe Peene, 14^e du Nord, ou bien encore Johnny Delayen, 5^e du Nord, qui se présente pour « lancer au plan national une opération d’envergure pour une lutte intense contre l’abstentionnisme et le vote blanc »).

50Finalement, les disparités locales d’implantation des partis politiques expliquent et nuancent cette propension à la nationalisation de la vie politique. Certes, l’attribution des étiquettes politiques participent fortement à ce processus ; mais cela ne s’effectue pas au détriment des histoires politiques locales, où ces mêmes étiquettes doivent apprendre à se fondre, harmonieusement, dans le paysage politique local.

*

51Au delà de la légitimité formelle des alliances, reste posée la question de leur validité. Celle-ci doit tout d’abord apparaître aux yeux des partenaires comme une maîtrise des discordances programmatiques pouvant exister entre eux56. L’alliance doit donc être intégrée, avant que d’être portée dans le débat public, au sein des différentes formations la composant. Elle se concrétise alors fréquemment par la présentation d’un programme commun, sensé représenter l’aboutissement d’une discussion approfondie... L’alliance officialise une phase de négociation programmatique antérieure.

52La validité se fonde ensuite sur la maîtrise de l’agenda électoral. L’alliance traduit cette capacité à animer la campagne électorale ; elle en est l’un des points d’orgues (elle en marque bien souvent son lancement, ou en est l’une des étapes centrales), en même temps qu’elle contribue à définir les étapes politiques importantes qui l’aviveront.

53La validité se fonde enfin sur sa capacité à crédibiliser une répartition du territoire électoral entre les différents partenaires ; il faut réussir à authentifier cette alliance en lui faisant prendre corps dans la réalité des circonscriptions. Les alliances ont vocation à s’incarner dans des territoires qui ont leur propres histoires, faites tout à la fois de querelles clochemerlesques, mais aussi d’oppositions idéologiques plus ou moins insurmontables, bref sur des lieux détenant chacun leurs traditions, en terme de votes, de représentations des amis et des adversaires politiques.

54Construire une alliance suppose donc que l’on soit en mesure d’élaborer des stratégies pédagogiques (en direction des électeurs, mais aussi des membres des partis alliés) et électoralistes (en fonction du calendrier électoral notamment). Il semble bien que les stratégies pédagogiques sont à présent plus ou moins intégrées dans les habitus des partis démocratiques. Par contre, les stratégies électoralistes sont elles plus soumises aux aléas, parmi lesquels les rythmes électoraux figurent en bonne place. Car une alliance suppose un temps de maturation relativement important. Entre les premiers contacts et l’élaboration d’une stratégie gouvernementale, sans oublier le temps nécessaire pour expliquer aux électeurs le bien-fondé d’un tel rapprochement, la maîtrise du temps est une donnée essentielle pour les partis, notamment si l’on s’attache à apprécier le poids respectif des unes et des autres.

55Gérer ce temps, c’est avoir la capacité pour un parti de construire nationalement une stratégie politique claire et cohérente, de la reprendre et de la traduire physiquement par des candidats répartis sur l’ensemble du territoire électoral. Maîtriser ce temps, c’est faire face à l’imprévu d’une durée de campagne écourtée, et réussir quand même à entraîner une dynamique autour d’un accord électoral, par un partage de circonscriptions ou par un contenu programmatique plus ou moins formalisés.

56Or, faute de bénéficier de relais locaux clairement identifiés (des personnalités, des notables, ou bien encore une structure politique locale…)57, la nationalisation mise en avant dans ces élections législatives de 1997 reste une donnée inégalement répartie entre les partis politiques.